Jacques-Olivier Boudon (dir.). La Jeune République, 1912 – à nos jours. Histoire et influence. Actes de la journée d’études organisée par l’Institut Marc Sangnier et le Centre d’histoire du xixe siècle, le 28 septembre 2012, Paris, Champion (Bibliothèque d’études des mondes chrétiens), 2017, 348 p.
1Petit parti d’inspiration démocrate chrétienne, fondé d’abord sous la forme d’une Ligue par Marc Sangnier en 1912, dans le prolongement du Sillon, la Jeune République (J.R.) partage les combats de son fondateur. Bien que constitué essentiellement de militants catholiques, il incarne le centre gauche de la démocratie chrétienne, ouvert à la gauche socialiste à certaines conditions. Il se transforme officiellement en parti politique en 1936, adhère au Front populaire et obtient 4 députés. Il refuse les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 et nombre de ses membres entrent en résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Il conserve ensuite une position originale, refusant de se fondre dans le Mouvement républicain populaire (1944) qui joue un rôle majeur dans la IVe République. La J.R. affiche sa différence en adoptant un programme social avancé, marqué par le personnalisme de Mounier. Il attire des déçus du Mrp, tel l’abbé Pierre ou Jacques Delors, ou des partis de gauche (Georges Montaron, fondateur de Témoignage chrétien ; Anicet Lepors, futur ministre communiste en 1981). Une majorité de la J.R. rejoint ensuite le Parti socialiste unifié (Psu) fondé en 1960 mais elle ne disparaît pas. En 1981, elle refuse d’entrer dans le Parti socialiste de F. Mitterrand. La J.R. devient une sorte de club de réflexion, avant de se mettre en sommeil en 1985. Vingt documents et 205 notices biographiques complètent l’ouvrage qui montre l’importance du rôle joué par ce petit parti dont l’influence ne se mesure pas au faible nombre de ses élus.
Tangi Cavalin et Nathalie Viet-Depaule (dir.). Les prêtres-ouvriers après Vatican II. Une fidélité reconquise ? Paris, Karthala, 2016
2Cet ouvrage fait écho au dossier proposé par HMC dans ce numéro, et d’une certaine manière le prolonge. Les prêtres-ouvriers ont constitué dans le catholicisme, à partir de 1944, la principale initiative collective pour repenser la place du prêtre dans la société nouvelle née de l’industrialisation et l’engagement des clercs dans le monde du travail. En 1954, Rome décide d’arrêter cette expérience et suscite une profonde crise, essentiellement en France, qui touche bien au-delà de la centaine de prêtres concernés. Une dizaine d’années plus tard, le climat d’ouverture apporté par le concile Vatican II crée les conditions propices pour une « relance » en 1965. Elle donne naissance à une deuxième génération de prêtres au travail qui commence par être confrontée à la contestation de 1968 avant de vivre les mutations du monde du travail. L’ouvrage présente un bilan des interprétations portées par des spécialistes en sciences humaines (1ère partie) avant de réunir des témoignages et de s’interroger sur les effets de cette aventure collective qui semble avoir échoué à proposer un modèle mobilisateur pour les prêtres, de plus en plus rares, ordonnés à partir des années 1980. Déplaçant les approches spontanées en termes de succès ou d’impasse, les contributions rassemblées proposent une vision large de ces parcours qui cherchent à dessiner une nouvelle manière d’assumer le sacerdoce et de vivre la relation à l’Église et au monde, de surmonter le désenchantement et d’imaginer de nouvelles voies, de concilier l’autonomie de l’individu et la solidarité. La réflexion parvient ainsi à ne pas s’enfermer dans un livre bilan aux accents nostalgiques pour aborder des questions très actuelles qui restent en suspens.
Marie-Thérèse Cloître. Les catholiques et la République. Finistère, 1870-1914, Brest, CRBC – Institut Culturel de Bretagne, 2017, 408 p.
3En inscrivant son étude dans le territoire du Finistère, à l’époque de la conquête des campagnes par la IIIe République, l’auteure nous permet de reconsidérer l’attitude et les réactions de ces catholiques bretons, réputés conservateurs, attachés à leur foi, dociles au clergé et hostiles à un régime qui promeut la laïcité. Sans doute l’opposition fut profonde mais elle ne fut ni générale ni définitive.
4Le sentiment d’affronter un régime qui mettait en péril leurs croyances et leurs coutumes n’empêcha pas, surtout dans le Léon, l’émergence de réponses constructives. Le nouveau climat favorisé par l’appel de Léon XIII au ralliement et surtout l’affirmation d’une théologie politique refusant d’identifier le catholicisme à la monarchie permet à une nouvelle génération de prêtres de trouver un espace pour affirmer leur présence. Le rejet, improductif, de la république laisse la place à la négociation et à la volonté d’agir de l’intérieur. On mobilise les fidèles au sein d’associations et on multiplie les œuvres sociales qui manifestent la volonté de participer à la modernisation mais dans un sens chrétien et encadré par l’Église.
5Cette attention au monde rural ne fait pas oublier que la ville devient un enjeu essentiel avec le développement du port de Brest où l’abbé Roull joue un rôle de premier plan pour créer un réseau d’œuvres sociales catholiques d’assistance, d’éducation ou inspirées de la mutualité et du syndicalisme chrétien. Et une des conséquences les plus importantes de cet engagement est de mettre en mouvement des catholiques, y compris des femmes, qui apprennent le militantisme et une certaine autonomie.
6Paul Dabadie
Bruno Dumons et Frédéric Gugelot (dir.). Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017). Paris, Karthala, 2017, 332 pages
7Préparé par un colloque tenu en 2014 et publié pendant la campagne présidentielle de 2017, alors que nombre d’observateurs reposaient la vieille question du poids du catholicisme sur le vote et les choix des Français, cet ouvrage n’a pas l’ambition de revenir sur la capacité de l’Église à influencer l’opinion publique. Mais il éclaire par ses réflexions des évolutions paradoxales qui affectent un catholicisme. Celui-ci réunit de moins en moins de fidèles dans les églises mais conserve ponctuellement une réelle capacité de mobilisation. Il semble en voie « d’exculturation », selon la formule de Danièle Hervieu-Léger, mais peut encore rassembler des foules. Alors que tous les indices anciens d’appartenance semblent confirmer son recul, 58 % de Français s’en réclament toujours.
8Le volume réunit les contributions de 18 spécialistes, historiens, sociologues, anthropologues, politologues… Il s’intéresse d’abord dans une perspective historique aux transformations qui ont affaibli les courants situés « à la gauche du Christ » et les partisans de l’ouverture au profit de la réaffirmation de différences et de la mise en avant d’une identité catholique propre. Cette bataille des modèles, qui est celle du rapport à la modernité, ne se lit pas seulement dans les orientations philosophiques et théologiques portées par la revue Communio. Elle correspond aussi à la promotion d’un épiscopat qui adhère à ce basculement et le favorise. Ce dernier contribue à l’émergence de communautés de clercs et de laïcs qui affichent leur appartenance confessionnelle, ambitionnent parfois de former un nouveau type d’hommes porteur de valeurs masculines dont le prêtre sera l’incarnation. Ou encouragent des formes modernes de chant et de musique pour redynamiser la liturgie sans pour autant renoncer à la critique des « dérives » modernes
9Ce monde catholique, qui affiche son identité et prône la fidélité à l’héritage, n’en est pas pour autant uniforme. La troisième partie en décrit des visages différents, même s’ils relèvent souvent de courants portés à la défense des valeurs traditionnelles (notamment autour de la famille). On y trouve aussi une jeunesse hétérogène, y compris quand elle est rassemblée par les Jmj (Journées mondiales de la jeunesse) et on assiste à des initiatives qui attirent un public composite, au-delà des frontières classiques, comme le fait Glorious, groupe rock, version « pop louange », à Lyon dans la paroisse Sainte Blandine. En somme, et c’est ce que tend à montrer la quatrième partie, l’affirmation de l’identité penche vers la défense de valeurs considérées comme essentielles au catholicisme, et en cela présente des analogies qui incitent à des rapprochements avec « un islam identitaire », sans pour autant déserter les terrains nouveaux comme la promotion d’une « écologie humaine » (cf. HMC n° 40).
10Au final, comme l’exposent Frédéric Gugelot et Denis Pelletier, cette évolution ramène à la question débattue dans les sciences sociales de l’identité, du rôle qu’y jouent les religions, de leur instrumentalisation politique. Et interroge le catholicisme, comme d’autres confessions religieuses : est-il une identité ?
11Claude Prudhomme
Laurent Gruaz. Les officiers français des Zouaves pontificaux. Histoire et devenir entre xixe et xxe siècle. Paris, Honoré Champion (Bibliothèque d’études des mondes chrétiens), 2017, 732 p.
12Issu d’une thèse elle-même volumineuse, fondé sur une collecte exemplaire de sources publiques et privées, manuscrites et imprimées, l’ouvrage traite un sujet assez méconnu, ou considéré comme anecdotique, voire folklorique, celui de cette armée de volontaires catholiques engagés comme zouaves pontificaux entre 1861 et 1870 pour défendre les États du pape contre l’armée du Piémont-Sardaigne qui poursuit l’unification de l’Italie. Ils n’empêcheront pas les « Italiens » d’entrer dans la Rome pontificale le 20 septembre 1870. Qui sont particulièrement, parmi ces 10000 hommes (dont 3000 Français), les 150 officiers qui se sont engagés dans ce combat à contre-courant, que veulent-ils, comment se conduisent-ils dans un contexte particulièrement défavorable ?
13La première partie permet de bien situer les origines géographiques des zouaves, les enracinements régionaux, les milieux sociaux, les influences subies, celles faibles des évêques, celles plus déterminantes du journal L’Univers et son directeur Louis Veuillot, de curés et de femmes (les mères) et des écoles fréquentées. C’est aussi l’occasion de reconsidérer quelques légendes comme le lien avec l’insurrection vendéenne ou la présence en masse des savoyards (les originaires de l’Ouest dominent).
14La deuxième partie les montre en action : c’est un peu le récit-bataille, qu’il fallait inévitablement aborder, ce qui est fait sans négliger les questions d’organisation, d’équipement, de vie quotidienne (intéressante est la question du logement à Rome), le service de santé.
15Enfin, la troisième partie s’intéresse à l’après : que deviennent les zouaves après le 20 septembre 1870 ? Si leur choix ne se révèle pas incompatible avec l’engagement pour la France lors de la guerre de 1870, avec la légion des volontaires de l’Ouest commandée par Charette, l’échec de l’aventure incline plutôt au retrait sur ses terres même si elle conduit parfois à des vocations religieuses ou à servir d’autres causes religieuses (la mission). Mais la mémoire, activement entretenue, nourrit surtout la nostalgie et la défense de la monarchie catholique, version légitimiste.
16À travers cette histoire de volontaires, qui fait inévitablement penser dans un tout autre registre aux brigades internationales, l’auteur décrit tout un courant catholique traditionaliste dans lequel se reconnaissent des hommes jeunes, nourris de modèles chevaleresques qui exaltent le sens de l’honneur, prêts à donner leur vie à une cause supérieure, conformément à une spiritualité qui valorise le sacrifice, jusqu’au martyr s’il le faut.
17Paul Dabadie
Christian Sorrel. Parcours religieux dans la Savoie contemporaine. Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2017, 486 p.
18Les vingt-six chapitres de cet ouvrage dessinent les lignes de force de l’histoire religieuse de la Savoie, très majoritairement catholique, depuis la Révolution française. Ils sont organisés en trois parcours. Le premier est centré sur les Identités et met en relation la vie religieuse avec les territoires, en Savoie et au dehors (diasporas savoyardes), décrit les pratiques individuelles et collectives (pèlerinages, dévotions), aborde les adaptations commandées par l’arrivée des sports d’hiver. Le second est dédié aux Acteurs collectifs ou individuels, évêques, prêtres, fidèles, et à une figure locale du protestantisme libéral. Il les montre face aux changements profonds qui affectent la Savoie, d’abords liée au royaume sarde (Piémont) dont la Savoie fait partie, puis rattachée à la France en 1860, ce qui n’empêche pas l’engagement de fidèles pour la défense des États pontificaux comme soldats de Pie IX. Elle décrit l’installation et la consolidation de la Troisième République. Une série de chapitres observe par ailleurs le catholicisme à travers un événement particulier, la vie des paroisses et le concile Vatican II. Sous le titre Conjonctures un troisième parcours rassemble des contributions qui portent sur des moments marquants de la vie catholique savoyarde confrontée à des situations délicates nées de configurations locales ou de conflits nationaux (laïcisation, séparation, Seconde Guerre mondiale).
19Paul Dabadie
Thomas Vaisset. L’amiral d’Argenlieu : le moine-soldat du gaullisme. Paris, Belin, 2017, 599 p.
20Couronné par plusieurs prix, dont le grand prix d’histoire militaire, l’ouvrage est issu d’une thèse dont le titre moins commercial et réducteur disait mieux l’orientation : « L’amiral Thierry d’Argenlieu : la mer, la foi, la France ». La mer : né en 1889, Georges Thierry d’Argenlieu est d’abord fils, officier formé à l’École navale, envoyé au Maroc, puis en Méditerranée pendant la Première Guerre mondiale. La foi : éduqué dans une famille profondément catholique et passé par le prestigieux collège catholique Stanislas, il entre au sortir de la guerre au Carmel, ordre religieux voué à la prière et la contemplation, surtout connu par ses branches féminines (Sainte Thérèse de Lisieux). Il devient le père Louis de la Trinité et contribue activement à la réforme de son ordre religieux. La France : mobilisé en 1939, fait prisonnier, il s’évade et rallie Londres dès juin 1940. Il parcourt en « croisé de la France libre » les colonies de l’Afrique à la Nouvelle-Calédonie, devient homme de confiance du général de Gaulle qui le nomme, en août 1945, Haut-commissaire en Indochine. C’est sous son mandat que les essais de conciliation avec Hô Chi Minh échouent et que commence la guerre d’Indochine avec le bombardement d’Haiphong, le 23 novembre 1946, point de non-retour dans lequel sa responsabilité est engagée à défaut d’être clairement établie. En conflit avec le gouvernement Ramadier, il est rappelé en France en février 1947. Il renouvelle ses vœux et reprend la vie religieuse au Carmel jusqu’à sa mort à Brest le 7 septembre 1964.
21Au-delà d’un parcours atypique, l’auteur retrace un itinéraire dont la cohérence résiste à l’analyse historique, d’autant que les sources accessibles ne permettent pas d’entrer dans l’intimité de sa vie spirituelle et les motivations profondes de ses choix. Mais ce travail rigoureux et sans complaisance hagiographique met bien en évidence l’importance des appels qui se succèdent (la mer, Dieu, le 18 juin) et auxquels Thierry d’Argenlieu répond par une décision personnelle qui prend ses distances avec son environnement (l’anonymat du Carmel plutôt que le prestige de la vie d’officier de marine ; de Gaulle plutôt que Pétain). Une lucidité et un courage qui ne suffiront pas pour comprendre les enjeux indochinois et éviter la guerre, peut-être parce que la mer, Dieu et la France ont alors semblé exigé de garder l’Indochine. Par ses questions résolues ou laissées ouvertes (telles ses influences théologiques ou la part de la mystique dans ses engagements successifs), cette biographie propose une lecture stimulante qui s’efforce d’éclairer les chemins politiques et religieux d’un clerc tout à tour fascinant et déroutant, énigmatique et irritant. Les dernières lignes de l’ouvrage résument excellemment le sentiment du lecteur devant cet homme « mi-prêtre mi soldat » (ajoutons cependant que si on peut se mettre en congé de son couvent, on ne peut être prêtre par intermittence), « conformiste et rebelle, tantôt mondain et tantôt solidaire… figure étrange, où les contraires s’affrontent sans jamais s’expliquer. Une figure qui pousse l’historien à la réflexion et l’incite à ne juger des hommes ni par la robe, ni par l’étiquette ».
22Claude Prudhomme