Couverture de HMC_033

Article de revue

Comptes rendus d’ouvrages

Pages 137 à 146

Brigitte Caulier Et Joël Molinario (Dir.), Enseigner les religions : regards et apports de l’histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, 400 p.

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1Le titre de cet ouvrage collectif ne souligne pas sa réelle originalité. L’approche est bien centrée sur l’Histoire, mais elle est surtout internationale, de la France à l’Amérique latine, de divers pays d’Europe aux États-Unis, en passant bien sûr par le Canada. Elle couvre la période qui va de l’époque moderne à nos jours, et rassemble un champ disciplinaire original : théologiens et historiens, dont la place essentielle est soulignée, spécialistes de l’enseignement ou des arts…Mais surtout l’enseignement est envisagé sous ses deux angles inversés : l’enseignement scolaire et son pendant religieux, catéchétique. De quoi prendre du champ dans les débats actuels.

2Dès l’introduction, les responsables de l’édition définissent bien le propos :

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« Enseigner le catéchisme à des chrétiens [ou] les fondements culturels de la religion à un croyant, ce n’est pas […] un défi insurmontable. En revanche, enseigner une religion à des personnes qui n’ont pas, ou plus, ou ne veulent pas avoir une expérience religieuse quelconque […] c’est autrement plus complexe ! ».

4Cette idée d’évolution au gré de la sécularisation traverse les différentes contributions, vingt-quatre au total auxquelles s’ajoute une postface de François Moog, dont on ne peut pas donner ici un compte rendu exhaustif. Il suffira de savoir qu’après une mobilisation de l’histoire (1ère partie), l’ouvrage se poursuit par l’étude de quelques moments témoins (conversions et catéchuménat dans les colonies et en Europe, enseignement par le livre ou les magazines…) qui montrent comment l’utilisation de l’histoire a permis de réaffirmer des identités religieuses dans un monde de plus en plus marqué par la modernité critique et la pluralité des croyances. Cet impact du pluralisme contemporain (2e partie) questionne aussi l’enseignement du fait religieux dans les établissements scolaires (représentation de « l’autre », rôle de l’histoire de l’art, pluralité des réponses en Europe…) qui doit lui aussi en passer par l’histoire afin d’éviter tout parti pris confessionnel.

5Jean-Pierre Chantin

Gérard Cholvy, Les religions et les cultures dans l’Occident européen au xixe siècle (1800-1914), Paris, Karthala, coll. Histoire des mondes chrétiens, 2014, 397 p.

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6Gérard Cholvy nous propose ce qui est la réponse à un sujet de concours d’il y a une douzaine d’années. C’est ce qui explique la restriction de « l’Occident chrétien » aux seuls pays de France (qui y a une place centrale), Grande-Bretagne et Irlande, Allemagne et Italie, qui étaient les États retenus dans la question. Les huit chapitres rappellent différentes facettes de cette histoire : après un « état des lieux » au début du siècle, trois portent sur les « mouvements des idées » (Lumières, romantisme, positivisme), avant que ne soit présenté le « renouveau spiritualiste », puis qu’un autre traite de l’art religieux, le suivant de la « religion des femmes » et le dernier de « l’expansion européenne » avant de conclure sur un bilan en 1914. Le tout se termine par une postface dans laquelle l’auteur revient sur son « itinéraire de recherche », des pages que les jeunes chercheurs liront avec profit.

7Il faut saluer l’esprit de synthèse de ce qui est une utile mise au point ; cela permet d’ailleurs de mettre à jour la bibliographie des nombreux volumes parus sur ce thème au moment des concours. On retrouve surtout quelques apports qui font la spécificité de Gérard Cholvy. Le précieux recours à des sources locales ou régionales, à des témoignages qui relèvent de ce que l’auteur nomme la « culture populaire », apporte un rythme salutaire et plus concret, appuyé par une foisonnante iconographie qui donne à voir les « visages des acteurs de l’histoire ». Celle-ci est même indispensable pour le volet d’histoire de l’art, et un cahier couleur est fort opportunément inséré dans ce but. On perçoit pourtant un certain déséquilibre (classique il est vrai) en faveur du catholicisme, alors qu’avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne le protestantisme aurait gagné à être davantage présent, mais Gérard Cholvy a veillé à ce que les principales confessions soient présentées, de même que quelques-unes des contestations. Quelques affirmations, qui échappent ça-et-là à l’auteur, sont aussi à nuancer, par exemple à propos de la Séparation de 1905 en France : les travaux de Jean-Marie Mayeur ont montré que les résistances aux Inventaires ont été bien moins générales que ce qui est suggéré page 201 (« bien des hommes, donc, se sentirent concernés »), et il est exagéré de qualifier l’épisode de « persécution », sauf à préciser que c’était là le sentiment de quelques-uns.

8Cela n’enlève rien à l’utilité de cette synthèse, qui vient d’une certaine manière élargir les premiers volumes qui avaient été proposés par Gérard Cholvy avec le regretté Yves-Marie Hilaire pour l’Histoire religieuse de la France.

9Jean-Pierre Chantin

Lewis Ampidu Clorméus, Le Vaudou haïtien, entre mythe et constructions savantes, Paris, Riveneuve Éditions, 2015, 603 pages

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10Dès sa soutenance de thèse, Lewis Ampidu Clorméus s’est positionné comme un spécialiste du vaudou haïtien. Il nous offre aujourd’hui un ouvrage passionnant qui comble un double vide : la définition et une mise en perspective sur le temps long.

11La première partie (130 pages) est une réflexion sur la définition de ce qu’est le vaudou. L’auteur montre comment le regard sur ce culte évolue entre trois pôles : une religion « malsaine », une superstition ou une manifestation de syncrétisme. Les approches globalisantes s’avérant impossibles, il poursuit par une observation des gestes, voire des mythes : la dévotion envers les serpents ; le respect envers des « sorciers » ; l’anthropophagie ; la zombification… En commençant à la période coloniale pour finir au moment du débarquement des troupes américaines (1915), Lewis Ampidu Clorméus propose un panorama captivant. Il constate que bien des visiteurs voulurent considérer le vaudou comme la « preuve » que les Haïtiens résistaient « à la civilisation entendue comme modèle culturel européen » (sic p. 51). Les témoignages sont innombrables, tous jouant sur l’étrange. Pour renforcer le caractère exotique, des expressions sont sans cesse forgées, comme « zib-zibs » (p. 129). La description du culte est une arme politique pour s’en prendre à une population, la discréditer, donc la condamner. Lewis Ampidu Clorméus est toujours précis, s’appuyant sur des citations explicites et une chronologie rigoureuse. Il montre que le vaudou n’est pas une donnée intangible, une sorte de conservatoire de rites anciens. Il le replace dans une évolution permanente, une dynamique séculaire. Il tient à préciser : « il faut être prudent d’employer le terme vaudou […] C’est un vocable polysémique » (p. 119).

12Pour montrer cette complexité, dans une seconde partie (plus de 460 pages), Lewis Ampidu Clorméus propose une série de documents originaux écrits entre 1797 et 1914. Beaucoup sont publiés pour la première fois. Chacun est introduit par une courte biographie de l’auteur et une présentation des circonstances de l’écriture. Ce sont des conférences, des lettres pastorales, des poèmes, des récits de voyageurs, des extraits de lois, des articles de journaux… Sont évoquées des anecdotes célèbres, dont l’affaire Claircine (1863-1864) où des Haïtiens sont accusés d’avoir assassiné une fillette pour la dévorer lors d’un repas vaudou. Ces documents sont l’œuvre d’auteur connus, en particulier Moreau de Saint-Méry qui est le premier à décrire le vaudou, de tenants de l’autorité, spécialement les évêques, d’Européens comme des journalistes… Ils sont souvent critiques face à ce qu’ils comprennent mal ; certains sont très violents, considérant les habitants des Antilles comme des êtres primitifs. Des Haïtiens répondent à ces aprioris. « Les Haïtiens ne sont pas plus cannibales que les Martiniquais et les Bretons » (p. 245) assure le médecin Louis Joseph Janvier en 1883. L’avocat Jacques Nicolas Léger, en 1907, explique que les Haïtiens ne sont pas plus superstitieux que les Français ou les Américains. Ces écrivains, formés dans les universités parisiennes, reprennent les concepts manipulés par les Européens pour disqualifier le vaudou et les renvoient à la culture occidentale. Le dialogue ainsi créé dépasse le cadre de l’étude d’un culte pour nous interroger sur ce qu’est une religion. Cette anthologie rendra bien des services à ceux qui s’interrogent sur les rapports entre cultures, les ostracismes, la construction de la pensée scientifique… Ce recueil est appelé à susciter bien des études.

13Lewis Ampidu Clorméus ne se livre pas à une description du vaudou, il n’a pas un regard anecdotique. Il nous amène à une réflexion sur les limites entre religion et superstition, nous prouvant que tout n’est qu’une question de jugements.

14Philippe Martin

Collectif, Droit et religion en Europe. Études en l’honneur de Francis Messner, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2014, 582 p.

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15On connait la riche carrière de Francis Messner : chercheur spécialisé dans le droit comparé des religions, le droit français des religions et les sciences du religieux ; directeur d’équipes dont le Sdre (Société, Droit et Religion en Europe) et Prisme ; enseignant à Strasbourg où il a créé deux masters ; expert pour le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur, le ministre de l’Éducation, la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité)… ; responsable de collections éditoriales ; auteur ou coordonnateur de dix-sept ouvrages ; participants à huit rapports d’expertise… Un volume en son honneur s’imposait. Il reflète les champs d’activité de son récipiendaire ; les articles sont en effet regroupés en trois parties : droit et religion ; droit canonique ; relations Églises-États. Il ne s’agit pas uniquement d’un bouquet d’hommages mais d’un point sur l’actualité de questions dont les événements récents nous ont rappelé l’importance. Il est impossible de rendre la richesse des trente contributions ; qu’il nous soit permis de mettre en évidence quatre points forts de ce livre.

16Les articles insistent remarquablement bien sur les lieux où les questions religieuses deviennent sources de frictions, voire de conflits. Ce sont ces moments qu’on voudrait ceux du vivre ensemble : le monde du travail ; le voisinage ; l’univers des soins ; le couple ; le devenir du corps… Le néophyte découvrira que la législation française aligne près de 200 textes sur la question religieuse. Alors qu’un discours très démagogique insiste sur la création de nouveaux textes, les auteurs de ce volume expliquent que le soft law est sans doute l’attitude la plus sage.

17Ils nous contraignent également à repenser ce qui ressemble trop souvent à un discours simpliste. S’il est régulièrement question en France de la formation des imams, cet ouvrage discute de la place de l’Islam dans les universités ou son influence dans le droit. Loin de demeurer accrochés sur cette religion, comme le font si souvent les journalistes, les articles abordent également la présence hindoue en France ou la conception judaïque du droit. Ils rompent encore avec un discours uniformisateur qui veut faire de la France la mère d’une laïcité de combat ; ils présentent ainsi la diversité nationale en se penchant sur le cas de l’Alsace-Moselle.

18Le troisième apport de ce volume est de nous rappeler que l’Église n’est jamais restée enfermée dans ses propres certitudes, qu’elle a toujours développé un discours vis-à-vis de la société. Sont, par exemple, abordés l’empereur Constantin le Grand ou les réactions à la loi de 1905. Plus récemment, ce sont les textes de la Doctrine Sociale de l’Église (catholique), la lutte contre les activités financières illégales, la gestion des biens de l’Église… Le discours de Benoît XVI qui revendique le principe de « démondanisation » tend cependant à recentrer l’avenir de la religion vers la spiritualité.

19Le quatrième grand apport est d’ouvrir le débat. Trop souvent, le monde français demeure dans un entre-soi de mauvais aloi. Les auteurs insistent sur l’obligation de regarder ailleurs. D’abord en prenant en compte l’environnement européen puisque la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme est importante. Puis en incitant à mieux connaître les expériences étrangères. Quelques exemples sont proposés : Turquie, Hongrie, Espagne…

20Cet ouvrage est une lecture salutaire en une période où le religieux est au cœur des débats sociaux. En près de six cent pages, il instruit du droit, du droit canon, de sociologie… Le point commun à ces articles est de refuser la facilité du discours véhiculé, hâtivement par des médias ou des leaders d’opinion plus fascinés par la formule facile que par la réflexion sur le temps et l’espace longs. L’ouvrage proposé n’est pas un assemblage d’hommages. C’est une occasion de sortir des a priori et des faux semblants.

21Philippe Martin

Véronique Ferrer, Exercices de l’âme fidèle. La littérature de piété en prose dans le milieu réformé francophone (1524-1685), Genève, Droz, 2014, 370 pages

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22Depuis quelques années, l’historiographie sur les rapports entre les fidèles et le livre s’est considérablement enrichie : livre de piété (2003), livres hagiographiques (2010), ephemera (2012), livres de pèlerinage (2013)… Dans ce paysage, le monde catholique tient une place prépondérante. Il manquait un ouvrage sur l’espace réformé. C’est chose faite avec la publication de la thèse de Véronique Ferrer.

23Affirmant que « le devenir du livre de piété rend compte de l’évolution des pratiques dévotionnelles » (sic p. 19), l’auteur distingue trois périodes : 1524-1566, littérature inaugurée par Guillaume Farel ; 1574-1630, moment d’intensification et de diversification de la production ; 1630-1685 avec des livres qui instruisent moins qu’ils consolent. Les évolutions sont nettes avec, par exemple, la lente disparition des méditations sur les psaumes alors que les prédications se multiplient. Le plan choisi par Véronique Ferrer demeure lié à des thèmes et à des écrivains célèbres. Le lecteur découvre l’immense variété des champs abordés par cette littérature ; titres et sous-titres particulièrement explicites permettent de trouver très rapidement des renseignements précis : préparation à la mort, méditations pénitentielles, méditations sur les Psaumes, préparation à la cène, recueils méthodologiques… Est offerte une spiritualité appliquée à l’existence. Bien des pasteurs profitent de l’imprimé pour « rétablir un rapport d’immédiateté avec le fidèle » (p. 75). D’autres veulent le préparer à la cène afin qu’il vive « une coïncidence des gestes et de la pensée » (p. 187). Le livre de piété est fait d’exigences. Les catholiques ont d’ailleurs manifesté un fort intérêt pour des méditations sur la mort ou les psaumes. Bien évidemment, Duplessis-Mornay, Théodore de Bèze ou Drelincourt sont amplement présentés. Mais ce sont aussi des ouvrages moins connus, telles les consolations aux malades de Pierre Du Moulin, les préparations à la cène d’Yves Rouspeau ou les méditations de Pierre Merlin. Ce sont encore des compilations comme le Thresor de prieres, meditations et instructions chrestiennes (1667) qui réunit prières des Pères, de Calvin et de divers pasteurs. Si la spiritualité de chaque texte est présentée avec précision, regrettons que l’économie du livre soit trop souvent négligée : tirages, rééditions, piratages… Les passages sur les éditeurs (p. 266-271) méritaient d’être développés. C’est sans doute une des principales lacunes de ce travail : ne pas assez tenir compte du fait que le livre de piété est un produit qui répond à des logiques commerciales et industrielles, pas uniquement à des considérations pastorales. La très intéressante bibliographie (p. 349-361) oublie d’ailleurs le format des ouvrages et le nombre des pages, éléments pourtant fondamentaux.

24Cette présentation des ouvrages débouche sur quatre chapitres plus synthétiques. Véronique Ferrer s’interroge d’abord sur la dimension militante de cette littérature. Lire ces ouvrages est un acte de « pragmatisme spirituel » et non pas l’expression d’un « idéal contemplatif » (p. 217). À ce titre, le livre participe « au processus de confessionnalisation », puis de résistance et de la « survie » ; il « donne un sens aux épreuves […] contribue à maintenir, sinon à raviver, la foi » (p. 299). De là découle une rhétorique qui concourt « à la constitution d’une identité soudée autour d’une langue spécifique » (p. 244). Refusant tout effet mondain, cette langue est fondée sur la familiarité, l’émotion et la simplicité. Cela ne signifie pas pour autant des textes communs. Cette édition est d’abord une affaire de pasteurs « à la fois comme auteurs et éditeurs » (p. 271). L’étude du lectorat, qui tient une place importante dans les études de ce genre, est abordée dans le chapitre 9. Immédiatement, Véronique Ferrer affirme qu’il s’agit d’une « minorité confessionnelle francophone, souvent itinérante du fait des événements historiques » (p. 287). Cet aspect élitaire se verrait à la même époque dans le monde catholique, l’apparition d’un public plus populaire ne se faisant qu’à partir de la fin du xviie siècle. L’auteur s’intéresse avec efficacité aux dédicaces, aux introductions. Aurait-il été possible de considérer aussi des inventaires de bibliothèques ou des marginalia, si fréquents à cette époque ?

25Avec cet ouvrage, Véronique Ferrer illustre les évolutions des dévotions qui répondent aux exigences du temps. Tentant d’approcher la foi des individus, elle donne chair à plusieurs générations de réformés. En 1610, Pierre du Moulin expliquait que le croyant ne pourrait contempler Dieu après sa mort que « s’il l’a soigneusement recherché icy bas […] par prieres, par meditations, par ouye et lecture de sa parole » (cité p. 13). Le livre de piété a permis d’atteindre ces objectifs.

26Philippe Martin

Fanny Grabias, Gaëlle Marti, Laurent Seurot (Dir.), Le fait religieux en droit public. Contribution des doctorants de l’Irénée, Nancy, Pun-Éditions Universitaires de Lorraine, 2014, 328 pages

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27Créé en 1997, l’Institut de recherche sur l’évolution de la Nation et de l’État (Irénée) s’est fait une spécialité de l’étude du phénomène étatique et de son substrat humain. Il regroupe les enseignants-chercheurs et doctorants en droit public et science politique des six composantes de l’Université de Lorraine. Ce volume est une contribution de doctorants.

28La démarche est rigoureuse. Les cinq interventions qui forment la première partie s’interrogent sur les mots « laïcité » et « religion » qui sont totalement piégés. Le Conseil Constitutionnel, le droit international et les législations nationales (l’Espagne est ici donnée en exemple) n’accordent en effet pas la même définition aux termes. Ceux-ci se dérobent sans cesse et recouvrent des déclinaisons très diverses. La situation est d’autant plus complexe que les partis politiques utilisent, voire instrumentalisent, ces concepts, spécialement celui de « laïcité ». Un article est consacré aux partis de droite, un autre au Npa (Nouveau parti anticapitaliste) ; tous les deux parlant clairement d’une « offre partisane » donc d’une relecture des expressions afin d’obtenir des résultats électoraux.

29Face à cette impossibilité de se mettre d’accord sur des définitions admises par tous, la naissance de zones de frictions est inévitable. C’est le sujet de la seconde partie du volume. Deux articles présentent des cas précis où le principe de laïcité « à la française » est confronté aux réalités de la vie : les manifestations extériorisées d’une appartenance religieuse ; les dispenses d’assiduité pour motifs confessionnels. Les auteurs avancent leurs arguments avec une grande prudence. À les lire, on peut se poser légitimement deux questions : un droit commun existe mais la société souhaite-t-elle l’appliquer ? Le temps est-il encore à la conciliation ? La situation est encore plus complexe si on prend en compte la diversité des droits. Le cas des trois départements concordataires d’Alsace-Moselle permet de mesurer l’importance des variations au cœur de la France.

30Les trois articles suivants ouvrent l’horizon en quittant la situation nationale. Le premier se penche sur la manière dont la position de l’Union européenne face aux religions a évolué depuis près de quarante ans. Associés au droit français, les principes européens peuvent être utilisés pour défendre le principe de laïcité. Notre continent semble donc à l’abri de dérives. Le constat est radicalement différent si l’observateur traverse la Méditerranée. En Afrique Noire francophone, la « laïcité » apparaît comme une importation française, un concept purement formel. D’ailleurs les constitutions des pays arabes, présentées dans un article, n’y font pas référence.

31Ce volume incite à relativiser : relativiser le consensus qui existerait parce que tout le monde utilise les mêmes termes ; relativiser le modèle français qui se présente, trop souvent, comme une laïcité pure de toute tache ; enfin, relativiser la pertinence de ces questions quand on interroge la situation mondiale.

32Philippe Martin

Lionel Obadia, Shalom Bouddha ! Judaïsme et bouddhisme une rencontre inattendue, Berg international éditeurs, Paris, 2015, 151 p.

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33Le bouddhisme rencontre un véritable succès dans les sociétés occidentales depuis les années 1970. Toute l’ambiguïté et la force de cette religion, dont le statut est source d’interrogation depuis le xixe, réside dans le fait qu’elle est perçue à la fois comme une authentique religion historique et comme une nouvelle spiritualité. Si, en Occident, la plupart des nouveaux adeptes sont issus du christianisme, depuis la fin des années 1990, on assiste à l’émergence du phénomène jubu (« pour juifs bouddhistes » : ils représenteraient près de 30 % des bouddhistes américains. Ils sont le produit d’une rencontre improbable entre le judaïsme et le bouddhisme : c’est de leur histoire et de leur actualité que l’ouvrage de Lionel Obadia, le premier en langue française, rend compte.

34Organisé en cinq chapitres, le livre propose une lecture socio-anthropologique, inscrite dans l’histoire, d’un mouvement qui compterait, selon l’auteur, entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers d’adeptes. L. Obadia a mené son étude à partir de trois terrains : les États-Unis, Israël et la France ; terrains qui présentent tous des spécificités liées à des histoires nationales singulières dans leur relation au religieux en général, au judaïsme en particulier.

35Qui sont les jubus ? Comme les adhérents venus au bouddhisme d’autres confessions, les jubus sont issus des milieux urbains socialement plutôt favorisés ; ils « s’affirment de milieux juifs mais se disent « agnostiques » » et leur bagage religieux s’avère assez pauvre, même si aux États-Unis certains sont issus des milieux orthodoxes.

36Le choix de leur nom renvoie à une réalité, celle d’une appropriation sélective du bouddhisme qui interroge : dans quelles proportions s’effectue cette mixité religieuse ? Pour Lionel Obadia, il s’agit davantage de bricolage que de syncrétisme comme l’attestent les trois modèles qu’il a repérés. Le premier est celui de la différenciation sur un plan horizontal qui s’approprie le judaïsme comme « culture », le bouddhisme comme « spiritualité » ; ce modèle repose sur une conception égalitaire basée sur la complémentarité. « Le second modèle est celui de la différenciation sur un plan vertical : c’est l’image des « racines » juives, et des « pétales » bouddhistes, et participe d’une même volonté d’unifier les référents religieux malgré leurs différences. » Le troisième est le résultat de la fusion qui mélange, donc permet un dépassement des deux traditions. Dans les faits, d’autres possibilités émergent avec des identités contextuelles qui permettent tour à tour de voir la dimension juive ou bouddhiste primer.

37Dans un dernier chapitre, l’auteur analyse un phénomène récent dont il est difficile de savoir s’il va prendre de l’ampleur, celui du retour au judaïsme suite à l’adhésion au bouddhisme. Il aborde la thématique peu développée des « reconvertis » rencontrée dans d’autres religions. Le passage par le bouddhisme apparaît comme une phase de réconciliation avec la religion en général et avec le judaïsme en particulier chez certains jubus. Ces derniers proposent « une autre « voie » juive d’accès au divin, qui ne se médiatise plus par la révélation et l’observance stricte d’une praxis, mais par la méditation et des sensations intériorisées, non pas bouddhistes mais établies sur le modèle du bouddhisme. » À ce titre, le mouvement jubu peut être appréhendé comme l’un des mouvements d’adaptation du judaïsme à la modernité dans des sociétés postindustrielles. Ce faisant, il se présente non pas en rupture avec la tradition juive, mais bien dans sa continuité attestant de ses capacités pluriséculaires d’acculturation. Lionel Obadia invite aussi à porter un autre regard sur le bouddhisme : « Par ses emprunts au bouddhisme, ce n’est pas la composition des religions qui change mais leur configuration. »

38On sera reconnaissant à l’auteur d’avoir traité d’une thématique peu connue en France en proposant une approche socio-anthropologique des jubus ancrée dans l’histoire, mais aussi en invitant le lecteur à des interrogations plus larges sur des sociétés en reconfiguration dont le religieux reste une des clés de lecture.

39Oissila Saaidia

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