Notes
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[1]
Francis Robinson, « The British Empire and the Muslim World », Transactions of the Royal Historical Society, vol. 8 (1998), p. 271-289.
-
[2]
Les mandats de la Syrie, du Liban et d’Irak ont été privilégiés pour le Proche-Orient / Moyen-Orient.
-
[3]
Certes, ce n’est ni le cas pendant 132 ans ni sur tout le territoire, mais la démonstration reste valable.
-
[4]
Rappelons qu’en Algérie, l’État doit gérer aussi les cultes catholique, israélite et protestant.
-
[5]
Il faut attendre le xvie siècle pour que le terme de « croisades » entre dans le lexique de la langue arabe à l’initiative de chrétiens d’Orient. Les musulmans n’avaient pas saisi le sens de ces expéditions revendiquées comme religieuses par les croisés.
-
[6]
Youakim Moubarac, Recherches sur la pensée chrétienne et l’islam dans les temps modernes et à l’époque contemporaine, Beyrouth, Publications de l’Université libanaise, 1977.
-
[7]
Cf. les 39 tomes publiés par la Commission scientifique pour l’exploration de l’Algérie : tous les auteurs sont des officiers.
-
[8]
Les bureaux arabes ont été créés en 1844, mais il reste difficile de déterminer avec précision à partir de quand la majorité des officiers est en mesure de maîtriser la langue arabe, notamment la langue vernaculaire.
-
[9]
Il s’agit d’un ouvrage collectif rédigé à la direction des affaires arabes par ordre du gouverneur général qui en a autorisé l’impression. Il a été imprimé par l’imprimerie du gouvernement en 1844 et comporte 169 pages.
-
[10]
Il faut bien comprendre que pour un militaire ne pas heurter les populations signifie ne pas se trouver en situation de combats : rien à voir, pendant cette période de la conquête, avec une idée de respect des croyances de l’Autre. Il est probable que les officiers ont transféré des préoccupations franco-françaises héritées de la Révolution, comme la séparation de l’Église et de l’État, ainsi que les débats pluriséculaires sur la sécularisation dont nous savons qu’ils étaient particulièrement présents dans les esprits de ces officiers saint-simoniens issus de polytechnique. Ainsi, dans leurs écrits, ils envisagent le « chef de l’État musulman » comme un « chef de l’Église » et reprennent à leur compte les a priori sur le fanatisme.
-
[11]
Pour une première approche : Alexandre Popovic et Gilles Veinstein, Les voies d’Allah. Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui, Paris, Fayard, 1996.
-
[12]
E. de Neveu, Les Khouan. Ordres religieux chez les musulmans d’Algérie, imprimerie A.Guyot, imprimeur du Roi, Paris, 1846 (1ère éd. 1845).
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[13]
Louis Rinn, Marabouts et khouans ; études sur l’islam en Algérie, Jourdan, Alger, 1884.
-
[14]
Les habous sont constitués de biens mobiliers et immobiliers.
-
[15]
Oissila Saaïdia, L’État français et les religions en contexte colonial : État colonial, catholicisme et islam dans l’Algérie du xixe siècle (1830-1914), Tome III de l’habilitation à diriger des recherches Entre Orient et Occident : religions et politiques au xixe et xxe siècles, soutenue à l’université Lumière Lyon 2, novembre 2011.
-
[16]
Mohamed-Chérif Ferjani, Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, Paris, 2005, p. 160.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Pour sa biographie cf. GillesDelanoue, Moralistes et politiques musulmans dans l’Égypte du xixe siècle (1798-1882), Ifao, Le Caire, 1982, p. 129-140.
-
[19]
O. Saaïdia, L’État français et les religions en contexte colonial, op. cit.
-
[20]
Jean-Louis Triaud, « Politiques musulmanes de la France en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 274.
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[21]
J.-L. Triaud, « Politiques musulmanes de la France en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale », art. cit., p. 276.
-
[22]
Ibid., p. 277. Rappelons que Paul Marty, administrateur colonial en charge des Affaires musulmanes, est à l’origine de la politique de « l’islam noir ».
-
[23]
Guy Nicolas, « L’enracinement ethnique de l’islam au sud du Sahara. Étude comparée » Cahiers d’études africaines,1978, n° 71, p. 347-377 ; Jean Copans, Les marabouts de l’arachide, Paris, Le Sycomore, 1980,
-
[24]
J.-L. Triaud, « Politiques musulmanes de la France en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale », art. cit., p. 277.
-
[25]
David Robinson et J.-L. Triaud, Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentales françaises, v. 1880-1960, Paris, Karthala.
-
[26]
Toutes ces accusations ont été réactualisées par les missionnaires au cours du xixe siècle et par bien des auteurs. Les mécanismes de la construction d’un certain discours orientaliste sont bien connus aujourd’hui notamment par le travail incontournable d’Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2005 (1ère éd. 1980).
-
[27]
Dans son ouvrage, V. Dimier, Le gouvernement des colonies. Regards croisés franco-britanniques, Éditions de l’université de Bruxelles, Bruxelles, 2004, démonte les mécanismes qui ont conduit, dans l’entre-deux-guerres, à l’élaboration des concepts de direct et indirect rule. Elle développe une hypothèse originale et convaincante sur les interactions nationales et internationales dans la construction des représentations coloniales. La science coloniale reste tributaire de données idéologiques qui entendent répondre à un contexte précis. En ce sens, elle est une construction sociale élevée au rang de vérité scientifique.
-
[28]
F. Robinson, « The British Empire and the Muslim World », op. cit.
-
[29]
Ce paragraphe s’appuie sur l’article de S. Mervin, « L’entité alaouite, une création française », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 343-358. Se reporter aussi à Sabrina Mervin, « Quelques jalons pour une histoire du rapprochement (taqrîb) des alaouites vers le chiisme », dans Islamstudien ohne Ende, Festschrift für Werner Ende, Deutsche Morgenländdische Gesellschaft, Ergon Verlag, Würzburg, p. 281-288.
-
[30]
À travers l’histoire des missions catholiques en Syrie et au Liban, les connivences entre les religieux et les autorités françaises sont mises à jour. Lazaristes, jésuites et autres religieux ont diffusé l’influence française et servi, pour certains, de relais d’informations. C’est notamment le cas du père jésuite Henri Lammens. Voir, entre autres pour les xixe-xxe siècles, Jérôme Boquet, Missionnaires français en terre d’Islam : Damas 1860-1914, Paris, Les Indes savantes, 2005, et Chantal Verdeil, La Mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie, 1830-1864, Paris, Les Indes savantes, 2011.
-
[31]
De plus, pendant la période mandataire, un berger, Sulayman Murchid, s’est présenté comme nouveau prophète, il a même été élu député et a constitué un groupe, la murchidiyya, qui est toujours en activité.
-
[32]
Ce développement s’appuie sur l’article de P.-J. Luizard, « Le mandat britannique et la nouvelle citoyenneté irakienne dans les années 1920 », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 401-407. Se reporter aussi à P.-J. Luizard, La Question irakienne, Fayard, Paris, 2004.
-
[33]
Ibid., p. 402.
-
[34]
Ibid., p. 405.
-
[35]
A. Mohamed-Arif, « Les Britanniques et l’islam dans le sous-continent indien : pourquoi l’indépendance a-t-elle correspondu à la partition ? », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 413.
-
[36]
Ibid., p. 414.
-
[37]
O. Saaïdia, « Droit musulman », dans Olivier Christin (dir.), Dictionnaire des Concepts Nomades des Sciences Sociales, Paris, Métailié, 2010, p. 133-144.
-
[38]
Bernard Botiveau, « Droit », dans F. Mardam-Bey (éd.), France-Arabies. Bibliographie sélective, Paris, ADPF : Min. des Affaires étrangères et Institut du monde arabe, 2005, p. 271.
-
[39]
La taqiyya est aussi la solution proposée par des théologiens chiites à leurs coreligionnaires soumis aux persécutions sunnites et qui ne peuvent partir. Toutefois, elle se distingue de celle préconisée en situation coloniale car chez les chiites elle implique une conversion extérieure au sunnisme et le maintien de la foi chiite. La taqiyya s’apparente alors à une forme de crypto-chiisme.
-
[40]
Signe d’un changement des temps, dans un article publié le 20 octobre 2012 dans Le Matin DZ, « L’émir Abdelkader, une famille en or !!! », Ali Farid Belkadi compare Abd el-Kader à Pétain : « Pétain version algérienne, signant l’armistice avec les occupants de son pays […]. L’émir Abdelkader, Sultan de Mascara, fut un autre Maréchal Pétain. Leurs destins morcelés se recoupent et s’assemblent. ».
-
[41]
Abd el-Kader intervint en 1860 pour arrêter le massacre des chrétiens et des Européens lors de troubles confessionnels à Damas. Il conserve une image positive en France, notamment dans les milieux ecclésiastiques.
-
[42]
Mercedes Garcia-Arenal (dir.), Mahdisme et millénarisme en islam, REMMM, no 91-94, juillet 2000.
-
[43]
Jacques Frémeaux, Les bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Denoël, Paris, 1993, p. 114. Frémeaux précise que la croyance au moul es-saa dépasse de beaucoup le personnage de Bou Maza : des visionnaires de tout genre sont alors sanctionnés par les autorités. C’est ainsi qu’en novembre 1849, dans le cercle d’Orléanville, un homme affirme avoir rencontré deux envoyés du ciel. La réaction des officiers est prompte : « le bureau arabe, averti à temps, vint couper court au miracle à l’aide d’une amende de cinq douros sur chaque tente et la menace d’une punition beaucoup plus forte… » à l’encontre de quiconque rapporterait cette histoire. Voir aussi Julia Clancy-Smith, « La révolte de Bû Ziyân en Algérie, 1849 », dans M. Garcia-Arenal (dir.), Mahdisme et millénarisme en islam, REMMM, no 91-94, juillet 2000, p. 181-208. Au début du xxe siècle, les autorités sont toujours très attentives à ce type de manifestation. C’est ainsi qu’en juillet 1903, le gouverneur général informe le préfet d’Alger de la circulation dans les cafés maures d’une lettre d’un certain cheikh Ahmed où il relate un rêve dans lequel le prophète de l’islam lui aurait confié une mission. Dès la mi-juillet, l’affaire est démentie (CAOM, 2U23, dossier « zaouïas non affiliées, 1861-1914 »). À près de cinquante ans de distance, alors que les contenus de ces visions ne sont pas hostiles à la domination coloniale, les Français restent soupçonneux face à des manifestations qui relèvent de croyances populaires.
-
[44]
Ali Merad, L’islam contemporain, 5e éd., Paris, puf, 1994 (1ère éd. 1987), p. 19.
-
[45]
Al-Manâr (le phare) est le titre du journal fondé par Abduh et R. Rida dont la diffusion touche l’ensemble du monde musulman.
-
[46]
F. Robinson, « The British Empire and Muslim Identity in South Asia », Transactions of the Royal Historical Society, vol. 8, 1998, p. 271 - 290.
-
[47]
Ibid, p. 274.
-
[48]
Ibid, p. 279.
-
[49]
Ibid.
-
[50]
Les Britanniques ont soutenu les missions de la Ahmadiyya en Afrique de l’Est et de l’Ouest dans les années 1920.
1L’une des problématiques de ce numéro est de s’interroger sur les rapports entretenus entre pouvoir colonial et religions. En d’autres termes, il s’agit d’étudier les politiques des puissances sur le plan religieux en contexte colonial et les interactions engendrées. Ce segment spécifique de l’histoire de la colonisation est un des lieux où se focalise le paradoxe, pour ne pas dire la duplicité, du système colonial mettant en évidence l’impossible concordance entre des principes à prétention universaliste et un pragmatisme qui relève de la realpolitik.
2Si chaque situation locale constitue en soi un cas particulier, quelques grandes orientations sont toutefois décelables. Il en est ainsi de la construction d’une vision uniforme de l’islam (rétrograde, fanatique, potentiellement dangereux, etc.) qui conduit à une politique récurrente : le contrôler. De même, la diversité des discours ne peut masquer une spécificité partagée par tous : le paradoxe cultivé jusqu’au niveau individuel. Il génère des variations en fonction du lieu où le discours est produit ainsi que de la fonction occupée et selon les destinataires. Toutefois, un maître-mot domine ces politiques : le pragmatisme.
La carte des musulmans selon la Revue du Monde Musulman (1924). Les points plus foncés correspondent aux populations arabes
La carte des musulmans selon la Revue du Monde Musulman (1924). Les points plus foncés correspondent aux populations arabes
3Au-delà des politiques conduites par les puissances sur place, l’influence des idéologies européennes et leurs adaptations dans les pays colonisés sont perceptibles en période coloniale, mais aussi postcoloniale. C’est le cas pour la codification du droit pendant la colonisation, en particulier le « droit musulman », par les différentes administrations coloniales et dont les répercussions sont perceptibles jusqu’à aujourd’hui. Il en est de même pour les évolutions de l’islam depuis le xixe siècle.
4Il serait abusif de parler d’invention de nouvelles entités religieuses durant cette période, mais immanquablement les conséquences sur les recompositions des identités religieuses sont réelles. Cependant, si la réflexion islamique a pu être influencée par la présence coloniale, elle reste un processus endogène bien antérieur à l’arrivée des Européens. Ainsi, le « religieux » a été à la fois un instrument de la domination européenne et un outil dans les stratégies de libération. Le mouvement de balancier entre colonisateurs et colonisés est une réalité observable dans les faits. Ce mouvement, nous proposons de l’étudier à partir des empires français et britannique qui rassemblent, à eux seuls, la plus grande partie des populations musulmanes du monde [1]. Deux types d’espace intéressent cette communication qui ne peut prétendre couvrir l’ensemble des entités où des musulmans sont présents.
5Les premiers sont communs aux deux empires, il s’agit de l’Afrique subsaharienne et du Proche-Orient/Moyen-Orient ; les seconds sont spécifiques à chacun et occupent une place privilégiée en leur sein : l’Algérie, cette Autre-France, et l’Inde qui constitue le joyau de l’Empire [2]. Sur un siècle, des années 1850 aux années 1950, quelles ont été les relations entre pouvoir colonial et islam ?
6C’est ce que nous proposons d’aborder dans une première partie consacrée à l’indispensable collaboration entre l’islam et les autorités coloniales ; une deuxième partie s’intéresse à la contestation de l’ordre colonial par le biais du religieux. Selon quelles modalités la collaboration et la contestation entre autorités coloniales et autorités musulmanes se sont-elles développées du milieu du xixe siècle au milieu du xxe siècle dans les empires britannique et français ?
Collaborer : une nécessité partagée
L’Algérie, cette autre-France
7L’Algérie, cette « autre-France », selon une des terminologies de l’époque, apparaît à plus d’un titre comme le champ d’expérimentation de toutes les politiques. Le cas algérien constitue, à des degrés divers, un modèle à imiter ou à blâmer. L’une des particularités de l’Algérie coloniale réside dans son organisation en départements dans lesquels toutes les lois de la République sont rendues applicables par décret ; du moins tel est le cadre juridique théorique d’ensemble qui souffre bien des exceptions, comme le code de l’indigénat de 1865, revisité en 1881 et aboli en 1946 [3]. C’est pourquoi, s’il est une entité coloniale où l’universalisme républicain est en mesure de s’exprimer, c’est bien dans ces départements d’outre-Méditerranée.
8Il semble judicieux de commencer cette présentation par le cas de l’Algérie pour plusieurs raisons. La première tient à son antériorité dans la rencontre coloniale entre l’islam et la France : l’expérience algérienne, plus encore que l’expédition d’Égypte, car elle s’est prolongée dans le temps, est à l’origine de la constitution des premières représentations contemporaines de l’islam en France et de la pensée orientaliste. La deuxième raison est toujours à rechercher dans le temps long de la colonisation qui a permis la multiplication des théories coloniales et surtout leur expérimentation sur le terrain. La troisième raison tient à la possibilité de confronter les idéaux républicains et leur application en contexte pluriconfessionnel [4].
Aumale, « La Vieille Mosquée », carte postale, Musée de l’Histoire de la France en Algérie
Aumale, « La Vieille Mosquée », carte postale, Musée de l’Histoire de la France en Algérie
« L’islam, voilà l’ennemi ! »
9Très tôt s’est développée dans la chrétienté une vision belliciste de l’islam. Elle remonte à l’époque de la conquête musulmane et se renforce au moment des croisades [5]. Il faut aussi savoir que les premiers discours sur l’islam sont les produits de religieux chrétiens : leur histoire serait trop longue à retracer ici [6]. Les imaginaires se construisent donc de part et d’autre et c’est avec cet héritage pluriséculaire que les militaires français abordent les côtes du nord de l’Afrique en 1830.
10Cependant, les nouveaux discours qui se structurent s’expliquent en grande partie par les conditions de la conquête et par le monopole intellectuel exercé, pendant des décennies, par les officiers. Pour ces derniers, la sécurité étant la condition sine qua non du succès de la colonisation de l’Algérie, il a fallu très tôt déterminer quels pouvaient être les obstacles à son maintien. Dans cette optique, l’islam a été envisagé comme un système idéologique et non comme une religion, il a été perçu comme un obstacle à la pacification du pays : d’où la conviction de Bugeaud que la force constitue le pilier de la domination française.
11Les premiers travaux se basant sur des études de terrain émanent des milieux militaires [7]. Ces officiers avaient pour obligation de maîtriser la langue arabe : leur seule connaissance de l’arabe en a fait des experts en religion islamique [8].
12Dès 1844, les certitudes sont affichées dans une publication du gouvernement, Exposé de l’état actuel de la société arabe, du gouvernement et de la législation qui la régit, où, dans l’introduction, il est précisé que le Coran amalgame loi religieuse et aspects fondamentaux de la loi civile [9]. Le Coran est présenté comme ayant lié de manière intime les intérêts de l’État avec ceux de la religion, d’où la difficulté d’imposer un système administratif français sans heurter les populations [10].
13L’obsession majeure de ces officiers, à qui l’on doit les premiers écrits, émane d’un terrain qu’il faut contrôler en vue d’assurer la sécurité qui reste le maître-mot. C’est la raison pour laquelle leurs recherches se sont focalisées sur les institutions de l’islam afin de contrôler le pays et maintenir une stabilité. Très vite leur attention a été attirée par « les confréries religieuses », « les ordres religieux musulmans », « les khouans », en d’autres termes les tarîqa-s qui constituent les voies de l’islam mystique [11].
14Un ouvrage constitue une référence incontournable, celui d’Édouard de Neveu, officier saint-simonien membre de la commission scientifique de l’Algérie. En 1845, ce capitaine d’État major, chef du service géodésique de l’Algérie – la géodésie est la science qui étudie la forme et les dimensions de la terre – publie Les Khouan. Ordre religieux chez les musulmans de l’Algérie [12]. A priori, rien dans son curriculum vitae ne laisse transparaître un spécialiste de l’islam. L’ouvrage s’avère non pas une présentation des ordres religieux, mais un tableau de leurs activités politiques supposées à un moment donné de la conquête. Pourtant, d’ouvrage conjoncturel, le livre s’est transformé en « Bible coloniale » sur les confréries religieuses. Ce n’est pas tant la dimension informative sur les tarîqa-s qui a retenu l’attention, que son fil directeur : leur dangerosité. Cet ouvrage d’Édouard de Neveu a constitué, quarante ans durant, la référence absolue avant la publication en 1884 d’un autre ouvrage dont l’auteur est lui aussi un officier des bureaux arabes [13].
15La documentation rassemblée par des officiers en fonction de préoccupations militaires a fourni des descriptions des sociétés qu’il convient d’aborder avec une clé d’interprétation « sécuritaire ». Or, elle a été récupérée dans les milieux intellectuels pour servir à élaborer des théories. Il s’est ensuite produit un mouvement de balancier entre les cercles érudits et les militaires de terrain confortant une vision stéréotypée de l’islam et des musulmans.
La solution : le contrôle
16Dans ces conditions, le contrôle des populations à travers le contrôle de la religion devient l’une des clés de la politique religieuse de la France en Algérie. La première mesure est sans conteste la confiscation des biens habous. De quoi s’agit-il ? Les habous sont des biens de mainmorte donc inaliénables gérés par des fondations pieuses aux finalités multiples comme l’entretien des mosquées, l’instruction des enfants etc. [14] Comme les autorités coloniales attribuaient à l’islam d’être le principal obstacle à la colonisation, en le privant de son support financier, les biens habous, elles entendaient en diminuer le potentiel de dangerosité. En contrepartie de cette confiscation, les autorités se sont engagées à subventionner le culte musulman. Mais avant de le subventionner, il fallait l’inventer.
L’invention du culte musulman
17Si, jusqu’en 1835, l’organisation de pratiques liées à l’islam est laissée aux musulmans, la nécessité de le gérer « directement » s’impose par la suite dans l’improvisation la plus totale. À la fin des années 1840, l’urgence de disposer d’un cadre se fait plus pressante. Le contexte politique favorise ce besoin de clarification qui émane de manière tacite du terrain. Abd el-Kader a rendu les armes et la période des troubles, inhérents à la révolution de 1848, se termine avec l’arrivée du prince président au pouvoir. Le temps du passage de l’islam au culte musulman semble alors être arrivé. C’est la conjonction entre les données du terrain et la situation à Paris qui permet la mise en place du culte musulman en Algérie.
18L’historiographie fait de l’arrêté du 7 décembre 1830 le texte fondateur de l’organisation du culte musulman en Algérie. Or les archives montrent que ce dernier n’a aucune application effective dans les premières décennies de la conquête. Pour des raisons essentiellement pragmatiques, il reste lettre morte. D’autres textes sont promulgués, mais c’est la circulaire du gouverneur général du 17 mai 1851 qui organise le culte musulman dans le cadre de l’administration française. Il doit se dérouler dans des établissements religieux répertoriés comme tels, avec du « personnel afférent à chaque circonscription et à chaque classe d’établissement », subdivisé en personnel supérieur et personnel inférieur. Lieux spécifiques et desservants institutionnels vont former les bases du culte musulman qui est une création ex nihilo du système colonial. Nulle part dans le monde arabo-musulman n’existe de classification officielle des mosquées et de desservants nommés par les autorités politiques, à l’exception des hauts dignitaires. En revanche, telle est la situation inaugurée en Algérie. Elle s’inscrit dans la ligne du Concordat imposé à l’Église catholique et dont le modèle a, par la suite, été appliqué aux cultes protestant et israélite. Pour gérer les religions, les autorités françaises ont mis en place un système de contrôle du personnel religieux à travers le contrôle des nominations et leur rétribution. Les établissements cultuels sont passés dans le Domaine de l’État qui finance aussi la construction de nouveaux lieux de culte. Le résultat est conforme à une certaine conception de l’État-moderne qui repose sur l’encadrement de la société dont la religion ne peut pas être exclue. Face à l’opacité du système rencontré en Algérie, la circulaire du 17 mai 1851 est un premier pas en direction du modèle concordataire que les fonctionnaires français connaissent. Pour autant, cette réorganisation porte sur le statut des mosquées et du personnel desservant, mais ne règle pas la question de l’autorité.
19Ce système préside aux destinées de l’islam officiel en Algérie durant toute la période coloniale avec quelques adaptations mineures au moment du vote de la loi de Séparation des Églises et de l’État qui s’applique aux cinq cultes reconnus en Algérie selon un régime dérogatoire [15].
20Toutefois, l’invention du culte musulman ne permet pas de contrôler tout l’islam : « le péril confrérique » demeure car les tarîqa-s ne peuvent être « cultualisées ». Pour les contrôler, d’autres méthodes sont mises en œuvre.
Du surveiller sans punir au surveiller et punir : La mise au pas progressive des tarîqa-s en Algérie (1840-1914)
21Vers la fin des années 1840, la nécessité de contrôler les « ordres religieux » musulmans se fait jour. Elle se traduit dans les années 1850 par l’intervention de l’administration dans la désignation de leurs chefs par arrêté préfectoral. Le processus se fait par étape et s’étale sur quelques décennies. Jusqu’à la fin des années 1870, l’intervention dans la nomination des muqaddams est présentée comme la panacée du contrôle des confréries. À partir des années 1880, les limites de cette politique se font jour quand les services préfectoraux se retrouvent au cœur des litiges internes aux confréries dans un rôle d’arbitre qu’ils avaient recherché mais dont, peu à peu, ils perçoivent les inconvénients. Après avoir domestiqué les confréries, les autorités coloniales tentent de se désengager de leur organisation interne tout en maintenant une stricte surveillance qui entraîne des modifications dans les pratiques religieuses des populations soumises.
Aumale, « La Mosquée », carte postale, Musée de l’Histoire de la France en Algérie
Aumale, « La Mosquée », carte postale, Musée de l’Histoire de la France en Algérie
22Si le recours à la politique des égards, puis à la coercition ont permis la soumission des musulmans d’Algérie, les autorités coloniales ont, dès le début de la conquête, éprouvé le besoin d’une caution religieuse : des fatwas ont conféré une certaine légitimité à un pouvoir non musulman.
Théorie classique du rapport entre politique et religion en islam : La crainte de la fitna ou la soumission du religieux au politique
23La soumission au politique est une donnée incontournable dans l’histoire des sociétés arabo-musulmanes qui trouverait ses origines dans la crainte de la fitna, i. e. de la division de la umma :
« Ce qui importe au vu de la sharî‘a, ce n’est pas quelle est la religion du gouvernant, son origine et la nature de son pouvoir, mais les cinq finalités (ou nécessités) concernant “la protection de la vie, des biens, de la religion, de la raison et de l’honneur (ou la filiation)”. Sur cette base ils [les musulmans] ont admis la légitimité de toute autorité, musulmane ou non, capable de maintenir l’ordre nécessaire à la garantie de ces finalités et n’empêchant pas les musulmans de célébrer les cultes de leur religion [16] ».
25Avec la colonisation, un pas supplémentaire est franchi avec la réhabilitation d’« un vieux principe que les mu‘tazilites, persécutés après la restauration du hanbalisme contre lequel ils avaient mené leur inquisition, avaient forgé pour ne pas être obligés de déclarer la guerre à une autorité sur laquelle ils jetaient l’anathème » [17].
26Grâce à ce principe, l’autorité coloniale peut être légitimée aux yeux de certains penseurs musulmans dans le but de maintenir l’ordre, d’empêcher la fitna et de ne pas obliger les musulmans à renoncer à leur religion. Pourtant, cette interprétation ne s’impose pas unanimement : si des muftis de La Mecque, sollicités par les autorités françaises, souscrivent à cette logique au moment de la conquête de l’Algérie et à la fin du xixe siècle, le cheikh égyptien Muhammad ‘Ilîsh (1802-1882) [18] la dénonce, lui, de manière explicite [19].
27L’expérience algérienne de gestion de l’islam n’est pas restée isolée dès lors qu’elle s’est exportée dans d’autres parties de l’Empire et sert de boite à outils aux autorités coloniales. C’est donc sous forme de « pièces détachées » que des traces d’Algérie se retrouvent dans d’autres colonies, notamment en Afrique subsaharienne.
Afrique subsaharienne : Comment se concilier l’islam ?
Bon et Mauvais islam
28L’Algérie a servi de laboratoire pour la gestion de l’islam dont les résultats ont été adaptés pour gérer d’autres populations musulmanes car elle « était alors le seul modèle de colonisation récente disponible et l’on était, avec l’islam, en pays de connaissance face aux cultures “fétichistes” jugées inquiétantes et barbares [20] ». C’est pourquoi, dans un premier temps, les autorités coloniales françaises ont choisi la voie de la collaboration avec l’islam. Les musulmans sont privilégiés, du moins ceux qui acceptent l’autorité coloniale. Avec la Grande guerre, le spectre du panislamisme relance la question de la dangerosité des tarîqa-s alors qu’est réactivé le concept d’islam noir forgé quelques années auparavant. Deux conceptions de l’islam émergent à l’issue de la Première Guerre mondiale. Si certains sont restés fidèles au pouvoir comme la Tijâniyya, la Qadiriyya ou les Mourides, d’autres se sont révélés très hostiles comme la Sanussiyya. Cette dernière incarne l’islam arabe et fanatique, véritable produit d’importation avec des musulmans qui sont au mieux des interlocuteurs parmi d’autres, au pire des agents de sédition. Une deuxième catégorie se structure autour de l’islam noir, pensé comme un produit du terroir avec lequel il est possible de collaborer. Mais les grands vainqueurs restent les « fétichistes » qui apparaissent alors comme les garants de l’authenticité africaine et de ses valeurs.
29Pour ce qui est des musulmans d’Aof, la Première Guerre mondiale les laisse étrangers à toute pensée subversive : dans les tranchées leur loyalisme ne fait pas défaut, en Afrique les notables contribuent au bon fonctionnement de l’effort de guerre. « Certaines figures issues des confréries, et qui vont devenir des interlocuteurs permanents de l’administration, surgissent à cette époque. On citera notamment, pour le Sénégal, les noms de al-Hâjj Malik Sy et Seydou Nourou Tall, membres de la confrérie Tijâniyya [21] ».
30Toujours au Sénégal, une confrérie rencontre un succès important, le mouridisme, présenté par Paul Marty comme une « sorte de religion nouvelle née de l’islam », véritable « église musulmane noire » selon l’expression de Jean-Louis Triaud [22]. À son origine se trouve un homme, Ahmadou Bamba.
Les Mourides [23]
31Le fondateur des mourides est un personnage qui a suscité un vif intérêt et qui continue à focaliser l’attention des chercheurs. Pourtant sa biographie reste à faire car il est difficile de restituer les faits à partir de récits oraux divergents et de prendre en compte la complexité de sa personnalité.
32Ahmadou Bamba est un musulman du Sénégal né vers 1853 dans le Cayor. Initié par son milieu, une famille maraboutique affiliée à la Qadiriyya, il mène une vie itinérante auprès de divers maîtres spirituels, puis il est choisi par son père pour lui succéder à la tête du lignage familial des Mbacké. Il mène une existence ascétique et mystique, écrit sur la méditation et les rituels et se fait connaître pour son savoir en sciences coraniques. Bien qu’hostile à la conquête française, il ne participe pas directement à la guérilla que mènent les plus célèbres marabouts tijânî-s au milieu des années 1880. Cependant il dit avoir reçu à quarante ans, âge symbolique, une révélation, et se pose en recours spirituel aux malheurs du temps. Il prêche avec succès la paix et promet le paradis à ses disciples grâce à la sanctification par le travail. Il fonde la ville de Touba où il situe sa révélation. Étant parvenu à convertir plusieurs rois de la région et pouvant mobiliser de très nombreux disciples, il est accusé par l’administration coloniale française de préparer une guerre sainte. Il est donc exilé, en 1895, au Gabon. Libéré en 1902, il retourne à Dakar, puis est envoyé en Mauritanie entre 1903 et 1907. Après 1910, les autorités françaises réalisent que Bamba ne désire pas la guerre. Sa prédication pacifiste (« Refusons la guerre sainte, faisons la guerre sainte à nos âmes ») incite les paysans mourides à marcher sur la voie du salut par le travail : « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais mourir demain ». Elle dispose favorablement ses disciples à l’égard de l’économie coloniale et de la culture de l’arachide que la France encourage. Puisque la doctrine de Bamba sert leurs objectifs, les autorités françaises décident de collaborer avec lui. En retour cette spécialisation fait le succès économique de la confrérie et lui confère un grand prestige. Bamba reçoit la Légion d’honneur pour son aide dans le recrutement militaire pour la Première Guerre mondiale. Son mouvement prend une ampleur et une visibilité qu’illustre la construction de la Grande Mosquée de Touba où il est inhumé en 1927. Son tombeau devient un lieu de pèlerinage annuel (le Magal) pour le mouridisme, mot forgé à partir du nom commun qui désigne un aspirant entré dans une confrérie (murid). On dénombrerait 5 000 mourides en 1895, 70 000 en 1912 et près de 400 000 à la fin des années 1950.
33Les confréries qui, comme le Mouridisme, acceptent la collaboration avec le pouvoir colonial « vont devenir ces « églises noires » loyalistes, dans un rapport de clientélisme avec l’administration, que le pouvoir colonial utilise comme partenaire privilégié de ce régime “concordataire” à la sénégalaise [24] ». C’est Le temps des marabouts : le pouvoir contrôle les nominations, gère les successions, finance les établissements religieux, assiste aux fêtes, envoie des cadeaux, etc. [25].
34Néanmoins, il serait abusif de généraliser le cas sénégalais à toute l’Afrique subsaharienne : la pluralité des situations domine. Par ailleurs, les échelles d’analyse laissent percevoir des différences importantes dans la gestion de l’islam. Seule constante, la politique coloniale française a toujours oscillé entre répression et protection de l’islam. Qu’en est-il de la Grande-Bretagne ?
L’Afrique britannique
35La présence britannique en Afrique subsaharienne se concentre, à la fin du xixe siècle, en Afrique de l’ouest en Sierra Leone (1891), Gold Coast (1896) et Nigeria (1900) ; en 1914, les musulmans du nord Nigeria ont été rassemblés en une seule colonie avec les populations du centre et du sud, de religions et de traditions différentes.
36À l’est du continent, le Soudan est conquis en 1899 par une armée anglo-égyptienne qui instaure le condominium anglo-égyptien. Au début des années 1920, la réalité du pouvoir passe entre les mains des Britanniques. La présence britannique est attestée en Somalie et, plus au sud, dans le sultanat de Zanzibar (1870), en Ouganda, au Kenya et au Tanganyika. En Afrique du sud, se trouvent aussi des musulmans d’origine indienne disciples de l’Aga Khan, chef d’un rameau issu lui-même d’un courant minoritaire du chiisme (ismaéliens).
37Les Britanniques partagent la vision des Européens à propos de l’islam et des musulmans. Ils sont arrivés dans le monde musulman avec la rhétorique construite en Europe occidentale pendant des siècles. Elle repose sur la polémique chrétienne, la mémoire des croisades, l’imposture supposée de Muhammad, la dénonciation de l’esclavage et de la condition féminine, le fanatisme, le jihad, etc. [26]. L’islam est donc perçu comme le plus grand danger auquel doit faire face le pouvoir colonial. La révolte des Cipayes marque un tournant dans l’appréciation du fait religieux par les Britanniques. Ils en évaluent l’ampleur et saisissent l’importance de ne pas heurter les populations.
38C’est pourquoi, même s’il est toujours possible de discuter la notion d’indirect rule pour la gestion des territoires, les Britanniques se sont gardés de tenter un contrôle direct sur l’islam [27]. Certes, la préoccupation sécuritaire existe toujours comme la distinction entre bons et mauvais musulmans. À l’instar des Français, les Britanniques ont recherché des interlocuteurs fidèles et les ont laissé gérer leur religion. L’un des aspects de l’indirect rule a été de privilégier les éléments les plus conservateurs comme dans le sultanat de Sokoto au nord Nigeria ou encore celui de Zanzibar. En revanche, au nord du Soudan, les Britanniques se sont reposés sur les tribus et les chefs ruraux avant de réaliser, au milieu des années 1930, que ces hommes avaient moins d’autorité que ce qu’ils espéraient. Les Britanniques se sont alors tournés vers les élites urbaines [28].
39Il est difficile de repérer des différences fondamentales dans la gestion de l’islam en Afrique subsaharienne entre les Français et les Britanniques. Tous sont convaincus de la dangerosité de l’islam et de la nécessité de le contrôler. Les modalités de contrôle sont fonction des réalités du terrain bien plus que de théories élaborées a posteriori. D’une certaine façon, ce mode opératoire prévaut au « Proche-Moyen Orient » où les deux puissances coloniales ont fait le choix de privilégier certaines minorités religieuses.
La politique des minorités en Orient : Divide et impera
L’invention alaouite [29] ?
40Les alaouites de Syrie appelés aussi nosaïris ou ‘ansariyyeh (du nom de la montagne où ils habitent) constituent un autre révélateur privilégié des politiques coloniales. Ils ont suscité une grande curiosité de la part des savants européens car leur doctrine était secrète et réservée aux initiés. Cette situation change quelque peu au cours du xixe siècle quand des manuscrits sur les croyances sont découverts et qu’un de leurs convertis au judaïsme, puis au protestantisme, publie en 1864 un ouvrage sur ce groupe religieux. Ce texte et ceux des hérésiologues sunnites ont constitué une des bases dont se sont servis les orientalistes de la période pour rédiger des ouvrages sur eux. Pour certains, il s’agissait d’un culte d’origine cananéenne ou phénicienne, d’autres y voyaient une hérésie du christianisme alors que pour les savants musulmans il s’agissait d’une branche dissidente de l’islam chiite. Cette idée était étayée par l’existence d’une fatwa d’Ibn Taymiyya en ce sens.
41Eux, de leur côté, se présentaient, au moins depuis le xixe siècle, comme musulmans. Toutefois, ils ont fait l’objet de la part des sunnites et des Turcs de nombreuses persécutions. Leurs rapports avec les chiites étaient, semble-t-il, meilleurs et des contacts entre leurs dignitaires religieux et des dignitaires chiites sont attestés depuis le xviiie siècle.
42À partir de 1916, l’intérêt des autorités françaises pour ce groupe se renforce. Le contexte de la Première Guerre mondiale et de la révolte arabe explique en grande partie cette situation : tout ce qui peu fragiliser la Sublime Porte est bienvenu. À la même période, les autorités françaises ont chargé le père Jaussen d’un rapport sur les populations de Syrie, dans les limites de la province ottomane. Dans ce rapport, le dominicain insiste sur la haine des nosaïris envers les Turcs et envers les sunnites. Inutile de souligner le rôle ambigu des relations entre le pouvoir laïc et les religieux au Proche Orient [30].
43En 1920, le territoire des Alaouites est créé par les Français et, en 1922, l’État des Alaouites est proclamé. Une des conséquences de la création de cette entité est l’interdiction des tribunaux sunnites pour régler les litiges concernant les alaouites. Or, il n’existait pas de droit alaouite à proprement parler dans la mesure où ces derniers avaient soit recours au droit coutumier, soit aux tribunaux sunnites. Dans l’obligation de se doter d’un système juridique, leur choix s’est porté sur le droit chiite ja‘farite au grand dam des autorités mandataires qui ne souhaitaient pas en faire des musulmans.
44À la veille de la signature du traité franco-syrien de 1936, les responsables alaouites publièrent un texte où ils proclamaient à la fois leur arabité et leur adhésion à l’islam. Pour renforcer cette position, le mufti de Jérusalem, le cheikh Amîn al-Husaynî, émit une fatwa en ce sens. En 1952, les clercs ja‘farites sont reconnus par l’État syrien comme corps constitué. Cependant les divisions existent en leur sein car certains n’ont pas accepté la réforme et sont restés fidèles à leurs anciennes croyances [31].
45L’influence réciproque entre orientalistes et autorités coloniales, pour faire des alaouites des non-musulmans, explique en grande partie l’émergence comme corps constitué de ce groupe religieux. Durant la même période mais dans un autre contexte, les Britanniques font le choix de soutenir des sunnites.
L’« irakité » et le mandat britannique [32]
46La défaite de l’empire ottoman et celle du mouvement religieux chiite marquent, à partir de 1920, la mise en place d’un nouveau régime avec la création, par la Grande-Bretagne, d’un État en Irak. Sur le modèle de l’État-nation, versus monarchie britannique, les chiites, suite à l’échec de leur projet politique, sont exclus au profit des élites arabes sunnites. Ces dernières, peu nombreuses, étaient, pour la plupart, intégrés au système ottoman tant au niveau militaire qu’administratif. Elles ont ainsi pu évoluer
« d’un ottomanisme réformiste vers un arabisme déclaré où l’islam devait rapidement être réduit à un simple appendice culturel de l’arabisme. Ces élites passèrent ainsi sans transition du rôle de relais local du gouvernement ottoman à celui de fonctionnaires du nouvel État, considérant cet État comme leur propriété exclusive, tandis qu’ils légitimaient le mandat et l’occupation britanniques [33] ».
48Dans cette nouvelle configuration, les chiites perdent l’autonomie que leur procurait le pouvoir lointain de la Porte et se retrouvent dans un statut discriminatoire suite à l’adoption par l’assemblée constituante irakienne du nouveau code de la nationalité. Il est alors question de distinguer les Irakiens « authentique », ceux de la « catégorie A » i.e. les Irakiens de « rattachement ottoman » donc les sunnites, des Irakiens de « rattachement iranien » de « catégorie B », soit tous les autres. Les éléments constitutifs de l’« irakité » sont alors établis.
49Or, les chiites, dans leur écrasante majorité, n’avaient pas eu la nationalité ottomane pour différentes raisons. Pour certains, elle était illégitime car attachée au sunnisme ; pour ceux qui appartenaient à un monde tribal et rural échappant au contrôle du gouvernement, ils ignoraient ce que pouvait signifier une nationalité et ne l’avaient par conséquent jamais réclamée. D’autres enfin avaient la nationalité persane et étaient considérés de « rattachement iranien ». Dans cette dernière catégorie, sans être Persans, ils considéraient l’Iran comme protecteur des chiites ou avaient opté pour cette nationalité afin d’éviter la conscription ottomane.
50Qu’ils aient été sans nationalité, l’immense majorité des chiites, ou de nationalité persane, tous accédèrent à la nationalité irakienne après 1924 en étant considérés comme des « Irakiens non authentiques ». Dans les faits, les autorités ont considéré comme de « rattachement iranien » toutes les personnes qui ne correspondent pas à la définition imposée par le nouveau code de la nationalité. C’est ainsi que des milliers de familles ont été dans l’obligation de prouver leur « irakité » en entamant des démarches d’une grande complexité. « Cette discrimination créa des situations aberrantes, puisqu’un Arabe non irakien, du seul fait qu’il était sunnite, avait davantage de droits qu’un Arabe chiite installé en Irak depuis des générations [34] ».
51Les répercussions de cette politique sont grandes car certains postes n’étaient pas accessibles aux citoyens de catégorie B. Des campagnes de dénigrement furent lancées en direction de ces citoyens de statut différent et des populations furent expulsées comme les Kurdes faylis qui ne sont ni arabes ni sunnites. Des communautés entières ont ainsi disparu d’Irak au nombre desquels les Assyriens, les juifs, les Persans et les Faylis.
52C’est donc sous la domination coloniale que le concept de l’« irakité » a été constitué dans un objectif précis, celui de s’appuyer sur une minorité religieuse, en l’occurrence ici les sunnites.
53Illustration spectaculaire de la capacité à agir sur les identités et à les remodeler, l’« irakité » n’est pas un exemple unique : les autorités coloniales ont aussi inventé le droit musulman.
Le « droit musulman » : une invention coloniale
54Très tôt, le contexte colonial amène les colonisateurs à comprendre que le droit et la justice sont des vecteurs de la domination. Or, pour les agents coloniaux l’opacité du système juridique rencontré est totale. Confrontés à un système différent, ils n’allaient pas tarder à le qualifier de désuet, rétrograde, archaïque et, faute de le comprendre, ils allaient le déclarer inapte à la modernité et envisager son évolution. Le « droit musulman » est la réponse apportée par les colonisateurs pour faire face à cette situation. Il est aussi une création des orientalistes qui entend répondre aux difficultés rencontrées par le colonisateur dans la gestion de la justice.
55L’influence de la colonisation se traduit par la codification avec la création d’un corpus juridique qui se revendique de l’islam, c’est le cas de l’Anglo-Muhammadan Law en Inde et du droit musulman en Algérie.
L’Anglo-Muhammadan Law
56Rappelons que les musulmans représentent un tiers de la population des Indes britanniques, que l’Inde occupe une place centrale dans l’empire et que la justice reste un des attributs régaliens dans les sociétés modernes.
57Dans le cas de l’Inde, il faut attendre le début des années 1860 pour assister d’une part, à la disparition des références islamiques dans le droit pénal et, d’autre part, à l’arrivée de juges formés au droit anglais. Le droit civil subit une codification à partir du modèle anglais alors que le droit de la famille est supposé rester conforme au droit islamique.
58Dans les faits, la situation est bien différente. En effet, les juges britanniques se sont retrouvés confrontés à ce qu’ils ont désigné comme la charia et à la grande hétérogénéité des populations soumises. Ils se sont donc lancés dans un processus de codification en vue d’uniformiser le droit avec comme référence leur propre système juridique. Ils ont puisé dans un corpus de textes qui, lui aussi, sans être dénué de toute légitimité, a été élevé au rang d’autorité exclusive et surtout immuable. Trois textes ont formé la base de ce qui est désigné sous l’appellation d’Anglo-Muhammadan Law :
« la Hidaya (texte du xiie siècle produit en Asie centrale) et les Fatawa ‘Alamgiri dont la composition fut ordonnée par l’empereur moghol Aurangzeb (1658-1707) au xviie siècle. Il est remarquable que ce dernier n’avait jamais tenté de les imposer aux musulmans comme une source de loi incontournable ; elles étaient plutôt destinées à affirmer le contrôle de l’empereur sur les dignitaires religieux [35]… »
60Le troisième texte concernait, lui, les chiites ; il s’agit du Chara‘i ul-islam, considéré comme fondamental par les duodécimains d’Inde. Cependant, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, les Britanniques réalisent que les écarts peuvent être importants entre les textes sur lesquels ils s’appuient et les pratiques : ils cherchent alors à codifier la coutume.
61Les conséquences de cette double codification de la charia et de la coutume transforment, d’une part, la charia en un ensemble de règles immuables, alors que l’histoire atteste de l’existence d’interprétations plurielles et, d’autre part, la coutume en un système figé, ce qu’elle ne peut pas être par définition. De plus, les oulémas renforcent la tendance au taqlid, imitation :
« Le fait que les Britanniques considèrent la loi islamique comme arbitraire (argument avancé pour justifier la codification) et les autorités musulmanes chargées de la faire appliquer comme peu fiables, incitait d’autre part les musulmans à démontrer que, quoi qu’en disent les Britanniques, leurs lois étaient tout à fait prévisibles, certaines et immuables. Il en découla que, par une sorte de choc en retour, la rhétorique d’une loi immuable incita les oulémas à nourrir une interprétation de la chari‘a de moins en moins flexible [36] ».
63Les Britanniques ne sont pas les seuls à s’être lancés dans le processus de codification ; les Français sont à l’origine d’un droit musulman.
Aux origines du droit musulman [37]
64Comme leurs confrères britanniques, pour pouvoir rendre la justice, les juristes français imposent progressivement leur système juridique, lui-même résultat d’une construction influencée par les idéologies, les philosophies, les héritages historiques etc. et, surtout, par leur perception des sociétés rencontrées.
65Les juristes français ont donc construit un droit musulman fondé sur des savoirs juridiques islamiques sans pour autant être connectés à la réalité plurielle du terrain. Pour élaborer ce droit, les juristes se sont, tout d’abord, préoccupés de récolter des informations en provenance du terrain. Or, au xixe siècle, les hommes de terrain, par excellence, sont les militaires. Les juristes se sont, dans un premier temps, appuyés sur les descriptions des sociétés rédigées par des officiers. Ces derniers ont développé un discours sur les populations autochtones et sur la religion musulmane qui s’impose comme normatif, et qui a été abordé dans la première partie.
66Afin de pouvoir juger au mieux, les juristes français ont ainsi élaboré un droit musulman inspiré, selon eux, de la religion et n’ont pas hésité à uniformiser les normes juridiques pour aboutir à un système qui leur soit familier. Cependant, la codification à laquelle ils parviennent est fondée sur une sélection d’ouvrages, de périodes et d’auteurs plus ou moins représentatifs, et sur des techniques du droit positif français : ni le contenu ni la démarche ne sont celles des pratiques pré-coloniales. Ce processus de codification du droit s’apparente donc davantage à une compilation de sources disparates dont les auteurs ont une autorité variable selon les lieux et, surtout, selon les époques. De plus, quand bien même les auteurs repérés feraient autorité, la manière de s’y référer marque une rupture avec la période antérieure. Au pluralisme intrinsèque des systèmes juridiques, tel qu’il est aussi observable dans l’Ancien Régime, se substitue le monisme des juristes français.
67L’un des présupposés méthodologiques se fondait sur l’immuabilité de l’islam depuis sa fondation. Le système juridique dans le monde islamique était considéré comme valable en tout temps et en tout lieu et exclusivement basé sur la religion. L’idée même d’une différenciation régionale, d’une évolution de la pensée juridique dans le temps, de l’existence d’autres systèmes normatifs n’était pas envisageable. Le champ couvert par le droit musulman était total car la religion était supposée tout régenter dans ces sociétés : droit familial, régime des biens et des obligations, droit foncier, règles d’urbanisme, organisation politique etc. :
« toutes les règles et normes considérées locales par leur origine et pouvant tout aussi bien découler de règlements administratifs, de la jurisprudence judiciaire, d’us et coutumes tribaux ou claniques, que de religion stricto sensu [38] ».
69Progressivement, la logique coloniale a imposé l’uniformisation du droit au profit d’un droit musulman créé pour satisfaire les besoins de la colonisation : à la pluralité normative des systèmes juridiques en vigueur dans les sociétés musulmanes s’est substitué le monisme juridique du colonisateur britannique et français.
70Les puissances coloniales ont donc tenté de contrôler l’islam et ont trouvé des soutiens actifs au sein des sociétés soumises. Mais, le plus souvent, l’option pour la résistance est celle retenue par les populations. Elle se décline selon plusieurs modalités.
Contester : l’impossible contrôle de l’islam
Résister : la hijra, l’hégire, la fuite
71Les théologiens musulmans ont proposé plusieurs solutions aux populations soumises, qui se déclinent de l’acceptation au refus de la colonisation. Les justifications pour l’une ou l’autre des attitudes sont toutes puisées dans les interprétations délivrées par les savants musulmans à partir des corpus de références islamiques.
72Ainsi, l’option du départ est motivée par la nécessité, quand cela est possible, de vivre sous une domination musulmane. C’est le choix des successeurs de Hadj Omar qui quittent le Soudan français pour le nord du Nigeria, qu’ils doivent à nouveau quitter quand celui-ci passe sous domination britannique à la fin du xixe siècle. C’est aussi l’option à laquelle se résolvent deux cents familles de Tlemcen en 1911 pour protester contre le projet de conscription militaire. Ils quittent l’Algérie pour la province ottomane de Syrie dans le plus grand secret. La hijra reste une voie difficile à suivre car il faut en avoir les moyens physiques et pécuniaires.
73C’est pourquoi, d’autres savants musulmans ont proposé un autre type de repli : la taqiyya (= crainte). Il s’agit d’une restriction mentale proposée par certains juristes qui consiste pour le fidèle à sauvegarder sa sécurité en coopérant avec l’ennemi par la langue, mais pas par le cœur en attendant l’arrivée de jours meilleurs [39].
74L’islam a donc été invoqué pour résister à la colonisation en mettant en avant la hijra ou encore la taqiyya. Ces options ont été forgées par des penseurs musulmans, au nom de l’islam, pour faire face à une nouvelle situation politique alors que d’autres ont démontré, toujours en se revendiquant de l’islam, que la collaboration était aussi une réponse « islamiquement » acceptable. Tout est question d’interprétation et pour ce qui concerne les rapports entre islam et politique, de tout temps, la diversité des options domine. Dans ce contexte, le jihad est donc à comprendre comme l’une des réponses possibles à la colonisation.
Le recours à la force armée, Abd el-Kader
75L’une des figures de résistant la plus connue, pour ce qui est de l’empire français, reste celle d’Abd el-Kader (1808-1883) [40]. Fils d’un émir de la puissante confrérie de la Qadiriya, né dans la région de Mascara, il se fait nommer « commandant des croyants » en 1832 tout en se faisant reconnaître comme chef de la région de Mascara. Pendant quelques années, la France essaie de traiter avec lui sans grand succès car aux traités de paix succède la reprise des hostilités. Abd el-Kader organise un État musulman dans la région d’Oran avec la création d’une armée régulière (8000 fantassins, 2000 cavaliers) et d’une administration territoriale.
76En 1843, la smala d’Abd el-Kader, c’est-à-dire son campement mobile qui comptait environ 20 000 âmes, est prise. L’émir se réfugie au Maroc, mais le sultan du Maroc ne le soutient pas car il voit en lui un concurrent et une source de problèmes avec la France. L’année 1847 marque la reddition définitive d’Abd el-Kader au général Lamoricière. S’ensuivent des années de captivité en France (1848-1852), puis sa libération en 1852 et son départ pour Damas [41].
Mahdisme et autres messianismes [42]
77La résistance ne se limite pas à ce personnage charismatique : d’autres individus se sont présentés au nom de l’islam pour lutter contre la France comme Bou Maza en 1845. Avec lui, une nouvelle catégorie d’adversaires achève de se révéler aux Français. Prenant appui sur des croyances répandues dans le peuple, ce jeune homme se présente comme chérif, c’est-à-dire descendant du prophète Muhammad, et prend le nom de Mohammed Ben Abdallah et le surnom de Bou Maza (« l’homme à la chèvre »). Ces noms et qualités le désignent comme l’homme annoncé pour être le moul es-saa (« maître de l’heure »), le mahdi (« bien dirigé »), chargé d’assurer, après le temps des épreuves, le triomphe définitif des croyants sur les infidèles, dans une perspective eschatologique autant que politique [43]. L’action de Bou Maza est appelée à faire école dans les années qui suivent sans connaître, pour autant, l’ampleur du mouvement mahdiste qui se développe au Soudan entre 1881-1899.
78En 1820, Muhammad Ali entreprend la conquête du Soudan et fonde en 1830 la ville de Karthoum. Dans les faits, la domination égyptienne n’est pas encore établie quand le mahdi, Muhammad Ahmad Ibn Abdallah, lance ses troupes en 1881. Après trois ans de guerre, la prise de Karthoum en 1885 et la mort du gouverneur Gordon Pacha, un nouvel État est instauré. Le soulèvement a un caractère nationaliste et religieux car l’objectif est de mettre un terme au pouvoir de Tawfiq – vice-roi d’Égypte – perçu comme inféodé aux Anglais. Par ailleurs, le nouvel État se veut d’inspiration théocratique. Près de quinze ans sont nécessaires aux Britanniques et à leurs alliés pour reconquérir le pays. En 1898, une expédition menée par Kitchener renverse le régime mis en place par le successeur du mahdi.
79Les Britanniques avaient déjà affronté une résistance de type religieux dans le nord de l’Inde contre Sayyid Ahmad Barelwi (mort en 1831) et contre Hajji Shariat Allah au Bengale (mort en 1838). En revanche, dans le dernier quart du xixe siècle, la résistance trouve un autre vecteur pour s’exprimer, celui de la pensée à travers l’islah et ses avatars.
Le mouvement réformiste (islah)
80Le réformisme se place « dans la perspective d’une harmonisation entre les données de la tradition et les conditions de la vie moderne [44] ». Toutes les époques ont connu de grands réformateurs dont la fonction consistait à mettre en adéquation la tradition religieuse avec son époque. Il faut donc appréhender la pensée réformiste dans son univers culturel musulman et ne pas seulement l’expliquer par la seule rencontre avec l’Europe. Cette attitude aurait pour conséquence de nier la capacité interne de l’islam à se renouveler et attribuerait à l’influence extrinsèque un rôle qu’elle ne détient pas en exclusivité dans la genèse de ce mouvement.
81Les réformistes peuvent être considérés comme la deuxième génération de penseurs qui tentent de répondre à cette question obsessionnelle depuis l’arrivée de Bonaparte : pourquoi l’Europe a-t-elle conquis la supériorité scientifique ? Cette première interrogation renvoie naturellement à une autre plus dramatique pour les musulmans : pourquoi le monde musulman se trouve-t-il dans cette situation de domination ?
82L’acuité de la question est sans comparaison avec celle qui se posait pendant la première moitié du xixe siècle. À cette période, la solution consistait à adopter la science et la technique de l’Europe et à conserver ses propres traditions. Dans les années 1870, quand le mouvement réformiste se constitue en Égypte, les choses ont changé. D’une part, la solution préconisée ne semble pas être un succès, d’autre part, le contexte a évolué. L’Europe est devenue un danger pour l’indépendance des pays musulmans. L’urgence de trouver des solutions se fait plus pressante.
83Tous les réformistes s’accordent pour considérer la mauvaise interprétation de l’islam comme responsable du retard du monde musulman. Dès lors une solution s’impose : il faut formuler la bonne interprétation. Des générations de penseurs vont partir à la recherche cette bonne interprétation. Les savants musulmans pensent qu’avec elle il est possible d’apporter des réponses à tous les problèmes que rencontrent leurs sociétés. Mais toute une gamme de propositions revendiquant la bonne interprétation va fleurir.
84Elles ont pour l’Égypte, mais aussi pour l’ensemble du monde arabo-musulman, une origine commune : la pensée de Muhammad Abduh. Dans son système, l’islam est constitué d’un noyau et d’une périphérie. C’est sur cette dernière qu’il faut opérer des modifications sans altérer l’essence. Pour opérer ces changements, il faut faire appel à des juristes ayant reçu une éducation adéquate, d’où l’intérêt porté par Abduh à la réforme d’al-Azhar. La seconde étape est celle de l’éducation du peuple, éducation à adapter à chaque acteur de la société. Le but est donc la régénération de la société musulmane par le retour au véritable islam.
85Pour Abduh, la société musulmane idéale a certes existé pendant l’âge d’or de l’islam. Toutefois sa démarche ne consiste pas à transférer l’islam de cette période dans l’Égypte du xixe siècle. Il n’envisage ni un transfert géographique de l’Europe vers l’Égypte, ni un transfert temporel, du passé au présent : tout est à bâtir à partir des données disponibles dans l’Égypte du xixe siècle. En retrouvant l’essence de l’islam, qui consiste à s’adapter aux problèmes propres à chaque époque, comme l’islam l’a toujours fait, selon Abduh, les musulmans se doteront d’une société nouvelle.
86L’originalité de Abduh est d’avoir problématisé le débat de fond de l’islam et d’en avoir proposé une solution qui vise à se concentrer sur le cœur de l’islam pour les données du religieux et à s’adapter pour tout le reste : mais où situe-t-il le cœur de la révélation coranique ? Comment mettre en œuvre cette démarche ? Abduh n’est pas un politicien, mais un théoricien et il n’a pas systématisé sa pensée. Sa solution qui vise donc à une nouvelle interprétation de l’islam sert de départ aux autres penseurs et leur permet d’élaborer leur propre modèle, très souvent éloigné de la philosophie de ce grand penseur.
Du réformisme au nationalisme
87Les penseurs réformistes du monde arabo-musulman, en proposant leurs nouvelles interprétations de l’islam, se placent aussi dans une dynamique de contestation de l’ordre établi par la colonisation. Ils apparaissent comme des ferments de la pensée nationaliste qui se structure dans l’entre-deux-guerres. L’Association des Oulémas Musulmans d’Algérie diffuse dans les années 1930 un message qui associe territoire, langue arabe et islam pour définir les contours d’une nation algérienne. Dès l’entre-deux-guerres, le mouvement réformiste algérien réclame l’application au culte musulman de la loi de Séparation, alors que le personnel salarié par l’État s’y oppose. Le débat autour de la non-application de la loi du 9 décembre 1905 allait progressivement cimenter le nationalisme algérien de l’association des oulémas d’Ibn Badis. Par un mouvement de balancier et de réappropriation d’un des idéaux de la République, la laïcité, le mouvement nationaliste a su, à son tour, instrumentaliser le discours colonial et le mettre face à ses apories. L’association dirigée par Ibn Badis illustre les nouvelles modalités de lutte contre le colonialisme français et éclaire certains éléments du nationalisme algérien en construction.
88En Égypte, la fondation en 1928 par Hassan al-Banna de la confrérie des Frères musulmans constitue une nouvelle étape dans la liaison entre religion et politique et l’engagement contre la colonisation britannique. À partir de la fin des années 1930, les Frères musulmans rallient nombre d’Égyptiens autour de la réforme de l’islam et de la lutte contre l’impérialisme britannique. À un discours de justice sociale, qu’ils sont les seuls à tenir, à l’exception du parti communiste considéré comme athée et dont certains de ses fondateurs sont issus de familles juives égyptiennes – dans un contexte de pression sioniste – ils associent des revendications nationalistes. En 1948, sa milice participe aux côtés des armées nationales au premier conflit israélo-palestinien. À la mort de son fondateur, assassiné en 1949, son aura est considérable dans le pays.
Alger, Basilique Notre-Dame d’Afrique
Alger, Basilique Notre-Dame d’Afrique
89Toutefois, le monde musulman ne peut se réduire au seul monde arabe. L’Inde propose aussi des voies du réformisme où perce l’influence du Manâr, mais qui a sa propre autonomie [45].
90L’effervescence religieuse, qui caractérise l’Inde du nord dans la deuxième moitié du xixe siècle, s’étend à l’islam. Le mouvement de réforme se divise entre partisans d’un retour à la tradition (Deobandi) et militants d’une ouverture audacieuse à la modernité pour l’islamiser (université musulmane d’Aligarh). Les premiers créent, en 1867 à Deoband, une école d’oulémas en réponse à la colonisation britannique. Les seconds, autour de l’université d’Aligarh, prônent la réforme de l’enseignement musulman et l’éducation des femmes. L’audience des uns et des autres est en grande partie liée à la nouvelle perception que les musulmans indiens ont d’eux-mêmes.
91En effet, avant la fin du xixe siècle, les musulmans d’Inde ne se définissent pas forcément par leur appartenance religieuse. C’est au cours des xixe et xxe siècles que la conscience de leur « islamitude » va croissante [46]. À la fin du xixe, quelques indices attestent de cette évolution :
« as for instance those Bengali Muslims of the late nineteenth century who stopped invoking God as Sri Sri Iswar in favour of Allaho Akbar and who dropped their Hindu surnames (Chand, Pal, Dutt) in favour of Muslim ones (Siddiqui, Yusufzai, Qureshi) [47] ».
93Dans un contexte de réforme de la pensée islamique, des savants musulmans indiens en sont venus à se poser les mêmes questions quant au déclin de la civilisation musulmane. Plusieurs réponses ont été proposées, dont celle de Sayyid Ahmad Khan.
94À l’instar des autres réformateurs, il envisage de construire des ponts entre l’islam et la science moderne, mais aussi entre les musulmans indiens et le pouvoir colonial britannique. Ce dernier est préoccupé par la distance entre musulmans et autorités britanniques depuis les années 1860. C’est pourquoi les Britanniques soutiennent, en 1877, l’initiative de la création du collège d’Aligarh par Sayyid Ahmad Khan et ses partisans. De plus, toutes leurs initiatives en vue de constituer une représentation politique autonome à base religieuse sont approuvées par les Britanniques [48].
95Les étudiants d’Aligarh vont alors constituer la nouvelle élite musulmane de l’Inde Britannique. Ils sont à l’origine de la création de La Ligue musulmane qui revendique, en 1906, un collège électoral séparé et des privilèges pour les musulmans. L’unité du mouvement disparaît dans les années 1920 avec l’éparpillement de ses partisans dans d’autres structures. En 1935, lors des élections générales, La Ligue emporte 22 % des sièges réservés aux musulmans. Toutefois, dans un tout autre contexte, aux élections de 1945-1946, La Ligue remporte une victoire écrasante avec 90 % des sièges réservés aux musulmans [49].
96Il serait pourtant réducteur de considérer l’émergence d’une identité politique musulmane comme relevant exclusivement des autorités coloniales. Cette construction identitaire est à replacer dans son contexte, celui d’une réforme interne à l’islam et d’une recomposition de l’identité hindouiste.
97Par ailleurs, les musulmans indiens ont été au fait des grands évènements qui ont bouleversé les sociétés musulmanes sous domination européenne. Ils ont ainsi été sensibilisés aux thématiques du panislamisme. Ce dernier s’est exprimé de diverses manières, notamment dans la création de mouvements de missions musulmanes à travers des organisations comme la Ahmadiyya ou le Tabligh [50]. De son côté, Mawdudi, à l’instar des Frères musulmans, propose une acception plus politique du panislamisme.
Conclusion
98Un premier constat s’impose, les modalités de la collaboration comme de la résistance, se revendiquant de l’islam, dans les colonisations française et britannique sont plurielles et évolutives : cette contribution ne prétend pas à l’exhaustivité. Il est toutefois possible de repérer des ressemblances et des différences, des logiques identiques et des spécificités dans le rapport de ces deux puissances à l’islam où dominent le pragmatisme et la nécessité du contrôle.
99Pour ce qui est des points communs, la question de la justice et donc du droit a été appréhendée de la même manière à travers l’invention d’un droit qui se revendique de l’islam. Ce choix a été fait pour l’Algérie et pour l’Inde, soit des possessions qui occupent une place spécifique dans les empires français et britannique. Les deux puissances se retrouvent aussi dans leur gestion des minorités au Proche/Moyen Orient où la logique du « divide et impera » triomphe. De même que la France et la Grande-Bretagne sont confrontées à des résistances qui se revendiquent du religieux. In fine, dans les deux empires l’islam s’avère incontrôlable malgré les tentatives de l’instrumentaliser comme cela a été le cas pour La Ligue musulmane ou encore avec le soutien aux « bonnes confréries ». Mieux, l’islam progresse dans les deux empires durant la période coloniale.
100Pour ce qui est des différences, elles ne sont pas fondamentales malgré un discours construit a posteriori sur une gestion « à la française » et une gestion « à l’anglaise » versus direct et indirect rule. Si sur le terrain la différence n’est pas probante, dans un lieu au moins elle est opératoire : en Algérie. En effet, ces trois départements d’Outre-Méditerranée connaissent une gestion de l’islam unique au monde avec la transformation de l’islam en culte musulman dans le but de contrôler les populations colonisées. Or l’invention du culte musulman et la pression administrative exercée en direction des confréries religieuses ont eu des conséquences directes sur les pratiques religieuses des musulmans d’Algérie.
101La question des recompositions religieuses au sein des sociétés coloniales est fondamentale pour saisir bien des évolutions des sociétés de culture musulmane jusqu’à nos jours. Dans ce cas au moins, la césure entre colonisation et indépendance n’est pas opératoire tant les éléments de continuité sont nombreux.
Notes
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[1]
Francis Robinson, « The British Empire and the Muslim World », Transactions of the Royal Historical Society, vol. 8 (1998), p. 271-289.
-
[2]
Les mandats de la Syrie, du Liban et d’Irak ont été privilégiés pour le Proche-Orient / Moyen-Orient.
-
[3]
Certes, ce n’est ni le cas pendant 132 ans ni sur tout le territoire, mais la démonstration reste valable.
-
[4]
Rappelons qu’en Algérie, l’État doit gérer aussi les cultes catholique, israélite et protestant.
-
[5]
Il faut attendre le xvie siècle pour que le terme de « croisades » entre dans le lexique de la langue arabe à l’initiative de chrétiens d’Orient. Les musulmans n’avaient pas saisi le sens de ces expéditions revendiquées comme religieuses par les croisés.
-
[6]
Youakim Moubarac, Recherches sur la pensée chrétienne et l’islam dans les temps modernes et à l’époque contemporaine, Beyrouth, Publications de l’Université libanaise, 1977.
-
[7]
Cf. les 39 tomes publiés par la Commission scientifique pour l’exploration de l’Algérie : tous les auteurs sont des officiers.
-
[8]
Les bureaux arabes ont été créés en 1844, mais il reste difficile de déterminer avec précision à partir de quand la majorité des officiers est en mesure de maîtriser la langue arabe, notamment la langue vernaculaire.
-
[9]
Il s’agit d’un ouvrage collectif rédigé à la direction des affaires arabes par ordre du gouverneur général qui en a autorisé l’impression. Il a été imprimé par l’imprimerie du gouvernement en 1844 et comporte 169 pages.
-
[10]
Il faut bien comprendre que pour un militaire ne pas heurter les populations signifie ne pas se trouver en situation de combats : rien à voir, pendant cette période de la conquête, avec une idée de respect des croyances de l’Autre. Il est probable que les officiers ont transféré des préoccupations franco-françaises héritées de la Révolution, comme la séparation de l’Église et de l’État, ainsi que les débats pluriséculaires sur la sécularisation dont nous savons qu’ils étaient particulièrement présents dans les esprits de ces officiers saint-simoniens issus de polytechnique. Ainsi, dans leurs écrits, ils envisagent le « chef de l’État musulman » comme un « chef de l’Église » et reprennent à leur compte les a priori sur le fanatisme.
-
[11]
Pour une première approche : Alexandre Popovic et Gilles Veinstein, Les voies d’Allah. Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui, Paris, Fayard, 1996.
-
[12]
E. de Neveu, Les Khouan. Ordres religieux chez les musulmans d’Algérie, imprimerie A.Guyot, imprimeur du Roi, Paris, 1846 (1ère éd. 1845).
-
[13]
Louis Rinn, Marabouts et khouans ; études sur l’islam en Algérie, Jourdan, Alger, 1884.
-
[14]
Les habous sont constitués de biens mobiliers et immobiliers.
-
[15]
Oissila Saaïdia, L’État français et les religions en contexte colonial : État colonial, catholicisme et islam dans l’Algérie du xixe siècle (1830-1914), Tome III de l’habilitation à diriger des recherches Entre Orient et Occident : religions et politiques au xixe et xxe siècles, soutenue à l’université Lumière Lyon 2, novembre 2011.
-
[16]
Mohamed-Chérif Ferjani, Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, Paris, 2005, p. 160.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Pour sa biographie cf. GillesDelanoue, Moralistes et politiques musulmans dans l’Égypte du xixe siècle (1798-1882), Ifao, Le Caire, 1982, p. 129-140.
-
[19]
O. Saaïdia, L’État français et les religions en contexte colonial, op. cit.
-
[20]
Jean-Louis Triaud, « Politiques musulmanes de la France en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 274.
-
[21]
J.-L. Triaud, « Politiques musulmanes de la France en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale », art. cit., p. 276.
-
[22]
Ibid., p. 277. Rappelons que Paul Marty, administrateur colonial en charge des Affaires musulmanes, est à l’origine de la politique de « l’islam noir ».
-
[23]
Guy Nicolas, « L’enracinement ethnique de l’islam au sud du Sahara. Étude comparée » Cahiers d’études africaines,1978, n° 71, p. 347-377 ; Jean Copans, Les marabouts de l’arachide, Paris, Le Sycomore, 1980,
-
[24]
J.-L. Triaud, « Politiques musulmanes de la France en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale », art. cit., p. 277.
-
[25]
David Robinson et J.-L. Triaud, Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentales françaises, v. 1880-1960, Paris, Karthala.
-
[26]
Toutes ces accusations ont été réactualisées par les missionnaires au cours du xixe siècle et par bien des auteurs. Les mécanismes de la construction d’un certain discours orientaliste sont bien connus aujourd’hui notamment par le travail incontournable d’Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2005 (1ère éd. 1980).
-
[27]
Dans son ouvrage, V. Dimier, Le gouvernement des colonies. Regards croisés franco-britanniques, Éditions de l’université de Bruxelles, Bruxelles, 2004, démonte les mécanismes qui ont conduit, dans l’entre-deux-guerres, à l’élaboration des concepts de direct et indirect rule. Elle développe une hypothèse originale et convaincante sur les interactions nationales et internationales dans la construction des représentations coloniales. La science coloniale reste tributaire de données idéologiques qui entendent répondre à un contexte précis. En ce sens, elle est une construction sociale élevée au rang de vérité scientifique.
-
[28]
F. Robinson, « The British Empire and the Muslim World », op. cit.
-
[29]
Ce paragraphe s’appuie sur l’article de S. Mervin, « L’entité alaouite, une création française », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 343-358. Se reporter aussi à Sabrina Mervin, « Quelques jalons pour une histoire du rapprochement (taqrîb) des alaouites vers le chiisme », dans Islamstudien ohne Ende, Festschrift für Werner Ende, Deutsche Morgenländdische Gesellschaft, Ergon Verlag, Würzburg, p. 281-288.
-
[30]
À travers l’histoire des missions catholiques en Syrie et au Liban, les connivences entre les religieux et les autorités françaises sont mises à jour. Lazaristes, jésuites et autres religieux ont diffusé l’influence française et servi, pour certains, de relais d’informations. C’est notamment le cas du père jésuite Henri Lammens. Voir, entre autres pour les xixe-xxe siècles, Jérôme Boquet, Missionnaires français en terre d’Islam : Damas 1860-1914, Paris, Les Indes savantes, 2005, et Chantal Verdeil, La Mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie, 1830-1864, Paris, Les Indes savantes, 2011.
-
[31]
De plus, pendant la période mandataire, un berger, Sulayman Murchid, s’est présenté comme nouveau prophète, il a même été élu député et a constitué un groupe, la murchidiyya, qui est toujours en activité.
-
[32]
Ce développement s’appuie sur l’article de P.-J. Luizard, « Le mandat britannique et la nouvelle citoyenneté irakienne dans les années 1920 », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 401-407. Se reporter aussi à P.-J. Luizard, La Question irakienne, Fayard, Paris, 2004.
-
[33]
Ibid., p. 402.
-
[34]
Ibid., p. 405.
-
[35]
A. Mohamed-Arif, « Les Britanniques et l’islam dans le sous-continent indien : pourquoi l’indépendance a-t-elle correspondu à la partition ? », dans P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, La découverte, Paris, 2006, p. 413.
-
[36]
Ibid., p. 414.
-
[37]
O. Saaïdia, « Droit musulman », dans Olivier Christin (dir.), Dictionnaire des Concepts Nomades des Sciences Sociales, Paris, Métailié, 2010, p. 133-144.
-
[38]
Bernard Botiveau, « Droit », dans F. Mardam-Bey (éd.), France-Arabies. Bibliographie sélective, Paris, ADPF : Min. des Affaires étrangères et Institut du monde arabe, 2005, p. 271.
-
[39]
La taqiyya est aussi la solution proposée par des théologiens chiites à leurs coreligionnaires soumis aux persécutions sunnites et qui ne peuvent partir. Toutefois, elle se distingue de celle préconisée en situation coloniale car chez les chiites elle implique une conversion extérieure au sunnisme et le maintien de la foi chiite. La taqiyya s’apparente alors à une forme de crypto-chiisme.
-
[40]
Signe d’un changement des temps, dans un article publié le 20 octobre 2012 dans Le Matin DZ, « L’émir Abdelkader, une famille en or !!! », Ali Farid Belkadi compare Abd el-Kader à Pétain : « Pétain version algérienne, signant l’armistice avec les occupants de son pays […]. L’émir Abdelkader, Sultan de Mascara, fut un autre Maréchal Pétain. Leurs destins morcelés se recoupent et s’assemblent. ».
-
[41]
Abd el-Kader intervint en 1860 pour arrêter le massacre des chrétiens et des Européens lors de troubles confessionnels à Damas. Il conserve une image positive en France, notamment dans les milieux ecclésiastiques.
-
[42]
Mercedes Garcia-Arenal (dir.), Mahdisme et millénarisme en islam, REMMM, no 91-94, juillet 2000.
-
[43]
Jacques Frémeaux, Les bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Denoël, Paris, 1993, p. 114. Frémeaux précise que la croyance au moul es-saa dépasse de beaucoup le personnage de Bou Maza : des visionnaires de tout genre sont alors sanctionnés par les autorités. C’est ainsi qu’en novembre 1849, dans le cercle d’Orléanville, un homme affirme avoir rencontré deux envoyés du ciel. La réaction des officiers est prompte : « le bureau arabe, averti à temps, vint couper court au miracle à l’aide d’une amende de cinq douros sur chaque tente et la menace d’une punition beaucoup plus forte… » à l’encontre de quiconque rapporterait cette histoire. Voir aussi Julia Clancy-Smith, « La révolte de Bû Ziyân en Algérie, 1849 », dans M. Garcia-Arenal (dir.), Mahdisme et millénarisme en islam, REMMM, no 91-94, juillet 2000, p. 181-208. Au début du xxe siècle, les autorités sont toujours très attentives à ce type de manifestation. C’est ainsi qu’en juillet 1903, le gouverneur général informe le préfet d’Alger de la circulation dans les cafés maures d’une lettre d’un certain cheikh Ahmed où il relate un rêve dans lequel le prophète de l’islam lui aurait confié une mission. Dès la mi-juillet, l’affaire est démentie (CAOM, 2U23, dossier « zaouïas non affiliées, 1861-1914 »). À près de cinquante ans de distance, alors que les contenus de ces visions ne sont pas hostiles à la domination coloniale, les Français restent soupçonneux face à des manifestations qui relèvent de croyances populaires.
-
[44]
Ali Merad, L’islam contemporain, 5e éd., Paris, puf, 1994 (1ère éd. 1987), p. 19.
-
[45]
Al-Manâr (le phare) est le titre du journal fondé par Abduh et R. Rida dont la diffusion touche l’ensemble du monde musulman.
-
[46]
F. Robinson, « The British Empire and Muslim Identity in South Asia », Transactions of the Royal Historical Society, vol. 8, 1998, p. 271 - 290.
-
[47]
Ibid, p. 274.
-
[48]
Ibid, p. 279.
-
[49]
Ibid.
-
[50]
Les Britanniques ont soutenu les missions de la Ahmadiyya en Afrique de l’Est et de l’Ouest dans les années 1920.