Notes
-
[1]
Il s’agit du colloque présenté dans l’introduction au dossier, qui s’était tenu à Lyon le 3 décembre 2010 sous le titre « Matteo Ricci, une porte toujours ouverte entre Occident et Orient ».
-
[2]
Grand Ricci, abréviation usuelle pour désigner le Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise. Co-édition Intituts Ricci Paris-Taipei – DDB. Décembre 2001. 7 volumes. isbn : 2-204-08266-X
-
[3]
Selon le sinologue allemand Wolfgang Franke (1912-2007).
-
[4]
L’année même de la célébration du quatrième centenaire du décès de Matteo Ricci en 2010 est publié un lointain descendant de son premier dictionnaire portugais-chinois, Le Grand Ricci Numérique.
-
[5]
Le professeur agrégé doctorant Vito Avarello.
-
[6]
Nicolas Trigault S.J (1577 – 1628, historiographe de la mission Matteo Ricci)
-
[7]
Voir bibliographie en fin d’article
-
[8]
Michela Fontana, Matteo RICCI - Un jésuite à la cour des Ming, Préface Marianne Bastid-Bruguière, Traduction Robert Kremer, Florence Leroy, Ugo Lumbroso. Salvator, 2010
-
[9]
Arlette Chabot, André Glucksmann, Anne Lauvergeon et Christine Ockrent.
-
[10]
Xu Guangqi (Shanghai 1562 – Pékin 1633), baptisé sous le nom de Paul, lettré devenu ministre et principal élève puis disciple de Matteo Ricci
-
[11]
« L’œuvre italienne de Matteo Ricci : anatomie d’une rencontre chinoise ».
-
[12]
Nom chinois de Matteo Ricci
-
[13]
D’après une conversation avec François Hominal.
-
[14]
Messages de Benoît XVI de 2007 lors d’un colloque à Macerata et de mai 2009 à Mgr Claudio Giuliodori, évêque de Macerata, à l’occasion des préparations des évènements de la célébration du quatrième centenaire de la mort de Matteo Ricci. Audience accordée à l’Association Ricci le 24 octobre 2007 où le Pape a qualifié le Grand Ricci de « monument historique ». Messages de Jean-Paul II en 2001, à l’occasion d’un colloque à l’université grégorienne et en octobre 1982, aux participants du Congrès à l’occasion du quatrième centenaire de l’arrivée de Matteo Ricci en Chine.
-
[15]
Article de Thierry Meynard, S.J, « Dans l’attente de la résurrection », informations disponibles sur le site www.jesuites.com à partir de Following the Footsteps of the Jesuits in Beijing – A Guide to Sites of Jesuit Work and Influence in Beijing. The Institute of Jesuit Sources, Saint Louis, 2006. isbn : 978-1-880810-66-2.
-
[16]
En transcription pinyin actuelle on trouve « Ri » mais la prononciation chinoise se rapproche plus du son « je » français que du son « ri », le son « r » n’existant pas en chinois.
-
[17]
Entretiens de Confucius, chapitre 13
-
[18]
Les traductions sont extraites du Grand Ricci
-
[19]
Ne sont pas reproduits ici les parties expressions ou usage anciens qui pourront facilement être consultées dans le Grand Ricci, édition papier ou numérique (caractère N° 7541)
-
[20]
Matteo Ricci a soumis et fait corriger ses écrits chinois qu’ils soient courriers officiels, traductions ou publications
-
[21]
Matteo Ricci a été désigné comme le Confucius chrétien. Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Confucius (K’UNG TZU) (–551 / –479), Yang Huanyin. Paris, Unesco : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, n° 1-2, mars-juin 1993, p. 223. © Unesco : Bureau international d’éducation, 2000.
-
[22]
Les quatre livres du confucianisme : Les Analectes, La Grande Etude, L’Invariable Milieu et Le Mencius
-
[23]
À l’époque de Matteo Ricci, le portugais est la langue de la mission en Asie
-
[24]
Voir Préface du Grand Ricci en article connexe
1Que la manifestation de la clôture de l’année Ricci en France se produise dans la ville de Lyon [1] semble faire sens, non seulement parce que cette ville est parfois nommée à juste titre ville italienne mais aussi du fait qu’elle a été une des capitales européennes de la Renaissance, deux faits qui nous rapprochent au plus près de l’environnement de Matteo Ricci. Ce colloque – ce n’est pas un hasard – se tient à la Bibliothèque de la Part-Dieu qui abrite le fond jésuite des Fontaines. Cet ancien centre jésuite est cher à de nombreux membres ou proches des Instituts Ricci, qui ont encore en mémoire une partie de leurs meilleurs souvenirs de leur parcours de formation à la culture chinoise lors de sessions organisées par Claude Larre, l’un des Compagnons de Jésus à qui on doit la publication du Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise et à qui ce colloque est l’occasion de rendre hommage.
2L’œuvre de Matteo Ricci nous renvoie à un personnage qui réorganise pour partie la conception chinoise de l’espace avec l’appropriation par l’Orient de mappemondes plus représentatives de la planète terre. En quelque sorte, Matteo Ricci bouscule le rituel chinois ; la cour a autorisé la sépulture d’un noble étranger sur une de ses terres et avait au moins temporairement institué le poste qui pourrait paraître à priori naïvement nommé, de « responsable des horloges ». Cette appellation n’a de légèreté que le nom quand on connaît toute l’importance de cette charge pour Matteo Ricci et c’est en partie grâce à cette fonction acquise suite à un choix judicieux de cadeaux pour l’empereur, que lui-même et ses compagnons ont pu prolonger leurs séjours et par voie de conséquence ceux de leurs successeurs à la cour de Chine.
3Au monde chinois, le voyageur italien donnera accès aux nouvelles sonorités de la musique occidentale, à des langues encore quasi-inconnues, à une nouvelle conception des mathématiques et plantera la tente du catholicisme en Chine. Nous voici face à un personnage qui, dans le pays du rituel immuable, a réussi à transformer ou au moins à faire des apports conceptuels et/ou pratiques tant dans les domaines de l’espace, du temps, de l’acoustique, de la pensée scientifique et a introduit une nouvelle spiritualité, ce qui, on en conviendra, n’est pas de l’ordre de l’anecdote.
4Pour apprécier pleinement la compréhension des étapes de la genèse qui a favorisé l’aventure du Grand Ricci [2] et particulièrement, le contexte originel qui l’a permise, il parait intéressant de se focaliser dans un premier temps sur les aspects qui perdurent dans l’actualité du personnage éponyme tout en gardant bien en mémoire que l’encyclopédie Grand Ricci, plus grande encyclopédie au monde du chinois vers une langue occidentale, en l’occurrence le français, constitue l’héritage le plus actuel et probant pour le monde francophone.
5Le titre du colloque, « la porte “toujours” ouverte », interroge les éléments factuels représentant la partie encore d’actualité voire celle la plus vivante de l’œuvre du personnage. L’Italie encore plus concernée par le quatrième centenaire a aussi eu son colloque de clôture d’année Ricci et c’est sur une thématique relativement proche que se sont penchés nos amis italiens de Macerata, lieu de naissance de Matteo, celle de l’« actualité de Ricci ».
6Rappelons ici pour mémoire sans pour autant les développer – ils sont connus et nombre d’ouvrages les mentionnent –, la classique liste des apports de « l’intermédiaire culturel le plus éminent de tous les temps entre la Chine et l’Occident [3] », tant en Chine que par ricochet en Occident du fait que Matteo Ricci a rédigé courriers, rapports et traductions d’œuvres à partir du chinois. Il est reconnu que Matteo a principalement fait prendre conscience à la Chine et ce, de manière définitive, de l’existence de l’extrême Occident et qu’il a largement contribué à la participation d’un intérêt envers le monde non-chinois. S’ajoutent le développement de la pensée scientifique locale, notamment dans les domaines des mathématiques, de la géographie, sans oublier des apports en matière de musique occidentale et au niveau de l’essentiel de sa mission, de ce qui l’avait conduit en Chine, à savoir : préparer les esprits à reconnaître sa religion qu’il qualifiait de véritable, celle du christianisme. Il a participé à l’éclairage des esprits de la Renaissance en Europe, quand il fait difficilement mais définitivement confirmer que la Chine était bien le Cathay mentionné par Marco Polo et a fait connaître un monde jusqu’alors très peu connu des Occidentaux. Il a surtout installé le premier couloir de communication de connaissances et de pensées entre deux mondes jusqu’à lui séparés. En traduisant Confucius, sans être certainement totalement conscient des conséquences, il a créé une science qui allait devenir la sinologie. Il invente tout d’abord un système de transcription alphabétique du chinois et sera à l’origine d’une longue lignée de dictionnaires dont quatre cents ans plus tard, de nouvelles parutions continuent à ponctuer la tradition [4]. Là encore est confirmé, qu’outre le commerce, ce sont les religions qui ont véhiculé les langues. Enfin, et ce n’est pas le moindre apport tant sa validité perdure, il est l’initiateur d’une méthode réussie d’approche interculturelle valable dans le sens Occident-Orient mais aussi Est-Ouest, s’agissant pour ces derniers points non pas tant d’un contenu mais plus encore d’un processus.
7Avant de proprement développer les étapes qui ont conduit à la publication des dictionnaires Ricci, et afin de d’observer dans quelle mesure la « porte Ricci » reste « toujours ouverte » et d’actualité, répertorions quelques points de continuum qui interpellent. La méthode, une cartographie du territoire du xxie s. en matière de ce qui perdure dans l’ordre du concret, des traces du personnage, ne se prétend pas exhaustive. Elle se propose d’étudier des points saillants entre ce qu’a entrepris, apporté et créé Matteo Ricci et ce qu’il en reste aujourd’hui. Il est à ce propos surprenant de constater que plusieurs de ses apports ou conséquences de la mission sont encore valables aujourd’hui et survivent presque dans le même état d’actualité qu’il nous les a laissés.
Écrits et correspondances
8Nous avons accès à de nombreux écrits et correspondances anciens et mais aussi à des études et commentaires plus récents, et plusieurs chercheurs tant de ce côté du monde, qu’en Amérique ou en Chine, s’intéressent au cas Ricci. Même en France, alors qu’il n’y a laissé aucune trace directe de son vivant puisqu’il semble admis que Matteo Ricci n’ait pas eu l’occasion d’un tel voyage, une thèse d’état a été soutenue [5]. De nombreux documents sont encore à étudier et certains à réétudier. De trop nombreux travaux s’appuient sur les seuls documents indirects, sur le travail de Nicolas Trigault [6] notamment, mais délaissent quelquefois les informations de source directe qui transpirent des écrits de l’homme qui dès sa jeunesse passe pour homme de caractère et de convictions. Matteo Ricci a dérogé à la tradition de l’époque qui voulait que le fils suive la voie dictée par le père. Il ne devient ni apothicaire comme l’aurait voulue une classique transmission familiale ni même juriste comme son père l’aurait souhaité et ne retournera pas dans sa famille pour la saluer et l’étreindre après ses études à Rome alors qu’il la quitte pour toujours en choisissant la mission en Asie. Il est nécessaire de retourner à la source pour tirer pleinement les conséquences du travail du sage venu d’Occident. Il peut aussi être beaucoup attendu de l’éclairage de la Chine actuelle qui avait pendant la période depuis la prise du pouvoir par les communistes jusqu’aux années dites d’ouverture, occulté les contributions de Ricci. Le nombre important de biographies [7] qui circule est également gage d’un intérêt croisé du monde de la recherche et de celui du public. Notons que, dans la catégorie biographie politique, le Grand Prix 2010, a été décerné à la traduction française du livre de la journaliste et enseignante Michela Fontana [8]. La composition du jury [9] de ce prix témoigne du niveau d’intérêt de l’ouvrage et contribue à la connaissance du personnage à un public toujours plus élargi.
Années Ricci : toute la vie d’un homme
92010 ne peut se définir comme seule année mémorielle Ricci ; c’est plus exactement un cycle entier, représenté par la commémoration de toutes les années de la vie d’un homme, que l’on vient de célébrer. On parle à ce titre des années Ricci de la fin du xxe et du début du xxie s. et des célébrations à la mémoire de l’arrivée de Matteo Ricci à Macao avaient eu lieu en 1982 puis en 1983, quatrième centenaire non seulement d’entrée en Chine continentale de l’Italien, mais aussi année commémorative des 350 ans du décès de son ami spirituel Paul Xu [10]. 2011 pourrait encore être l’occasion de célébrer l’anniversaire des funérailles du jésuite sinologue.
Xu Guangqi (1562-1633)
Xu Guangqi (1562-1633)
10La contribution d’universitaires de tous pays, sinologues ou non, aux colloques de clôture du quatrième centenaire en 2010 est preuve d’un intérêt croissant. Plusieurs réunions internationales ont eu lieu en Chine, de très nombreuses en Italie dont à Macerata et en France par exemple. Deux manifestations se sont tenues à Paris à l’Unesco la même année 2010 : l’une le 16 février 2010 « De l’amitié : une méthode pour la rencontre » ; et l’autre, les 27 et 28 mai, « L’échange des savoirs entre la Chine et l’Europe au temps de Matteo Ricci (1552-1610) ».
11Issy-les-Moulineaux, ville jumelée avec Macerata, a organisé sa conférence Matteo Ricci. Le nombre des auditeurs témoigne d’un intérêt du grand public pour le personnage.
12Un universitaire de l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, spécialiste de littérature italienne notamment de littérature de voyage du xvie s., de l’humanisme et de l’altérité, a soutenu une thèse en mars 2011 à l’université d’Aix en Provence [11].
13Le point culminant de l’année 2010 aura cependant été le 11 mai. Diverses célébrations ont marqué la mémoire du jour du décès du Père Ricci. C’est tout particulièrement à Shanghai qu’ont été organisés le plus grand nombre d’événements et la ville doit ce privilège au fait que Xu Guangqi en était natif et que des descendants directs ont continué à y ancrer le christianisme. Tout d’abord, tôt le matin du 11 mai, un pèlerinage regroupait au sanctuaire marial de Sheshan à l’Ouest de la ville, une bonne partie du clergé du diocèse qui a assisté à une messe célébrée par l’évêque de Shanghai, Mgr Aloysius Jin Luxian dans la basilique comble. Il avait fait réaliser à l’occasion des célébrations, deux médailles, l’une à la mémoire de Li Madou [12], l’autre de Xu Guangqi.
14Une conférence en présence du consul général d’Italie à Shanghai, Massimo Roscigno a suivi cette célébration. Parallèlement, un autre colloque avait lieu au Xu-Ricci Dialogue Institute de l’université Fudan, organisé par le père Benoît Vermander, un des co-directeurs de ce nouvel Institut rattaché à la Faculté de philosophie.
15Une soirée organisée par l’Association Ricci au prestigieux Musée de Shanghai, a clos ces manifestations le 11 mai 2010, un mardi tout comme le 11 mai 1610 était aussi un mardi et, des quarante journalistes chinois et étrangers présents, tous ont voulu faire mémoire de cette soirée dédiée au quatrième centenaire et à la parution du Grand Ricci Numérique.
16Macerata a bien évidement aussi eu ses manifestations et sa soirée du 11 mai et le décalage horaire a permis de visionner quelques photos de l’événement de Shanghai qui s’était terminé quelques heures plus tôt.
17Pékin, capitale et but ultime du voyage du missionnaire, n’a pas pu rivaliser avec Shanghai quant aux festivités du 11 mai et le nombre réduits de sites Web qui rapportent le contenu des manifestations n’infirme pas cette importance moindre. Il est vrai que le relais chinois du christianisme n’y a pas essaimé, contrairement à Shanghai, à partir de la famille d’un ministre de l’empire. Après un colloque Symposium on China-European Cultural Exchange and Applied Ethics qui s’était tenu dans la matinée, une messe a été concélébrée dans l’après midi par Mgr Li Shan, évêque de Pékin ainsi que par un grand nombre d’autres prêtres chinois et un prêtre étranger pendant laquelle des chants composés en chinois par Ricci et des mélodies en latin ont été entonnés par une chanteuse chinoise et un groupe de musiciens philippins. Après la célébration, une série d’interventions ont été menées à propos de la vie de Matteo Ricci notamment par Ricardo Sessa, ambassadeur d’Italie en Chine et des gerbes ont été déposées sur la tombe [13].
18D’autres lieux ont fait mémoire du personnage. Ainsi le président de l’Université de Seattle, Stephen V. Sundborg sj a-t-il décrété le 11 mai 2010, jour de Matteo Ricci. Citons encore le Scolasticat oblat d’Obra en Pologne, et la tenue de manifestations à Hong Kong ainsi qu’à Taiwan.
19Tant Benoît XVI que Jean-Paul II en son temps ont mis en valeur le travail accompli par Matteo Ricci dans l’approche des deux civilisations comme dans la diffusion du catholicisme [14].
20De riches expositions ont été montées ; citons pour mémoireMatteo Ricci - Meeting of civilization in Ming China qui a été présentée à Rome avant d’être successivement mise en place dans les musées de Pékin, puis de Shanghai, de Nankin et enfin à Macao.
21Une trentaine de panneaux réalisés par l’Institut Ricci de Paris ont aussi circulé en France et ont été visibles au Palais de la découverte.
222010 a été décrétée année officielle Ricci non seulement en Italie mais aussi en France et y a été inscrite au catalogue des célébrations nationales dans la rubrique « économie et société » par le Haut comité des célébrations nationales placé sous la tutelle de la direction des Archives de France du ministère de la culture et de la communication. En préface du catalogue des heureux élus, il est mentionné que sont mis à l’honneur une « liste des individus dignes d’être célébrés, c’est-à-dire de ceux dont la vie, l’œuvre, la conduite morale, les valeurs qu’ils symbolisent sont, aujourd’hui, reconnues comme remarquables ». Cet honneur est dû à ce que l’édition du plus grand dictionnaire du chinois vers une langue occidentale est française et est un travail dans la lignée de celui du célèbre bâtisseur de ponts entre mondes occidental et chinois.
Des Institutions et Associations
23Dans le monde existent plusieurs Instituts Ricci – Instituts Ricci de Macao, de Paris, de San Francisco et de Taipei, ainsi que l’Istituto Matteo Ricci per le relazioni con l’Oriente à Macerata, l’Institut Xu-Ricci de l’Université Fudan à Shanghai et l’Association Ricci du grand dictionnaire français de la langue chinoise. Des collèges et lieux d’enseignement « Matteo Ricci » existent dans plusieurs pays.
Des représentations du personnage
24Matteo Ricci a toujours, pourrait-on dire en forme de boutade, bon pied bon œil, et est présent de par la statuaire qui lui est consacrée, qu’il soit visible dans la cour de la cathédrale de Nantang à Pékin, dans une droiture qui semble manquer un peu de souplesse, ou à Shanghai avec son ami fonctionnaire impérial Xu Guangqi, représentation où fuse un élan presque palpable entre les deux hommes tout prêts à partager et à convaincre. Le sculpteur italien Dionisio Cimarelli a réalisé une statue pour le pavillon italien de l’Exposition universelle de 2010. D’autres projets sont en cours ; citons les désirs de petites paroisses chinoises mais qui n’ont généralement pas les artistes ni, comme Macerata ou Issy-les-Moulineaux, les budgets encore suffisants à ce jour pour venir à bout de leur projet.
25L’Association Ricci du grand dictionnaire français de la langue chinoise a fait réaliser par Marie Bayon de la Tour, sculpteur et petite nièce du Père Teilhard de Chardin, une maquette d’une statue qui pourrait être érigée sur le square Macerata de la ville d’Issy-les-Moulineaux. La maquette a été exposée brièvement au Musée Guimet et si le bouclage du budget le permet, l’année 2011 verra l’inauguration du projet final.
26Le bâtiment du millenium de Pékin (????? zh?nghuá shìjìtán) inauguré pour le passage au troisième millénaire met en exergue les figures qu’a retenues l’histoire de Chine et érige Matteo Ricci comme icône nationale en le représentant comme contributeur significatif.
La tombe de Matteo Ricci à Pékin et sa symbolique
27La tombe de Matteo Ricci donne aussi une lecture de l’importance qu’ont accordée tant l’empire du milieu que la République populaire de Chine au savant missionnaire depuis 400 ans. Dans le rituel chinois, l’empereur n’attribue que de manière tout à fait exceptionnelle une terre à titre de services rendus. C’est pourtant bien ce qui se produit quand la Compagnie de Jésus reçoit, à l’Ouest de Pékin, un terrain pour la sépulture du fondateur de l’Église de Chine qui s’est éteint le 11 mai 1610. Le don n’est pas neutre. Trois éléments en témoignent.
28Tout d’abord c’est un don officiel qui émane au nom de l’empereur, de son entourage proche. Ensuite, s’agissant d’un étranger que l’on a autorisé à résider, sa mémoire devient officiellement prolongée pour l’éternité. De plus, au vu d’un contexte cultuel d’une culture qui honore ses ancêtres, la résultante est que le mort peut continuer à être honoré et entre dès lors dans le cadre culturel chinois, en quelque sorte dans son panthéon, dans son patrimoine. Ses mânes sont de l’ordre du propitiatoire pour le devenir du pays. Un mauvais pas, un descendant qui commet un écart et le lieu de culte du mort (tombe mais aussi tablettes pour les Chinois) est détruit.
29Or, 400 ans plus tard, malgré quelques dommages lors de la révolution des Boxers et pendant la Révolution Culturelle, mais ensuite réparée aux frais de l’État communiste, la tombe est visible et voit passer des visiteurs curieux ou nostalgiques mais surtout des hommes qui veulent rendre hommage à Matteo. Au total, ce sont 64 tombes de missionnaires qui constituent actuellement le cimetière de Zhalan [15].
30C’est un paradoxe – mais Matteo avait intégré cette particularité récurrente de la culture chinoise, la non déstabilisation des éléments contradictoires dans sa démarche à tel point que les Chinois disaient de lui, « il s’est fait chinois parmi les Chinois » –, la tombe, lieu d’honneur à sa mémoire, semble être vide. Vide au sens propre certes mais aussi vide au sens de la pensée chinoise, un vide qui est plénitude. On admettra toute l’importance du symbole de l’emplacement en terme systémique, particulièrement dans un pays dont les concepts en sont pleinement empreints. Parce qu’il a toujours érigé ses héros en modèles quelquefois aux dépens de la richesse et de la diversité, le peuple chinois n’est pas insensible au culte des grands hommes, qu’ils soient ancêtres ou contemporains. Et c’est bien au centre du centre qu’est édifié le caveau de Matteo Ricci, la tombe est au milieu de la résidence de l’École du parti communiste du « pays du milieu ». La tombe est vide mais en Chine, le vide est toujours lié à la plénitude et c’est ainsi que le système chinois se retrouve en forte connexion avec celui qu’il enserre en son sein et aura à se questionner sur cette symbolique.
Une identité : un habit et un nom
De la soutane à l’habit de bonze puis de lettré
31Matteo Ricci est d’abord entré en Chine en habit de bonze suivant le modèle de François-Xavier sj au Japon puis, à partir de 1594, il prend l’habit des lettrés chinois. On parle souvent des conséquences qu’ont eues les changements vestimentaires des Jésuites. Ils ont été, n’ayons pas peur des mots, vecteur d’intégration. Encore une fois, ils ont été un des éléments constitutifs du « se faire chinois parmi les Chinois » alors que tout le clergé est encore à la fin du xvie s. en soutane et dentelles et tourne le dos à ses ouailles pendant la célébration, il est difficile de réaliser le poids de cette décision. Encore aujourd’hui, on parle d’intégration de populations d’origine musulmanes par exemple à celles de l’Europe, d’abord en fonction de l’aspect vestimentaire. Il est vrai qu’à un niveau dans un premier temps superficiel, la confiance s’établira plus rapidement en fonction d’une similitude. Il est mon semblable donc j’ai moins à vérifier avec mon interlocuteur mes propres critères de gages de respectabilité. Un lettré chinois partagera plus, au moins au niveau de l’inconscient, un socle commun avec un Matteo Ricci pareillement vêtu qu’avec un bonze trop souvent suspecté de plusieurs maux. Matteo Ricci a de plus rapidement compris l’intérêt d’un rituel en chinois et non pas en latin. Il en va de même aujourd’hui dans le monde profane, en ce qui concerne l’étiquette et principalement la business étiquette, qui met en confiance et est gage de respectabilité quand elle est partagée par les interlocuteurs occidentaux qui se prévalent d’être entendus du monde chinois. Matteo Ricci en est un des précurseurs.
Un nom totalement sinisé
32Il est encore allé plus loin en prenant un nom prononçable par son peuple d’accueil et même un nom que l’on peut qualifier de totalement sinisé. Matteo Ricci devient ??? Li Madou actuellement simplifié communément en Chine continentale en ??? Lì M?dòu.
33Il est surprenant que Matteo Ricci ait pu dès le début du xviie s. avoir cette idée de siniser son nom, conformément à l’usage han le plus courant, en dédiant comme c’est l’usage, le premier caractère à son patronyme familial ; ainsi le patronyme Ricci qui ne doit comporter suivant la représentation chinoise la plus courante qu’une seule « syllabe » et donc un seul caractère devient Li [16]. Matteo devient Madou. Un nom occidental bien traduit est toujours la résultante en partie d’un choix d’un ensemble de caractères dont la prononciation se rapproche au plus près du nom d’origine et en même temps d’une volonté d’appropriation d’une qualité et/ou et d’un lien du fait que le prénom a un signifiant. Il existe encore aujourd’hui des Occidentaux bien intentionnés qui ont de longs noms en chinois et qui ont trouvé judicieux de transcrire avec une équivalence de caractère pour chaque syllabe et, de plus, avec leur prénom qui précède le nom de famille. De ces personnes, il en existe encore en ce début du xxie s., même parmi les sinisantes, qui n’ont pas encore compris ce qu’a initié Matteo Ricci. Celui-ci simplifie la tâche de ses interlocuteurs chinois. Il les veut prêts à l’entendre sur l’inattendu et a balayé, autant que faire ce peu, tous les obstacles préliminaires. Il avait assimilé une composante importante de la culture chinoise : l’importance de l’attribution des noms. Dès le plus jeune âge, la famille donne un nom à l’enfant. Mais à l’enfant est d’abord attribué un nom de petite enfance qui n’est pas le véritable nom du nourrisson. Ainsi, le mauvais esprit, en ces temps d’importante mortalité infantile, pourra se tromper de cible. Le mandarin fait porter sa carte de visite qui est reçue sur un plateau dans la maison de ses hôtes pour que la maison soit préparée en conséquence ou que les hôtes, suivant leur rang, acceptent ou refusent l’interlocuteur qui visite ses correspondants. La carte qui comporte le nom est déjà une partie de soi. Il n’y a qu’à voir la déférence que les Asiatiques ont lors des échanges de cartes et, tous les milieux sont concernés, qu’ils soient politiques, intellectuels ou celui des affaires pour en comprendre l’importance. Donner sa carte, son nom complet, c’est déjà dévoiler une partie de son identité. Le nom de famille définit le clan et les caractères du prénom révèlent des qualités que ce clan attend de son descendant. Ainsi l’empereur a-t-il plusieurs noms. À certaines époques les caractères du nom de l’empereur sont comme sa personne si sacrés, qu’ils ne doivent pas être utilisés pour d’autres usages.
Quel est le signifiant du nom de ??? Lì M? Dòu ?
34Dans le contexte culturel chinois, il y a donc importance du nom et tout particulièrement dans le contexte confucéen qui est celui de Matteo Ricci dans ce qui est communément appelé « la rectification des noms » [17]. Le nom n’est pas neutre. Les choses ont à être justement nommées mais c’est parce qu’elles sont justement nommées, calligraphiées, en fonction de l’essence de ce qu’elles sont, que l’action de décrire mais aussi d’être rendues agissantes est juste et que tout est en place. Il devient, dans ce contexte, intéressant de se poser la question du signifiant du nom de ??? Lì M? Dòu [18].
35Il est à noter que le nom de famille n’est pas utilisé comme qualifiant puisqu’il est transmis et non pas choisi.
36Avec l’aimable autorisation de l’Association Ricci, reproduisons ci-contre tout ou partiellement les notices du Grand Ricci des caractères concernés.
1. a. Profit, profitable ; gain ; avantage ; intérêt ; utilité. Profiter à ; être avantageux pour ; être utile à. – b. Intérêts (de l’argent). 2. b. Les vrais avantages, ce qui plaît, procure le bonheur et profite à tous. C’est donc l’attitude juste et convenable. c. Bénéfice ; avantage ; puissance exprimant la vertu de l’automne et de l’ouest, la réalisation du bien et le début du repli ; c’est l’un des quatre temps du mouvement vital rythmé à l’image des quatre saisons. Il se combine avec les trois autres (? yuán, ? h?ng et ? zh?n) pr générer et construire tous les êtres. C’est le fondement des rites, ? ?l. 3. a. Utiliser. Utilisation. b. Posséder ; exploiter. 4. Facile ; naturel ; spontané. 5. a. Intérêt personnel, égoïste. Intéressé. b. Richesses ; biens ; ressources. c. Convoiter. Cupide. 6. a. Propice ; heureux ; favorable. b. Convenable ; efficace. 7. Beau ; bon ; excellent. 8. Rapide ; violent (en parl. du vent). 9. Aigu ; pointu ; tranchant ; effilé. 10. (Méd. chin. trad.) a. Fonctionnement normal ; écoulement régulier ; élimination correcte. b. Restituer l’écoulement normal
12. (Relig. chin. – anc.) Nom d’une fonction ds le cérémonial des rites pr les défunts. 16. N. f. – Cf. Dossiers.
? M?
1. Ds ? m? n?o (Minér.) Agate. 2. Car. utilisé pr la transcr. phon. de termes étrangers.
? Dòu
1. Trou ; caverne. 2. Cave ; silo à grains souterrain. 3. Ouvrir une brèche. 4. Canal d’irrigation ; rigole. 5. (Anat.) Sinus ; antre. Sinusal. 6. Porte latérale ; petite ouverture dans un mur. 7. (Hist.) Dou : grande famille alliée par mariage à la lignée impériale et qui prend l’ascendant sous le règne de ?? He Di (88-105 ; dyn. ?? Han de l’Est [25-220]). 8. N. f.
Un nom à forte connotation de sagesse
37Quant à la partie représentant le prénom, le Grand Ricci indique que la première syllabe est issue ou qu’elle désigne de façon abrégée ?? m? n?o, l’agate et que ? m? est utilisé pour la transcription des caractères de noms propres et tout particulièrement ceux des étrangers occidentaux [19], notamment pour les noms propres de la Bible et très fréquemment pour les noms des chrétiens dont le nom contient la syllabe « ma ». Aussi, un Chinois qui ne connaîtrait pas le monde de la Bible ou le personnage de Matteo Ricci mais qui connaîtrait cette spécification de l’utilisation de la syllabe « ma » – ce qui est très peu probable pour un Chinois car s’il a fait la démarche de s’intéresser au monde spirituel occidental, c’est le plus souvent par la « porte Matteo Ricci » –, pourrait aujourd’hui déduire de la lecture du nom de Li Madou qu’il y a une probabilité que cet homme soit étranger voire se poser la question de savoir s’il est chrétien. Ainsi, les figures de Marthe, Marie, Matthias, Marthe, Marc, Saint Martin ainsi que beaucoup d’autres mais aussi plusieurs figures de l’ancien testament dont le nom contient la syllabe « ma » dans la prononciation occidentale sont traduits en chinois par un nom qui contient ce caractère. Matteo Ricci en choisissant ce nom inaugure une tradition avec, on peut le supposer, l’aide de ses amis chinois [20]. Pourquoi Matteo a-t-il, avec l’approbation de ses amis chinois, opté pour ce nom ? Est-ce pour la qualité de la pierre ou de la Sainte qui a un nom proche ? Pour la deuxième partie du prénom, la grotte a un lien avec la sagesse et le canal d’irrigation, un nom en lien avec l’objectif de sa mission, porter le Christ lié à l’eau qui étanche les soifs. Dans tous les cas, son nom a, pour le monde oriental, une forte connotation de sagesse.
38Aussi, ??? Lì M? Dòu, résonne-t-il dans son sens étymologique pour le peuple des sinogrammes, en un « Monsieur Li, caverne d’agate ou agate qui ouvre une brèche » bien que le ? m? dans un sens plus usuel serait à entendre simplement phonétiquement. Plus couramment, le sage d’Occident est perçu comme Monsieur Li, et porte le prénom de caverne, grotte, canal Ma.
Une posture, l’écoute
Une posture martiale
39Matteo Ricci a su intégrer des codes, un langage, un aspect, une étiquette et une culture pour être audible. La Chine est officiellement et concrètement à cette époque fermée aux étrangers. Ce point est à mettre en lien direct avec son « se faire chinois » démarche semblable au In Roma, do as Roman do du monde anglo-saxon. Il y a proportionnalité inversée entre la diminution des caractéristiques qualifiées d’étrangères (étranges) et son avancée dans le pays qui s’ouvre à lui. C’est parce que Matteo Ricci a investi énormément pour être entendu qu’il devient audible. Les mandarins ne font référence qu’à une seule culture et bien soit ! Parlons ici de véritable posture martiale – prendre l’énergie de l’autre pour communiquer la sienne – qui qualifie la méthode de Ricci.
Passer du ou au et
40Matteo Ricci ne se reniait pas comme homme de sciences et homme de foi. Il n’a pas choisi entre une étiquette de missionnaire et celle d’homme de sciences, ni entre foi et raison. Il a sans cesse écouté et dialogué et ne s’est pas contenté de faire la leçon comme ce sera le cas pour certains de ses successeurs. Il a remarqué la soif de sciences de ses hôtes, non démentie aujourd’hui, car les Chinois éduqués ont toujours su qu’elle conduisait à une supériorité notamment matérielle. Matteo Ricci est aussi pédagogue. Il apprend à pêcher (enseigne la mnémotechnique, les moyens de calcul et d’astronomie et la méthodologie des mathématiques, une voie pour être sauvé) et donne du poisson, du contenu – contenu des sciences et de la doctrine qui, il le sait dépasse rapidement pour le converti le niveau d’un catéchisme assimilé. Il a non seulement dépassé le clivage du ou qui n’a pas de sens dans la culture chinoise pour arriver à un et puis à un par-delà – Les Chinois ne parlent pas de pile ou face mais se réfèrent d’abord à une seule médaille. Il s’épuisera avec sa volonté permanente d’accueil et d’écoute et de discours toujours scientifiques en premier abord. Il s’aperçoit rapidement que la messe en latin ne convient pas et crée une musique religieuse dont les paroles parlent aux cœurs, proposera d’intégrer le culte des ancêtres et celui de Confucius sans tomber dans le syncrétisme. Il est partisan en matière de conversions du “moins mais mieux” car il a toujours privilégié la profondeur de celles-ci et n’a jamais voulu procéder à des conversions en masse. Il aura le tort d’être trop en avance sur son temps ; sans le savoir, il est un précurseur de l’acculturation et de l’inculturation.
A-t-il accordé trop d’importance au confucianisme au détriment du taoïsme et bouddhisme ?
41Il est cependant un domaine où, unanimement, il lui est reproché d’être resté cantonné dans un secteur, c’est celui des « philosophies-religions » de Chine. Il a été excellent précurseur comme connaisseur du confucianisme et de son système, à tel point qu’on peut se demander comment il a pu aller, sans prédécesseur en la matière, si loin dans cette pensée constitutive des racines de la Chine [21] mais, il lui est parallèlement reproché de ne pas s’être suffisamment imprégné des deux autres constituants du tripode culturel chinois, à savoir le taoïsme et le bouddhisme. Matteo Ricci avait-il vraiment le choix et pouvait-il prendre plusieurs portes pour entrer ? La question est de savoir s’il a embrassé cette option en connaissance de cause. Matteo et ses compagnons ont abandonné l’habit de bonze, ce qui signifiait un éloignement des bouddhistes. Dans son périple, il fait tout pour ne pas approcher et même loger avec les moines bouddhistes. Il veut se démarquer pour ne pas être confondu. Dès qu’il aura remarqué que le confucianisme est un socle incontournable pour l’élite (les mandarins) et n’est pas dénué d’importance pour les proches de l’élite (eunuques du palais), il veut en être reconnu. Il parviendra à prouver qu’il fait partie de cette élite, aussi étranger soit-il. Même l’empereur a reconnu ce fait. Il est étranger et fait partie de l’élite. C’est grâce à son intelligence, à son éducation, sa formation générale et son background mais aussi – on oublie l’importance de ce point –, grâce à sa formation de juriste tout à fait opportune (il était excellent orateur) qu’il est parvenu à cette reconnaissance puis à cette inclusion au service de ses objectifs. Le bouddhisme et encore moins le taoïsme ne vont de pair avec l’approche du pouvoir même s’ils n’y sont pas étrangers. Le taoïste s’isole. Cette doctrine pourrait rencontrer la chrétienté dans la voie des grands ermites mais elle n’est pas compatible avec celle d’un missionnaire qui veut convertir le plus d’âmes possible. Il semble que Matteo Ricci ait procédé plus par élimination que par méconnaissance, même s’il faut reconnaître qu’il ne s’est pas plongé dans les écrits du bouddhisme et du taoïsme comme il le fera avec le corpus de base du confucianisme [22] qu’il est allé jusqu’à traduire et même apprendre.
Confucius (–551/ –479)
Confucius (–551/ –479)
42Ricci n’a pas trouvé de paradoxe entre confucianisme et chrétienté, entre Orient et Occident et suprêmes consécration, quatre cents années après, sa mémoire et l’interprétation de son travail ne sont pas ou très peu contestés. Ce n’est pas entrer dans une hagiographie excessive, que de constater une certaine unanimité en termes de reconnaissance. Y a t’il beaucoup de cas où l’on constate autant de consensus autour de la mémoire d’un homme qui a oeuvré entre Orientaux et Occidentaux ? Ainsi jusqu’à présent, il n’y a pas d’appropriation de mémoire d’un côté du monde aux dépends de l’autre qui aurait voulu tirer la couverture à lui. Puissent les hommes sages de tous continents, tout en en gardant leur identité propre, savoir passer de ce ou au et.
La communauté catholique
43C’est bel et bien Matteo Ricci qui a semé les premières graines de la communauté catholique et même chrétienne, de celle qui perdure en Chine. La communauté chrétienne des Nestoriens n’avait pas survécu aux persécutions nationalistes et à l’éviction des étrangers à l’arrivée des Ming qui avait suivi l’ouverture intellectuelle des Tang et la volonté d’ouverture interreligieuse des Yuans.
44À Shanghai, on trouve encore des descendants catholiques de Paul Xu. La présence et la croissance des communautés chrétiennes chinoises actuelles ne seraient pas ce qu’elles sont sans leur survie à une préexistence lors de la période communiste dite « d’avant l’ouverture ». Après le temps de germination une nouvelle phase d’expansion est venue. Les Chrétiens de Chine connaissent tous Matteo Ricci qu’ils considèrent comme leur père spirituel et certains n’hésitent pas à se signer devant la statue de la cathédrale du sud.
La sinologie et le Grand Ricci
45Matteo Ricci ne s’est pas épuisé dans l’enseignement du latin. Il a d’ailleurs à ce propos rapidement intégré l’importance d’une liturgie chinoise. Ce point a renforcé, si tel était encore le besoin, sa très bonne connaissance du chinois. Pour convertir, il lui fallait traduire et comme tout bon linguiste, Li Madou avait besoin de dictionnaires. Ces derniers étaient inexistants entre les langues occidentales et le chinois. Aussi, Matteo Ricci a rédigé lui-même un corpus avec ses compagnons. Il s’agit d’une liste de vocabulaire portugais-chinois [23] rédigé de son vivant bien qu’il n’ait pas été publié formellement sous une forme accomplie de dictionnaire.
46Depuis cette époque, la compagnie de Jésus a toujours eu à c œur de publier des dictionnaires sino-occidentaux. C’est encore le cas dans cette première décennie du xxie s. Le grand aboutissement fut en 2001, la publication en sept volumes du Grand Dictionnaire Ricci de la langue chinoise, résultat d’une cinquantaine d’années de travail. Sa genèse fut laborieuse mais riche de fruits. Pour la comprendre, on pourra utilement consulter la préface de l’encyclopédie rédigée par le comité de coordination et de décision du Grand Dictionnaire Ricci que nous publions en corollaire avec l’aimable autorisation de l’Association Ricci co-éditeur du dictionnaire.
47Depuis la publication du grand œuvre, l’Association qui en est dépositaire, s’efforce d’en faire fructifier le patrimoine et de développer au mieux la trame de l’œuvre représentée par 180 branches du savoir. Ainsi a été publié en 2005, le Dictionnaire Ricci des Plantes de Chine qui se veut inaugurer une longue série de dictionnaires thématiques. Sont d’ores et déjà programmés le Dictionnaire Ricci du droit, le Dictionnaire Ricci de médecine chinoise, le Dictionnaire Ricci des inscriptions sur bronze et le Dictionnaire Ricci du vin et de la vigne.
48Le Grand Ricci a été conçu, suivant l’expression de la compagnie, comme une fusée à trois étages [24]. L’Association en a ajouté un quatrième en publiant en mai 2010, le Grand Ricci Numérique, avec le même contenu encyclopédique que son aîné sur support papier. Ce premier cédérom propose toutes les recherches interactives qu’un tel support autorise et n’attend que d’être enrichi par de nouveaux champs lexicographiques, ajouts et actualisations.
Conclusion
49L’œuvre et la mémoire de Matteo Ricci ont non seulement survécu à quatre siècles d’histoire mais sont pleinement d’actualité dans un monde où l’Orient et l’Occident ont une volonté de dialogue et d’échanges, dans un monde qui devient enfin monde. Matteo Ricci a eu le génie d’être grâce à un sens inné de « cartographe de civilisation », grâce aussi à un sens poussé de compréhension et à son intuition, un précurseur ou plus exactement un homme de l’humanité qui ne s’est pas arrêté à des problématiques de son temps et qui a ouvert des voies d’avenir. Il est étonnant de constater combien sont d’actualité, des traces, recherches, volonté de rencontre culturelle initiées au début du xviie siècle. L’héritage qui est d’importance, n’a de cesse de prospérer et n’a pas encore donné tous ses fruits. Matteo Ricci n’a pas donné de leçons, il a ouvert un canal, un canal précieux qui mérite d’être entretenu, actualisé, et dont certains aspects de cette riche caverne doivent encore être exploités.
Bibliographie
- Jacques. Bésineau, Matteo Ricci, serviteur du Maître du Ciel, Paris, Desclée De Brouwer, 2003.
- Gianni Criveller, César Guillen Nunez, Portrait of a Jesuit, Matteo Ricci, Jesuitas Publications Series, May 2010.
- Vincent Cronin, Le Sage venu de l’Occident, Éditions Albin Michel, 1957. Réédition 2010, préface Élisabeth Rochat de la Vallée.
- Paul Dreyfus, Matteo Ricci : Le jésuite qui voulait convertir la Chine, Jubilé, 2004.
- Étienne Ducornet, Matteo Ricci, le lettré d’Occident, Ouvrage publié avec le concours du Conseil de l’Université de Fribourg, Le Cerf, 1992.
- Michela Fontana, Matteo Ricci un jésuite à la cour des Ming, traduit de l’italien par Robert Kremer, Florence Leroy et Ugo Lumbroso, préface Marianne Bastid-Bruguière, Salvator, Paris, 2010.
- Filippo Mignini, Matteo Ricci, Giorgio Mangani, Maria Luisa Giorgi, Marina Battaglini, Luciana Galliano. Padre Matteo Ricci. L’Europa alla corte dei Ming, Complesso Monumentale del Vittoriano. Roma, 11 febbraio – 10 aprile 2005, Editore : Mazzotta, Catalogue d’exposition.
- Francesco Occhetta, Matteo Ricci, Il gesuita amato dalla Cina, Elledici, Editrice Velar, 2009.
- Matteo Ricci, Traité de l’amitié. Traduit du chinois par Philippe Che, Ermenonville, Noé, 2006.
- Joseph S. Sebes, Henri Bernard Maitre, Matteo Ricci, Ouvrage à l’occasion du 400e anniversaire de Matteo Ricci, Matteo Ricci, un jésuite en Chine, Les savoirs en partage au xviie siècle, Avec huit lettres de Matteo Ricci, Éditions Facultés jésuites de Paris, Michel Masson éd, 2010.
- Jonathan-D. Spence, Le Palais de Mémoire de Matteo Ricci, Paris, Payot, 1986, Collection : Bibliothèque Historique.
- Une rencontre de l’Occident et de la Chine. Matteo Ricci. Colloque public en l’honneur du 4e Centenaire de l’arrivée en Chine du Père Ricci. Organisé par les Facultés Philosophie et de Théologie de la Compagnie de Jésus à Paris (Centre Sèvres) et l’Institut Ricci de Paris. 5-6 novembre 1982. Centre Sèvres 1983, Travaux et Conférences du Centre Sèvres.
Notes
-
[1]
Il s’agit du colloque présenté dans l’introduction au dossier, qui s’était tenu à Lyon le 3 décembre 2010 sous le titre « Matteo Ricci, une porte toujours ouverte entre Occident et Orient ».
-
[2]
Grand Ricci, abréviation usuelle pour désigner le Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise. Co-édition Intituts Ricci Paris-Taipei – DDB. Décembre 2001. 7 volumes. isbn : 2-204-08266-X
-
[3]
Selon le sinologue allemand Wolfgang Franke (1912-2007).
-
[4]
L’année même de la célébration du quatrième centenaire du décès de Matteo Ricci en 2010 est publié un lointain descendant de son premier dictionnaire portugais-chinois, Le Grand Ricci Numérique.
-
[5]
Le professeur agrégé doctorant Vito Avarello.
-
[6]
Nicolas Trigault S.J (1577 – 1628, historiographe de la mission Matteo Ricci)
-
[7]
Voir bibliographie en fin d’article
-
[8]
Michela Fontana, Matteo RICCI - Un jésuite à la cour des Ming, Préface Marianne Bastid-Bruguière, Traduction Robert Kremer, Florence Leroy, Ugo Lumbroso. Salvator, 2010
-
[9]
Arlette Chabot, André Glucksmann, Anne Lauvergeon et Christine Ockrent.
-
[10]
Xu Guangqi (Shanghai 1562 – Pékin 1633), baptisé sous le nom de Paul, lettré devenu ministre et principal élève puis disciple de Matteo Ricci
-
[11]
« L’œuvre italienne de Matteo Ricci : anatomie d’une rencontre chinoise ».
-
[12]
Nom chinois de Matteo Ricci
-
[13]
D’après une conversation avec François Hominal.
-
[14]
Messages de Benoît XVI de 2007 lors d’un colloque à Macerata et de mai 2009 à Mgr Claudio Giuliodori, évêque de Macerata, à l’occasion des préparations des évènements de la célébration du quatrième centenaire de la mort de Matteo Ricci. Audience accordée à l’Association Ricci le 24 octobre 2007 où le Pape a qualifié le Grand Ricci de « monument historique ». Messages de Jean-Paul II en 2001, à l’occasion d’un colloque à l’université grégorienne et en octobre 1982, aux participants du Congrès à l’occasion du quatrième centenaire de l’arrivée de Matteo Ricci en Chine.
-
[15]
Article de Thierry Meynard, S.J, « Dans l’attente de la résurrection », informations disponibles sur le site www.jesuites.com à partir de Following the Footsteps of the Jesuits in Beijing – A Guide to Sites of Jesuit Work and Influence in Beijing. The Institute of Jesuit Sources, Saint Louis, 2006. isbn : 978-1-880810-66-2.
-
[16]
En transcription pinyin actuelle on trouve « Ri » mais la prononciation chinoise se rapproche plus du son « je » français que du son « ri », le son « r » n’existant pas en chinois.
-
[17]
Entretiens de Confucius, chapitre 13
-
[18]
Les traductions sont extraites du Grand Ricci
-
[19]
Ne sont pas reproduits ici les parties expressions ou usage anciens qui pourront facilement être consultées dans le Grand Ricci, édition papier ou numérique (caractère N° 7541)
-
[20]
Matteo Ricci a soumis et fait corriger ses écrits chinois qu’ils soient courriers officiels, traductions ou publications
-
[21]
Matteo Ricci a été désigné comme le Confucius chrétien. Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Confucius (K’UNG TZU) (–551 / –479), Yang Huanyin. Paris, Unesco : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, n° 1-2, mars-juin 1993, p. 223. © Unesco : Bureau international d’éducation, 2000.
-
[22]
Les quatre livres du confucianisme : Les Analectes, La Grande Etude, L’Invariable Milieu et Le Mencius
-
[23]
À l’époque de Matteo Ricci, le portugais est la langue de la mission en Asie
-
[24]
Voir Préface du Grand Ricci en article connexe