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Article de revue

Lettre de Mgr Geremia Bonomelli évêque de Crémone (Italie) à Mr Silas McBee, vice-président de la commission viii

Pages 169 à 172

Notes

  • [1]
    Geremia Bonomelli (1831-1914) : « Évêque de Crémone (Italie), de 1871 à sa mort. Geremia Bonomelli fut le symbole du “libéralisme”, opposé à l’orientation “intransigeante” du catholicisme qui prévalait dans l’Église depuis Grégoire XVI et la condamnation de Lamennais, et que Pie IX avait confirmée en 1864 par son fameux Syllabus. » (Émile Poulat, Encyclopædia Universalis.) (ndlr.)
  • [2]
    Silas McBee, Dicussion, « The possibilities and Principles of Co-Operation at the Home Base », World Missionary Conference, 1910, Report of Commission VIII, op. cit., p. 220-223. Rappelons que la Commission viii était consacrée à « La coopération et la promotion de l’unité ».
  • [3]
    On ignore le nom de l’auteur de cette citation donnée par Mgr Bonomelli. (ndlt.)
  • [4]
    Samuel Johnson, Lives of the Poets, 1779-1781 ; Poète, critique, essayiste et lexicographe anglais (1709-1784) l’une des figures majeures de la littérature du xviiie siècle. (ndlt.)
  • [5]
    Jean 10.14-16. (ndlt.)

1Une Conférence réunissant des représentants de toutes les dénominations chrétiennes dans le noble but de faire mieux connaître le Christ et son Église à des consciences qui éprouvent et font la démonstration pratique de toute la féconde et profonde beauté contenues dans les aspirations religieuses, constitue un fait d’une telle importance et d’une telle signification qu’il ne peut échapper à l’attention de quiconque se trouve en mesure de suivre cette Conférence – même de façon superficielle – à quel point les plus graves problèmes agitent et révolutionnent actuellement l’esprit moderne. À l’évidence, cette Conférence apporte la preuve de ce que le sentiment religieux exerce depuis toujours une influence de tout premier ordre sur la vie entière de l’homme, et que le facteur religieux, de nos jours comme à toutes les époques, stimule et encourage l’homme à agir afin d’accomplir de nouvelles conquêtes sur la voie de la civilisation. Le progrès de la science, les phases variées de la philosophie, l’évolution – tant de la pensée que de la vie matérielle – tout cela trouve son point de convergence autour des religions que l’histoire humaine déploie et classe selon les différentes époques. À juste titre, il a été dit que, comme un prisme met en évidence les différentes couleurs contenues dans la lumière, ainsi l’humanité manifeste les formes et nuances diverses de la religion.

2Mais plus encore que tout ceci, votre Conférence tenue en Écosse, patrie de nobles et forts idéaux, bien que déchirée, à une certaine époque de son histoire, par des conflits religieux, apporte la preuve d’un autre fait réconfortant : la liberté religieuse qui est la liberté la plus désirable et la plus précieuse de toutes les libertés humaines, se doit aujourd’hui d’être désignée comme la grande conquête de l’humanité contemporaine ; elle rend possible la rencontre entre des hommes de fois différentes, non par motif de haine et en vue de se combattre l’un l’autre à la supposée plus grande gloire de Dieu, mais bien afin de se consacrer eux-mêmes, par amour chrétien, à la poursuite de cette vérité religieuse qui unit tous les croyants en Christ. Unies dans une seule foi, les diverses forces spirituelles se rejoignent dans l’adoration de l’unique vrai Dieu, en esprit et en vérité.

3Pour toutes ces raisons, j’applaudis à votre Conférence. Je sais fort bien que certains esprits sceptiques, tout enflés d’un matérialisme grossier et d’un positivisme froid, peuvent sourire de votre initiative et vous accuser d’optimisme utopique, vous traiter de doux rêveurs occupés à se boucher les yeux devant les réalités de la vie. Ceux-là ne manqueront pas de dire qu’étant déjà profondément divisés à l’intérieur même de vos propres convictions religieuses dont vous vous efforcez de vous faire les gardiens jaloux, vous ne pouvez parvenir à vous accorder sur des données ou des principes quelconques, acceptés de tous, sur lesquels fonder vos débats. D’ailleurs, la religion est beaucoup trop une affaire de conviction et de sentiment personnels pour que nous puissions espérer jamais voir une unique Église capable d’embrasser tous les croyants au Christ. Mais non! Seul un observateur superficiel pourrait être dupé quant au caractère réalisable d’une telle entreprise. Messieurs, votre idéalisme n’est pas un idéalisme optimiste, pas plus qu’il n’est un rêve dépourvu de fondement. Les éléments factuels sur lesquels vous vous accordez sont nombreux et ils sont communs à des dénominations chrétiennes très diverses ; ils peuvent donc servir de point de départ pour vos discussions. Il est par conséquent légitime d’aspirer à une unité de foi et de pratique religieuse, et d’œuvrer à sa réalisation en y consacrant toutes nos énergies, d’esprit et de cœur. C’est un travail dans lequel nous pouvons fort bien coopérer aujourd’hui. Sur ce terrain, comme sur d’autres, il est bon de garder à l’esprit que, de la confrontation entre des opinions différentes mais échangées dans un esprit de calme et de liberté, ne peuvent manquer de jaillir des étincelles de vérité.

4Maintenant, sur quelles questions, et sur quels principes êtes-vous tombés d’accord, Messieurs ? D’après moi, les voici : comme moi vous êtes persuadés que les progrès matériels, éthiques, sociaux de la vie ne suffisent pas à satisfaire l’homme, car l’homme, qu’il le veuille ou non, est accablé par l’Infini, et cette conscience, dont il ne peut se délivrer lui-même, le presse d’harmoniser sa condition matérielle et sociale avec la Réalité suprême – qui est Dieu, source de cette condition dans ses aspects les plus divers – et à laquelle celle-ci est subordonnée. Sans cette harmonie, la vie éthique et sociale perd sa signification et nous frappe par son insuffisance. La Foi par conséquent, en Dieu le Créateur, qui octroie à la vie humaine une valeur éternelle et absolue, est pour vous le premier point sur lequel vous vous accordez. Tous vous partagez la foi au Christ rédempteur. « Le Christ se révèle lui-même et est adoré comme Divin ; c’est là un fait religieux d’une importance inégalée. Jésus en réalité ne s’est pas évanoui de l’histoire ni de la vie du christianisme ; Il vit en tout temps dans des millions d’âmes ; Il est intronisé comme Roi dans tous les cœurs. La figure du Christ n’a pas la froide splendeur d’une étoile distante, mais la chaleur d’un cœur proche du nôtre, il est une flamme qui brûle dans l’âme des croyants et qui garde vivante leur conscience. Mettant de côté certaines opinions, qui bien qu’honorées aujourd’hui, peuvent se voir abandonnées demain, la critique avait espéré parvenir à la complète démolition de la conception du Christ, mais ce que la critique a vraiment démoli n’était guère qu’une matière sans importance [3]. » La figure du Christ, après tous les assauts de la critique, se dresse encore plus pure et plus Divine que jamais, et force l’adoration.

5Ainsi nous sommes unis dans la conviction profonde qu’une religion universelle est nécessaire, et que ce doit être la religion chrétienne ; non pas une religion froide et formelle, quelque chose qui n’aurait rien à voir avec la vie humaine, mais une force vitale, qui pénètre l’âme humaine dans son essence même, et ses manifestations variées – bref, une religion qui achève et couronne notre vie et qui porte du fruit en œuvres d’amour et de sainteté. Encore une fois, vous ressentez tous le besoin d’une Église qui puisse être la manifestation extérieure de votre foi et de votre sentiment religieux, le gardien vigilant, ici et maintenant, de la doctrine et de la tradition chrétienne. Elle soutient et maintient vivante l’activité religieuse et individuelle en vertu de ce fort pouvoir de suggestion que le collectif exerce toujours sur l’individuel. « Monsieur, s’exclame le Dr Johnson [4], c’est une chose fort dangereuse pour un homme de n’appartenir à aucune Église! » Et cela est vrai. Combien d’entre nous connaîtraient un millier de chutes s’ils n’avaient son aide!

6Finalement, de ces différentes Églises et dénominations religieuses dans lesquelles vous vous trouvez, vous, chrétiens, divisés, surgit un nouvel élément unificateur, une noble aspiration, retenant toute impulsivité trop vive, nivelant les barrières qui vous séparent, et travaillant à travers tous les enfants de la rédemption à la réalisation de l’unique Église sainte. Et maintenant, je pose la question : ces éléments ne sont-ils pas plus que suffisants pour constituer un terrain commun sur lequel nous entendre, et pour fournir une base solide à la poursuite de nos discussions, dans le but de promouvoir l’union de tous les croyants en Christ ? Ayant, Messieurs, vos esprits libérés de toute passion ou de toute intolérance sectaire, et animés, au contraire, par la charité chrétienne, apportez sur ce terrain commun, et rassemblez en une visée unique les résultats de votre réflexion, les enseignements de l’expérience, individuelle ou collective ; calmement poursuivez votre recherche et favorisez la discussion. Que la vérité soit comme une brillante lumière illuminant votre conscience, et qu’elle fasse de vous tous un seul cœur et un seul esprit. Mon désir pour vous n’est rien d’autre que l’écho de ces paroles du Christ qui ont résonné au long des siècles – « Qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul berger [5]. »


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/hmc.013.0169

Notes

  • [1]
    Geremia Bonomelli (1831-1914) : « Évêque de Crémone (Italie), de 1871 à sa mort. Geremia Bonomelli fut le symbole du “libéralisme”, opposé à l’orientation “intransigeante” du catholicisme qui prévalait dans l’Église depuis Grégoire XVI et la condamnation de Lamennais, et que Pie IX avait confirmée en 1864 par son fameux Syllabus. » (Émile Poulat, Encyclopædia Universalis.) (ndlr.)
  • [2]
    Silas McBee, Dicussion, « The possibilities and Principles of Co-Operation at the Home Base », World Missionary Conference, 1910, Report of Commission VIII, op. cit., p. 220-223. Rappelons que la Commission viii était consacrée à « La coopération et la promotion de l’unité ».
  • [3]
    On ignore le nom de l’auteur de cette citation donnée par Mgr Bonomelli. (ndlt.)
  • [4]
    Samuel Johnson, Lives of the Poets, 1779-1781 ; Poète, critique, essayiste et lexicographe anglais (1709-1784) l’une des figures majeures de la littérature du xviiie siècle. (ndlt.)
  • [5]
    Jean 10.14-16. (ndlt.)

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