Notes
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[*]
Pierre Ragon, ancien chercheur pensionnaire du Centre d’Études Mexicaines et Centre-Américaines à Mexico, est professeur d’histoire moderne à l’Université de Rouen et directeur de recherches à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine. Il a longtemps travaillé sur l’histoire religieuse du Mexique colonial et a notamment publié Les saints et les images du Mexique, xvie-xviiie siècles (L’Harmattan, 2003). Il s’est depuis engagé dans une enquête collective d’histoire comparée entre les dynamiques religieuses du Mexique et de la zone andine.
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[1]
Nicolás León, Los popolocas, Mexico (Conferencias del Museo Nacional, serie etnología, n° 1), p. 13-16 cité par Robert Ricard, La « conquête spirituelle » du Mexique. Essai sur l’apostolat et les méthodes missionnaires des ordres mendiants en Nouvelle-Espagne de 1523-1524 à 1572, Paris, Institut d’Ethnologie, 1933, p. 325.
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[2]
La thèse de la résistance des croyances et des pratiques préhispaniques est également défendue par le chanoine Andrade : Vicente de P. Andrade, « Idolatrías y supersticiones de los Indios », dans Reseña de la segunda sesión del xvii congreso internacional de americanistas, Mexico, 1912, p. 287-294.
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[3]
On citera simplement à titre d’exemple : Gonzalo Aguirre Beltrán, Medicina y magía : el proceso de aculturación en la estructura colonial, Mexico, INI, 1973, ou plus important pour notre propos : Zongolica, encuentro de dioses y santos patronos, Xalapa, Universidad Veracruzana, 1986.
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[4]
Voir : Louise M. Burkhart, The slippery earth : Nahua-Christian moral dialogue in sixteenth century Mexico, Tucson, University of Arizona Press, 1989 et, pour Sarah L. Cline, sa note de synthèse : “Competition and fluidity in latin american Christianity”, dans Latin American Research Review, 2000, vol. 35, p. 244-250.
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[5]
Dans la seconde moitié du xixe et au début du xxe siècle.
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[6]
Il s’agit d’une thèse de la Sorbonne préparée au Mexique et publiée à Paris par l’Institut d’Ethnologie.
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[7]
George Kubler, Mexican architecture of the sixteenth century, New Haven, Yale Universiy Press, 1948, vol. 2, p. 428.
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[8]
John McAndrew, The open-air churches of sixteenth-century Mexico. Atrios, posas, open chapels and others studies, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1965, p. 48-90.
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[9]
George M. Foster, Culture and Conquest. America’s Spanish Heritage, New York, Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research Inc., 1960.
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[10]
À l’évidence pourtant, il sous-estimait les emprunts faits aux pratiques et aux croyances populaires tant européennes que locales : Ibid., p. 164-166.
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[11]
David Brading, Mexican phoenix : our lady of Guadalupe, image and tradition across five centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; William Taylor, Magistrates of the sacred : priest and parishioners in eighteenth-century Mexico, Stanford, Stanford University Press, 1996. Nous nous sommes inscrits dans cette même démarche avec Les saints et les images du Mexique (xvie-xviiie siècles) Paris, L’Harmattan, 2003.
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[12]
Andrès Molina Enriquez ouvre la voie. Voir : Los grandes problemas nacionales, Mexico Instituto Nacional de la Juventud Mexicana, 1964 [1908], p. 254 sq., et la présentation d’Henri Favre L’indigénisme, Paris, PUF, 1996, p. 32-34.
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[13]
Manuel Gamio, Forjando Patría, Mexico, Porrúa, 1982 [1re édition 1916].
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[14]
Ibid., p. 82 et 90-92.
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[15]
William Madsen, Christo-paganism : a study of mexican religious syncretism, Nouvelle-Orléans, Tulane University, 1957 (Middle American Research Institute Publications n° 19)
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[16]
Significatif est à cet égard son traitement du culte rendu au Christ de Chalma.,
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[17]
Alfredo López Austin, « Cuando Christo andaba de milagros : la innovación del mito colonial », dans Xavier Noguez et A. López Austin, De hombres y dioses, Zamora-Zinacantepec, El Colegio de Michoacán - El Colegio Mexiquense, 1997, p. 229-254.
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[18]
« Quel américanisme aujourd’hui ? » par Carmen Bernand, Serge Gruzinski, Luis Felipe de Alencastro et Denys Delâge, dans Annales. Histoire, sciences sociales, 2002, n° 57-5, p. 1291-1355. Les responsables du 3e volume de la Cambridge History of Native Peoples of the Americas ont exercé leur droit de réponse : Stuart B. Schwartz et Franck Salomon, « Un américain (imaginaire) à Paris. Réponse à Carmen Bernand », dans Annales. Histoire, sciences sociales, 2003, n° 58-2, p. 499-512.
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[19]
« Quel américanisme aujourd’hui ? », op. cit., p. 1292.
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[20]
Serge Gruzinski, Les hommes-dieux du Mexique. Pouvoir indien et société coloniale (xvie-xviiie siècles), Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 1985, p. 11.
-
[21]
James Lockhart, « Three experiences of culture contact : Nahua, Maya and Quechua », dans Native traditions in the post conquest world. A symposium at Dumbarton Oaks, oct. 1992, E. Hill Boone et T. Cumins éd., Washington, Dumbarton Oaks, 1998, p. 31 sq.
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[22]
South and meso-american native spirituality, Gary H. Gossen éd., New York, Crossroad Publishing Company, 1997, p. 20.
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[23]
Robert Ricard, op. cit., p. 324.
-
[24]
Notamment les rites liées à la manipulation de la puissance des saints et les pratiques funéraires qui ne sont plus systématiquement interprétés comme des héritages préhispaniques. Voir par exemple : Stanley Brandes, Skulls to the living, bread to the dead. The day of the dead in Mexico and beyond, Malden, Blackwell Publishing, 2006, p. 30-33.
-
[25]
Johanna Broda, Stanislaw Iwaniszewski, Lucrecia Maupomé éd., Arqueoastronomía y etnoastronomía en Mesoamérica, México, UNAM - Instituto de Investigaciones Históricas, 1991 et Beatriz Albores, Johanna Broda éd., Graniceros. Cosmovisión y meteorología indígenas de Mesoamérica, UNAM – El Colegio Mexiquense, 1997.
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[26]
South and meso-american native spirituality, op. cit., p. 20.
-
[27]
James Lockhart, « Some Nahua concepts in postconquest guise », dans History of European ideas, n° 6, 1985, p. 477 et Louise M. Burkhart, The slippery earth. Nahua-christian moral dialogue in sixteenth-century Mexico, Tucson, University of Arizona Pres, 1989, p. 193.
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[28]
Juan Pedro Viqueira, Une rébellion indienne au Chiapas (1712), Paris, L’Harmattan, 1999.
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[29]
Thomas Calvo, « Nubarrones y tormentas sobre la sierra zapoteca : luchas de poder en san Juan Yasona (1674-1707) », dans Anuario de Estudios Americanos, vol. 62-2, 2005, p. 25-46.
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[30]
Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, p. 45, 55-56 et 82.
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[31]
Apoc. 2, 23. Robert Ricard, op. cit., p. 324, et Diego Valadés, Retórica cristiana, Mexico, UNAM-FCE, 1989, p. 424-425.
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[32]
Serge Gruzinski, « Histoire et anthropologie, une question inactuelle ? », dans Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n° 49-4 bis, 2002, p. 89-92. Ce texte reprend son intervention orale lors de la table ronde « Histoire et anthropologie, nouvelles convergences ? » organisée par la SHMC.
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[33]
Serge Gruzinski, « Délires et visions chez les Indiens du Mexique », dans Mélanges de l’École Française de Rome, tome 86, 1974, vol. 2, p. 445-480 ; « Le passeur susceptible. Approches ethnohistoriques de la conquête spirituelle du Mexique », dans Mélanges de la Casa de Velázquez, tome XII, 1976, p. 195-217 ; « Une source d’ethnohistoire : les vies de « vénérables » dans l’Italie méridionale et le Mexique baroques » (avec Jean-Michel Sallmann), dans Mélanges de l’École Française de Rome, tome 88, 1978, p. 789-822.
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[34]
Voir par exemple : B. de Sahagún, Psalmodia christiana (Christian psalmody), Arthur J. O. Anderson trad., University of Utah Press, 1993, ou encore les traductions de John Bierhorst et de Louise M. Burkhart. Pour une esquisse de ce corpus, voir Arthur J. O. Anderson, « Sahagun’s doctrinal enciclopedia », dans Estudios de cultura nahuatl, vol. 16, 1983, p. 109-122.
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[35]
Nous avons donné quelques exemples de ce travers dans le chapitre I de Pierre Ragon, op. cit., notamment p. 41-78. On pourra voir aussi la pourtant belle étude de Kevin Terraciano, « Native expressions of piety in Mixtec Testaments », dans Dead giveaways. Indigenous testaments of colonial Mesoamerica, S. Kellogg et M. Restall éd., Salt Lake City, University of Utah Press, 1998, p. 115-140. Faute de s’être suffisamment interrogé sur les formes du testament européen, cet auteur confond, en s’appuyant sur des analogies formelles, formules de dévotion et expressions indigènes.
-
[36]
William Christian, op. cit., p. 63.
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[37]
Ibid. p. 61.
-
[38]
Ibid., p. 68-69.
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[39]
Danièle Dehouve, Offrandes et sacrifices en Mésoamérique, Paris, Riveneuve, 2007, p. 19.
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[40]
Richard C. Trexler, Reliving Golgotha. The passion play of Iztapalapa, Cambridge, Harvard University Press, 2003, étudie sur un peu plus d’un siècle, - et notamment à grand renfort de dépouillements d’articles de presse -, le théâtre de la Passion tel qu’il se joue à Iztapalapa, dans la banlieue de Mexico. Cette démarche lui permet de remettre en cause la thèse selon laquelle cette manifestation s’inscrirait dans de lointaines continuités coloniales, thèse dont on trouvera une illustration, par exemple, dans les travaux de Mariangela Rodriguez, Hacia la estrella con la pasión y la ciudad a cuestas, Mexico, Ciesas, 1991.
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[41]
Selon les termes de Danièle Dehouve, op. cit., p. 15.
La Mésoamérique a l’arrivée des Espagnols
La Mésoamérique a l’arrivée des Espagnols
1C’est au tournant du xixe et du xxe siècle que naquit la curiosité scientifique pour la chrétienté indigène. D’emblée, les approches furent simultanément anthropologique et historienne. On partait de la description des réalités observées, constatait un décalage entre la norme et la pratique puis recherchait l’origine de ce décalage dans un passé plus ou moins éloigné. Cette caractéristique se constitua en un trait durable qui par la suite facilita l’intégration de ce type d’enquête à ce vaste continent que l’on appelle l’« ethnohistoire des sociétés amérindiennes ». Mais ce ne fut pas tout. Ces recherches furent marquées par une seconde particularité : la généralisation hâtive. Pour tous les esprits curieux qui s’engagèrent dans cette entreprise, il s’agissait d’aboutir, le plus souvent rapidement, à une qualification globale des cultures religieuses indigènes qui fournît la clé universelle de leur compréhension. Cette attitude persista jusqu’à nos jours, où les jugements globalisants portés sur « le christianisme indigène », trop souvent encore, hantent les esprits, alors même que les études régionales des anthropologues illustrent au contraire l’extraordinaire variété des configurations contemporaines.
Trois traditions historiographiques depuis longtemps établies
Vernis de christianisme et survivances religieuses pré-hispaniques
2Au temps du gouvernement de Porfirio Diaz (1877-1911) – et ce n’est pas un hasard – un concert de voix convergentes développa l’idée d’une survivance des croyances et des pratiques pré-hispaniques durant toute l’époque coloniale et jusqu’alors. Sous un vernis de christianisme mal inculqué par des autorités espagnoles indignes, les cultures ancestrales auraient perduré. En ce domaine comme en d’autres, les élites sociales et politiques jugeaient les Indiens incapables d’assimiler les valeurs de la nation mexicaine, elles en avançaient là les preuves et en fournissaient la démonstration. Nicolas León fut le premier chercheur moderne qui donnât à ce jugement la force d’une démonstration scientifique. Socialement et culturellement, il occupait une position qui lui facilitait la tâche. Originaire du Michoacán, ce médecin provincial acheva sa carrière à Mexico où, s’étant fait l’historien de la médecine de son pays, il rejoignit les rangs de l’élite intellectuelle. Quelques années avant sa mort, il présidait l’Académie Nationale de Médecine. Mais il était bien plus qu’un disciple d’Asclépios : esprit curieux, enquêteur infatigable, écrivain fécond, cet érudit fut tout à la fois bibliophile, naturaliste, linguiste, anthropologue, folkloriste, archéologue, ethnographe et historien. Connaissant le terrain et les sociétés indigènes mieux que personne, maîtrisant aussi les protocoles scientifiques, il put produire, sur les Indiens du Mexique, le premier discours anthropologique universellement accepté. Il le fit habilement mais sans se défaire des préjugés qui caractérisaient le milieu social auquel il appartenait. Dans la conférence qu’il donna au Musée National de Mexico sur les Popoloques, un groupe indigène très minoritaire, dispersé dans l’est du pays et peu intégré au reste de la nation, il livra une série de notes facilement rassemblées et conclut à l’indiscutable survivance des croyances et des rites pré-hispaniques : ignorance des principaux dogmes du christianisme, mépris pour le curé et, inversement, influence des « sorciers », adoration d’idoles et superposition de rituels matrimoniaux indigènes et chrétiens [1]. Des observations faites au Michoacán lui inspirèrent des remarques analogues : il vérifia que les pêcheurs des lacs y rendaient un culte à un dieu-poisson, peut-être très ancien, et qu’à Patzcuaro même, une ville qui avait été un centre très actif de la mission coloniale, les fidèles s’adressaient à une idole cachée derrière l’image « miraculeuse » du Christ de Taretán [2].
3Une posture à l’origine idéologique trouvait par là un fondement scientifique qui fut à l’origine d’un questionnaire jamais abandonné. Depuis, à la suite de ces pionniers, tout un courant « indigéniste », culturellement à l’opposé des élites positivistes porfiriennes, se nourrit de ces découvertes. Pour les chercheurs qui s’y rattachent, il s’agit tout d’abord de redécouvrir le « noyau dur » de cultures amérindiennes résistantes. L’ingénieur et essayiste nord-américain Stuart Chase, qui fut l’une des grandes figures intellectuelles de l’entre-deux-guerres, popularisa cette démarche aux États-Unis. Bien implantés dans les milieux académiques, notamment dans les deux Amériques, ses tenants demeurent des acteurs très actifs de la recherche. On citera ici les noms de Fernando Benitez ( † 2000), Jorge Klor de Alva, Gonzalo Aguirre Beltrán ( † 1996) et, plus connu encore, Miguel León Portilla [3]. Aux États-Unis, au point de rencontre des cultural studies et des subaltern studies, tout un groupe de chercheurs a entrepris de restituer des paroles indigènes qui nous parlent d’un monde indien irréductible aux catégories de pensée occidentales, et pour certains insaisissable dans sa différence. Le recours aux sources en nahuatl est privilégié, parfois à l’exclusion de toute autre référence. Le grand travail de James Lockhart, The Nahuas after the conquest… (Stanford, Stanford University Press, 1992) mais aussi les travaux de Louis M. Burkhart ou de Sarah Cline [4] s’inscrivent dans cette démarche.
4D’emblée, ce courant fut tout naturellement conduit à formuler un jugement négatif sur la portée du travail missionnaire accompli par l’Église. Au temps de la Réforme et de la révolution mexicaine [5], dans un contexte social et politique favorable, cette attitude sans nuance ne suscita pratiquement pas d’opposition. À un moment où, dans la douleur, la Nation mexicaine semblait enfin pouvoir se rassembler, elle aboutissait à la condamnation de l’Église coloniale et confirmait, plus généralement, le jugement négatif porté sur l’œuvre de l’Espagne au Nouveau Monde.
Principale fondations conventuelles vers 1570
Principale fondations conventuelles vers 1570
Efficacité du dispositif missionnaire, art du compromis et phénomènes d’inculturation
5L’inévitable réaction ne vint pas des milieux intellectuels mexicains mais de l’étranger. En la matière, l’œuvre la plus forte est incontestablement celle de Robert Ricard. Dans La « conquête spirituelle du Mexique ». Essai sur l’apostolat et les méthodes missionnaires des ordres mendiants en Nouvelle-Espagne [6], un travail devenu un classique, Robert Ricard entreprenait en historien, de rendre compte de la façon dont l’entreprise d’évangélisation s’était déroulée, mettant l’accent non sur les forces de résistance mais sur les dispositifs missionnaires et les avancées de la conversion. Cette démarche séduisit aussi quelques chercheurs nord-américains qui, sans se fixer pour but de l’approfondir, y adhérèrent et tentèrent de l’illustrer. Tel fut le cas de George Kubler qui, en 1948, dans sa monumentale Mexican architecture of the sixteenth century, crut en l’existence de facteurs extrêmement favorables à la diffusion de la culture européenne dans le Mexique des années 1520-1570 et à son acceptation par les populations indigènes [7]. Quelques années plus tard, son collègue John McAndrew, qui s’intéressait plus exactement à l’architecture religieuse et notamment aux chapelles ouvertes ne douta pas davantage des rapides progrès du christianisme au sein des populations du Mexique central durant le demi-siècle qui suivit la conquête [8]. Mais les historiens et les historiens de l’art ne furent pas les seuls à s’intéresser à ces questions. En 1960, l’anthropologue George M. Foster publia les résultats d’une importante enquête de terrain qui avait la particularité d’avoir été conduite de part et d’autre de l’Atlantique tant en différents lieux d’Amérique latine qu’en Espagne [9]. Partant d’un double constat (l’importance du choc de la conquête et, selon lui, la puissance de la domination espagnole), il théorisait le concept de « cristallisation culturelle », lequel faisait la meilleure part aux processus d’acculturation mais permettait aussi de penser le compromis, notamment en matière religieuse. George M. Foster avait bien compris que depuis les premiers temps du christianisme et tout au long duMoyen Âge, l’Église avait accepté de transiger avec la culture des laïcs [10].
6Pourtant, jusqu’à une date récente, ces démonstrations demeurèrent très incomplètes puisque ces différents auteurs, qui n’avaient pas véritablement fait école, ne s’étaient guère intéressés qu’à la première évangélisation. En outre, s’ils avaient utilisé les archives produites par les clercs, ils n’avaient pu les confronter à d’autres types de sources qui leur eussent permis de mesurer l’impact des politiques mises en place par les autorités. Depuis quelques années, ce chantier se trouve cependant revisité à la lumière des avancées contemporaines de l’histoire religieuse. Dans ses derniers travaux, David Brading, déployant une érudition considérable, s’est intéressé à l’histoire de la spiritualité. En recoupant les sources locales avec les traditions théologiques et spirituelles de l’Église universelle, il s’est donné les moyens de renouveler la lecture souvent confuse et incertaine que l’on avait pu faire du culte de la Vierge de Guadalupe. On doit pareillement à l’historien William Taylor une grande fresque de la vie des paroisses mexicaines au xviiie siècle. Les relations et les échanges de toutes natures entre prêtres et fidèles sont au cœur de cette vaste enquête menée au raz du quotidien à partir d’une masse impressionnante de documents d’archives. Dans un ouvrage publié en 1996 sous le titre de Magistrates of the sacred, William Taylor brosse un panorama détaillé et sans a priori des pratiques concrètes des fidèles et des hommes d’Église et il met en évidence l’importance des phénomènes d’inculturation au sein, il est vrai, de situations locales très variées [11].
Une adhésion au catholicisme majoritaire, fondamentalement métisse
7Pourtant, cette dimension de la recherche n’a jamais été la plus prisée et ce n’est pas elle qui impose son questionnaire. Depuis bien longtemps déjà, une troisième voie est ouverte qui n’a jamais cessé de le disputer aux recherches sur les résistances indigènes. En effet, avant même la fin du Porfiriat, certains auteurs ne considéraient plus la persistance du passé religieux préhispanique comme la permanence d’un corps étranger au sein de la culture nationale mexicaine dont on ne valorisait que l’héritage européen, tout au contraire, ils voyaient en elle l’apport indigène à une culture nationale perçue et exaltée comme fondamentalement métisse [12]. Cette approche connut un développement spectaculaire lorsque, à l’orée du xxe siècle, éclata la révolution mexicaine, porteuse, entre autres choses, d’une redéfinition du projet national. L’avocat le plus brillant et le plus connu de cette nouvelle thèse n’est autre que l’anthropologue et archéologue Manuel Gamio ( † 1960), l’inventeur de la notion de « race cosmique », qui fut sous-secrétaire d’État à l’éducation publique avant de fonder l’Institut Indigéniste Inter-américain. Dans l’un de ses ouvrages les plus fameux, Forjando patría, il développait la thèse selon laquelle paganismes amérindiens et catholicisme avaient fusionné dans des « mixtes » plus ou moins unifiés dont le point d’équilibre, d’un endroit à l’autre et d’une population à l’autre, pouvait se rapprocher ou s’éloigner d’un pôle ou de l’autre [13]. Manuel Gamio était encore proche des thèses développées par les intellectuels du régime porfirien. Pour lui, l’existence d’« analogies, du point de vue indigène, entre les deux credo » avait permis une véritable « fusion religieuse » entre les systèmes de croyances. La religion majoritaire des Mexicains était « un catholicisme païen ou un paganisme catholique si l’on préfère le nommer ainsi », une religion originale qui coexistait avec deux autres pratiques, celle des « vrais catholiques » et celle des « catholiques utilitaristes [14]. »
8Dans les années qui suivirent, deux anthropologues explorèrent la voie ainsi tracée, Wigberto Jimenez Moreno, et surtout William Madsen ( † 2003) [15]. Sans doute, dans Christo-paganism, Madsen raisonnait-il à partir de faits qu’il n’avait pas toujours vérifiés car il n’avait qu’une connaissance très générale des réalités anthropologiques étudiées et ignorait leur plasticité historique [16]. De plus, il ne s’intéressait qu’aux croyances et ignorait les rites. Son mérite est ailleurs : il poussa plus avant la réflexion sur le syncrétisme. Considérant le christianisme mexicain comme le résultat d’une fusion, il distinguait toute une gamme de situations qui étaient autant d’hypothèses de travail : mélanges, amalgames, confusions de croyances et de rites ; le catholicisme mexicain, selon les circonstances, pouvait être décrit comme une coalescence, une synthèse ou une recréation. Pour lui, ce syncrétisme oscillait entre deux points d’équilibre possible. À une extrémité, il voyait perdurer un système de croyances pré-hispaniques qui s’ouvrait aux nouveaux enseignements et les absorbait ; à l’autre extrémité, il envisageait différents cas de figure où des transformations plus profondes aboutissaient aux bouleversements des anciennes croyances. Déstructurées, elles se trouvaient alors subverties par la charge émotionnelle du christianisme. Madsen opposait comme deux figures d’école la situation des Mayas du Yucatan, qui illustrait selon lui le premier exemple, et celle des Mexicas du Mexique central, globalement représentatifs du second. Schématiquement développée par Madsen, souvent reprise ensuite, cette grille d’analyse a, depuis, connu une grande fortune et, au fil des années, elle a été considérablement affinée. Dans un article récent, à partir d’enquêtes de terrain, Alfredo López Austin propose une classification convaincante des transformations induites par la prédication chrétienne au sein des pensées préhispaniques globalement résistantes. Il distingue une première étape de la transformation des mythes indigènes où les structures mythologiques demeurent inchangées et où seules l’identité et les caractéristiques du principal personnage mythique sont altérées par des emprunts au christianisme. Si l’évolution est un peu plus poussée, il arrive que des éléments allochtones soient intégrés à la trame du récit mythologique et même (troisième stade), que tout le récit soit bouleversé, même si le sens général du mythe demeure reconnaissable. Des évolutions plus profondes aboutissent à la désintégration du récit proprement dit : on ne retrouve plus alors dans ces pensées très christianisées que la référence aux grands principes cosmiques de l’ancien temps. Enfin, au stade ultime de la pénétration de l’enseignement chrétien, même ceux-ci sont défigurés [17].
9Une telle lecture focalise l’attention sur l’étude des « intersections », et le catholicisme colonial est décrit comme le résultat de la rencontre de deux systèmes de croyances en des lieux partagés : rites similaires, figures analogues ou croyances communes au christianisme et aux « religions » pré-hispaniques qui, de fait, existent et furent clairement identifiés dès le xvie siècle. Tel est le cas d’un rituel de confession préhispanique décrit par le religieux franciscain Bernardino de Sahagún et aussitôt comparé au sacrement chrétien de la confession, alors que très tôt également, les personnages du dieu Quetzalcoatl ou de la déesse préhispanique Tonantzin ont été comparés aux figures du Christ et de la Vierge en raison de leurs caractéristiques formelles ou de certains éléments des récits mythologiques les mettant en scène.
Résistance versus métissages
10Aujourd’hui, comme régulièrement depuis un siècle, le débat est dominé par l’affrontement entre les auteurs qui insistent sur la résistance des cultures indigènes et ceux qui privilégient l’étude des métissages culturels. Les positions des uns et des autres demeurent apparemment inconciliables, comme en témoigne l’échange peu amène qui suivit la publication dans les Annales, histoire et sciences sociales d’un compte rendu des trois volumes de la Cambridge History of Native Peoples of the Americas parus en 1999 [18]. Les quatre auteurs de cette longue contribution pointent là sévèrement la political correctness d’une cultural study qui, selon eux, pourrait marquer à terme « un recul par rapport aux exigences mêmes de la recherche. » L’enjeu de ce débat est clair puisqu’il s’agit pour les auteurs des Annales de plaider pour « un autre américanisme … qui n’isole pas l’histoire d’un groupe particulier, [mais] qui fait du métissage l’un des moteurs de la dynamique sociale observée [19] … » Dans un contexte politico-culturel profondément renouvelé, on aura reconnu là les termes d’un débat maintenant vieux d’un siècle.
De son vrai nom Bernardino Ribeira, né en Espagne dans la province de Léon vers 1500, décédé au Mexique le 23 octobre 1590.
Au-delà des permanences et des blocages : de réelles avancées
11Pourtant, les oppositions entre les tenants des deux thèses sont loin d’être aussi tranchées qu’il n’y paraît. Si l’on comprend (et partage) l’irritation des auteurs des Annales devant les précautions oratoires et les mea culpa déplacés dont, semble-t-il, les auteurs anglo-américains ne semblent plus pouvoir faire l’économie lorsqu’il parlent des « dominés », force est de constater que les positionnements d’école des uns et des autres relèvent parfois de l’affichage et du marquage de territoire : c’est souvent là question de posture plus que débat de fond. Comme le concèdent au demeurant les auteurs des Annales, les deux camps sont en effet loin d’être monolithiques et, dans certains cas, seule une frontière imaginaire les sépare. Entre un certain nombre d’historiens ou d’anthropologues qui se trouvent classés dans des camps opposés, les points d’accord sont plus nombreux qu’on ne pourrait le penser et parfois il arrive tout simplement que certains décrivent un même objet, mais depuis deux observatoires distincts. Ainsi, la différence est-elle bien ténue entre ceux qui expliquent le métissage culturel par l’action d’acteurs amérindiens capables de réélaborer les apports culturels occidentaux, comme Serge Gruzinski le fait fort justement, et ceux qui « considèrent que les indigènes furent en partie les producteurs de leur propre histoire », comme le postulent Stuart B. Schwartz et Frank Salomon ! Dès 1985 en effet, dans l’un de ses premiers travaux, Les Hommesdieux du Mexique, Serge Gruzinski se proposait de dépasser les réflexions bridées par l’usage simpliste « des dichotomies dominants/dominés, Espagnols/Indiens » et à travers une série de portraits et d’épisodes remarquables, il illustrait la manière dont les Indigènes du Mexique central avait organisé la résistance à l’ordre et à la civilisation imposés … en s’appropriant un nombre toujours croissant de traits culturels occidentaux [20].
12Encore faut-il distinguer le niveau des principes et celui des méthodes. Au-delà de la divergence des points de vue, les principes mis en œuvre par les uns et par les autres ne sont pas toujours inconciliables, mais les méthodes adoptées les poussent souvent sur des voies divergentes.
Accord sur un certain nombre d’évidences
13Si l’on veut bien mettre entre parenthèses, pour un temps, le débat sur le caractère irréductible et résistant ou non des cultures mésoaméricaines, il apparaît que, pour la plupart, les auteurs contemporains s’accordent sur un certain nombre d’évidences. Ainsi, sans il est vrai toujours en tirer les conséquences, sont-ils de plus en plus nombreux à reconnaître la diversité des situations régionales.
14Lors d’une rencontre pourtant fortement marquée par les options propres aux cultural studies, James Lockhart tenta-t-il de faire une typologie des formes du contact entre cultures amérindiennes et christianismes qui lui permit de distinguer des contextes plus ou moins favorables au développement de différentes formes de résistance culturelle indigène [21]. Dans l’introduction au volume de l’Encyclopedic history of the religious quest consacré aux spiritualités indigènes de l’Amérique latine, Garry H. Gossen, pour sa part, insiste sur la multiplicité des acteurs et des configurations qui impliquent, nous dit-il, des « centaines de formes de croyance et de pratiques » à l’échelle du continent, il est vrai [22].
15Sans doute la tentation d’écrire trop vite une histoire unifiée à partir de faits épars n’a-t-elle pas totalement disparu : il n’en reste pas moins que l’on est désormais plus attentif à la diversité des situations locales et des choix individuels des acteurs en présence. La multiplication des monographies permet aux anthropologues et aux historiens de prendre en compte un avertissement pourtant lancé par Robert Ricard dès 1933, mais trop longtemps demeuré bien négligé [23].
16L’hétérogénéité des cultures en présence est également mieux prise en compte de nos jours qu’elle ne l’était par le passé. Le temps n’est plus où l’on pouvait bâtir des analyses en confrontant terme à terme les dogmes et les rites chrétiens, d’une part, les cosmovisions savantes et les grands rituels publics indigènes, d’autre part. Le christianisme des Européens était aussi un christianisme vécu, une religion « populaire », avec ses propres croyances aux marges de l’orthodoxie, ses pratiques et ses rites spécifiques. Cette réalité nous est mieux connue depuis que, dans les années 1970, l’essor de l’anthropologie religieuse a démontré l’intérêt de ce type d’approche et l’on est aujourd’hui mieux à même d’en repérer l’héritage au sein des pratiques religieuses du Nouveau Monde [24].
17Du coup, les croyances et les rituels sans rapport avec le dogme et la liturgie catholique ne sont plus systématiquement identifiés comme des héritages pré-hispaniques et confondus avec eux. Symétriquement, on ne réduit plus les systèmes de croyances et les rites méso-américains aux formes décrites pour les grandes religions d’État, telles qu’elles pouvaient s’épanouir dans les temples des cités. On a aujourd’hui une connaissance plus fine des rituels méso-américains et l’on perçoit davantage la manière dont ils continuent, en dépit du développement de la prédication évangélique et parfois jusqu’à nos jours, à intervenir dans la relation au sacré [25]. De ce fait, les acteurs en présence sont plus nombreux qu’on ne l’imaginait et les dynamiques religieuses enclenchées par la diffusion du message chrétien plus complexes et surtout plus variées qu’on ne le pensait, ce qui interdit désormais (du moins en théorie !) les discours simplistes et globalisants [26].
Le résultat d’une politique de compromis
18Dans ce contexte profondément renouvelé, loin des discours sur les mécanismes de la « fusion » religieuse hérités des travaux de W. Madsen et de W. Jimenez Moreno, deux concepts sont apparus, qui s’imposent comme des outils majeurs de l’analyse des transformations religieuses : ceux de « compromis » et de « quiproquo ». Quelles que soient leurs options, tous les chercheurs envisagent aujourd’hui la diffusion et la réception du christianisme comme le résultat d’une politique de compromis dont les maîtres d’œuvre sont tant les missionnaires eux-mêmes (thèse que développe par exemple Solange Alberro) que les Indiens (option qui a la préférence de J. Klor de Alva).
19À la différence de la fusion, le compromis, n’aboutit pas à une synthèse plus ou moins cohérente et plus ou moins stable : il établit un modus vivendi entre deux camps qui choisissent de se rassembler autour de ce qui leur semble acceptable et d’ignorer ce qui les sépare. Le compromis passé ne repose d’ailleurs pas nécessairement sur une intelligence réciproque de l’autre, mais il est conclu à partir de ce que l’on croit comprendre de lui : alors le dialogue prend un tour totalement imprévisible et débouche sur des créations tout à fait inattendues. James Lockhart a utilisé, pour décrire ces phénomènes, la belle expression de « double mistaken identity » : dans un même objet, que l’on croit partager, chacun ne voit que ce que à quoi sa culture le renvoie et les populations indiennes vivent dans un « monde glissant », une sorte de chaos où, le plus souvent, les repères se dérobent dès qu’on tente de les saisir [27] … Dans ce contexte d’incompréhension mutuelle, des univers culturels partiellement disjoints, peuvent tout à la fois et selon les moments, les groupes ou les individus entrer en coalescence, se recouvrir, se concurrencer ou s’exclure.
20Quelques monographies sont venues illustrer cette nouvelle complexité. Dans Une rébellion indienne au Chiapas, Juan Pedro Viqueira renonce à définir la nature du culte qui, en 1712, s’organise autour de María Candelaria, une jeune indienne qui se présentait comme la réincarnation de la Vierge : le caractère contradictoire des témoignages recueillis ne lui permet pas d’établir une vérité qui nous échappe comme elle échappa aux juges espagnols. En revanche, il établit clairement l’existence, au sein de la communauté de Cancuc, de différents « partis » aux options religieuses différentes qui, en fonction de leurs propres intérêts, rejettent ou au contraire empruntent plus ou moins largement aux Espagnols et à leur religion [28]. Plus récemment, Thomas Calvo, à partir d’un riche fonds de l’archivo judicial de la Haute Zapotèque, dans l’état d’Oaxaca, a pu jeter une vive lumière sur les luttes de factions qui divisèrent le village de Yasona au tournant des xviie et xviiie siècles. Comme à Cancuc, la relation au christianisme et à l’Église y fut alors instrumentalisée par des élites locales divisées et en conflit qui chacune à sa manière espérait en tirer profit. Dans ce cas précis, l’affaire prit l’allure d’un conflit de générations, d’un combat entre des « anciens » raidis sur leur pouvoir et sur le passé, auxquels s’en prenaient des « modernes » plus pressés et plus ouverts aux influences espagnoles [29].
21Une plus grande modestie semble donc désormais de mise quant à l’identification des dynamiques religieuses à l’œuvre au sein des sociétés coloniales. On admet en tout cas plus aisément la possibilité du pluralisme religieux dans un même espace, voire au sein d’une même communauté et même, le cas échéant, à l’intérieur d’une même conscience. Les acteurs ont donc souvent le choix et ils se déterminent à chaque instant en fonction des contextes où ils se trouvent et des circonstances auxquelles ils sont confrontés. Alors que certains identifient clairement et adhèrent pleinement aux systèmes de pensée et d’action qui leur sont proposés par les « Anciens » ou par les Espagnols, d’autres composent, assemblent et désassemblent des univers religieux instables, faits de morceaux dissemblables et pas toujours cohérents réunis à certains moments, mais séparés à d’autres. À la fin de son livre, les lecteurs de Juan Pedro Viqueira ne savent toujours pas ce qui se cachait derrière la natte de feuilles de palmier qui dérobait à la vue de ses dévots le saint des saints où María Candelaria avait élu domicile : une image de la Vierge du Rosaire, un paquet cérémoniel, une idole préhispanique ou encore un jaguar ? Il est possible que tout cela y ait coexisté ou que chacun y ait vu ce qu’il voulait bien y voir. Pour sa part – et d’une manière très personnelle –, Serge Gruzinski souligne le caractère mobile, transitoire et aléatoire des frontières qui séparent les croyances. Dans La pensée métisse, empruntant à la théorie mathématique du chaos, il suggère que les logiques de ce qu’il appelle « le métissage », commandées par l’incertain, l’imprévisible et l’aléatoire sont plus proches des mouvements du nuage que du mécanisme de l’horloge [30]. En somme, après un long détour consacré à la quête impossible d’une interprétation globale, les historiens en reviennent à la position de Robert Ricard et de son guide, le missionnaire franciscain Diego Valadès (1533- ?), pour qui « Dieu seul sonde les reins et les cœurs [31] ».
Clair bénéfice du dialogue entre l’histoire et les sciences sociales
22On est pourtant bien loin d’un simple retour à la case départ car le bilan de toutes ces entreprises n’est pas négligeable. Certains acquis sont méthodologiques ; d’autres touchent au travail d’érudition effectué sur les textes. Depuis les années soixante-dix et quatre-vingt du xxe siècle, toutes ces études ont tiré un clair bénéfice du dialogue engagé avec les anthropologues, même si aujourd’hui les acteurs de cette histoire considèrent parfois cette période comme close [32]. En France, par exemple, les travaux de Serge Gruzinski se sont déployés à travers un constant mouvement de va-et-vient entre ces deux disciplines et plus généralement entre l’histoire et les sciences sociales. La psychanalyse et surtout l’ethno-psychiatrie furent tout d’abord sollicitées, ce qui permit à Serge Gruzinski de renouveler la lecture, jusqu’alors très décevante, des hagiographies missionnaires et de faire une incursion remarquée dans ce qui était une terra incognita, l’étude des confessions, des songes et des angoisses des néophytes. La fréquentation de l’anthropologie structuraliste et une connaissance plus fine des travaux portant sur le chamanisme lui permirent pareillement d’esquisser une véritable analyse anthropologique de la mission et de son impact sur les cultures et les consciences individuelles [33]. Par la suite, ce même auteur s’est approprié librement les outils de l’histoire de l’art et de l’esthétique (La colonisation de l’imaginaire, La guerre des images, etc.), puis dans une phase plus récente, il a conduit une réflexion personnelle fortement reliée aux questionnements contemporains à partir de la théorie du chaos (La pensée métisse) ou du débat portant sur la mondialisation (Les quatre parties du monde notamment).
Les sources en langue nahuatl dans leur diversité
23Par ailleurs, des avancées importantes ont été faites dans l’inventaire, la critique et l’utilisation des sources en langue nahuatl. Durant ce dernier demi-siècle, deux institutions ont joué un rôle clé dans cette entreprise, l’Instituto de Investigaciones Históricas à Mexico, avec notamment l’action de Miguel León-Portilla et la School of American Research de Santa Fe (Nouveau Mexique) qui a soutenu l’immense entreprise de traduction en anglais du Codice florentino de fray Bernardino de Sahagún. Depuis, l’intérêt des linguistes semble devoir se déplacer vers d’autres types de textes, notamment ceux de la pastorale missionnaire, du théâtre religieux et de la spiritualité chrétienne en langue nahuatl. Avec les travaux sur les testaments indigènes, toute une série de documents jusque-là peu utilisés devient peu à peu accessible et enrichit, voire renouvelle notre vision de l’évangélisation [34]. Pourtant, on n’est là qu’au début d’une entreprise qui est à peine engagée : tout en mettant de nouvelles sources à la disposition de la communauté scientifique, elle nous fait toucher du doigt l’étendue du travail qui reste à faire et celle, plus inquiétante, de notre ignorance. Mais, fort de leur connaissance linguistique et de leur familiarité avec les textes indigènes, ces traducteurs tendent trop souvent à développer une sorte de « contre-histoire » de l’évangélisation qu’ils opposent parfois trop vite à celle de leurs collègues : d’où le ton du compte rendu de la Cambridge History of native people parue dans les Annales et la polémique qui s’ensuivit.
Au-delà des survivances et des métissages un catholicisme vivant, aux marges de l’orthodoxie
24Ce tour d’horizon trop rapide aura sans doute montré les avancées mais aussi les lacunes de l’enquête historienne telle qu’elle a été conduite jusqu’ici. Elle souffre de deux limites : une excessive focalisation sur les temps premiers, qui a pour corollaire une méconnaissance des phénomènes inscrits dans la longue durée, et un tropisme excessif pour l’« exotique », qui la conduit à sous-estimer l’inégale mais réelle ouverture des sociétés locales aux apports européens. De toutes les voies ouvertes, c’est à l’évidence celle indiquée par Robert Ricard qui a suscité le moins de vocations. Du coup, l’importance des survivances et l’intensité des métissages se trouvent souvent exagérées parce que l’héritage européen n’est pas toujours suffisamment reconnu, y compris par ceux qui s’efforcent de le prendre en compte [35].
25Pourtant, l’énorme enquête de William Taylor montre qu’il est possible d’emprunter d’autres voies. En investissant un moment délaissé, le xviiie siècle, et en choisissant de faire porter le questionnement sur les relations concrètes qu’entretinrent les paroissiens et leurs curés (sous toutes leurs formes), en multipliant aussi les dépouillements massifs de fonds d’archives très variés, William Taylor s’est donné les moyens de questionner à nouveaux frais la nature du « catholicisme mexicain » et ses travaux renouvellent l’image que l’on pouvait se faire des pratiques religieuses indigènes. Relativement indifférent à la question de l’orthodoxie, le christianisme vécu qu’il dépeint apparaît comme une religion peu structurée, étonnamment plastique, mais avant tout modelée par un catholicisme « populaire » reconfiguré par des innovations locales alors même que l’encadrement clérical était peu dense et que le personnel ne fut pas toujours de qualité.
26Le recours à différents types de sources lui permet de relativiser leurs apports respectifs : concrètement, les poursuites contre les idolâtres devant les tribunaux épiscopaux isolent de petits groupes au sein de la foule des paroissiens qu’il retrouve dans les confréries des villages ou dans l’intimité des testaments et dont rien ne permet de dire qu’ils s’écartent de la « voie moyenne » caractéristique de la religion locale au sens où William Christian put la définir [36]. Tous les fidèles ne sont pas comparables. Peu cependant, dans les deux diocèses qu’il étudie méritent véritablement les foudres des autorités : « globalement, les pratiques religieuses locales permettent d’identifier les Indiens de la colonie comme des Chrétiens qui interprètent les demandes du clergé et s’efforcent d’y répondre, même s’ils ne sont pas, à proprement parler, conduits par lui [37]. »
Résistances indigènes et syncrétismes coloniaux à réévaluer
27Cette conclusion, fortement argumentée, l’amène tout naturellement à réévaluer l’importance des discours sur les résistances indigènes et les syncrétismes coloniaux. De fait, les dénonciations émanant des curés tout comme les procédures d’inquisition épiscopale doivent être lues avec attention et utilisées avec prudence. Ces sources, peu nombreuses, témoignent de réalités diverses qu’on aurait tort de confondre. Elles distinguent en effet, entre véritables hérésies d’une part, erreurs et superstitions d’autre part. S’il s’agit là d’une grille de lecture convenue imposée par une tradition savante dénuée de véritable valeur scientifique, on ne peut ignorer le fait que les clercs chargés de réprimer les écarts à l’orthodoxie ont éprouvé le besoin de distinguer entre plusieurs niveaux de déviances : ils furent confrontés à des réalités variées et n’eurent que rarement affaire à des résistances organisées. William Taylor nous met en garde contre les reconstructions abusives. En effet, les formes de résistance ou de réinterprétation du christianisme ne sont attestées ni de manière simultanée en différents endroits, ni continûment en un même lieu. Grosso modo, les sources qui nous sont parvenues concernent l’altiplano central au xvie siècle et les régions plus périphériques de l’Oaxaca, du Guerero et du Yucatan au xviie siècle ou au tournant des xviie et xviiie siècles. Il se pourrait donc que, d’une certaine manière, ces descriptions correspondissent au déplacement d’un « front » missionnaire pionnier révélateur d’états successifs de la mission et non de la nature d’un quelconque catholicisme métissé. De son point de vue, tout se passe comme si les anciennes croyances et les vieux rites pré-hispaniques avaient été, en maints endroits, victimes d’une perte progressive de sens. Lorsqu’en 1734, à Churubusco, près de Mexico, le curé met à jour des idoles enterrées et des couteaux pré-hispaniques ensevelis au pied des croix, il crie à l’idolâtrie. Ses craintes peuvent paraître fondées puisque les Indiens s’étaient opposés aux fouilles qui aboutirent à ses découvertes. Toutefois, la destruction de ces objets ne provoqua aucun mouvement d’opposition de leur part et la découverte semble avant tout susciter chez eux un élan de curiosité … Tout se passe donc comme si un attachement à ce lieu et à ces objets chargés de passé et de mystère, respectés, craints et peut-être honorés était demeuré vivant jusqu’à cette date. Mais il ne semble pas qu’une connaissance précise des choses du passé ait survécu [38].
Un catholicisme populaire largement répandu
28Une autre image ressort de la longue description de la vie religieuse des paroisses que nous donne William Taylor : celle d’un catholicisme populaire largement répandu qui se trouve avant tout en quête d’intercesseurs efficaces. À cet égard, il est particulièrement frappant de voir comment certaines communautés indigènes, à Patzcuaro, à Querétaro ou ailleurs, parvinrent à se réapproprier cette figure parfaite de l’hispanité triomphante qu’est Santiago. Pareillement, soulignons le succès des cultes mariaux dont il est difficile de nier qu’il est le résultat d’une patiente et constante politique de l’Église, et en particulier des Jésuites. Si, dans certains contextes sociaux et culturels, ces différentes figures peuvent apparaître comme profondément réinterprétées, il est à l’inverse troublant de vérifier combien les politiques de l’institution furent efficaces ; en certains endroits il est même possible d’identifier de petits groupes d’authentiques dévots. Souvent minoritaires, ceux-ci n’en soulignent pas moins, par leur existence, comment l’évangélisation ouvrit l’éventail des références culturelles disponibles et induisit une dispersion des choix individuels.
29Même s’il s’inscrit délibérément à rebours de toute une tendance de l’historiographie, William Taylor n’entend pas substituer une grille de lecture à une autre et son propos ne vise pas à congédier les interprétations souvent très différentes antérieurement proposées du « catholicisme mexicain ». Il nous invite bien davantage à penser les échanges culturels dans leur complexité et à considérer la fluidité et la diversité des catholicismes et des refus du catholicisme. Sera-t-il entendu ? Au-delà de la fascination que la rencontre des « deux mondes » exerce sur les esprits, on ne peut qu’espérer un prochain rééquilibrage de l’historiographie.
Aujourd’hui, ce sont les anthropologues qui interpellent les historiens
30La démarche de William Taylor soulève pourtant un autre problème et l’on peut légitimement se demander si la vision qu’il développe ne reflète pas ses choix épistémologiques, un ensemble d’options au demeurant fort légitimes du point de vue de l’historien. De manière pragmatique, en s’en tenant à une analyse critique des sources disponibles et en refusant les modélisations conjecturelles difficilement vérifiables, il se peut qu’il ait été conduit à minimiser l’ampleur de ce que les clercs n’ont pas vu ou pas même soupçonné ; il se peut encore qu’il n’ait pas perçu cette « part d’ombre » que les fidèles eux-mêmes pouvaient séparer de leurs croyances et de leurs pratiques chrétiennes. Les anthropologues recensent d’un bout à l’autre du Mexique contemporain des formes extrêmement variées de relation au sacré. William Taylor ne peut qu’en confirmer l’ancienneté, mais en définitive il a peu à nous dire sur leur origine. Cette limite, à vrai dire, tient moins au travail lui-même qu’à la position de l’historien face à son objet. Il fut un temps où les anthropologues se tournaient vers le passé et ceux qui pouvaient l’interroger afin de trouver les réponses aux questions qu’ils ne savaient comment aborder avec leurs propres outils : c’est ainsi que naquit l’ethnohistoire, il y a plus de cinquante ans. Au seuil du xxie siècle, les anthropologues ne se sont pas toujours appropriés les outils de l’histoire mais ceux qui l’ont fait se trouvent probablement dans une position plus avantageuse que les historiens lorsqu’ils s’efforcent de comprendre les formes historiquement construites de la relation au sacré. L’historien ne peut travailler en effet que sur des traces éparses et incomplètes. Alors que le champ de la rencontre des cultures est celui de l’ambiguïté et de la polysémie, il est à même d’identifier quelques objets, mais il ne peut pas toujours connaître le regard que les acteurs portaient sur eux, la lecture qu’ils en donnaient, l’usage qu’ils se proposaient d’en faire. Parce que la date de sa fête marque approximativement le début de la saison des pluies, le culte de saint Marc a pu rejoindre celui des montagnes qui arrêtent les nuées annonciatrices des pluies à venir, mais il ne l’a pas nécessairement fait. Comme Danièle Dehouve le souligne fort justement, « c’est le sens énoncé par les acteurs religieux qui permet de savoir s’il faut envisager saint Marc dans le cadre des cultes locaux des montagnes ou de l’hagiographie européenne [39]. » Alors que l’anthropologue peut interroger ses interlocuteurs, l’historien trouve rarement dans ses archives une parole aussi explicite que la réponse d’un témoin sereinement interrogé par un esprit curieux mais dénué des arrière-pensées du juge. Il en est donc réduit à interpréter à partir de modèles les faits dont les archives attestent l’existence et, le plus souvent, il ne peut proposer que des hypothèses.
31Lorsque Serge Gruzinski constate l’éloignement croissant des problématiques des historiens et des anthropologues, il le fait en songeant à l’affirmation d’une certaine anthropologie d’origine anglo-saxonne, fort médiatisée, qui trop souvent cède à la tentation de l’essentialisme. Fort heureusement tous les anthropologues ne succombent pas à l’appel de telles sirènes. Une anthropologie de terrain demeure, qui ne se contente pas d’interroger sommairement le passé afin de trouver en lui les fausses preuves d’une prétendue résistance ou d’une supposée rémanence du passé indigène. L’anthropologie et l’histoire peuvent encore se rejoindre quand cette dernière, entre les mains de Richard Trexler par exemple, sert à mesurer l’importance des changements historiques afin de mieux apprécier la construction contemporaine des rituels et des procédures mises en œuvre sous nos yeux [40]. Et cette contribution minimale n’est sans doute pas la seule. Aujourd’hui des anthropologues, à l’instar d’Alfredo López Austin et Leonardo López Luján au Mexique, Peter Van der Loo en Angleterre ou encore Danièle Dehouve en France, pensent à nouveaux frais leurs relations avec les historiens. Il ne s’agit plus pour eux d’identifier des traits isolés à différents moments historiques, mais de comparer des « unités thématiques, des ensembles d’éléments et de concepts dont on suit la trace à des moments historiques successifs [41]. »
32La voie semble assurément prometteuse. Il serait sans doute regrettable que les historiens, échaudés par les erreurs passées, s’abstiennent de s’associer à cette nouvelle démarche. On mesure cependant le chemin accompli. Si la conjugaison des approches de l’anthropologie et de l’histoire a encore de beaux jours devant elle, il est clair qu’aujourd’hui, ce sont les anthropologues qui interpellent les historiens et non plus l’inverse.
Notes
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[*]
Pierre Ragon, ancien chercheur pensionnaire du Centre d’Études Mexicaines et Centre-Américaines à Mexico, est professeur d’histoire moderne à l’Université de Rouen et directeur de recherches à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine. Il a longtemps travaillé sur l’histoire religieuse du Mexique colonial et a notamment publié Les saints et les images du Mexique, xvie-xviiie siècles (L’Harmattan, 2003). Il s’est depuis engagé dans une enquête collective d’histoire comparée entre les dynamiques religieuses du Mexique et de la zone andine.
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[1]
Nicolás León, Los popolocas, Mexico (Conferencias del Museo Nacional, serie etnología, n° 1), p. 13-16 cité par Robert Ricard, La « conquête spirituelle » du Mexique. Essai sur l’apostolat et les méthodes missionnaires des ordres mendiants en Nouvelle-Espagne de 1523-1524 à 1572, Paris, Institut d’Ethnologie, 1933, p. 325.
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[2]
La thèse de la résistance des croyances et des pratiques préhispaniques est également défendue par le chanoine Andrade : Vicente de P. Andrade, « Idolatrías y supersticiones de los Indios », dans Reseña de la segunda sesión del xvii congreso internacional de americanistas, Mexico, 1912, p. 287-294.
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[3]
On citera simplement à titre d’exemple : Gonzalo Aguirre Beltrán, Medicina y magía : el proceso de aculturación en la estructura colonial, Mexico, INI, 1973, ou plus important pour notre propos : Zongolica, encuentro de dioses y santos patronos, Xalapa, Universidad Veracruzana, 1986.
-
[4]
Voir : Louise M. Burkhart, The slippery earth : Nahua-Christian moral dialogue in sixteenth century Mexico, Tucson, University of Arizona Press, 1989 et, pour Sarah L. Cline, sa note de synthèse : “Competition and fluidity in latin american Christianity”, dans Latin American Research Review, 2000, vol. 35, p. 244-250.
-
[5]
Dans la seconde moitié du xixe et au début du xxe siècle.
-
[6]
Il s’agit d’une thèse de la Sorbonne préparée au Mexique et publiée à Paris par l’Institut d’Ethnologie.
-
[7]
George Kubler, Mexican architecture of the sixteenth century, New Haven, Yale Universiy Press, 1948, vol. 2, p. 428.
-
[8]
John McAndrew, The open-air churches of sixteenth-century Mexico. Atrios, posas, open chapels and others studies, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1965, p. 48-90.
-
[9]
George M. Foster, Culture and Conquest. America’s Spanish Heritage, New York, Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research Inc., 1960.
-
[10]
À l’évidence pourtant, il sous-estimait les emprunts faits aux pratiques et aux croyances populaires tant européennes que locales : Ibid., p. 164-166.
-
[11]
David Brading, Mexican phoenix : our lady of Guadalupe, image and tradition across five centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; William Taylor, Magistrates of the sacred : priest and parishioners in eighteenth-century Mexico, Stanford, Stanford University Press, 1996. Nous nous sommes inscrits dans cette même démarche avec Les saints et les images du Mexique (xvie-xviiie siècles) Paris, L’Harmattan, 2003.
-
[12]
Andrès Molina Enriquez ouvre la voie. Voir : Los grandes problemas nacionales, Mexico Instituto Nacional de la Juventud Mexicana, 1964 [1908], p. 254 sq., et la présentation d’Henri Favre L’indigénisme, Paris, PUF, 1996, p. 32-34.
-
[13]
Manuel Gamio, Forjando Patría, Mexico, Porrúa, 1982 [1re édition 1916].
-
[14]
Ibid., p. 82 et 90-92.
-
[15]
William Madsen, Christo-paganism : a study of mexican religious syncretism, Nouvelle-Orléans, Tulane University, 1957 (Middle American Research Institute Publications n° 19)
-
[16]
Significatif est à cet égard son traitement du culte rendu au Christ de Chalma.,
-
[17]
Alfredo López Austin, « Cuando Christo andaba de milagros : la innovación del mito colonial », dans Xavier Noguez et A. López Austin, De hombres y dioses, Zamora-Zinacantepec, El Colegio de Michoacán - El Colegio Mexiquense, 1997, p. 229-254.
-
[18]
« Quel américanisme aujourd’hui ? » par Carmen Bernand, Serge Gruzinski, Luis Felipe de Alencastro et Denys Delâge, dans Annales. Histoire, sciences sociales, 2002, n° 57-5, p. 1291-1355. Les responsables du 3e volume de la Cambridge History of Native Peoples of the Americas ont exercé leur droit de réponse : Stuart B. Schwartz et Franck Salomon, « Un américain (imaginaire) à Paris. Réponse à Carmen Bernand », dans Annales. Histoire, sciences sociales, 2003, n° 58-2, p. 499-512.
-
[19]
« Quel américanisme aujourd’hui ? », op. cit., p. 1292.
-
[20]
Serge Gruzinski, Les hommes-dieux du Mexique. Pouvoir indien et société coloniale (xvie-xviiie siècles), Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 1985, p. 11.
-
[21]
James Lockhart, « Three experiences of culture contact : Nahua, Maya and Quechua », dans Native traditions in the post conquest world. A symposium at Dumbarton Oaks, oct. 1992, E. Hill Boone et T. Cumins éd., Washington, Dumbarton Oaks, 1998, p. 31 sq.
-
[22]
South and meso-american native spirituality, Gary H. Gossen éd., New York, Crossroad Publishing Company, 1997, p. 20.
-
[23]
Robert Ricard, op. cit., p. 324.
-
[24]
Notamment les rites liées à la manipulation de la puissance des saints et les pratiques funéraires qui ne sont plus systématiquement interprétés comme des héritages préhispaniques. Voir par exemple : Stanley Brandes, Skulls to the living, bread to the dead. The day of the dead in Mexico and beyond, Malden, Blackwell Publishing, 2006, p. 30-33.
-
[25]
Johanna Broda, Stanislaw Iwaniszewski, Lucrecia Maupomé éd., Arqueoastronomía y etnoastronomía en Mesoamérica, México, UNAM - Instituto de Investigaciones Históricas, 1991 et Beatriz Albores, Johanna Broda éd., Graniceros. Cosmovisión y meteorología indígenas de Mesoamérica, UNAM – El Colegio Mexiquense, 1997.
-
[26]
South and meso-american native spirituality, op. cit., p. 20.
-
[27]
James Lockhart, « Some Nahua concepts in postconquest guise », dans History of European ideas, n° 6, 1985, p. 477 et Louise M. Burkhart, The slippery earth. Nahua-christian moral dialogue in sixteenth-century Mexico, Tucson, University of Arizona Pres, 1989, p. 193.
-
[28]
Juan Pedro Viqueira, Une rébellion indienne au Chiapas (1712), Paris, L’Harmattan, 1999.
-
[29]
Thomas Calvo, « Nubarrones y tormentas sobre la sierra zapoteca : luchas de poder en san Juan Yasona (1674-1707) », dans Anuario de Estudios Americanos, vol. 62-2, 2005, p. 25-46.
-
[30]
Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, p. 45, 55-56 et 82.
-
[31]
Apoc. 2, 23. Robert Ricard, op. cit., p. 324, et Diego Valadés, Retórica cristiana, Mexico, UNAM-FCE, 1989, p. 424-425.
-
[32]
Serge Gruzinski, « Histoire et anthropologie, une question inactuelle ? », dans Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n° 49-4 bis, 2002, p. 89-92. Ce texte reprend son intervention orale lors de la table ronde « Histoire et anthropologie, nouvelles convergences ? » organisée par la SHMC.
-
[33]
Serge Gruzinski, « Délires et visions chez les Indiens du Mexique », dans Mélanges de l’École Française de Rome, tome 86, 1974, vol. 2, p. 445-480 ; « Le passeur susceptible. Approches ethnohistoriques de la conquête spirituelle du Mexique », dans Mélanges de la Casa de Velázquez, tome XII, 1976, p. 195-217 ; « Une source d’ethnohistoire : les vies de « vénérables » dans l’Italie méridionale et le Mexique baroques » (avec Jean-Michel Sallmann), dans Mélanges de l’École Française de Rome, tome 88, 1978, p. 789-822.
-
[34]
Voir par exemple : B. de Sahagún, Psalmodia christiana (Christian psalmody), Arthur J. O. Anderson trad., University of Utah Press, 1993, ou encore les traductions de John Bierhorst et de Louise M. Burkhart. Pour une esquisse de ce corpus, voir Arthur J. O. Anderson, « Sahagun’s doctrinal enciclopedia », dans Estudios de cultura nahuatl, vol. 16, 1983, p. 109-122.
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[35]
Nous avons donné quelques exemples de ce travers dans le chapitre I de Pierre Ragon, op. cit., notamment p. 41-78. On pourra voir aussi la pourtant belle étude de Kevin Terraciano, « Native expressions of piety in Mixtec Testaments », dans Dead giveaways. Indigenous testaments of colonial Mesoamerica, S. Kellogg et M. Restall éd., Salt Lake City, University of Utah Press, 1998, p. 115-140. Faute de s’être suffisamment interrogé sur les formes du testament européen, cet auteur confond, en s’appuyant sur des analogies formelles, formules de dévotion et expressions indigènes.
-
[36]
William Christian, op. cit., p. 63.
-
[37]
Ibid. p. 61.
-
[38]
Ibid., p. 68-69.
-
[39]
Danièle Dehouve, Offrandes et sacrifices en Mésoamérique, Paris, Riveneuve, 2007, p. 19.
-
[40]
Richard C. Trexler, Reliving Golgotha. The passion play of Iztapalapa, Cambridge, Harvard University Press, 2003, étudie sur un peu plus d’un siècle, - et notamment à grand renfort de dépouillements d’articles de presse -, le théâtre de la Passion tel qu’il se joue à Iztapalapa, dans la banlieue de Mexico. Cette démarche lui permet de remettre en cause la thèse selon laquelle cette manifestation s’inscrirait dans de lointaines continuités coloniales, thèse dont on trouvera une illustration, par exemple, dans les travaux de Mariangela Rodriguez, Hacia la estrella con la pasión y la ciudad a cuestas, Mexico, Ciesas, 1991.
-
[41]
Selon les termes de Danièle Dehouve, op. cit., p. 15.