Notes
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Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Marie-Lucie Copete, Pierre Antoine Fabre, Aliocha Maldavsky, Hervé Pennec, Bernard Vincent, Jean-Paul Zuñiga, Ines G. Zupanov. Ce groupe a organisé un précédent colloque dont les actes ont été publiés : Missions religieuses modernes. « Notre lieu est le Monde ». Études réunies par Pierre Antoine Fabre et Bernard Vincent, Collections de l’École française de Rome 376, École française de Rome, Roma, 2007. Les correspondants espagnols pour l’organisation du colloque de 2007 étaient Berta Ares Escuela de Estudios Hispano-Americanos-CSIC, Séville et Federico Palomo Universidad Complutense Madrid.
1Les 29, 30 et 31 janvier 2007 s’est tenu à Madrid, à la Casa de Velázquez, un colloque international intitulé Misiones y circulación de saberes (ss. xvi-xviii) (Missions et circulation des savoirs xvie-xviiie siècles) organisé par le Groupe de recherche des missions ibériques à l’époque moderne (ehess-care-crh) [1].
2L’objet de ce colloque était d’explorer la dimension intellectuelle et savante du projet missionnaire. Il visait à réfléchir aux modalités et aux configurations des savoirs missionnaires chrétiens du xvie au xviiie siècles. Les savoirs élaborés dans ce cadre, furent nombreux et importants : géographie, linguistique, ethnographie, histoire, médecine, botanique, technologie, astrologie. Ils étaient au service de l’action missionnaire tout en lui échappant. L’objectif du colloque était de s’interroger sur les lieux et le temps de la production des savoirs, leur circulation, leur consommation, ainsi que sur les effets sur – et les relations avec, le corps social, politique et les pratiques de soi.
3Des chercheurs venus de France, d’Espagne, du Portugal, d’Italie, du Brésil, des États-Unis et de Grande Bretagne ont présenté des communications organisées selon cinq thèmes : – Modèles et paradigmes des savoirs des missionnaires ; – Trajectoires et formation des missionnaires ; – Les livres et les bibliothèques des missionnaires ; – Savoirs et apostolat ; – Savoirs missionnaires et savoirs indigènes : appropriations réciproques.
Les textes écrits à partir de l’expérience missionnaire
4La première série de communications s’intéressait au type de savoir produit par les missionnaires. Comment s’insère-t-il dans la hiérarchie des savoirs ? Comment s’opère la mise en ordre du monde découvert par les Européens ? Quelles interactions culturelles et politiques ces savoirs provoquent-ils en Europe et dans le Nouveau Monde ?
5Des communications très diverses ont abordé des textes écrits à partir de l’expérience missionnaire. La question politique est présente dans ces textes, qu’ils soient à l’usage de l’Europe ou pour un usage plus local. La description des gentils avec le débat important sur la hiérarchie des civilisations permet de poser la question de la légitimité de la conquête. Le discours de l’utopie politique en Europe s’appuie sur le modèle missionnaire et sur l’idée de l’existence de différentes sociétés. Enfin, certains textes sont des justifications du pouvoir indirect des missionnaires sur la société coloniale par l’adaptation de la pensée théologico-politique de la deuxième scolastique (Suarez). Ces textes posent la question du lien entre les savoirs missionnaires et le corps social et politique. La dimension expérimentale de la mission apparaît ici dans l’usage qui est fait de la production intellectuelle sur l’altérité. D’autres textes font le choix du récit de l’émotion et de l’expérience religieuse transformant ainsi le voyage en terre américaine en un voyage spirituel. La diversité des formes de mobilisation des textes écrits à partir de l’expérience missionnaire, ou comment les savoirs sont des instruments pour les acteurs, est apparue dans les communications de cette partie.
Une formation spécifique ?
6Les communications consacrées à la formation et aux bibliothèques des missionnaires ont montré que cette question de la formation des missionnaires envoyés d’Europe ne se posait pas de manière spécifique ou raisonnée. Cela n’implique pas que la formation générale, la culture des religieux soient exemptes de connaissances utiles à la mission. Il suffisait d’une formation théologique, juridique et générale. Lorsqu’on reprend les procédures d’élection à la mission, notamment chez les jésuites, on se rend compte que des sujets très jeunes pouvaient être envoyés, dans la perspective de compléter sur place leur formation. Le missionnaire envoyé d’Europe n’est pas un missionnaire complet. La formation des missionnaires ne doit pas s’envisager uniquement en Europe, mais aussi dans les terres d’outre-mer. En Europe, l’accumulation des connaissances a plus une visée de propagande que de formation comme le montre l’exemple de la Congrégation de la Propagation de la Foi.
L’apprentissage des langues
7L’apprentissage des langues se fait principalement sur place comme le montre l’exemple chinois. L’étude des bibliothèques des collèges missionnaires semble être une piste intéressante pour renouveler les approches sur la culture missionnaire, notamment pour une comparaison de la culture des différents ordres ou entre les missionnaires européens et ceux d’outremer.
Des misionnaires savants ?
8La question des savants dans l’expérience missionnaire coloniale se pose également plutôt sous la forme d’un problème. Même dans le cas de la Chine, la vision classique d’une science au service de l’apostolat est à nuancer. C’est plutôt parce que le travail apostolique devient impossible que les jésuites deviennent sur place des savants.
9En bref, la figure du missionnaire érudit constitue une exception et il faut mettre l’accent sur l’improvisation qui entoure à la fois l’élection pour la mission, mais aussi la formation des missionnaires.
Les savoirs des missionnaires sur les indigènes
10Un nombre important de communications a été consacré à la production de savoirs sur les indigènes par les missionnaires. Certains missionnaires exceptionnels ont développé un travail de traduction et d’interprétation de la culture indigène à l’attention des autres missionnaires. La nécessité de la contextualisation de la fabrication par les missionnaires de ces savoirs sur les indigènes a été soulignée. La situation des acteurs est essentielle pour comprendre ce savoir : situation de « contact » entre Européens et Indigènes dans un monde colonial où les rapports de force peuvent être très différents.
11Les descriptions faites par les missionnaires des réalités indigènes ne doivent pas être lues comme des témoignages « simples réceptacles du réel », mais il faut en souligner les enjeux pour les missionnaires. Décrire l’espace éthiopien comme un espace centralisé et dominé par la figure royale permet aux jésuites de prouver l’efficacité de la conversion du négus.
12Des communications ont également souligné l’importance des outils conceptuels utilisés par les missionnaires pour tenter de communiquer avec les indigènes : la rhétorique avec la figure de l’analogie est utilisée par les franciscains missionnaires du monde nahuatl au xvie pour sa proximité avec l’univers indigène. Les jésuites français en Inde au xviiie ont eu recours à la démonologie pour interpréter la culture adverse. Ces « instruments conceptuels » européens ont souvent donné lieu à des quiproquos et à des fausses passerelles.
Effets en retour sur l’Europe
13Un autre thème est apparu, ce sont les effets en retour de ces descriptions des autres par les missionnaires. Effets en retour de ce savoir missionnaire sur les indigènes qui s’approprient les catégories européennes (les chroniqueurs royaux éthiopiens sont à leur tour influencés par la conception occidentale du savoir). Et enfin, effets en retour de la littérature missionnaire sur la science européenne. Cette littérature constitue souvent un socle relativement méconnu ou pas toujours explicité de traditions savantes européennes (l’ethnologie, l’orientalisme).
Conclusions : une catégorie progressivement écartée
14En conclusion, le colloque a été d’une grande richesse et diversité. La catégorie de savoir missionnaire a été progressivement écartée ; une telle étiquette risquant de camoufler la diversité des situations. On préférera réfléchir au rôle des missionnaires dans la circulation des savoirs en rendant au contexte toute son importance.
15La notion d’expérience missionnaire est sans doute plus intéressante : expérience pratique, sensible, politique, intellectuelle et religieuse de la diversité du monde et de la volonté de domination sur ce monde. Les missionnaires ont une manière particulière d’interpréter, de rendre compte de cette diversité et de vouloir se l’approprier. Il faudrait comparer leur manière d’assimiler l’expérience de la diversité à celle d’autres acteurs comme celle des juristes, des marchands. C’est ainsi que l’on pourra rendre compte de cette culture missionnaire commune comme une des formes particulières de quelque chose de plus général, du contact de l’Europe à l’âge moderne avec les autres mondes.
16La publication des actes de ce colloque est prévue dans les collections de la Casa de Velázquez.
Notes
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[1]
Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Marie-Lucie Copete, Pierre Antoine Fabre, Aliocha Maldavsky, Hervé Pennec, Bernard Vincent, Jean-Paul Zuñiga, Ines G. Zupanov. Ce groupe a organisé un précédent colloque dont les actes ont été publiés : Missions religieuses modernes. « Notre lieu est le Monde ». Études réunies par Pierre Antoine Fabre et Bernard Vincent, Collections de l’École française de Rome 376, École française de Rome, Roma, 2007. Les correspondants espagnols pour l’organisation du colloque de 2007 étaient Berta Ares Escuela de Estudios Hispano-Americanos-CSIC, Séville et Federico Palomo Universidad Complutense Madrid.