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Article de revue

L'évolution de la théologie de la mission dans la Société des Missions Africaines de Marion Brésillac à nos jours

Pages 119 à 141

Notes

  • [*]
    Michael McCabe est membre de la Province d’Irlande de la Société des Missions Africaines et il vient de terminer son second mandat comme membre du Conseil Général à Rome. Il a fait un doctorat à l’Université Pontificale Grégorienne de Rome en 1981 avec une thèse intitulée Le Rôle de l’eschatologie dans les écrits de Niebuhr et sa pertinence pour la critique socio-politique. Il a été Doyen des Études et Professeur de Théologie Systématique au Séminaire-Collège St Paul au Libéria pendant huit ans et professeur d’Études Missionnaires à l’Institut de la Mission de Kimmage, Dublin, de 1996 à 2001. Membre de l’Association Internationale des Missiologues Catholiques et de l’Association Britannique et Irlandaise des Études Missionnaires, il a publié de nombreux articles sur la mission et les questions annexes dans La Revue Indienne de Missiologie, Etudes Africaines CUEA, The Furrow, le Bulletin SEDOS, Cahiers Eudistes, Spiritus, ainsi que dans d’autres magazines. Il est l’auteur de Christianisme et autres religions, livret N° 30 de la série « Réflexions sur la Mission Aujourd’hui », publié par l’Union Missionnaire Irlandaise en 1999, et « Le mystère de l’humain, une perspective de Rahner », dans Identité Chrétienne dans un âge post-moderne (célébrant l’héritage de Karl Rahner et de Bernard Lonergan), éd. par Declan Marmion, Veritas Publication, Dublin, 2005.
  • [1]
    Cf. l’article Mission de William McConville dans The New Dictionary of Theology, sous la direction de Komanchak, Glazier, Delaware, 1978.
  • [2]
    La forme plurielle ( “les missions”) était couramment utilisée dans les cercles catholiques depuis le dix-neuvième siècle jusqu’au milieu du vingtième siècle.
  • [3]
    Sacra Congregatio de Propaganda Fide fondée à Rome en 1622.
  • [4]
    John Power, Mission Theology Today, Dublin, Gill and Macmillan, 1970, p. 3.
  • [5]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, éd. Préparée par Jean Bonfils s.m.a. avec la collaboration de Noël Douau s.m.a. Médiapaul, Paris, 1985, p. 84-85.
  • [6]
    Cependant il était possible de devenir membre de la véritable Église de façon implicite par le désir, de même qu’on le devient de façon explicite par le baptême. Cf. Francis A. Sullivan, SJ, Salvation Outside the Church : Tracing the History of the Catholic Response, London, Geoffrey Chapman, 1992, p. 103-122.
  • [7]
    Avery Dulles, Models of the Church, seconde édition, Dublin, Gill and Macmillan, 1988, p. 38.
  • [8]
    Idem, p. 41.
  • [9]
    Cf. Justin Ukpong, “Contemporary Theological Models of Mission : Analysis and Critique”, AFER, juin 1983, p. 162-164.
  • [10]
    Vatican II, Décret Ad Gentes n.° 11.
  • [11]
    Marion Brésillac, La Foi, L’Espérance, La Charité. Exercices spirituels aux séminaristes indiens, 1853. Traduits par Dom Gérard Dubois, o.c.s.o., Édité par la SMA, Rome, 1985, p. 84-85.
  • [12]
    Directoire, Imprimerie des Missions Africaines, Lyon, 1954, p. 56.
  • [13]
    Marion Brésillac, La Foi, L’Espérance, La Charité …, p. 44.
  • [14]
    Idem, p. 43-44.
  • [15]
    Idem, p. 50.
  • [16]
    Idem, p. 43 : « O malheureux hérétiques, qui déchirez la tunique sans couture du Christ ! … »
  • [17]
    Idem, p. 45.
  • [18]
    Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission., Paris, Médiaspaul, 1987, p. 159.
  • [19]
    Idem, p. 302.
  • [20]
    Idem, p. 21.
  • [21]
    Marion Brésillac, La Foi, L’Espérance, La Charité…, p. 44.
  • [22]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation…, p. 112-113.
  • [23]
    Idem, p. 90.
  • [24]
    Idem, p. 115.
  • [25]
    Idem, p. 101.
  • [26]
    Idem, p. 109-111.
  • [27]
    Idem, p. 60-61.
  • [28]
    Idem, p. 233.
  • [29]
    John Aniagwu, « The Contribution of the SMA to Education in Nigeria », SMA Irish Province Bulletin, 2007/1, p. 72.
  • [30]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation…, p. 60-61.
  • [31]
    Idem, p. 116.
  • [32]
    Idem, p. 23-24 (notes de bas de page).
  • [33]
    Idem, p. 113.
  • [34]
    Idem, p. 88-89.
  • [35]
    Michael Crowder, West African Under Colonial Rule, Evanston, Northwestern University Press, 1969, p. 328s. Cf également David Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in Theology of Mission, Maryknoll, New York, Orbis Books 1992, p. 274. Traduction française : David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Paris, Karthala, 1995, p. 408-422, Mission et colonialisme.
  • [36]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation…, p. 94-95.
  • [37]
    Idem, p. 90.
  • [38]
    Idem, p. 89.
  • [39]
    Idem, p. 88-89.
  • [40]
    Textes écrits sans titre ni date (probablement entre 1926 et 1928) dans les Archives des Missions Africaines (AMA), 3 H. 99, p. 12.
  • [41]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 37-38.
  • [42]
    Lettre de Marion Brésillac à Mgr Bonnand, 31 août 1853, dans : marion Brésillac, Lettres, Édition préparée par Bernard Favier sma et Renzo Mandirola sma, Rome, SMA/Erga edizioni, 2005, p. 1088-1091.
  • [43]
    Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, p. 475-477.
  • [44]
    Idem, p. 309 et 452-453.
  • [45]
    Idem, p. 302.
  • [46]
    Idem, p. 426-432.
  • [47]
    Idem, p. 308.
  • [48]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 95.
  • [49]
    Idem, p. 95 et 121.
  • [50]
    Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, p. 301-302.
  • [51]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 100.
  • [52]
    David Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in Theology of Mission, Maryknoll, New York, Orbis Books 1992, p. 303-304. Traduction française : David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Paris, Karthala, 1995, p. 409-410.
  • [53]
    Marion Brésillac, Le Journal d’un missionnaire, Paris, Mediaspaul, 1987, p. 51-52.
  • [54]
    David Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in Theology of Mission, Maryknoll, New York, Orbis Books 1992, p. 311. Traduction française : David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Paris, Karthala, 1995, p. 420.
  • [55]
    Idem, Transforming mission…, p. 344 ; Dynamique de la mission…, p. 468.
  • [56]
    Assemblée générale 1968, Rapports. Section C, IV, La SMA et les jeunes Églises, p. 112.
  • [57]
    John Power, SMA, Mission Theology Today, p. 5.
  • [58]
    Felipe Gomez, SJ, « The Missionary Activity Twenty Years After Vatican II », The East Asian Pastoral Review, 1686, n° 23, p. 53.
  • [59]
    John Power, SMA, Mission Theology Today, p. 5.
  • [60]
    Assemblée générale 1968, Rapports. Section C, IV, La SMA et les jeunes Églises, p. 114.
  • [61]
    Mission Theology Today, p. 5.
  • [62]
    Au service de l’Afrique et de l’Église, Orientations et décisions de l’Assemblée générale 1973, article 3, p. 14.
  • [63]
    Idem, article 6, p. 15.
  • [64]
    Idem, article 4, p. 14.
  • [65]
    Assemblée générale 1968. Rapports. Section C, IV, « La S.M.A. et les jeunes Églises », p. 112.
  • [66]
    Assemblée générale 1968. Rapports. Section A, III. « But de, la S.M.A. », p. 41, renvoyant à « Première édition », p. 8.
  • [67]
    Assemblée générale 1968. Rapports. Section B, II, « Former des hommes de dialogue », p. 49.
  • [68]
    Au service de l’Afrique et de l’Église. Orientations et décisions de l’Assemblée générale 1973, article 152, p. 66.
  • [69]
    Idem, article 156, p. 67.
  • [70]
    Idem, article 156, p. 68.
  • [71]
    Évangélisation et Renouveau. Textes de l’Assemblée générale 1978, article 11, p. 15.
  • [72]
    Avery Dulles, The Resilient Church, Dublin, Gill & Macmillan, 1977, p. 12-13.
  • [73]
    Texte de l’Assemblée générale de 1983, Objectif n° 1. Les membres de cette Commission étaient 4 prêtres SMA, les pères Jean Bonfils, Patrick Gantly, Jan van Brakel et Bruno Semplicio.
  • [74]
    Marion Brésillac, Lettres, Édition préparée par Bernard Favier sma et Renzo Mandirola sma, Rome, SMA/Ergo edizioni, 2005.
  • [75]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 170.
  • [76]
    Ibidem.
  • [77]
    Selon Redemptoris Missio, « le critère géographique, même s’il n’est pas très précis et s’il est toujours provisoire, sert encore à préciser les frontières vers lesquelles doit se porter l’activiyé missionnaire. » (n° 37.)
  • [78]
    Cf. Vatican II, Gaudium et Spes, n° 22.
  • [79]
    Evangelii Nuntiandi de Paul VI donne la priorité au rôle du témoignage dans l’évangélisation (n° 41-42). La proclamation orale est perçue comme découlant du besoin de répondre aux « questions irrésistibles » qui naissent dans le cœur de ceux qui voient vivre les chrétiens (cf. Evangelii Nuntiandi, n° 21-22).
  • [80]
    Il s’agit là d’une orientation remarquable et insistante du Pape Jean-Paul II dans sa lettre encyclique, Redemptoris Missio, n° 66.
  • [81]
    Texte de l’Assemblée générale de 1973, Le Service de l’Afrique et de l’Église, article 65.

1Cet article a pour but de retracer l’évolution de la théologie de la mission dans la Société des Missions Africaines depuis Marion Brésillac – qui fonda la Société des Missions Africaines [SMA] en 1856 – jusqu’à aujourd’hui. Cet article explicitera la compréhension que Marion Brésillac avait de la mission et l’héritage qu’il en a transmis à la SMA, en les situant dans le contexte théologique du dix-neuvième siècle précédemment défini ; puis il retracera les évolutions de cette compréhension dans la SMA ainsi que la pratique de la mission depuis le milieu du dix-neuvième siècle jusqu’en 2007.

La théologie de la mission au dix-neuvième siècle

2Le dix-neuvième siècle a vu naître une nouvelle vague de zèle missionnaire dans l’Église. Celle-ci poussa des milliers d’hommes et de femmes, des prêtres, des frères et des religieux, à apporter l’évangile et les bienfaits du salut à partir de l’Europe de l’Ouest vers de nombreux peuples et pays et à établir l’Église dans pratiquement le monde entier. C’est de là que surgit la Société des Missions Africaines ; elle a apporté une expression particulière et concrète de ce nouveau courant missionnaire dans l’Église. Il faut dire que le mouvement missionnaire du dix-neuvième siècle n’était pas le fruit d’une théorie ou théologie systématiquement élaborée de la mission. Ce fut plutôt l’engagement très concret dans la mission d’hommes et de femmes qui, durant ce siècle, quittèrent leurs villages, leurs pays pour apporter le message de l’Évangile dans les terres païennes. Au fil des ans, cela conduisit à une réflexion théologique sérieuse sur le sens et le but de la mission.

3Une théologie cohérente de la mission ne commença à émerger dans l’Église Catholique qu’après la publication de la Lettre Encyclique du Pape Benoît XV, Maximum Illud[1] en 1919. Néanmoins, les missionnaires du dix-neuvième siècle avaient une idée claire de ce qu’ils faisaient quand ils partaient « en missions [2] ». Pour eux, l’activité missionnaire avait un sens précis et uniforme. Il s’agissait de travailler au salut des âmes qui, autrement, risquaient de se perdre, par l’établissement de l’Église dans des pays étrangers païens. Cela incluait :

4

– Quitter son propre pays et aller en terre païenne ;
– Proclamer l’Évangile à ceux qui n’avaient jamais entendu parler du Christ ;
– Appeler les païens à la conversion et au baptême par la prédication et la catéchèse ;
– Établir les structures de base de l’Église et administrer les sacrements ;
– Bâtir, enfin, l’Église jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment développée pour exister par elle-même.

5Travailler en mission était perçu comme une tâche bien particulière, une tâche qui revenait à des groupes particuliers de prêtres et de religieux sous l’autorité et la direction de la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi [3]. Plusieurs congrégations et instituts fondés au dix-neuvième siècle, comme la Société des Missions Africaines, avaient pour but exclusif l’activité missionnaire qui leur était confiée par le Saint-Siège. Les membres de ces instituts faisaient un engagement à vie et se considéraient comme un corps d’élite dans l’Église ou, pour reprendre les mots plus colorés de John Power, SMA, « comme la Légion étrangère hautement respectée de l’Église militante, revenant de temps en temps chez eux en quittant leurs avant-postes éloignés pour prendre un moment de repos et peut-être se réchauffer un peu à l’admiration de pieux Catholiques demeurés au pays [4]. »

6Il n’est donc pas surprenant qu’au dix-neuvième siècle, l’appel missionnaire ait été perçu comme quelque chose de bien particulier et non comme la vocation commune de tous les membres de l’Église. Marion Brésillac, par exemple, fait une distinction très nette entre la vocation de missionnaire et celle de pasteur, et il considérait manifestement la première comme bien supérieure à la seconde [5]. Ainsi l’aventure missionnaire du dix-neuvième siècle était menée par un corps d’élite de membres de l’Église qui se considéraient eux-mêmes comme les bénéficiaires d’une vocation extraordinaire qui n’était pas donnée à la majorité des membres de l’Église. La vision de la mission du dix-neuvième siècle peut être plus clairement mise en évidence par l’examen de ses présupposés théologiques, de son modèle d’Église, de ses traits saillants ainsi que de ses valeurs dominantes.

Présupposés théologiques

7L’axe central de la théologie du dix-neuvième siècle était le concept de salut, inséparablement lié au concept de révélation. Salut signifiait qu’on était admis dans une Église qui vous ouvrait le ciel après votre mort ! Pendant leur présence sur terre, les membres de cette Église s’entraînaient à mener une vie d’union totale avec Dieu. Cette union débute en cette vie mais elle n’est finalement et pleinement réalisée que lorsque l’âme se trouve dans le face à face avec Dieu au ciel. À l’opposé de cette union se trouve l’Enfer, ou la séparation éternelle d’avec Dieu. Le salut, cependant, n’était pas possible sans cette connaissance vraie et certaine de Dieu contenue dans la révélation. Dieu s’est révélé lui-même et a révélé sa volonté pour l’humanité pleinement dans et par son Fils, Jésus Christ, le seul véritable Sauveur du monde. L’entière vérité sur Dieu, révélée dans le Christ ne pouvait donc être trouvée que dans la Bible et la Sainte Tradition constituant ensemble le dépôt de la foi. L’Église fut instituée par le Christ pour conserver, interpréter et communiquer ce dépôt de la foi et continuer ainsi l’œuvre salvifique du Christ. De plus, cette Église se trouvait dans – et s’identifiait à – l’Église Catholique Romaine et lui était identique, elle était gouvernée par le Pape et ses évêques. L’appartenance à l’Église était perçue comme essentielle pour être sauvé [6].

Modèle d’Église

8Le modèle d’Église prédominant au dix-neuvième siècle était celui de l’Église comme societas perfecta, une institution de salut hiérarchiquement structurée. L’Église était perçue, selon les mots de Vatican I, « comme une société d’inégaux, non seulement parce que, parmi ses membres, certains sont des clercs et d’autres des laïcs, mais surtout parce qu’il y a dans l’Église le pouvoir venant de Dieu en vertu duquel il est donné à certains de sanctifier, d’enseigner et de gouverner, et que ce pouvoir n’est pas donné à tous [7]. » Avery Dulles souligne très bien cette particularité dans une série de métaphores :

9

« L’Église est l’école qui les instruit [ses membres] en ce qui regarde les vérités qu’ils doivent connaître pour obtenir leur salut éternel. C’est le réfectoire ou l’auberge où ils sont nourris de vivifiants courants de grâce, particulièrement à travers le flot des sacrements. C’est l’hôpital où ils sont guéris de leurs maladies, l’abri où ils sont protégés contre les assauts de l’ennemi de leur âme [8]. »

Traits particuliers et valeurs dominantes

10La vision de la mission du dix-neuvième siècle était marquée par des certitudes inébranlables et des revendications unilatérales. Quand les missionnaires quittaient leurs terres chrétiennes et se rendaient en terres “païennes” dans un esprit de sacrifice et d’amour total, ils se voyaient engagés sur une voie à sens unique [9]. Ils étaient ceux qui apportaient la vraie foi tandis que les païens n’étaient que des récipiendaires : c’était à eux de convertir et aux païens de se convertir. Pour les missionnaires du dix-neuvième siècle, il était inconcevable que les autres religions à part le christianisme – et plus précisément la forme de christianisme que l’on trouve dans l’Église Catholique – puissent permettre une rencontre salvifique entre Dieu et les gens. Bien loin d’être « semences du Verbe [10] », les autres religions étaient perçues comme des « mélanges d’idolâtrie et de superstition », et donc œuvres du démon [11]. Cette évaluation négative des autres religions qui a perduré pratiquement jusqu’à l’époque de Vatican II, trouvait à s’exprimer même dans le langage de la prière chrétienne. Les missionnaires priaient pour les « pauvres païens », pour « ceux qui baignaient dans la superstition et l’ignorance ». Dans une prière pour demander la conversion de l’Afrique, encore en usage en 1964 quand je suis entré dans la Société des Missions Africaines, nous disions :

11

« Nous voici, ô mon Dieu, humblement prosternés en votre présence, pour vous conjurer par Jésus Christ votre Fils d’avoir pitié des infidèles de l’Afrique. Changez leur cœur et sauvez leur âme [12]. »

12Tout aussi négative était la perception que le dix-neuvième siècle avait des protestants. Les communions protestantes étaient perçues, non comme des Églises mais plutôt comme des sectes hérétiques. D’une façon générale, les protestants étaient les ennemis de la véritable Église du Christ – l’Église Catholique Romaine – et les missionnaires protestants étaient dénigrés comme des semeurs d’erreur et de confusion.

13De plus, la vision de la mission au dix-neuvième siècle reflétait une Église pleine de défiance à l’égard du monde et de ses valeurs. Le monde était vu comme le domaine du Démon et la tâche de l’Église était de sauver les gens en les arrachant à ce monde et à ses chemins diaboliques.

Compréhension de la mission chez Marion Brésillac

14Marion Brésillac a fondé la Société des Missions Africaines en 1856 pour « l’évangélisation des pays d’Afrique qui avaient le plus besoin de missionnaires ». Cependant la compréhension de la mission qu’il a communiquée à la Société s’était forgée durant ses années de service missionnaire en Inde (1842-1854) en tant que membre de la Société des Missions Étrangères de Paris.

Un homme pleinement de son temps

15Il faut spécifier en même temps que Marion Brésillac était tout à fait un homme de son époque et que ses vues reflètent donc et confirment, de bien des façons, le point de vue typiquement du dix-neuvième siècle précédemment souligné. Il considérait l’Église catholique romaine, et elle seule, comme la dépositaire et la gardienne de l’entière vérité sur Dieu [13]. Pour lui, Église catholique romaine et Église du Christ coïncidaient, et il ne pouvait y avoir de certitude du salut en dehors de l’appartenance à cette Église [14]. Le but de l’œuvre missionnaire était, comme il le dit, de faire en sorte que le monde entier devienne membre de l’Église catholique [15].

16Concernant les protestants, Marion Brésillac partageait l’approche négative de l’Église du dix-neuvième siècle. Il les considérait comme des hérétiques qui ne connaissaient par le Christ [16]. Marion Brésillac les voyait comme facteurs de division en pays de mission :

17

« Seigneur, et par leurs divisions entre eux et par leur coalition contre ton Église, les hérétiques [protestants] montrent, de façon évidente, des signes du Démon dont ils sont des fils [17]. »

18Alors que Marion Brésillac était bien loin de manquer de respect à l’égard des pratiquants d’autres religions, il avait une approche particulièrement négative des religions non chrétiennes elles-mêmes. Il considérait les temples hindous comme des sanctuaires d’idolâtrie où étaient adorés de faux dieux et où les œuvres du Démon étaient exaltées [18]. Même s’il pensait qu’il était essentiel qu’au moins quelques missionnaires étudient la philosophie et la religion indiennes, et engagent le dialogue avec les brahmanes, il ne pouvait admettre que les chrétiens puissent avoir quelque chose à apprendre de ces brahmanes. Le but du dialogue, disait-il, était « de découvrir la racine de leurs [les Brahmanes] erreurs et de la leur faire découvrir à eux-mêmes [19]. »

19Pour Marion Brésillac, ainsi que pour les missionnaires catholiques du dix-neuvième siècle en général, l’objectif premier de l’activité missionnaire était le salut des âmes : « Daigne le ciel bénir la résolution que j’ai prise de traverser les mers pour travailler au salut de mes frères [20]. » Ce but pouvait mieux être atteint, insistait Marion Brésillac, par l’établissement d’une Église locale. Pour lui, l’implantation de l’Église et l’établissement du Royaume de Dieu revenaient au même.

20Marion Brésillac était vraiment un enfant de la branche ultramontaine de l’Église de France du dix-neuvième siècle par la place particulière accordée au Pape et à l’Église de Rome dans l’œuvre des missions. Le Pape, dit-il, est le garant suprême de la vérité de l’Église Catholique [21]. L’Église de Rome, pensait-il, représentait la dimension transculturelle de la foi de l’Église. En conséquence, les missionnaires, en plantant l’Église en terres païennes, devaient y établir les traditions et coutumes de l’Église Romaine et non celles de France, d’Angleterre, ou d’Irlande [22]. SelonMarion Brésillac, personne ne pouvait prendre une initiative importante à propos des missions sans d’abord consulter Rome [23].

Des idées très nouvelles sur la mission

21Pourtant, ce n’est là qu’un des aspects de Marion Brésillac, le missionnaire. Il était aussi une personne de foi profonde, à la vision large et à l’intelligence aiguë et critique, qui se fit le champion de certaines vues sur la mission qui ne furent généralement pas bien comprises ni acceptées par ses collègues missionnaires. Davantage que la plupart de ses contemporains, Marion Brésillac a insisté sur la nature propre de la vocation missionnaire. C’était, disait-il, un appel particulier à proclamer l’Évangile et à en témoigner dans des situations frontières. Le missionnaire était appelé à aller à la rencontre des non chrétiens, à leur présenter le défi du Christ, et à établir une communauté chrétienne locale. Puis, une fois cette communauté suffisamment forte, le missionnaire se devait de la laisser entre les mains de prêtres locaux pour partir vers un nouvel endroit [24]. Selon Marion Brésillac, le missionnaire est essentiellement un pèlerin, toujours en mouvement, ne fixant sa demeure nulle part. L’idée qu’un missionnaire puisse appeler une mission particulière sa mission personnelle, ou qu’il essaie de contrôler ou de gouverner indéfiniment une aire de mission, lui était intolérable [25].

22Le principal souci qui a dominé toute la vie missionnaire de Marion Brésillac a été celui de la promotion de véritables Églises indigènes avec leur propre clergé. Bien que fortement soutenue par la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi, et étant officiellement reconnue comme le but principal de la Société des Missions Étrangères de Paris, la promotion d’un clergé indigène n’était ni bien comprise ni activement poursuivie par la majorité des collègues missionnaires de Marion Brésillac. De façon constante et parfois bruyante, Marion Brésillac a argumenté en faveur du transfert de la responsabilité ecclésiale des mains des missionnaires à celles des gens du pays [26]. Il a attaqué sans relâche l’opinion généralement admise par ses collègues missionnaires que les Églises de l’Inde du Sud n’étaient pas prêtes pour une prise en charge locale [27].

23Quand Marion Brésillac quitta l’Inde et entreprit de fonder la Société des Missions Africaines, il tint à ce que cette Société soit consacrée à l’objectif qui était le plus cher à son cœur : la mise en place d’un clergé local. Ses Articles Fondamentaux pour la Société (1858) déclarent que celle-ci « fera tous ses efforts pour élever un clergé local dans les pays dont l’évangélisation lui sera confiée [28]. » Pour confirmer que la Société a bien tenu compte de cette injonction, on peut citer l’hommage adressé par un prêtre nigérian, Mgr John Aniagwu :

24

« La Société s’est ingéniée à promouvoir l’éducation des jeunes Nigérians pendant quelque 140 ans. Cela fait une longue période, l’équivalent de deux vies d’homme. Également remarquable la diversité des engagements de la SMA dans l’éducation au Nigeria. Cet engagement recouvrait tous les aspects de l’éducation, du primaire au supérieur, de la formation des maîtres à la formation technique et à l’enseignement dans les lycées. Même la formation de futurs prêtres n’a pas été négligée. Dans ce domaine, vus le nombre et la qualité de ceux qui sont sortis des séminaires, petits ou grands, on peut affirmer que la SMA a posé les fondations de ce qui est aujourd’hui une Église locale vivante et entreprenante, et cela, non seulement au Nigeria, mais tout le long de la côte occidentale de l’Afrique. Cela tient à ce que le niveau de développement d’une Église locale est dû, pour une grande part, à la force de son clergé indigène et de sa hiérarchie [29]. »

25Plus encore, Marion Brésillac insistait pour que les candidats locaux à la prêtrise soient bien formés, capables de tenir leur propre rôle face à leurs collègues européens [30]. Il considérait le système des Séminaires comme l’environnement idéal pour cette formation, tout en reconnaissant qu’« il devrait y avoir plus que la voie des séminaires pour arriver au sacerdoce [31] ». Une des raisons ayant amené Marion Brésillac à prendre la décision de démissionner de sa fonction de Vicaire Apostolique de Coimbatore fut le manque d’enthousiasme évident parmi ses confrères pour la formation d’un clergé local [32].

26Marion Brésillac soutenait que les missionnaires devaient être des personnes, ne possédant pas seulement le plus grand zèle apostolique, mais se montrant des hommes d’étude, étudiant en profondeur, avec une vision large et dotés de compétences pratiques. En cela, il faisait montre d’une perspicacité inhabituelle en son temps. Cependant, c’est tout particulièrement dans ses vues sur les relations devant exister entre les missionnaires et les gens auxquels ils sont envoyés que Marion Brésillac exprime des principes universellement valables pour les missionnaires de chaque époque. Les missionnaires, insistait-il, sont les serviteurs de l’Évangile et non ses maîtres. Ils apportent le Christ aux gens, et ensuite leur permettent de développer leur propre réponse particulière au Christ [33]. Ils doivent aussi approcher les gens avec respect, compréhension et patience. En implantant l’Église, les missionnaires se doivent d’être catholiques dans leur approche, s’en tenant à la signification et à l’esprit universels de l’enseignement de l’Église, évitant les coutumes et pratiques particulières de leur Église d’origine [34].

Un étonnant respect des gens et de leur culture

27Des critiques du mouvement missionnaire du dix-neuvième siècle ont catalogué ce siècle comme “ignorant et impérialiste” [35]. Quelque vérité que puissent exprimer ces critiques de façon générale, elles ne peuvent s’appliquer à l’approche recommandée et mise en œuvre par Marion Brésillac. Il insistait pour qu’en apportant l’Évangile aux païens, les missionnaires soient attentifs à ne pas faire violence à la culture des gens. Même en s’efforçant de changer les coutumes et pratiques locales manifestement en conflit avec les valeurs de l’Évangile, les missionnaires, exhortait-il, devaient se montrer doux et patients, car l’Évangile ne contraint jamais à la soumission mais invite plutôt les peuples au changement [36]. En introduisant des idées nouvelles, quelles qu’elles soient, les missionnaires devraient d’abord amener les gens à les désirer [37]. En tout temps, les missionnaires se devraient d’utiliser les principes de tolérance et de gradualité, ne condamnant jamais les coutumes des gens pour la seule raison qu’elles diffèrent de celles qui leur sont familières [38]. Dans une déclaration de principes écrite pour la Propagation de la Foi en 1854, intitulée Mes pensées sur les missions, il plaidait :

28

« La même plante, sous des climats différents, adopte des formes et des allures diverses ; la culture doit être adaptée à la température de l’air et à la nature du sol ; et l’on ne doit pas s’attendre à la même saveur dans les fruits qu’elle produit, dans les diverses positions du globe. Église de mon Dieu, vous êtes cette vigne merveilleuse dont les ceps mystérieux doivent prendre racine en tous les lieux du monde. Ces ceps entés sur la souche que le sang d’un Dieu féconda sur le calvaire auront partout la même nature et les mêmes propriétés essentielles. Mais gardez-vous, imprudent missionnaire, de saisir avec une ardeur peu mesurée la serpette du vigneron français ou portugais ; gardez-vous surtout d’en mépriser les fruits, parce qu’ils ne vous paraîtront pas aussi suaves que ceux qu’on recueille dans la douce Italie. Vous la rendriez bientôt stérile et vous risqueriez de fouler aux pieds l’œuvre même du Saint-Esprit [39]. »

29On trouve l’écho de ce même point de vue dans les écrits de l’un des plus grands disciples de Marion Brésillac, Francis Aupiais, sma (1877-1945) :

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« Le missionnaire nuirait radicalement à son œuvre s’il ne cherchait pas à jeter des ponts entre le passé et le présent, ou plus exactement si le missionnaire ne bâtissait pas le surnaturel sur le naturel, ou encore s’il n’introduisait pas, sur un tronc qu’il laissera fortement fixé et substantiellement nourri par des racines qui sont aussi vieilles que lui, la greffe qui va améliorer, transformer complètement ses feuilles, ses fleurs, ses fruits, son essence même [40]. »

31Une des raisons de la démission de Brésillac de sa charge de Vicaire Apostolique de Coimbatore, en Inde du Sud (1846-1853), fut la mise en pratique de la législation de l’Église concernant les coutumes de certaines castes. Il se prononçait pour une solution radicale et permanente allant au-delà de la condamnation et d’une législation limitée [41]. Malheureusement ni Rome, ni la majorité des Vicaires Apostoliques du Sud de l’Inde n’étaient prêts à prendre en compte pareille suggestion. En conscience, Marion Brésillac sentit qu’il ne pouvait pas accepter le statu quo, et que, dans ces conditions, il ne lui restait pas d’autre choix que de démissionner de sa charge de vicaire apostolique de Coimbatore [42]. Ce que désirait Marion Brésillac, c’était une plus grande – non une moindre – tolérance des coutumes indiennes. Il désirait laisser les gens avec leurs coutumes, mais en les amenant à mettre de côté leurs aspects religieux ou superstitieux. Si seulement une distinction appropriée était faite entre le côté bon et utile des coutumes locales et leur côté corrompu et superstitieux, soulignait-il, on pourrait facilement permettre un grand nombre de ces coutumes [43].

32Marion Brésillac était opposé à des condamnations brutales des coutumes et pratiques indiennes. Les condamnations passées avaient seulement réussi à ralentir l’entrée des non chrétiens indiens dans l’Église. Il souhaitait faciliter leur acceptation du Christ par un élargissement du principe d’adaptation aux coutumes locales allant jusqu’à l’extrême limite. En d’autres mots, il désirait que l’Église soit vraiment indienne. Les missionnaires, notait-il, doivent s’attendre à ce que l’Église se développe d’une façon différente, qu’elle prenne une forme différente dans des cultures très différentes de celles du monde occidental.

33En matière de méthodes missionnaires, Marion Brésillac était à l’avant-garde de son temps quand il soulignait l’importance des médias, spécialement de la presse écrite [44]. Il reconnaissait également le besoin d’experts en matière de philosophie et de religion locales [45]. Il soulignait la valeur d’une bonne instruction pour les responsables [46] de l’Église locale et notait la contribution que les laïcs pouvaient apporter au travail missionnaire [47].

34Le missionnaire, insistait Marion Brésillac, devrait se faire tout à tous [48], en se mettant sur un pied d’égalité avec ceux qu’il sert [49] et en employant tous les moyens possibles d’évangélisation [50]. En même temps, il réalisait qu’il y avait des limites à “l’acculturation” du missionnaire. Au-delà d’un profond respect pour les personnes et d’une identification apostolique à ceux auxquels il était envoyé, le missionnaire devait rester lui-même. Marion Brésillac pensait qu’il n’était pas sage pour un missionnaire européen d’essayer de se faire indien. Il lui suffisait d’avoir un véritable amour des gens au milieu desquels il travaillait ainsi qu’une bonne connaissance de leur langue et de leur culture [51].

Mission et colonisation ?

35On entend fréquemment des critiques de la mission du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle pour s’être alliée aux intérêts coloniaux de l’Occident. Il y a une part de vrai dans cette critique comme le souligne David Bosch :

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« Du point de vue de l’administration coloniale, les missionnaires représentent en effet de précieux alliés. Ils vivent parmi les autochtones, dont ils parlent la langue et comprennent les coutumes. Qui serait mieux à même que ces missionnaires d’influencer les “indigènes” récalcitrants, pour les amener à se soumettre à la pax britannica ou à la pax teutonica ? [ …] Par conséquent, on ne s’étonnera pas de constater que durant toute la période de l’âge d’or impérial (1880-1920), de nombreuses voix gouvernementales firent l’éloge des missionnaires et de leur travail [52]. »

37Ce serait cependant une erreur d’identifier purement et simplement colonisation et mission, même lorsque la colonisation fut à son apogée dans le dernier quart du dix-neuvième siècle. Il y eut beaucoup de missionnaires remarquables qui courageusement s’opposèrent aux puissances coloniales et à leurs politiques, se plaçant clairement aux côtés et au service de la population locale. Marion Brésillac fut un bel exemple de ce type de missionnaire. Quand il œuvrait comme missionnaire au Tamil Nadu, il vit, avec une clarté peu courante pour un missionnaire de son temps, la conséquence désastreuse du capitalisme britannique sur l’industrie locale de tissage en Inde. Il prit fait et cause pour les tisserands locaux et mit en place un plan pour contrecarrer les effets destructifs de l’agressive industrie britannique du tissage [53]. La reconnaissance adressée par Bosch à ces missionnaires qui donnèrent leur appui aux gens du pays et les aidèrent à résister aux effets dévastateurs de la colonisation peut s’appliquer non seulement à Marion Brésillac mais aussi aux membres de la Société qu’il fonda :

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« Ils gagnèrent l’amitié des habitants de leur région en les visitant chez eux. Ils leur annoncèrent le message d’un Dieu qui les avait aimés au point d’envoyer son Fils unique pour les sauver. Ils leur inculquèrent la notion de leur dignité irremplaçable aux yeux du Tout-Puisant, et cela en dépit de la façon dont les Blancs les traitaient. Les autochtones trouvèrent la preuve de cette dignité dans les efforts des missionnaires pour combattre les maladies et pour éduquer la jeunesse. En étudiant les langues locales, les missionnaires prouvèrent qu’ils respectaient leurs interlocuteurs. En bref, ils réhabilitèrent des populations que l’assujettissement à un système politique étranger avait démoralisées et marginalisées [54]. »

39Le mouvement missionnaire, auquel Marion Brésillac et la Société qu’il fonda participèrent, s’accrut de façon importante et obtint un succès extraordinaire jusqu’au milieu du siècle dernier. Fondés sur des certitudes inébranlables à propos des vérités éternelles et des valeurs fondamentales, entièrement convaincus de l’exclusive possession par l’Église catholique de ces vérités et valeurs ainsi que de son devoir de les répandre, les missionnaires étaient préparés à affronter n’importe quelle difficulté, à endurer n’importe quelle souffrance, et à se dévouer eux-mêmes entièrement et sans réserve à leur tâche qui était de sauver des âmes et de glorifier Dieu. En dépit de leurs limites et de leurs points aveugles, ces missionnaires, comme le souligne David Bosch, apportaient la foi chrétienne à des peuples d’autres cultures et traditions religieuses de la seule façon qui leur était possible, vu le contexte historique et culturel d’où ils venaient [55].

Le développement de la SMA dans la deuxième moitié du xxe siècle et l’impact du Concile Vatican II

40Cette section sera divisée en deux parties : dans la première partie, je soulignerai les développements qui eurent lieu dans la SMA durant les années 1960-1983, et, dans la seconde partie, je porterai l’accent sur les développements depuis 1983 à nos jours.

Changements de 1960 à 1983

41Durant les années 1960 plusieurs facteurs contribuèrent à un changement significatif dans la compréhension et la pratique de la mission dans la SMA comme, en fait, dans plusieurs autres groupes missionnaires. Le texte de l’Assemblée générale de 1968 met en évidence ces changements :

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« Or, ces dernières années, des événements importants et irréversibles se sont produits dans les territoires où nous travaillons qui affectent directement l’activité missionnaire de la SMA. Tels sont l’érection de la hiérarchie, la croissance des jeunes Églises, la naissance des jeunes nations africaines, les efforts de développement entrepris en Afrique et, leur contrepartie, la prise de conscience du sous-développement. Simultanément, la théologie de la mission se trouvait éclairée et précisée dans les textes conciliaires sur l’Église [56]. »

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En 1962, lorsque s’ouvre le Concile Vatican II, tous les pays d’Afrique Occidentale sont devenus indépendants et la SMA travaille dans 22 circonscriptions ecclésiastiques dont 18 sont des archidiocèses ou des diocèses de plein droit : les Églises locales sont nées.

43Je souhaite mettre en relief la réponse de la SMA à trois de ces changements.

Des colonies aux États indépendants en Afrique

44Après 1960, l’ère coloniale déclina rapidement et les colonies Africaines devinrent pratiquement toutes des États Indépendants. En l’espace d’une décennie et demie, plusieurs congrégations et instituts missionnaires, y compris la SMA, trouvèrent le contexte politique de leur œuvre d’évangélisation totalement changé. Au lieu d’avoir à faire avec une administration coloniale tolérante et parfois protectionniste, elles avaient maintenant à composer avec les gouvernements de pays nouvellement indépendants, gouvernements souvent « extrêmement sensibles à la critique, même si celle-ci se voulait constructive ou amicale, spécialement si elle venait de gens de l’extérieur [57]. » Les missionnaires découvraient souvent qu’ils n’étaient plus les bienvenus. Ils étaient accusés – souvent de façon peu aimable – par les nouvelles élites intellectuelles des anciennes colonies d’être des alliés de la répression coloniale et des ennemis des peuples en lutte pour leur indépendance et leur liberté d’expression.

45Inévitablement, un temps de restrictions commença pour les missionnaires. Certains pays allèrent jusqu’à les expulser. D’autres rendirent quasi impossible pour eux l’obtention de visas [58]. Même là où ils étaient bien acceptés, ils devaient faire beaucoup plus attention que précédemment dans leurs relations avec les gens qui, pour la première fois, se sentaient libres de façonner leur propre avenir politique et qui n’étaient plus prêts à accepter de paternel avis ou des ordres impératifs [59].

46Le nouveau contexte politique signifiait que les missionnaires devaient revoir de plus près leurs buts, leurs méthodes et leurs motivations. Étaient-ils réellement des serviteurs de l’Évangile apportant l’expérience libératrice du Christ pour asservir les peuples ? Quels intérêts servaient-ils en réalité ? Ceux des gens qu’ils évangélisaient ou ceux des maîtres coloniaux dont ils recevaient souvent protection et privilège ? Alors que le nouveau contexte politique créait de nouvelles difficultés et frustrations pour les missionnaires, il conduisait aussi à un sain et en vérité bien nécessaire auto-questionnement sur le rôle des congrégations et sociétés missionnaires et sur une relation plus égale et moins paternaliste avec les peuples qui continuaient à les recevoir. Le texte de l’Assemblée générale SMA de 1968 exprimait cette auto-interrogation :

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« L’indépendance récemment acquise des Nations africaines place le missionnaire dans une situation d’étranger, soumis aux lois des étrangers. De récents événements montrent qu’en Afrique les missionnaires se trouvent exposés aux contrecoups des bouleversements politiques. De plus, l’étranger ne sera accepté dans un pays que s’il apporte la collaboration de ses services désintéressés. Acceptera-t-on encore longtemps des étrangers qui viennent pour le seul motif de propager leur foi ? Il y a là matière à réflexion pour nos futurs modes de présence missionnaire [60]. »

Des Missions aux Églises Locales

48Avec l’accroissement rapide du clergé indigène et la mise en place d’Églises locales sur d’anciens territoires de mission, le rôle du missionnaire passait de celui de protagoniste à celui d’auxiliaire dans des communautés locales de foi ayant leurs propres ministres. Dans ce nouveau contexte ecclésial, le missionnaire devenait, selon les mots de John Power, SMA :

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« le vicaire, l’assistant, l’humble serviteur de la jeune Église locale, l’aidant à avancer vers sa pleine maturité et son indépendance en tant qu’unité ecclésiale. C’est encore là un véritable et hautement réconfortant travail missionnaire, mais un travail que le missionnaire ne dirige plus comme un meneur incontesté. Il continue à ramer pour faire avancer le bateau mais ne le dirige plus [61]. »

50Dans les années 1970, service, diminution et même retrait devinrent les maîtres mots utilisés par la SMA pour exprimer le nouveau type de relation de ses missionnaires avec les Églises africaines locales croissant en maturité. L’Assemblée générale SMA de 1973 non seulement estima que la Société était au service des Églises d’Afrique et de leurs évêques mais elle insista pour que ce service soit basé sur les termes et les conditions définis par ces Églises :

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« Nous continuerons à offrir nos services à ces Églises pour les priorités pastorales qu’elles auront déterminées elles-mêmes et dont leurs évêques nous feront part ; ainsi l’offre pourra correspondre à la demande. Cette condition nous semble indispensable pour un meilleur service de ces mêmes Églises et pour l’épanouissement humain et spirituel des missionnaires qui leur seront destinés [62]. »

52Reconnaissant que nous, SMA, étions des étrangers et des invités dans les églises locales auxquelles nous étions envoyés et qui nous accueillaient, nous rejetions avec détermination toute forme d’agressivité ou de domination : « Nous renonçons à tout ce qui pourrait être ressenti comme le poids d’une puissance de quelque ordre que ce soit, spirituel, culturel ou économique [63]. » La relation de Jean Baptiste au Christ devenait le modèle de ce nouveau rôle de la mission SMA vis-à-vis de l’Église locale : « Désirant marcher sur les traces de Jean Baptiste, le Précurseur, nous voulons laisser croître le Christ dans l’Église locale jusqu’à ce qu’il y trouve sa taille d’homme parfait et pour cela disparaître peu à peu [64]. »

L’impact de Vatican II

53Au dix-neuvième siècle, comme je l’ai déjà souligné, l’entreprise missionnaire était vue comme l’établissement de l’Église là où elle n’existait pas encore. Le Concile Vatican II a non seulement développé une nouvelle compréhension missionnaire de l’Église en elle-même, mais il a ouvert de nouvelles perspectives théologiques ayant d’énormes implications pour la théorie et la pratique de la mission. Dans les documents du Concile, révélation et grâce étaient présentées, non plus comme la propriété exclusive de l’Église catholique mais comme des dimensions fondamentales de l’amour de Dieu englobant tous les peuples. Les non chrétiens pouvaient être sauvés même s’ils n’avaient jamais entendu parler du Christ ou de l’Église. Les protestants étaient nos frères et sœurs « séparés », reliés de bien des façons aux catholiques par une foi et un héritage communs. Les autres religions étaient dites contenir des rayons de la divine vérité et d’importantes valeurs que l’Église devait reconnaître et respecter. L’Église catholique elle-même était présentée par le concile comme la communauté du peuple de Dieu en pèlerinage – une communauté de pécheurs qui avait un besoin constant de conversion.

54Le Concile déclarait que le but ultime de la mission était le règne de Dieu, non le règne de l’Église. Certes, l’Église demeurait un signe unique et un instrument privilégié du Royaume, mais elle n’était pas elle-même le Royaume. Considérer le Royaume de Dieu comme le but de la mission élargissait considérablement la perspective de l’œuvre missionnaire au-delà des activités habituelles : enseignement, catéchèse, baptêmes et mises en place des structures de l’Église. Cela a apporté aux missionnaires un cadre théologique qui fait de l’engagement pour la justice, la paix, la réconciliation, le dialogue interreligieux et l’intégrité de la création, des dimensions essentielles et intégrales de la mission de l’Église, plutôt que des préliminaires ou des éléments secondaires.

55Dans les années qui suivirent le Concile, la SMA s’est efforcée d’aligner ses buts et méthodes missionnaires sur ces nouvelles perspectives théologiques. L’Assemblée générale de 1968 affirma que :

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« l’œuvre missionnaire est œuvre d’Église, elle demande la collaboration active de tous ses membres [ …] La Mission est aujourd’hui l’œuvre en commun de tous les baptisés : chaque membre de l’Église, chaque institution sous la direction du collège des évêques, y a un rôle propre à remplir ; le rôle propre de l’Institut missionnaire se trouve défini à l’intérieur de cette œuvre commune [65]. »

57Considérant le but spécifique de la SMA, dans le cadre de la nature essentiellement missionnaire de l’Église, la même Assemblée déclarait que « le but de la S.M.A. est de répondre effectivement à la vocation missionnaire de toute l’Église et de la signifier efficacement, en particulier parmi les Africains [66]. » Soulignant l’importance du dialogue, l’Assemblée donnait comme directive : « La formation des futurs missionnaire [dans la SMA] devra viser à former des hommes de dialogue, prêts à découvrir les “germes du Verbe” répandus par l’Esprit en tout homme, en toute civilisation et en tout événement [67]. »

58L’Assemblée générale de 1973 soulignait le grand désir que le monde avait d’« un signe de libération et de salut [68] » et soutenait que la SMA avait « le devoir d’attirer l’attention sur les structures qui, d’une manière ou d’une autre, oppressent le Tiers Monde [69]. » La même Assemblée déclarait que la SMA

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« devait apparaître comme un signe efficace de solidarité entre les jeunes Églises et les Églises occidentales. Elle encouragera donc ses membres à prendre part à la création et aux activités de mouvements ayant pour but la sensibilisation aux injustices envers le Tiers Monde, spécialement en Afrique, et la lutte contre ces injustices [70]. »

60L’Assemblée générale de 1978 présentait « la conscientisation des personnes » comme l’un des objectifs principaux de la mission de la Société. Elle décrivait le processus de conscientisation comme un travail pour « éveiller la conscience des personnes à ce que le Royaume de Dieu exige : le développement complet de l’homme et sa libération de tous les types d’oppression et d’injustice, spécialement l’oppression du péché [71]. » L’Assemblée considérait la conscientisation comme un processus centré sur le Christ et basé sur une réflexion sur le Verbe de Dieu, interprété à la lumière de la situation particulière d’une communauté.

De 1983 à nos jours

61En dépit de ses efforts pour revoir et renouveler ses objectifs missionnaires à la lumière de l’enseignement du concile et des changements radicaux dans le contexte de notre mission, dans les années 1970, la Société a connu un sévère déclin des vocations et une perte de moral parmi ses membres. Il se peut bien que le concile lui-même, bien qu’il ne soit pas la cause de cette crise du moral, l’ait accélérée et amenée au jour. Selon Avery Dulles, l’invitation du concile au changement, après bien des siècles de relative stabilité, « a déchaîné un flot soudain de questionnement, de trouble et de critique interne », ce qui, en retour « a donné naissance à un doute sur soi-même et à une certaine crise d’identité [72] ». Un temps de remise en cause et d’analyse critique ne favorise pas l’expansion missionnaire. En 1983, la crise ne pouvait plus être ignorée. L’Assemblée générale de cette année déclarait que le problème de fond auquel faisait face la Société était un manque de clarté sur son identité et sur son charisme missionnaire spécifique. Pour s’attaquer à ce problème, l’Assemblée créa une commission pour « étudier, décrire le charisme, la mission et la spiritualité SMA, et les communiquer à tous les membres [73] ».

Identification et développement du charisme fondateur de la Société

62L’effort pour identifier le charisme spécifique de la Société a conduit à revenir à son fondateur, Marion Brésillac, dont la vie et les écrits n’étaient pas bien connus même parmi les membres de la SMA. Vers 1995, de nombreux écrits de Marion Brésillac devinrent disponibles sous forme imprimée, en langues française et anglaise, et la cause de sa canonisation fut officiellement introduite durant l’Assemblée générale de 1995. Plus récemment, le corpus complet des lettres de Marion Brésillac a été publié en français [74], et la traduction en anglais est en cours.

63Comme je l’ai déjà souligné dans la première partie de cet article, Marion Brésillac désirait que la SMA soit une Société de vie apostolique, chargée d’apporter l’Évangile « au plus abandonnés », ceux qui étaient encore plongés dans les ténèbres de l’idolâtrie. Il considérait que l’assistance à ces âmes était le plus grand de tous les défis missionnaires. Ses Articles Fondamentaux de 1856 déclaraient : la SMA « travaillera constamment à préparer les voies pour pénétrer dans les lieux où il n’y a pas missionnaires » (Article III) [75]. Les lieux que Marion Brésillac avait en vue étaient en premier l’Afrique, mais il envisageait la possibilité pour la Société d’accepter des missions « hors de l’Afrique pourvu que ce soit chez des peuples de couleur [76]. » Par « peuples de couleur », Marion Brésillac entendait des peuples d’origine africaine. En d’autres mots, il souhaitait une société de missionnaires qui se donneraient entièrement à l’œuvre de la première évangélisation parmi les Africains, et c’est là l’essentiel du charisme de la SMA.

64Depuis 1995, la SMA s’est efforcée de renouveler et de fortifier son engagement dans la première évangélisation, tandis qu’elle engageait ses membres à une réflexion sur le sens et l’étendue de cette activité, spécialement à la lumière de l’Encyclique Redemptoris Missio du Pape Jean-Paul II. Le résultat de cette réflexion a été mitigé. Pour certains membres, la première évangélisation devait se focaliser sur l’extension de l’Église dans des zones géographiques, spécialement des zones rurales, où le Christ n’était pas connu et où l’Église n’était pas encore implantée. Pour d’autres, la géographie ne pouvait pas être le seul critère [77] pour définir les “lieux” de première évangélisation : quelques-uns des nouveaux “mondes” socioculturels, tels qu’ils sont décrits dans Redemptoris Missio, n° 37 (par exemple, les mégapoles « où naît, pour ainsi dire, une humanité nouvelle », ainsi que le monde des migrants et des réfugiés) demandent des « élans nouveaux et audacieux » (RM, n° 66), ce qui semble dans la ligne du charisme SMA.

65La manière dont nous travaillons est peut-être plus significative que les lieux où nous travaillons. Ceux à qui est présenté l’Évangile pour la première fois peuvent déjà avoir déjà fait avec Dieu une rencontre salvatrice. En vérité, ils sont déjà, par des voies qui nous sont inconnues, participant au mystère pascal du Christ [78]. L’Esprit de Dieu est déjà présent et actif au milieu d’eux avant la venue des missionnaires. La première évangélisation commence avec la recherche que fait le missionnaire du Dieu que les gens connaissent déjà, tout en les conduisant à rencontrer le Dieu que connaît le missionnaire, le Dieu de Jésus Christ. Je suis profondément convaincu que, dans l’œuvre de première évangélisation, l’approche fondamentale qui correspond le mieux à l’évaluation positive, que fait l’Église, des autres religions et cultures, est la suivante : en premier lieu, le témoignage[79] rendu à l’Évangile dans des communautés apostoliques ; en second lieu, le dialogue avec ceux auprès de qui nous témoignons ; en troisième lieu, la proclamation graduelle de l’Évangile en réponse aux questions posées par les gens ; en quatrième lieu, la mise en place d’une communauté Chrétienne.

Développement de la SMA sur une base internationale

66L’Assemblée générale de 1983 a pris l’importante décision d’ouvrir la Société aux Africains. Des efforts avaient déjà été faits par l’Assemblée pour explorer les possibilités de recrutement de vocations en Pologne, en Inde et aux Philippines. À l’Assemblée générale de 1989, le statut légal de Fondations a été donné à ces nouveaux commencements de la Société. La décision de la Société de rechercher des vocations en dehors de ses bases traditionnelles en Europe et en Amérique n’était pas simplement une réaction à la baisse des vocations missionnaires en Europe. C’était une réponse au mouvement missionnaire jaillissant de l’intérieur de ces pays qui avaient été autrefois regardés seulement comme des champs de mission.

67Les Églises d’Afrique et d’Asie ne se percevaient plus comme recevant simplement une mission partant de l’Europe ; elles désiraient ardemment être des agents de la mission, de plein droit [80]. Les congrégations et sociétés missionnaires internationales ont tiré profit de ce nouveau courant. Aujourd’hui la SMA reçoit plus de 90 % de ses vocations et 70 % de son personnel de formation de l’Afrique et de l’Asie. En vérité, le futur de la Société repose en grande partie entre les mains de ces nouveaux membres qui apportent leurs priorités comme leur énergie et leur enthousiasme pour tisser la trame de la vie et de la mission de la Société.

Participation des laïcs dans la Mission de la Société

68Un des signes les plus importants et les plus porteurs d’espoir en ces temps-ci est l’engagement actif de laïcs dans la mission ad gentes de l’Église. L’origine de la participation directe de laïcs à la mission de la SMA remonte à l’Assemblée générale de 1973 qui invita, en qualité d’associés, des laïcs qui désiraient jouer un rôle actif dans notre travail missionnaire [81]. Au cours des années 1980, des programmes pour Laïcs SMA Associés furent mis en place dans trois Provinces de la Société : Lyon, Pays-Bas et États-Unis. Plus récemment les Provinces italiennes et irlandaises, les districts d’Espagne et plusieurs pays africains ont commencé des associations de laïcs. En 2004, le Conseil Général de la SMA a précisé les critères d’admission, de formation et d’engagement de laïcs dans la mission SMA.

69L’acceptation d’hommes et de femmes, associés laïcs, partageant le charisme et le travail de la SMA, soit de façon individuelle soit en groupes, a été un indéniable instrument de grâces et une source de renouveau pour la Société elle-même. À une période où la Société cherchait à clarifier son identité et son charisme, elle a vu devant elle des laïcs qui n’avaient aucune difficulté à reconnaître son charisme et qui désiraient le partager. Loin de constituer une menace pour son identité, les laïcs associés ont amené la Société à une compréhension plus profonde de son identité et à une plus grande appréciation de son charisme. Ce n’est pas là une grâce statique mais une grâce dynamique, qui permet à la fois aux membres et aux associés de répondre au défi de la mission aujourd’hui.

Conclusion

70Actuellement, la Société des Missions Africaines, en commun avec d’autres Société missionnaires fondées au dix-neuvième siècle, a dépassé la crise de l’après Vatican II. Cependant, il lui faut encore passer par une expérience pascale de mort et de résurrection. La Société, en tant que produit de l’Occident avec des bases solides en Europe et en Amérique du Nord, est en déclin rapide et peut bientôt disparaître. Les branches de la Société récemment établies en Afrique et en Asie lui donnent de croître en force et en confiance. Les nouveaux membres de la SMA, en lien avec un petit mais dynamique groupe de laïcs associés continuent de porter et de vivre le charisme missionnaire de Mgr Marion Brésillac et de répondre aux défis de la mission de notre temps.

71La tâche missionnaire aujourd’hui, comme au dix-neuvième siècle, est de rendre témoignage à l’Évangile du Christ et de le proclamer à ceux qui ne l’ont pas encore entendu. Telle était déjà la vision qui inspira Marion Brésillac. Et le défi qu’il adresse aujourd’hui à ses disciples, c’est de continuer à répondre avec une ardente humilité aux demandes fondamentales de la mission ad gentes de l’Église.

72La mission de la SMA à l’avenir deviendra, je crois, de plus en plus une entreprise de collaboration : collaboration entre congrégations missionnaires et religieuses, entre missionnaires et Églises locales, entre missionnaires et organisations de la société civile ; collaboration dans le témoignage rendu au Christ ; collaboration tout spécialement dans le domaine de la promotion de la justice, de la vérité, de la paix et de l’amour entre les peuples, ainsi que du respect pour le monde créé. Il existe des signes qui montrent que l’esprit de compétition qui existait dans le passé est terminé et a fait place à un esprit de dialogue et de coopération. Cependant, la collaboration n’en est encore qu’à ses débuts. Voilà le défi qui se pose comme une hache portée aux racines de nos égoïsmes individuels et collectifs et qui teste la qualité de notre engagement pour la promotion du Règne de Dieu dans notre monde.


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/hmc.002.0119

Notes

  • [*]
    Michael McCabe est membre de la Province d’Irlande de la Société des Missions Africaines et il vient de terminer son second mandat comme membre du Conseil Général à Rome. Il a fait un doctorat à l’Université Pontificale Grégorienne de Rome en 1981 avec une thèse intitulée Le Rôle de l’eschatologie dans les écrits de Niebuhr et sa pertinence pour la critique socio-politique. Il a été Doyen des Études et Professeur de Théologie Systématique au Séminaire-Collège St Paul au Libéria pendant huit ans et professeur d’Études Missionnaires à l’Institut de la Mission de Kimmage, Dublin, de 1996 à 2001. Membre de l’Association Internationale des Missiologues Catholiques et de l’Association Britannique et Irlandaise des Études Missionnaires, il a publié de nombreux articles sur la mission et les questions annexes dans La Revue Indienne de Missiologie, Etudes Africaines CUEA, The Furrow, le Bulletin SEDOS, Cahiers Eudistes, Spiritus, ainsi que dans d’autres magazines. Il est l’auteur de Christianisme et autres religions, livret N° 30 de la série « Réflexions sur la Mission Aujourd’hui », publié par l’Union Missionnaire Irlandaise en 1999, et « Le mystère de l’humain, une perspective de Rahner », dans Identité Chrétienne dans un âge post-moderne (célébrant l’héritage de Karl Rahner et de Bernard Lonergan), éd. par Declan Marmion, Veritas Publication, Dublin, 2005.
  • [1]
    Cf. l’article Mission de William McConville dans The New Dictionary of Theology, sous la direction de Komanchak, Glazier, Delaware, 1978.
  • [2]
    La forme plurielle ( “les missions”) était couramment utilisée dans les cercles catholiques depuis le dix-neuvième siècle jusqu’au milieu du vingtième siècle.
  • [3]
    Sacra Congregatio de Propaganda Fide fondée à Rome en 1622.
  • [4]
    John Power, Mission Theology Today, Dublin, Gill and Macmillan, 1970, p. 3.
  • [5]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, éd. Préparée par Jean Bonfils s.m.a. avec la collaboration de Noël Douau s.m.a. Médiapaul, Paris, 1985, p. 84-85.
  • [6]
    Cependant il était possible de devenir membre de la véritable Église de façon implicite par le désir, de même qu’on le devient de façon explicite par le baptême. Cf. Francis A. Sullivan, SJ, Salvation Outside the Church : Tracing the History of the Catholic Response, London, Geoffrey Chapman, 1992, p. 103-122.
  • [7]
    Avery Dulles, Models of the Church, seconde édition, Dublin, Gill and Macmillan, 1988, p. 38.
  • [8]
    Idem, p. 41.
  • [9]
    Cf. Justin Ukpong, “Contemporary Theological Models of Mission : Analysis and Critique”, AFER, juin 1983, p. 162-164.
  • [10]
    Vatican II, Décret Ad Gentes n.° 11.
  • [11]
    Marion Brésillac, La Foi, L’Espérance, La Charité. Exercices spirituels aux séminaristes indiens, 1853. Traduits par Dom Gérard Dubois, o.c.s.o., Édité par la SMA, Rome, 1985, p. 84-85.
  • [12]
    Directoire, Imprimerie des Missions Africaines, Lyon, 1954, p. 56.
  • [13]
    Marion Brésillac, La Foi, L’Espérance, La Charité …, p. 44.
  • [14]
    Idem, p. 43-44.
  • [15]
    Idem, p. 50.
  • [16]
    Idem, p. 43 : « O malheureux hérétiques, qui déchirez la tunique sans couture du Christ ! … »
  • [17]
    Idem, p. 45.
  • [18]
    Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission., Paris, Médiaspaul, 1987, p. 159.
  • [19]
    Idem, p. 302.
  • [20]
    Idem, p. 21.
  • [21]
    Marion Brésillac, La Foi, L’Espérance, La Charité…, p. 44.
  • [22]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation…, p. 112-113.
  • [23]
    Idem, p. 90.
  • [24]
    Idem, p. 115.
  • [25]
    Idem, p. 101.
  • [26]
    Idem, p. 109-111.
  • [27]
    Idem, p. 60-61.
  • [28]
    Idem, p. 233.
  • [29]
    John Aniagwu, « The Contribution of the SMA to Education in Nigeria », SMA Irish Province Bulletin, 2007/1, p. 72.
  • [30]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation…, p. 60-61.
  • [31]
    Idem, p. 116.
  • [32]
    Idem, p. 23-24 (notes de bas de page).
  • [33]
    Idem, p. 113.
  • [34]
    Idem, p. 88-89.
  • [35]
    Michael Crowder, West African Under Colonial Rule, Evanston, Northwestern University Press, 1969, p. 328s. Cf également David Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in Theology of Mission, Maryknoll, New York, Orbis Books 1992, p. 274. Traduction française : David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Paris, Karthala, 1995, p. 408-422, Mission et colonialisme.
  • [36]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation…, p. 94-95.
  • [37]
    Idem, p. 90.
  • [38]
    Idem, p. 89.
  • [39]
    Idem, p. 88-89.
  • [40]
    Textes écrits sans titre ni date (probablement entre 1926 et 1928) dans les Archives des Missions Africaines (AMA), 3 H. 99, p. 12.
  • [41]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 37-38.
  • [42]
    Lettre de Marion Brésillac à Mgr Bonnand, 31 août 1853, dans : marion Brésillac, Lettres, Édition préparée par Bernard Favier sma et Renzo Mandirola sma, Rome, SMA/Erga edizioni, 2005, p. 1088-1091.
  • [43]
    Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, p. 475-477.
  • [44]
    Idem, p. 309 et 452-453.
  • [45]
    Idem, p. 302.
  • [46]
    Idem, p. 426-432.
  • [47]
    Idem, p. 308.
  • [48]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 95.
  • [49]
    Idem, p. 95 et 121.
  • [50]
    Marion Brésillac, Souvenirs de douze ans de mission, p. 301-302.
  • [51]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 100.
  • [52]
    David Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in Theology of Mission, Maryknoll, New York, Orbis Books 1992, p. 303-304. Traduction française : David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Paris, Karthala, 1995, p. 409-410.
  • [53]
    Marion Brésillac, Le Journal d’un missionnaire, Paris, Mediaspaul, 1987, p. 51-52.
  • [54]
    David Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in Theology of Mission, Maryknoll, New York, Orbis Books 1992, p. 311. Traduction française : David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Paris, Karthala, 1995, p. 420.
  • [55]
    Idem, Transforming mission…, p. 344 ; Dynamique de la mission…, p. 468.
  • [56]
    Assemblée générale 1968, Rapports. Section C, IV, La SMA et les jeunes Églises, p. 112.
  • [57]
    John Power, SMA, Mission Theology Today, p. 5.
  • [58]
    Felipe Gomez, SJ, « The Missionary Activity Twenty Years After Vatican II », The East Asian Pastoral Review, 1686, n° 23, p. 53.
  • [59]
    John Power, SMA, Mission Theology Today, p. 5.
  • [60]
    Assemblée générale 1968, Rapports. Section C, IV, La SMA et les jeunes Églises, p. 114.
  • [61]
    Mission Theology Today, p. 5.
  • [62]
    Au service de l’Afrique et de l’Église, Orientations et décisions de l’Assemblée générale 1973, article 3, p. 14.
  • [63]
    Idem, article 6, p. 15.
  • [64]
    Idem, article 4, p. 14.
  • [65]
    Assemblée générale 1968. Rapports. Section C, IV, « La S.M.A. et les jeunes Églises », p. 112.
  • [66]
    Assemblée générale 1968. Rapports. Section A, III. « But de, la S.M.A. », p. 41, renvoyant à « Première édition », p. 8.
  • [67]
    Assemblée générale 1968. Rapports. Section B, II, « Former des hommes de dialogue », p. 49.
  • [68]
    Au service de l’Afrique et de l’Église. Orientations et décisions de l’Assemblée générale 1973, article 152, p. 66.
  • [69]
    Idem, article 156, p. 67.
  • [70]
    Idem, article 156, p. 68.
  • [71]
    Évangélisation et Renouveau. Textes de l’Assemblée générale 1978, article 11, p. 15.
  • [72]
    Avery Dulles, The Resilient Church, Dublin, Gill & Macmillan, 1977, p. 12-13.
  • [73]
    Texte de l’Assemblée générale de 1983, Objectif n° 1. Les membres de cette Commission étaient 4 prêtres SMA, les pères Jean Bonfils, Patrick Gantly, Jan van Brakel et Bruno Semplicio.
  • [74]
    Marion Brésillac, Lettres, Édition préparée par Bernard Favier sma et Renzo Mandirola sma, Rome, SMA/Ergo edizioni, 2005.
  • [75]
    Marion Brésillac, Documents de mission et de fondation, p. 170.
  • [76]
    Ibidem.
  • [77]
    Selon Redemptoris Missio, « le critère géographique, même s’il n’est pas très précis et s’il est toujours provisoire, sert encore à préciser les frontières vers lesquelles doit se porter l’activiyé missionnaire. » (n° 37.)
  • [78]
    Cf. Vatican II, Gaudium et Spes, n° 22.
  • [79]
    Evangelii Nuntiandi de Paul VI donne la priorité au rôle du témoignage dans l’évangélisation (n° 41-42). La proclamation orale est perçue comme découlant du besoin de répondre aux « questions irrésistibles » qui naissent dans le cœur de ceux qui voient vivre les chrétiens (cf. Evangelii Nuntiandi, n° 21-22).
  • [80]
    Il s’agit là d’une orientation remarquable et insistante du Pape Jean-Paul II dans sa lettre encyclique, Redemptoris Missio, n° 66.
  • [81]
    Texte de l’Assemblée générale de 1973, Le Service de l’Afrique et de l’Église, article 65.

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