Couverture de HETM_382

Article de revue

Visualiser pour comprendre : les logiques de navigation en Poitou, Aunis et Saintonge à la fin de l’Ancien Régime

Pages 73 à 106

Notes

  • [1]
    Sur le programme « Navigocorpus » (ANR-07-CORP-028, 2008-2011), coordonné par Silvia Marzagalli, voir http://navigocorpus.huma-num.fr. La base de données a été conçue par Jean-Pierre Dedieu (CNRS) avec l’appui de Werner Scheltjens, alors post-doctorant du programme. Voir J.-P. Dedieuet al., 2011 ; id., 2012.
  • [2]
    Sur le programme « Toflit18 » (ANR-13-BSH1-0005, 2013-2017), coordonné par Guillaume Daudin et Loïc Charles, voir http://toflit18.medialab.sciences-po.fr/.
  • [3]
    Sur le programme « Portic » (ANR- 18-CE38-0010, 2019-2023), coordonné par Silvia Marzagalli, voir https://anr.portic.fr/.
  • [4]
    J. G. Clark, 1981 ; H. Robert, 1960.
  • [5]
    L’étude de cas présentée ici est disponible à l’adresse https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/. Elle a été réalisée par Cécile Asselin, Alain Bouju, Loïc Charles, Guillaume Daudin, Robin de Mourat, Géraldine Geoffroy, Paul Girard, Pauline Gourlet, Silvia Marzagalli, Béatrice Mazoyer, Benjamin Ooghe-Tabanou, Guillaume Plique, Christine Plumejeaud-Perraud, Pierrick Pourchasse, Thierry Sauzeau, Héloïse Théro, Maxime Zoffoli. « Portic » a également produit un fond de carte vectoriel avec les frontières des provinces, les limites des amirautés, et les frontières politiques de l’Europe en 1789 (URL : http://maps.portic.fr/).
  • [6]
    La principale exemption concernait les embarcations faisant un voyage aller-retour à l’intérieur du ressort d’un même siège particulier d’Amirauté : le maître de barque n’était alors tenu qu’au paiement du congé à l’aller. Le contrôle des navires partant de ports fluviaux était également au nombre des exceptions, l’Amirauté cédant alors l’autorité à l’administration des Eaux et Forêts. En Normandie, en Bretagne comme dans le Roussillon et probablement ailleurs, il existait des congés valables plusieurs mois. Enfin, les embarcations s’adonnant à la petite pêche quotidienne obtenaient un congé annuel.
  • [7]
    Les comptes rendus et presque tous les registres de congés mobilisés sont conservés aux Archives nationales de France (désormais ANF), sous-série G5. Nous avons été amenés à en refaire un inventaire plus précis que celui disponible aux archives (URL : https://navigocorpus.hypotheses.org/files/2012/04/inventaire-ANF-sous-s%C3%A9rie-G5-r%C3%A9alis%C3%A9-par-Christian-Pfister.pdf). Nous avons également inséré dans Navigocorpus les congés de Saint-Tropez que nous a fournis Gilbert Buti (Archives départementales du Var, 7B 10), et ceux de Lorient (Archives départementales du Morbihan, 10B 19). Pour une description des « familles » des registres, voir S. Marzagalli & C. Pfister-Langanay, 2014. Les lacunes de cette série peuvent être désormais visualisées grâce à l’interface créée dans le cadre du programme ANR « Portic » (URL : http://vizsources.portic.fr/). Les principales lacunes concernent la Provence, le Languedoc et quatre sièges particuliers d’Amirauté sur huit en Bretagne.
  • [8]
    Dans la région PASA, ce sont les îles de Bouin et Noirmoutier. Elles sont entrées tardivement dans le domaine royal après être restées longtemps dans le patrimoine de grandes familles princières : les Condé pour Noirmoutier, les Nivernois pour Bouin. Ce sont aussi des terres frontières entre Bretagne et Poitou, provinces dont les régimes fiscaux et les privilèges diffèrent et qui se livrent à une guerre commerciale. Plaques tournantes de la contrebande du tabac, ces îles ont continué de bénéficier de privilèges fiscaux. D. Guillemet, 2000, p. 292.
  • [9]
    À la fin de l’Ancien Régime, Aligre est le nom de la ville de Marans, rebaptisée par le sieur d’Aligre son seigneur en sa qualité de duc et pair de France.
  • [10]
    Une carte des sept bureaux avec leur territoire d’influence supposé a été réalisée dans le cadre de l’étude de cas (URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/intro-bureaux).
  • [11]
    La base de données Navigocorpus intègre également 120 enregistrements du droit de délestage perçu en 1787 à La Tremblade (amirauté de Marennes), port pour lequel nous n’avons pas le registre des congés. Ce document ne précise ni la provenance, ni la destination des navires mentionnés. L’une des cartes réalisées dans le cadre de l’étude de cas permet de visualiser les ports étudiés avec l’indication du nombre des congés délivrés (URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/intro-ports).
  • [12]
    Cette première visualisation est accessible à l’adresse http://vizsources.portic.fr/. Une fois placés les filtres, l’utilisateur peut exporter l’image et/ou son URL. Ainsi pour la Figure 1, l’URL suivante permet de renvoyer à la sélection et au cadrage choisi : http://vizsources.portic.fr/index.html?source=g5&year=1787&variable=products&print=false&center=[46.29714292737493,0.8569335937500001]& zoom=7&world=shorelines.
  • [13]
    Voir, pour ce qui est de la représentation de l’incertitude des trajectoires, la communication de C. Plumejeaud-Perreau & S. Marzagalli, 2022b.
  • [14]
    Les navires qui sortent de Saintes ne sont pas assujettis à prendre un congé : Saintes est situé sur le fleuve Charente en amont de Tonnay-Charente et le siège particulier de l’Amirauté de Marennes ne délivre pas de congés en amont de ce port.
  • [15]
    Service historique de la défense de Rochefort, Archives du bureau des Classes de Saintes, 9P 4-3 Rôles d’armement de bord désarmés (1787-1789).
  • [16]
    Service historique de la défense de Rochefort, Archives du bureau des Classes de La Teste, 12P 3-12 Rôles d’armement de bord désarmés (1787-1789).
  • [17]
    La Teste est un port oblique du siège particulier d’Amirauté de Bordeaux. Son registre des congés est perdu, mais parfois, comme c’est le cas ici, les congés délivrés à La Teste sont mentionnés directement sur le registre de Bordeaux (ANF, G5 50), présenté en annexe (Figure A1).
  • [18]
    Des tests réalisés sur des échantillons aléatoires, comparant les informations présentes sur les rôles et sur les congés, révèlent une cohérence des trajets enregistrés par les deux administrations, comme dans les exemples présentés ici.
  • [19]
    C’est dans le cadre de l’initiation à la recherche en histoire moderne, proposée en licence 3 Histoire à l’université de Poitiers, que les promotions 2009, 2010 et 2011 ont saisi plus de 7 000 congés de 1787, délivrés dans les ports situés entre Loire et Gironde.
  • [20]
    Plusieurs autres éléments aident à préciser le niveau de certitude de l’information enregistrée. Nous en détaillerons leurs usages dans une publication à paraître qui fait suite à nos communications sur le sujet (C. Plumejeaud-Perreau & S. Marzagalli, 2022a ; id., 2022b), ainsi que dans le deuxième article de ce dossier (C. Plumejeaud-Perreauet al., 2023).
  • [21]
    Dans ce cas précis, et dans le cas où aucune indication dans la base ne permet de trancher, nous avons créé un point « Saint-Valery », indéterminé, avec des coordonnées géographiques placées entre les deux. Les choix effectués sont explicités sur notre site (URL : https://anr.portic.fr/incertitude/#Lidentification_des_lieux).
  • [22]
    Pour le travail complémentaire effectué à partir de cette base dans le cadre de « Portic », voir C. Plumejeaud-Perreauet al., 2023, dans ce même numéro.
  • [23]
    C. Plumejeaud-Perreauet al., 2021.
  • [24]
    Communication par Sylviane Llinarès, dans la cadre du programme « Dynamiques portuaires et Maritimes » (Dypomar), ANF, Marine C4 174-176, Papiers Chardon. Le volume 175 comprend les procès-verbaux d’inspection des ports et amirautés de Bretagne, Poitou, Aunis, Saintonge, Guyenne.
  • [25]
    ANF, G1 63, État des directions et bureaux de la ferme générale (1789), Direction de La Rochelle, fo 21.
  • [26]
    Respectivement https://www.slavevoyages.org/et http://www.soundtoll.nl/. Les données du Sund ne précisent pas le nom du navire, et le seul nom du capitaine ne peut suffire à son identification.
  • [27]
    Les algorithmes de contrôle et de vérification seront détaillés dans une publication à paraître qui fait suite à nos communications (C. Plumejeaud-Perreau & S. Marzagalli, 2022a et 2022b).
  • [28]
    Sur le traitement des produits dans la base Navigocorpus, voir J. P. Dedieu & S. Marzagalli, 2015.
  • [29]
    Le travail d’attribution des identifiants a été largement mené par Pierre Niccolò Sofia.
  • [30]
    Voir à ce propos J. F. Bosher, 1987.
  • [31]
    Le déclin relatif est encore plus marqué : voir le pourcentage des exportations de la direction des Fermes de La Rochelle par rapport au total français dans le graphique réalisé pour l’étude de cas dont il est question (URL : https ://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/partie-1-evolution-de-la-part-des-echanges-de-la-rochelle-au-xviiie).
  • [32]
    P. Butel, 1974 ; X. Huetz de Lemps, 1975 ; B. Michon, 2011.
  • [33]
    Cette visualisation, réalisée en utilisant Keshif, est accessible via le site http://explore1.portic.fr/.
  • [34]
  • [35]
    La liste des ports privilégiés autorisés à commercer avec les colonies s’est allongée au cours du xviiie siècle, pour inclure entre autres Les Sables-d’Olonne et Rochefort, mais les trafics sont dominés, encore à la veille de la Révolution, par quatre ports (Bordeaux, Nantes, Marseille et Le Havre/Rouen) qui assurent l’essentiel du commerce avec les Antilles : J. Tarrade, 1972, vol. 1, p. 90.
  • [36]
    Toutes les valeurs indiquées ici proviennent des états de la Ferme, issues des sources locales et nationales, collectés dans le cadre du programme « Toflit18 ». Pour le détail, voir la page « Sources » du projet (URL : http://toflit18.medialab.sciences-po.fr/#/exploration/sources).
  • [37]
    URL :https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/viz-principale-partie-2/. En survolant la visualisation on obtient des précisions et en sélectionnant un bureau, on met en évidence les données qui s’y réfèrent.
  • [38]
    Sur le commerce des eaux-de-vie, voir L. M. Cullen, 1998.
  • [39]
    H. Robert, 1960.
  • [40]
    J. G. Clark, 1981.
  • [41]
    Sur les gens de mer et l’articulation portuaire d’une partie du littoral étudié, voir H. Retureau, 2021 et T. Sauzeau, 2005 ; id., 2012.
  • [42]
    Sur Rochefort, voir M. Acerra, 1993, et plus largement D. Plouviez, 2014.
  • [43]
    URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/sorties-de-marennes-avec-sel-destinations. Pour contextualiser l’importance de cette région dans le commerce du sel français, ainsi que d’autres aspects relatifs à la navigation évoqués dans cet article, on peut se rapporter à S. Marzagalli, 2023.
  • [44]
    L’explication de ces images est donnée, à côté de la visualisation, sous le titre « La Rochelle, port dominant mais pas structurant » (URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/viz-principale-partie-3).
  • [45]
    C. Plumejeaud-Perreau& S. Marzagalli, 2022a ; id., 2022b ; id., 2022c.

1 La France d’Ancien Régime compte plus de trois cents « ports » en activité (souvent de simples échouages) le long des façades maritimes de la métropole. Sur ces littoraux, la présence de l’État s’est faite de plus en plus pointilleuse au fil des siècles. À partir de la seconde moitié du xviie siècle, la monarchie se soucie de contrôler les gens de mer qu’elle réquisitionne en cas de besoin pour sa Marine, en même temps qu’elle surveille les circulations des biens, en espérant pouvoir les orienter dans un sens favorable à l’État. Les différentes administrations chargées du contrôle des activités maritimes et commerciales ont produit une variété importante de sources, qui nous sont parvenues en dépit des destructions opérées par le temps. Des générations d’historiens les ont mobilisées pour questionner les trafics des grands ports à l’époque moderne. Si depuis les années 1950-1960 les méthodes de l’histoire quantitative ont accompagné leur démarche, le recours aux technologies numériques élargit les possibilités de croisement des données. Il permet également d’atteindre des publics non spécialistes, grâce notamment à une palette d’outils et de supports en ligne. La mise à disposition des données, sous des formes variées, devient dès lors un véritable enjeu, d’autant plus que les manipulations informatiques peuvent enrichir les informations tirées des sources. Les opérations effectuées pour transformer les sources en données, qui impliquent une série de choix de réduction de l’information à un ensemble de variables, ne sont toutefois pas neutres vis-à-vis de ce qui se donne à voir.

2 En raison de la masse considérable de sources à disposition, le traitement de l’information passe par la constitution de bases de données. C’est sur deux d’entre elles – celle sur la navigation réalisée dans le cadre du programme « Navigocorpus : corpus des itinéraires des navires de commerce, xviie-xixe s. [1] », et celle sur la balance du commerce français au xviiie siècle réalisée dans le cadre du programme « Transformations of the French Economy through the Lens of International Trade, 1716-1821 [2] » – que reposent les analyses et les outils mobilisés par le programme « Ports et technologies de l’information et la communication. Questionner et visualiser les dynamiques de la navigation et du commerce du xviiie siècle à l’ère de la révolution numérique », de l’Agence nationale de la recherche [3]. Celui-ci vise un double objectif : croiser les données des deux bases pour mieux comprendre les logiques de navigation et la structuration des marchés à la veille de la Révolution française d’une part, et, d’autre part, offrir aux utilisateurs la possibilité de mener leurs propres enquêtes exploratoires en interrogeant en ligne les données sur la navigation.

3 Dans cet article, nous présentons deux supports d’analyse différents et complémentaires mis en œuvre par l’équipe interdisciplinaire de « Portic », qui sollicitent tous les deux des outils numériques avancés. Le premier propose d’analyser l’articulation entre navigation et marchés, viatrois études de cas qui se présentent sous la forme d’une publication web combinant un texte avec une série d’instruments visuels (cartes, graphiques, analyses de réseaux, schémas, etc.) qui s’ajustent de manière variée au fur et à mesure que le lecteur fait défiler le texte, et avec lesquels l’utilisateur peut parfois interagir en sélectionnant ou en filtrant les données. Nous présenterons ici à titre d’exemple la première étude de cas qui a porté sur la navigation et le commerce maritime à la veille de la Révolution dans la région comprenant les anciennes provinces du Poitou, de l’Aunis, de la Saintonge et de l’Angoumois (territoire appelé ici dorénavant « région PASA »). Nous avons souhaité questionner la place de La Rochelle en tant que pôle [4] au sein des logiques spatiales à l’œuvre et interroger l’articulation entre les échelles locale, régionale, nationale et internationale des circulations maritimes et fluviales. La réalisation de cette étude et des visualisations qui la soutiennent est le fruit d’une collaboration serrée, constante et fondamentale entre historiens, économistes, informaticiens et designers d’information, qui a requis au préalable un travail très conséquent de création de métadonnées et d’alignement entre les variables des deux bases [5].

4 La seconde proposition du programme « Portic » vise à mettre à disposition sur le Web les données collectées dans la base Navigocorpus, en offrant trois interfaces d’interrogation exploratoire multicritères, associées à des visualisations et des résultats. L’utilisateur peut également, une fois sélectionnés les filtres et les variables pertinents pour sa recherche, télécharger le jeu des données, l’image ou la carte qui s’affiche, ou leur DOI pour les citer dans une publication.

5 Si le lecteur pourra explorer à sa guise ces productions en ligne, en présentant ici quelques-uns de nos résultats, nous souhaitons tout d’abord mettre l’accent sur l’importance du travail qui a permis de passer de la source aux données, puis à l’enrichissement de celles-ci par l’ajout des métadonnées, avant qu’il ne soit possible d’exploiter le tout pour répondre à des questionnements historiques au moyen de plusieurs types de visualisations. La création d’une base de données et sa curation pour la rendre opérationnelle ne sont pas seulement des processus chronophages : ils constituent également des zones souvent grises dans lesquelles s’opèrent pourtant des choix déterminants pour l’analyse. En identifiant un capitaine ou un navire pour reconstituer un trajet, ou en attribuant un port à un tel bureau des Fermes alors qu’aucun document n’en précise l’étendue exacte, nous affectons de manière parfois décisive la nature des résultats qui s’affichent. L’un des défis du programme « Portic » est de préserver la cohérence et la traçabilité de ces choix, et de pleinement prendre en compte l’incertitude qui entoure les sources et leur traitement, en la donnant à voir pour pouvoir l’inclure dans le raisonnement historique.

1. Les sources de l’enquête : du manuscrit à la donnée

6 Les sources mobilisées dans le cadre de cette enquête proviennent pour l’essentiel de deux institutions préposées à la surveillance du mouvement des navires et des marchandises le long des littoraux français : l’Amirauté de France et la Ferme générale. Il s’agit ici dans un premier temps de présenter les apports (et les lacunes) de la documentation mobilisée. Nous expliquerons ensuite l’enrichissement effectué sur les informations relatives à la navigation et les opérations qui permettent leur croisement avec les données sur la balance du commerce.

Congés maritimes et balance du commerce

7 Notre étude de la navigation repose sur les congés délivrés par les bureaux de l’Amirauté, c’est-à-dire les autorisations au départ rendues obligatoires par l’Ordonnance de la Marine de 1681 pour toute embarcation pourvue d’un mât sortant d’un port français [6]. L’Amirauté est une institution d’Ancien Régime chargée du contrôle et du contentieux relatif à la navigation. Une cinquantaine de sièges particuliers maillent les littoraux de la métropole et chacun d’eux dispose d’un personnel spécialisé composé d’officiers du roi : lieutenant du siège (représentant du roi), procureur, receveur des droits de l’Amiral, greffiers, gardes-jurés et garde-côtes. À l’échelle inférieure, on compte un peu plus d’une centaine de ports secondaires (« ports obliques » dans la terminologie de l’époque), chacun étant rattaché à son siège particulier et pourvu d’un greffier receveur des droits chargé de rendre compte des perceptions et démarches effectuées. La comptabilité liée à la vente des congés, perçus au profit de l’Amiral de France, a produit des comptes rendus (documents indiquant le nombre des congés délivrés par type) qui couvrent parfois une bonne partie du xviiie siècle. Pour la décennie 1780, nous disposons aussi d’une riche collection des registres des congés, dont le double a été conservé parmi les papiers saisis lors de la Révolution chez le duc de Penthièvre, dernier Amiral de France. Grâce à cette précieuse collection de copies, on peut pallier bien des lacunes nées de la disparition des papiers de plusieurs sièges particuliers, comme aux Sables-d’Olonne. Ces registres fournissent, pour chaque congé délivré, des indications sur le navire et son trajet (Figure A1 en annexe). Dans le cadre du programme ANR « Navigocorpus », nous avons saisi dans la base de données l’intégralité des congés délivrés en France en 1787 dont les registres étaient conservés, les lacunes étant connues grâce à la comparaison avec les comptes rendus [7]. Le programme ANR « Portic » a permis de collecter également les congés des provinces de Flandres, du Poitou, de l’Aunis et de la Saintonge pour l’année 1789, et de croiser ainsi les informations de la navigation avec celles de la balance du commerce digitalisées dans le cadre du programme ANR « Toflit18 », plus exhaustives pour cette année.

8 Les sièges particuliers d’Amirauté ne sont pas les seules institutions qui collectent des informations sur les gens de mer et leur navigation au plus près du terrain. Pour la mise en œuvre du système de classes, le service militaire destiné à recruter les équipages de la Marine royale, 80 bureaux sont implantés sur les côtes du royaume à compter des années 1670. Nous avons mobilisé leurs papiers pour vérifier la fiabilité des registres des congés, comme nous l’expliquons par la suite.

9 Pour ce qui est de la surveillance du commerce, le littoral est maillé aussi par les bureaux et les patrouilles des employés de la Ferme générale, organisme semi-privé chargé par le souverain de la perception des droits qui pèsent sur les importations et les exportations. Réservé au seul commerce international, leur travail a donné lieu à la rédaction de nombreux documents statistiques dont le gouvernement se sert pour élaborer sa politique commerciale. En 1789, les états de la Ferme sont conservés non seulement au niveau agrégé des directions des Fermes, mais aussi à un niveau plus fin, celui des bureaux qui les composent (Figure A2 en annexe). Ces états indiquent, pour chaque bureau des Fermes, le partenaire commercial, le produit importé ou exporté, sa quantité et sa valeur. Particularité de l’Ancien Régime, les ports francs (Dunkerque, Lorient, Bayonne et Marseille) mais aussi les « Petites îles [8] » sont considérés comme étrangers, tout comme les colonies françaises.

10 Comme cela est fréquent sous l’Ancien Régime, chaque institution opère sur son propre ressort, sans que les frontières entre les différentes administrations ne coïncident. Les provinces maritimes de la région PASA sont placées sous la direction des Fermes de La Rochelle, qui comporte sept bureaux littoraux (Aligre [9], Charente, La Rochelle, Marennes, Rochefort, Les Sables-d’Olonne, Saint-Martin-de-Ré) [10]. L’ensemble du territoire dépendant de la direction des Fermes de La Rochelle correspond à trois sièges particuliers d’Amirauté : La Rochelle, Marennes et Les Sables-d’Olonne. La seule exception est celle du port de Beauvoir-sur-Mer, qui tout en relevant de l’amirauté des Sables-d’Olonne, dépend de la direction des Fermes de Nantes.

11 La base de données Navigocorpus contient les informations des congés délivrés dans 27 ports de la région PASA en 1787 (25 en 1789) (Tableau A1 en annexe) [11]. Même au sein de cet espace restreint, les informations livrées par les registres des congés ne sont pas uniformes. En général, les congés fournissent l’indication de la date de délivrance du congé, le nom du navire, son tonnage et son port d’attache, le nom du capitaine, la destination ou le but du voyage (« pour faire la pêche au poisson frais ») et le numéro du congé, ainsi que le montant des droits. En revanche, le ou les principaux produits expédiés ne sont indiqués ni à La Rochelle ni à Tonnay-Charente. Ces lacunes doivent être prises en compte dans tout traitement du contenu de la base. À cet effet, le programme « Portic » a permis d’élaborer une visualisation spécifique qui permet à tout utilisateur de prendre la mesure des données manquantes et du degré de complétude des principales variables. L’utilisateur peut également obtenir des informations complémentaires en survolant les ports avec la souris (Figure 1) [12]. L’historien acquiert une connaissance approfondie de ses sources et de leurs limites dans le processus, souvent chronophage, de repérage et collecte des informations. En fournissant à chaque utilisateur des données « toutes faites », le risque d’interprétations hâtives nous semble bien réel, d’où la nécessité de donner à voir l’incertitude (qu’elle soit due aux lacunes, aux imprécisions, ou aux incohérences des sources) : c’est un élément central de notre démarche dans « Portic » [13].

Figure 1.Visualisation des sources exploitées par le programme « Portic » et du degré de complétude des variables

Figure 0

Figure 1.Visualisation des sources exploitées par le programme « Portic » et du degré de complétude des variables

Note. Présence de l’indication de la cargaison ou du but du voyage dans les registres des congés de la région PASA en 1787.

De la digitalisation des sources à l’enrichissement des données

12 Le passage de la source à la donnée informatisée implique deux étapes : la saisie proprement dite ainsi que la vérification de son exactitude, puis le travail subséquent d’ajout de métadonnées. Nous présentons ici le travail effectué sur les registres des congés.

13 Au préalable, nous nous sommes assurés de la fiabilité de cette source. Nous avons donc procédé à des sondages pour comparer les trajets mentionnés par les registres de l’Amirauté avec les rôles d’équipage visés par l’administration du bureau des classes, les deux administrations opérant indépendamment l’une de l’autre. Les archives de certains bureaux des classes contiennent en effet un exemplaire du rôle d’équipage conservé à bord et visé à chaque escale, le rôle « d’armement, de bord, désarmé ». C’est le cas pour les bureaux de Saintes [14], sur la Charente, et de La Teste, sur le bassin d’Arcachon. Armée à Saintes le 5 janvier 1787, la barque le Saint-Pierre de Port-d’Envaux (sur le fleuve Charente) est désarmée le 18 juillet suivant dans ce même port [15]. Quand il quitte Saintes le 8 janvier, chargé de bois, son capitaine Pierre Drouillard déclare sur son rôle de bord qu’il se rend à l’île de Ré. Effectivement, il retire bien un congé à la sortie de Saint-Martin-de-Ré le 13 janvier suivant, où il annonce qu’il se rend à Charente (c’est-à-dire Tonnay-Charente), et c’est bien cette même destination qui figure sur son rôle, avec un visa de l’île de Ré daté du 18 janvier. Toujours sur son rôle, il est signalé à Rochefort le 23 janvier. Il visite ensuite Charente, port qu’il quitte le 31 de ce même mois, muni d’un congé pour l’île de Ré, son rôle indique qu’il est chargé de « pierres et fagots ». Ce circuit, respectivement balisé par le rôle mis à jour à chaque escale et les congés délivrés dans les ports visités, est très cohérent.

14 Quittons le rivage charentais : le Bien Aimé, propriété du sieur Fleury aîné, est armé à La Teste sous le commandement du maître Jean Pontac, le 30 janvier 1787 [16]. Le lendemain, le maître retire un congé auprès du receveur des droits de l’Amiral à La Teste, avec la même destination que sur le rôle [17]. Il compte se rendre à Redon, port situé sur la Vilaine, dans le ressort de Vannes, siège particulier dont nous n’avons pas les registres de congés. Le maître Jean Pontac dit « Cadichon » rejoint ensuite La Teste où il est enregistré le 9 février, en provenance de Redon. Ces deux exemples rapprochant les archives du système des classes et celles de l’Amirauté – mobilisées dans le cadre du programme « Portic » – se répondent, offrant un signal positif en termes de fiabilité de l’information historique fournie par les registres des congés [18].

15 L’étape de la saisie des données des registres des congés a été effectuée par des collègues qui ont participé au programme ANR « Navigocorpus », par des étudiants supervisés par Thierry Sauzeau [19]ainsi que par plusieurs vacataires rétribués sur les programmes ANR « Navigocorpus » ou « Portic ». Les données ont été directement insérées dans la base, réalisée avec le logiciel FileMaker, ou alors transcrites sur des fichiers Excel puis importées dans la base Navigocorpus. Durant la phase d’insertion des données, il s’agit de transcrire le plus fidèlement possible le contenu du document (la normalisation portant au plus sur les majuscules et les minuscules, ou sur l’explicitation des abréviations évidentes : « cap.t » pour « capitaine », « Ste » pour « Sainte ») mais aussi en explicitant directement dans les champs prévus à cet effet la nature de l’information qui dépend de la structure de la source. Ainsi, la première entrée de la page 3 du registre des congés d’Aligre de 1787 (Figure 2) indique la date du congé, son numéro (ici 4 134), le nom du patron ou capitaine (Jean Gendron), le nom du navire (leSaint Jean), son port d’attache (Aligre), son tonnage (5 tonneaux), sa destination (Esnandes), son chargement (bois) et le montant du congé (5 sous tournois). Au moment de l’insertion, l’opérateur de saisie explicite aussi le type du congé (ici : congé français) déduit du numéro de la série (les congés étrangers, tout comme les congés coloniaux suivant une autre numérotation), il ajoute le port de départ (celui du registre, ici Aligre de Marans) et la référence archivistique. De même, il renseigne certaines variables qui précisent la structure de l’information propre au type de sources : pour le produit « bois », par exemple, il saisit « out » dans le champ cargo_item_action pour signaler que le produit sort du port d’Aligre [20]. Une série de scripts permet ensuite de rapporter automatiquement certaines informations sur les tables liées comme, par exemple, l’indication de la source sur la table des cargaisons (Figure 3). La vérification intégrale de l’exactitude des transcriptions et de l’intégration de ces variables d’explicitation a été effectuée par la coordinatrice du projet.

Figure 2. Extrait de la page 3 du registre des congés d’Aligre, 1787

Figure 1

Figure 2. Extrait de la page 3 du registre des congés d’Aligre, 1787

Source. Archives nationales de France, G5 39B.

Figure 3.Formalisation de l’entrée de la Figure 2 dans l’écran « observation » de la base de données Navigocorpus

Figure 2

Figure 3.Formalisation de l’entrée de la Figure 2 dans l’écran « observation » de la base de données Navigocorpus

Source. URL : https://actoz.db.huma-num.fr/fmi/webd, choisir le fichier Navigocorpus_pointcall, puis le modèle Pointcall_data_observation.

16 Ensuite, le concepteur de la base Navigocorpus d’abord, la coordinatrice de ce programme et de « Portic » ensuite, ont procédé à l’attribution des identifiants permettant l’exploitation efficace des données : identifiants géographiques (ports de départ et destinations, ports d’attache) ; identifiants des navires et des capitaines ; identifiants pour les cargaisons ou le but du voyage. Nous allons présenter ici la manière dont nous avons procédé, et les incertitudes résiduelles. La robustesse scientifique de toute étude de cas mobilisant ces variables dépend en effet de ce traitement des sources, de leur transformation en données, et du travail d’élaboration des métadonnées.

Identifiants des lieux et leur alignement

17 L’attribution des identifiants des lieux présente des difficultés bien connues : la grande majorité des localités peut être identifiée sans difficulté, mais les transcriptions phonétiques des localités éloignées, les proximités orthographiques (« Christiania » pour Oslo, « Christiansand » pour Kristiansand, « Christianstad » pour Kristianstad, ou « Christianson » pour Kristiansund) et les homonymes (Saint-Valery, sans précision : Saint-Valery-sur-Somme ou Saint-Valery-en-Caux [21] ?) compliquent la tâche, surtout quand les graphies sont difficiles à lire. Nous avons fait appel à la communauté des chercheurs pour nous aider pour les lieux que nous n’arrivions pas à identifier. À ce jour, sur un peu plus de 143 000 mentions de localités fréquentées par les navires étudiés dans le cadre du programme « Portic », seules 128 restent inconnues, auxquelles s’ajoutent 53 autres identifiées de manière approximative (« Brouse en Pouille » s’est vu attribuer un code correspondant à « Pouilles », en attendant de découvrir où se trouve exactement ce lieu). L’identifiant géographique est lié à une base de données géoréférencée appelée Geo_General créée par Jean-Pierre Dedieu, commune à un ensemble de bases de données qu’il a conçues. Elle compte à ce jour plus de 6,3 millions de toponymes, avec entre autres l’indication de l’État d’appartenance actuel, de la latitude et de la longitude. Cette base, conçue à partir des données déclassifiées de l’armée américaine, a été ensuite enrichie par les utilisateurs. Nous avons ainsi été amenés à créer des points situés en pleine mer, là où les sources indiquent par exemple un événement survenu à « dix lieues à l’ouest de Palamos ». La même base sert également pour les identifiants des ports d’attache des navires, et les lieux d’appartenance (locale, ou « identitaire ») des capitaines (« Nicolas Le Métais de Port-Bail », « Antoine Vidal, catalan », « Laurent Pierre Yckenberg, suédois ») [22].

18 Dans le cadre de « Portic », il s’est vite avéré que, pour ce qui est des localités, il fallait également créer d’autres métadonnées pour pouvoir mener à bien nos analyses [23]. Nous résumons ces actions dans les grandes lignes ici. Chaque port français a été ainsi rattaché à sa province d’Ancien Régime et à son siège particulier d’Amirauté ; chaque port étranger a été rattaché à l’État d’appartenance à l’époque étudiée, en prenant en compte les changements de souveraineté intervenus entre 1749 et 1799. Pour permettre le croisement entre les sources issues des sièges particuliers d’Amirauté et celles issues des bureaux de la Ferme, nous avons aussi rattaché chaque port français métropolitain à un bureau des Fermes, tout en sachant qu’il n’existe pas à notre connaissance une quelconque carte détaillée, ni aucun document précisant l’étendue exacte des attributions de chaque bureau des Fermes. Comme pour beaucoup d’institutions d’Ancien Régime, l’étendue des ressorts est floue et dépend de leur capacité à exercer leur activité et à faire reconnaître leur présence par les acteurs locaux. La description des ressorts des sièges particuliers d’Amirauté est quant à elle livrée par les trois volumes in-quartodes procès-verbaux de l’inspecteur de la Marine Marc-Antoine-Daniel Chardon [24], envoyé en mission sur les littoraux de France dans les années 1780. Sous sa plume, on constate tout d’abord que les limites des ressorts des sièges particuliers d’Amirauté s’appuient sur des éléments faciles à identifier : estuaires, confluents, aval ou amont d’une ville-port fluviale, limite d’une paroisse, fortification, etc. Après vérification, nous avons reconnu que les limites des ressorts d’Amirauté situés aux frontières d’une province d’Ancien Régime se juxtaposent à celle-ci. Sur le littoral de la région PASA, visité en 1783, la frontière entre la Bretagne et le Poitou est la limite nord du ressort de l’amirauté des Sables-d’Olonne qui court vers le sud, tout le long du littoral de la Vendée actuelle, et va jusqu’en aval du port de Marans, sur la rive nord de l’estuaire de la Sèvre niortaise. À partir du port de Marans et jusqu’à la rive nord de l’estuaire de la Charente, port de Rochefort inclus, le littoral de la province d’Aunis – ainsi que l’île de Ré – constitue le ressort de l’amirauté de La Rochelle. La rive sud de l’estuaire de la Charente, ainsi que le cours du fleuve situé en amont de Rochefort (jusqu’où se fait sentir le flot de marée) se trouvent dans le ressort de l’amirauté de Marennes. Celle-ci étend sa juridiction sur le rivage de la Saintonge – île d’Oléron comprise – et sa limite sud est fixée au ruisseau de Vitrezay, en rive nord de l’estuaire de la Gironde, qui donne aussi la limite entre Saintonge et Guyenne. Ces limites ont été rapportées sur un fond de carte vectoriel géoréférencé (Figure 4).

Figure 4.Cartographie des ports du littoral de la direction de la Ferme de La Rochelle

Figure 3

Figure 4.Cartographie des ports du littoral de la direction de la Ferme de La Rochelle

Note. Les toponymes des sièges des bureaux des Fermes sont soulignés.

19 Sur les 49 bureaux des Fermes relevant de la direction de La Rochelle, nous en avons identifié sept comme littoraux, mentionnés plus haut [25]. Nous avons ensuite travaillé sur la liste des ports, issue de l’étude des congés, et procédé par rattachement de proximité géographique au bureau de Ferme le plus proche ; l’entreprise a soulevé quelques questions, voire des incertitudes qui ont été marquées par un indicateur. Nous avons également rattaché chaque port au ressort d’une amirauté ainsi qu’à une province, en se fondant de façon plus précise sur le rapport de Chardon. Enfin, rappelons que les papiers de la Ferme ne concernent que les exportations et le commerce colonial alors que ceux de l’Amirauté concernent tous les voyages.

Identifiants des navires et des capitaines

20 L’attribution d’un identifiant pour les navires et les capitaines représente un travail extrêmement chronophage. Un chercheur expérimenté – et l’opération étant extrêmement délicate ne peut être confiée qu’à très peu de chercheurs (dans notre cas, à la coordinatrice et au post-doctorant attaché au programme « Portic ») – peut traiter au plus une centaine de lignes de la base en une heure de travail. L’ajout à la base de quelque 64 000 lignes dans le cadre du programme « Portic » (essentiellement de nouvelles données sur le port de Marseille) a représenté donc un véritable défi. Néanmoins, cet identifiant est d’une utilité majeure, car il préside à l’étude des trajectoires des capitaines et des navires. Ni la base de données slavevoyages ni la base de données du Sund ne comportent cette identification [26].

21 Dans l’exemple mentionné plus haut (Figures 2 et 3), la base présente un total de 15 congés délivrés en 1787 à Jean Gendron, patron du Saint Jean (ou Petit Saint Jean) d’Aligre, de 5 tonneaux de jauge ; 14 congés ont été délivrés à Aligre pour se rendre à Esnandes, le dernier à Saint-Michel-en-l’Herm pour se rendre à Aligre. Nous avons considéré qu’il s’agit du même individu et du même navire, et donc attribué un même identifiant capitaine à Jean Gendron et un même identifiant navire au Saint Jean et Petit Saint Jean qu’il commande. Cette décision a été prise à partir de l’ensemble des informations contextuelles et d’une connaissance fine des itinéraires maritimes et de leurs temporalités. Le capitaine d’un navire de 150 tonneaux qu’on trouverait à Dunkerque et à Bayonne à deux mois de distance pourrait tout à fait être le même individu ; si le navire avait 10 tonneaux de jauge, ou que les dates de sortie étaient à cinq jours d’intervalle, on aurait en revanche conclu à une homonymie et on aurait attribué deux identifiants différents. Le procédé est loin d’être parfait, et il est certain que des erreurs d’identification existent [27]. La variable est d’autant plus sensible que nous rapportons manuellement, entre crochets, les informations qui ne changent pas a priori d’un voyage à l’autre, si celles-ci ne sont pas présentes dans l’entrée suivante : port d’attache, tonnage, etc. Toute erreur d’identification d’un capitaine ou d’un navire entraîne donc des erreurs en chaîne, et toute correction nécessite une reprise manuelle des informations rapportées à tort sur les autres entrées de la base concernées.

Identifiants des produits

22 Les produits ou le but du voyage (variable commodity_purpose) ont également été affectés d’un identifiant numérique. Celui-ci est lié à un terme standardisé, en français et en anglais, qui facilite la recherche, et permet de faire abstraction des très nombreuses variantes orthographiques [28]. Le périmètre des données mobilisées dans le cadre de « Portic » comporte environ 81 000 lignes de produits/but du voyage, qui ont donné lieu à 1 070 identifiants différents. Pour faciliter les analyses, ces identifiants ont été à leur tour alignés à l’une des 151 classifications proposées par la catégorie « Révolution et Empire » utilisée par le programme « Toflit18 », ce qui a nécessité quelques ajustements pour pouvoir insérer non seulement les navires partis à vide ou avec du lest ou des passagers, mais aussi le but des voyages (faire la pêche, la course, etc.) [29].

23 La majeure partie de cet enrichissement des données était indispensable pour mener à bien l’étude de cas qui suit, mais aussi pour toutes les interfaces de visualisation des données que nous proposons en ligne. La section suivante illustre le potentiel de ces corpus pour l’avancement des connaissances historiques, à partir du cas concret de l’étude menée sur la région PASA.

2. Une densité portuaire qui fait système ? Le cas de la région PASA

24 L’aire littorale étudiée, qui correspond à la direction des Fermes de La Rochelle et aux provinces du Poitou, Aunis et Saintonge, se caractérise par une forte densité portuaire (on compte 13 ports environ en 1789 pour 100 km de linéaire côtier). Pour l’année 1789, notre base de données recense 80 localités différentes, que ce soit celles où les congés sont délivrés au sein des trois sièges particuliers de l’Amirauté (Les Sables-d’Olonne, La Rochelle et Marennes) ou celles dépourvues d’un greffier, vers lesquelles des navires font voile. Parmi ces ports se trouvent l’arsenal de Rochefort et le port de La Rochelle, qui au xviie siècle est l’un des plus importants du royaume, notamment en raison de ses relations avec l’Amérique du Nord [30]. S’il demeure jusqu’au milieu du xviiie siècle un port majeur, son commerce extérieur décline après la perte de la Nouvelle-France au cours de la guerre de Sept Ans (1756-1763) [31]. La région PASA se prête donc particulièrement bien à une étude portant sur l’articulation entre les différentes échelles de navigation à l’aube de la Révolution : certains ports n’y font que du cabotage local, d’autres intègrent petit et grand cabotage, voire du commerce au long cours. De plus, la littérature confère à La Rochelle un rôle équivalent à celui de Bordeaux ou Nantes [32] en matière de structuration d’une aire portuaire : il s’agit d’éprouver la solidité de cette hypothèse. La question qui se pose alors est de comprendre si ce dense maillage portuaire constitue un système régional dans lequel un ou deux ports structurent l’espace commercial et maritime, ou si, au contraire, chaque port entretient des relations plus fortes avec l’extérieur, en dehors du système. Nous esquissons ici les grandes lignes de notre analyse en montrant les différents outils créés dans le cadre du programme « Portic » pour explorer et donner à voir les données collectées.

Visualiser la géohistoire économique portuaire d’un littoral

25 Nous avons tout d’abord interrogé la capacité des provinces étudiées à effectuer le commerce maritime avec leurs propres navires et à s’insérer dans le cabotage national : dans quelle mesure cette région se suffit-elle à elle-même, tant en termes de flotte que de circulations ? L’étude des congés délivrés en France en 1787 montre en fait sa forte dépendance vis-à-vis des unités de transport extérieures. Même en additionnant le tonnage des flottes attachées aux ports du Poitou, de l’Aunis et de la Saintonge comme s’il s’agissait d’une seule « région », on atteint péniblement la barre de 50 % du commerce maritime assuré par des navires locaux : le caractère de leurs trafics, portés sur l’exportation des produits spécifiques (sel, eau-de-vie) et sur la demande de l’arsenal de Rochefort, explique sans doute le caractère assez « passif » de leur navigation. Ici comme ailleurs sur les façades atlantiques françaises, les Bretons sont les principaux pourvoyeurs de navires. En Poitou et en Saintonge, les congés qu’ils acquièrent dépassent même, en tonnage agrégé, ceux des unités de la province. Ces explorations des données sont grandement facilitées par la visualisation des données agrégées que Géraldine Geoffroy a élaborée dans le cadre du programme « Portic » (Figures 5, 7 et 12) [33]. La Figure 5 montre le détail d’une sélection à la carte à partir de cette interface et la possibilité d’affichage des résultats en valeur absolue ou en pourcentage.

Figure 5.Visualisation agrégée des congés de 1787 du programme « Portic » : détail de la distribution des ports d’attache par province

Figure 4

Figure 5.Visualisation agrégée des congés de 1787 du programme « Portic » : détail de la distribution des ports d’attache par province

Note. Le filtre (en bas de la figure) sélectionne ici les congés délivrés dans les ports appartenant aux amirautés des Sables-d’Olonne, de La Rochelle ou de Marennes : la distribution des ports d’attache, agrégés par province, s’affiche alors instantanément (en haut), avec au choix la possibilité d’indiquer le nombre absolu des congés (à gauche de l’image) ou leur pourcentage (à droite).

26 Afin de conduire l’étude de cas de la région PASA, nous avons été amenés à produire des visualisations spécifiques. La Figure 6 extraite de la publication web montre ainsi la distribution des ports d’attache de la région étudiée non pas par nombre de congés, mais par tonnage cumulé, en adoptant un choix visuel plus intuitif accessible à un public non spécialiste [34]. En survolant l’image avec la souris, l’utilisateur obtient des renseignements complémentaires.

Figure 6.Distribution des tonnages expédiés par port d’attache, en 1789 (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Figure 5

Figure 6.Distribution des tonnages expédiés par port d’attache, en 1789 (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Note. La visualisation permet de comparer le total du tonnage des navires partis de la région étudiée en 1789, par port d’attache. La taille de chaque rectangle est proportionnelle au tonnage. La couleur distingue les ensembles d’appartenance. Les ports de la région PASA sont sur fond vert, les autres ports français sur fond jaune, les ports étrangers sont regroupés par couleur en fonction du pays.

27 Si la navigation de la région PASA est assurée largement par des navires français extérieurs à la région, les aires commerciales du cabotage national des ports de la région étudiée dépassent également le cadre purement local. Alors que la Saintonge et l’Aunis expédient des tonnages comparables vers les ports français, la première, qui approvisionne en sel et eaux-de-vie l’ensemble des côtes de la Manche et de l’Atlantique, expédie davantage vers le marché normand qu’en direction de la province voisine, alors que l’Aunis gravite largement autour des ports de la Saintonge (Figure 7).

Figure 7.Visualisation agrégée proposée par « Portic » : écran d’ensemble

Figure 6

Figure 7.Visualisation agrégée proposée par « Portic » : écran d’ensemble

Note. Destinations des congés délivrés dans les ports de l’Aunis en 1787. Une fois placé le filtre sur la province de départ (volet de gauche, en bas), on peut visualiser la distribution par port de départ (à gauche, plus haut) ; celle des pavillons des navires et leur classe de tonnage (au centre), et le pays de destination avec, pour la France et le Royaume-Uni, l’indication supplémentaire de la province (ou comté) ou de la colonie (volet de droite).

28 Une prise en compte de la nature des produits commercialisés peut donner à voir ces différences avec plus de précision. Ainsi, le sel saintongeais fait l’objet d’un commerce privilégié vers les flottes de grande pêche et les gabelles de la Manche orientale. Le marché aunisien est quant à lui dominé par la demande des villes de La Rochelle et Rochefort (20 000 habitants chacune) à laquelle répond l’offre de la Saintonge (eau-de-vie, vin, sel, bois, matériaux de construction).

La Rochelle, de la centralité à une forme d’extraterritorialité

29 Les données de la Ferme générale complètent bien la vision d’un commerce étranger et colonial [35]exclusivement animé par La Rochelle tel que l’on peut l’établir par l’étude des congés. Le bureau des Fermes de La Rochelle (qui comprend en fait l’activité de ce seul port, car celui d’Esnandes ne délivre en 1789 que deux congés, dont on ignore la destination) se caractérise par une activité d’import-export qui concerne largement des produits extérieurs à la région étudiée. En cela, La Rochelle présente un profil semblable à celui des grands ports coloniaux voisins, Nantes et Bordeaux, mais les valeurs en jeu en 1789 y sont nettement plus faibles : 6,8 millions de livres tournois exportés depuis La Rochelle, contre 44,2 depuis Nantes et 131,5 depuis Bordeaux [36].

30 Près de trois quarts des exportations de La Rochelle, en valeur, sont constitués des produits coloniaux réexportés vers une catégorie « indéterminé » d’après la Ferme : les données de la navigation permettent de déduire qu’elle recouvre en réalité l’Europe du Nord (Figure 8) [37].

Figure 8.Importations et exportations de la direction des Fermes de La Rochelle en 1789, par bureau (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Figure 7

Figure 8.Importations et exportations de la direction des Fermes de La Rochelle en 1789, par bureau (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Note. La partie supérieure représente les exportations par bureau de Ferme, celle inférieure les importations. Les couleurs indiquent la nature des produits ; les destinations (pour les exportations) et les pays d’origine (pour les importations) se trouvent sur la droite. La largeur des bandes en couleur est proportionnelle à la valeur.

31 Les autres bureaux des Fermes de la région exportent au contraire essentiellement des produits régionaux : sel (bureaux de Marennes et de Saint-Martin-de-Ré) et, surtout, eaux-de-vie (Tonnay-Charente). Ce dernier produit, d’une valeur unitaire élevée, permet à ce port charentais de s’affirmer en deuxième position par la valeur de ses exportations (les eaux-de-vie représentent 4,7 millions de livres tournois en 1789 sur un total de 5,2 millions exportés à l’étranger par ce bureau des Fermes), alors que sa part, en termes de navigation, est nettement plus modeste [38]. Ces circuits d’exportation de produits locaux échappent désormais au contrôle financier et logistique de La Rochelle. Ainsi, même si celui-ci a l’ascendant sur les autres ports de la région par la diversité des produits qu’il importe et exporte et, surtout, par sa navigation au long cours, les échanges des ports de la région avec l’extérieur paraissent largement autonomes.

32 C’est ce que montre le réseau des voyages de la région PASA pour l’année 1787, qui voit chaque port du littoral entretenir des relations avec de nombreux ports aussi bien dans la même région, qu’avec le reste de la France et de l’Europe, au même titre qu’avec La Rochelle, mais ni plus ni moins. La littérature nous indique qu’avant 1763, l’approvisionnement de la Nouvelle-France sollicitait les productions locales, entreposées au préalable à La Rochelle avant d’être expédiées outre-Atlantique [39]. Avec la perte du Canada et le basculement de l’armement rochelais vers la traite négrière, les négociants armateurs ont appris à se fournir en produits de forte valeur ajoutée (coupons de tissus, armes et outils en fer, verroterie, etc.) destinés à la traite mais qui ne sont pas produits ou retravaillés localement [40]. Après 1763, le marché des grains et des farines descendus de la Sèvre niortaise par gabares intéresse moins La Rochelle qu’au temps où il fallait approvisionner les troupes de la Nouvelle-France. Les salines de la Seudre, des îles de Ré ou d’Oléron, au même titre que le sel produit à Olonne, possèdent leurs propres circuits de distribution au sein desquels La Rochelle n’est qu’un client parmi d’autres (gabelles, grande pêche normande, picarde ou flamande) [41]. Seules les eaux-de-vie descendant du val de Charente continuent d’intéresser le grand commerce rochelais en tant que marchandises de traite.

À la recherche d’un improbable système rochelais

33 Le décrochage de La Rochelle par rapport aux marchés régionaux entraîne une autonomisation des autres ports. Il en va ainsi à Aligre qui voit sortir 13 000 tonneaux de jauge en 1789, exclusivement sur des navires battant pavillon français. Les eaux-de-vie qui descendent de la Charente ne prennent plus systématiquement, elles non plus, la route de La Rochelle, et Tonnay-Charente expédie directement ses fûts vers les marchés français ou étrangers. Le port mobilise 27 500 tonneaux de jauge en 1789, en majorité des navires français. Rochefort développe une activité commerciale dans l’ombre de son port de guerre, qui reçoit de nombreux navires du Nord chargés de munitions navales [42]. Moins de 75 % des 25 400 tonneaux qui sortent de ce port de commerce sont le fait de navires français. Quant aux ports du sel, comme Marennes qui écrase de son poids les petits ports saintongeais (Oléron, Seudre) ou comme les trois ports de l’île de Ré (La Flotte, Saint-Martin et Ars), ils tirent tous leur épingle du jeu en accueillant des navires français mais aussi les flottes du sel venues de l’Europe du Nord-Ouest. Marennes expédie ainsi pour 89 700 tonneaux de jauge, dont 75 % passent sur des navires nationaux vers des destinations nationales (Figure 9) [43].

Figure 9.Destinations des navires chargés de sel partis de Marennes en 1789, par tonnage agrégé (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Figure 8

Figure 9.Destinations des navires chargés de sel partis de Marennes en 1789, par tonnage agrégé (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Note. La partie haute de l’image concerne les destinations en France, la partie inférieure les internationales. Dans l’interface en ligne, l’utilisateur peut interagir avec les toponymes ou les cercles pour faire apparaître une info-bulle qui indique précisément les tonnages concernés.

34 Au final, après la perte du Canada (1763), le tableau qui se dessine est bien celui d’une juxtaposition de systèmes, chacun fondé sur le commerce d’un produit ou d’une famille de produits, issus de son pays proche. Dans ce contexte, La Rochelle fait exception à la règle, dans la mesure où ses armateurs se spécialisent dans un commerce négrier et colonial faiblement connecté aux ports de la région et à l’arrière-pays. On peut le vérifier en analysant la structure des entrées et des sorties de ce port en provenance ou à destination de la région PASA. Ainsi, en 1787, les navires qui sortent des ports de la région PASA pour gagner La Rochelle sont au nombre de 884 et présentent un tonnage cumulé de 23 106 tonneaux. Sur les quais de La Rochelle, ces navires composent une flotte exclusivement attachée dans la région et dominée par des barques (jauge moyenne 26,1 tonneaux) qui livrent surtout du combustible – 2 977 tonneaux mobilisés pour le transport du bois à brûler et 544 tonneaux pour le charbon – et de la chaux (2 140 tonneaux), loin devant l’eau-de-vie (1 226 tonneaux) et le sel (994 tonneaux). Par ailleurs, les entrées à vide ou sur lest représentent 1 500 tonneaux de jauge. Le commerce colonial de La Rochelle n’a donc que peu ou pas du tout besoin de produits régionaux (à l’exception des eaux-de-vie) et l’essentiel du trafic paraît destiné à répondre aux besoins de la consommation urbaine ou industrielle (construction, chauffage, distillerie, faïencerie, raffineries de sucre). Ces chiffres sont à rapprocher des 5 949 navires sortant des ports du littoral PASA (hors La Rochelle) au cours de l’année 1787, pour un total de 257 521 tonneaux. En clair, seules 14,8 % des sorties des ports du littoral de PASA en 1787 sont à destination de La Rochelle, et cela ne représente que 8,9 % du tonnage total.

35 Dans le sens inverse, 1 226 navires sortent de La Rochelle en 1787 pour une jauge totale de 64 386 tonneaux : 898 unités cinglent vers un port de la région PASA (73,2 %) pour un total de 30 065 tonneaux (46,7 %). Faute de disposer de la nature des cargaisons (les congés rochelais ne les précisent pas) on peut formuler des hypothèses grâce aux variables renseignées dans les congés : ports d’attache et destination. Un premier circuit rassemble les navires étrangers et français attachés hors du littoral PASA, qui viennent décharger leur cargaison à La Rochelle et qui ressortent vers des ports du littoral PASA. Les navires étrangers (21) jaugent ensemble 2 393 tonneaux, soit 7,9 % des sorties rochelaises vers la région PASA. Ils appartiennent à la flotte des gros caboteurs de l’Europe du Nord-Ouest (jauge moyenne 113,9 tonneaux). En 1789 le bureau des Fermes de La Rochelle annonce 957 394 livres tournois d’importation en provenance de ces pays-là : il s’agit en partie des produits destinés à la traite négrière. En 1787, sur ce même circuit les navires français attachés hors du littoral PASA sont au nombre de 143 et jaugent ensemble 7 573 tonneaux (25,2 % du tonnage sortant de La Rochelle vers le littoral PASA). Avec une jauge moyenne de 52,9 tonneaux, ce sont des bricks, des brigantins ou des goélettes, de forts caboteurs en majorité bretons (76) mais aussi aquitains (37) et normands (27). Un tiers (32,1 %) de la jauge ressortant de La Rochelle à destination d’un port de la région PASA provient donc de l’étranger ou bien d’un port situé hors de cette région. Dans la mesure où il est interdit aux navires étrangers d’effectuer du commerce entre deux ports français, ces caboteurs européens vont chercher dans la région PASA une cargaison de retour qu’ils n’ont pas pu trouver à La Rochelle.

36 La flottille de caboteurs d’entre Loire et Gironde (PASA) constitue par conséquent 66,9 % du tonnage sortant de La Rochelle en 1787 à destination d’un port de cette même région (734 sorties, jauge moyenne 27,4 tonneaux). On peut analyser cette activité sous l’angle des ports d’attache rassemblés par province. Les barques saintongeaises sont les plus nombreuses (469 sorties) pour un total de 10 532 tonneaux, soit 35 % du trafic intra-régional à la sortie de La Rochelle. Elles s’en retournent en Saintonge (350) ou vont en Aunis (119). Les barques aunisiennes (233 sorties) viennent ensuite, pour un total de 5 975 tonneaux (19,9 %). Lorsqu’elles sortent de La Rochelle, elles se rendent dans les ports aunisiens (122), saintongeais (70) ou du Poitou (41). Nombre de ces barques d’Aunis et Saintonge qui repartent de La Rochelle s’inscrivent dans des circuits intra-régionaux qui incluent un ou plusieurs retours vers La Rochelle. L’analyse de graphe menée durant la semaine de travail de groupe intensif qui a abouti à l’étude sur la région PASA met en évidence des phénomènes de multi-polarisation de l’espace portuaire étudié, à l’aide notamment d’indices de centralité et connectivité calculés sur cet espace portuaire. Le port de La Rochelle est nettement moins central en comparaison du port de Bordeaux ou de Nantes dans leurs propres aires d’influence ou amirauté d’appartenance (Figure 10) [44].

Figure 10.Comparaison de la centralité de la navigation de La Rochelle avec celle d’autres grands ports français en 1787 (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Figure 9

Figure 10.Comparaison de la centralité de la navigation de La Rochelle avec celle d’autres grands ports français en 1787 (visualisation proposée par l’étude de cas en ligne de la région PASA)

Note. Les nœuds des graphes représentent un port, et les liens un ou plusieurs voyages réalisés entre deux ports en 1787. La taille des nœuds correspond au nombre de ports avec lesquels ils ont été mis en relation par des voyages en 1787. La couleur distingue les ports situés dans l’amirauté (vert) ou non (orange). On constate ainsi que dans la région PASA, il y a de nombreux ports importants reliés entre eux et à l’extérieur, alors que Bordeaux et Nantes dominent beaucoup plus nettement leurs amirautés et assurent une plus grande partie des liaisons extérieures. La faible importance du port de La Rochelle est confirmée pour le graphique en bas, qui indique la centralité de chaque port dans son amirauté.

37 L’attribution d’identifiants aux navires et aux capitaines dans la base de données Navigocorpus ouvre la voie à des approfondissements possibles des logiques de navigation à l’œuvre, via la reconstitution de leurs trajectoires dans la base Portic. « Portic » offre en effet une visualisation interactive permettant d’apprécier le degré d’incertitude des trajets déclarés par les sources (Figures 11, 12 et 13). Ainsi, le trajet entre La Rochelle et Rochefort déclaré lors de la délivrance du congé à La Rochelle sera, ou pas, confirmé par le congé suivant délivré au même navire, par exemple à Rochefort pour Nantes. Si le congé suivant est délivré à Marennes, le trajet de La Rochelle à Rochefort sera en revanche qualifié comme contredit par nos sources. La qualification de l’incertitude a nécessité un travail de conceptualisation majeur, puis la réalisation d’algorithmes complexes, dans la mesure où les variables présentes dans Navigocorpus ont nécessité une manipulation délicate pour aboutir à des résultats convenables. Ce travail, présenté à la communauté scientifique en 2022 [45], est publié dans ce même numéro d’Histoire & Mesure sous le titre « Curation en interdisciplinarité d’une base de données historique : de Navigocorpus à Portic, ou de la qualification de l’incertitude ».

38 À titre d’exemple, l’Angélique de L’Houmeau en Aunis, une barque de 38 tonneaux, sort 10 fois de La Rochelle en 1787 pour se rendre à Tonnay-Charente et effectue le voyage inverse, en mode pendulaire (Figure 11). La réalisation du trajet annoncé lors de la délivrance de chaque congé est confirmée par le lieu où le congé suivant a été délivré (sauf pour la dernière sortie de l’année, faute des données postérieures). La visualisation marque cette confirmation par la couleur verte.

Figure 11.Visualisation des trajectoires des navires et des capitaines par le programme « Portic » : zoom sur les premiers mois de 1787 de l’Angélique, capitaine Pierre Guilbaud

Figure 10

Figure 11.Visualisation des trajectoires des navires et des capitaines par le programme « Portic » : zoom sur les premiers mois de 1787 de l’Angélique, capitaine Pierre Guilbaud

Note. L’utilisateur peut interagir avec les visualisations, ici par exemple en zoomant sur les premiers mois de l’année. Chaque visualisation est pourvue d’un lien permettant de la citer et de revenir à l’exploration interactive du trajet en question (en l’occurrence, URL : http://shiproutes.portic.fr/index.html?by_captain=true&captain_id_1=00006466&ship_ id_1=0006507N&filter_red_steps=true&filter_orange_steps=false).

39 Les sorties de navires attachés aux ports du Poitou possèdent des caractéristiques spécifiques. Plus réduite (32 sorties de La Rochelle vers la région PASA en 1787), cette navigation est également associée à un tonnage moyen supérieur : 42,8 tonneaux. En réalité, on est en présence non pas d’une, mais de deux flottes distinctes (Figure 12). Les barques (21 sorties de moins de 25 tonneaux de jauge par navire) se démarquent des unités plus grosses (dont 5 au-delà de 101 tonneaux), allant jusqu’à 135 tonneaux pour le Saint Hilaire. Il s’agit dans ce cas d’un des morutiers sablais s’appuyant sur le port rochelais.

Figure 12.Visualisation agrégée proposée par « Portic » : combinaison de filtres multiples sur les départs et les destinations

Figure 11

Figure 12.Visualisation agrégée proposée par « Portic » : combinaison de filtres multiples sur les départs et les destinations

Note. Distribution des tonnages des navires ayant leur port d’attache dans la province du Poitou et partis du port de La Rochelle en direction d’un port appartenant aux trois amirautés de la région PASA en 1787. En combinant les filtres à volonté, l’utilisateur peut explorer les données très finement : ici, au vu de la distribution des tonnages des navires, il met en évidence l’existence des deux typologies des trafics évoqués dans cet article.

40 Sorti de La Rochelle pour Les Sables-d’Olonne par congé du 9 janvier 1787, son capitaine Pierre Raffin (ou Raphin) prend un nouveau congé au départ des Sables pour la grande pêche à Terre-Neuve, le 28 février suivant. La suite chronologique des informations dans Navigocorpus relatives à ce navire permet donc de confirmer le premier trajet (le voyage déclaré de La Rochelle aux Sables-d’Olonne a effectivement eu lieu, puisque nous retrouvons le navire à sa sortie des Sables-d’Olonne) mais nous ne disposons pas de sources sur la présence des navires sur les bancs de Terre-Neuve, ce qui nous amène à qualifier le trajet entre Sables-d’Olonne et les bancs comme « déclaré », et à supposer un trajet retour (bancs de Terre-Neuve vers Bordeaux), en pointillé dans la Figure 13, qui doit avoir eu lieu au cas où le trajet déclaré précédent serait avéré, puisque nous retrouvons le navire à la sortie de Bordeaux en août, lorsque son capitaine prend un nouveau congé pour Les Sables-d’Olonne. Nous qualifions ce dernier trajet également de « déclaré », puisque nous ne retrouvons plus aucun congé pour ce navire dans l’année 1787 qui viendrait confirmer ou réfuter le contenu de cette déclaration.

Figure 13.Visualisation des trajectoires qualifiées des navires et des capitaines par le programme « Portic » : l’exemple du Saint Hilaire

Figure 12

Figure 13.Visualisation des trajectoires qualifiées des navires et des capitaines par le programme « Portic » : l’exemple du Saint Hilaire

Note. L’itinéraire du Saint Hilaire en 1787, capitaine Pierre Raphin (ou Raffin), montre les trajets confirmés, ceux déclarés et ceux supposés obtenus grâce à l’algorithme élaboré par « Portic » (URL : http://shiproutes.portic.fr/ index.html?by_captain=false&captain_id_1=00004109&ship_id_1=0004167N&filter_ red_steps=true&filter_orange_steps=false).

41 La visite du Saint Hilaire à La Rochelle fait-elle suite au déchargement d’une cargaison de morues pêchées en 1786 ? Correspond-elle à la préparation de la campagne 1787 ? Sans doute un peu des deux. Finalement, s’ils sont au service de La Rochelle à la fin du xviiie siècle, les ports petits et moyens de la région d’entre Loire et Gironde opèrent essentiellement sur le marché de la ville (denrées, matériaux de construction, combustibles) et très peu en lien avec le port, qui ne structure pas à proprement parler de système portuaire autour de lui.

Conclusion

42 La recherche interdisciplinaire se montre capable de débloquer plusieurs verrous lorsqu’elle fait collaborer des historiens avec des spécialistes de la gestion des données et de la visualisation analytique de ces données. L’étude des logiques de navigation à la fin du xviiie siècle dans les trois provinces de Poitou, Aunis et Saintonge en offre un exemple abouti. Le succès de l’opération tient d’abord au choix du fonds documentaire à étudier. Après croisement avec d’autres données (rôles d’armement de bord désarmés) afin d’en évaluer la robustesse, la collection des congés d’amirauté 1787 et 1789 se révèle riche de perspectives. Présentant un aspect relativement homogène, avec un minimum de lacunes, cette collection a permis une conversion réussie de l’information historique en une série continue, au prix d’un travail important de paléographie, de saisie et de curation de la donnée d’une part, d’enrichissement en métadonnées et de qualification de l’incertitude d’autre part.

43 Les données sur la navigation française insérées dans la base de données Navigocorpus peuvent désormais être croisées avec les données de la balance du commerce français de 1789 contenues dans la base de données Toflit18, ceci grâce à la mise en correspondance des variables propres à ces deux bases. L’analyse croisée de ces bases de données a permis de mener l’étude de l’activité portuaire d’un littoral entier, celui d’entre Loire et Gironde, sans se limiter à leur seul commerce extérieur. D’autres historiens peuvent explorer les données en ligne et mener des études similaires sur d’autres parties du littoral, alors qu’un public plus large peut s’approprier les résultats de cette étude de cas, et des deux autres qui ont suivi. Trois provinces d’Ancien Régime (Poitou, Aunis, Saintonge) auxquelles se juxtaposent les ressorts de trois sièges particuliers d’Amirauté (Les Sables-d’Olonne, La Rochelle, Marennes) abritent alors un très dense maillage rassemblant toutes sortes d’activités portuaires : commerce colonial, commerce national, grande et petite pêche, cabotage local, approvisionnement d’un arsenal royal. La question de la polarisation de cette guirlande portuaire par le port de La Rochelle, souvent présentée comme une évidence dans l’historiographie, peut alors être explorée en posant un ensemble de questions historiques liées à des aspects complémentaires, tels que la géographie des transporteurs, celle des liens entre ports ou encore celle des produits transportés. Nous avons dessiné l’image d’un littoral qui, à la veille de la Révolution, abrite l’un des ports du commerce colonial du royaume, La Rochelle, mais celui-ci n’organise pas le système portuaire autour de lui.

44 Au-delà de l’étude historique de cas qui a produit des résultats spécifiques dont nous avons présenté ici quelques éléments, en insistant notamment sur l’apport des visualisations de données issues des deux bases de données mobilisées, nous avons également apporté dans cet article quelques exemples d’outils et méthodes permettant plus généralement d’interroger l’ensemble des congés au moyen de visualisations exploratoires, que ce soit au niveau des données agrégées, en plaçant les filtres souhaités, ou du détail des trajectoires d’un navire ou d’un capitaine en particulier.

45 Le programme de recherche « Portic » qui a permis de produire ces outils s’achève à l’heure où nous écrivons ces lignes. Des améliorations des outils de visualisation sont en cours, d’autres à l’étude. De même, l’automatisation de certains contrôles et la recherche d’incohérences par la finalisation de plusieurs algorithmes déjà élaborés devront permettre de réduire la marge d’erreur dans les métadonnées. Comme souvent, l’ambition du programme se heurte à la matérialité et aux temporalités dans lesquelles il s’inscrit. Ces quelques pages peuvent toutefois illustrer la mesure de l’apport de la curation des données, de l’élaboration de métadonnées, de la création d’interfaces de requête et d’outils de visualisation efficaces mis au service d’un questionnement historien. La principale clé de la réussite, au-delà de l’engagement personnel de chaque membre de l’équipe, nous semble résider dans un travail interdisciplinaire qui se décline au quotidien, dans une collaboration constante, coude à coude devant l’écran ou un morceau de papier, en prenant tout le temps nécessaire – et il en faut – pour se comprendre par-delà les disciplines respectives, leur langage spécifique, et les priorités qui leur sont propres.


Annexes

Figure A1. Extrait du registre des congés de Bordeaux, 1787, relatif au Bien Aimé, capitaine Jean Pontac

Figure 13

Figure A1. Extrait du registre des congés de Bordeaux, 1787, relatif au Bien Aimé, capitaine Jean Pontac

Source. ANF, G5 50.

Figure A2. Extrait des exportations du bureau de Marennes (direction de la Ferme de La Rochelle), 1789

Figure 14

Figure A2. Extrait des exportations du bureau de Marennes (direction de la Ferme de La Rochelle), 1789

Source. ANF, F12 1666.

Tableau A1. Liste des ports pourvus d’un greffier de l’Amirauté dans les provinces du Poitou, de l’Aunis et de la Saintonge et état de conservation des registres des congés

Nom du port indiqué dans la série G5Amirauté
d’appartenance
Nombre de congés en 1787Nombre de congés en 1789
Ars-en-RéLa Rochelle381308
EsnandesLa Rochelle12
La Flotte-en-RéLa Rochelle195204
La RochelleLa Rochelle1 2211 060
MaransLa Rochelle560630
RochefortLa Rochelle441360
Saint-Martin-de-RéLa Rochelle461479
SoubiseLa Rochelle3727
La PerrotineMarennes7676
Le Château-d’OléronMarennes9260
MarennesMarennes1 1731 481
MeschersMarennes1MANQUE
MortagneMarennes1317
RibérouMarennes480434
RoyanMarennes2017
Saint-Denis d’OléronMarennes7968
Tonnay-CharenteMarennes741601
Beauvoir-sur-MerSables-d’Olonne122124
Champagné-les-MaraisSables-d’Olonne39
île de BouinSables-d’Olonne184106
La Tranche-sur-MerSables-d’Olonne3924
Les Sables-d’OlonneSables-d’Olonne280247
MoricqSables-d’Olonne9890
NoirmoutierSables-d’Olonne269287
Saint-Gilles-sur-VieSables-d’Olonne145126
Saint-Michel-en-l’HermSables-d’Olonne4467
TalmontSables-d’Olonne21MANQUE

Tableau A1. Liste des ports pourvus d’un greffier de l’Amirauté dans les provinces du Poitou, de l’Aunis et de la Saintonge et état de conservation des registres des congés

  • Sources archivistiques

    • Archives départementales du Morbihan

      • 10B 19, registres des congés de Lorient, 1787.
    • Archives départementales du Var

      • 7B 10, registre des congés de Saint-Tropez, 1787.
    • Archives nationales de France

      • Sous-série F12, Commerce et Industrie : F12 1666, Importations, exportations, mouvement des ports, 1789.
      • Sous-série G1, Ferme générale : G1 63, État des directions et bureaux de la ferme générale (1789), fo 21, Direction de La Rochelle.
      • Sous-série G5, Amirauté de France :
        G5 39B, registre des congés d’Aligre, 1787 ;
        G5 50, registre des congés de Bordeaux, 1787.
      • Fonds Marine : Marine C4 174-176, Papiers Chardon. Procès-verbaux d’inspection des ports et amirautés de France.
    • Service historique de la défense de Rochefort

      • 9P 4-3, Archives du bureau des Classes de Saintes. Rôles d’armement de bord désarmés (1787-1789).
      • 12P 3-12, Archives du bureau des Classes de La Teste. Rôles d’armement de bord désarmés (1787-1789).
  • Travaux

    • Acerra, Martine, Rochefort et la construction navale française (1661-1815), Paris, Librairie de l’Inde, 1993.
    • Bosher, John Francis, The Canada Merchants, 1713-1763, Oxford, Clarendon Press, 1987.
    • Butel, Paul, Les négociants bordelais, l’Europe et les îles au xviiie siècle, Paris, Aubier, 1974.
    • Clark, John Garretson, La Rochelle and the Atlantic Economy during the Eighteenth Century, Baltimore, John Hopkins University Press, 1981.
    • Cullen, Louis M., The Brandy Trade under the Ancien Régime. Regional Specialisation in the Charente, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
    • Dedieu, Jean-Pierre & Marzagalli, Silvia, « Dealing with Commodities in Navigocorpus: Offering Tools and Flexibility », Revue de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), no 140, 2015, p. 53-66.
      URL : https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/3-140.pdf
    • Dedieu, Jean-Pierre, Marzagalli, Silvia, Pourchasse, Pierrick & Scheltjens, Werner, « Navigocorpus: A Database for Shipping Information – A Methodological and Technical Introduction », International Journal of Maritime History, vol. 23, no 2, 2011, p. 241-262.
    • Dedieu, Jean-Pierre, Marzagalli, Silvia, Pourchasse, Pierrick & Scheltjens, Werner, « Navigocorpus at Work. A Brief Overview of the Potential of a Database », International Journal of Maritime History, vol. 24, no 1, 2012, p. 331-359.
    • Guillemet, Dominique, Les îles de l’Ouest, de Bréhat à Oléron : du Moyen Age à la Révolution, La Crèche, Geste éditions, 2000.
    • Huetz de Lemps, Christian, Géographie du commerce de Bordeaux à la fin du règne de Louis XIV, Paris et La Haye, Mouton, 1975.
    • Marzagalli, Silvia, Atlas de la navigation en France à la veille de la Révolution. Une effervescence portuaire, cartographie par Patrick Pentsch, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023.
    • Marzagalli, Silvia & Pfister-Langanay, Christian, « Les pratiques administratives des amirautés du xviiie siècle, entre spécificité locale et uniformisation : l’exemple de la gestion des congés », Revue d’histoire maritime, no 19, 2014, p. 259-280.
    • Michon, Bernard, Le port de Nantes au xviiie siècle : construction d’une aire portuaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
    • Plouviez, David, La Marine française et ses réseaux économiques au xviiie siècle, Paris, Les Indes Savantes, 2014.
    • Plumejeaud-Perreau, Christine & Marzagalli, Silvia, « Dealing with Uncertainty with Navigocorpus Database: False, Unlike, Dubious, and Contradictory Declarations of Destinations in 18th-Century Documents Related to Ships », communication au 11e atelier du réseau Heloise (European Network on Digital Academic History), Paris, 2022a.
    • Plumejeaud-Perreau, Christine & Marzagalli, Silvia, « Qualifying and Representing Confirmed, Possible, Invalidated, Controversial, Inferred Eighteenth-Century Ships’ Itineraries: Dealing with Uncertainty with Navigocorpus Database », communication au congrèsInforsid (Informatique des organisations et systèmes d’information et de décision). Atelier 2 : SI pour les Humanités numériques, Dijon, 2022b.
    • Plumejeaud-Perreau, Christine & Marzagalli, Silvia, « Mapping the Uncertainty of Past Maritime Routes », Abstracts of the International Cartographic Association (en ligne), vol. 5 : « European Cartographic Conference – EuroCarto 2022 », art. 38, 2022c.
      DOI : https://doi.org/10.5194/ica-abs-5-38-2022
    • Plumejeaud-Perreau, Christine, Marzagalli, Silvia, Sofia, Pierre Niccolò & de Mourat, Robin, « Curation en interdisciplinarité d’une base de données historique : de Navigocorpus à Portic, ou de la qualification de l’incertitude, Histoire & Mesure, vol. 38, no 2, 2023, p. 39-72.
    • Plumejeaud-Perreau, Christine, Mimouni, Mélissa, Bouju, Alain, Pfister-Langanay, Christian, Sauzeau, Thierry & Marzagalli, Silvia, « Un gazetier des places portuaires françaises du xviiie siècle », Humanités numériques (en ligne), no 3, 2021.
      DOI : https://doi.org/10.4000/revuehn.1164
    • Retureau, Hervé, Gens de mer sablais, un peuple en mutation (xviiie-xixe siècles), La Crèche, La Geste (Presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine), 2021.
    • Robert, Henri, Les trafics coloniaux du port de La Rochelle au xviiie siècle, Poitiers, Imprimerie P. Oudin (Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest), 1960.
    • Sauzeau, Thierry, Les marins de la Seudre. Du sel charentais au sucre antillais, xviiie-xixe siècles, La Crèche, Geste éditions (Pays d’histoire), 2005.
    • Sauzeau, Thierry, « L’archipel saintongeais. Le maillage portuaire de la mer des Pertuis charentais (1680-1860) », mémoire inédit d’habilitation à diriger des recherches, université de Poitiers, 2012.
    • Tarrade, Jean, Le commerce colonial de la France à la fin de l’Ancien Régime : l’évolution du régime de l’exclusif de 1763 à 1789, 2 t., Paris, Presses universitaires de France, 1972.

Mots-clés éditeurs : visualisation de données, Portic, humanités numériques, Ferme générale, commerce

Date de mise en ligne : 05/04/2024

https://doi.org/10.4000/histoiremesure.19893

Notes

  • [1]
    Sur le programme « Navigocorpus » (ANR-07-CORP-028, 2008-2011), coordonné par Silvia Marzagalli, voir http://navigocorpus.huma-num.fr. La base de données a été conçue par Jean-Pierre Dedieu (CNRS) avec l’appui de Werner Scheltjens, alors post-doctorant du programme. Voir J.-P. Dedieuet al., 2011 ; id., 2012.
  • [2]
    Sur le programme « Toflit18 » (ANR-13-BSH1-0005, 2013-2017), coordonné par Guillaume Daudin et Loïc Charles, voir http://toflit18.medialab.sciences-po.fr/.
  • [3]
    Sur le programme « Portic » (ANR- 18-CE38-0010, 2019-2023), coordonné par Silvia Marzagalli, voir https://anr.portic.fr/.
  • [4]
    J. G. Clark, 1981 ; H. Robert, 1960.
  • [5]
    L’étude de cas présentée ici est disponible à l’adresse https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/. Elle a été réalisée par Cécile Asselin, Alain Bouju, Loïc Charles, Guillaume Daudin, Robin de Mourat, Géraldine Geoffroy, Paul Girard, Pauline Gourlet, Silvia Marzagalli, Béatrice Mazoyer, Benjamin Ooghe-Tabanou, Guillaume Plique, Christine Plumejeaud-Perraud, Pierrick Pourchasse, Thierry Sauzeau, Héloïse Théro, Maxime Zoffoli. « Portic » a également produit un fond de carte vectoriel avec les frontières des provinces, les limites des amirautés, et les frontières politiques de l’Europe en 1789 (URL : http://maps.portic.fr/).
  • [6]
    La principale exemption concernait les embarcations faisant un voyage aller-retour à l’intérieur du ressort d’un même siège particulier d’Amirauté : le maître de barque n’était alors tenu qu’au paiement du congé à l’aller. Le contrôle des navires partant de ports fluviaux était également au nombre des exceptions, l’Amirauté cédant alors l’autorité à l’administration des Eaux et Forêts. En Normandie, en Bretagne comme dans le Roussillon et probablement ailleurs, il existait des congés valables plusieurs mois. Enfin, les embarcations s’adonnant à la petite pêche quotidienne obtenaient un congé annuel.
  • [7]
    Les comptes rendus et presque tous les registres de congés mobilisés sont conservés aux Archives nationales de France (désormais ANF), sous-série G5. Nous avons été amenés à en refaire un inventaire plus précis que celui disponible aux archives (URL : https://navigocorpus.hypotheses.org/files/2012/04/inventaire-ANF-sous-s%C3%A9rie-G5-r%C3%A9alis%C3%A9-par-Christian-Pfister.pdf). Nous avons également inséré dans Navigocorpus les congés de Saint-Tropez que nous a fournis Gilbert Buti (Archives départementales du Var, 7B 10), et ceux de Lorient (Archives départementales du Morbihan, 10B 19). Pour une description des « familles » des registres, voir S. Marzagalli & C. Pfister-Langanay, 2014. Les lacunes de cette série peuvent être désormais visualisées grâce à l’interface créée dans le cadre du programme ANR « Portic » (URL : http://vizsources.portic.fr/). Les principales lacunes concernent la Provence, le Languedoc et quatre sièges particuliers d’Amirauté sur huit en Bretagne.
  • [8]
    Dans la région PASA, ce sont les îles de Bouin et Noirmoutier. Elles sont entrées tardivement dans le domaine royal après être restées longtemps dans le patrimoine de grandes familles princières : les Condé pour Noirmoutier, les Nivernois pour Bouin. Ce sont aussi des terres frontières entre Bretagne et Poitou, provinces dont les régimes fiscaux et les privilèges diffèrent et qui se livrent à une guerre commerciale. Plaques tournantes de la contrebande du tabac, ces îles ont continué de bénéficier de privilèges fiscaux. D. Guillemet, 2000, p. 292.
  • [9]
    À la fin de l’Ancien Régime, Aligre est le nom de la ville de Marans, rebaptisée par le sieur d’Aligre son seigneur en sa qualité de duc et pair de France.
  • [10]
    Une carte des sept bureaux avec leur territoire d’influence supposé a été réalisée dans le cadre de l’étude de cas (URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/intro-bureaux).
  • [11]
    La base de données Navigocorpus intègre également 120 enregistrements du droit de délestage perçu en 1787 à La Tremblade (amirauté de Marennes), port pour lequel nous n’avons pas le registre des congés. Ce document ne précise ni la provenance, ni la destination des navires mentionnés. L’une des cartes réalisées dans le cadre de l’étude de cas permet de visualiser les ports étudiés avec l’indication du nombre des congés délivrés (URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/intro-ports).
  • [12]
    Cette première visualisation est accessible à l’adresse http://vizsources.portic.fr/. Une fois placés les filtres, l’utilisateur peut exporter l’image et/ou son URL. Ainsi pour la Figure 1, l’URL suivante permet de renvoyer à la sélection et au cadrage choisi : http://vizsources.portic.fr/index.html?source=g5&year=1787&variable=products&print=false&center=[46.29714292737493,0.8569335937500001]& zoom=7&world=shorelines.
  • [13]
    Voir, pour ce qui est de la représentation de l’incertitude des trajectoires, la communication de C. Plumejeaud-Perreau & S. Marzagalli, 2022b.
  • [14]
    Les navires qui sortent de Saintes ne sont pas assujettis à prendre un congé : Saintes est situé sur le fleuve Charente en amont de Tonnay-Charente et le siège particulier de l’Amirauté de Marennes ne délivre pas de congés en amont de ce port.
  • [15]
    Service historique de la défense de Rochefort, Archives du bureau des Classes de Saintes, 9P 4-3 Rôles d’armement de bord désarmés (1787-1789).
  • [16]
    Service historique de la défense de Rochefort, Archives du bureau des Classes de La Teste, 12P 3-12 Rôles d’armement de bord désarmés (1787-1789).
  • [17]
    La Teste est un port oblique du siège particulier d’Amirauté de Bordeaux. Son registre des congés est perdu, mais parfois, comme c’est le cas ici, les congés délivrés à La Teste sont mentionnés directement sur le registre de Bordeaux (ANF, G5 50), présenté en annexe (Figure A1).
  • [18]
    Des tests réalisés sur des échantillons aléatoires, comparant les informations présentes sur les rôles et sur les congés, révèlent une cohérence des trajets enregistrés par les deux administrations, comme dans les exemples présentés ici.
  • [19]
    C’est dans le cadre de l’initiation à la recherche en histoire moderne, proposée en licence 3 Histoire à l’université de Poitiers, que les promotions 2009, 2010 et 2011 ont saisi plus de 7 000 congés de 1787, délivrés dans les ports situés entre Loire et Gironde.
  • [20]
    Plusieurs autres éléments aident à préciser le niveau de certitude de l’information enregistrée. Nous en détaillerons leurs usages dans une publication à paraître qui fait suite à nos communications sur le sujet (C. Plumejeaud-Perreau & S. Marzagalli, 2022a ; id., 2022b), ainsi que dans le deuxième article de ce dossier (C. Plumejeaud-Perreauet al., 2023).
  • [21]
    Dans ce cas précis, et dans le cas où aucune indication dans la base ne permet de trancher, nous avons créé un point « Saint-Valery », indéterminé, avec des coordonnées géographiques placées entre les deux. Les choix effectués sont explicités sur notre site (URL : https://anr.portic.fr/incertitude/#Lidentification_des_lieux).
  • [22]
    Pour le travail complémentaire effectué à partir de cette base dans le cadre de « Portic », voir C. Plumejeaud-Perreauet al., 2023, dans ce même numéro.
  • [23]
    C. Plumejeaud-Perreauet al., 2021.
  • [24]
    Communication par Sylviane Llinarès, dans la cadre du programme « Dynamiques portuaires et Maritimes » (Dypomar), ANF, Marine C4 174-176, Papiers Chardon. Le volume 175 comprend les procès-verbaux d’inspection des ports et amirautés de Bretagne, Poitou, Aunis, Saintonge, Guyenne.
  • [25]
    ANF, G1 63, État des directions et bureaux de la ferme générale (1789), Direction de La Rochelle, fo 21.
  • [26]
    Respectivement https://www.slavevoyages.org/et http://www.soundtoll.nl/. Les données du Sund ne précisent pas le nom du navire, et le seul nom du capitaine ne peut suffire à son identification.
  • [27]
    Les algorithmes de contrôle et de vérification seront détaillés dans une publication à paraître qui fait suite à nos communications (C. Plumejeaud-Perreau & S. Marzagalli, 2022a et 2022b).
  • [28]
    Sur le traitement des produits dans la base Navigocorpus, voir J. P. Dedieu & S. Marzagalli, 2015.
  • [29]
    Le travail d’attribution des identifiants a été largement mené par Pierre Niccolò Sofia.
  • [30]
    Voir à ce propos J. F. Bosher, 1987.
  • [31]
    Le déclin relatif est encore plus marqué : voir le pourcentage des exportations de la direction des Fermes de La Rochelle par rapport au total français dans le graphique réalisé pour l’étude de cas dont il est question (URL : https ://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/partie-1-evolution-de-la-part-des-echanges-de-la-rochelle-au-xviiie).
  • [32]
    P. Butel, 1974 ; X. Huetz de Lemps, 1975 ; B. Michon, 2011.
  • [33]
    Cette visualisation, réalisée en utilisant Keshif, est accessible via le site http://explore1.portic.fr/.
  • [34]
  • [35]
    La liste des ports privilégiés autorisés à commercer avec les colonies s’est allongée au cours du xviiie siècle, pour inclure entre autres Les Sables-d’Olonne et Rochefort, mais les trafics sont dominés, encore à la veille de la Révolution, par quatre ports (Bordeaux, Nantes, Marseille et Le Havre/Rouen) qui assurent l’essentiel du commerce avec les Antilles : J. Tarrade, 1972, vol. 1, p. 90.
  • [36]
    Toutes les valeurs indiquées ici proviennent des états de la Ferme, issues des sources locales et nationales, collectés dans le cadre du programme « Toflit18 ». Pour le détail, voir la page « Sources » du projet (URL : http://toflit18.medialab.sciences-po.fr/#/exploration/sources).
  • [37]
    URL :https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/viz-principale-partie-2/. En survolant la visualisation on obtient des précisions et en sélectionnant un bureau, on met en évidence les données qui s’y réfèrent.
  • [38]
    Sur le commerce des eaux-de-vie, voir L. M. Cullen, 1998.
  • [39]
    H. Robert, 1960.
  • [40]
    J. G. Clark, 1981.
  • [41]
    Sur les gens de mer et l’articulation portuaire d’une partie du littoral étudié, voir H. Retureau, 2021 et T. Sauzeau, 2005 ; id., 2012.
  • [42]
    Sur Rochefort, voir M. Acerra, 1993, et plus largement D. Plouviez, 2014.
  • [43]
    URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/sorties-de-marennes-avec-sel-destinations. Pour contextualiser l’importance de cette région dans le commerce du sel français, ainsi que d’autres aspects relatifs à la navigation évoqués dans cet article, on peut se rapporter à S. Marzagalli, 2023.
  • [44]
    L’explication de ces images est donnée, à côté de la visualisation, sous le titre « La Rochelle, port dominant mais pas structurant » (URL : https://medialab.github.io/portic-storymaps-2021/fr/atlas/viz-principale-partie-3).
  • [45]
    C. Plumejeaud-Perreau& S. Marzagalli, 2022a ; id., 2022b ; id., 2022c.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions