Notes
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[1]
Promulgation de la première Constitution tunisienne en 1861, création d’un ensemble d’institutions consultatives, constitution des tribunaux de diverses instances.
-
[2]
La Tunisie était alors une province ottomane semi-autonome, dirigée par un gouverneur investi du titre de « bey ». À l’origine, celui-ci représentait l’empire ottoman à Tunis. Depuis le début du xviiie siècle, ce régime beylical s’est transformé en monarchie dont le bey est le souverain. Princes héréditaires, les descendants de Hussein Ben Ali (1705-1735), père fondateur de la dynastie husseinite, accaparent le pouvoir jusqu’à l’abolition du régime monarchique après l’indépendance. Les husseinites accédaient au trône par ordre de primogéniture masculine. Le prince régnant est appelé « bey du trône » ou « bey al korsi ». Son héritier présomptif est investi à son tour du titre de « bey du camp » ou « bey al amhal » ou encore « bey al mhalla ».
-
[3]
J. Poncet, 1954, p. 324.
-
[4]
Ce prince est Al Adel bey, huitième fils de Hussein bey et demi-frère du bey régnant, Mohamed Sadok. Il est né en 1830. Quand son père meurt, il est encore enfant. Sa mère, dont on ignore l’identité, est vivante lorsqu’il déclare l’insoumission au pouvoir de son frère, Sadok, bien qu’il ait été élevé sous son giron. L. Blili Temime, 2004, p. 159.
-
[5]
Mohamed Sadok bey est né en 1814. Il est nommé bey du camp en 1855 et accède au trône après la mort de son frère ainé Mohamed bey, en 1859 et s’y tiendra jusqu’à sa disparition en 1882. J. Hammami, 2015, p. 315.
-
[6]
A. Temimi, 1970 ; L. Blili Temime, 2004 ; M. Oualdi, 2011. J’ai aussi consacré une partie de ma thèse à cette révolte dans le cadre de la « cour ébranlée » et de l’affaiblissement du pouvoir beylical. J. Hammami, 2015.
-
[7]
L’évolution de la Régence de Tunis durant cette période, c’est-à-dire de 1830 à 1881, était inextricablement liée à l’apparition de l’impérialisme français. Depuis la conquête d’Alger en 1830, la France exerçait sur les beys de Tunis une tutelle effective, notamment sous le Second Empire (1851-1870), quand elle allait jeter les fondements d’un deuxième empire colonial.
-
[8]
Sur cette transformation de l’institution consulaire, voir à titre d’exemple J. Ulbert & G. Le Bouëdec, 2006. Pour une vue d’ensemble sur l’évolution de la fonction consulaire, voir J. Pradells Nadal, 1992 ; A. Bartolomei, 2014 ; id., 2017, p. 1-17.
-
[9]
S. Marzagalli, 2015, p. 10.
-
[10]
A. Mezin, 2006.
-
[11]
Archives du ministère des Affaires étrangères (MAE), Correspondance politique (c. p.), dossier (d.) 27, lettre du 13 septembre 1867.
-
[12]
M. Tournier, 2002.
-
[13]
Encore en phase de test, l’AMCI (Analyse, Matrice, Corpus, Intelligent) est un logiciel d’analyse de données textuelles mis au point par l’unité de recherche Études méditerranéennes et internationales (EMI, dirigée par Mme Rachida Tlili Sellaouti, Faculté des lettres, des arts et des humanités de l’université La Manouba), qui traite tout type de texte, dans différentes langues. Il est proche du logiciel IRaMuTeQ développé au sein du Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LÉRASS, Université de Toulouse), téléchargeable sous licence GNU GPL (v2) et programmé en python et R (URL : http://www.iramuteq.org/), qui implémente la méthode de classification décrite par Max Reinert dès 1983. Le choix de l’AMCI est motivé par son originalité : aide informatique (guide) pour décrire les formes linguistiques du corpus ; démarche inductive sur le corpus ; mise à la disposition de l’utilisateur d’outils explicatifs et fichiers complémentaires ; contrôle des conditions de production des résultats obtenus.
-
[14]
Sur cette question, voir, par exemple, A. Salem, 1984.
-
[15]
H. Khelifi, 2018 ; voir également P. Lafon & A. Salem, 1983 ; C. Muller, 1992.
-
[16]
Botmiliau (François, vicomte de), diplomate français né à Guingamp en 1817. En 1840, il est engagé à Lima en tant qu’élève consul, puis à Valdivia, comme consul. Après une mise en inactivité entre 1848 et 1850, il est nommé successivement à Iassy, Jérusalem, Elseneur et Veracruz (janvier 1856) ; puis promu consul général et chargé d’affaires, d’abord à Guatemala (février 1857) puis à Belgrade (octobre 1862). Il arrive à Tunis en mars 1867, où il va diriger le consulat de France jusqu’à son admission à la retraite, en juin 1873. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 574, 575.
-
[17]
P.-H. d’Estournelles de Constant, 2002 [1891].
-
[18]
Moustier (François, marquis de), diplomate français né en 1817, mort à Paris en 1869. Conseiller général du Doubs, député à l’assemblée législative, en 1849 ; ministre plénipotentiaire à Berlin en mars 1853 ; ambassadeur à Vienne, en novembre 1859 ; à Constantinople en août 1861 ; ministre des Affaires étrangères du 1er septembre 1866 au 17 décembre 1868. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 593.
-
[19]
Les lettres formatées et traitées par le logiciel et analysées dans cet article ne couvrent que la période de la révolte de Adel bey : du 11 septembre au 24 octobre 1867.
-
[20]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 31 décembre 1867.
-
[21]
Mattei (Jean), né en 1827 à Benghazi, mort à Sfax en 1903. Il était le fils d’un sous-officier corse, devenu capitaine de la marine marchande, installé à Benghazi, puis à Sfax. Jean Mattei avait deux frères et quatre sœurs, dont l’une épousa Espina, agent consulaire de France à Sousse ; il eut lui-même neuf enfants. Courtier pour le compte de maisons marseillaises, il était en relations avec les tribus de l’intérieur. Agent actif, très lié avec Roustan, il milita vivement en faveur de l’intervention française en Tunisie. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 591.
-
[22]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 31 décembre 1867.
-
[23]
Cubisol (Charles), né à la Goulette en 1817, d’une famille originaire de la Ciotat. Marié à Camille Bottary à Tunis en 1845, puis à la sœur de celle-ci, Marie, en 1855, il décède en 1868. Vice-consul de France à la Goulette depuis 1855, Cubisol était en même temps consul de Belgique et agent consulaire de presque toutes les puissances européennes. Il était également agent des compagnies de navigation françaises ; son fils Joseph lui succéda en 1868. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 578.
-
[24]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 4 octobre 1867.
-
[25]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 19 décembre 1867.
-
[26]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 23 novembre 1867.
-
[27]
Mustapha Khaznadar, ou Giorgios Kalkias Stravelakis, est un mamelouk grec originaire de l’île de Chio, de confession chrétienne. Il est né en 1817 à Kardamila et enlevé à l’âge de 8 ans pour arriver à Tunis six ans plus tard. Introduit dans l’intimité des princes husseinites, il fut élevé aux coutumes et aux traditions de la cour et fut, en 1837, attaché au service du prince Ahmed, comme trésorier (khaznadar). Mustapha Khaznadar tenait le deuxième rang dans la hiérarchie du pouvoir pendant le règne de trois beys consécutifs, de 1837 à 1873, et était le premier à porter officiellement le titre de al wazir al akbar (Premier ministre ou Grand ministre), qu’il associait longtemps à celui de wazir al ‘amala (ministre de l’Intérieur), wazir al ‘umur al kharigiyya (ministre des Affaires étrangères) et wazir al mal (ministre des Finances).
-
[28]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 18 novembre 1867.
-
[29]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 25 novembre 1867.
-
[30]
Khéréddine est un mamelouk d’origine circassienne né entre 1825 et 1830. Il arrive à Tunis vers 1840 et devient l’aide de camp du bey Ahmed. Il est nommé en janvier 1857 à la tête du ministère de la Marine avant de présider la Commission financière internationale, en 1869. En 1873, Khéréddine succède à son beau-père, Mustapha Khaznadar, à la tête du Grand ministère, en octobre 1873.
-
[31]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 13 septembre 1867.
-
[32]
Sur cette question, voir par exemple A. Salem, 1984 ; P. Lafon & A. Salem, 1983.
-
[33]
C’est l’apparition d’un élément de la langue dans un texte.
-
[34]
Ici on a choisi de lemmatiser les formes du corpus.
-
[35]
Les mots que le logiciel prend en compte.
-
[36]
Les mots non pris en compte.
-
[37]
Nous reviendrons plus en détail sur cette classification dans l’analyse du discours.
-
[38]
J.-J. Salone, 2013.
-
[39]
On appelle « lemmatisation » l’opération qui consiste à remplacer une forme textuelle par sa forme réduite, telle que standardisée dans les dictionnaires de langue. Cette réduction a pour objectif d’améliorer l’analyse statistique et notamment le classement des « unités de contexte élémentaires » (UCE). Exemple : une forme verbale est réduite en infinitif, un substantif pluriel est réduit en singulier, un adjectif au féminin est réduit en masculin, une forme élidée est réduite sans élision.
-
[40]
P. Marchand & P. Ratinaud, 2011.
-
[41]
Un arbre prenant en considération toutes les formes du corpus.
-
[42]
J.-J. Salone, 2013.
-
[43]
Dans sa première acception, « informer » est l’action de donner une forme.
-
[44]
C. Larrère, 1979, p. 161-164.
-
[45]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
-
[46]
MAE, c. p., d. 27, dépêche adressée au ministre des Affaires étrangères, le 19 novembre 1867. Dans une autre lettre, du 25 novembre 1867, le consul Botmiliau écrit : « le Khaznadar, dans l’entretien confidentiel que j’ai eu avec lui à la Manouba […] m’a paru attacher le plus vif intérêt au rétablissement du Pacte fondamental ».
-
[47]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
-
[48]
J.-J. Salone, 2013.
-
[49]
C’est une méthodologie d’analyse de données textuelles, intégrée dans le logiciel AMCI, qui cherche à rendre compte de l’organisation interne d’un discours. Elle est conçue en 1979 par Max Reinert (université de Versailles). Pour construire les classes d’énoncés significatifs, on utilise une méthode de classification descendante hiérarchique, permettant de traiter des tableaux logiques de grande dimension mais de faible effectif. La procédure proposée se situe au carrefour de plusieurs techniques d’analyse des données : segmentation, classification hiérarchique, dichotomie d’après une analyse factorielle des correspondances, nuées dynamiques. J.-P. Benzécri et al., 1981 ; M. Reinert, 1986b.
-
[50]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 septembre 1867.
-
[51]
L. Blili Temime, 2004, p. 160.
-
[52]
A. Ben Dhief, 1999, vol. 6, p. 111, traduction de l’auteur.
-
[53]
L. Blili Temime, 2004, p. 160.
-
[54]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 4 octobre 1867. Dans cette lettre du consul du Danemark à Tunis au chef du département royal des Affaires étrangères à Copenhague, le 5 octobre 1867, Cubisol écrit que « d’après les avis qui arrivent des insurgés, Sidi El Adel ne s’est pas rendu à son frère, mais aurait été, par trahison de quelques chefs, attiré dans un guet-apens qui a pu permettre son arrestation par les soldats du bey du camp ». A. Chenoufi, 1990, p. 205.
-
[55]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 8 octobre 1867.
-
[56]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 22 octobre 1867.
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[57]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 10 novembre 1867.
-
[58]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
-
[59]
MAE, c. p., d. 27, dépêche adressée au ministre des Affaires étrangères, le 19 novembre 1867.
-
[60]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 18 août 1867.
-
[61]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 20 août 1867.
-
[62]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 23 août 1867.
-
[63]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 11 septembre 1867.
-
[64]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 11 septembre 1867.
-
[65]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
-
[66]
Consul général intérimaire de France à Tunis, entre 1863 et décembre 1864. Sur l’action de ce consul et son ingérence dans les affaires internes de la Tunisie, voir J. Hammami, 2016.
-
[67]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 29 août 1867.
-
[68]
Chef de service au ministère des Affaires étrangères à Paris et Inspecteur des Finances, Villet était chargé par le gouvernement français de la direction de la Commission financière internationale, sous la présidence de Khéréddine.
-
[69]
Son témoignage est une dénonciation délibérée de la politique du Grand ministre, Mustapha Khaznadar, et de son emprise sur le bey régnant. Dans l’un de ses propos, il indique que « le bey ne faisait guère ses déplacements sans la présence de son Premier ministre. Quotidiennement, ce dernier faisait habiller le bey et lui tenait compagnie dans tous ses déplacements. Lorsque le Grand ministre ne pouvait le faire pour une raison ou une autre, Mohamed Sadok bey s’abstenait de se rendre à la hâdhira [la capitale] et même s’il s’y rendait, il se retenait de se promener et se consolait à scruter les souks par les fenêtres de son palais ». M. Bayram V, 1989, p. 189. Nous traduisons.
-
[70]
A. Martel, 1959, p. 241. Il dénonce, à juste titre, la désorganisation financière, administrative et militaire due, à son avis, « à la faiblesse des souverains, impuissants à contrôler leur trop habile ministre, le Khaznadar, en place de 1837 à 1873, avec le seul souci de sa fortune personnelle ». Il considère que les réformes – la Constitution de 1861 en particulier – bien qu’elles aient séduit les Occidentaux par leur caractère libéral, ont renforcé « en réalité, au détriment de la toute-puissance beylicale, traditionnellement favorable à la France, le pouvoir des mamelouks, jaloux de leurs privilèges et sensibles à l’influence anglaise ».
-
[71]
J. Ganiage, 1955. Sur les aspects de la crise financière tunisienne, voir M. Emerit, 1949 ; C. Ben Belghith, 1995.
-
[72]
L. Blili Temime, 2004, p. 170.
-
[73]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 août 1867.
-
[74]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 29 août 1867.
-
[75]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 août 1867.
-
[76]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 août 1867.
-
[77]
Archives nationales de Tunisie (ANT), Série historique (SH), Dossier (d.) 11, Carton (c.) 21, d. 2265-2528.
-
[78]
ANT, SH, d. 11, c. 21, d. 2265-2528.
-
[79]
ANT, SH, d. 6, c. 14.
-
[80]
ANT, SH, c. 2, d. 21.
-
[81]
L. Blili Temime, 2004, p. 160.
-
[82]
ANT, SH, d. 11, c. 21.
-
[83]
ANT, SH, c. 1, d. 11 : Les dettes des beys. Abdeljelil Temimi considère que cet état de dénuement a touché seulement Adel bey (A. Temimi, 1970, p. 83). En vérité tous les princes husseinites souffraient ce dénuement et étaient des « princes d’huile et de fromage ».
-
[84]
ANT, SH, d. 11, c. 21.
-
[85]
Tabib Al Mhalla, 2003, p. 262, nous traduisons.
-
[86]
Tabib Al Mhalla, 2003, p. 86, 87, nous traduisons.
-
[87]
M. Reinert, 1986a.
-
[88]
J. Hammami, 2015.
-
[89]
Voir les Documents diplomatiques, publiés en janvier et en novembre 1869, note 86, p. 78.
-
[90]
P. H. d’Estournelles de Constant, 2002 [1891], note 67, p. 63.
-
[91]
« 1o Un inspecteur des finances français, vice-président ; 2o Deux délégués des porteurs de la dette extérieure ; 3o Le député de la nation française ; 4o Deux membres tunisiens choisis par le bey, d’accord avec notre agent, et dont l’un devait être le président ; 5o Deux membres désignés par les négociants étrangers ». P. H. d’Estournelle de Constant, 2002 [1891], p. 76, note 81.
-
[92]
Livre jaune, dépêches des 14 et 28 décembre 1871, et Discours de M. J. Ferry, 1881, publiés par M. Rambaud. P. H. d’Estournelles de Constant, 2002 [1891], p. 87.
-
[93]
On évoque ici l’exemple de Lesseps, consul français à Tunis lors de la prise d’Alger, en 1830, lorsqu’il fut chargé par son gouvernement d’imposer au bey un traité rédigé à Paris qui l’oblige à respecter le droit public européen, sans lui offrir les avantages de la réciprocité. Dans l’interprétation des clauses contestées, Lesseps aspira à occuper la position d’un intermédiaire digne de la confiance des Français et des Tunisiens. Il disait transmettre avec la même « impartialité » les réclamations du gouvernement du bey aussi bien que les plaintes et les observations des négociants français. Lesseps convainquit son gouvernement à consentir des délais et quelques accommodements. C. Windler, 2003, p. 89, 90.
1Bien qu’elle s’annonçât sous d’heureux auspices [1], la décennie 1860 représente pour la Tunisie précoloniale [2] une période obscure, pourtant jalonnée d’évènements à caractère exceptionnel : révolte presque générale des tribus et même des villes sahéliennes (1864), répression féroce (1864-1865), épidémies (choléra en 1867 ; fièvre putride en 1868-1869), famine (1867-1868) [3]. Dans cette ambiance macabre, pour comble de malheur, le plus jeune prince husseinite [4] se dressa contre son frère, bey du trône, Mohamed Sadok (1859-1882) [5].
2Par ses effets tragiques sur la cour husseinite et la destinée de la Tunisie, placée désormais à la croisée des convoitises impériales, cette révolte dynastique a retenu l’attention de plusieurs historiens [6], qui, pour la reconstituer et l’interpréter, se sont référés à des sources diverses et nombreuses. D’abord, les sources officielles de l’État tunisien, conservées aux Archives nationales de Tunisie, et en particulier un dossier comprenant toutes les lettres échangées entre le pouvoir central et le chef de la mhalla (camp) chargé de réprimer la dissidence. Le dossier contient aussi les lettres échangées entre le chef de la mhalla, Ali bey, héritier présomptif, et son frère, le prince rebelle. Nous disposons également de sources tierces constituées des archives diplomatiques. D’une part, celles de la diplomatie ottomane, avec un dossier conservé aux Archives ottomanes de la Présidence du Conseil à Istanbul, contenant des rapports et lettres rédigés par les émissaires turcs sur la révolte et son développement aux frontières algériennes. D’autre part, les sources de la diplomatie française [7], constituées des lettres et rapports du consul général à Tunis et des vice-consuls sur place, qui décrivent, au jour le jour, les évènements depuis la fuite de Adel bey jusqu’à son arrestation et son incarcération au palais du Bardo.
3Cette source diplomatique et épistolaire française présente ici un double intérêt. Elle est à la fois une source précise sur l’évènement et sur la fonction consulaire, définie par cette mission de collecte et transmission de l’information, et plus généralement sur les relations interétatiques et dans les rapports d’altérité entre des sociétés en contact. Les études historiques récentes consacrées à la figure consulaire aux époques moderne et contemporaine ont insisté sur cette mission de renseignement, notamment après le triomphe du consul « missi », nommé par l’État et à son service, sur le profil du consul « electi », désigné par les négociants européens établis à l’étranger pour les représenter auprès des autorités locales, défendre leurs intérêts et résoudre leurs éventuels litiges. Si celui-ci était supposé défendre avant tout les intérêts des marchands qui l’avaient désigné, le consul était censé, au premier chef, servir les stratégies politiques et économiques de l’État qui l’avait nommé [8].
4Agent du roi puis de l’État, le consul voyait, par conséquent, ses attributions s’accroître et devenait un chaînon des dispositifs de renseignement mis en place par l’État pour se procurer des informations [9]. Anne Mézin met en exergue cette mission d’observation dans le pays d’accueil, et de recueil des informations relatives au développement politique et économique : le consul devait informer son gouvernement sur tous les évènements politiques internes (épidémies, disettes, insurrections…), de sorte que « cette mission d’observation s’apparentait à un espionnage en bonne et due forme [10] ».
5Obéissant à cette logique étatique, lors de la révolte du jeune prince husseinite, le consul général de France François de Botmiliau mobilise ses agents et « espions » présents dans la Régence pour collecter les informations et les adresser aussitôt à son ministre de tutelle. L’ensemble de sa correspondance autour de cet évènement procède d’un « bruit » qui « se répand que le Prince Sidi El Adel, quatrième frère du bey, a disparu du Bardo » la nuit du 14 septembre 1867, qu’on « craint qu’il ne soit jeté au milieu des Arabes des Khoumirs » et que « l’inquiétude est très grande dans l’entourage du bey » [11].
6Un mois plus tard, une fois la révolte définitivement matée et le prince séditieux supposé « empoisonné », Botmiliau écrivit rapidement à son gouvernement : « le prince Sidi El Adel est mort… peu de jours après l’arrêt du bey, qui le condamnait à une détention perpétuelle, et au moment où sa santé paraissait à peu près rétablie ». Il conclut sa dépêche avec une assertion des plus inattendues : « tout semble se dissoudre dans ce pays », et appelait « à la nécessité d’occuper la Régence dans un avenir peu éloigné ». Ainsi, conformément à sa mission, rapportait-il ces évènements à l’aune de la politique de la France.
7Cet article se propose d’analyser ce discours diplomatique, de suivre comment il passe de la description d’un conflit interne à celle de la situation politique de la Régence, comment il perçoit et interprète cet évènement interne à l’aune des « intérêts de la France » et de sa politique vis-à-vis de la Tunisie, pour conclure sur une action coloniale. Pour réaliser cette analyse textuelle, il recourt à la lexicométrie, statistique linguistique qui se veut exhaustive sur son champ d’application, systématique et automatisée [12]. En alliant informatique, statistique et sciences sociales, cette méthode s’applique aux mots d’un corpus. Le logiciel choisi pour réaliser cette analyse linguistique est un outil d’analyse statistique et graphique récent, l’AMCI [13], qui permet de définir la typologie du discours, la richesse du vocabulaire et son évolution, et de déterminer son champ lexical. En partant d’un texte ou ensemble de textes, l’AMCI effectue une première analyse détaillée du vocabulaire et constitue le dictionnaire des mots ainsi que de leur racine, avec leur fréquence. Par fractionnements successifs, il découpe ensuite le texte en segments homogènes contenant un nombre suffisant de mots, et procède alors à leur classification en repérant les oppositions les plus fortes. Cette méthode permet d’extraire des classes de sens, constituées par les mots et les phrases les plus significatifs. Les classes obtenues représentent les idées et les thèmes dominants du texte analysé. Enfin, il organise tous les résultats sous forme de tableaux, graphiques ou histogrammes, laissant l’analyse et l’interprétation à la responsabilité de l’utilisateur [14]. La démarche lexicométrique assure des résultats rapides et plus ordonnés qu’un travail manuel. Elle offre à ce titre un nouvel angle de vision et oriente notre réflexion vers des interprétations verticales et horizontales d’un texte. Celui-ci n’est plus conçu comme une entité figée, ni comme une suite linéaire de phrases et de mots étudiés selon leur position dans le texte, mais comme « une construction textuelle qui fonctionne en réseau ». Cette nouvelle structure « se construit à partir du vocabulaire situé d’une manière désorganisée dans le texte mais qui peut être porteur de sens, créateur de logique et de cohérence [15] ».
8Nous tâcherons dans un premier temps de présenter cette correspondance diplomatique en restituant un peu de sa « matérialité », à la fois dans sa forme et son contenu. Nous essayerons par la suite de déterminer la nature et la logique du discours que prête le consul à ce conflit dynastique. Enfin, nous tenterons de distinguer ses points nodaux pour comprendre comment il passe d’un témoignage diplomatique sur un fait interne à un discours diplomatique sur la situation politique de la Régence de Tunis, anticipant une action coloniale.
1. Au gré des circonstances
9Le vicomte François de Botmiliau [16], dont nous analysons une partie de la relation épistolaire avec son gouvernement, est un diplomate français investi du poste de consul général de France à Tunis durant la période allant du 29 juin 1867 au 20 août 1873. Dans son livre La politique française en Tunisie, Paul d’Estournelles de Constant, lui aussi diplomate et homme politique français, reconnaît à ce consul et chargé d’affaires français le « vrai mérite » avec lequel « il avait occupé ce poste pendant une période ingrate de sept années » [17]. Formée d’une centaine de lettres et rapports adressés à son ministre de tutelle, le marquis de Moustier [18], cette correspondance couvre la période de son mandat à la tête du consulat français à Tunis [19].
10À la lecture de ses écrits officiels, François de Botmiliau paraît être un « diplomate professionnel », tant le style de ses lettres est ferme, simple, concis, sans digressions, sachant informer de ce qui est nécessaire sans discours fleuves ou inutiles. Le consul dressait pourtant des tableaux très détaillés de la situation générale de la Tunisie, des initiatives et des décisions en cours, sans réticence à exprimer amplement ses réflexions personnelles et à livrer ses opinions. Les écritures sont parfois très différentes. Chaque lettre, directement adressée à son « Excellence » le ministre chargé des Affaires étrangères, commence toujours par la date de sa rédaction, son destinataire et les salutations. Dans le cas des dépêches, peut-être pour en hâter la lecture, les formules de politesse sont supprimées, elles s’achèvent par son nom et sa signature.
11À l’évidence, la nature et la forme des lettres changent au gré des circonstances, comme le montre la comparaison entre celles postées avant la déclaration de la révolte de Adel bey et celles d’après. On doit donc distinguer entre deux types de courriers : les ordinaires, envoyés selon une périodicité fixée à l’avance, souvent hebdomadaire, et qui paraissaient plus organisées dans leur contenu et plus détaillées, et les extraordinaires expédiées lorsqu’une nouvelle jugée décisive devait être rapidement portée à la connaissance de son gouvernement. Parfois, les correspondances hebdomadaires portaient des post-scriptum signalant des évènements qui lui parvenaient au moment où il devait les sceller.
12Dans sa correspondance du 21 octobre 1867, après être revenu sur l’exécution des généraux Ismail Sunni et Rachid, soupçonnés d’avoir soutenu le jeune prince dans son soulèvement, Botmiliau écrivait que « l’opinion de tous est que le Khaznadar [trésorier] n’a eu d’autre but que de se venger personnellement et de s’emparer de la fortune de ses victimes ». En bas de la lettre, sous sa signature, il ajoute que : « le sentiment qu’a éprouvé la population de Tunis a été le même dans les provinces. J’ai l’honneur d’adresser ci-joint à Votre Excellence un extrait de la dépêche que m’adresse à ce sujet notre agent à Sousse. Votre Excellence verra de nouveau à quel état de misère est réduit ce malheureux pays. Et cependant, Sousse est une des villes les plus importantes de la Régence et le Sahel en était la partie la plus riche » [20].
13Botmiliau alimente sa correspondance officielle par un réseau de renseignements très large. En premier lieu, par ses observations personnelles de la situation dans la capitale, son lieu de résidence. Il se réfère pareillement aux dépêches du gouverneur général d’Algérie et aux observations et analyses de ses agents, qui lui parvenaient des principales villes, en particulier Sousse et Sfax. Lorsque la révolte battait son plein, son agent Jean Mattei [21] lui faisait parvenir de Sfax les plaintes des commerçants français, qui s’adressaient à lui pour obtenir sa protection et celle de leurs biens. Ou encore, des frontières algériennes il apprenait de « S. E. Mr le Maréchal Mac Mahon » que les mêmes actes de pillage s’y commettaient sur les possessions françaises en Algérie. Le maréchal Mac Mahon, en relatant ces faits à Botmiliau, lui adressait « la liste des objets enlevés » aux Algériens et demandait « que le gouvernement du bey non seulement châtie les Charen, coupables de ces brigandages, mais qu’ils soient tenus responsables des pertes éprouvées par les protégés français [22] ». Une fois la rébellion domptée, le vice-consul, M. Cubisol [23], « qui est né dans la Régence, qui l’a toujours habitée et qui doit la bien connaître », lui télégraphiait de la Goulette pour lui annoncer « le prochain départ d’un bateau du bey pour Cagliari porteur de dépêches », et que « ces dépêches contiendront probablement les nouvelles de la soumission du Prince » [24].
14Les négociants français établis dans les principales villes de la Régence, auxquels Botmiliau paraissait mieux obéir qu’à son ministre de tutelle, à leur tour lui transmettaient souvent des mémoires sur les désordres dans les finances du beylik, qu’ils jugeaient sans « administration constituée, ne possédant aucun moyen de pondération par budget de revenus et dépenses ». Ils se plaignaient de leur situation, de Sfax, lui faisaient savoir « que par suite du peu de sureté du pays » leurs propriétés d’oliveraies – ou celles qui étaient hypothéquées entre leurs mains – étaient dévastées, les bestiaux enlevés et vendus sur le marché sans qu’ils puissent les réclamer. Les caravanes sont arrêtées et pillées, leurs courriers ne peuvent plus se rendre à Tunis, on leur arrache les lettres et on les déchire, ils ne peuvent plus « sortir des portes de la ville, car à la distance d’un kilomètre on assassine en plein jour » [25].
15François de Botmiliau collectait aussi des informations auprès des dignitaires de la cour, ou du bey en personne, par dépêches ou par des entretiens privés. Lors d’une audience, Mohamed Sadok bey lui rappelait cette promesse de l’empereur selon laquelle « il pouvait compter sur lui à l’heure des difficultés », et que « cette heure [était] venue [26] ». Lors d’une première entrevue avec Mustapha Khaznadar [27], celui-ci s’était borné à lui déclarer qu’il « avait l’ordre de son Altesse de lui faire connaître officiellement la fuite du Prince El Adel, et son arrivée au milieu des Khumirs [28] ». Dans un second entretien confidentiel, à la Manouba, Mustapha Khaznadar révélait à Botmiliau qu’il attachait « le plus vif intérêt au rétablissement du Pacte fondamental [29] ». Botmiliau multipliait également les rencontres avec d’autres dignitaires de la cour, essentiellement Khéréddine [30]. Ce dernier lui faisait savoir, dans un entretien officieux, son prochain départ pour Paris, sans « qu’il soit chargé d’aucune mission de son gouvernement [31] ».
16Considérant le volume important de cette correspondance diplomatique, on a choisi de traiter les lettres qui se rattachent directement à la révolte et à son déroulement, depuis la fuite du jeune prince jusqu’à son arrestation, et aux analyses du consul sur les causes et les conséquences de ces évènements. Les lettres choisies couvrent trois mois, septembre, octobre et novembre de l’année 1867 : 7 lettres en septembre (celles des 13, 14, 16, 18, 23, 24 et 30) ; onze lettres en octobre (des 1er, 2, 4, 5, 6, 8, 12, 17, 21, 22 et 25) ; enfin deux lettres, celles des 4 et 10 novembre. Ces lettres ont été formatées pour constituer notre corpus et être analysées par le logiciel AMCI. Leur formatage procède par déclaration de variables étoilées et de modalités, suppression des numéros de pages et insertion d’une problématique numérique :
**** révolte-adel-1867-consul
18Le logiciel réalise, pour commencer, une analyse statistique textuelle de l’ensemble du corpus et de ses occurrences simples. Elle distingue 2 744 formes (mots) rassemblées en 353 segments [32] de texte, dont la moyenne de formes par segment est de 35,5. Le dictionnaire constitué à partir de cette première analyse comptabilise 12 552 occurrences [33], 2 184 lemmes [34], 1 892 formes actives [35] et 292 formes supplémentaires [36].
19Sur le total de 353 segments de texte, le logiciel a distingué 279 segments susceptibles d’être classés selon les idées et les thèmes génériques de ce discours, soit presque 4/5 de l’ensemble des segments. Par rapprochement logique du sens, le logiciel parvient à répartir les 279 segments en six classes disproportionnées en importance et en volume [37]. Un premier dendrogramme (Figure 1) nous présente la structure générale du discours à partir des parties repérées par le logiciel en fonction de la problématique proposée.
Figure 1. Composition du discours consulaire (classification descendante hiérarchique)
Figure 1. Composition du discours consulaire (classification descendante hiérarchique)
20Cet inventaire de mots nous renseigne sur la construction globale du discours et la structure des phrases utilisées par le consul dans ses écrits officiels. Pour déterminer à quel registre appartient son discours, on a combiné cette démarche statistique avec l’étude de ses caractéristiques essentielles : langue, vocabulaire et syntaxe. Il est nécessaire par ailleurs de rappeler que la fonction de Botmiliau, en elle-même, lui imposait un langage spécifique. C’est ainsi qu’il faisait couramment usage de mots et d’expressions distingués, de figures de style bien choisies et de tournures de phrases assez variées et subtiles.
2. Logique et structure
21L’analyse factorielle de correspondances (AFC) nous propose également une approche globale du corpus [38], mais plus profonde (Figure 2). Basée sur des calculs d’inertie du nuage de mots que constitue un corpus, celle-ci fait davantage apparaître les oppositions ou rapprochements entre les termes qui le constituent. Elle détermine pour cela des facteurs (des espaces propres de la matrice d’inertie) sur lesquels les formes se distribuent. À la notion d’appartenance à une classe se substitue ainsi celle de distance à un axe d’inertie. L’AFC proposée ici est réalisée après lemmatisation [39].
Figure 2. Positionnement des classes du discours consulaire (AFC)
Figure 2. Positionnement des classes du discours consulaire (AFC)
22Le premier facteur (26,83 % de la masse du corpus) sépare nettement les classes 1 et 4 (abscisses négatives) des classes 2, 5 et 6 (abscisses positives), tandis que la classe 3 y apparaît un peu centrée. L’examen minutieux de cette représentation graphique nous révèle une bipartition de la correspondance consulaire analysée en causes et conséquences du soulèvement. Le deuxième facteur (21,59 % du total du corpus) assume davantage cette distinction binaire entre causes et conséquences. Les classes 1 et 6 (ordonnées positives) y sont nettement séparées des classes 2, 4 et 5 (ordonnées négatives), tandis que la classe 3, de nouveau, y apparaît un peu plus centrée.
23De la combinaison de ces deux facteurs le graphique distingue, dans cette projection bidimensionnelle de la correspondance diplomatique de Botmiliau, les traits suivants :
– une zone à ordonnées positives et à abscisses négatives, en haut à gauche, réservée à la classe 1, relative au début de la révolte ;
– une zone à coordonnées négatives, en bas à gauche, occupée par la classe 4, en référence à ses causes profondes, notamment la politique du Grand ministre, Mustapha Khaznadar ;
– une zone à coordonnées positives, en haut à droite, relative à la classe 6, qui se réfère à la ruine du pays et à l’épuisement de toutes ses ressources ;
– une zone à ordonnées négatives et à abscisses positives, en bas à droite, regroupant les classes 2, 3 et 5, en relation avec les difficultés tunisiennes et à l’impuissance du gouvernement tunisien à honorer ses promesses et à rembourser ses dettes, alors que les intérêts des pays européens, essentiellement de la France, se trouvent affectés ; s’impose là le projet d’instituer une commission financière pour garantir les intérêts de la France.
24Cette approche nous aide à appréhender la logique du discours du consul sur le soulèvement du jeune prince, et à déterminer son thème générique et ses points nodaux. Il va sans dire que l’épine dorsale autour de laquelle s’articule tout ce discours est intrinsèquement constituée par les intérêts de la France et l’analyse de la situation locale.
25L’étude statistique, en termes de fréquence d’une part et de structure d’autre part, vient confirmer ces constatations. Tout d’abord, l’étude de fréquence des mots montre une utilisation courante de la forme « bey » (mot le plus cité, 106 fois) devant « khaznadar » (64 fois) et « prince » (42 fois). Cette deuxième démarche statistique nous informe sur les relations entre les formes, leur contexte et la structure du discours. À partir de cette fréquence, le nuage de mots (Figure 3) nous montre que les formes les plus fréquentes relèvent d’un registre politique : le mot « bey » au centre, est, de très loin, le plus fréquent ; viennent ensuite « khaznadar » et « prince ».
26Pour arriver ainsi aux intérêts de la France et en particulier des négociants français établis localement, que Botmiliau semblait bien défendre, son discours analyse au premier abord la personnalité du prince régnant, la nature du pouvoir qu’il incarnait, et la nature des relations qu’il entretenait avec ses serviteurs. Loin de nous renseigner sur la conception que se faisait ce consul de la nature du pouvoir beylical, cette projection du discours en nuage de mots nous donne un aspect général sur la nature de ce discours et sur son vocabulaire.
Figure 3. Nuage de mots de la correspondance consulaire
Figure 3. Nuage de mots de la correspondance consulaire
27L’analyse de similitudes [40], qui envisage le corpus d’une façon complètement différente, aboutit à une représentation graphique en arbre maximal [41], où les nœuds sont les formes, et où il est possible de faire apparaître des communautés lexicales. Cette méthode a tendance à renforcer les relations de voisinage entre les formes [42]. L’analyse lexicale vient encore confirmer l’omniprésence de la forme « bey », mais non plus en termes de fréquence, mais bien de structure.
28La forme « bey » entretient un très grand nombre de relations jusqu’à devenir centrale (Figure 4). À côté de cette forme, deux autres registres apparaissent, avec des fréquences inférieures, mais qui se détachent avec des indices de cooccurrences forts : « khaznadar » et « prince ». Cette approche par la structure nous place au cœur du discours sur l’évènement, à propos duquel le consul de France essaye d’informer [43] son ministre de tutelle, détaillant son déroulement, ses causes profondes et ses conséquences.
Figure 4. Analyse de similitudes dans le discours consulaire avec indices de cooccurrences (fréquence > 3)
Figure 4. Analyse de similitudes dans le discours consulaire avec indices de cooccurrences (fréquence > 3)
29Cette configuration montre encore que la forme « bey » structure la correspondance consulaire. Elle peut en outre nous renseigner, par extension, sur la conception que se faisait François de Botmiliau, et d’ailleurs toute la littérature occidentale, depuis Montesquieu, de la nature du pouvoir politique dans la Régence, et dans l’ensemble de l’Empire ottoman : un pouvoir central et tyrannique, où le monarque est perçu en « despote oriental » et maître absolu de ses sujets et de leurs biens, puisant les fondements de son pouvoir du droit divin et gouvernant sans « lois fixes et établies » un empire où tout n’est mû que par sa volonté et ses caprices [44]. Décrivant la nature du pouvoir exercé par Mohamed Sadok bey, le vicomte de Botmiliau note dans l’une de ses lettres que, même s’il existe un ministère complet (avec le Khaznadar comme Premier ministre et ministre des Affaires étrangères ; le général Zarouk (Ahmed), ministre de la Guerre ; le général Mohamed Khaznadar, ministre de la Marine ; (Sidi) Aziz Bou Attour, ministre des Finances et le général Roustum ministre de l’Intérieur), le gouvernement tunisien est livré à « un pouvoir personnel, unique et sans contrôle », un gouvernement « tout personnel » qui appartient « monumentalement au bey » [45].
30Botmiliau relève que même si « Mohamed Essadock [Sadok bey] » est faible, il a « de la férocité au fond » de son caractère et peut à tout moment « se réveiller de l’espèce d’engourdissement dans lequel le Khaznadar le tient » [46]. Le pouvoir est lénifiant, c’est ainsi que Botmiliau essaye d’apporter une explication plausible à ce visage à deux faces du prince régnant, tout à la fois dauphin dynamique et inflexible et souverain faible et expectatif :
« Le bey, Mohamed Essadock est aujourd’hui un homme de 55 ans. Jusqu’à son arrivée au trône de la Régence en 1859, son caractère passait pour indomptable, touchant même à la férocité. On assure que, étant bey du camp, titre qui appartient à l’héritier présomptif et qui confère au prince, qui en est revêtu, le droit de vie et de mort, en dehors de l’enceinte de la ville où réside le bey, il a plusieurs fois tranché lui-même la tête de ceux qu’ils avaient condamnés. À peine proclamé bey, il a paru changer subitement, sous l’influence de son premier ministre Sidi Mustapha Khaznadar. Son intelligence, comme sa volonté, s’est emmurée dans l’abus des jouissances matérielles [47] ».
3. Classes et analyse
32La structure du discours du représentant diplomatique de France sur le soulèvement du jeune prince, révélée par l’analyse des similitudes, passe par l’analyse de la situation politique de la Régence, et en l’occurrence, par la conception que se faisait le consul de la nature du pouvoir beylical. Aussi originale et probante que soit cette démarche, elle reste encore insuffisante pour discerner le passage, dans ce discours consulaire, de la description d’un fait dynastique interne à la mise en avant des intérêts de la France et sa politique vis-à-vis de la Tunisie. Or, le logiciel nous propose une autre démarche lexicale procédant par un tri de l’ensemble des segments homogènes constitués au départ, en repérant les oppositions et les rapprochements les plus forts entre eux. Les classes de sens obtenues par le biais d’une classification descendante hiérarchique (CDH) [48] constituent les thèmes récurrents de ce discours. Leur représentation au moyen d’un deuxième dendrogramme (Figure 5) nous renseigne sur la composition des classes et la logique de la classification des formes constituant le corpus, toujours en fonction de la problématique proposée.
Figure 5. Composition des différentes classes du discours consulaire (CDH)
Figure 5. Composition des différentes classes du discours consulaire (CDH)
33En appliquant cette démarche, également appelée classification de Reinert [49], le logiciel AMCI a réparti la majorité des segments (87,84 %) en six classes, parmi lesquelles deux ensembles se distinguent. Le premier regroupe les classes 1 et 4 qui représentent ensemble presque 30 % du total des segments classés. Le second ensemble, soit les 2/3 de ces segments, comprend les autres classes (2, 3, 5 et 6). L’examen de cette classification nous amène à des constatations congrues.
34Les deux classes 1 et 4 regroupent des formes associées au début de la révolte et à son déroulement, ainsi qu’à ses causes lointaines. La classe 1 regroupe des formes se référant au jeune prince, Adel bey, et au début de la révolte, lorsqu’il a quitté son foyer princier pour prendre la tête des tribus révoltées dans les montagnes de l’Ouest. D’après les renseignements postés par Botmiliau, « les Montagnards, parmi lesquels s’est jeté le prince, se divisaient en neuf tribus principales : des Khumirs, limitrophes de l’Algérie, des Ouchtatas, des Maknas, des Nefzas, des Chihias, des Débébes, des Amdouns. La plus puissante est celle de Kumirs, sous le nom de laquelle, quelques fois, les autres sont également désignés [50] ». Pour étouffer rapidement cette rébellion montagnarde, Mohamed Sadok bey dépêcha le général Ahmed Zarrouq à la tête d’une petite colonne mal équipée et rejoignit hâtivement le Djebal. Il recueillit auprès de ses espions des informations qu’il transmit incessamment au Bardo, et d’après lesquelles Al Adel serait arrivé à la maison de Darrâgi, qui lui aurait accordé la bayʿa (l’investiture) [51].
35Mohamed Sadok bey réunit ses frères afin de les renseigner sur cet incident, alors que son frère Ali, son héritier présomptif, lui demanda la permission pour se diriger vers les lieux de la dissidence, en promettant de ramener le jeune prince séditieux vif ou mort. Il requit, pour l’occasion, le concours du général Selim et demanda à Sadok bey de lui confier le commandement de la colonne d’Ahmed Zarrouq. Ali bey se dirigea vers les lieux à la tête d’une trentaine de cavaliers et y arriva trois jours plus tard [52]. Aussitôt, il expédia au jeune prince une lettre où est écrit :
« je suis sidéré de te voir perdre la tête, poussé par Satan à commettre une pareille sottise. Pourquoi nous semons la discorde au sein de notre famille, nous, qui sommes du même sang et descendons du même père ? Ce qui nous fait mal te fera certainement mal, et ce qui te fait mal nous fera forcément mal. Si tu pouvais voir l’état de ta mère et de tes sœurs, depuis que tu es parti, tu auras pitié de leurs larmes [53] ! »
37Le jeune prince refusa dans un premier temps de se rendre. Mais un peu plus tard, en se sentant malade, et probablement aussi affecté par la décapitation du général Rachid, il accepta de revenir au Bardo [54]. Le 8 octobre, vers dix heures du matin, se sentant mourir, Adel bey pria son frère de lui envoyer la voiture qu’il avait refusée la veille. Quelques heures après, il « se trouvait au camp avec son frère ». Sur les lieux, Ali bey fit décapiter le nommé Djellouli, conseiller du jeune prince, « dont les deux frères sont réfugiés au consulat de France, et le nommé El Gélali [al Filali], son secrétaire. Les deux têtes ont été envoyées au bey, neuf prisonniers, parmi lesquels se trouvaient quelques-uns des amis du prince, qui s’étaient enfuis avec lui, venaient d’arriver enchaînés au Bardo [55] ». Le lundi 14 octobre, à six heures du soir, le prince séditieux arriva au Bardo, où il fut considéré comme prisonnier sans condition [56]. Lors d’un conseil auquel avaient assisté les ministres et les généraux, le jeune prince fut condamné à la détention perpétuelle et enfermé dans une pièce du Bardo, dont les portes et les fenêtres furent murées. Peu de jours après son arrestation, et au moment où sa santé paraissait rétablie, il rendit l’âme [57].
38Toujours dans la logique du discours consulaire et dans la première partie de son interprétation des faits, la classe 4 correspond aux causes qui ont poussé le jeune prince à se soulever contre son frère. La politique impromptue menée par le serviteur mamelouk, élevé au rang de Premier ministre, apparaît à l’origine, non seulement de ce soulèvement, mais de tout l’état regrettable dans lequel a sombré le royaume. Mustapha Khaznadar, par ses dilapidations et ses exactions, a acculé le jeune prince à se révolter, et a enfoncé impitoyablement tout le pays dans le gouffre.
39Sans cacher son inimitié pour le Premier ministre, Botmiliau rapporte que Mustapha, ministre de son prédécesseur, avait l’entière confiance de Sadok bey : « à peu près du même âge que le bey, Grec de naissance, né à Chio, chrétien par conséquent, mais acheté comme esclave dans son enfance et converti à l’Islamisme, il s’est élevé par la faveur de ses maîtres des fonctions les plus modestes de la domesticité, au rang qu’il occupe aujourd’hui ». Le consul admet, dans la même lettre, que même si Mustapha Khaznadar est « entièrement dénué d’instruction », il est « d’une intelligence peu commune, d’une finesse surtout qu’il serait difficile de surpasser », et qu’il est « aujourd’hui tout puissant dans la Régence » [58].
40Toutefois, l’apparition des formes « constitution » et « pacte fondamental » dans cette classe semble, à première vue, surprendre, car elles n’ont aucune relation directe avec cette agitation. Mais elles peuvent être rapportées à la position du consul et à sa conception de la nature du pouvoir beylical en place. En effet, le Premier ministre tenait vigoureusement au rétablissement du Pacte fondamental et à la Constitution de 1861, qui furent suspendus au lendemain de la révolte de 1864, connue aussi dans l’historiographie par la révolte de Ali Ben Ghedâhem. Selon les allégations de Botmiliau lui-même, Mustapha Khaznadar, en dépit de l’emprise qu’il avait sur son maître, Mohamed Sadok bey, et quoiqu’il ait réussi à réunir tout le pouvoir entre ses mains, craignait encore un revirement de la situation et redoutait que Sadok bey, qui « a encore de la férocité dans son caractère », puisse lui envoyer le cordon sur une instigation secrète, avant qu’il ne puisse prendre aucune mesure pour sauver sa tête [59].
41Les classes 2, 3, 5 et 6, dans leur globalité, regroupent les mots qui correspondent aux conséquences de cette révolte sur le sort de la Régence. La classe 2 se rattache à la crise des finances tunisiennes, qui commence, selon lui, avec l’avènement de Sadok bey. En effet, la politique de prodigalités, qui compromit irrémédiablement les finances tunisiennes et les expédients locaux, vite insuffisants, contraignirent le beylik à faire appel aux capitaux étrangers à partir de 1863. Une succession d’emprunts, en 1863 et 1865, favorisa les financiers : Erlanger, Oppenheim, Pinard. En 1867, « de plus en plus pressé par le besoin d’argent », le gouvernement « a fait [mars 1867] ce qu’on a appelé la conversion de sa dette, ou plutôt d’une partie de sa dette flottante (12 000 000 francs), c’est-à-dire qu’il a échangé ses bons échus contre d’autres bons à termes plus ou moins éloignés » [60]. En livrant ses réflexions personnelles sur cette crise, Botmiliau concluait :
« si je me demandais ici, ce qu’est devenu le produit de ces différents emprunts, une seule réponse serait possible : la fortune du Khaznadar est évaluée à 80 [000 000] ou 100 000 000 [unité monétaire non précisée dans la source], celle du général Ben Ayed, aujourd’hui retiré à Paris, à 40 000 000, celle de Mr Dahdah qui, il y a quelques années, n’avait absolument rien, à 6 [000 000] ou 8 000 000, personne ne peut dire à combien s’élève la fortune de chacun des mamelouks favoris du Khaznadar, mais ce sont des sommes énormes […]. Mais aussi, en dehors de ces fortunes, que toute conscience honnête n’hésitera pas à appeler scandaleuses, il n’y a plus rien. Les téskérés [bons du Trésor] du bey sont aujourd’hui à la Bourse de Tunis, l’objet d’un jeu qui achèverait de discréditer le gouvernement [61] ».
43Dans une nouvelle lettre, le consul résume la situation financière de l’État beylical en des termes des plus éloquents : « le gouvernement tunisien doit à tout le monde et ne paie personne [62] ».
44Cette deuxième classe fait encore référence aux intérêts et aux enjeux impériaux qui ont surgi à travers le soulèvement de Adel bey. Analysant ces enjeux et ces conflits impériaux, le consul français déclarait que « toutes les puissances de l’Europe sont représentées à Tunis ; mais trois de ces puissances y ont seules des intérêts sérieux ; c’est avec la France, l’Angleterre et l’Italie ».
45Des intérêts de l’Italie il écrit qu’on « lui a souvent attribué, en raison, sans doute, de la proximité des côtes de la Sicile, des projets ambitieux sur la Régence ». Cependant, il ne croit pas qu’il y ait à s’en préoccuper car « l’Italie a trop de difficultés intérieures. Ses finances sont dans un trop déplorable état, pour qu’elle puisse s’arrêter sérieusement à une pensée de colonisation, qui, indépendamment des embarras politiques qu’elle lui attirerait, entraînerait pour elle des dépenses si fortes en dessus de ses forces ». Il ajoute que même si les Italiens – les Siciliens surtout – sont, à Tunis, nombreux, et la langue italienne très répandue, « cette population est généralement pauvre, composée surtout de simples ouvriers ou de petits marchands, elle ne présenterait aucun élément sérieux d’influence dans le pays [63] ». Botmiliau juge de même peu probable un établissement dans la Régence tant que la France est en Algérie et minimise même ladite « influence anglaise » :
« L’Angleterre n’a à Tunis que des intérêts, ceux de ses sujets de Malte, qu’elle n’a jamais assimilés à ceux de ses sujets anglais. Il est vrai que les Maltais sont ici en grand nombre. Actifs, intelligents, rarement arrêtés par des scrupules de conscience, ils ont accaparé plusieurs branches du commerce et de l’industrie, beaucoup sont arrivés à des fortunes considérables. Mais pas plus que les Siciliens, ils n’offriraient à leur gouvernement les éléments d’une influence sérieuse [64] ».
47À la suite de cette présentation des deux politiques, italienne et anglaise, Botmiliau conclut que la France et ses intérêts dans la Régence sont les plus desservis par cette situation anarchique. Il livre alors encore une fois ses réflexions personnelles, et c’est ici que le projet d’instituer une commission financière, constituée exclusivement d’agents français, fait son apparition. Pour Botmiliau, garantir le remboursement des dettes des banques européennes passe nécessairement par l’institution d’une commission financière, qui doit prendre la charge de gérer les revenus de l’État tunisien et de payer ses dettes. Et le projet semble clair dans son esprit, puisqu’il a déjà prévu de confier la présidence de cette commission au général Khéréddine. Ce choix puise ses fondements dans une vaste littérature diplomatique procédant par une représentation manichéenne des mamelouks. Celle-ci oppose Mustapha Khaznadar, « le Grec », « sournois, flatteur, versatile, sans principes », à son gendre « le général Khéréddine », « le Caucasien », « homme instruit, intelligent, ayant voyagé en Europe et capable d’en apprécier la civilisation ». Khéréddine est en effet, après son beau-père, le « personnage le plus en évidence, celui qui, par son absence même, en ce moment, des affaires, semblerait le plus naturellement indiqué ». Il s’efforcerait, toujours selon l’avis de Botmiliau, de mettre un terme à de nombreux abus [65].
48La classe 3 est associée à la misère dans laquelle sombrèrent la Régence et sa population. Elle regroupe les formes « faim », « ruine », « déplorable », également des formes associées aux réformes et au gouvernement, qui suggèrent que l’une des causes de ce désastre est la corruption du personnel gouvernemental, principalement les mamelouks, plus soucieux de leurs intérêts personnels que de l’état du pays.
49Il y a peu de doute, que ce discours diplomatique cible les mamelouks. Que l’on songe par exemple à Charles de Beauval [66], ancien consul à Tunis qui interprétait l’insurrection de 1864 comme un soulèvement contre la domination et la corruption des mamelouks. Ou encore à Botmiliau lui-même, qui a fait de la présence mamelouke un véritable danger pour les intérêts de la France à Tunis. On se rend compte de l’importance de ce discours dans l’orientation de la stratégie française en Tunisie. Dans l’une de ses lettres, Botmiliau écrivait :
« le gouvernement [tunisien] en est arrivé à un point de n’avoir plus qu’une préoccupation, celle de se procurer les fonds strictement nécessaires pour subvenir aux besoins de chaque jour. Quant à l’avenir du pays, aux réformes […] introduites dans l’administration pour assurer cet avenir, moins que jamais il y pense aujourd’hui […]. Nous n’en avons aucune à attendre de l’administration actuelle et, si elle tombait, je doute que l’on puisse compter beaucoup plus sur celle qui la remplacerait telle qu’elle [fit]. C’est qu’un gouvernement réellement national est impossible ici, et la petite aristocratie de mamelouks, qui composera toujours l’administration, pensera à elle avant de penser au pays [67] ».
51Ce procès à charge a largement influencé l’écriture de l’histoire de la Tunisie, et même les sources tunisiennes de l’époque l’ont indistinctement repris. Le témoignage de Bayrem V, à titre d’exemple, montre l’aversion totale que son auteur nourrit envers Mustapha Khaznadar. Son texte est une reprise sans réserve de ce discours diplomatique et du rapport établi par François Villet [68], vice-président de la commission financière, auquel il se réfère dans l’analyse de la crise des finances tunisiennes [69]. Beaucoup d’études historiques, à leur tour, ont adopté cette vision sur la responsabilité des mamelouks. André Martel considère, notamment, que la crise tunisienne fut le résultat d’une politique inopportune et d’une exploitation éhontée et à outrance du pays par les mamelouks. Cette politique aurait facilité la transformation de l’influence française en protectorat [70]. Jean Ganiage, plus radical encore, ne retient de l’histoire de la Tunisie entre 1860 et 1878 que le récit de sa banqueroute financière et de sa mise en tutelle par l’Europe [71].
52Diverses études, récentes ou plus anciennes, amènent cependant à nuancer ces interprétations. Partant d’une lecture critique des liens qu’entretenaient les beys avec leurs serviteurs et rejetant la thèse de l’extranéité des mamelouks par rapport à une « société autochtone », Leila Blili analyse autrement le « fait mamelouk ». Pour elle, le pouvoir beylical, étant despotique et patrimonial, s’appuie nécessairement sur des hommes assimilés à des Turcs, qui demeurent des hommes-liges, entretenant des relations strictement verticales avec le souverain, et leur extranéité par rapport à la société locale demeure une condition de leur montée politique. Cet état de servilité de la classe politique permettait au souverain d’exercer sans limite son pouvoir absolu et de récupérer, à tout moment et à sa seule guise, ce qu’il avait légué [72].
53La classe 5 regroupe les expressions relatives aux désordres causés par l’insurrection de 1864 et aggravés par la révolte du jeune prince, dont les rapports des vice-consuls français et surtout ceux du Sahel et Sfax témoignent à l’envi. Dans ces régions, les tribus ont semé la panique en pillant les caravanes et en désorganisant le cours des échanges entre les villes, tout en affectant le commerce européen, tandis que les gouverneurs locaux (caïds) étaient incapables d’imposer le calme. Le consul se plaint, ici, considérablement de cet état de désordre et met en avant le faible pouvoir du dynaste à le contenir et à faire régner la paix.
54Botmiliau aborde la question des frontières de la Tunisie avec l’Algérie française, qui décidera en dernier ressort de la politique de la France vis-à-vis de la Tunisie. L’instabilité qui y règne risque, estime-t-il, de troubler la paix que la France est parvenue péniblement à imposer en Algérie. Or la pacification de ses frontières avec la Tunisie n’est possible, poursuit-il, au vu de la faiblesse du pouvoir central, que par son annexion. Et de fait, certains négociants français, parmi les plus influents, ne se retiennent pas pour dire que la conquête de la Tunisie est le seul moyen d’avoir raison des difficultés actuelles [73].
55La classe 6 vient couronner cette situation. Elle regroupe des termes relatifs à la dette tunisienne et aux intérêts européens qui suggèrent que le bey serait incapable, en raison de cet état d’anarchie, d’honorer ses promesses envers ses créanciers, et qu’il a épuisé toutes ses ressources – perception d’impôts, augmentation des taxes, vente par anticipation des récoltes… Botmiliau appelle à une intervention de la France pour empêcher la ruine complète du pays et garantir ses intérêts. La France, rappelait-il à son ministre, a « des intérêts considérables et de diverses natures engagés dans la Régence », qui doivent guider sa politique. Il ajoute à l’appui de son opinion et des intérêts français :
« en dehors d’une attitude ferme et résolue vis-à-vis du gouvernement du bey rien n’est possible. Le Khaznadar oppose à toutes nos justes réclamations sa force d’inertie et sa confiance [dans] son habilité personnelle. Le jour où il aura la certitude que cette force d’inertie et cette habilité ne lui suffisent plus, il cèdera [74] ».
57Botmiliau pose sans détour la question d’une intervention : « devons-nous attendre encore, prévenant les évènements, [ou] prendre dès à présent les mesures nécessaires pour arrêter la ruine complète du pays » ? Il estime de son devoir de conseiller son gouvernement et écarte alors ces deux solutions – s’emparer de la Tunisie et l’annexer aux possessions algériennes de la France, ou l’occuper à titre de gages pour les sommes qui sont dues à la France. Il écarte ces termes d’alternative pour les raisons suivantes. D’abord, « les réclamations les plus importantes par leur chiffre et qui sont les véritables difficultés de la situation, les emprunts et la dette flottante, ne se présentent pas avec un caractère tel qu’il puisse motiver une intervention susceptible d’entraîner des mesures coercitives ». Pour justifier une intervention directe, il faudrait que les faits dommageables intéressent exclusivement des Français. « Or lorsqu’on examine les griefs des réclamations, on voit que nos nationaux souffrent non pas d’actes qui seraient particulièrement accomplis à leur détriment mais qu’ils souffrent d’un état de choses qui atteint indistinctement tous les habitants de la Régence, nationaux et étrangers [75] ».
58En ce qui concerne les emprunts, les contrats ayant reçu leur exécution en France intéressent plus spécialement les Français ; mais ces engagements, par leur nature, n’ont pas droit à une intervention caractérisée, et les titres qui les représentent étant au porteur, il est difficile de déterminer exactement leurs propriétaires. Aussi, pour les créances rentrant dans la dette flottante, le gouvernement tunisien en avait négocié la conversion avec les négociants étrangers, autres que les Français, si bien « que, parmi ces derniers, une partie a accepté la conversion, tandis que d’autres l’ont rejetée, que, en ce qui concerne la conversion elle-même, la maison Erlanger et les négociants ont des intérêts opposés, qu’il résulte de là un antagonisme de prétentions dont le gouvernement français ne peut, sans inconvénient, se faire juge [76] ».
59Sur le plan pratique, Botmiliau jugeait les moyens insuffisants à satisfaire ces divers intérêts. Il avance alors l’idée d’instituer une commission financière dirigée par Khéréddine, l’homme qui pourrait, selon ses propres assertions, sauver les intérêts de la France et de ses négociants, prélude aussi à la colonisation de la Tunisie. Botmiliau se rattache ainsi dans son discours à l’aspect politique de cette révolte. Il présente Adel bey sous l’image d’un héros, le seul qui a osé lever la voix pour dénoncer la politique désastreuse de Mustapha Khaznadar et défier le pouvoir de son frère, tombé totalement sous son influence. Mais, trahi par son frère, bey du camp, Adel bey fut incarcéré et mourut empoisonné.
60La confrontation de ce discours avec les archives officielles de l’État tunisien nous permet toutefois de voir cet évènement sous un angle différent. La correspondance privée d’Al Adel avec Mustapha Khaznadar [77] révèle, au-delà de la familiarité entre les deux hommes, le dénuement complet dans lequel il se trouvait. Cette indigence touchait d’ailleurs toute la famille beylicale. D’autres correspondances privées confirment cet état. Taher bey, un autre prince husseinite, se déclarait lui aussi préoccupé par cette situation [78], et le bey du trône lui-même en était victime. Les lettres et les plaintes déposées contre lui de la part d’un tailleur français, Geoffroy, en témoignent : ce tailleur lui réclamait la somme de 11 913 francs pour des habits qu’il lui avait fournis [79].
61Ces documents d’archives décrivent une cour absorbée par les problèmes de son impécuniosité, et permettent de juger de sa situation financière affligeante. Al Adel bey, juste avant sa fuite, confiait à Mustapha Khaznadar :
« je suis dans le dénuement total, au point que, pour affronter les dépenses de ramadan, j’ai dû vendre deux bracelets. Depuis six jours, je n’ai pas pu faire entrer à la maison un morceau de viande. Les bouchers de Tunis ne veulent plus me vendre à crédit car, disent-ils, nous ne voulons pas être roulés comme le boucher du Bardo, qui court toujours derrière son dû. Même le blé manque. J’achète donc de la semoule chez un Juif car personne ne veut me vendre à crédit. Il n’y a plus une goutte d’huile à la maison, et nous avons passé une nuit entière dans l’obscurité. Les animaux sont restés six jours sans manger un grain d’orge [80] ».
63Dans une autre lettre, toujours adressée à Mustapha Khaznadar, il rappelle que sa femme est arrivée à terme et qu’il n’a rien pour affronter les frais occasionnés par l’heureux évènement. Il décrit les deux pièces où il vit avec femmes, enfants et serviteurs [81] et lui demande alors, pour cette occasion, une maison pour sa famille, du blé pour ses provisions, de l’orge pour les animaux [82]. Cette documentation pourrait laisser penser que le soulèvement de Adel bey n’avait d’autre motivation que les conditions lamentables dans lesquelles il était tombé. Mais il n’était pas le seul prince à vivre dans ces conditions, et Taher bey, son frère, était presque dans la même situation [83]. Derrière cette révolte, il y aurait d’autres raisons que leur dénuement particulier.
64Dans une lettre, Al Adel confie qu’il s’est rebellé à cause des conditions dans lesquelles se trouvait le pays et pour faire disparaître la détresse de sa population [84]. Gustav Nachtigal, contemporain de la révolte et très proche du pouvoir, pense que Adel bey ne se serait dressé contre son frère que sous une influence extérieure et par instigation de quelques parties [85]. À cet effet, dans sa déposition, Al Adel avoue avoir été incité par le général Rachid. Les archives avalisent ces aveux : Al Adel aurait été engagé dans ce soulèvement du palais sans avoir été préparé. Les sources nous apprennent aussi que le général Rachid lui aurait promis en échange aide et soutien ; il aurait bien fourni 10 000 piastres et se serait engagé à lui fournir, à son arrivée dans les montagnes, 150 000 piastres [86].
Conclusion
65L’analyse lexicométrique menée sur la correspondance de Botmiliau a permis d’appréhender ce corpus comme un discours fondé sur des représentations et induisant des « mondes lexicaux [87] ». Les conclusions auxquelles cette approche numérique nous a conduit viennent soutenir des hypothèses que nous avons déjà avancées dans notre thèse sur la Régence de Tunis entre 1864 et 1869 [88]. Elles montrent que l’occupation de la Tunisie par la France était le résultat d’un long processus, d’une action consulaire subversive et liée intimement à la situation interne du pays, beaucoup plus qu’à une décision métropolitaine. C’est déjà sous le mandat du précédent consul, Charles de Beauval, que le projet d’annexer la Tunisie à l’Algérie, colonie française, commença à être abordé, avant de prendre une forme concrète dans l’esprit des représentants diplomatiques de la France sous l’impulsion des négociants français, qui craignaient pour leur argent placé dans la Régence, que ce soit sous forme de crédits au gouvernement ou comme emprunts aux commerçants locaux.
66Cette conclusion contredit ainsi la vision téléologique, qui fait de la colonisation française de la Tunisie en 1881 une fatalité historique, et l’incontournable résultat de l’agression coloniale. Les instructions qui arrivaient de Paris aux consuls généraux de France à Tunis étaient claires et fermes, et leur interdisaient de s’ingérer dans les affaires internes de la Régence. La décision de Charles de Beauval en 1864, contraire à ces instructions, d’entrer en contact avec les insurgés, lui valut une révocation, moins d’un an après son arrivée. Les instructions que recevait Botmiliau allaient dans la même direction. Le 29 juillet 1869, le ministre des Affaires étrangères, Godefroi de La Tour d’Auvergne, les lui rappelait en ces termes :
« Je vous ai recommandé de procéder, en tout ce qui regarde la commission financière, par voie d’entente préalable avec vos collègues d’Angleterre et d’Italie. En insistant sur cette prescription, je ne fais que me conformer à la pensée qui a dirigé le gouvernement de l’Empereur dans les négociations relatives à l’affaire de Tunis ; […] il s’est proposé pour but de mettre en lumière la communauté des intérêts et la nécessité d’un accord avec les trois puissances [89] ».
68Le discours du consul de France, François de Botmiliau, que révèle l’analyse lexicométrique, s’articule autour des thèmes du désordre, de la corruption, des dettes, et appelle à l’établissement d’une commission financière ; il ne semble pas correspondre, au moins en partie, au projet colonial français. Toutefois, cette correspondance a aussi un caractère prophétique [90], car c’est sous l’impulsion des créanciers français, dont il était le porte-parole, que Botmiliau parvint à convaincre Mohamed Sadok bey de créer une commission financière, dont le but était de percevoir les revenus du royaume et de les répartir entre les créanciers et l’État. Cette commission devait être composée d’agents exclusivement français [91]. Sadok bey acquiesça et entérina ce projet par son décret du 4 avril 1868. Les protestations qu’il suscita chez les représentants consulaires de Londres et de Florence conduisirent Sadok bey à revenir sur cet engagement et à considérer « comme lettre morte une décision obtenue de lui, prétendait-il, par intimidation ». Devant ce revirement brutal, Botmiliau se révolta, suspendit ses relations, amena « son pavillon (24 avril) », mais en vain. Le bey s’obstina et, admettant le principe d’une commission financière, exigea qu’elle soit non plus franco-tunisienne mais internationale.
69Botmiliau, qui ne quittera la Tunisie qu’en août 1873, après six ans de manœuvres, dépeignait dans les mêmes formes et catégories la situation de la Régence et concluait toujours sur son annexion. « Tout semble se dissoudre, dans ce pays », écrit-il en prévoyant la catastrophe finale rendue imminente à ses yeux, non seulement par la banqueroute mais aussi par l’anarchie. Il ajoutait encore qu’au moment où la France n’était pas encore relevée de ses désastres, de pareilles prévisions devaient singulièrement contrarier sa politique de recueillement et de réparation. Son dernier rapport concluait dès lors à la nécessité d’occuper la Régence dans un avenir peu éloigné et que, désormais, cette occupation ne pouvait être évitée [92]. Par son action et la nature des renseignements qu’il transmettait à son ministère, Botmiliau montre ainsi comment la figure consulaire d’un agent diplomatique pouvait s’articuler à un projet de colonisation [93].
Bibliographie
Sources archivistiques
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- Série historique. Dossiers nos 6, 11, 2265, 2528. Cartons nos 2, 14, 21.
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Travaux
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Notes
-
[1]
Promulgation de la première Constitution tunisienne en 1861, création d’un ensemble d’institutions consultatives, constitution des tribunaux de diverses instances.
-
[2]
La Tunisie était alors une province ottomane semi-autonome, dirigée par un gouverneur investi du titre de « bey ». À l’origine, celui-ci représentait l’empire ottoman à Tunis. Depuis le début du xviiie siècle, ce régime beylical s’est transformé en monarchie dont le bey est le souverain. Princes héréditaires, les descendants de Hussein Ben Ali (1705-1735), père fondateur de la dynastie husseinite, accaparent le pouvoir jusqu’à l’abolition du régime monarchique après l’indépendance. Les husseinites accédaient au trône par ordre de primogéniture masculine. Le prince régnant est appelé « bey du trône » ou « bey al korsi ». Son héritier présomptif est investi à son tour du titre de « bey du camp » ou « bey al amhal » ou encore « bey al mhalla ».
-
[3]
J. Poncet, 1954, p. 324.
-
[4]
Ce prince est Al Adel bey, huitième fils de Hussein bey et demi-frère du bey régnant, Mohamed Sadok. Il est né en 1830. Quand son père meurt, il est encore enfant. Sa mère, dont on ignore l’identité, est vivante lorsqu’il déclare l’insoumission au pouvoir de son frère, Sadok, bien qu’il ait été élevé sous son giron. L. Blili Temime, 2004, p. 159.
-
[5]
Mohamed Sadok bey est né en 1814. Il est nommé bey du camp en 1855 et accède au trône après la mort de son frère ainé Mohamed bey, en 1859 et s’y tiendra jusqu’à sa disparition en 1882. J. Hammami, 2015, p. 315.
-
[6]
A. Temimi, 1970 ; L. Blili Temime, 2004 ; M. Oualdi, 2011. J’ai aussi consacré une partie de ma thèse à cette révolte dans le cadre de la « cour ébranlée » et de l’affaiblissement du pouvoir beylical. J. Hammami, 2015.
-
[7]
L’évolution de la Régence de Tunis durant cette période, c’est-à-dire de 1830 à 1881, était inextricablement liée à l’apparition de l’impérialisme français. Depuis la conquête d’Alger en 1830, la France exerçait sur les beys de Tunis une tutelle effective, notamment sous le Second Empire (1851-1870), quand elle allait jeter les fondements d’un deuxième empire colonial.
-
[8]
Sur cette transformation de l’institution consulaire, voir à titre d’exemple J. Ulbert & G. Le Bouëdec, 2006. Pour une vue d’ensemble sur l’évolution de la fonction consulaire, voir J. Pradells Nadal, 1992 ; A. Bartolomei, 2014 ; id., 2017, p. 1-17.
-
[9]
S. Marzagalli, 2015, p. 10.
-
[10]
A. Mezin, 2006.
-
[11]
Archives du ministère des Affaires étrangères (MAE), Correspondance politique (c. p.), dossier (d.) 27, lettre du 13 septembre 1867.
-
[12]
M. Tournier, 2002.
-
[13]
Encore en phase de test, l’AMCI (Analyse, Matrice, Corpus, Intelligent) est un logiciel d’analyse de données textuelles mis au point par l’unité de recherche Études méditerranéennes et internationales (EMI, dirigée par Mme Rachida Tlili Sellaouti, Faculté des lettres, des arts et des humanités de l’université La Manouba), qui traite tout type de texte, dans différentes langues. Il est proche du logiciel IRaMuTeQ développé au sein du Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LÉRASS, Université de Toulouse), téléchargeable sous licence GNU GPL (v2) et programmé en python et R (URL : http://www.iramuteq.org/), qui implémente la méthode de classification décrite par Max Reinert dès 1983. Le choix de l’AMCI est motivé par son originalité : aide informatique (guide) pour décrire les formes linguistiques du corpus ; démarche inductive sur le corpus ; mise à la disposition de l’utilisateur d’outils explicatifs et fichiers complémentaires ; contrôle des conditions de production des résultats obtenus.
-
[14]
Sur cette question, voir, par exemple, A. Salem, 1984.
-
[15]
H. Khelifi, 2018 ; voir également P. Lafon & A. Salem, 1983 ; C. Muller, 1992.
-
[16]
Botmiliau (François, vicomte de), diplomate français né à Guingamp en 1817. En 1840, il est engagé à Lima en tant qu’élève consul, puis à Valdivia, comme consul. Après une mise en inactivité entre 1848 et 1850, il est nommé successivement à Iassy, Jérusalem, Elseneur et Veracruz (janvier 1856) ; puis promu consul général et chargé d’affaires, d’abord à Guatemala (février 1857) puis à Belgrade (octobre 1862). Il arrive à Tunis en mars 1867, où il va diriger le consulat de France jusqu’à son admission à la retraite, en juin 1873. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 574, 575.
-
[17]
P.-H. d’Estournelles de Constant, 2002 [1891].
-
[18]
Moustier (François, marquis de), diplomate français né en 1817, mort à Paris en 1869. Conseiller général du Doubs, député à l’assemblée législative, en 1849 ; ministre plénipotentiaire à Berlin en mars 1853 ; ambassadeur à Vienne, en novembre 1859 ; à Constantinople en août 1861 ; ministre des Affaires étrangères du 1er septembre 1866 au 17 décembre 1868. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 593.
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[19]
Les lettres formatées et traitées par le logiciel et analysées dans cet article ne couvrent que la période de la révolte de Adel bey : du 11 septembre au 24 octobre 1867.
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[20]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 31 décembre 1867.
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[21]
Mattei (Jean), né en 1827 à Benghazi, mort à Sfax en 1903. Il était le fils d’un sous-officier corse, devenu capitaine de la marine marchande, installé à Benghazi, puis à Sfax. Jean Mattei avait deux frères et quatre sœurs, dont l’une épousa Espina, agent consulaire de France à Sousse ; il eut lui-même neuf enfants. Courtier pour le compte de maisons marseillaises, il était en relations avec les tribus de l’intérieur. Agent actif, très lié avec Roustan, il milita vivement en faveur de l’intervention française en Tunisie. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 591.
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[22]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 31 décembre 1867.
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[23]
Cubisol (Charles), né à la Goulette en 1817, d’une famille originaire de la Ciotat. Marié à Camille Bottary à Tunis en 1845, puis à la sœur de celle-ci, Marie, en 1855, il décède en 1868. Vice-consul de France à la Goulette depuis 1855, Cubisol était en même temps consul de Belgique et agent consulaire de presque toutes les puissances européennes. Il était également agent des compagnies de navigation françaises ; son fils Joseph lui succéda en 1868. J. Ganiage, 1968 [1959], p. 578.
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[24]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 4 octobre 1867.
-
[25]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 19 décembre 1867.
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[26]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 23 novembre 1867.
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[27]
Mustapha Khaznadar, ou Giorgios Kalkias Stravelakis, est un mamelouk grec originaire de l’île de Chio, de confession chrétienne. Il est né en 1817 à Kardamila et enlevé à l’âge de 8 ans pour arriver à Tunis six ans plus tard. Introduit dans l’intimité des princes husseinites, il fut élevé aux coutumes et aux traditions de la cour et fut, en 1837, attaché au service du prince Ahmed, comme trésorier (khaznadar). Mustapha Khaznadar tenait le deuxième rang dans la hiérarchie du pouvoir pendant le règne de trois beys consécutifs, de 1837 à 1873, et était le premier à porter officiellement le titre de al wazir al akbar (Premier ministre ou Grand ministre), qu’il associait longtemps à celui de wazir al ‘amala (ministre de l’Intérieur), wazir al ‘umur al kharigiyya (ministre des Affaires étrangères) et wazir al mal (ministre des Finances).
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[28]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 18 novembre 1867.
-
[29]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 25 novembre 1867.
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[30]
Khéréddine est un mamelouk d’origine circassienne né entre 1825 et 1830. Il arrive à Tunis vers 1840 et devient l’aide de camp du bey Ahmed. Il est nommé en janvier 1857 à la tête du ministère de la Marine avant de présider la Commission financière internationale, en 1869. En 1873, Khéréddine succède à son beau-père, Mustapha Khaznadar, à la tête du Grand ministère, en octobre 1873.
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[31]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 13 septembre 1867.
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[32]
Sur cette question, voir par exemple A. Salem, 1984 ; P. Lafon & A. Salem, 1983.
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[33]
C’est l’apparition d’un élément de la langue dans un texte.
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[34]
Ici on a choisi de lemmatiser les formes du corpus.
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[35]
Les mots que le logiciel prend en compte.
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[36]
Les mots non pris en compte.
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[37]
Nous reviendrons plus en détail sur cette classification dans l’analyse du discours.
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[38]
J.-J. Salone, 2013.
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[39]
On appelle « lemmatisation » l’opération qui consiste à remplacer une forme textuelle par sa forme réduite, telle que standardisée dans les dictionnaires de langue. Cette réduction a pour objectif d’améliorer l’analyse statistique et notamment le classement des « unités de contexte élémentaires » (UCE). Exemple : une forme verbale est réduite en infinitif, un substantif pluriel est réduit en singulier, un adjectif au féminin est réduit en masculin, une forme élidée est réduite sans élision.
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[40]
P. Marchand & P. Ratinaud, 2011.
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[41]
Un arbre prenant en considération toutes les formes du corpus.
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[42]
J.-J. Salone, 2013.
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[43]
Dans sa première acception, « informer » est l’action de donner une forme.
-
[44]
C. Larrère, 1979, p. 161-164.
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[45]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
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[46]
MAE, c. p., d. 27, dépêche adressée au ministre des Affaires étrangères, le 19 novembre 1867. Dans une autre lettre, du 25 novembre 1867, le consul Botmiliau écrit : « le Khaznadar, dans l’entretien confidentiel que j’ai eu avec lui à la Manouba […] m’a paru attacher le plus vif intérêt au rétablissement du Pacte fondamental ».
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[47]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
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[48]
J.-J. Salone, 2013.
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[49]
C’est une méthodologie d’analyse de données textuelles, intégrée dans le logiciel AMCI, qui cherche à rendre compte de l’organisation interne d’un discours. Elle est conçue en 1979 par Max Reinert (université de Versailles). Pour construire les classes d’énoncés significatifs, on utilise une méthode de classification descendante hiérarchique, permettant de traiter des tableaux logiques de grande dimension mais de faible effectif. La procédure proposée se situe au carrefour de plusieurs techniques d’analyse des données : segmentation, classification hiérarchique, dichotomie d’après une analyse factorielle des correspondances, nuées dynamiques. J.-P. Benzécri et al., 1981 ; M. Reinert, 1986b.
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[50]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 septembre 1867.
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[51]
L. Blili Temime, 2004, p. 160.
-
[52]
A. Ben Dhief, 1999, vol. 6, p. 111, traduction de l’auteur.
-
[53]
L. Blili Temime, 2004, p. 160.
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[54]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 4 octobre 1867. Dans cette lettre du consul du Danemark à Tunis au chef du département royal des Affaires étrangères à Copenhague, le 5 octobre 1867, Cubisol écrit que « d’après les avis qui arrivent des insurgés, Sidi El Adel ne s’est pas rendu à son frère, mais aurait été, par trahison de quelques chefs, attiré dans un guet-apens qui a pu permettre son arrestation par les soldats du bey du camp ». A. Chenoufi, 1990, p. 205.
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[55]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 8 octobre 1867.
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[56]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 22 octobre 1867.
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[57]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 10 novembre 1867.
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[58]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
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[59]
MAE, c. p., d. 27, dépêche adressée au ministre des Affaires étrangères, le 19 novembre 1867.
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[60]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 18 août 1867.
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[61]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 20 août 1867.
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[62]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 23 août 1867.
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[63]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 11 septembre 1867.
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[64]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 11 septembre 1867.
-
[65]
MAE, c. p., d. 27, lettre du 26 novembre 1867.
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[66]
Consul général intérimaire de France à Tunis, entre 1863 et décembre 1864. Sur l’action de ce consul et son ingérence dans les affaires internes de la Tunisie, voir J. Hammami, 2016.
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[67]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 29 août 1867.
-
[68]
Chef de service au ministère des Affaires étrangères à Paris et Inspecteur des Finances, Villet était chargé par le gouvernement français de la direction de la Commission financière internationale, sous la présidence de Khéréddine.
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[69]
Son témoignage est une dénonciation délibérée de la politique du Grand ministre, Mustapha Khaznadar, et de son emprise sur le bey régnant. Dans l’un de ses propos, il indique que « le bey ne faisait guère ses déplacements sans la présence de son Premier ministre. Quotidiennement, ce dernier faisait habiller le bey et lui tenait compagnie dans tous ses déplacements. Lorsque le Grand ministre ne pouvait le faire pour une raison ou une autre, Mohamed Sadok bey s’abstenait de se rendre à la hâdhira [la capitale] et même s’il s’y rendait, il se retenait de se promener et se consolait à scruter les souks par les fenêtres de son palais ». M. Bayram V, 1989, p. 189. Nous traduisons.
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[70]
A. Martel, 1959, p. 241. Il dénonce, à juste titre, la désorganisation financière, administrative et militaire due, à son avis, « à la faiblesse des souverains, impuissants à contrôler leur trop habile ministre, le Khaznadar, en place de 1837 à 1873, avec le seul souci de sa fortune personnelle ». Il considère que les réformes – la Constitution de 1861 en particulier – bien qu’elles aient séduit les Occidentaux par leur caractère libéral, ont renforcé « en réalité, au détriment de la toute-puissance beylicale, traditionnellement favorable à la France, le pouvoir des mamelouks, jaloux de leurs privilèges et sensibles à l’influence anglaise ».
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[71]
J. Ganiage, 1955. Sur les aspects de la crise financière tunisienne, voir M. Emerit, 1949 ; C. Ben Belghith, 1995.
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[72]
L. Blili Temime, 2004, p. 170.
-
[73]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 août 1867.
-
[74]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 29 août 1867.
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[75]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 août 1867.
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[76]
MAE, c. p., d. 26, lettre du 23 août 1867.
-
[77]
Archives nationales de Tunisie (ANT), Série historique (SH), Dossier (d.) 11, Carton (c.) 21, d. 2265-2528.
-
[78]
ANT, SH, d. 11, c. 21, d. 2265-2528.
-
[79]
ANT, SH, d. 6, c. 14.
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[80]
ANT, SH, c. 2, d. 21.
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[81]
L. Blili Temime, 2004, p. 160.
-
[82]
ANT, SH, d. 11, c. 21.
-
[83]
ANT, SH, c. 1, d. 11 : Les dettes des beys. Abdeljelil Temimi considère que cet état de dénuement a touché seulement Adel bey (A. Temimi, 1970, p. 83). En vérité tous les princes husseinites souffraient ce dénuement et étaient des « princes d’huile et de fromage ».
-
[84]
ANT, SH, d. 11, c. 21.
-
[85]
Tabib Al Mhalla, 2003, p. 262, nous traduisons.
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[86]
Tabib Al Mhalla, 2003, p. 86, 87, nous traduisons.
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[87]
M. Reinert, 1986a.
-
[88]
J. Hammami, 2015.
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[89]
Voir les Documents diplomatiques, publiés en janvier et en novembre 1869, note 86, p. 78.
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[90]
P. H. d’Estournelles de Constant, 2002 [1891], note 67, p. 63.
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[91]
« 1o Un inspecteur des finances français, vice-président ; 2o Deux délégués des porteurs de la dette extérieure ; 3o Le député de la nation française ; 4o Deux membres tunisiens choisis par le bey, d’accord avec notre agent, et dont l’un devait être le président ; 5o Deux membres désignés par les négociants étrangers ». P. H. d’Estournelle de Constant, 2002 [1891], p. 76, note 81.
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[92]
Livre jaune, dépêches des 14 et 28 décembre 1871, et Discours de M. J. Ferry, 1881, publiés par M. Rambaud. P. H. d’Estournelles de Constant, 2002 [1891], p. 87.
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[93]
On évoque ici l’exemple de Lesseps, consul français à Tunis lors de la prise d’Alger, en 1830, lorsqu’il fut chargé par son gouvernement d’imposer au bey un traité rédigé à Paris qui l’oblige à respecter le droit public européen, sans lui offrir les avantages de la réciprocité. Dans l’interprétation des clauses contestées, Lesseps aspira à occuper la position d’un intermédiaire digne de la confiance des Français et des Tunisiens. Il disait transmettre avec la même « impartialité » les réclamations du gouvernement du bey aussi bien que les plaintes et les observations des négociants français. Lesseps convainquit son gouvernement à consentir des délais et quelques accommodements. C. Windler, 2003, p. 89, 90.