Notes
-
[1]
Alain Perrodon, Histoire des grandes découvertes pétrolières. Un certain art de l’exploration, Pau/Paris, Elf Aquitaine/Masson, 1985, p. 221.
-
[2]
Meglena Jeleva, Jean-Marc Tallon, « Ambiguïté, comportements et marchés financiers », document de travail, Centre d’Économie de la Sorbonne, 2014, p. 2.
-
[3]
Laure Cabantous, Denis Hilton, « De l’aversion à l’ambiguïté aux attitudes face à l’ambiguïté. Les apports d’une perspective psychologique en économie », Revue économique, vol.57, n°2, 2006, p. 259-280, ici p. 261.
-
[4]
Gérard Mondello, « Une approche économique de la notion de prudence », Revue française d’économie, vol.8, n°3, 1993, p. 37-68, ici p. 44.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Adebayo Adedeji, « La situation économique de l’Afrique : vers une reprise ? », Politique étrangère, 1988, n°3, p. 621-638, ici p. 626-627.
-
[7]
Pierre Kipré, « Le développement industriel et la croissance urbaine », dans Histoire Générale de l’Afrique, vol. 8, L’Afrique depuis 1935, dir. Ali A. Mazrui, Paris, Éditions UNESCO, 1998, p. 385-417, ici p. 403.
-
[8]
La liquéfaction à -160° du gaz est utile pour son transport sur de longues distances : 1m3 de gaz liquéfié = 600 m3 de gaz à la pression atmosphérique.
-
[9]
L’Entreprise de Recherches et d’Activités Pétrolières (ERAP) est créée en 1965 de la fusion de la Régie Autonome des Pétroles (RAP) et du Bureau de Recherche de Pétrole (BRP). Elle lance sa marque Elf en 1967 et est surnommée Elf-ERAP jusqu’en 1976. Cette année-là, le regroupement d’ERAP et de la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) permet la constitution de la nouvelle Société Nationale Elf Aquitaine (SNEA). En 2000, Elf est rachetée par TotalFina. La société américaine Mobil est quant à elle issue de la fusion en 1931 de Standard Oil Company of New York (SOCONY) et de Vacuum Oil. En 1955, SOCONY-Vacuum est rebaptisé SOCONY Mobil Oil Company, puis Mobil Oil Company en 1966. En 1999, Mobil et Exxon fusionnent pour former Exxon Mobil Corporation. Pecten Cameroun est la filiale de la multinationale Royal Dutch Shell. Celle-ci naît de la fusion en 1907 de la britannique Shell Transport and Trading Company et de la néerlandaise Royal Dutch Petroleum Company. Au début des années 1970, la branche Shell Oil se spécialise dans l’exploration pétrolière et ses filiales internationales prennent le nom Pecten. La Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) est créée en 1980 avec le statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial. Son objectif assigné est de mettre en valeur les hydrocarbures au Cameroun et de gérer les intérêts de l’État dans ce domaine. La Compagnie Française des Pétroles (CFP) est créée en 1924. Elle est constituée comme une société d’économie mixte. En 1954, elle lance sa marque, Total, qui finit par devenir la dénomination de l’entreprise en 1991. Plus récemment, le rachat de la compagnie belge Petrofina aboutit en 1999 à la constitution de TotalFina. L’acquisition l’année d’après d’Elf Aquitaine donne naissance au groupe TotalFina-Elf redevenu Total en 2003.
-
[10]
Paul Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique : potentialités et problèmes », dans Ajustements Structurels et gestion du secteur énergétique en Afrique, dir. Alain Lapointe et Georges Zaccour, Paris, Technip, 1992, p. 27-38, ici p. 29.
-
[11]
Rasmus Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations in Sub-Saharan Africa », dans Policies and Finance for economic development and trade, Peter Gibbon et al., Danish Institute for International Studies (DIIS) Report, n°25, 2014, p. 27-44, ici p. 30-31.
-
[12]
Deux dossiers en particulier produits par Elf (Archives du groupe Total [désormais AGT], 07AH0049-50 : SNH, Rapport d’avancement contrats gaz, 1982 et 07AH0049-56 : SEGAZCAM, Conseil de gérance) fournissent d’intéressants procès-verbaux de réunions ainsi que des correspondances sur cet épisode.
-
[13]
De nombreuses correspondances ainsi que des notes d’information produites par ou pour l’Ambassade de France à Yaoundé portent également sur cette question. Voir Centre des archives diplomatiques de Nantes [désormais CADN], Yaoundé 743PO/2-91 et Yaoundé MCAC 744PO/1-15.
-
[14]
Des initiatives sporadiques en 1904-1907 et 1923-1936 ; puis, des actions plus systématiques dès 1947. Voir Moïse Williams Pokam Kamdem, « Les mutations du secteur de l’énergie au Cameroun : dynamique entrepreneuriale et agencements public/privé (1904-2001) », thèse de doctorat en histoire, Université de Dschang, 2015, p. 48-63.
-
[15]
1er janvier 1960 : indépendance de la partie orientale du Cameroun jusqu’alors administrée par la France ; 1er octobre 1961 : Réunification d’avec la partie occidentale jusqu’à cette date sous administration britannique.
-
[16]
La SEREPCA est créée en 1951 par le BRP.
-
[17]
Elle est de moins de 3 millions de tonnes en 1981. Le Gabon voisin en produit plus de 7,5 millions de tonnes à la même date. Voir Jacques Girod (dir.), L’Énergie en Afrique. La situation énergétique de 34 pays de l’Afrique subsaharienne et du Nord, Paris, Karthala, 1994, p. 438.
-
[18]
P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p. 28-29.
-
[19]
Derek Fee, Oil & Gas Databook for Developing Countries : With special reference to the ACP countries, London, Graham & Trotman Limited, 1985, p. 33.
-
[20]
AGT, 07AH0049-56, Correspondances de M. Malandain (direction du gaz naturel, SNEA) à MM. Marafat (SNH), B.-R. Moudio (Ministère des mines et de l’énergie) et N. Ngi Ngi (Ministère des mines et de l’énergie) au sujet des entretiens du 28 octobre 1980 et des développements gaziers au Cameroun, 5 novembre 1980. Elles insistent sur le travail effectué par Elf sur les sites du Lacq dès 1957 et de Frigg dès 1971.
-
[21]
Parfois désignée Société civile pour la mise en valeur du gaz naturel camerounais.
-
[22]
M. W. Pokam Kamdem, « Les mutations du secteur de l’énergie au Cameroun… », op. cit., p. 156-159.
-
[23]
R. Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations », art. cit., p. 30 ; A. Perrodon, Histoire des grandes découvertes pétrolières, op. cit., p. 221.
-
[24]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 6 mai 1982. Le représentant de Total y suggère que la prise en compte du gas cap se fasse avec prudence. Le gas cap est une accumulation de gaz libres dans la partie supérieure d’un gisement de pétrole.
-
[25]
Ibid., p. 5.
-
[26]
Les trains correspondent à des unités complètes et autonomes, disposées en parallèle dans une usine, qui assurent le traitement et la liquéfaction du gaz naturel.
-
[27]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 6 mai 1982, p. 5. « Il s’agit, poursuit-il, d’une contrainte nouvelle qui rendra les choses plus difficiles. »
-
[28]
AGT, 07AH0049-56, Note interne de C. Aldebert (Elf) au sujet du projet GNL Cameroun, 2 août 1982, p. 1.
-
[29]
Ian Bremmer, Preston Keat, The Fat Tail : The Power of Political Knowledge for Strategic Investing, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 5.
-
[30]
Howard L. Lax, Political Risk in the International Oil and Gas Industry, Boston, International Human Resources Development Corporation, 1983, p. 144.
-
[31]
R. Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations », art. cit., p. 30.
-
[32]
AGT, 07AH0049-50, Note de J.P. Charles à M. Béjanin au sujet du projet de contrat d’association gaz, 24 octobre 1980.
-
[33]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 28 janvier 1981, p. 4.
-
[34]
AGT, 07AH0049-56, Compte rendu réunion conseil de gérance SEGAZCAM, du 18-19 août 1982 par J. Bejanin (Elf), 24 août 1982, p. 1.
-
[35]
AGT, 07AH0049-56, Note interne de C. Aldebert (Elf) a/s Projet GNL Cameroun, 2 août 1982.
-
[36]
D’autres évaluations portent sur la somme de 3,6 milliards de dollars américains, incluant le coût de construction de l’usine et celui de production du gaz. Voir P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p. 29.
-
[37]
AGT, 07AH0049-50, Correspondance de D. Little et D. Edwards (Mobil-Total) à H.E. English (Pecten) et P. Moussel (Elf) a/s Cameroon LNG Project, 18 mars 1983.
-
[38]
AGT, 07AH0049-56, Note de P. Moussel à MM. Rutman, Tarallo et Bonnet de la Tour au sujet du projet GNL au Cameroun, 23 août 1982, p. 3.
-
[39]
M. W. Pokam Kamdem, « Les mutations du secteur de l’énergie au Cameroun », op. cit., p. 137-144.
-
[40]
Jenik Radon, « How to Negociate an Oil Agreement », Working Paper Series, Initiative for Policy Dialogue, 2006, p. 94.
-
[41]
R. Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations », art. cit., p. 30.
-
[42]
P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p. 29. Le British Thermal Unit (BTU) est une unité de mesure d’énergie particulièrement utilisée sur le marché du gaz pour en exprimer le prix. Le prix CAF (coût, assurance, frêt) est le prix d’un bien à la frontière du pays importateur.
-
[43]
AGT, 07AH0049-56, Projet GNL Cameroun. Première évaluation économique et planning avant-projet, août 1982.
-
[44]
P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p.28-29.
-
[45]
Catherine Locatelli, « L’industrie du gaz naturel en Russie : des réformes en débat », L’encyclopédie de l’énergie, 2017, http://encyclopedie-energie.org/articles/l%E2%80%99industrie-du-gaz-naturel-en-russie-des-r%C3%A9formes-en-d%C3%A9bat. Par la clause TOP, l’acheteur s’engage à acheter et à payer au vendeur une quantité définie de gaz, qu’il en prenne livraison ou pas.
-
[46]
Version originale : « President François Mitterrand probably brought some good news to President Paul Biya during his 20-21 June state visit to Cameroun : France has decided to throw its weight behind the US$4-5bn Kribi liquefied natural gas scheme. Construction work could begin by mid-1984, with the first LNG shipments reaching Western Europe by 1990. Cameroun may now beat Nigeria in the race to become sub-Saharan Africa’s first LNG producer. » [sic]. Voir Africa Confidential, 22 juin 1983, p. 7, in Foreign Broadcast Information Service, Sub-Saharan Africa Report, n°2826, 27 juillet 1983.
-
[47]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Société nationale Elf Aquitaine, Note sur le projet GNL du Cameroun, transmise au ministre des relations extérieures par B. du Chaffaut, Paris, 24 décembre 1982.
-
[48]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Lettre de Paul Biya à Pierre Mauroy, 5 novembre 1982 et Lettre de Bello Bouba à Pierre Mauroy, 15 janvier 1983.
-
[49]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Lettre de Pierre Mauroy à Bello Bouba au sujet de l’évolution du projet de mise en valeur des ressources gazières de Victoria et de Kribi, 15 janvier 1983.
-
[50]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Ministère des relations extérieures, Note au sujet du projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel au Cameroun, Paris, 7 juin 1983.
-
[51]
Direction de l’information légale et administrative, « Conférence de presse de M. François Mitterrand, président de la République, Yaoundé (Cameroun), mardi 21 juin 1983 », vie-publique.fr, http://discours.vie-publique.fr/notices/837117400.html.
-
[52]
Jean-Baptiste Duroselle, « Les conflits entre États et compagnies privées. Note introductive », Revue française de science politique, n°2, 1967, p. 286-293.
-
[53]
Ibid., p. 286.
-
[54]
Sophie Nivoix, « L’aversion au risque : pourquoi est-ce si difficile à mesurer ? », Management & Avenir, n°15, 2008, p. 65-78, ici p. 65.
-
[55]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 18-19 août 1982, p. 3.
-
[56]
AGT, 07AH0049-56, Note interne de C. Aldebert (Elf) au sujet du projet GNL Cameroun, 2 août 1982, p. 1.
-
[57]
AGT, 07AH0049-56, Note d’A. Tarallo à M. Montaut au sujet du projet GNL au Cameroun, 4 août 1982.
-
[58]
CADN, Yaoundé 743PO/2-91, C.VIII.2, Ministère des relations extérieures, note d’information au sujet de la situation du marché du gaz naturel, 1er mars 1985 et note d’information a/s des importations françaises de gaz naturel, 5 juillet 1985.
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[59]
Jean-Claude Willame, « Cameroun : les avatars d’un libéralisme planifié », Politique africaine, n°18, 1985, p. 44-70, ici p. 60-64. Créée en 1976 pour réaliser et exploiter un complexe agro-industriel de production de pâte à papier, une première en Afrique, la CELLUCAM est inaugurée en mars 1981. Au cours de l’année suivante, deux importants incendies surviennent sur le site. L’entreprise est déclarée en faillite en 1983, marquant la fin de l’un des plus coûteux « éléphants blancs » de l’histoire industrielle de l’Afrique.
-
[60]
Créée en 1975 comme une entreprise de services maritimes, Perenco se lance dans l’exploration et la production pétrolière au début des années 1990. Présentée comme une compagnie indépendante établie à Londres, elle est constituée d’actifs français. Issu de la création en 1946 puis des différentes transformations et acquisitions de Gotaas-Larsen Shipping Corporation, le norvégien Golar LNG est quant à lui constitué en 2001. Il opère dans le transport maritime de GNL.
1L’exploitation pétrolière et gazière est indissociable du risque. De la prospection à la livraison des hydrocarbures, la probabilité de l’échec est élevée. Les acteurs de ce secteur doivent sans cesse en repousser les limites technologiques, économiques et politiques pour accroître leurs profits [1]. Dans une approche économique, il faut saisir le risque comme la distribution connue de probabilité sur les aléas futurs [2]. C’est donc le nombre de chances que dans un domaine, un choix aboutisse au succès ou non d’une opération. Cette probabilité dépend pour beaucoup de la capacité de l’investisseur à disposer d’une information suffisamment fiable (évaluation des risques), pas nécessairement parfaite au sens néoclassique, pour réduire les incertitudes.
2À la différence du risque qui est mesurable, l’ambiguïté ou incertitude sur les probabilités renvoie, en économie de la décision, à des situations de choix dans lesquelles les probabilités d’aboutir à un résultat attendu sont imprécises, douteuses, incertaines [3]. De l’ambiguïté d’une situation découle alors la prudence des agents économiques, c’est-à-dire leur réponse à des choix effectués dans l’incertitude, visant à rendre les possibilités moins aléatoires [4]. Dans une perspective de rationalité individuelle, la prudence se traduit à la fois par l’émission de réserves et par la recherche d’informations [5].
3Dans le domaine pétrolier et gazier, les décisions d’investissement de portefeuille privilégient souvent le partage des risques ainsi que des bénéfices à travers les joint-ventures. C’est le choix fait par beaucoup de pays en voie de développement (PVD) qui disposent de la ressource, mais pas forcément des moyens nécessaires à leur exploitation. Lorsqu’ils n’entendent pas délaisser l’exploitation aux compagnies étrangères, ces PVD engagent des négociations pour constituer avec elles des formes d’économie mixte.
4Les rapports entre ces compagnies et ces pays déterminent d’ailleurs les séquences de l’histoire industrielle de ces derniers. Entamée dans de rares cas à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne en particulier est ainsi restée embryonnaire jusqu’aux années 1960. Si la période suivante qui couvre les années 1960 à 1980 est marquée par un progrès de la production et de la consommation industrielle, le continent reste largement à ce moment pourvoyeur de matières premières sur le marché international. S’industrialiser devient du point de vue programmatique un impératif puisque présenté comme la condition d’un décollage économique qui induirait lui-même le progrès social. Malgré la mise en œuvre, selon les cas, de politiques volontaristes de substitution aux importations ou de promotion des exportations, l’activité industrielle demeure fragile [6]. Elle est fortement dépendante des marchés extérieurs, des investissements étrangers notamment ceux venus de l’ancienne puissance coloniale et de « l’illusion du transfert technologique [7]. » Ces contraintes concourent à faire de l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne un projet incertain.
5Le présent article s’insère dans ce contexte. Expliquant la difficulté à réaliser le projet de production de gaz naturel liquéfié (GNL) [8] au début des années 1980, qui associe l’État du Cameroun à travers sa Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) et les compagnies pétrolières Elf, Mobil, Pecten et Total [9], un officiel camerounais évoque pour motifs les risques inhérents à ce projet gazier : les incertitudes dans sa conduite et la prudence des compagnies pétrolières [10]. Il s’agit donc ici d’interroger la manière par laquelle s’articulent le risque, l’incertitude et la prudence lors de cet épisode au Cameroun. Les travaux de Rasmus Hundsbæk Pedersen permettent de distinguer trois catégories de risques qui influencent les négociations pétrolières et gazières : les facteurs géologiques, les risques politiques et les conditions du marché [11]. Les Archives du groupe Total [12] ainsi que celles du Centre des archives diplomatiques de Nantes [13] ont été bénéfiques dans le cadre de cette recherche. Nous revenons d’abord sur le contexte de ce projet (I). Nous tentons ensuite de déterminer pourquoi et comment l’évaluation des risques géologiques (II), politiques (III) et commerciaux (IV) a généré la prudence des compagnies pétrolières. Nous terminons en nous intéressant au sort réservé à ce projet (V).
Le contexte du projet GNL du Cameroun
6Dans cette première partie, nous précisons l’environnement dans lequel a émergé le projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel au Cameroun. La quête des hydrocarbures commence au Cameroun au cours de la période coloniale [14]. D’abord en onshore, elle permet de mettre à jour quelques réserves de pétrole mais aussi de gaz. Au lendemain de l’accession du Cameroun à la souveraineté internationale [15], l’exploration pétrolière se déporte sur la partie maritime (offshore) du pays. Elle aboutit à des découvertes de réserves plus intéressantes d’hydrocarbures liquides et gazeux. Cette phase décisive de prospection est en grande partie conduite par la Société de recherche et d’exploitation des pétroles du Cameroun (SEREPCA) [16]. En 1977, la production de pétrole brut est lancée, mais reste modeste [17]. Elle génère néanmoins de substantiels revenus à l’État, ce qui modifie la structure de l’économie ainsi que les modes de gouvernance. La possibilité de compléter cet apport financier par les revenus de l’exploitation du gaz naturel ne peut alors qu’être alléchante pour le gouvernement.
7Cet enthousiasme des autorités camerounaises est suscité par la succession de découvertes de poches de gaz naturel dans les différents permis de prospection attribués aux compagnies pétrolières. Il faut rajouter à cette explication la hausse à la fin des années 1970 des cours mondiaux des hydrocarbures, l’augmentation de la demande mondiale de gaz naturel et l’absence d’un marché intérieur qui font alors de l’exportation du GNL une source potentielle et importante de devises pour le Cameroun [18]. Il s’agit alors de construire en bord de mer une usine de liquéfaction de gaz. C’est aussi une opportunité dans l’agenda du pouvoir en place d’accélérer le développement régional du Sud-Cameroun. Cette partie du pays connaît en effet un retard socio-économique du fait de sa faible démographie et de son déficit en infrastructures de communication. Le site de Lolabe est choisi à cet effet.
8En concurrence dans un premier temps avec le site de Mboro, il est situé à une trentaine de kilomètres de Kribi qui doit accueillir le port et le terminal gazier nécessaires à l’exportation du gaz liquéfié. En 1981, les doutes relatifs aux conditions topographiques et hydrographiques à Lolabe ainsi qu’aux contraintes météorologiques à Kribi sont en grande partie levés, précisant leur place dans le projet. Il faut par ailleurs indiquer qu’une compétition s’installe avec le Nigéria voisin, au début des années 1980, pour déterminer qui au niveau sous-régional sera le premier à mettre en route une unité de liquéfaction de gaz naturel [19]. Il y a donc dans la conduite du projet par le gouvernement camerounais un certain orgueil national à exprimer ou à préserver.
9L’enthousiasme décrit n’est pas seulement exprimé par la partie camerounaise. Les compagnies pétrolières étrangères exerçant dans ce pays, elles aussi, voient d’un bon œil le développement de la filière gazière et souhaitent y être associées. Dans une correspondance du 5 novembre 1980 par exemple, Elf tente de faire prévaloir auprès des autorités camerounaises son « expérience industrielle » dans la production, la liquéfaction et la commercialisation du gaz naturel [20]. Les raisons financières de cet intérêt des compagnies sont évidentes à déterminer. Bon nombre d’entre elles ont aussi pu déterminer sur leurs permis des réserves de gaz naturel et veulent prétendre à leur exploitation. Le Cameroun aurait sans doute choisi d’éviter des rapports difficiles avec les opérateurs pétroliers présents sur son sol. Face à la complexité du projet, il s’est cependant résigné à collaborer avec eux. La construction d’une usine de liquéfaction de gaz naturel impose en effet des contraintes importantes et des investissements considérables pour un PVD. Ce type d’unités constitue des infrastructures de plus en plus grandes et complexes, situées à proximité d’un port pour permettre l’évacuation du produit par des méthaniers. En dehors de l’Algérie et de la Libye en Afrique du nord, aucun autre pays du continent n’a encore mis en œuvre cette technologie au début des années 1980.
10Les premiers arrangements entre le gouvernement camerounais et ces compagnies conduisent à la formation le 9 juillet 1980 à Yaoundé de la Société d’Études pour la mise en valeur du Gaz naturel Camerounais (SEGAZCAM) [21]. Cinq sociétés en détiennent chacune 20 % du Capital social : la Compagnie Française des Pétroles (CFP-Total) représentée par C. Bonnet ; Elf représentée par P. Moussel ; Mobil représentée par A. Jaffe ; Pecten représentée par A. Winn. Il en est de même de la société nationale camerounaise, représentée par S. Libock, qui est garante des intérêts de l’État du Cameroun.
11L’exploitation pétrolière conduit dans une majorité de cas à une complexification des rapports entre les États et les sociétés pétrolières. Pour modifier les rapports de force en leur faveur, les gouvernements s’orientent progressivement du régime de concession, dont ils ne tirent que des taxes et royalties, à la joint-venture. Cette prise de participation leur permet de continuer à bénéficier des capitaux étrangers tout en empêchant ces investisseurs d’avoir un contrôle exclusif d’une activité aux retombées financières, fiscales et politiques substantielles. C’est dans ce cadre que la SNH est créée au Cameroun le 12 mars 1980. Par un mécanisme de prise de participation, elle détient de droit 20 % du capital social de chacune des filiales des sociétés pétrolières opérant au Cameroun [22].
12Par ailleurs, les associés désignent, selon la volonté de la partie camerounaise, Total et Mobil comme assistant technique de la SEGAZCAM, sans doute aussi parce qu’elles détiennent à ce moment sur leurs permis la majorité des réserves de gaz naturel. Le rôle de cet assistant technique est de préparer et de présenter au conseil de gérance les différentes études devant conduire à la réalisation de l’usine de liquéfaction. Des comités de travail pour les aspects techniques, financiers et commerciaux du projet sont également mis en place. La présidence du conseil de gérance quant à elle est dévolue à S. Libock, directeur de la SNH.
13Entre 1980 et 1983, diverses rencontres du conseil de gérance se tiennent à l’invitation de l’un ou de l’autre des associés pour évaluer l’avancement des études préliminaires. New York le 13 août 1980, Yaoundé le 29 octobre 1980, Garoua le 28 janvier 1981, Houston le 8 mai 1981, Château d’Artigny le 6 mai 1982, Vail les 18 et 19 août 1982 et Yaoundé le 30 juin 1983 accueillent ainsi des sessions du conseil de gérance de la SEGAZCAM. Ces rencontres servent à renseigner l’évaluation des différents aspects préalables à la réalisation du projet. Elles permettent ainsi aux partenaires de confronter leurs prédictions sur les chances de voir aboutir leur initiative de manière satisfaisante pour tous. Les conseils de gérance de cette société d’études constituent alors une instance commune d’évaluation des risques inhérents audit projet.
Les risques géologiques et leur évaluation
14L’objectif de cette partie est de déterminer de quelle façon l’évaluation du facteur géologique a influencé l’attitude des parties lors des négociations sur la valorisation du gaz naturel camerounais. La définition du risque géologique semble aller de soi. On le rattache à la situation dans laquelle la connaissance limitée de la géologie peut déboucher sur des efforts vains, en termes d’investissements consentis [23]. Les risques géologiques renvoient de façon plus large à la probabilité que l’état de l’information sur des gisements dont on envisage l’exploitation permette d’estimer plus précisément le coût d’exploitation de la ressource, étant entendu que les compagnies pétrolières chercheront toujours à produire à un coût proche voire inférieur à celui du marché. L’évaluation des risques géologiques permet ainsi de préciser le type de procédé, la taille de l’usine, la durée de l’exploitation et donc le volume des investissements à mobiliser.
15Les réserves camerounaises de gaz naturel sont concentrées le long de sa bande côtière. La multiplication des découvertes de gisements de gaz non associé entre 1977 et 1982 a suscité de l’espoir quant à leur exploitation. Il s’agit cependant de petits gisements se retrouvant sur des permis accordés à des compagnies différentes, principalement dans les bassins sédimentaires de Rio del Rey et de Kribi. Dans les situations où l’existence de la ressource est avérée, l’évaluation géologique consiste à effectuer des estimations volumétriques. La question de la taille des réserves de gaz naturel au Cameroun est ainsi régulièrement soulevée par les associés lors de différents conseils de gérance. Pour obtenir une évaluation fiable, Elf, Mobil, Pecten et Total sont appelées à transmettre à l’assistant technique des informations précises sur les quantités et la composition des réserves de gaz sur leurs permis. Une certaine réticence se fait alors ressentir, obligeant l’assistant technique à garantir la confidentialité des informations qui lui seraient transmises. La SEGAZCAM recourt également à une expertise externe pour mener cette évaluation du volume de gaz. Celle-ci est confiée à la société Franlab, filiale de l’ancien Institut Français du Pétrole (IFP). Une première estimation est remise en 1982. Elle porte sur l’analyse des données de 66 champs et 331 réservoirs de gaz naturel recensés. Les réserves récupérables de gaz sont alors comprises entre 100 et 130 milliards m3. Là encore, des incertitudes subsistent quant à la possibilité de récupérer les gas cap [24].
Évaluation par Franlab des quantités de gaz naturel en place au Cameroun (en milliards de m3)
Catégorie | Non associé | Gas cap |
Prouvé | 123 | 39 |
Probable | 30 | 1 |
Possible | 39 | 7 |
16Ces estimations sont reçues avec déception par l’ensemble des associés, la SNH comprise. S. Libock, déclare ainsi la désillusion de la partie camerounaise, « car elle pensait avoir identifié une nouvelle source de revenus pour le développement du Cameroun [25]. » Les quantités de gaz naturel sont en effet en deçà de la projection initiale pour la configuration de l’usine à construire autour de 3 trains [26].
Durée, configuration possible de l’usine et besoin en gaz (en milliards de m3)
Durée | 15 ans | 20 ans |
2 trains | 82 | 110 |
3 trains | 123 | 164 |
Durée, configuration possible de l’usine et besoin en gaz (en milliards de m3)
17Exprimant la position d’Elf, son représentant à ce conseil de gérance suggère alors une modification du projet initial pour l’étaler sur 20 ans, avec la construction d’une usine à 2 trains [27]. Cette vue est suivie par les autres associés et mandat est donné à l’assistant technique pour poursuivre la préparation du projet d’usine à 2 trains pour une durée de 20 ans, mais surtout en essayant de réduire au maximum les coûts d’investissement. Ces expressions de déception sont néanmoins loin de traduire les véritables intentions des partenaires de ce projet : C. Aldebert (Elf) reconnaît quelques mois après ce conseil de gérance que les différentes compagnies ne sont d’ailleurs pas prêtes, même dans ces conditions minimales, à fournir à l’usine de liquéfaction les 5 milliards m3 de gaz naturel nécessaires par an [28].
18Le volume de gaz à prendre en compte dans le projet d’usine de liquéfaction au Cameroun a ainsi constitué l’un des premiers sujets de discussion entre Elf, Mobil, Pecten, SNH et Total. Les estimations volumétriques rendues en 1982 lèvent l’ambiguïté sur cette question. Sans voiler leur déception, les associés adoptent à cet égard des modifications de la structure initiale du projet, faisant ainsi preuve d’une certaine flexibilité qui renseigne sur ce que l’information géologique obtenue permet alors de déterminer la probabilité de succès du projet. La question de son financement se pose alors, impliquant les négociations sur le mode d’association.
Les discussions sur les risques politiques
19Les PVD sont souvent perçus comme versatiles par les investisseurs. Les accords avec eux ont tendance à changer, mettant en danger les investissements étrangers entre autres. Le risque politique renvoie ainsi à la probabilité qu’une action politique influence le monde des affaires au point de mettre en péril les investissements de portefeuille ainsi que leur rentabilité [29]. Pour la compagnie anglo-néerlandaise Shell, qui a conçu le modèle Assessment of Probabilities/Subjective Probabilities Assigned to Investment Risks (APRO/SPAIR), le risque politique est la possibilité de ne pas maintenir un contrat pendant 10 années en raison de circonstances économiques et politiques changeantes [30]. Son évaluation porte notamment sur le régime fiscal applicable, sur la stabilité du contrat avec l’État et sur les possibilités d’accès aux financements [31]. L’objectif de cette partie est de déterminer l’importance de l’évaluation de ce type de risques dans les négociations pour la production de GNL au Cameroun.
20Ce projet rassemble deux catégories d’associés : la SNH d’une part qui représente les intérêts de l’État du Cameroun ; les compagnies pétrolières françaises Elf et Total, l’américaine Mobil ainsi que l’anglo-néerlandaise Pecten d’autre part. La SEGAZCAM est ainsi une société d’économie mixte, tendance dominante à ce moment de l’économie camerounaise. Les premières expériences d’exploitation en concession des hydrocarbures dans les PVD ont souvent été critiquées. Ces pays ne disposent parfois ni du personnel, ni de la maîtrise technologique nécessaire au contrôle de la production. Ils pointent donc du doigt l’absence d’information fiable pour assurer le calcul des taxes ou un partage équitable de la production entre le concessionnaire et eux. À partir des années 1980, certains décident de passer du régime de la concession à la joint-venture, assurant ainsi une participation conjointe de l’État et des compagnies pétrolières. Cette nouvelle formule permet alors aux pays producteurs de modifier le rapport de force avec la compagnie exploitante en accroissant leurs dividendes, leur information sur la production et leur capacité à négocier et à participer aux décisions.
21Dès l’entame des discussions sur le projet, le choix de l’État du Cameroun de faire de la SNH son intermédiaire face aux compagnies étrangères est critiqué. Certaines, comme Total, évoquent leur préférence pour des négociations directes avec le gouvernement plutôt qu’avec sa société pétrolière. Entre 1980 et 1983, les discussions achoppent également sur la question de la production de gaz et sur les conditions auxquelles les compagnies pétrolières la céderaient à l’usine de liquéfaction. Des concertations se multiplient entre Elf, Mobil, Pecten et Total, laissant se dessiner une préférence pour l’unitisation des champs de gaz. La position de la SNH reste cependant inconnue jusqu’en mars 1983. Pour illustrer la délicatesse de ce sujet que personne ne semble prêt à aborder en conseil de gérance avant janvier 1981, J.-P. Charles (Elf) mentionne dans une note : « Je persiste à croire que celui qui essuiera les plâtres dans cette affaire prendra des coups […] En conséquence, je pense qu’il faudrait laisser nos associés aller au feu les premiers [32]. »
22Malgré la mise en place de la SEGAZCAM, les relations contractuelles entre la puissance publique et les compagnies pétrolières tardent elles aussi à se préciser. Il en est ainsi des questions de la mise en œuvre consensuelle d’un calendrier d’exécution du projet, de la définition d’une fiscalité applicable aux différentes composantes de ce projet et du financement qui restent ouvertes jusqu’en mars 1983. L’assistant technique de la SEGAZCAM souligne pourtant dès 1981 : « la nécessité d’avoir défini les structures, les entités, les relations contractuelles et les sources de revenu avant qu’un dialogue constructif puisse s’établir avec les banques et les organismes de prêt [33]. » Une certaine exaspération semble donc avoir poussé certains acteurs à se prononcer avec pessimisme sur l’avenir de ce projet dans la presse avant le conseil de gérance des 18 au 19 août 1982. C’est ce qui justifie l’intervention de S. Libock (SNH) à l’ouverture de cette rencontre. Il y déclare aux autres associés :
« Très sincèrement et amicalement, SNH et le Cameroun ont été déçus depuis le dernier Conseil de Gérance, de lire dans la presse des déclarations sur des points dont eux-mêmes n’étaient pas informés. Nous nous attendions à être les premiers informés de votre position au lieu de l’apprendre accidentellement par la presse. C’est une déception pour nous, et cela peut nuire au projet pour ceux qui y croient, donner l’impression que certains n’y croient plus [34]. »
24À la mi-1982, les désaccords entre la SNH et les compagnies étrangères ont atteint leur paroxysme. Les incertitudes quant aux conditions contractuelles sont alors en cause. Dans l’intervalle de temps qui sépare les deux conseils de gérance sus-évoqués, chaque catégorie d’acteurs adopte une démarche individuelle. En plus des discussions à leurs sièges respectifs, les compagnies pétrolières se réunissent le 29 juillet à New York afin de déterminer leur « attitude générale vis-à-vis du projet ». Elles y constatent que celui-ci est dans une situation critique en raison des estimations volumétriques décevantes et de ce qu’« une quelconque hypothèse de fiscalité met en péril la viabilité économique intrinsèque d’un tel projet [35]. » Il faut rappeler que les aspects fiscaux de cette initiative ne sont dévoilés qu’en mars 1983.
25De son côté, la SNH tente de contourner les difficultés qui s’accumulent autour de la question du financement. Le coût initial de l’usine de liquéfaction seule étant estimé à 1,6 milliard de dollars américains [36], S. Libock le directeur général de la société nationale prend contact de nombreuses banques internationales aux fins de déterminer leur position quant au financement du projet GNL camerounais. Parmi celles-ci, Barclay’s Bank International Limited, Morgan Guaranty Trust Company, The Chase Manhattan Bank, Société Générale, Deutsche Bank, National Westminster Bank PLC et Crédit Lyonnais manifestent leur intention de participer au financement du projet. On peut supposer que ces intentions ne se sont pas concrétisées puisqu’en décembre 1983 encore, la recherche de financement reste une des préoccupations du gouvernement.
26Après avoir longtemps gardé le silence sur divers aspects contractuels, la partie camerounaise fait finalement une série d’annonces lors du conseil de gérance du 15 mars 1983. S. Libock (SNH) indique d’abord la décision du Cameroun de ne plus considérer le projet GNL comme un projet intégré allant de la production de gaz naturel à sa liquéfaction. Ces deux composantes sont dorénavant distinctes. Ensuite, les associés sont informés de la décision du gouvernement de ne négocier les accords sur la production de gaz qu’avec les compagnies susceptibles d’en produire. Enfin, les négociations concernant la construction de l’usine de liquéfaction se feront dans un premier temps avec les producteurs de gaz et s’étendront par la suite aux autres compagnies qui exprimeront de l’intérêt pour le projet, si cela s’avère nécessaire. Face à ce changement d’attitude de la SNH ainsi que de la structure du projet, les compagnies pétrolières protestent, estimant que la partie camerounaise tend à rompre les négociations pour se contenter de leur donner des directives [37].
27Ce changement d’attitude de la partie camerounaise date en réalité du conseil de gérance d’août 1982 lorsque S. Libock laisse entendre que le Cameroun est prêt à remplacer les associés hésitants par d’autres compagnies qui n’attendraient qu’une occasion de rejoindre la SEGAZCAM. Les rapports cordiaux entre l’État du Cameroun et les compagnies pétrolières se sont significativement détériorés au cours de cette rencontre. Celles-ci se méfient alors de leur partenaire camerounais, estimant qu’il s’agit là, à nouveau, d’un coup de bluff. P. Moussel (Elf) écrit ainsi : « M. Libock croit sans doute, à tort, qu’il résoudra le problème de SEGAZCAM comme celui de la SONARA [38]. » Entre 1973 et 1977 en effet, négociant la construction de sa raffinerie nationale de produits pétroliers, le gouvernement camerounais a menacé de retirer à Total sa qualité d’assistant technique et de suspendre les permis d’autres compagnies si elles ne s’impliquaient pas davantage dans la réalisation rapide de cette initiative [39].
28Une autre chose aurait pu avoir de l’importance : c’est la transition à la tête de l’État du Cameroun le 6 novembre 1982. Le président Ahmadou Ahidjo cède ce jour le pouvoir à son premier ministre Paul Biya. À la lecture des sources consultées cependant, il ne semble pas que cela ait perturbé les négociations. Il est vrai qu’après cette date, l’association entre la SNH et les compagnies étrangères s’effrite, mais ce processus est entamé depuis août 1982.
29En somme, la définition des termes du contrat d’association entre l’État et les compagnies pétrolières a constitué la principale pierre d’achoppement des négociations sur le projet GNL du Cameroun. La longue indécision puis l’intransigeance de la partie camerounaise ont concouru à générer d’importantes incertitudes. L’environnement incertain des trois années de discussion sur les risques politiques peut donc justifier la prudence affichée par les compagnies étrangères, d’autant plus que la morosité gagne le marché du GNL.
La prise en compte des risques commerciaux
30Les négociations pétrolières et gazières sont souvent dépendantes de facteurs conjoncturels [40] : au cours de celles-ci, une projection optimiste de l’évolution du prix international de la ressource est un élément décisif dans le choix d’investir ou non. L’autre élément pris en compte est la distance entre le site de production et la zone où s’exprime à ce moment la demande pour ce produit [41]. L’objectif de cette partie est de relever l’incidence que les conditions du marché ont eue sur le projet de la SEGAZCAM au cours des années 1980. L’analyse porte ici sur l’évolution du prix du GNL et l’accès au marché européen.
31L’argument le plus souvent brandi pour justifier les difficultés qu’Elf, Mobil, Pecten, SNH et Total ont éprouvé dans la réalisation du projet d’usine de liquéfaction de gaz au Cameroun est l’évolution pessimiste du cours du GNL. Paul Ngii Nag résume ainsi ce problème :
« Les calculs économiques ont été faits selon l’hypothèse suivante, à savoir que le prix du gaz regazéifié était de 5,5 dollars US le million de BTU caf, un prix équivalent à 33 dollars US le baril de pétrole brut. Dès le second trimestre de 1982, les prix du pétrole brut ont commencé à chuter, et ont atteint les 15 dollars US le baril, ce qui correspond à 2,50 dollars US caf le million de BTU regazéifié [42]. »
33Il faut indiquer que la question du prix de vente du GNL camerounais est véritablement abordée lors du conseil des 18 au 19 août 1982 dont on sait déjà qu’il a été houleux. La première évaluation économique du projet est restituée à cette occasion. Deux simulations sont proposées par l’assistant technique pour déterminer le taux de rentabilité de l’usine de liquéfaction. La première prend pour base de calcul un prix de vente CAF du GNL de 4,50 dollars américains le million de BTU et aboutit à un taux de rentabilité de 11,5 % après 24 années d’investissements. Le second cas prend pour référence un prix de 5 dollars américains le million de BTU et aboutit à un taux de rentabilité de 13,7 % sur la même durée. L’incertitude est néanmoins perceptible chez certains des associés au sujet du prix du gaz qui sortirait de l’usine camerounaise. Cela transparaît par exemple dans une réaction du représentant d’Elf au conseil de gérance d’août 1982 : « quel sera le prix du gaz en 1990 et peut-on dans le cadre du projet faire un pari sur l’avenir ? [43] », s’interroge-t-il alors.
Évolution des cours mondiaux du GNL au Japon et du gaz naturel dans l’Union européenne de 1984 à 1994 (en dollar américain par million de BTU)
34Si les données représentées ci-dessous ne portent pas sur le marché européen du GNL, elles indiquent néanmoins la tendance baissière du cours de cette ressource, rendant caduques les simulations précédentes. La chute progressive du prix du GNL sur le marché international, dès 1982 par ailleurs, vient alors compliquer les négociations sur un projet déjà mal engagé. Dès les premières études, le GNL camerounais est destiné à l’exportation vers le marché européen. Cette orientation est suscitée par des projections qui y annoncent un déficit important de gaz au début des années 1990 [44]. L’intérêt d’acheteurs américains en 1981 semble avoir été bref. Plus tard, en mai 1982, pressée par ses associés de lever les incertitudes qui persistent autour du projet, la SNH annonce l’intérêt de potentiels acheteurs franco-allemands et britanniques. En 1983, un autre consortium de potentiels acheteurs se forme entre le français Gaz de France, l’allemand Ruhrgas et l’italien Snamprogetti. Tout cela entretient les espoirs de la partie camerounaise.
35En réalité, le marché européen du gaz naturel s’est progressivement fermé à l’offre camerounaise dès 1982. La France, l’Allemagne et l’Italie notamment se tournent graduellement vers le gaz de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) en signant des contrats à long terme pour son achat, avec des clauses Take or Pay (TOP) [45]. Après avoir commencé à importer du gaz naturel russe en 1980, Gaz de France signe le 23 janvier 1982 par exemple un accord avec la compagnie soviétique Soyouzgas Export pour la fourniture à la France de 8 milliards de m3 de gaz naturel sur 25 ans, à partir de 1984. La Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures (SONATRACH) d’Algérie obtient elle aussi un accord très avantageux avec Gaz de France pour la livraison de 9,15 milliards de m3 de gaz. Dans le cas algérien, l’accord de principe est arrêté lors du voyage du président français François Mitterrand à Alger en novembre 1981. On peut comprendre qu’en pleines négociations sur le gaz camerounais, la visite du président Mitterrand à Yaoundé du 20 au 21 juin 1983 ait suscité beaucoup d’espoir quant à la réalisation du projet de la SEGAZCAM. Presque sans réserve, le bulletin d’informations britannique Africa Confidential annonce dans son édition anglaise du 22 juin 1983 :
« Le président François Mitterrand a probablement apporté de bonnes nouvelles au président Paul Biya lors de sa visite d’État au Cameroun du 20 au 21 juin : la France a décidé de peser de tout son poids sur le projet de gaz naturel liquéfié de Kribi évalué à 4-5 milliards de dollars américains. Les travaux de construction pourraient débuter vers la mi-1984, les premiers envois de GNL atteignant l’Europe de l’Ouest en 1990. Le Cameroun pourrait maintenant battre le Nigeria dans la course pour devenir le premier producteur de GNL en Afrique subsaharienne [46]. »
37L’importance de cette visite officielle pour le projet SEGAZCAM est manifeste. Derrière les échanges entre la SNH et les compagnies étrangères se joue en effet la qualité des relations entre le Cameroun et la France. Elf présente ce projet d’usine comme une affaire franco-camerounaise et considère le poids des gouvernements des deux pays comme un élément décisif de sa réalisation [47]. Le gouvernement camerounais a pour sa part pris le soin au début du projet de préserver les intérêts de l’Hexagone. Il a ainsi confié à Total, avec Mobil certes, le rôle d’assistant technique pour la réalisation du projet et a retenu le procédé technologique proposé par l’entreprise française d’ingénierie Technip alors en concurrence avec l’américain Air Products. Il compte, en agissant ainsi, s’assurer l’appui du gouvernement de la France pour le financement du projet et pour l’achat du GNL camerounais. C’est ce que rappellent les premiers ministres successifs Paul Biya et Bello Bouba dans leurs correspondances au premier ministre Pierre Mauroy [48]. En face, la posture du gouvernement français est guidée par le souci de ne pas blesser un partenaire stratégique en Afrique en lui refusant un éventuel soutien dans ce dossier. La réponse du premier ministre français à son homologue en 1983 se limite alors à tempérer les ambitions du Cameroun. Il y indique la nécessité pour toutes les parties prenantes d’attendre les résultats des différentes évaluations [49].
38La position du gouvernement français est en cela proche des avis des compagnies françaises engagées dans ce projet, notamment d’Elf son discret conseiller en matière de politique pétrolière en Afrique. Les notes préparatoires à la visite du président François Mitterrand au Cameroun en juin 1983 en dessinent les grands traits : le projet SEGAZCAM est techniquement complexe, financièrement très lourd, économiquement précaire quoique commercialement réalisable à partir de 1990. Elles rappellent certes l’implication bénéfique de l’industrie française au travers de Technip, Franlab, Elf et Total, si ce projet venait à se réaliser [50].
39Il est donc intéressant d’observer que la réserve décisive quant à la pertinence du projet GNL du Cameroun soit venue du président français. C’est lui qui souligne en dernier ressort l’incertitude qui plane sur le marché d’exportation du gaz camerounais. Il déclare à la fin de sa visite à Yaoundé :
« L’usine de liquéfaction du gaz est un projet intéressant de haute technologie qui exigera des investissements très importants, en milliards de dollars […] Mais le problème qui n’est pas résolu est celui du marché. Y a-t-il un marché ? Si l’on étudie la situation de 1983, il n’y en a pas. Si l’on prévoit ce qui pourrait se passer en 1990, après tout c’est le temps qu’il faudrait sans doute pour mettre en place ce système ; la réponse est à étudier. Pour l’instant, il semble bien qu’il n’y ait pas de demande de gaz suffisante pour que cette usine puisse être mise en place. […] Ce serait la seule justification d’un investissement si important [51]. »
41L’intervention dans les discussions commerciales de l’État où une grande compagnie privée a son siège n’est pas une nouveauté dans l’économie internationale des hydrocarbures [52]. Cela permet de ramener le problème à une question d’État à État, désarmant l’État producteur dans son opposition à la compagnie étrangère, s’il n’a au demeurant pas suffisamment d’appuis internationaux [53].
42La déclaration du président Mitterrand sur les conditions du marché au cours des années 1980 souligne les ambiguïtés commerciales du projet camerounais à ce moment. Les possibilités de voir les compagnies occidentales poursuivre le projet dans ces conditions s’amenuisent. D’ailleurs, de leur point de vue, il faut considérer que « l’acceptabilité d’un risque élevé, générateur d’incertitude, doit en effet être compensée par un autre paramètre tel qu’une rentabilité plus importante, une garantie sur une partie des actifs, ou la détention d’options par exemple [54]. » Dans le cas camerounais discuté, les évaluations faites en 1982 indiquent certes que les risques géologiques du projet de la SEGAZCAM peuvent être encourus, mais que les profits à en tirer sont limités voire décevants. La prudence est aussi de mise s’agissant des risques politiques sur lesquels planent de nombreuses incertitudes jusqu’en mars 1983. La somme des incertitudes est à ce moment trop élevée. À la fin de cette année, le gouvernement camerounais ne peut assurer la viabilité du projet sans ses partenaires ; et ceux-ci ne semblent pas disposés à l’accompagner sur une voie incertaine.
En attendant « des bases plus saines » : la mise en sommeil de la SEGAZCAM
43L’usine camerounaise de liquéfaction de gaz naturel n’a jamais vu le jour et la SEGAZCAM s’est graduellement effacée du portefeuille de l’État du Cameroun. On aurait pu penser que les incertitudes persistantes sus-discutées conduiraient à la fin de ce projet. Le mot « abandon » n’est que peu souvent utilisé pour évoquer le sort de ce projet. Les termes « gel » et « mise en veilleuse » s’y substituent le plus souvent dans divers documents. Malgré les déceptions, les désaccords et le choix de reporter la mise en œuvre de ce projet, une certaine prudence est encore perceptible dans les prises de position des différents acteurs entre 1983 et 1984. À cette autre partie est assigné l’objectif d’expliquer cette réserve.
44Il est une évidence dès août 1982 que le projet GNL du Cameroun n’est pas « économiquement réalisable [55] », surtout pour les compagnies pétrolières, ce qui accroît leurs désaccords avec l’État du Cameroun. En juillet 1982 déjà, alors que les incertitudes s’accumulent, tout comme les désaccords entre acteurs public et privés, les compagnies étrangères se réunissent à New York. Leurs vues convergent vers l’idée que le projet camerounais se retrouve dans une situation difficile. Un compte rendu de cette rencontre renseigne cependant sur l’absence d’aversion chez ces partenaires pour le projet du Cameroun. C. Aldebert (Elf) note ainsi : « Dans un souci de préserver ses actifs camerounais et n’excluant pas un retournement du marché de l’énergie à terme, personne non plus est décidé à « jeter l’éponge » aujourd’hui. Tout le monde est donc partisan d’un tel gel du projet [56]. » Cette position concertée voile néanmoins des antagonismes entre lesdites compagnies. Au siège d’Elf à Paris, A. Tarallo porte dans une note :
« La définition de notre attitude doit s’inspirer des grandes lignes suivantes : – Laisser aux groupes Mobil et Total, désignés par le gouvernement camerounais, la responsabilité de leur étude technique et des conséquences à en tirer, sans nous engager dans un projet lancé dans de mauvaises conditions, – Éviter que cette réserve puisse être interprétée comme une hostilité à tout projet gazier, dès lors qu’il viendrait à être repris sur des bases plus saines [57]. »
46Mobil et Total elles aussi semblent convaincues de la nécessité de reporter la construction de l’usine, mais continuent de ménager la partie camerounaise pour ne pas être exclues du projet. La perspective de voir les incertitudes politiques et commerciales se dissiper à moyen terme explique donc la prudence des compagnies pétrolières à ne pas déclarer ou faire croire à leur aversion à ce projet, malgré les tensions avec la partie camerounaise. Celle-ci leur reproche d’ailleurs leur prudence excessive vis-à-vis des conditions courantes du projet qu’elle continue, jusqu’à la fin de l’année 1983, de présenter comme viable. Même s’il se résigne peu à peu à l’idée de reporter la construction de son usine de liquéfaction, le gouvernement camerounais y reste attaché. C’est indubitablement pour lui une question d’orgueil national. Il organise les 3 et 4 octobre 1984 un séminaire auquel il convie les compagnies pétrolières associées dans le projet SEGAZCAM ainsi que Gaz de France pour réfléchir aux diverses utilisations du gaz naturel en général et celui du Cameroun en particulier. Dès le milieu des années 1980, la possibilité de recourir aux exportations camerounaises n’est pourtant plus évoquée dans les perspectives d’importations de GNL de la France. Les discussions portent dorénavant sur la renégociation des contrats avec l’URSS et l’Algérie [58]. À partir de ce moment, la liquéfaction du gaz naturel camerounais s’apparente à une princesse endormie et qui attend l’autre prince qui la réveillera. La collaboration entre la SNH, Elf, Mobil, Pecten et Total n’a pas abouti à ce qui aurait constitué un succès industriel retentissant pour le Cameroun.
48En nous focalisant sur l’évaluation des facteurs géologiques (volumes de gaz disponibles, taille de l’usine), des risques politiques (cadre contractuel entre la puissance publique et les compagnies privées, financements) et des données conjoncturelles (prix du gaz, existence d’un marché), nous avons tenté de montrer que les conditions de réalisation du projet GNL au Cameroun ne sont pas réunies de manière satisfaisante pour toutes les parties prenantes au début des années 1980. Les discussions qui durent de 1980 à 1983 voient les compagnies étrangères exprimer de plus en plus de réticence quant à une aventure probablement incertaine pour elles.
49L’enthousiasme général de départ cède graduellement la place à des expressions prudentes des positions, jusqu’à aboutir à la divergence des points de vue entre la SNH et ses associés lors des conseils de gérance d’août 1982 et de mars 1983. Ces divergences sur l’opportunité et la viabilité économique du projet camerounais conduisent au divorce de fait entre les acteurs publics et privés. Il faut donc prendre en compte qu’au cours de négociations pour l’acquisition de portefeuille, l’accumulation ou même la persistance d’incertitudes accentue la prudence des investisseurs et accroît la probabilité de les voir se retirer d’une initiative. Il ressort notamment de l’analyse de cet épisode de l’histoire du développement industriel du Cameroun qu’il est difficile pour un PVD de forcer la main aux compagnies étrangères. La conjoncture sur le marché international a rendu la situation plus complexe.
50Après le gel de la SEGAZCAM, différents projets industriels sont développés pour enfin permettre l’exploitation du gaz camerounais. Ceci a sans doute grandement contribué à ne pas véhiculer dans l’opinion l’idée d’un échec du projet mais plutôt celui de son report. L’attention générale était au demeurant retenue par l’arrêt catastrophique d’une autre unité industrielle présentée comme porteuse pour l’économie nationale, la Cellulose du Cameroun (CELLUCAM) [59]. S’agissant du gaz naturel, l’idée étudiée en 1985-1986 d’un usage local par la construction d’une usine d’ammoniac-urée ne connaît pas plus de succès. Au milieu des années 1980, les projections indiquent une saturation du marché gazier international jusqu’en 1995. Une relance n’est envisagée qu’en 2000 et beaucoup de PVD comme le Qatar et le Nigeria alignent la réalisation de leurs projets de liquéfaction sur ces projections. Ce dernier constitue en 1989 la Nigeria Liquefied Natural Gas Limited (NLNG). Un accord est trouvé en 1995 avec les compagnies pétrolières Elf, Eni et Shell pour la construction de l’unité de liquéfaction de Bonny Island. Elle devient opérationnelle en 1999. Le Nigeria finit donc par devancer le Cameroun dans cette course à la production de GNL en Afrique, tandis que se profilent, au milieu des années 2000, des projets de liquéfaction de gaz naturel par la Guinée équatoriale et l’Angola.
51Malgré ces précédents, l’exploitation de cette matière première est souvent reconsidérée par le gouvernement camerounais. Un plan de développement des ressources gazières est conçu avec la compagnie Shell en 2003. Depuis 2013, il existe une initiative pour distribuer le gaz naturel aux entreprises de la région industrielle de Douala par une filiale de la britannique Victoria Oil & Gas (VOG). Une petite partie de production nationale d’énergie électrique dépend aussi de ce gaz depuis cette date. L’option de la liquéfaction reste également d’actualité : le gouvernement envisage d’abord d’exporter son gaz jusqu’à la Guinée équatoriale qui possède une usine de liquéfaction depuis 2007. En 2008, un projet de liquéfaction, reprenant les principaux aspects de celui des années 1980, lie ensuite le Cameroun au français GDF Suez (Engie). Finalement en 2018, une unité flottante de liquéfaction de gaz naturel est installée au large de Kribi. Associant la SNH, Perenco et Golar LNG [60], elle permet de produire 1,2 million de GNL par an. Cela témoigne de l’obstination du Cameroun à mettre en valeur son gaz naturel, se constituer une industrie gazière et accroître ses devises. La situation erratique du marché des hydrocarbures ainsi que la nature conflictuelle des rapports entre les États et les compagnies privées étrangères restent néanmoins des déterminants du succès ou non de telles opérations.
Notes
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[1]
Alain Perrodon, Histoire des grandes découvertes pétrolières. Un certain art de l’exploration, Pau/Paris, Elf Aquitaine/Masson, 1985, p. 221.
-
[2]
Meglena Jeleva, Jean-Marc Tallon, « Ambiguïté, comportements et marchés financiers », document de travail, Centre d’Économie de la Sorbonne, 2014, p. 2.
-
[3]
Laure Cabantous, Denis Hilton, « De l’aversion à l’ambiguïté aux attitudes face à l’ambiguïté. Les apports d’une perspective psychologique en économie », Revue économique, vol.57, n°2, 2006, p. 259-280, ici p. 261.
-
[4]
Gérard Mondello, « Une approche économique de la notion de prudence », Revue française d’économie, vol.8, n°3, 1993, p. 37-68, ici p. 44.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Adebayo Adedeji, « La situation économique de l’Afrique : vers une reprise ? », Politique étrangère, 1988, n°3, p. 621-638, ici p. 626-627.
-
[7]
Pierre Kipré, « Le développement industriel et la croissance urbaine », dans Histoire Générale de l’Afrique, vol. 8, L’Afrique depuis 1935, dir. Ali A. Mazrui, Paris, Éditions UNESCO, 1998, p. 385-417, ici p. 403.
-
[8]
La liquéfaction à -160° du gaz est utile pour son transport sur de longues distances : 1m3 de gaz liquéfié = 600 m3 de gaz à la pression atmosphérique.
-
[9]
L’Entreprise de Recherches et d’Activités Pétrolières (ERAP) est créée en 1965 de la fusion de la Régie Autonome des Pétroles (RAP) et du Bureau de Recherche de Pétrole (BRP). Elle lance sa marque Elf en 1967 et est surnommée Elf-ERAP jusqu’en 1976. Cette année-là, le regroupement d’ERAP et de la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) permet la constitution de la nouvelle Société Nationale Elf Aquitaine (SNEA). En 2000, Elf est rachetée par TotalFina. La société américaine Mobil est quant à elle issue de la fusion en 1931 de Standard Oil Company of New York (SOCONY) et de Vacuum Oil. En 1955, SOCONY-Vacuum est rebaptisé SOCONY Mobil Oil Company, puis Mobil Oil Company en 1966. En 1999, Mobil et Exxon fusionnent pour former Exxon Mobil Corporation. Pecten Cameroun est la filiale de la multinationale Royal Dutch Shell. Celle-ci naît de la fusion en 1907 de la britannique Shell Transport and Trading Company et de la néerlandaise Royal Dutch Petroleum Company. Au début des années 1970, la branche Shell Oil se spécialise dans l’exploration pétrolière et ses filiales internationales prennent le nom Pecten. La Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) est créée en 1980 avec le statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial. Son objectif assigné est de mettre en valeur les hydrocarbures au Cameroun et de gérer les intérêts de l’État dans ce domaine. La Compagnie Française des Pétroles (CFP) est créée en 1924. Elle est constituée comme une société d’économie mixte. En 1954, elle lance sa marque, Total, qui finit par devenir la dénomination de l’entreprise en 1991. Plus récemment, le rachat de la compagnie belge Petrofina aboutit en 1999 à la constitution de TotalFina. L’acquisition l’année d’après d’Elf Aquitaine donne naissance au groupe TotalFina-Elf redevenu Total en 2003.
-
[10]
Paul Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique : potentialités et problèmes », dans Ajustements Structurels et gestion du secteur énergétique en Afrique, dir. Alain Lapointe et Georges Zaccour, Paris, Technip, 1992, p. 27-38, ici p. 29.
-
[11]
Rasmus Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations in Sub-Saharan Africa », dans Policies and Finance for economic development and trade, Peter Gibbon et al., Danish Institute for International Studies (DIIS) Report, n°25, 2014, p. 27-44, ici p. 30-31.
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[12]
Deux dossiers en particulier produits par Elf (Archives du groupe Total [désormais AGT], 07AH0049-50 : SNH, Rapport d’avancement contrats gaz, 1982 et 07AH0049-56 : SEGAZCAM, Conseil de gérance) fournissent d’intéressants procès-verbaux de réunions ainsi que des correspondances sur cet épisode.
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[13]
De nombreuses correspondances ainsi que des notes d’information produites par ou pour l’Ambassade de France à Yaoundé portent également sur cette question. Voir Centre des archives diplomatiques de Nantes [désormais CADN], Yaoundé 743PO/2-91 et Yaoundé MCAC 744PO/1-15.
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[14]
Des initiatives sporadiques en 1904-1907 et 1923-1936 ; puis, des actions plus systématiques dès 1947. Voir Moïse Williams Pokam Kamdem, « Les mutations du secteur de l’énergie au Cameroun : dynamique entrepreneuriale et agencements public/privé (1904-2001) », thèse de doctorat en histoire, Université de Dschang, 2015, p. 48-63.
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[15]
1er janvier 1960 : indépendance de la partie orientale du Cameroun jusqu’alors administrée par la France ; 1er octobre 1961 : Réunification d’avec la partie occidentale jusqu’à cette date sous administration britannique.
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[16]
La SEREPCA est créée en 1951 par le BRP.
-
[17]
Elle est de moins de 3 millions de tonnes en 1981. Le Gabon voisin en produit plus de 7,5 millions de tonnes à la même date. Voir Jacques Girod (dir.), L’Énergie en Afrique. La situation énergétique de 34 pays de l’Afrique subsaharienne et du Nord, Paris, Karthala, 1994, p. 438.
-
[18]
P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p. 28-29.
-
[19]
Derek Fee, Oil & Gas Databook for Developing Countries : With special reference to the ACP countries, London, Graham & Trotman Limited, 1985, p. 33.
-
[20]
AGT, 07AH0049-56, Correspondances de M. Malandain (direction du gaz naturel, SNEA) à MM. Marafat (SNH), B.-R. Moudio (Ministère des mines et de l’énergie) et N. Ngi Ngi (Ministère des mines et de l’énergie) au sujet des entretiens du 28 octobre 1980 et des développements gaziers au Cameroun, 5 novembre 1980. Elles insistent sur le travail effectué par Elf sur les sites du Lacq dès 1957 et de Frigg dès 1971.
-
[21]
Parfois désignée Société civile pour la mise en valeur du gaz naturel camerounais.
-
[22]
M. W. Pokam Kamdem, « Les mutations du secteur de l’énergie au Cameroun… », op. cit., p. 156-159.
-
[23]
R. Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations », art. cit., p. 30 ; A. Perrodon, Histoire des grandes découvertes pétrolières, op. cit., p. 221.
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[24]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 6 mai 1982. Le représentant de Total y suggère que la prise en compte du gas cap se fasse avec prudence. Le gas cap est une accumulation de gaz libres dans la partie supérieure d’un gisement de pétrole.
-
[25]
Ibid., p. 5.
-
[26]
Les trains correspondent à des unités complètes et autonomes, disposées en parallèle dans une usine, qui assurent le traitement et la liquéfaction du gaz naturel.
-
[27]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 6 mai 1982, p. 5. « Il s’agit, poursuit-il, d’une contrainte nouvelle qui rendra les choses plus difficiles. »
-
[28]
AGT, 07AH0049-56, Note interne de C. Aldebert (Elf) au sujet du projet GNL Cameroun, 2 août 1982, p. 1.
-
[29]
Ian Bremmer, Preston Keat, The Fat Tail : The Power of Political Knowledge for Strategic Investing, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 5.
-
[30]
Howard L. Lax, Political Risk in the International Oil and Gas Industry, Boston, International Human Resources Development Corporation, 1983, p. 144.
-
[31]
R. Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations », art. cit., p. 30.
-
[32]
AGT, 07AH0049-50, Note de J.P. Charles à M. Béjanin au sujet du projet de contrat d’association gaz, 24 octobre 1980.
-
[33]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 28 janvier 1981, p. 4.
-
[34]
AGT, 07AH0049-56, Compte rendu réunion conseil de gérance SEGAZCAM, du 18-19 août 1982 par J. Bejanin (Elf), 24 août 1982, p. 1.
-
[35]
AGT, 07AH0049-56, Note interne de C. Aldebert (Elf) a/s Projet GNL Cameroun, 2 août 1982.
-
[36]
D’autres évaluations portent sur la somme de 3,6 milliards de dollars américains, incluant le coût de construction de l’usine et celui de production du gaz. Voir P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p. 29.
-
[37]
AGT, 07AH0049-50, Correspondance de D. Little et D. Edwards (Mobil-Total) à H.E. English (Pecten) et P. Moussel (Elf) a/s Cameroon LNG Project, 18 mars 1983.
-
[38]
AGT, 07AH0049-56, Note de P. Moussel à MM. Rutman, Tarallo et Bonnet de la Tour au sujet du projet GNL au Cameroun, 23 août 1982, p. 3.
-
[39]
M. W. Pokam Kamdem, « Les mutations du secteur de l’énergie au Cameroun », op. cit., p. 137-144.
-
[40]
Jenik Radon, « How to Negociate an Oil Agreement », Working Paper Series, Initiative for Policy Dialogue, 2006, p. 94.
-
[41]
R. Hundsbæk Pedersen, « The Politics of Oil, Gas Contract Negotiations », art. cit., p. 30.
-
[42]
P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p. 29. Le British Thermal Unit (BTU) est une unité de mesure d’énergie particulièrement utilisée sur le marché du gaz pour en exprimer le prix. Le prix CAF (coût, assurance, frêt) est le prix d’un bien à la frontière du pays importateur.
-
[43]
AGT, 07AH0049-56, Projet GNL Cameroun. Première évaluation économique et planning avant-projet, août 1982.
-
[44]
P. Ngii Nag, « Le gaz naturel en Afrique », art. cit., p.28-29.
-
[45]
Catherine Locatelli, « L’industrie du gaz naturel en Russie : des réformes en débat », L’encyclopédie de l’énergie, 2017, http://encyclopedie-energie.org/articles/l%E2%80%99industrie-du-gaz-naturel-en-russie-des-r%C3%A9formes-en-d%C3%A9bat. Par la clause TOP, l’acheteur s’engage à acheter et à payer au vendeur une quantité définie de gaz, qu’il en prenne livraison ou pas.
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[46]
Version originale : « President François Mitterrand probably brought some good news to President Paul Biya during his 20-21 June state visit to Cameroun : France has decided to throw its weight behind the US$4-5bn Kribi liquefied natural gas scheme. Construction work could begin by mid-1984, with the first LNG shipments reaching Western Europe by 1990. Cameroun may now beat Nigeria in the race to become sub-Saharan Africa’s first LNG producer. » [sic]. Voir Africa Confidential, 22 juin 1983, p. 7, in Foreign Broadcast Information Service, Sub-Saharan Africa Report, n°2826, 27 juillet 1983.
-
[47]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Société nationale Elf Aquitaine, Note sur le projet GNL du Cameroun, transmise au ministre des relations extérieures par B. du Chaffaut, Paris, 24 décembre 1982.
-
[48]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Lettre de Paul Biya à Pierre Mauroy, 5 novembre 1982 et Lettre de Bello Bouba à Pierre Mauroy, 15 janvier 1983.
-
[49]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Lettre de Pierre Mauroy à Bello Bouba au sujet de l’évolution du projet de mise en valeur des ressources gazières de Victoria et de Kribi, 15 janvier 1983.
-
[50]
CADN, Yaoundé MCAC 744PO/1-15, Ministère des relations extérieures, Note au sujet du projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel au Cameroun, Paris, 7 juin 1983.
-
[51]
Direction de l’information légale et administrative, « Conférence de presse de M. François Mitterrand, président de la République, Yaoundé (Cameroun), mardi 21 juin 1983 », vie-publique.fr, http://discours.vie-publique.fr/notices/837117400.html.
-
[52]
Jean-Baptiste Duroselle, « Les conflits entre États et compagnies privées. Note introductive », Revue française de science politique, n°2, 1967, p. 286-293.
-
[53]
Ibid., p. 286.
-
[54]
Sophie Nivoix, « L’aversion au risque : pourquoi est-ce si difficile à mesurer ? », Management & Avenir, n°15, 2008, p. 65-78, ici p. 65.
-
[55]
AGT, 07AH0049-56, Procès-verbal du conseil de gérance de la SEGAZCAM du 18-19 août 1982, p. 3.
-
[56]
AGT, 07AH0049-56, Note interne de C. Aldebert (Elf) au sujet du projet GNL Cameroun, 2 août 1982, p. 1.
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[57]
AGT, 07AH0049-56, Note d’A. Tarallo à M. Montaut au sujet du projet GNL au Cameroun, 4 août 1982.
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[58]
CADN, Yaoundé 743PO/2-91, C.VIII.2, Ministère des relations extérieures, note d’information au sujet de la situation du marché du gaz naturel, 1er mars 1985 et note d’information a/s des importations françaises de gaz naturel, 5 juillet 1985.
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[59]
Jean-Claude Willame, « Cameroun : les avatars d’un libéralisme planifié », Politique africaine, n°18, 1985, p. 44-70, ici p. 60-64. Créée en 1976 pour réaliser et exploiter un complexe agro-industriel de production de pâte à papier, une première en Afrique, la CELLUCAM est inaugurée en mars 1981. Au cours de l’année suivante, deux importants incendies surviennent sur le site. L’entreprise est déclarée en faillite en 1983, marquant la fin de l’un des plus coûteux « éléphants blancs » de l’histoire industrielle de l’Afrique.
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[60]
Créée en 1975 comme une entreprise de services maritimes, Perenco se lance dans l’exploration et la production pétrolière au début des années 1990. Présentée comme une compagnie indépendante établie à Londres, elle est constituée d’actifs français. Issu de la création en 1946 puis des différentes transformations et acquisitions de Gotaas-Larsen Shipping Corporation, le norvégien Golar LNG est quant à lui constitué en 2001. Il opère dans le transport maritime de GNL.