1En tête de sa réflexion sur les bonnes maximes de gouvernement, Henri de Rohan s’attache à définir « l’intérêt » de la principale Maison en Europe : « l’Espagne ». À quelle réalité géographique et institutionnelle fait-il référence ? Dans le premier tiers du xvii^e siècle, il la définit encore comme une « monarchie nouvelle » et évoque autant la péninsule ibérique que les territoires qu’il présente comme lui étant associés, qui vivent, tels les Pays-Bas, sous son « joug », mais aussi, plus globalement, une puissance et, implicitement, une nation unique et dominatrice et sa dynastie [1]. Autant dire que le terme se prête constamment à l’interprétation et que l’ancien chef protestant joue sur la polysémie du terme.

2À l’époque moderne, il est d’usage courant d’évoquer l’« Espagne » mais ceux qui désignent ainsi une entité politique sont loin de tous parler de la même chose. Les territoires ibériques gouvernés par les Bourbon ne deviennent un espace administratif qui tend à l’unification qu’au xviii^e siècle et le terme est alors usité. Il y a bien une identité espagnole. Elle se dévoile surtout hors de la péninsule : dans les armées, l’Église, les milieux marchands, outremer… Dans une « monarchie de nations », elle entre néanmoins rapidement en concurrence avec d’autres appartenances plus anciennes, même en Castille, ne recouvrant pas exactement le contenu actuel d’une appartenance nationale et se traduisant d’abord par la défense de droits [2]. C’est d’abord dans le regard des autres qu’elle s’affirme dans toute sa force. La désignation collective d’« Espagnols » est elle aussi à géométrie variable. Elle est fréquemment polémique. Au sein de la monarchie, les différentes nations péninsulaires s’effacent ; l’Espagnol est celui qui a des racines ibériques et, par extension, celui qui représente le souverain ou même, simplement, lui est fidèle. Violet Soen rappelle que les nobles et les officiers des Pays-Bas au service du roi sont considérés comme « hispagnolizés ». Pour les étrangers, l’« Espagne » désigne d’abord, sur le plan politique, une puissance. On tend à réduire la monarchie à la composante qui est devenue le cœur de celle-ci au milieu du xvi^e siècle. La nation a moins d’importance que la qualité de sujet du Roi Catholique. Un imaginaire espagnol est aussi exalté sans réserve par les hommes au pouvoir et les intellectuels. L’union originelle entre Couronnes de Castille et d’Aragon à la fin du xv^e siècle a été scellée au début du règne de Philippe II, quand le souverain fait le choix de renouer avec la titulature des Rois Catholiques et se désigne avant tout comme le « Roy des Espaignes Catholicque », associant un titre symbolique accordé par le pape à ses arrière-grands-parents des territoires promus au sommet de sa monarchie. Dans la continuité de l’Hispania wisigothique et de l’Espagne de la Reconquista, les historiens se sont attachés à donner une légitimité historique à une monarchie, cherchant souvent à gommer sa nouveauté [3]. Ainsi, l’Espagne est, du xvi^e au xviii^e siècle, une réalité multiple : elle n’est ni un pays, ni une nation, ni un territoire unifié, même si ces réalités gagnent en consistance au long de l’époque moderne, mais une monarchie incomplètement centralisée, ne se limitant pas à une fédération de territoires, constituant un « complexe politique intégré » [4].

3Le défi posé aux historiens d’appréhender cet ensemble sans présupposé marqué ni engagement partisan, et dans sa globalité, n’a commencé à être relevé que récemment. Nous sommes les héritiers d’une superposition d’héritages historiographiques qui se posent comme autant d’écueils. L’histoire de l’Espagne, et plus largement de la Monarchie, a en effet été abordée durant des siècles en termes de grandeur et, plus régulièrement encore, de décadence. La force de ces perspectives d’inspiration gibbonienne continue à exercer une forte influence sur l’imaginaire collectif ; elles n’ont néanmoins plus leur place dans le débat scientifique. Leurs racines n’en sont pas moins profondes.

4Dès le milieu du xvi^e siècle, la monarchie qui a imposé son hégémonie en Europe et s’est érigée en défenseuse du catholicisme provoque un fort rejet et des condamnations cristallisées dans une légende noire appelée à un bel avenir. Sa perte d’influence au siècle suivant lui vaut d’apparaître comme une puissance décadente. Elle est déjà dénoncée comme un projet qui s’est épuisé. Les condamnations sont le fait de ses rivaux mais aussi des sujets castillans et aragonais du Roi Catholique : les arbitristes dressent les constats les plus sombres pour défendre ce qu’ils présentent comme des mesures de redressement. Cette vision a été pleinement intégrée par l’administration des Bourbon au xviii^e siècle puisqu’elle sert à légitimer les réformes qu’ils engagent. Le libéralisme triomphant en Espagne au xix^e siècle n’a pas fait preuve de plus d’empathie. Si les gloires passées sont célébrées, la monarchie espagnole a été dénoncée comme l’incarnation de l’obscurantisme et de l’archaïsme. Elle apparaît comme un repoussoir pour avoir refusé tout progrès. Comme le souligne Manuel Rivero Rodríguez, elle ne trouve pas sa place dans une historiographie vouée à l’étude des processus de construction des États-nations. Aux yeux des historiens d’Espagne et plus largement d’Europe occidentale, une monarchie éclatée, semblant avoir refusé le chemin vers la modernité, paraît une réalité mal adaptée et sans avenir : une anomalie. Au cours du second tiers du xx^e siècle, les voies empruntées par l’historiographie tendent à placer l’Espagne en décalage dans le cadre européen. L’Ancien Régime s’est trouvé au centre des débats. Les Lumières du xviii^e siècle apparaissent comme le basculement vers une modernité néfaste ; le temps des Habsbourg, principalement le xvi^e siècle, est à l’inverse la référence par excellence d’un régime catholique aux aspirations monarchiques et impériales [5].

5Il a fallu attendre les années 1970 pour qu’à nouveau l’Espagne se trouve en syntonie avec les évolutions historiographiques occidentales. Elle n’a malgré tout jamais cessé de susciter l’intérêt de chercheurs étrangers. L’apport des historiens français, tout à fait exemplaire, a fait l’objet d’un bilan il y a une dizaine d’années. Lorsqu’un hispanisme scientifique s’affirme au nord de Pyrénées au début du xx^e siècle, il est teinté d’un certain paternalisme – les Espagnols étant considérés moins habiles à écrire leur propre histoire. Il répond à des enjeux diplomatiques, particulièrement la volonté d’obtenir un engagement de la nation voisine aux côtés de la France durant le premier conflit mondial. Les échanges intellectuels sont longtemps demeurés inégaux. Malgré tout, les historiens français ont contribué à rendre caduc la lecture en termes de gloire et de décadence. Avec Marcel Bataillon, dès les années 1930 ou Jean Sarrailh dans les années 1950, ils ont contribué à réintégrer l’Espagne dans le cours d’une histoire intellectuelle européenne, à l’époque de l’humanisme – pour le premier – comme des Lumières – pour le second. Les chefs de file de l’école des Annales que sont Fernand Braudel (La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 1949) et Pierre Chaunu (Séville et l’Atlantique, 1955-1960) ont envisagé, sans partis pris, la monarchie espagnole comme une puissance hégémonique et mondiale [6].

6Depuis le dernier tiers du xx^e siècle, elle est devenue un objet d’étude pour l’ensemble de l’historiographie occidentale. C’est l’influence anglo-saxonne qui a définitivement permis de surmonter le « complexe impérial », selon l’expression de José María Jover Zamora, c’est-à-dire d’aborder des questions largement discréditées par une approche nationaliste. Elle a redonné de sa dignité à l’histoire politique, qui s’est vue à nouveau reconnaître, tout autant que les phénomènes économiques, sociaux ou démographiques, la capacité d’exercer un rôle moteur. Les travaux de John Elliott ont été précurseurs : entre autres La España impérial, ouvrage publié en 1965 et un article de 1982 intitulé « A Europe of Composite Monarchies », qui a largement diffusé le concept de « monarchie composite ». Au regard de celui-ci, l’État unitaire n’est pas considéré comme le mode d’organisation de référence dans l’Europe moderne, où prévalent la discontinuité territoriale et la pluralité juridique. Au diapason des historiographies occidentales, l’histoire politique a connu, en Espagne, un renouveau notable dans les années 1990. Enrichie des apports de l’anthropologie historique et de la sociologie politique, elle a depuis cette date été marquée par l’influence d’une approche culturelle. Les réalités propres à l’époque moderne, libérée du présentisme, ont été mises au jour. Les conceptions juridiques, les imaginaires, les liens socio-politiques, les rapports de pouvoir, les acteurs, les conflits, le langage ou les rituels constitutifs d’un monde politique révolu se sont installés au cœur de la réflexion historiographique. Un des grands apports de la dernière décennie du xx^e siècle a été la mise en cause définitive d’une approche historique guidée par les processus de formation des États. Les travaux de l’historien Bartolomé Clavero y ont largement contribué – entre autres Antidora. Antropología Católica de la Economía Moderna, publié en 1991. En l’absence d’unité du droit, les fondements spécifiques de l’exercice du pouvoir ne sont pas, explique-t-il, dans l’Europe catholique, l’attachement à l’État ou à la nation, mais à une dynastie, à des droits, à des liens d’amitié et de clientèle ou à des principes chrétiens telle la charité. L’analyse en termes de relations centre/périphérie s’en est trouvée affaiblie, le fonctionnement des monarchies ne se jouant pas uniquement dans les sphères du gouvernement. Ainsi la monarchie espagnole a-t-elle commencé à s’imposer comme un laboratoire de l’histoire politique de l’époque moderne. Un modèle, en d’autres termes [7].

7Un élargissement progressif des échelles d’analyse a aussi été à l’œuvre. Les différents niveaux de la politique, des villes à la cour, ont été étudiés conjointement à partir des années 1970. Les divisions nationales contemporaines ont néanmoins continué à peser notablement jusque dans les années 1990. Les différents territoires ayant été intégrés à l’ancienne monarchie espagnole ont alors considéré à nouveaux frais une expérience longtemps vécue comme une situation de domination étrangère et un temps de décadence. En Italie, dans les pays ayant composé les anciens Pays-Bas au xvi^e siècle – comme le souligne Violet Soen – et au Portugal, la période de la domination des Habsbourg et des Bourbon a fait l’objet d’une étude dépassionnée et les historiens des différents espaces ont commencé à se réunir lors de rencontres scientifiques régulières et à travailler sur des objets communs. Cette dimension européenne et des débats s’y rapportant sont pleinement apparus dans le contexte des anniversaires de la mort de Philippe II et de la naissance de Charles Quint, qui ont donné lieu à un effort de synthèse et de publication sans précédent [8].

8Pour autant, le caractère impérial de la monarchie espagnole n’était pas encore pleinement pris en compte, selon Manuel Rivero Rodríguez. Ainsi les vice-royautés étaient-elles abordées comme un outil de domination castillan. Le vieux « complexe » n’était pas encore tout à fait dépassé pour que soit possible une intégration des outremers. Elle a été encouragée, modelée et rendue plus systématique sous l’influence de l’histoire globale à partir du milieu du milieu des années 2000. Une échelle d’analyse mondiale et le parti pris d’envisager à l’égal différents espaces, quelle que soit la distance géographique et culturelle les séparant, s’est avéré particulièrement fécond. Cette approche, qui se veut dégagée des présupposés des histoires nationales et coloniales, a favorisé l’étude conjointe entre les deux monarchies ibériques, appelé de ses vœux dès 2004 par Serge Grunzinski (Les quatre parties du monde). Le débat sur la cohérence, le fonctionnement, la durabilité et le coût des empires a conduit à forger le concept de monarchie polycentrique propre à l’époque moderne. Construite par agrégations et pertes successives autour de la fidélité à une dynastie catholique, la monarchie espagnole apparaît aujourd’hui comme un espace politique qui certes tend à la centralisation mais dans lequel les centres de pouvoir sont multiples, les conseillers et serviteurs du souverain d’origines diverses, et où la transaction s’impose à tous les niveaux dans les rapports de pouvoir ; elle est aussi une puissance aux innombrables frontières et voisinages, dont les choix se jouent dans une multitude de contextes particuliers comme à l’échelle de l’ensemble de la monarchie catholique : sa diplomatie mondiale et l’influence qu’elle exerce hors de ses limites sont des éléments trop peu étudiés mais indispensables à la compréhension de cette histoire impériale, comme l’a souligné José Javier Ruiz Ibáñez [9]. Composite, dynastique, catholique, polycentrique, impériale, mondiale, malléable, conjuguant local et global, la monarchie espagnole nourrit aujourd’hui des débats internationaux.

9Dans un dossier aux dimensions réduites, il n’est possible de donner qu’un reflet partiel de cette vitalité. La production historiographique depuis les années 1990 est caractérisée par l’émiettement. Elle n’en est pas moins marquée par l’élargissement de perspectives d’une « nouvelle histoire » politique associé à la prise en compte de la dimension globale de la Monarchie.

10Aux différentes échelles du gouvernement, la réflexion sur l’articulation entre les niveaux local, territorial et central s’est imposée. L’« histoire au ras du sol » répond à l’étude du fonctionnement global de la monarchie espagnole, qu’il s’agisse d’envisager les relations de pouvoir, la négociation et la levée des impôts ou l’organisation de la défense. Violet Soen considère la gestion des affaires des Pays-Bas non seulement au regard de la tradition et de l’équilibre institutionnel des Dix-Sept Provinces, mais aussi dans le cadre plus large de l’administration des autres États du Roi Catholique. L’approche globale a aussi favorisé les rapprochements, le comparatisme et la volonté de mettre en lumière des processus verticaux tels que l’affirmation de cultures urbaines [10]. Ainsi Manuel Rivero Rodríguez se livre-t-il à une analyse d’ensemble des vice-royautés comme système de gouvernement de territoires spécifiques, jaugés dès le xvii^e siècle les uns par rapport aux autres, mais aussi d’une monarchie capable d’accepter une réelle délégation de l’autorité. La cour demeure néanmoins le point focal de nombreuses études, tout au moins pour les deux premiers siècles de l’époque moderne. C’est même plus largement le phénomène curial dans les multiples centres de pouvoir de la Monarchie qui retient l’attention des historiens [11] ; alors que la cour du roi apparaît comme un lieu où les intérêts des communautés politiques et économiques et des différents territoires peuvent se faire entendre. Pablo Vázquez Gestal dresse le constat que la cour sous les règnes des souverains Bourbon manque de travaux de synthèse prenant en compte les diverses dimensions de l’institution.

11La question du fonctionnement global de cette vaste monarchie à géographie variable se pose constamment. Alors que le pouvoir royal s’exerce la plupart du temps à distance, les situations ouvertement ou potentiellement conflictuelles demeurent omniprésentes. Les principaux piliers de l’autorité souveraine ont fait l’objet d’un nouvel examen. Violet Soen comme Manuel Rivero Rodríguez montrent l’importance politique cruciale des solutions et des compromis dynastiques ; la première évalue aussi les concessions jugées acceptables afin de préserver, aux Pays-Bas comme ailleurs, un des fondements les plus solides de l’aura du Roi Catholique : la défense de la religion catholique. En accord avec l’historiographie actuelle, les deux auteurs mettent en valeur des processus de négociation. Plutôt que la faiblesse des liens politiques dans une monarchie où l’autorité se négocie, c’est leurs dimensions contractuelles, affectives et les obligations mutuelles qu’ils supposent qui est mise en avant ; la transaction s’étend à l’ensemble de l’administration et à l’attribution des charges civiles et militaires : les formes et les effets de la vénalité et de la corruption, envisagées comme des modes de fonctionnement structurels, ont été mesurés par Francisco Andújar Castillo [12].

12Tout autant que les institutions, les procédures et les cultures politiques, comprendre le rôle, la trajectoire, les choix et les convictions des individus et appréhender les réseaux qu’ils tissent constitue un enjeu historique majeur. L’attention s’est largement portée sur les groupes participant de manière active au jeu politique : les « élites de pouvoir », partout associées au gouvernement, et leurs rapports avec la Couronne ; les travaux récents ont mis en valeur la position d’intermédiaire et de médiateur qu’occupent les représentants du souverain, les officiers du roi et même nombre d’« agents ». Les circulations de ces divers acteurs et les liens qui les relient contribuent à donner corps à la monarchie espagnole comme espace politique, quels que soient les intérêts qu’ils défendent [13]. Selon Violet Soen, l’échec de Philippe II à maintenir durablement sa souveraineté sur les Pays-Bas est à mettre en relation avec une réticence à reconnaître parmi les membres de l’aristocratie et de la magistrature des porte-parole reconnus, ayant un rôle de relais mais auxquels il aurait fallu donner une position de conseillers écoutés ; Manuel Rivero Rodríguez rappelle la force d’opposition que constituent les clercs. Face aux vice-rois, ils sont les principaux opposants à tout projet de réforme visant à renforcer l’autorité des alter ego du prince.

13Le langage symbolique dont sont porteurs tous les actes politiques est, à l’époque moderne, tout aussi crucial que ceux-ci ; ils les accompagne et se superposent à eux. Les recherches récentes ont largement mis à l’honneur les imaginaires politiques. La construction minutieuse et contrôlée de l’image du roi d’Espagne a été envisagée à travers la constitution de collections artistiques, la promotion des arts, leur activité bâtisseuse, les fêtes, le rituel de cour, leur rapport à l’histoire ou les échanges et rivalités internationales. C’est ce que montrent des travaux qui relèvent d’une rencontre entre l’histoire politique, l’histoire de l’art, et dans une moindre mesure l’histoire diplomatique, sous l’influence des sciences sociales [14]. Pablo Vázquez Gestal en dresse le bilan et en appelle, pour le xviii^e siècle, à une approche plus nettement interprétative.

14Malgré de constantes réévaluations, toutes les périodes de l’Ancien Régime ne sont toujours pas abordées à l’égal ni dans une perspective semblable. Les commémorations des années 1998-2000 ont consacré le poids du « siècle d’or » de Charles Quint et Philippe II ; les règnes de Philippe IV et de Philippe III ont largement cessé d’être considérés comme un temps de décadence, et le valimiento, d’apparaître comme un mode de gouvernement dévoyé et corrompu ; ils doivent beaucoup aux recherches pionnières de John Elliott (El conde-duque de Olivares, 1977) et Bernardo García García (La pax hispanica. Política exterior del Duque de Lerma, 1996). La seconde moitié du xvii^e siècle, en revanche, a été plus durablement victime d’une « l’historiographie du déclin » ; cette anomalie ne résiste pas à l’étude et tend actuellement à être corrigée. Les réformes fiscales et administratives, l’éclat de la construction de l’image souveraine et la capacité de résistance de la monarchie espagnole sous Charles II, entre autres, en témoignent [15]. Même si certaines études se sont employées à dépasser le passage de témoin entre Habsbourg et Bourbon, la césure demeure forte. L’étude du xviii^e n’est pas entièrement à l’unisson de celle des deux siècles précédents. Elle a gagné une dimension globale – atlantique – depuis une trentaine d’années, mais porte plutôt son regard sur les transformations à l’œuvre et le devenir d’une monarchie [16]. L’historiographie des Lumières espagnoles est dominée par un récit de la modernité, explique Pablo Vázquez Gestal dans l’état des lieux précis qu’il dresse.

15Après l’éclipse de la période franquiste, l’histoire politique de la monarchie espagnole s’est largement libérée des angoissants spectres de la décadence, de la domination étrangère et des gloires anciennes. Une des grandes conquêtes du xxi^e siècle est l’affirmation de sa dimension globale et l’étude connectée des différentes espaces. Le débat, dépassant des frontières nationales souvent prégnantes, n’a cessé de s’élargir. L’histoire de cet empire n’appartient plus à la seule Espagne.