Notes
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[1]
AN 607AP/21, d. 4.
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[2]
AN, 607AP/22.
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[3]
AN, 607AP/24, d. 1.
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[4]
AN, 607AP/24, d. 2.
-
[5]
AN, 607AP/65.
-
[6]
AN, 607AP/89-90. Cité par Maupas dans ses mémoires, l'original ayant disparu.
-
[7]
À cet égard, juges et préfet s'opposent moins sur le constat d'un complot en gestation que sur la méthode d'intervention, comme le prouvent la correspondance microfilmée : AN, BB/30/370 et 388.
-
[8]
La loi du 31 mai 1850 avait privé de droits politiques 1 810 000 électeurs, notamment ceux qui ne pouvaient justifier d'un domicile fixe.
-
[9]
AN, 607AP/3, d. 2. Voir lettres du 16, 18 et 23 octobre 1851 de Memmi Rose à son fils « Charles », publiées par Éric Landgraf, Papiers Charlemagne Émile de Maupas, 607AP : répertoire numérique détaillé, Paris, Archives Nationales, 2013, annexe 3, p. 217-219.
-
[10]
AN, 607AP/26, d. 2, et 35, d. 3.
-
[11]
Archives de la préfecture de police, EA/22 III : dossier personnel de Maupas (Personnel de la préfecture de Police, pré Saint-Gervais).
-
[12]
AN, 607AP/26-27.
-
[13]
AN, 607AP/39, d. 2.
-
[14]
Les archives d'Irène Maupas, née Guillemot, donnent, par une riche correspondance et des papiers de famille, une bonne image de l'origine sociale et du rôle de l'épouse d'un ministre du milieu du xixe siècle. AN, 607AP/92-103.
-
[15]
AN, 607AP/28, d. 4, et 30, d. 4 et 5.
-
[16]
AN, 607AP/26, d. 4.
-
[17]
AN, 607AP/28, d. 3.
-
[18]
AN, 607AP/28, d. 4.
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[19]
AN, 607AP/111.
-
[20]
AN, 607AP/28-30.
-
[21]
AN, 607AP/28, d. 4.
-
[22]
AN, 607AP/111, affiche manuscrite.
-
[23]
AN, 607AP/29, d. 2.
-
[24]
AN, 607AP/29, d. 4.
-
[25]
AN, 607AP/29, d. 2.
-
[26]
Le commissaire Loiseau dresse le procès-verbal, et trouve dans les poches du défunt un document symbolique : une fiche d'emprunt de livres à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, pour l'Histoire de la Révolution française de Vuillaumé – cela ne s'invente pas !. AN, 607AP/30, d. 3.
-
[27]
AN, 607AP/27, d. 2.
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[28]
Morny avait servi d'ordonnance au général Oudinot, à Constantine, et Magnan avait « chassé l'Arabe » sans répit : tous deux considèrent les pékins avec mépris.
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[29]
AN, 607AP/29, d. 2.
-
[30]
Le Préfet de police et les militaires prennent soin de lui cacher les aspects sordides de l'événement.
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[31]
AN, 607AP/29, d. 2.
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[32]
AN, 607AP/29, d. 3.
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[33]
AN, 607AP/29, d. 3.
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[34]
AN, 607AP/29, d. 2. Les dépêches télégraphiques conservées prouvent qu'à aucun moment, Maupas ne demande la poursuite du poète ; en revanche, elles témoignent bien qu'un tel ordre fut donné, mais par le ministre de l'Intérieur, et cela à deux reprises.
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[35]
AN, 607AP/58, d. 3.
Au service de Louis-Napoléon
1 La révolution de février 1848 avait brisé les ambitions politiques de Charles de Maupas. Après plusieurs mois d'abattement, le sous-préfet révoqué de Beaune fait des offres de service au gouvernement républicain, affirmant son attachement au nouveau régime et se recommandant des « opinions libérales » de sa famille sous la monarchie de Juillet [1]. L'élection du prince Louis-Napoléon Bonaparte à la Présidence de la République, le 10 décembre, est vécue par Maupas comme la promesse d'heureux lendemains. De fait, dix jours plus tard, le curriculum vitae de l'ancien sous-préfet de Louis-Philippe parvient à l'Élysée et une entrevue avec le nouveau maître de la France est organisée, grâce à l'entregent du prince Jérôme Napoléon et du comte Clary. Il faut se souvenir que pour magique que fût alors le nom du chef de l'État, ce dernier, du fait de ses années d'exil, manquait totalement d'appuis dans le monde administratif. Aussi le rappel aux affaires des rares partisans déclarés fut-il aisé, Maupas étant d'abord envoyé au début de janvier 1849 à Boulogne-sur-Mer.
2 Il y déploie un zèle remarqué, n'hésitant pas à payer de sa personne face aux manifestations antigouvernementales et à intervenir dans les élections locales, critiquant publiquement le parlementarisme débridé [2]. Une invitation à l'Élysée vient récompenser ce zèle, le 14 octobre 1850, puis une nomination à la préfecture de l'Allier, un mois plus tard. À Moulins, Maupas reprend ses habitudes : affronter les socialistes révolutionnaires et courtiser les royalistes légitimistes. Maupas a l'oreille de Louis-Napoléon, qui l'autorise à lui écrire directement. Le préfet Maupas réaffirme sa « loyauté et son courage à toute épreuve », qualités qui ne demanderaient qu'un théâtre d'activité « plus élevé », pour être plus efficaces… Deux nouvelles invitations au palais de l'Élysée suivent cette missive, en février et mars 1851 [3]. À l'approche du terme de son mandat présidentiel, Louis-Napoléon a besoin de sonder les populations sur une éventuelle révision de la Constitution, qui lui permettrait de se représenter. Le Midi rouge est un terreau d'expérimentation de choix : c'est à Toulouse qu'on enverra Maupas, pour qui le salut de la France est incarné par « l'Élu du 10 décembre ». Méthodiquement, le nouvel hôte du Capitole ne manque aucune occasion pour faire preuve d'autorité auprès des masses qu'il n'hésite pas à rencontrer ; et avec les royalistes (qui recherchent la « fusion » entre orléanistes et légitimistes), il alterne menaces et cajoleries.
3 Plusieurs incidents vont ainsi révéler le nouveau préfet à la population et asseoir sa réputation d'homme d'ordre : sa présence physique lors de la répression musclée d'un banquet à Aspet, puis l'arrestation préventive d'une trentaine de suspects, suivie de leur condamnation [4]. Durant l'été 51, Maupas entreprend de purger l'administration locale de ses éléments socialistes, fussent-ils protégés au gouvernement… Les prises de positions publiques du préfet de Haute-Garonne indisposent le ministre de l'Intérieur Léon Faucher, orléaniste. Louis-Napoléon, qui se garde bien de répondre personnellement aux courriers de Maupas, lui fait savoir par l'intermédiaire de ses aides de camp, qu'on l'a lu et qu'on l'encourage… Le 22 juillet, Maupas écrit à Louis-Napoléon qu'il est temps d'agir contre les partis et l'Assemblée nationale, évoquant « une détermination qui n'attende pas 1852 » [5] et renouvelant au Prince son « dévouement fidèle » et ses offres de service. Et le 19 septembre, une fois n'est pas coutume, le Président répond lui-même au préfet de Haute-Garonne, confiant sa missive au comte de Campaigno, adjoint au maire de Toulouse : « Vos avis recevront bientôt un avis favorable […] Dès que vous aurez fini votre tâche dans le Midi, je vous appellerai à des fonctions plus importantes [6]… »
4 Dans l'entourage présidentiel, des propositions de coup d'État fusent. Notamment celle du Préfet de police, Pierre Carlier, qui propose de dissoudre la Chambre, d'arrêter et de déporter 400 suspects. Mais, causeur invétéré, il confie son projet au directeur du journal le Constitutionnel, qui répand la nouvelle… Carlier renouvelle sa proposition au début de septembre 1851, en préconisant d'agir pendant les vacances parlementaires ; ce à quoi Morny s'oppose, en invoquant le bon sens : il serait plus facile de s'assurer des députés à Paris qu'aux quatre coins de la France, limitant par là les risques d'insurrection en province… D'autres motifs poussent à l'ajournement du coup d'État, comme la défection momentanée du général de Saint-Arnaud. Louis-Napoléon rechigne encore à concevoir des arrestations, misant sur son nom seul pour gagner les masses à sa cause, avant de se ranger à l'avis de Morny, considérant sans doute que le passage par la case prison n'avait rien de déshonorant – il en avait tâté à deux reprises. Les Parisiens eux-mêmes sont en proie à l'inquiétude, qui se traduit par une baisse importante des achats de fin d'année pour les étrennes du Jour de l'An ; tandis que les réservations d'hôtel chutent… Ainsi se développe une psychose, qui servira le coup d'État, lequel sera vécu comme un événement prévisible, donc plus facilement « accepté ».
5 Pendant ce temps en Haute-Garonne, Maupas s'attaque aux sociétés secrètes, et notamment à la plus importante : l'Émancipation de Toulouse. Mandaté par le procureur général, le préfet de Haute-Garonne lance des perquisitions dans différentes localités, qui sont fructueuses. Les preuves d'un mouvement insurrectionnel en préparation sont trouvées, et un débat s'instaure entre les magistrats et le préfet, sur l'urgence à intervenir préventivement, en s'emparant des cadres du mouvement [7]. Maupas souhaite activer la procédure et froisse la susceptibilité du premier-président, Jean-Baptiste Piou, orléaniste et homme de pouvoir (il était parent d'Odilon Barrot), qui se plaint au ministre de l'Intérieur, Léon Faucher. Convoqué à Paris pour explications, Maupas va retourner le rendez-vous en sa faveur, en faisant un détour par le château de Saint-Cloud, où le Prince-Président fait plus que le consoler, en lui offrant… le portefeuille de Faucher.
6 D'abord grisé par cette proposition, Maupas a la sagesse de faire valoir sa méconnaissance des usages parlementaires, redoutant les joutes oratoires ; en outre, il n'a pas connaissance des autres noms qui composeraient le ministère de crise… Au même moment, le préfet de police Carlier lance sa démission, pour marquer sa désapprobation du rétablissement d'un suffrage universel intégral [8], avec l'espoir d'être rappelé par Louis-Napoléon. Le Prince-président sort le grand jeu : « Je cherche des hommes et je ne les vois pas », avoue-t-il à Maupas. Impressionné par les arguments et le ton de son interlocuteur, ce dernier accepte d'aller à la Préfecture de police ; non sans hésitation, comme en témoigne sa correspondance avec son père, qui lui déconseille « l'aventure [9] ». Parmi les considérations qui le poussent à l'acceptation, il faut citer la prépondérance de la Préfecture de police sur le ministère de l'Intérieur en période de troubles, Maupas se référant aux révolutions de 1830 et 1848 à Paris.
Un policier d'occasion
7 C'est donc un novice complet en matière de police parisienne qui est appelé à diriger la « Grande Maison ». Au milieu du xixe siècle, la Préfecture de police occupe encore l'ancien hôtel du Premier président du Parlement de Paris, ainsi qu'un ensemble de maisons alentour. Le vaste complexe s'étendait de la place Dauphine à la rue de Harlay, en passant par le quai de l'Horloge et le quai des Orfèvres, l'entrée principale donnant sur la rue de Jérusalem. D'où le raccourci employé alors, la Rue de Jérusalem sonnant dans les oreilles des Parisiens comme aujourd'hui le Quai des Orfèvres.
8 La nomination de Maupas est ressentie très durement par le personnel policier, tant le contraste est grand avec son prédécesseur. Produit de l'institution policière, Carlier [10] exerçait ses fonctions avec paternalisme et gouaille, là où Maupas mettra de la distance et de l'affectation ; l'un était un technicien, l'autre est un politique. Il n'en faut pas davantage pour déstabiliser les cadres de la Préfecture de police durant plusieurs semaines, certains allant jusqu'à alimenter les satiristes, tel le Charivari, qui réalise un portrait vitriolé de Maupas [11]. Le nouveau Préfet de police commence par changer les chefs de service et recrute quelques hommes sûrs, agents secrets et commissaires. Il fait espionner son prédécesseur et les cadres de la Préfecture et il entreprend de se gagner les simples agents, en révisant le principe d'attribution des primes au seul profit de ceux qui sont sur le terrain. Le fonds Maupas contient de nombreux rapports secrets, rédigés par l'agent Pouchenot, le commissaire Courtier (un compatriote de Bar-sur-Aube) ou par le commissaire de Richebourg (venu de la Haute-Garonne). Ainsi que Maupas le confiera à Louis-Napoléon : «… toute l'ancienne police, celle que j'ai trouvée à mon arrivée […] est éminemment orléaniste. Je ne suis renseigné que par les nouveaux agents que j'ai pu enrôler ». Et il recommande à ses amis d'apposer la mention « Personnelle » sur les lettres qu'ils lui adressent [12]. L'un des enseignements du fonds Maupas est donc que c'est une police largement encore orléaniste qui va mettre en œuvre le coup d'État bonapartiste. Pour tenter de galvaniser ces troupes qu'il sent tièdes, Maupas commence par les haranguer, évoquant les « circonstances graves qui pourraient surgir ».
9 Au moment où Maupas entre rue de Jérusalem, Louis-Napoléon s'est rapproché de son demi-frère, Auguste de Morny [13]. Fils naturel du comte de Flahaut et de la reine Hortense, il a été député du Puy-de-Dôme sous la monarchie de Juillet ; aussi, le rapprochement du Prince-Président avec son demi-frère relève-t-il plutôt de la nécessité que de l'élan premier. Connaissant intimement les usages et les figures du monde parlementaire, Morny, qui entretenait des liens intéressés avec Carlier, tente de circonvenir Maupas auquel tout l'oppose : Morny a conscience de ses origines princières et alterne agiotage et débauche de haute volée, tandis que Maupas a le complexe du provincial, thésaurise en bon bourgeois et demeure fidèle à son épouse [14].
10 À l'époque, les forces de l'ordre parisiennes comptent un peu plus de 900 hommes, à savoir 48 commissaires, dont 12 responsables d'arrondissement (chacun à la tête de 40 hommes), 26 officiers de paix, 10 inspecteurs généraux, 36 brigadiers ou sergents de ville, 68 sous-brigadiers et 739 simples agents. Pour information, les commissariats d'arrondissement étaient astreints à la rédaction de cinq rapports quotidiens. À côté de ces professionnels en uniforme évoluaient les agents secrets [15]. Carlier se vantait d'avoir mis sur pied un véritable corps de spécialistes du renseignement, en soudoyant des individualités dans tous les partis ; depuis le marquis de Montezon, secrétaire du député légitimiste La Rochejacquelein, jusqu'à un ancien employé du général Cavaignac, en passant par des militaires en retraite, des négociants et commerçants, des fonctionnaires, des détenus, des membres de sociétés secrètes, et même un prêtre. Un membre du parti « démocratique », Stiberlin, trahit ses compagnons par vengeance personnelle : il va aux renseignements le soir, passant de cafés en clubs, et rédige son rapport le lendemain matin, qu'un policier vient chercher à son domicile. Sous le nom de code « Agent 31 » se cache un certain… François Vidocq, qui a repris du service, touchant en novembre 1851 la somme de 150 francs pour ses rapports. Tous les agents secrets ne sont pas également fiables : les hommes de Maupas lui font remonter que certains s'abreuvent en nouvelles au comptoir des estaminets, dans les manchettes des journaux, ou affabulent. Parmi les autres legs de Carlier, Maupas trouve deux fichiers indispensables aux filatures et aux arrestations futures : celui des suspects politiques (302 noms intégrant des parlementaires ou d'obscurs citoyens) et celui des lieux à surveiller (206 adresses de clubs ou cercles politiques) [16]. Ces fichiers permettent de préparer les arrestations. Le personnel policier ne suffisant pas à tenir la capitale en cas d'insurrection, Maupas doit donc traiter avec les militaires pressentis pour lui prêter main-forte [17]. Dans la perspective du coup de force, l'Élysée a fait appel à une « tête brûlée » ayant servi tous les régimes, un aventurier poursuivi par les créanciers, Achille Leroy de Saint-Arnaud, qui s'est fait connaître en Algérie par des méthodes brutales, comme « l'enfumade » des grottes de Dahra. Pourtant, alors que le Prince-Président lui offre une occasion de gagner les étoiles de général en ordonnant une expédition punitive en Kabylie, il recule lors de la première proposition qui lui est faite de participer au coup d'État. Il ne sera donc informé qu'au dernier moment. Le général Magnan avait arrêté Louis-Napoléon lors de sa tentative manquée de putsch à Boulogne, en 1836 ; et en 1849, il avait réprimé dans le sang les émeutes ouvrières de Lyon. Une telle fermeté le désignait pour occuper le ministère de la Guerre au jour J. Le colonel Thiérion était une vieille « culotte de peau » du Premier Empire, qui avait refusé tout avancement dans l'ordre de la Légion d'honneur depuis 1815. Louis-Napoléon lui demande son concours, en lui confiant la garde des députés qui seraient arrêtés [18] ; le 1er décembre, il est envoyé à Mazas, en qualité de « commissaire du Gouvernement près la Préfecture de police ».
11 L'armée de la Seconde République était encore celle de Louis-Philippe, et ses figures rappelaient la conquête de l'Algérie, réalisée sous ce règne : Cavaignac, Lamoricière, tous opposants à Louis-Napoléon et bénéficiant d'un prestige dans l'opinion. Dans la perspective d'un coup de force, il convenait donc de « purger » les états-majors ; et pour cela, s'allier de nouveaux officiers : soit en les achetant – le général Canrobert aurait monnayé son concours –, soit en leur promettant de l'avancement et des décorations, soit en les convertissant à l'antiparlementarisme, en leur réservant par exemple deux loges au Palais-Bourbon – où les querelles politiciennes dominaient sur les questions d'intérêt général – ou en conviant les vingt et un généraux de l'armée de Paris à dîner à l'Élysée, comme ce fut le cas le 9 novembre. L'armée de Paris protégerait les bâtiments officiels (Élysée, Palais-Bourbon, Luxembourg, ministères, Conseil d'État, banque de France, Imprimerie nationale) et les lieux sensibles comme les cafés, les clochers des églises ou les usines à gaz.
12 La Garde nationale n'avait pas été négligée. En 1830 comme en 1848, c'est elle qui avait assuré la victoire de l'insurrection. Aussi l'Élysée avait-il pris le soin de changer ses hauts responsables : le commandant en chef et le chef des légions parisiennes, tous deux orléanistes, durent céder leur place à deux bonapartistes, le général de Lawoestine et le colonel Vieyra. Lawoestine avait gagné ses premiers galons sous le Premier Empire, et s'était exilé à la chute de Napoléon. Il n'avait repris du service que sous Louis-Philippe. Ce bonapartiste convaincu était aussi un officier aux manières distinguées qui flatteraient les fils de la bourgeoisie parisienne entrés dans les escadrons de la Garde nationale ; on le désigna pour prendre la tête de l'institution, secondé par Vieyra, un proche de Morny.
Les succès de Maupas
13 Le 1er décembre au soir, Thiers dîne chez la duchesse de Galliéra, où il assure que le Président est suffisamment affecté par la défaite du ministre Thorigny à l'élection législative partielle de Paris et qu'il n'osera tenter l'aventure contre une population décidément hostile. Le général Cavaignac passe la soirée au théâtre. Quant à Victor Hugo, il confie à son journal intime : « Je ne vois pas Napoléon, et je vois Pichegru ». À l'Élysée, le Prince-Président reçoit. Mais dès le départ des 1 200 invités, à 23 heures 15, c'est la distribution des rôles, entre Persigny, qui choisit de rester en retrait, Morny, qui prend le chemin du ministère de l'Intérieur et y congédie poliment Tiburce de Thorigny, Saint-Arnaud et Maupas. On relit les proclamations gouvernementales (« Appel au peuple » du Président, proclamations du Préfet de police, décret instituant un plébiscite, rétablissement du suffrage universel, droit de vote accordé aux militaires…), textes à imprimer derechef [19]. En même temps, le Prince vide ses poches et partage ses richesses entre les présents (50 000 francs, selon Maupas). Après quoi tout va très vite.
14 Après avoir déposé le colonel de Béville à l'Imprimerie nationale, avant minuit, Maupas regagne la Préfecture. Il en inspecte les abords et constate que tout est calme. Comme il a consigné sur place l'ensemble des commissaires, sous le prétexte de mesures préventives à l'arrivée possible d'exilés politiques, il a tout loisir de les recevoir un à un et de les informer de leur mission. Chacun d'eux reçoit mandat de perquisition – celui-ci évoque un « complot contre la sûreté de l'État » et la « détention d'armes et de munitions dangereuses » – et part aussitôt « sur site », ce qui évite que chacun croise un collègue et discute avec lui de la légalité des ordres. Chaque commissaire est accompagné d'un officier de paix, de vingt agents de police dont deux en civil, d'un serrurier, de vingt-cinq soldats encadrés par un officier et de cinq cavaliers. Le ballet des commissaires dure quatre heures et Maupas n'aura à déplorer que deux défections : l'une sur le champ, l'autre ultérieure. À 4 heures, le directeur de l'Imprimerie nationale apporte à la Préfecture de police les proclamations gouvernementales, qui partent aussitôt pour affichage. Les arrestations programmées, qui débutent, montre en main, à 6 heures 10, se déroulent sans anicroche [20]. Si les questeurs Baze et Le Flô protestent énergiquement, si Changarnier manifeste un certain flegme, Thiers en revanche menace mais se laisse conduire, après qu'on eût trouvé chez lui douze paquets de cartouches. Chez Victor Hugo, les policiers trouvent le lit vide [21].
15 La première manche est donc terminée à 7 heures. Maupas se félicite : son personnel, pourtant hostile à Louis-Napoléon, a marché comme un seul homme. Même loyauté de la part de la Garde nationale, dont on crève les tambours et qui est réquisitionnée par la Préfecture de police. À 8 heures, les députés apprennent l'arrestation de certains de leurs collègues et l'occupation du Palais-Bourbon, ainsi que l'absence de réaction du président Dupin. C'est l'effervescence aux domiciles de Berryer, Odilon Barrot, Daru, et aussi dans la salle des Conférences du Palais-Bourbon, où certains représentants ont réussi à pénétrer – ils sont vite délogés par les militaires. L'opposition parlementaire (218 députés) se rend alors à la mairie du Xe arrondissement (notre 7e) et, sous la protection d'un bataillon de la Garde nationale demeuré légaliste, elle tient une séance quasi-normale, n'était-ce son ordre du jour : constitution d'un nouveau bureau exécutif ; adoption de décrets visant à déchoir le Président de la République [22] (en référence à l'article 68 de la Constitution) à le mettre en accusation ainsi que ses ministres ; nomination du général Oudinot à la tête de l'armée de Paris, en remplacement de Changarnier. Ces proclamations sont aussitôt imprimées et affichées.
16 Du côté des militaires, les dispositions ont été prises et gardées secrètes. Les officiers de corps ont été prévenus individuellement de se rendre à un emplacement déterminé et non à leur caserne. Quand les activités de la « convention » blanche de la mairie du Xe arrondissement sont connues, la troupe se présente : sommations d'usage, protestations, puis arrestation en masse, les députés étant conduits à pied à la proche caserne d'Orsay, sous le regard ahuri des badauds. La Haute Cour, qui s'est réunie, entreprend de condamner le Prince-Président pour haute trahison ; mais la police n'a pas de peine à persuader ses membres de l'inutilité de la démarche. Dans l'après-midi, de nouvelles arrestations sont effectuées, principalement dans les milieux réputés « démagogues ». Au soir du 2 décembre, mis à part un rassemblement de 400 personnes environ près des Halles, rien n'est à redouter. À la caserne d'Orsay, les députés ont faim et il faut les nourrir, à partir des cafés alentour. À 23 heures, on les fait monter en voiture (fiacres, omnibus, mais aussi fourgons cellulaires) en direction soit de Mazas, du Mont-Valérien ou de Vincennes, sans grand ménagement, il faut le dire. Morny et Saint-Arnaud félicitent Maupas [23] qui demande que les troupes occupent préventivement la capitale. À la surprise du Préfet de police, c'est un refus, le ministre et les militaires craignant de voir des soldats fraterniser avec la foule, comme en 1848, et souhaitant les préserver en vue du coup de force qui, selon eux, ne manquera pas de se produire et qui est même à souhaiter.
17 Le 3 décembre au matin, les députés de gauche manifestent contre la « forfaiture » et le « crime de haute trahison ». Chez le député Coppens, un premier manifeste est rédigé par Edgar Quinet, Jules Favre, Victor Hugo et Alphonse Baudin (obscur député de l'Ain), rétablissant le suffrage universel et désignant Louis-Napoléon comme traître à la Patrie et « hors-la-loi » [24]. Elle est punaisée sur les arbres du quartier. Chez le député Marie, 160 parlementaires constituent un « gouvernement provisoire ». Et à partir de 7 heures, des barricades sont élevées en différents coins de la capitale, notamment au faubourg Saint-Antoine, dans le Marais, dans le quartier du Temple, aux Halles, sur les grands boulevards, mais aussi au quartier Latin, dans les faubourgs. Dans divers points de Paris, les insurgés se livrent, plusieurs heures durant, à une guérilla, du haut de barricades improvisées ou des toits des immeubles. D'autant plus aisément, durant les premières heures, que l'armée ne répond pas, ou exceptionnellement.
La discorde au manche
18 Au faubourg Saint-Antoine à l'angle de la rue Sainte-Marguerite., cinq députés, dont Baudin, haranguent les insurgés. Ce qui affole le Préfet de police car nulle troupe ne se montre dans le secteur : « La physionomie est absolument à la guerre [25]. » Seuls les policiers sont à l'œuvre, enlevant une première barricade à 9 heures 25, « avec 3 représentants à sa tête ». Un peu avant 10 heures, une compagnie d'infanterie de ligne ou de la Garde républicaine – on ne sait pas – arrive sur les lieux : après sommation d'usage, le député Baudin, pour exciter le courage alentour, escalade la barricade, drapeau tricolore en tête. La tradition lui fait prononcer les mots fameux : « Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ». Ces 25 francs d'indemnité qui faisaient jaser le populaire. La troupe tire en l'air, ce qui a valeur de 2e sommation. Qui commande alors le feu, des insurgés ou des officiers ? On ne sait ; mais dans la salve, deux hommes s'écroulent : un soldat, et le député Baudin, que personne n'identifie puisqu'on affirme (y compris Victor Hugo) que c'est le représentant et écrivain Alphonse Esquiros qui a été tué [26]. Sur le moment, c'est le militaire qui est pleuré par les riverains. Morny redoute « une manifestation de la 3e légion » de la Garde nationale à l'occasion des funérailles de Baudin, mais Maupas a paré le danger et la dépouille a été inhumée aussitôt au cimetière Sainte-Marguerite.
19 Alors que Maupas réclame d'incessantes patrouilles dans les quartiers « chauds » – et la rue de Jérusalem est particulièrement exposée -, Magnan consigne ses troupes dans les casernes, avec la bénédiction de Morny, qui télégraphie qu'il « faut laisser les insurgés s'engager tout à fait, et des barricades sérieuses de former, pour ensuite écraser l'ennemi et le détruire [plutôt que] d'user la troupe à des escarmouches et de ne plus l'avoir à l'heure décisive ». Et le commandant en chef des troupes d'écrire au Préfet de police :
Je veux donner du repos aux troupes et je veux surtout donner à l'insurrection le temps de se développer, si elle l'ose : c'est le seul moyen d'en finir avec elle. Je veux pouvoir l'écraser et mettre un terme à tous ces mouvements insurrectionnels, en même temps que rendre confiance à Paris. J'abandonne Paris aux insurgés : je les laisse faire des barricades ; demain, s'ils sont derrière, je leur donnerai une leçon. Il faut en finir et rendre la sécurité à la ville. Demain, tous les cris seront étouffés à coups de baïonnettes, tous les rassemblements dissipés par la force, les barricades battues par l'artillerie [27].
21 Demeuré jusque-là dans l'inaction, le demi-frère de Louis-Napoléon est bien décidé à prendre les initiatives, considérant Maupas comme un subalterne. Ce faisant, Morny rejoint le général Magnan dans l'opinion selon laquelle la population parisienne a besoin d'une leçon. Tous deux sont des anciens d'Algérie [28] alors que Maupas, qui n'a jamais porté d'autre arme que de chasse, est un civil jusqu'aux bouts des ongles ; s'il se croit supérieur aux bourgeois parisiens par un complexe social, il est en revanche très soucieux de limiter le mouvement de contestation, afin que ses hommes ne soient pas submergés par l'émeute, comme en 1848. Maupas partage avec la bourgeoisie du xixe siècle un mépris profond de la classe ouvrière, considérant leur pénible existence comme un « fardeau » que la mort viendrait alléger. On est loin de l'Extinction du paupérisme et du bonapartisme social ! Mais il souhaite limiter l'effusion de sang, car il craint ses conséquences politiques. Or les consignes des militaires sont toutes contraires : laisser monter l'insurrection afin de pouvoir l'écraser et anéantir l'ennemi par la terreur. Une méthode qui sera dénoncée par Thiers mais reprise par lui, vingt ans plus tard.
22 Sur le terrain, les agents de police sont débordés – plus de 200 arrestations supplémentaires sont menées –, des armureries pillées, des commissariats et des mairies d'arrondissement forcés, et les rumeurs les plus folles agitent les esprits – les pillards seraient à l'œuvre partout ; le comte de Chambord, le prince de Joinville, Ledru-Rollin seraient chacun en route vers Paris –, tandis que les « honnêtes gens » se plaignent d'être abandonnés. La Préfecture est directement visée par les émeutiers. Maupas s'impatiente, s'énerve, s'affole. Mais ce n'est pas par peur : lorsque certains de ses cadres perdent pied, comme le directeur de la Police municipale, Bruzelin, il les destitue séance tenante et harangue ferme ses hommes. Dans la Préfecture assiégée, il est d'ailleurs entouré de sa famille. Mais cet état de fébrilité, et l'indépendance dont Maupas fait preuve, ne sont pas du goût de Morny, qui intrigue auprès de Louis-Napoléon pour le remplacer par le colonel Fleury. Le Prince-Président refuse de démettre le Préfet de police. L'inquiétude de Maupas va lui inspirer le 4 décembre quatre dépêches, qui seront soigneusement oubliées par l'intéressé dans ses Mémoires. À 0 heure 15 :
Il serait important de se servir des rigueurs de l'état de siège et de fusiller sans exception tout individu ayant de près ou de loin pris part à l'émeute. Ce n'est pas toujours ce qui se pratique : on laisse fuir les insurgés après s'être emparé de la barricade. La terreur dans une insurrection est incontestablement la plus puissante […] Je regrette qu'on fasse quartier aux émeutiers. On n'en fusille pas assez.
24 À 11 heures 30 : « Nous sommes dans un moment où le canon et la fusillade me paraissent les seuls moyens à employer ». À 11 heures 45 : « L'affaire s'engage dans de bonnes conditions […] Je dis bonnes parce que nos ex-représentants sont à la tête des barricades et qu'il y a capture à faire (il est entendu que capture est le mot impropre) ». Et à 15 heures 20 : « Il ne faut faire de quartier à personne. Avec la force seule, nous serons maîtres de la situation [29]. » Les actes de mansuétude sont sanctionnés et le général de Lourmel est réprimandé pour n'avoir pas exécuté tous les insurgés pris une arme à la main sur la barricade devant l'église Saint-Eustache. Contrairement à Louis-Napoléon, Maupas n'est pas un sentimental [30].
25 À Mazas et Vincennes, les ex-députés sont rejoints par les suspects et les insurgés pris sur les barricades. La Préfecture de police et la Conciergerie sont pleines et il faut transférer des prévenus aux forts de Vanves et d'Ivry, tandis que Louis-Napoléon et Morny décident de libérer certaines notabilités, principalement des légitimistes et orléanistes. Le 3 décembre à 22 heures, on rétablit la circulation dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin. Le 4 décembre au matin, on fait rouvrir les ateliers, fermés depuis deux jours. Mais les attroupements se reforment, renforcés par les curieux. Et les combats de rue reprennent, comme dans l'île de la Cité, où les insurgés font preuve de virulence, ou autour des prisons, à telle enseigne que Maupas refuse de lâcher les bataillons de Garde républicaine [31] que réclame le colonel Thiérion à Mazas.
26 Les grands boulevards sont traditionnellement dédiés à la promenade. Le 4 décembre, les bourgeois parisiens, en couple ou en famille, manifestent en criant leur opposition au coup de force. Alors que les badauds et l'armée se font face, tout d'un coup, partent des coups de feu. C'est la panique du côté des troupes, échauffées par ces combats de rue et cette « guerre des nerfs ». Pendant plusieurs minutes, fusils et canons crépitent, et les trottoirs sont vite jonchés de morts : hommes, femmes, enfants. Le directeur de la Salubrité, Trébuchet, escorte trente-sept corps jusqu'à la morgue. C'est la bavure. À qui la faute ?
27 En attendant, le canon sonne la fin de l'insurrection. À 15 heures, seule l'Imprimerie nationale est encore encerclée, mais facilement dégagée. Dans le quartier Latin, bouclé par la troupe, les arrestations se multiplient. Dans la nuit du 4 au 5 décembre, les troupes réintègrent leurs quartiers. Une dernière attaque, autour de la prison Saint-Lazare, est repoussée, une barricade est enlevée au faubourg Poissonnière. À l'aube, les commerces rouvrent, tandis que cette fois, l'armée sillonne la capitale et que la police arrête à tour de bras, aidée par les dénonciations qui lui parviennent. Le 6 décembre, seuls les points stratégiques sont encore tenus par la troupe ; le Comité de résistance tient sa dernière réunion, qui évoque le transfert de la dépouille de Baudin au Panthéon ; un Panthéon que Louis-Napoléon restitue au culte catholique, avant de s'adresser le 8 décembre aux Français, en déplorant les « insensés » qui s'opposeraient au cours des choses.
28 Pour parachever la « mise au pas » de Paris, Maupas établit une censure journalistique qu'on n'avait pas vue depuis Fouché.
Les enseignements d'un fonds exceptionnel
29 En ce qui concerne les prisonniers, la Préfecture de police en enregistra 2 133 au 15 décembre 1851 [32], mais les arrestations se poursuivirent dans les semaines suivantes. Les ex-parlementaires de la Seconde République vivent des moments difficiles. Victor Hugo affirmera avoir été pourchassé par le Préfet de police, et Morny cautionnera cette version. Or, les dépêches télégraphiques du Préfet de police sont claires sur ce point : informé par ses hommes que le poète n'était pas à son domicile, Maupas ne demanda pas qu'on le recherchât. En revanche, on trouve bien mention d'un tel ordre, mais venant justement… de Morny, cela à deux reprises, le ministre de l'Intérieur demandant qu'on arrêtât aussi le journaliste Émile de Girardin [33].
30 Sur les 216 députés arrêtés durant le Coup d'État, 65 sont exilés, dont les républicains Quinet, Raspail, Schoelcher, Hugo, Madier de Montjau, et les orléanistes Changarnier, Thiers, Rémusat, Le Flo, Charras, Lamoricière. Seul Cavaignac est libéré, ce qui lui vaut d'être accusé de trahison par ses anciens collègues. Cinq ex-représentants sont condamnés à la transportation, laquelle est commuée en exil. L'indulgence du Pouvoir vise surtout les notabilités de la droite et du centre gauche : les amis de Morny (comme le comte Daru, le vicomte d'Alton-Shée, le comte de Falloux) ou des protégés de Louis-Napoléon.
31 Les quelques lettres de détenus qui figurent dans les papiers Maupas – car ayant été interceptées par la police au dépôt de la Préfecture et à la Conciergerie –, permettent de nous faire une idée des conditions temporaires d'incarcération durant ces heures historiques. Celles-ci sont visiblement très différentes, d'aucuns se louant des bons traitements du directeur de la prison quand d'autres évoquent des coups portés par les sergents de ville et les soldats. Ceux qui sont logés « à la pistole » et peuvent échapper de l'ordinaire de la prison sont les moins à plaindre. Les simples suspects ou les badauds arrêtés dans une rafle peuvent bénéficier d'élargissement dès lors qu'une personne de moralité ou un employeur peut se porter garant d'eux. Et au château de Vincennes, dans les anciens appartements du duc de Montpensier, les soldats cèdent leurs lits aux députés, et Falloux prend le fou rire, se croyant revenu à ses années de collège. À l'inverse de ce séjour sans dureté, les sous-sols des Tuileries, le dépôt de la Conciergerie, Bicêtre, Mazas, la Roquette, Sainte-Pélagie, les forts de Vanves et d'Ivry sont plutôt le cadre de brimades à l'encontre du menu fretin républicain, qui essuie de la troupe des insultes et parfois des coups, souffrant aussi de la promiscuité et du froid. En prévision des affrontements, 16 ambulances avaient été installées dans les différents secteurs de la capitale, avec mission de ramasser les cadavres et de les conduire à la Préfecture de police ou à la morgue. Du côté des militaires, les chiffres vont de 25 à 250 tués ; du côté des civils, le Moniteur universel du 30 août 1852, journal gouvernemental, reconnaîtra 380 victimes. Alors que Louis-Napoléon rêvait d'une victoire pacifique, le 4 décembre, le coup d'État apparaît bien comme un coup de force. Les militaires et Maupas ont eu satisfaction. Seul Louis-Napoléon commence d'être rongé par les scrupules.
32 Dès janvier 1852, le rôle de Maupas dans la réussite du Coup d'État est discuté par les fidèles de Morny. Les archives du Préfet de police nous permettent de rectifier les postures des différents acteurs. Le dilettantisme de Morny l'ayant l'éloigné des travaux d'écriture, il fut en revanche prolixe en confidences, notamment auprès du docteur Véron, gérant de l'Opéra et du journal le Constitutionnel, qui vante le flegme et le courage du demi-frère de Louis-Napoléon. Les papiers Maupas le montrent au contraire très inquiet de la mort de Baudin, et acharné à arrêter Victor Hugo [34].
33 Autre source largement pillée par les historiens, les Mémoires de monsieur Claude, ancien chef de la Sûreté, ouvrage sans doute apocryphe. Publié en pleine présidence d'Adolphe Thiers, l'auteur est naturellement scandalisé du traitement qui fut infligé aux parlementaires le 2 décembre 1851, se dédouanant de sa participation au Coup d'État en affirmant avoir été l'objet de pressions de la part de Maupas. Mais les archives de ce dernier tordent le cou à cette légende du « vertueux commissaire républicain » : durant les journées de décembre, on ne compte que deux défections au sein du personnel policier, et Claude n'est pas de celles-là ; au contraire, il figure parmi les commissaires les mieux récompensés pour sa participation et participe même au banquet en l'honneur du rétablissement de l'Empire, organisé à la Préfecture [35].
Notes
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[1]
AN 607AP/21, d. 4.
-
[2]
AN, 607AP/22.
-
[3]
AN, 607AP/24, d. 1.
-
[4]
AN, 607AP/24, d. 2.
-
[5]
AN, 607AP/65.
-
[6]
AN, 607AP/89-90. Cité par Maupas dans ses mémoires, l'original ayant disparu.
-
[7]
À cet égard, juges et préfet s'opposent moins sur le constat d'un complot en gestation que sur la méthode d'intervention, comme le prouvent la correspondance microfilmée : AN, BB/30/370 et 388.
-
[8]
La loi du 31 mai 1850 avait privé de droits politiques 1 810 000 électeurs, notamment ceux qui ne pouvaient justifier d'un domicile fixe.
-
[9]
AN, 607AP/3, d. 2. Voir lettres du 16, 18 et 23 octobre 1851 de Memmi Rose à son fils « Charles », publiées par Éric Landgraf, Papiers Charlemagne Émile de Maupas, 607AP : répertoire numérique détaillé, Paris, Archives Nationales, 2013, annexe 3, p. 217-219.
-
[10]
AN, 607AP/26, d. 2, et 35, d. 3.
-
[11]
Archives de la préfecture de police, EA/22 III : dossier personnel de Maupas (Personnel de la préfecture de Police, pré Saint-Gervais).
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[12]
AN, 607AP/26-27.
-
[13]
AN, 607AP/39, d. 2.
-
[14]
Les archives d'Irène Maupas, née Guillemot, donnent, par une riche correspondance et des papiers de famille, une bonne image de l'origine sociale et du rôle de l'épouse d'un ministre du milieu du xixe siècle. AN, 607AP/92-103.
-
[15]
AN, 607AP/28, d. 4, et 30, d. 4 et 5.
-
[16]
AN, 607AP/26, d. 4.
-
[17]
AN, 607AP/28, d. 3.
-
[18]
AN, 607AP/28, d. 4.
-
[19]
AN, 607AP/111.
-
[20]
AN, 607AP/28-30.
-
[21]
AN, 607AP/28, d. 4.
-
[22]
AN, 607AP/111, affiche manuscrite.
-
[23]
AN, 607AP/29, d. 2.
-
[24]
AN, 607AP/29, d. 4.
-
[25]
AN, 607AP/29, d. 2.
-
[26]
Le commissaire Loiseau dresse le procès-verbal, et trouve dans les poches du défunt un document symbolique : une fiche d'emprunt de livres à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, pour l'Histoire de la Révolution française de Vuillaumé – cela ne s'invente pas !. AN, 607AP/30, d. 3.
-
[27]
AN, 607AP/27, d. 2.
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[28]
Morny avait servi d'ordonnance au général Oudinot, à Constantine, et Magnan avait « chassé l'Arabe » sans répit : tous deux considèrent les pékins avec mépris.
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[29]
AN, 607AP/29, d. 2.
-
[30]
Le Préfet de police et les militaires prennent soin de lui cacher les aspects sordides de l'événement.
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[31]
AN, 607AP/29, d. 2.
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[32]
AN, 607AP/29, d. 3.
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[33]
AN, 607AP/29, d. 3.
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[34]
AN, 607AP/29, d. 2. Les dépêches télégraphiques conservées prouvent qu'à aucun moment, Maupas ne demande la poursuite du poète ; en revanche, elles témoignent bien qu'un tel ordre fut donné, mais par le ministre de l'Intérieur, et cela à deux reprises.
-
[35]
AN, 607AP/58, d. 3.