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Article de revue

Le paternalisme est-il soluble dans la consommation ? L'encadrement des mineurs consommateurs en question

Pages 75 à 86

Notes

  • [1]
    Centre des Archives du Monde du Travail (CAMT), Fonds Charbonnages de France (CDF), 2004 001 500, Direction Générale des HBNPC, « Note sur le crédit social (vente à tempérament) », fin de l’année 1958.
  • [2]
    Jean-Claude Daumas, « Les métamorphoses du paternalisme » dans Jean-Claude Daumas et al. (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 880-886.
  • [3]
    Gérard Noiriel, Longwy. Immigrés et prolétaires, 1880-1980, Paris, PUF, 1984, p. 192.
  • [4]
    Pour quelques éléments sur ces infléchissements, on se permettra de renvoyer à Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les « Gueules Noires ». Essai d’histoire sociale, Paris, Les Indes Savantes, 2010, p. 154 et suivantes.
  • [5]
    Marie-Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2012, p. 29-40.
  • [6]
    Raymond Delcourt, De la condition des ouvriers dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais, Paris, V. Giard et E. Brière, 1906, p. 197-220.
  • [7]
    Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie, Paris, Librairie Felix Alcan, 1913, p. 420- 439. Sur cette dynamique des consommations ouvrières voir également Helen Harden-Chenut, Les Ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.
  • [8]
    Raymond Delcourt, De la condition des ouvriers..., op. cit., p. 204.
  • [9]
    Philippe Ariès, « Au Pays noir. La population minière du Pas-de-Calais », dans Histoire des populations françaises, Paris, Seuil, coll. « Points », 1979, p. 115-118.
  • [10]
    Archives Départementales du Pas-de-Calais, Discours d’Ernest Cuvelette (directeur de la Compagnie de Lens) sur le logement du mineur, Paris, Musée Social, 1925. Archives du Centre historique minier de Lewarde [CHML], n° 1696, Société des Mines de Lens, Reconstitution sociale et industrielle (tiré à part de « Nord Magazine »), Lille, Imprimerie Léonard Danel, 1928.
  • [11]
    Raymond Delcourt, De la condition des ouvriers..., op. cit., p. 218-220.
  • [12]
    Martine Martin, Femme et société : le travail ménager 1919-1939, Thèse d’histoire, Université de Paris 7, 1984. Sandrine Roll, De la ménagère parfaite à la consommatrice engagée. Histoire culturelle de la ménagère nouvelle en France au tournant des XIXe et XXe siècles, Thèse d’histoire, Université de Strasbourg II, 2008. Marie-Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, op. cit., p. 72-73.
  • [13]
    CHML, n° 1696, Société des Mines de Lens, Reconstitution sociale et industrielle..., op. cit. Centre des Archives du Monde du Travail [CAMT], Comité Central des Houillères de France, 40 AS 55, « L’utilisation des loisirs ouvriers dans l’industrie houillère » (bilan au 10 décembre 1923).
  • [14]
    Yves Cohen, Rémi Baudouï (dir.), Les chantiers de la paix sociale (1900-1940), Fontenay, ENS Éditions, 1995, en particulier les contributions introduites par Yves Cohen, p. 153-155. Marie-Emmanuelle Chessel, Bruno Dumons (dir.), Catholicisme et modernisation de la société française (1890-1960), Lyon, Université de Lyon II, Cahiers du Centre Pierre Léon, n° 2, 2003. Bruno Dumons et Florent Le Bot, « Le catholicisme social », dans Jean-Claude Daumas et al., Dictionnaire historique des patrons français, op. cit., p. 1013-1017.
  • [15]
    Alfred Bucquet, Lens, son passé, ses houillères, Lens, Imprimerie centrale d’Artois, 1950, p. 240-244.
  • [16]
    Vincent Bellanger, « Directeurs de la Compagnie des mines de Lens », dans Jean-Claude Daumas et al., Dictionnaire historique des patrons français, op. cit., p. 187-189.
  • [17]
    Préface à Arthur Choquet, Le jardin du mineur, Lille, Imprimerie Léonard Danel, 1922.
  • [18]
    Nord industriel, numéro spécial, 27 mai 1937. Plus généralement, Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les Gueules Noires, op. cit., p. 64-66.
  • [19]
    « Le commerce de « Grand’papa » dans le pays minier » (témoignage de René Debarge), dans Line Codore, Or et Sang en Pays Noir (témoignages recueillis par Josiane et Robert Lorthios), Pont-à-Vendin, Pour Mémoire, 2008, p. 49-52.
  • [20]
    Gilles Laferté, Martina Avanza, Marion Fontaine, Etienne Pénissat, « Le crédit direct des commerçants aux consommateurs : persistance et dépassement dans le textile à Lens (1920-1970) », Genèses, n° 79, juin 2010, p. 26-47. Pour des éléments de comparaison, Anaïs Albert, « Le crédit à la consommation des classes populaires à la Belle Époque. Invention, innovation ou reconfiguration ? », Annales ESC, 4, 2012, p. 1049-1082.
  • [21]
    Ce phénomène est loin d’être propre au bassin minier français, voir : Richard Hoggart, 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Paris, Hautes Études/Gallimard/Le Seuil, p. 79-81, p. 117-121. Avram Taylor, Working class credit and Community since 1918, Londres, Palgrave Mac Millan, 2002.
  • [22]
    Helen Harden-Chenut, Les Ouvrières de la République, op. cit., op. cit., p. 233-252, p. 310-315. De manière générale, Ellen Furlough, Consumers Cooperation in France. The Politics of Consumption, 1834-1930, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1991.
  • [23]
    Les coopératives ouvrières du bassin minier constituent un terrain de recherche qui demeure en grande partie à explorer ; une partie des archives les concernant est déposée au Centre des Archives du Monde du Travail. Ici, CAMT, 1893 032 1893-2110, Archives de l’Ouvrière d’Avion, 1919-1959.
  • [24]
    Cité dans Jacques Julliard, « Modérés et radicaux : Jeune et Vieux syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais (à travers les papiers de Pierre Monatte) », dans Jacques Julliard, Autonomie ouvrière. Essai sur le syndicalisme d’action directe, Paris, Hautes Études/Gallimard/Le Seuil, 1988, p. 85.
  • [25]
    Michelle Perrot, « L’éloge de la ménagère dans le discours des ouvriers français au XIXe siècle », Romantisme, n° 13-14, 1976, p. 105-122.
  • [26]
    Les archives de la CCPM sont déposées au Centre des Archives du Monde du Travail sous la cote 1997 032 001-1890.
  • [27]
    Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, 1990, p. 66-68, p. 120-121.
  • [28]
    Sur les pratiques de crédit et leur dynamique dans la région minière, Gilles Laferté et al., « Le crédit direct des commerçants aux consommateurs : persistance et dépassement dans le textile à Lens (1920-1970) », op. cit.
  • [29]
    Pierre Belleville, Une nouvelle classe ouvrière, Paris, Julliard, 1963, p. 38-39. Juliette Minces, Le Nord, Paris, Maspero, coll. « Cahiers libres », 1967, p. 125-145.
  • [30]
    CAMT, 1989 001 0179, étude de marché pour l’ouverture d’un supermarché « Coop » (coopératif) à Liévin en mai 1973.
  • [31]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, Note « Vente à crédit », 1954.
  • [32]
    Outre la note ci-dessus, voir le rapport déjà cité, « Note sur le crédit social » en 1958.
  • [33]
    CAMT, CDF, 2004 001 499, État des lieux des coopératives au 7 juin 1948.
  • [34]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, Note du secrétariat général, « Fonctionnement et rôle des coopératives de consommation dans le bassin », 31 mai 1952.
  • [35]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, « Note sur le crédit social », op. cit.
  • [36]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, « Note sur le crédit social », op. cit.
  • [37]
    Alain Chatriot, « Protéger le consommateur contre lui-même. La régulation du crédit à la consommation », Vingtième Siècle, n° 91, juillet-septembre 2006, p. 99-100.
  • [38]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, « Fonctionnement et rôle des coopératives de consommation dans le bassin », op. cit.
  • [39]
    Dominique Le Tirant, Femmes à la mine, femmes de mineur, Lewarde, Éditions du Centre Historique Minier, 2002, p. 93.
  • [40]
    Notre Mine. Journal du groupe de Lens, mars 1949.
  • [41]
    CHML, n° 4238, Nathalie Makuch-Zak, Les Réalisations économiques et sociales des Charbonnages de France dans les Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais, Thèse de droit, Université de Lille, 1957, p. 319-323.
  • [42]
    Ibid., p. 320.
  • [43]
    CHML, C3 164, Notes du 16 octobre 1952 et du 19 avril 1956 sur le fonctionnement des écoles ménagères.
  • [44]
    Citée par Dominique Le Tirant, Femmes à la mine, femmes de mineur, op. cit., p. 93.
  • [45]
    Natalie Makuch-Zak, Les réalisations économiques et sociales..., op. cit., p. 322. Voir également le témoignage intitulé « Les filles » dans Line Codore, Or et Sang en Pays Noir, op. cit., p. 167-169.
  • [46]
    Entretien avec Eugène Hanquez, ingénieur au Service social du groupe de Lens, 19 novembre 1998.
  • [47]
    Voir le témoignage de Thérèse, ancienne monitrice au Centre ménager de Lens, dans Dominique le Tirant, Femmes à la mine, femmes de mineur, op. cit, p. 96-99.
  • [48]
    CHML, n° 4238, Nathalie Makuch-Zak, Les réalisations économiques et sociales..., op. cit., p. 323.
  • [49]
    Sandrine Rolle, De la ménagère parfaite à la consommatrice engagée, op. cit.
  • [50]
    Claire Leymonerie, « Le Salon des arts ménagers dans les années 1950. Théâtre d’une conversion à la consommation de masse », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 91, 2006, p. 43-56.
  • [51]
    Notre Mine, 13, mars 1950, « Une visite au salon des Arts ménagers à Paris ».
  • [52]
    Alexis Destruys (ancien secrétaire général des HBNPC), Mémoire professionnels 1re période de 1943 à 1968, Paris, Éditions Glyphe, 2011, t. II, p. 100-110.
  • [53]
    Barbara Cierpisz, Sylvianne Grésillon, « L’évolution des indicateurs sociaux dans la région Nord-Pas-de-Calais de 1945 à nos jours », dans Marcel Gillet (dir.), La qualité de la vie dans la région Nord-Pas-de-Calais au XXe siècle, Lille, Éditions Universitaires-Lille III, 1975, p. 203-255.
  • [54]
    Juliette Minces, Le Nord, op. cit., p. 125-128.

1 « Il est de notoriété publique que de nombreux foyers de mineurs gèrent très mal leur budget [...] La crédulité du mineur est telle que rien ne peut l’empêcher de succomber à la tentation [1]. » C’est en ces termes qu’en 1958 la direction générale des HBNPC (Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais), l’une des entités qui composent les Charbonnages de France (CDF), stigmatise les pratiques de consommation de ses employés, en particulier ici le recours au crédit pour l’achat de biens jugés inutiles (montres, vêtements, etc.), et affirme son intention d’y mettre bon l’ordre. L’entreprise manifeste la volonté de se préoccuper non seulement de la manière dont ses employés produisent, mais aussi dont ils consomment.

2 Ce type d’intervention, hors de la sphère de la production, n’a rien de prime abord de surprenant. Il s’inscrit dans les cadres de l’action sociale patronale, dans les projets de fixation et de contrôle de la main-d’œuvre résumés le plus souvent par le terme de paternalisme [2] et qui sont à leur acmé entre la fin du XIXe siècle et l’entre-deux-guerres. Comme l’a montré par exemple Gérard Noiriel à propos du bassin sidérurgique de Longwy [3], ces projets visent à reproduire la force de travail, à entretenir la capacité productive de la main-d’œuvre. La volonté ouvrière de consommer est au contraire stigmatisée ; elle est perçue comme un danger, qui mine les hiérarchies établies, développe de nouvelles aspirations et tend ainsi à alimenter les revendications salariales.

3 La phrase relevée plus haut a donc l’allure d’une banalité, notamment dans la bouche d’un responsable de l’industrie minière, secteur qui, avec la sidérurgie, est souvent considéré comme une terre d’élection du paternalisme. Banale en apparence, cette phrase l’est pourtant beaucoup moins si l’on prête attention à la date à laquelle elle est prononcée. Ce n’est plus le temps des compagnies privées ; celles-ci ont laissé la place à une entreprise publique, née du processus de nationalisation achevé en 1946. Les nouvelles HBNPC, sur lesquelles on se concentrera, notamment pour la zone de Lens, témoignent d’une ambition de centralisation et de rationalisation des structures minières. Si leur emprise sur la main-d’œuvre demeure forte, au moins jusqu’aux années 1960, cette emprise, tout comme les modes d’intervention auprès des salariés [4], se transforment et n’ont plus forcément la même évidence. Le cadre des Trente Glorieuses renforce encore cet état de fait : temps de mutation pour le monde minier, de la Bataille du charbon à l’entrée dans la récession, il est aussi synonyme d’entrée progressive et différenciée dans l’ère de la consommation de masse [5].

4 Et pourtant, le discours paternaliste semble se perpétuer sans solution de continuité. Cette apparente continuité pose question. Elle invite pour commencer à regarder en amont, vers l’avant-nationalisation, et à interroger cette morale paternaliste de l’austérité, du refus de la consommation, dans son contenu et ses infléchissements. On est alors conduit à fouiller davantage le degré réel de continuité que paraît indiquer la citation de 1958 : jusqu’où le contrôle sur les modes de consommation se poursuit-il et d’ailleurs sous quelles formes ? Il ne s’agit pas seulement d’interroger des représentations ; la morale paternaliste est une morale en action, qui est aussi affaire de techniques et de normes. La population à laquelle elle s’adresse est loin par ailleurs de subir passivement ses injonctions : l’efficacité de l’entreprise de moralisation dépend aussi de ce qu’en font, de ce qu’en prennent ou de ce qu’en rejettent les mineurs-consommateurs.

Les compagnies, le paternalisme et la consommation : un héritage ambigu

5 L’action sociale des dirigeants des Houillères nationales et le regard qu’ils portent sur les pratiques de consommation des mineurs s’inscrivent dans une relation ambivalente, faite à la fois de rejet et de continuité, avec l’héritage du « paternalisme », c’est-à-dire avec les modes d’actions des compagnies. Encore faut-il noter que cet héritage n’a pas l’homogénéité que l’on pourrait être tenté de lui prêter.

Lutter contre la tentation de la consommation

6 Qu’il y ait, au sein du patronat minier, une méfiance, voire une hantise des dangers de la consommation, est un phénomène tangible dès le début du XXe siècle [6]. La propension des mineurs à acheter davantage de viande et de bière, le goût du bien manger inquiète. C’est aussi vrai s’agissant de la tendance ouvrière, remarquée ailleurs par Maurice Halbwachs [7], à vouloir sortir le dimanche « en tenue propre et soignée, presqu’élégante [8] », c’est-à-dire à chercher à effacer, à travers l’adoption de nouvelles modes vestimentaires, les signes de la spécificité, de l’exclusion ouvrière. Aux yeux des porte-parole des compagnies, ces nouvelles dépenses offrent l’inconvénient supplémentaire de devenir très vite indispensables pour le mineur. Ce dernier prend l’habitude de consommer la totalité de son salaire, n’économise pas et au contraire cède au goût pour les objets « inutiles », à ce qu’il croit être les avantages de la vente à tempérament, qui ne tardent pas au contraire à l’enfermer dans la spirale de l’endettement.

7 Cette vision noire de la consommation ouvrière est surtout révélatrice de certaines des préoccupations majeures des compagnies : la volonté d’une part de limiter au minimum les augmentations de salaire, de l’autre de freiner la propension au départ de la main-d’œuvre, de la retenir et de la fixer, face aux tentations de fuite hors du bassin, par exemple vers l’agglomération parisienne [9]. Le désir de consommation et celui d’une vie vraiment urbaine paraissent étroitement liés ; ce sont les cités minières, construites et reconstruites après la Première Guerre mondiale, qui doivent venir constituer l’antidote à l’expression de ces désirs [10]. Conçues pour loger à proximité des puits la population ouvrière, ces cités ont aussi vocation à constituer de véritables centres, alternatifs aux villages et aux villes environnantes, et permettant l’organisation et le remodelage des pratiques ouvrières. Ces enclaves, qui conservent une dimension rurale prononcée, favorisent le recours à l’autoconsommation, par le biais du jardinage en particulier, et la fréquentation des coopératives patronales qui y ont été implantées, comme autant de remparts face à « l’immoralité » supposée du petit commerce. C’est aussi dans le cadre des œuvres sociales de la cité que doit être entreprise la rééducation, considérée comme cruciale, des femmes de mineurs. Comme souvent dans le monde ouvrier, elles sont les premières gestionnaires du foyer et du budget familial. Mais, si le goût de la propreté leur est reconnu, elles sont souvent considérées sinon comme de piètres consommatrices et des femmes d’intérieur médiocres, qui préfèrent le double plaisir du café et du bavardage entre voisines aux soins du foyer [11]. C’est donc pour les discipliner que sont implantées des écoles ménagères [12] dont les premières apparaissent au sein de la compagnie de Lens dès 1874 et qui, au début des années 1920, sont une véritable « mode » parmi les compagnies du bassin [13].

8 Ces différentes formes de régulation de la consommation trouvent en partie leur origine dans le catholicisme social [14], même si dans ce cas précis les caractéristiques de cette influence restent à évaluer. À l’inverse de certaines figures, tel le filateur champenois Léon Harmel, représentant en vue du catholicisme social et qui influence les milieux patronaux du textile lillois, les dirigeants des compagnies minières ne sont à l’origine d’aucune initiative ou enquête marquante en la matière, et n’ont guère laissé de traces concernant les motivations de leur action. La marque catholique semble cependant bel et bien prégnante. Dans sa forme la plus traditionnelle, elle s’incarne par exemple dans Félix Bollaert, président du conseil d’administration de la compagnie de Lens de 1922 à 1936, et qui multiplie les œuvres et les prix venant récompenser la vertu et la fidélité des employés [15]. À la même époque, le directeur de la compagnie, Ernest Cuvelette, offre déjà une figure plus contrastée [16]. Il cherche à faire de Lens le parangon d’un certain modernisme dans le domaine social, par exemple en faisant appel, pour organiser les écoles ménagères lensoises, aux services de l’Office familial ménager de Paris. À la volonté de rationalisation et d’efficacité se mêle toujours cependant l’affirmation de la dimension morale, spirituelle de l’action. Les cités rebâties après la guerre se doivent d’avoir « une âme » ; la culture des jardins est encouragée aussi bien pour les avantages matériels qu’elle est censée procurer aux mineurs, que pour sa dimension d’élévation des cœurs : « Si le jardinage incline le corps vers la terre, il permet à l’esprit de s’élever vers le ciel [17]. » La référence à la tradition religieuse demeure donc bel et bien présente, même si parfois elle ne fait qu’occulter la dynamique bien réelle de professionnalisation et de sécularisation qui caractérise, dans les mines et ailleurs, les évolutions de l’action sociale catholique durant l’entre-deux-guerres.

9 Sur le strict plan de la consommation, les dirigeants miniers lensois font par ailleurs preuve d’une intransigeance à géométrie variable. Dans le domaine des loisirs, ce sont eux-mêmes qui encouragent l’apprentissage de la consommation du spectacle sportif par les masses ouvrières, en soutenant à partir des années 1930 l’équipe professionnelle de football du Racing Club de Lens (RCL). S’ils entendent faire du club un vecteur de publicité pour l’entreprise, ils affirment aussi à travers lui leur intention de s’adapter aux « goûts et aux tendances nouvelles de l’heure présente », à savoir ici la passion grandissante des mineurs pour le football-spectacle. Ce genre d’accommodement avec les plaisirs et les pratiques ouvrières ne va toutefois pas sans susciter l’aigreur de certaines compagnies rivales, qui s’indignent du soutien accordé à la professionnalisation et à la commercialisation du sport, évolutions présentées comme opposées au « but social » de l’activité physique, c’est-à-dire sa fonction d’encadrement et de conservation de l’autorité [18].

Vie urbaine, consommation et militantisme

10 Le rigorisme affiché par les compagnies est donc à nuancer ; son impact sur les formes réelles de la vie minière est par ailleurs tout relatif. En effet, quelles que soient les tentatives opérées en ce sens, les cités n’ont rien d’un espace panoptique, ni de cellules closes. Les commerces y sont largement présents, débits de boisson surtout mais aussi épiceries, boutiques vendant au détail toute sorte de chose et qui sont une part de la vie de la communauté ouvrière [19]. On note également la présence importante, comme une compensation à la difficulté des déplacements, des démarcheurs, colporteurs et autres représentants en meubles, lingerie, bicyclettes, appareils de TSF, etc. C’est ainsi qu’à Lens dans l’entre-deux-guerres, une poignée de migrants juifs d’origine polonaise parvient à conquérir un véritable marché, en vendant aux migrants polonais catholiques installés dans les cités certains produits spécifiques (vêtements pour les cérémonies religieuses, toile et literie) [20]. Des boutiques aux colporteurs, tous pratiquent la vente à crédit [21] : le « carnet » chez les commerçants, les encaissements réguliers qui accompagnent la vente à tempérament, le tout suscitant de nouveaux va-et-vient dans les cités, en particulier les jours de « quinzaine » (c’est-à-dire les jours de paye).

11 En outre, et malgré les obstacles, les centres-villes attirent, en particulier pour les sorties et les consommations exceptionnelles. Ces centres, dont Lens offre pour l’ouest du bassin le meilleur exemple, présentent la particularité de revêtir une double fonction : pôles commerciaux, lieux d’accueil des grandes foires, ils servent aussi de base pour un mouvement ouvrier qui peut, à l’inverse de ce qui se passe dans les cités, s’y exprimer librement, que ce soit sur le plan politique, grâce à la conquête des municipalités, ou sur le plan syndical. Que les représentants ouvriers cherchent dans ces conditions à attirer les mineurs vers le centre, pour voter ou militer, est certain. Forment-ils de surcroît le dessein, que l’on repère en d’autres endroits [22], de faire des centres-villes des espaces où puisse se développer une contre-culture de la consommation, via les coopératives ouvrières notamment ? Cela est loin d’être aussi avéré. Certes, il existe des coopératives militantes, par exemple l’Ouvrière à Avion, non loin de Lens [23]. Mais les représentants ouvriers s’appuient autant, si ce n’est davantage, sur le commerce local. Au début du siècle, le syndicaliste Georges Dumoulin s’émeut de cette alliance, jugée détestable au regard de l’inflexibilité que revendique alors la CGT à l’échelle nationale :

12

Tout ce monde-là est commerçant : Van Peteguem (marchands de liqueurs), Popot (alimentation) et le reste cabaretier [...] C’est la foire à Lens le 4 décembre, c’est la foire électorale aussi, l’unité des bistrots est faite, les pièces de quarante sus du « vieux syndicat » [la branche dominante du Syndicat des mineurs] ont leur place toute trouvée. Malheureusement, c’est la force du « vieux syndicat ». Députés, conseillers municipaux, cabaretiers, trilogie détestable contre laquelle nous crions et qui vit toujours, qui fait son chemin et qui n’est pas à son apogée [24].

13 L’aspiration syndicale à la pureté militante rejoint ici paradoxalement, avec des attendus tout différents, une certaine aspiration patronale à l’austérité : dans les deux cas, le petit commerce est dénoncé, parce qu’il pervertit et corrompt l’ouvrier, parce qu’il lui fait préférer aussi les plaisirs du statut de consommateur à ses devoirs de producteur. Une même convergence parfois se retrouve s’agissant de l’éloge de la bonne ménagère [25], gardienne du foyer et restauratrice des forces du travailleur (version patronale) ou du militant (version ouvrière) mais à qui il est toujours intimé de se défier de la dépense et des tentations frivoles. Il reste que, quelle que soit la provenance de ces philippiques, elles semblent n’avoir eu qu’un effet très limité. Les pratiques de consommation des mineurs continuent d’être marquées du sceau d’une diversité moulée par les contraintes matérielles et celles de la vie dans les cités. La moralisation voulue par l’action sociale patronale se heurte à ces contraintes et à cette diversité, autant qu’à sa propre évolution interne.

Après la nationalisation, perpétuer la moralisation des mineurs ?

14 Le cours de cette évolution s’infléchit avec la nationalisation. Si dans les premières années, il y a eu quelques tentatives pour recentrer l’entreprise sur ses seules missions de production, elles n’ont pas fait long feu. Au souhait ouvrier de voir se maintenir un certain nombre de services auparavant dispensés par les compagnies, s’est superposé le traumatisme qu’ont constitué, pour les dirigeants et les cadres des HBNPC, les grèves de 1947-1948. L’échec de ces grèves signe le début d’une phase de restauration de l’autorité. Pour faire pièce à l’influence communiste, qui s’étend même sur le terrain de la consommation, via la nouvelle CCPM (Coopérative centrale du personnel des mines du Nord et du Pas-de-Calais [26]), les HBNPC reprennent leurs habitudes d’intervention et réendossent leur rôle de « protectrices » des mineurs.

L’entreprise, les mineurs-consommateurs et l’État

15 Si les mineurs font partie à la Libération des ouvriers les mieux payés de France, cet avantage s’effrite ensuite très vite. La dureté et l’ascétisme contraint de la vie ouvrière se continuent, bien au-delà des années de restriction [27]. Sans doute le Statut du Mineur (1946) garantit-il un certain nombre de biens gratuits (logement, soins médicaux, énergie), mais cela contribue encore à limiter la circulation monétaire et l’habituation aux formes de la consommation marchande. Les cités minières restent coupées jusqu’aux années 1960 des grands réseaux d’échange et éloignées des modèles modernes de périphérie urbaine, joignant l’automobile, le HLM et le supermarché. Même dans les centres-villes, les nouveaux modèles commerciaux ne se diffusent que lentement (il faut attendre 1968 pour que les Nouvelles Galeries ouvrent à Lens).

16 Les pratiques de consommation ouvrière n’évoluent que peu à peu. Leur rythme reste sous-tendu par celui de la quinzaine et le crédit, suivant tous les observateurs, demeure une pratique très fréquente, où se mêlent durant longtemps l’ancien et le nouveau [28]. Les mineurs ne participent guère au crédit « sain », à l’épargne « d’avant », celle qu’encouragent les pouvoirs publics et qui est tournée vers l’achat de biens durables, comme les automobiles. Ils continuent à user du crédit d’abord pour répondre aux nécessités les plus fondamentales de la vie, ensuite pour desserrer les contraintes budgétaires qui les enserrent et se procurer à crédit ce qu’ils ne peuvent obtenir autrement (les vêtements par exemple), enfin pour compenser les frustrations de la vie quotidienne par l’achat d’objets qui commencent malgré tout à pénétrer la société française : objets de décoration, TSF et bicyclettes et surtout télévision (alors que les foyers du bassin minier accèdent très lentement à certains biens de consommation, comme la voiture, ils sont très précocement équipés en téléviseur) [29]. En raison de leurs faibles possibilités budgétaires, mais aussi de leur enfermement durable dans les cités minières, ils privilégient pendant longtemps les formes les plus anciennes de crédit de proximité, entre particuliers et surtout avec les commerçants locaux. Au début des années 1970, une étude préliminaire à l’ouverture d’un supermarché constate encore : « Le commerce de détail du Nord de la France a été longtemps détenteur d’un record peu enviable : celui du pourcentage de crédit sur le chiffre d’affaires réalisé [30]. » Cela n’empêche pourtant pas les habitants du bassin minier d’être touchés par les formes plus modernes de crédit à la consommation, celles par exemple que proposent, pour le mobilier, l’électroménager ou les loisirs, les grands magasins de la région lilloise et qui sont portées par des démarcheurs à domicile parcourant régulièrement les rues des cités.

17 Nombre d’organismes et de magasins qui font crédit, prenant acte du rôle majeur que conservent les HBNPC, bien au-delà de la sphère du travail, s’adressent d’ailleurs directement à elles, non seulement pour obtenir des renseignements sur la solvabilité de certains débiteurs, mais aussi pour qu’elles exercent une « pression morale » sur leurs employés, afin que ceux-ci paient leurs dettes [31]. Toutefois l’entreprise s’implique aussi volontairement. Au cours des années 1950, ses services produisent plusieurs rapports sur le crédit [32]. Reprenant les normes de la morale paternaliste, ces rapports critiquent la crédulité et l’infantilisme des mineurs quand ils se comportent en acheteurs ; ils accusent plus encore les pratiques de commerçants qui « exploitent » l’irresponsabilité ouvrière, en vendant à crédit, de préférence à des taux usuraires, des produits dont « la qualité ou l’utilité » laissent à désirer. Derrière cela, gît toujours la dénonciation d’une « l’illusion du crédit », qui, en « habituant le mineur à vivre au-dessus de ses moyens », lui donne une « fausse » perception de ce qu’il peut exiger, et alimente de sa part des revendications salariales perçues comme injustifiées.

18 Les Houillères ne se bornent cependant pas à la déploration. Dès la fin des années 1940, les moyens classiques d’intervention sont réemployés, qu’il s’agisse des écoles ménagères (infra) ou des coopératives. Si les dirigeants miniers ne parviennent pas dans ce domaine à mettre sur pied un organisme central qui fasse « taire les discussions oiseuses [33] », c’est-à-dire politiques, ils relancent un certain nombre d’anciennes coopératives patronales, à Lens ou encore à Anzin. Censées contrecarrer l’influence qu’a acquise la CCPM, elles doivent aussi faire valoir leur fonction éducatrice, en s’orientant « vers l’instruction de la clientèle en vue d’aider la minorité victime du crédit [34] ». Certains responsables miniers n’hésitent pas à être beaucoup plus directement interventionnistes, en tentant d’interdire l’accès des cités aux démarcheurs, voire en faisant en sorte de récupérer d’autorité l’argent donné par des mineurs lors d’opérations qualifiées de « suspectes [35] ». Mais cet interventionnisme, surtout quand il arbore ses formes les plus extrêmes, se heurte à de vives réactions de protestation de la part des intéressés. Un représentant de la direction des HBNPC note ainsi qu’après les démarches qu’il a effectuées, il a reçu des « centaines de lettres de ces mineurs me sommant de ne plus m’occuper de leurs affaires privées [36] ».

19 La nouveauté n’est pas dans ce type de protestation. Derrière l’illusoire reproduction des paroles et des actes accolés à la morale paternaliste, se cache en fait une discontinuité bien réelle. L’action des HBNPC n’est plus seulement celle d’une entreprise suivant ses propres fins (en l’occurrence fixer les mineurs dans le cadre des cités et pallier le désir de fuite que pourrait engendrer le désir de consommation), elle s’inscrit aussi dans le cadre de la politique de l’État. La lutte contre l’usage du crédit, en particulier pour les biens périssables et les loisirs, ne résulte plus, ou plus uniquement, d’une ambition de moralisation et de préservation de la main-d’œuvre. Elle fait partie de la politique qui, au début des années 1950, cherche à lutter contre l’inflation, en restreignant l’accès au crédit ; celui-ci fait ensuite l’objet d’une appréciation plus positive, comme ferment de croissance et de modernisation économique, mais à la condition que ce soit du « bon » crédit, c’est-à-dire qu’il serve à l’achat de biens durables (électroménager, automobile) [37]. Les HBNPC sont enjointes de faciliter, dans leur ressort, l’application de cette politique. Celle-ci reconnaît et apprécie la consommation moins suivant des critères moraux (même si ceux-ci persistent, en particulier pour l’enjeu sensible du crédit et de l’endettement), que selon les impératifs de la croissance [38]. Si l’on oublie un instant la tonalité très condescendante du regard porté sur le mineur-consommateur, héritage de la dureté des rapports hiérarchiques, l’analyse des Houillères porte de moins en moins, pour ce qui concerne ses motivations, la trace d’une quelconque spécificité patronale et minière.

Accepter l’évolution ? La mutation discrète des écoles ménagères

20 L’action sociale en matière de consommation se heurte par ailleurs à des contradictions de plus en plus flagrantes, voire à de véritables apories, qu’illustrent les écoles ménagères [39]. Leur renaissance, à partir de la fin des années 1940, a plusieurs explications. Ces écoles font sans nul doute partie de la politique visant à orienter les mineurs vers les « bonnes » formes de consommation. La figure idéale de la femme qu’elles cherchent à promouvoir doit de plus aider à la pacification du monde minier après les turbulences des premières années de la nationalisation ; elle incarne également un rempart et un point de stabilité face aux premiers signes des mutations sociales et économiques. Dès 1948 en tous les cas, quelques Centres ménagers apparaissent au sein du groupe de Lens (la structure héritière de la compagnie éponyme) [40]. Alors que les écoles primaires privées des anciennes compagnies ont été nationalisées et ont intégré le giron de l’Éducation nationale, ces Centres ménagers restent, jusqu’à la fin des années 1960, gérés par l’entreprise elle-même. Dans les années 1950, ils accueilleraient près de 3 000 jeunes filles et jeunes femmes par an [41].

21 Leurs finalités et leur programme, très classiques, n’en témoignent pas moins de la poursuite du processus de rationalisation des fonctions ménagères, tout comme des nouvelles règles auxquelles obéit l’entreprise nationalisée. Le personnel est laïc ; les monitrices sont formées dans des écoles spécialisées ou dans les stages de formation organisés par les HBNPC ou à l’échelle nationale par CDF. Une part est faite à l’éducation générale (dessin, éducation physique), même si la priorité reste l’éducation de la ménagère (puériculture, hygiène domestique, cuisine, blanchissage, repassage). Il s’agit de faire en sorte que le mineur rentre heureux au foyer ; le but est aussi, notamment à travers l’économie domestique et les opérations d’achat effectuées sous la conduite des monitrices, avec comparaison au préalable des prix pratiqués, de faire de ces femmes des consommatrices avisées. Cela signifie avant tout, et sans surprise, les convaincre de cesser de recourir au « carnet », au crédit, en particulier pour les achats courants ou ceux qui sont considérés comme superflus.

22

Les travaux de couture, de raccommodage, lui permettront d’améliorer son budget. Il est nécessaire en particulier de lutter contre le système trop largement répandu d’achat au crédit : non seulement en ce qui concerne l’acquisition de grosses pièces de mobilier, mais encore en ce qui concerne les achats courants de viande, d’épicerie... Cette solution, toute de facilité, a détruit l’équilibre de bien des budgets familiaux [42].

23 Comme le note la direction des HBNPC, cet aspect d’éducation de l’acheteur, en l’occurrence de l’acheteuse, est « primordial pour l’évolution du niveau de vie réel de notre personnel [43] ». On ne peut mieux dire l’aspect instrumental de ces écoles et de ces opérations d’achat qui doivent à terme servir aussi bien l’équilibre financier et la bonne gestion des HBNPC, que la lutte contre l’inflation, s’agissant en particulier des prix alimentaires. Faut-il en déduire, comme le fait une étudiante en sociologie au début des années 1970 [44], que ces écoles participent purement et simplement à la reproduction sociale, à l’enfermement communautaire et l’atmosphère de sécurisation infantilisante dispensée par les Houillères ? Sont-elles, autrement dit, un élément de continuation, en l’état, du paternalisme ? Rien n’est moins sûr. Loin d’exercer un rôle dynamique, de modeler le rapport féminin à l’argent et les pratiques de consommation, ces écoles paraissent bien davantage se retrouver « coincées » là aussi entre la persistance de l’ancien et l’apparition du nouveau.

24 Ces écoles peinent, pour commencer, à recruter dans les couches les plus larges de la population minière [45]. Beaucoup des jeunes filles travaillent : certaines, au moins jusqu’aux années 1950, sont encore employées au triage à la surface, les plus chanceuses occupent quelques emplois administratifs, la majorité trouve à s’embaucher dans les usines de la région lilloise. La pression des familles, qui pensent encore en termes d’augmentation et de sécurisation du budget familial, y est pour quelque chose, la volonté de ces jeunes filles également. Travailler, c’est avoir le rang d’adulte, c’est aussi disposer d’argent de poche pour aller traditionnellement au bal, au cinéma, mais aussi pour suivre la mode, arborer des jupes amples, à carreaux de Vichy, garnies d’une broderie anglaise et rêver un instant de ressembler à Brigitte Bardot. Même en promettant le maintien des allocations familiales, les écoles des Houillères peinent donc à recruter la masse, et leur recrutement se cantonne aux filles qui n’ont pas trouvé de travail, ou celles issues de familles un peu plus aisées que la moyenne. Elles n’atteignent en somme que celles où l’éducation de l’acheteuse est la moins cruciale et échouent à obtenir une réelle audience auprès des autres, sans parler d’un infléchissement de leur pratique.

25 Plus largement, les écoles ménagères participent de la situation de transition dans laquelle se trouve alors le monde minier. D’un côté, lorsqu’elles incitent à se méfier des dépenses inutiles, lorsqu’elles érigent en règle intangible la définition de la femme en ménagère, elles contribuent effectivement à la vie minière dans ce que celle-ci conserve de plus dépouillée et de plus enfermée. Elles matérialisent le rôle d’instituteur que les HBNPC conservent pour bien d’autres aspects (l’accès au sport, aux vacances). Elles attestent la persistance malgré tout sinon d’une volonté au moins d’une tonalité moralisatrice, qui concerne aussi bien les ouvriers, que les femmes ou encore les jeunes joueurs du Racing Club de Lens, auxquels on intime de freiner les – modestes – dépenses ostentatoires que pourrait leur permettre leur premier salaire de footballeur [46].

26 Mais d’un autre côté ces écoles concourent bel et bien à une ouverture. Elles sont des moyens pour certaines jeunes filles de sortir au moins du foyer, de se « libérer de l’esclavage de leur mère [47] ». Quoique les Houillères, comme avant elles les compagnies, s’en défendent, ces Centres ménagers peuvent aussi, en apportant une qualification, être un vecteur de professionnalisation : dans le secteur du ménage et la couture pour la plupart, dans les fonctions de monitrice, d’assistance sociale ou d’infirmière, comme le note, non sans optimisme, une observatrice très proche des Houillères [48]. Cet usage détourné d’écoles ménagères qui, sur le papier, devraient contribuer à maintenir les femmes au foyer et les éloigner du travail, et qui dans la réalité, remplissent parfois un but tout à fait opposé, n’est pas neuf [49]. Le changement est davantage dans la participation des femmes à l’émergence de plus en plus nette de la société de consommation.

27 Si les HBNPC sont en théorie opposées, et peut-être davantage étrangères à cette émergence, dans les faits les choses sont moins nettes : la découverte des objets modernes, l’apprentissage de nouvelles pratiques de consommation, auxquelles aspirent comme les autres les femmes de mineurs, se déploient aussi, dans un certain nombre de cas, par la médiation des Houillères et de leurs Centres ménagers. Pour témoigner du succès de la formation qu’ils dispensent, ces derniers multiplient les participations aux concours du type « Fée du logis », comme aux salons ménagers [50]. Le journal d’entreprise du groupe de Lens décrit dès 1950 [51] l’émerveillement des meilleures élèves des centres qui, au salon des Arts ménagers à Paris, admirent les frigidaires, les cuisines modernes, le berceau enchanté et la maison préfabriquée de Le Corbusier. Les Houillères, quoique leurs dirigeants en aient, ne peuvent pas ne pas participer à l’atmosphère des Trente Glorieuses, ici en alimentant le rêve d’acquisition de nouveaux biens. Les Centres ménagers ont certes une fonction disciplinaire, mais, à travers la visite de cuisines-modèles, la présentation du fonctionnement du moulin à café électrique ou du maniement de la cocotte-minute, ils contribuent à faire naître d’autres besoins de consommation.

28 La volonté de moralisation des pratiques qui est sous-jacente, au moins au départ, à ces écoles, bute donc devant les formes réelles, anciennes de la vie minière, où l’enjeu n’est pas prioritairement de bien consommer, mais de pouvoir le faire, quitte à user avec pragmatisme des différents moyens disponibles (le commerce « immoral » pour certains biens, les coopératives « morales » pour d’autres), et à faire alterner longues périodes d’abstinence et explosion des dépenses-plaisir, pour lesquelles souvent le crédit demeure indispensable. Mais les écoles ne parviennent guère plus à ordonner et à borner l’attrait pour les objets de la vie moderne et le désir des mineurs de participer, eux aussi, à la société de consommation. Elles ouvrent au contraire parfois elles-mêmes la porte aux envies d’aller voir ailleurs, c’est-à-dire à la désaffection pour la vie dans les cités et à la fin plus générale du monde minier. En 1967, les Centres ménagers deviennent des collèges techniques privés, préparant au CAP (arts ménagers, industrie de l’habillement, couture floue). Quels que soient les regrets que suscite ce processus chez certains cadres des HBNPC [52], la banalisation de ces centres, l’effacement de leur dimension normative témoignent bien de la dilution d’une exception et de l’affaissement achevé de l’entreprise de moralisation des mineurs-consommateurs.

29 Que cette entreprise ait été marquée par des ambiguïtés et de réelles discontinuités entre l’avant et l’après nationalisation, qu’elle ait pour finir échoué à résister aux désirs de consommation et d’intégration sociale des mineurs, ne signifie pas pourtant qu’elle n’a pas existé. Il y a bien eu dans l’action sociale patronale une vision morale de la consommation ouvrière, qui n’a pas été faite seulement de stigmatisation du commerce et de déploration de la crédulité des mineurs, mais qui a aussi alimenté tout une série d’interventions et d’œuvres, des coopératives aux écoles ménagères. Les attentes et les expériences des élites patronales n’ont pas été sans converger, sur certains points au moins, avec les représentations et les buts d’une partie des élites ouvrières ; celles-ci font montre en effet durant longtemps d’une inquiétude similaire devant l’émergence de la figure du consommateur, au détriment de celle du producteur.

30 Il reste que toutes ces entreprises de normalisation de la consommation ont dû composer avec les pratiques réelles des familles minières en la matière. Si ces dernières investissent bel et bien au cours du siècle certaines des structures mises à leur disposition (les coopératives, les écoles ménagères), elles le font en les adaptant à leurs propres fins. Par ailleurs toute une série de pratiques résistent aux velléités normalisatrices : c’est en particulier le cas des formes diverses de crédit, dont l’évolution tient bien plus à des transformations nationales et à la déstructuration des communautés minières qu’aux réformes voulues par les Houillères. La volonté de transformer les pratiques ouvrières s’étiole d’ailleurs de plus en plus au cours des Trente Glorieuses : les dirigeants des Mines abandonnent au fur et à mesure de la fermeture des puits leurs charges sociales et leurs ambitions de régulation des conduites, les foyers ouvriers accèdent, même si dans ce cas c’est de manière relativement tardive [53], à la société de consommation telle qu’elle se déploie à l’échelle nationale. Si les regards normatifs sur les comportements d’acheteurs des mineurs, et plus en plus de leurs descendants, persistent au moins au cours des années 1970, c’est désormais dans une tonalité strictement misérabiliste [54] : les mineurs déprolétarisés, par leurs recours aux formes normalisées du crédit à la consommation, par leurs achats de biens jugés inutiles – comme la télévision – ne paraissent plus désormais qu’incarner le type le plus stigmatisé du consommateur issu des classes populaires.

Notes

  • [1]
    Centre des Archives du Monde du Travail (CAMT), Fonds Charbonnages de France (CDF), 2004 001 500, Direction Générale des HBNPC, « Note sur le crédit social (vente à tempérament) », fin de l’année 1958.
  • [2]
    Jean-Claude Daumas, « Les métamorphoses du paternalisme » dans Jean-Claude Daumas et al. (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 880-886.
  • [3]
    Gérard Noiriel, Longwy. Immigrés et prolétaires, 1880-1980, Paris, PUF, 1984, p. 192.
  • [4]
    Pour quelques éléments sur ces infléchissements, on se permettra de renvoyer à Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les « Gueules Noires ». Essai d’histoire sociale, Paris, Les Indes Savantes, 2010, p. 154 et suivantes.
  • [5]
    Marie-Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2012, p. 29-40.
  • [6]
    Raymond Delcourt, De la condition des ouvriers dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais, Paris, V. Giard et E. Brière, 1906, p. 197-220.
  • [7]
    Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie, Paris, Librairie Felix Alcan, 1913, p. 420- 439. Sur cette dynamique des consommations ouvrières voir également Helen Harden-Chenut, Les Ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.
  • [8]
    Raymond Delcourt, De la condition des ouvriers..., op. cit., p. 204.
  • [9]
    Philippe Ariès, « Au Pays noir. La population minière du Pas-de-Calais », dans Histoire des populations françaises, Paris, Seuil, coll. « Points », 1979, p. 115-118.
  • [10]
    Archives Départementales du Pas-de-Calais, Discours d’Ernest Cuvelette (directeur de la Compagnie de Lens) sur le logement du mineur, Paris, Musée Social, 1925. Archives du Centre historique minier de Lewarde [CHML], n° 1696, Société des Mines de Lens, Reconstitution sociale et industrielle (tiré à part de « Nord Magazine »), Lille, Imprimerie Léonard Danel, 1928.
  • [11]
    Raymond Delcourt, De la condition des ouvriers..., op. cit., p. 218-220.
  • [12]
    Martine Martin, Femme et société : le travail ménager 1919-1939, Thèse d’histoire, Université de Paris 7, 1984. Sandrine Roll, De la ménagère parfaite à la consommatrice engagée. Histoire culturelle de la ménagère nouvelle en France au tournant des XIXe et XXe siècles, Thèse d’histoire, Université de Strasbourg II, 2008. Marie-Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, op. cit., p. 72-73.
  • [13]
    CHML, n° 1696, Société des Mines de Lens, Reconstitution sociale et industrielle..., op. cit. Centre des Archives du Monde du Travail [CAMT], Comité Central des Houillères de France, 40 AS 55, « L’utilisation des loisirs ouvriers dans l’industrie houillère » (bilan au 10 décembre 1923).
  • [14]
    Yves Cohen, Rémi Baudouï (dir.), Les chantiers de la paix sociale (1900-1940), Fontenay, ENS Éditions, 1995, en particulier les contributions introduites par Yves Cohen, p. 153-155. Marie-Emmanuelle Chessel, Bruno Dumons (dir.), Catholicisme et modernisation de la société française (1890-1960), Lyon, Université de Lyon II, Cahiers du Centre Pierre Léon, n° 2, 2003. Bruno Dumons et Florent Le Bot, « Le catholicisme social », dans Jean-Claude Daumas et al., Dictionnaire historique des patrons français, op. cit., p. 1013-1017.
  • [15]
    Alfred Bucquet, Lens, son passé, ses houillères, Lens, Imprimerie centrale d’Artois, 1950, p. 240-244.
  • [16]
    Vincent Bellanger, « Directeurs de la Compagnie des mines de Lens », dans Jean-Claude Daumas et al., Dictionnaire historique des patrons français, op. cit., p. 187-189.
  • [17]
    Préface à Arthur Choquet, Le jardin du mineur, Lille, Imprimerie Léonard Danel, 1922.
  • [18]
    Nord industriel, numéro spécial, 27 mai 1937. Plus généralement, Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les Gueules Noires, op. cit., p. 64-66.
  • [19]
    « Le commerce de « Grand’papa » dans le pays minier » (témoignage de René Debarge), dans Line Codore, Or et Sang en Pays Noir (témoignages recueillis par Josiane et Robert Lorthios), Pont-à-Vendin, Pour Mémoire, 2008, p. 49-52.
  • [20]
    Gilles Laferté, Martina Avanza, Marion Fontaine, Etienne Pénissat, « Le crédit direct des commerçants aux consommateurs : persistance et dépassement dans le textile à Lens (1920-1970) », Genèses, n° 79, juin 2010, p. 26-47. Pour des éléments de comparaison, Anaïs Albert, « Le crédit à la consommation des classes populaires à la Belle Époque. Invention, innovation ou reconfiguration ? », Annales ESC, 4, 2012, p. 1049-1082.
  • [21]
    Ce phénomène est loin d’être propre au bassin minier français, voir : Richard Hoggart, 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Paris, Hautes Études/Gallimard/Le Seuil, p. 79-81, p. 117-121. Avram Taylor, Working class credit and Community since 1918, Londres, Palgrave Mac Millan, 2002.
  • [22]
    Helen Harden-Chenut, Les Ouvrières de la République, op. cit., op. cit., p. 233-252, p. 310-315. De manière générale, Ellen Furlough, Consumers Cooperation in France. The Politics of Consumption, 1834-1930, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1991.
  • [23]
    Les coopératives ouvrières du bassin minier constituent un terrain de recherche qui demeure en grande partie à explorer ; une partie des archives les concernant est déposée au Centre des Archives du Monde du Travail. Ici, CAMT, 1893 032 1893-2110, Archives de l’Ouvrière d’Avion, 1919-1959.
  • [24]
    Cité dans Jacques Julliard, « Modérés et radicaux : Jeune et Vieux syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais (à travers les papiers de Pierre Monatte) », dans Jacques Julliard, Autonomie ouvrière. Essai sur le syndicalisme d’action directe, Paris, Hautes Études/Gallimard/Le Seuil, 1988, p. 85.
  • [25]
    Michelle Perrot, « L’éloge de la ménagère dans le discours des ouvriers français au XIXe siècle », Romantisme, n° 13-14, 1976, p. 105-122.
  • [26]
    Les archives de la CCPM sont déposées au Centre des Archives du Monde du Travail sous la cote 1997 032 001-1890.
  • [27]
    Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, 1990, p. 66-68, p. 120-121.
  • [28]
    Sur les pratiques de crédit et leur dynamique dans la région minière, Gilles Laferté et al., « Le crédit direct des commerçants aux consommateurs : persistance et dépassement dans le textile à Lens (1920-1970) », op. cit.
  • [29]
    Pierre Belleville, Une nouvelle classe ouvrière, Paris, Julliard, 1963, p. 38-39. Juliette Minces, Le Nord, Paris, Maspero, coll. « Cahiers libres », 1967, p. 125-145.
  • [30]
    CAMT, 1989 001 0179, étude de marché pour l’ouverture d’un supermarché « Coop » (coopératif) à Liévin en mai 1973.
  • [31]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, Note « Vente à crédit », 1954.
  • [32]
    Outre la note ci-dessus, voir le rapport déjà cité, « Note sur le crédit social » en 1958.
  • [33]
    CAMT, CDF, 2004 001 499, État des lieux des coopératives au 7 juin 1948.
  • [34]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, Note du secrétariat général, « Fonctionnement et rôle des coopératives de consommation dans le bassin », 31 mai 1952.
  • [35]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, « Note sur le crédit social », op. cit.
  • [36]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, « Note sur le crédit social », op. cit.
  • [37]
    Alain Chatriot, « Protéger le consommateur contre lui-même. La régulation du crédit à la consommation », Vingtième Siècle, n° 91, juillet-septembre 2006, p. 99-100.
  • [38]
    CAMT, CDF, 2004 001 500, « Fonctionnement et rôle des coopératives de consommation dans le bassin », op. cit.
  • [39]
    Dominique Le Tirant, Femmes à la mine, femmes de mineur, Lewarde, Éditions du Centre Historique Minier, 2002, p. 93.
  • [40]
    Notre Mine. Journal du groupe de Lens, mars 1949.
  • [41]
    CHML, n° 4238, Nathalie Makuch-Zak, Les Réalisations économiques et sociales des Charbonnages de France dans les Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais, Thèse de droit, Université de Lille, 1957, p. 319-323.
  • [42]
    Ibid., p. 320.
  • [43]
    CHML, C3 164, Notes du 16 octobre 1952 et du 19 avril 1956 sur le fonctionnement des écoles ménagères.
  • [44]
    Citée par Dominique Le Tirant, Femmes à la mine, femmes de mineur, op. cit., p. 93.
  • [45]
    Natalie Makuch-Zak, Les réalisations économiques et sociales..., op. cit., p. 322. Voir également le témoignage intitulé « Les filles » dans Line Codore, Or et Sang en Pays Noir, op. cit., p. 167-169.
  • [46]
    Entretien avec Eugène Hanquez, ingénieur au Service social du groupe de Lens, 19 novembre 1998.
  • [47]
    Voir le témoignage de Thérèse, ancienne monitrice au Centre ménager de Lens, dans Dominique le Tirant, Femmes à la mine, femmes de mineur, op. cit, p. 96-99.
  • [48]
    CHML, n° 4238, Nathalie Makuch-Zak, Les réalisations économiques et sociales..., op. cit., p. 323.
  • [49]
    Sandrine Rolle, De la ménagère parfaite à la consommatrice engagée, op. cit.
  • [50]
    Claire Leymonerie, « Le Salon des arts ménagers dans les années 1950. Théâtre d’une conversion à la consommation de masse », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 91, 2006, p. 43-56.
  • [51]
    Notre Mine, 13, mars 1950, « Une visite au salon des Arts ménagers à Paris ».
  • [52]
    Alexis Destruys (ancien secrétaire général des HBNPC), Mémoire professionnels 1re période de 1943 à 1968, Paris, Éditions Glyphe, 2011, t. II, p. 100-110.
  • [53]
    Barbara Cierpisz, Sylvianne Grésillon, « L’évolution des indicateurs sociaux dans la région Nord-Pas-de-Calais de 1945 à nos jours », dans Marcel Gillet (dir.), La qualité de la vie dans la région Nord-Pas-de-Calais au XXe siècle, Lille, Éditions Universitaires-Lille III, 1975, p. 203-255.
  • [54]
    Juliette Minces, Le Nord, op. cit., p. 125-128.
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