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Article de revue

Classe et nation dans l'Union soviétique de l'entre-deux-guerres. Politiques, logiques et conséquences de la justice sociale

Pages 141 à 155

Notes

  • [1]
    Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005. Nancy Fraser se distingue d’Axel Honneth pour qui les questions de redistribution sont enracinées dans celles de reconnaissance. Axel Honneth, La Société du mépris, Paris, La Découverte, 2008.
  • [2]
    Sheila Fitzpatrick, « L’usage bolchevique de la "classe" », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 85, novembre 1990, p. 70-80.
  • [3]
    Sheila Fitzpatrick, « L’identité de classe dans la société de la NEP », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 2, 1989, p. 251-271.
  • [4]
    Sur les étapes et les évolutions de cette politique : Sheila Fitzpatrick, « L’usage bolchevique de la “classe” », op. cit., p. 70-80 ; Jean-Paul Depretto, Pour une histoire sociale du régime soviétique (1918-1936), Paris, L’Harmattan, 2001.
  • [5]
    Orlando Figes, La Révolution russe. 1891-1924 : la tragédie d’un peuple, Paris, Denoël, 2007, p. 646.
  • [6]
    Larissa Zakharova, « Le 26-28 Kamennoostrovski, les tribulations d’un immeuble en révolution », dans Lorraine de Meaux (dir.), Saint-Pétersbourg. Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 480. Plus généralement, sur le logement : T.M. Smirnova, « Klassovaïa bor’ba na “Jilichtchnom fronte” : osobennosti jilichtchnoï politiki sovetskoï vlasti v 1917-natchale 1920-kh gg. », Sotsial’naïa istoriia, Ejegodnik 2007, Moscou, 2008, ROSSPÈN, p. 199-218.
  • [7]
    Laurent Coumel, « Rapprocher l’école et la vie » : Dégel et réformes dans l’enseignement soviétique (1953-1964), thèse de doctorat, Paris I Panthéon-Sorbonne, 2010, p. 52-58.
  • [8]
    Monique de Saint Martin, Sofia Tchouikina, « La noblesse russe à l’épreuve de la révolution d’Octobre. Représentations et reconversions », Vingtième siècle, 2008/3, n° 99, p. 104-128. Voir aussi le livre de Sofia Tchouikina, Dvorianskaïa pamiat’ : byvchie v sovetskom gorode – Leningrad, 1920-1930 gody, Saint-Pétersbourg, Izdatel’stvo Evropeïskogo ouniversiteta, 2006. La possibilité d’être démasqué fut longtemps présente. Sheila Fitzpatrick a ainsi écrit sur Anastasia Plotnikova, présidente d’un Soviet de district de Leningrad, qui fit en 1936 l’objet d’une enquête de la police politique mettant en cause sa biographie officielle : « The Two Faces of Anastasia », dans Brigitte Studer, Berthold Unfried, Irène Herrmann (éd.), Parler de soi sous Staline. La construction identitaire dans le communisme des années trente, Paris, Édition de la MSH, 2002, p. 53-64.
  • [9]
    Nathalie Moine, « Peut-on être pauvre sans être un prolétaire ? », Le Mouvement Social, 2001/3, 196, p. 89-114. Voir également : Golfo Alexopoulos, Stalin’s Outcasts : Aliens, Citizens, and the Soviet State, 1926- 1936, Ithaca, Cornell University Press, 2002 ; Jean-Paul Depretto, op. cit., p. 51-66.
  • [10]
    Joseph Staline, Les Questions du léninisme, t. 2, Éditions sociales internationales, 1931, p. 143-144. Selon Staline, plus s’approchait la défaite des éléments capitalistes, plus leur résistance devait être déterminée.
  • [11]
    Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », Le Livre noir du communisme, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 164-172.
  • [12]
    Sheila Fitzpatrick, « L’usage bolchevique de la "classe" », op. cit., p. 75-76.
  • [13]
    Jeremy Smith, The Bolsheviks and the National Question, 1917-1923, New York, Palgrave, 1999, p. 7- 19. Voir également : Georges Haupt, Michel Lowy, Claudie Weil, Les Marxistes et la question nationale, Paris, Maspero, 1974.
  • [14]
    En 1924, un dignitaire du Parti, Iosif Vareïkis estimait que seule l’autodétermination nationale était à même de permettre aux nations d’accéder au « vaste appartement communautaire » qu’était l’Union soviétique, à savoir une structure étatique où chaque minorité occupait un territoire, assimilé à l’une des « chambres séparées » de la kommounalka. Yuri Slezkine, « The USSR as a Communal Apartment, or How a Socialist State Promoted Ethnic Particularism », Slavic Review, 53, 2, 1994, p. 434.
  • [15]
    Daniel E. Schafer, « Local Politics and the Birth of the Republic of Bashkotorstan, 1919-1920 », dans Ronald G. Suny, Terry Martin (éd.), A State of Nations. Empire and Nation-Making in the Age of Lenin and Stalin, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 165-190.
  • [16]
    Plus généralement, l’ensemble des partis non bolcheviques fut interdit. La chasse aux opposants politiques aboutit au premier procès public de la Russie soviétique, celui des socialistes-révolutionnaires en 1922. Sur ce procès : K.N. Morozov, Soudebnij protsess sotsialistov-revolioutsionerov i tiouremnoe protivostoïanie (1922-1926) : ètika i taktika protivoborstva, Moscou, ROSSPÈN, 2005.
  • [17]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire. Nations and Nationalism in the Soviet Union, 1923-1939, Ithaca, Cornell University Press, 2001, p. 9-15, 31-55.
  • [18]
    Archives d’État russe pour l’histoire politique et sociale (RGASPI), 17/21/2468/155. En raison des expulsions et des spoliations conduites par l’autocratie en Crimée, les Tatars n’y représentaient plus qu’une minorité, numériquement réduite, socialement et économiquement déclassée. Voir Grégory Dufaud, Les Tatars de Crimée et la politique soviétique des nationalités, Paris, Non Lieu, 2011.
  • [19]
    Sur les famines de 1931-1933 : Andrea Graziosi, « Les Famines soviétiques de 1931-1933 et le Holodomor ukrainien », Cahiers du Monde russe, 46/3, Juillet-septembre 2005, p. 453-472.
  • [20]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 394-461 ; David Brandenberger, National Bolshevism. Stalinist Mass Culture and the Formation of Modern Russian National Identity, 1931-1956, Cambridge, Harvard University Press, 2002, p. 43-62.
  • [21]
    Jeremy Smith, op. cit., p. 18-19. Le texte de Staline a été édité en français : Joseph Staline, « Le marxisme et la question nationale », Le marxisme et la question nationale et coloniale, Paris, Éditions sociales, 1950, notamment p. 38-41.
  • [22]
    Yuri Slezkine, « The USSR as a Communal Apartment », op. cit., p. 420-422.
  • [23]
    Jeremy Smith, op. cit., p. 34-39. Sur l’introduction des minorités dans l’Armée rouge : Joshua A. Sanborn, Drafting the Russian Nation. Military Conscription, Total War, and Mass Politics, 1905-1925, DeKalb, Northern Illinois University Press, 2003, p. 63-95.
  • [24]
    Desiatyj s"ezd RKP(b), mart 1921 goda – stenografitcheskij ottchet, Moscou, 1963, p. 252.
  • [25]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 5-6.
  • [26]
    Alexandre Bennigsen, Chantal Lemercier-Quelquejay, L’Islam en Union soviétique, op. cit., p. 120-128 ; R.G. Landa, « Mirsaïd Soultan-Galiev », Voprosi Istorii, n8, 1999, p. 53-70.
  • [27]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 228-230 ; Jeremy Smith, op. cit., p. 228-238.
  • [28]
    Les Cahiers slaves ont consacré un numéro aux études régionales : « Les études régionales en Russie : origines, crise, renaissance (1880-1990) ». Cahiers slaves, n° 6, 2002. Sur le rôle des ethnographes dans la territorialisation des « identités nationales » : Francine Hirsch, Empire of Nations. Ethnographic Knowledge and the Making of the Soviet Union, Ithaca, Cornell University Press, 2005, p. 145-186.
  • [29]
    Cité par Hélène Carrère d’Encausse, Le Grand défi. 1917-1930, Paris, Flammarion, 1987, p. 195.
  • [30]
    Adrienne Edgar, Tribal nation. The Making of Soviet Turkmenistan, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 100-128.
  • [31]
    Krasnyi Krym, 14 décembre 1928 ; Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF), 1235/123/437/29-33.
  • [32]
    RGASPI, 17/21/2452/85-88 ; Materialy k dokladou pravitel’stva Krymskoï ASSR, Simféropol, 1933, p. 95. Sur les petits peuples du Nord et l’industrialisation : Yuri Slezkine, Arctic Mirrors. Russia and the Small People of the North, Ithaca, Cornell University Press, 1994, p. 265-299.
  • [33]
    À propos de la campagne de lutte contre le chauvinisme de la grande puissance : Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 156-159.
  • [34]
    Adrienne Edgar, op. cit., p. 182-191.
  • [35]
    Isabelle Ohayon, « Lignages et pouvoirs locaux. L’indigénisation au Kirghizstan soviétique (années 1920-1930) », Cahiers du Monde russe, 2008/1, 49, p. 156-167.
  • [36]
    Peter Holquist, « “Conduct Merciless Mass Terror”. Decossackization on the Don, 1919 », Cahiers du Monde russe, 38 (1-2), janvier-juin 1997, p. 127-162.
  • [37]
    Nicolas Werth, « Les Déportations de « populations suspectes » dans les espaces russes et soviétiques (1914-fin des années 1940) : violences de guerre, ingénierie sociale, excision ethno-historique », La Terreur et le désarroi. Staline et son système, Paris, Perrin, 2007, p. 230-231.
  • [38]
    Ibid., p. 231-236, 242-246.
  • [39]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 329-330.
  • [40]
    Michaël Gelb, « The Western Finnish Minorities and the Origins of the Stalinist Nationalities Deportations », Nationalities Papers, n° 24, 1996, p. 243.
  • [41]
    Amir Weiner, Making Sense of War. The Second World War and the Fate of the Bolshevik Revolution, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 143-144.
  • [42]
    Terry Martin, « The Origins of Soviet Ethnic Cleansing », The Journal of Modern History, vol. 70, n4, décembre 1998, p. 830.
  • [43]
    Juliette Cadiot, op. cit., p. 181.
  • [44]
    Nicolas Werth, « Les “Opérations de masse” de la “Grande Terreur” en URSS (1937-1938) », Bulletin de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n° 86, 2006, p. 24-30.
  • [45]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 337-340.
  • [46]
    Michaël Gelb, « An Early Soviet Ethnic Deportation : The Far Eastern Koreans », The Russian Review, n° 54, 1995, p. 389-412.
  • [47]
    Sheila Fitzpatrick, « Class and Soslovie », Tear of the Masks ! Identity and Imposture in Twentieth-Century Russia, Princeton, Princeton University Presse, 2005, p. 72-75.
  • [48]
    Alain Blum, Martine Mespoulet, L’Anarchie bureaucratique. Statistique et pouvoir sous Staline, Paris, La Découverte, 2003, p. 261-262.
  • [49]
    Sur les recensements de l’entre-deux-guerres : Juliette Cadiot, op. cit., p. 143-205 ; Francine Hirsch, op. cit., p. 101-144.
  • [50]
    Dans les lieux passeportisés, un migrant devait obligatoirement se faire enregistrer et obtenir la « propiska ». Dans les « localités à régime spécial », différentes catégories de Soviétiques étaient exclues du droit de résidence : les koulaks comme les migrants sans contrat de travail. Nathalie Moine, « Passeportisation, statistique des migrations et contrôle de l’identité sociale », Cahiers du Monde russe, vol. 38 (4), oct.-déc. 1997, p. 587-600. Voir également : Juliette Cadiot, op. cit., p. 177-180.
  • [51]
    Laurent Thévenot, L’Action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
« Le prolétariat ne peut ni mener la lutte pour le socialisme, ni défendre ses intérêts économiques quotidiens, sans l’union la plus étroite et la plus complète entre les ouvriers de toutes les nations au sein de toutes les organisations ouvrières sans exception. Le prolétariat ne peut pas conquérir la liberté autrement qu’en menant la lutte révolutionnaire pour le renversement de la monarchie tsariste et son remplacement par une république démocratique. La monarchie tsariste exclut la liberté et l’égalité en droits des nationalités ; de plus, elle est le principal rempart de la barbarie, de la brutalité et de la réaction, en Asie comme en Europe. Et la seule force capable de renverser cette monarchie, c’est le prolétariat uni de toutes les nations de Russie qui entraîne, parmi les masses laborieuses de toutes les nations, les éléments démocratiques conséquents et aptes à la lutte révolutionnaire.
C’est pourquoi l’ouvrier qui place l’union politique avec la bourgeoisie de "sa" nation au-dessus de l’unité complète avec les prolétaires de toutes les nations agit contre son propre intérêt, contre l’intérêt du socialisme et contre l’intérêt de la démocratie ».
LÉNINE, Thèses sur la question nationale, 1913.

1 Lorsque les bolcheviks s’emparèrent du pouvoir en octobre 1917, ils entreprirent de transformer radicalement la Russie en vue de donner naissance à une société nouvelle qui, au terme de la révolution prolétarienne, ne connaîtrait ni différenciation de classe ni antagonismes sociaux d’aucune sorte. Les autorités prirent toute une série de lois dans les domaines politique, économique et social qui revenaient sur l’ordre tsariste, que tout un chacun était appelé à honnir de toutes ses forces. Par la lutte des classes, elles entendaient détruire le capitalisme, façonner des institutions socialistes et bouleverser les rapports de domination. Il fut alors mis en œuvre une forme radicale de nivellement social qui discriminait les catégories autrefois privilégiées au profit de celles qui avaient été dépossédées : les ouvriers et les paysans d’abord, mais aussi les allogènes ou les femmes qui furent reconnus, après l’avoir longtemps demandé, comme des citoyens à part entière.

2 C’est l’intention de cet article que d’examiner comment la lutte des classes a pu coexister avec des mesures d’émancipation qui concernaient des personnes pourtant susceptibles d’être stigmatisées : en effet, toutes les femmes de Russie n’étaient pas des travailleuses manuelles ; de même, le prolétariat était extrêmement réduit parmi les minorités nationales. Toutefois, l’analyse ne portera ici que les rapports entre classe et nation, même si elle pourrait être prolongée en croisant des politiques qui s’adressent aux femmes ou aux homosexuels. On s’appuiera sur la réflexion de Nancy Fraser pour qui, lorsqu’on aborde les questions de justice sociale, il faut distinguer analytiquement le principe de « reconnaissance » de celui de « redistribution ». D’après elle, la distinction doit être faite dans la mesure où ces deux paradigmes diffèrent par maints aspects : l’un traite des injustices symboliques, quand l’autre concerne l’exploitation économique ; l’un propose le changement culturel comme correctif, quand l’autre insiste sur la redistribution économique ; l’un envisage les victimes sous l’angle statutaire, quand l’autre les perçoit plutôt en termes de classes sociales ; l’un voit les différences symboliques comme des entités soit à célébrer soit à déconstruire, quand l’autre estime que les différences doivent être abolies. Tous deux sont constitutifs de ce que Nancy Fraser a appelé la « parité de participation » qui implique que les individus interagissent entre eux en tant qu’égaux. Or leur statut dépend directement des modèles institutionnalisés, qui sont le fruit de logiques de pouvoir et renvoient à des formes de réification. L’histoire et l’État occupent donc un rôle important, qui laisse tout de même jouer la contingence [1].

3 À partir de ces propositions, un parcours sera ici envisagé qui décrira à grands traits les politiques de classe et de nation et comment leur couplage a pu être pensé par les bolcheviks ; puis qui, de là, mettra au jour les logiques animant ces politiques et les conséquences qu’elles purent avoir, les unes sur les autres, ou en termes de répressions et d’assignation identitaire. Cet article traitera, au fond, d’un thème central de l’histoire soviétique, celui du projet révolutionnaire et de ses promesses d’affranchissement non pas seulement pour en souligner les outrances ou les limites, mais plutôt pour montrer comment ses multiples facettes s’articulèrent, ou non, dans le temps.

La révolution au nom de la lutte des classes

4 Pour les marxistes, la classe trouve naissance dans la structure économique. Elle est un groupement d’individus qui occupe une place particulière au sein du système de production et entretient des rapports avec une autre classe. Les bolcheviks considéraient que la société était divisée en deux classes antagonistes. D’un côté, le « prolétariat », dont le Parti bolchevique se disait l’avant-garde, était constitué des ouvriers dont les paysans pauvres et sans terre étaient les alliés. De l’autre, la « bourgeoisie » amalgamait ensemble les représentants de la noblesse et du capitalisme, appelés les « ci-devant » ou byvchie, les entrepreneurs et les commerçants privés, dont l’activité fut légalisée en 1921 avec la proclamation de la Nouvelle Politique économique (NEP) lors du Xe congrès du Parti, et les koulaks, les paysans les plus riches ou prétendus tels [2]. L’appartenance à une classe dépendait de l’origine sociale et de la profession pratiquée au moment de la Révolution. Tous ses membres n’étaient pas forcément égaux, puisque l’emploi exercé après 1917 était pris en compte. Par exemple, un cadre du Parti, s’il relevait du prolétariat en raison de son origine ouvrière, était enregistré de par sa profession comme « col blanc [3] ». L’antagonisme des classes se doublait donc d’une hiérarchie en leur sein, à même de compliquer le jeu social. La refonte de la société s’accompagna d’une entreprise de caractérisation qui prêtait des traits et un comportement identiques à tous les membres d’une même strate. Autrement dit, la classe, en situant les individus au sein de l’espace social, déterminait aussi les rapports mutuels à l’État et au Parti.

5 En vue de transformer la société, les bolcheviks discriminèrent les « bourgeois » en faveur du « prolétariat [4] ». Cette justice de classe, voulue rectification du mouvement de l’histoire, résonnait de manière particulière pour la majorité des Russes, puisqu’elle faisait écho à la fois à la tradition égalitaire qui remontait à la commune paysanne et à l’idéal chrétien du salut par la pauvreté [5]. Plusieurs types de mesures furent édictés. D’une part, les ouvriers bénéficièrent de rations alimentaires plus importantes et de la priorité en matière d’attribution des logements. Par exemple, en mars 1918, le soviet de Petrograd réquisitionna des appartements, en entier ou pour partie, afin de les attribuer à d’autres occupants, ouvriers, qui étaient dispensés de loyer. À divers égards, la lutte des classes fut vengeance à l’égard des possédants, même si les bolcheviks regrettaient que le bouleversement du système de représentations et de relations entre les individus ne fût pas aussi rapide qu’ils l’eussent souhaité : « nous avons tellement bu avec le lait de notre mère les préjugés serviles sur les bases sacrées de la propriété privée, que même maintenant, après dix mois de révolution ouvrière, un ouvrier moyen et sa famille se refusent toujours à déménager et à occuper l’appartement qui appartenait jadis à tel ou tel richard [6]. »

6 D’autre part, les ouvriers furent recrutés de manière préférentielle à l’école, à l’université, dans l’administration ou dans l’armée. Parce que l’exploitation de classe n’était pas seulement économique, mais aussi culturelle, la redistribution des ressources fut donc accompagnée de correctifs destinés à rétablir les ouvriers et les paysans dans leur dignité et, ce faisant, à prolétariser les institutions. Ainsi, pour faciliter leur accès au supérieur, les « facultés ouvrières » furent créées qui préparaient leurs élèves, admis grâce au parrainage du Komsomol, d’un syndicat ou d’une « organisation sociale », à l’examen des établissements auxquels elles étaient rattachées. Plus du tiers des étudiants du supérieur y transita entre 1925 et 1935. Tout autre admis devait, quant à lui, faire la preuve de ses origines. Dans le même temps, les universités et les instituts furent épurés de leurs étudiants d’ascendance douteuse par le biais de vagues de purges. À en croire Vassili Grossman qui évoqua l’épisode dans l’un de ses livres, Tout passe, les enfants issus « d’une famille intellectuelle exerçant une profession » purent néanmoins échapper à ce qu’il appela la « féroce épuration de l’université [7] ».

7 Dans cette nouvelle économie politique, que la suppression de la noblesse en tant qu’ordre et l’expropriation des propriétaires fonciers devaient permettre d’instaurer, les ressources jusqu’alors mobilisées par les classes possédantes furent disqualifiées. Les ci-devant ne pouvaient désormais plus ni arguer de leur nom et de leur titre, ni non plus tirer de ressource de leur propriété, et nombreux furent ceux à taire qui ils étaient, à déménager dans une autre ville ou à se reconvertir d’un point de vue professionnel. Beaucoup vécurent alors dans la crainte d’être découverts [8]. Une partie des anciennes élites et les personnes ayant un revenu considéré indécent fut même privée de ses droits civiques. Les Constitutions de 1918 puis de 1925 de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) précisèrent les catégories de personnes ostracisées. À chacune des élections, il revenait aux soviets locaux de dresser les listes électorales, publiques, en les excluant. Les lichentsy, qui ne furent jamais plus de 7 % des urbains et 4 % des ruraux, le pic se situant dans les années 1928-1929, étaient en outre privés du droit au logement, des services de santé et des cartes de rationnement (réintroduites en 1929). Ils pouvaient cependant faire appel de leur sort, soit parce qu’ils considéraient la décision injuste, soit parce qu’ils estimaient que les conditions ayant présidé à leur ostracisme n’étaient plus d’actualité. Et de fait, une très grande partie des plaignants fut réhabilitée, témoignant ainsi des hésitations des autorités dans ce domaine [9].

8 À la fin des années vingt, la fin de la NEP et le Grand tournant signifièrent l’intensification du conflit de classes. Lors du fameux procès de Chakhty, qui en marqua le lancement, un groupe d’ingénieurs fut accusé de sabotage au compte du capital international. L’exaspération de la guerre de classes fut certes justifiée par une menace extérieure mais, comme l’expliqua Staline dans les Questions du Léninisme, elle tint avant tout à deux causes : d’une part, « le développement des formes socialistes de l’économie » par le biais de la collectivisation et de l’industrialisation accélérée ; d’autre part, la résistance qu’y opposèrent les « éléments capitalistes [10] ». L’assaut visa la vieille intelligentsia, les entrepreneurs, les commerçants, les artisans et les koulaks. Il fut d’une grande violence dans les campagnes où près de deux millions de paysans associés à la koulakerie furent réprimés en 1930 et 1931, arrêtés ou déportés [11]. Le conflit de classe, à la fois comme paradigme explicatif et instrument de justice sociale, fut toutefois mis en sourdine dès 1932. La classe disparut des critères d’admission successivement à l’entrée de l’école, des établissements supérieurs techniques, du Komsomol et du Parti. La théorie des classes fut redéfinie, Staline annonçant en 1936 en relation avec la préparation de la nouvelle Constitution que l’antagonisme de classe avait été dépassé. Officiellement, la justice de classe avait abouti à l’hégémonie des prolétaires et des paysans en Union soviétique [12].

Nations et révolution sociale

9 Les marxistes estimaient que nationalisme était un produit du capitalisme et de la compétition entre les bourgeoisies des États-nations. Par essence réactionnaire, cette idéologie unissait les travailleurs à leurs dirigeants autour d’un illusoire intérêt commun. Toutefois, les marxistes étaient divisés quant à la position à adopter face au nationalisme, se demandant dans quelle mesure les mouvements nationaux pouvaient aider ou, au contraire, gêner le mouvement révolutionnaire. À partir de la fin du XIXe siècle, plusieurs approches émergèrent. Les austro-marxistes, comme Otto Bauer, défendaient la notion d’autonomie extraterritoriale qui garantissait les droits des minorités. Rosa Luxembourg considérait, elle, que seuls certains domaines de la vie locale devaient profiter d’une autonomie limitée. Quant à Lénine, il invitait à distinguer le nationalisme de la nation oppressive, qui encourage les ouvriers et les paysans de la nation coloniale à regarder en direction de leurs maîtres plutôt que vers le prolétariat des autres nations oppressives, du nationalisme de la nation opprimée, qui favorise l’opposition révolutionnaire mais attise également la défiance entre les membres de la nation opprimée. Le droit à l’autodétermination nationale, qu’il défendait au nom de l’unité du prolétariat, était censé permettre tout à la fois de dépasser la mésentente entre les travailleurs des nations opprimantes et d’en finir avec la domination de la nation oppressive [13].

10 Après la révolution de Février, quand les revendications nationales se multiplièrent, ce mot d’ordre devint pour les bolcheviks un moyen de se rallier les régions périphériques de l’empire, même si, fut-il bientôt annoncé, « le droit des nations à la séparation ne doit pas être confondu avec l’idée que les nations doivent obligatoirement se séparer ». La déclaration des peuples de Russie proclamée par les bolcheviks dans les premières heures de leur prise de pouvoir insista sur l’union volontaire des populations. Et c’est sur ce principe que fut établie la RSFSR dont le territoire fut divisé entre 1919 et 1921 en régions et républiques nationales [14]. Alors que la guerre civile faisait rage, l’octroi de ces autonomies fut le plus souvent conjoncturel, à l’instar de la République de Bachkirie qui fut une forme d’expédient dans une région qui était un théâtre militaire difficile : pour éviter que les élites bachkires ne se tournent vers les Blancs et ne leur apportent leur soutien, Moscou consentit à une république qui disposait pratiquement de la plénitude des pouvoirs [15]. Dans tous les cas, il s’agissait de trouver une solution à la question nationale et l’un des principaux arguments à la création des unités autonomes fut le mépris historique des Russes, le « chauvinisme grand-russien », à l’endroit des allogènes. La reconnaissance des droits nationaux ne s’en accompagna pas moins de violences envers tous les activistes qui refusaient de se soumettre aux bolcheviks. Quant aux partis nationaux, ils furent tout simplement interdits [16].

11 Dans les périphéries, les bolcheviks favorisèrent l’usage de la langue locale, recrutèrent les indigènes dans l’administration et les admirent au Parti. Ces mesures prises au fil des circonstances, d’ampleur limitée, se virent donner une cohérence à travers le programme d’« indigénisation » (korenizatsiia) de 1923, qui demandait à ce que les indigènes soient systématiquement promus dans les territoires dont ils étaient la nation titulaire : l’emploi de la langue nationale et la nomination de cadres locaux devaient se combiner au soutien de l’identité indigène, par le biais de la formation d’une élite et la promotion de la culture. Afin d’éviter l’assimilation des minorités dispersées, des circonscriptions nationales furent créées, au sein desquelles tous les aspects de la politique d’indigénisation devaient être appliqués. Le territoire de la RSFSR et des républiques de l’Union se couvrit alors de districts, de soviets ruraux et municipaux nationaux où, en théorie, l’on pouvait utiliser sa langue et revendiquer sa culture. Pour qu’une population se vît attribuer l’un d’eux, ce qui ne veut pas dire qu’il était leur, celle-ci devait représenter un groupe relativement homogène [17]. La korenizatsiia, s’attachant plutôt à offrir aux indigènes le statut qui leur avait été jadis dénié, négligeait en soi les questions de l’iniquité économique. Cependant, des décisions furent prises afin de la niveler, à l’instar de la « redistribution agraire » qui visait à répartir l’usage de la terre entre les nationalités. Dans la République de Crimée, celle-ci bénéficia surtout aux Tatars. Au XIXe siècle, ils avaient été victimes des mesures de colonisation du régime tsariste qui s’empara des meilleures terres de la péninsule. En 1928, ayant profité de la politique agraire soviétique, les Tatars en étaient devenus le deuxième occupant terrien, au détriment des Allemands et des Russes [18].

12 Le programme d’indigénisation fit très tôt l’objet de reproches, ses détracteurs estimant qu’il encourageait le nationalisme au lieu de le désarmer. Avec la fin de la NEP, ceux-ci demandèrent son abolition. Staline prévint d’abord qu’il en était hors de question avant, néanmoins, de se raviser à cause de la famine en Ukraine et de « l’interprétation nationale » qu’il en proposa à la fin de 1932 : les élites politiques et culturelles du pays en étaient tout aussi responsables que les paysans [19]. Autrement dit, le communisme national était dorénavant perçu comme une éventuelle menace à l’unité de l’État soviétique. Il en résulta que l’indigénisation fut rétrogradée au rang de politique secondaire dont certains aspects furent délaissés, tel le volet linguistique. Elle ne fut pas pour autant abandonnée et les minorités orientales continuèrent à bénéficier des quotas qui avaient été établis en leur faveur, en particulier dans l’éducation supérieure. La réorientation de la korenizatsiia pava la voie à la réémergence des Russes, ce qui ne signifia pas un retour à une russification généralisée, même s’il y eut russification de la RSFSR, mais leur garantit plutôt le principal rôle dans la formation et l’unité du pays à travers la métaphore de l’Amitié des peuples [20]. Au sein de ce nouvel imaginaire, promu par la hiérarchie du Parti à partir de la fin 1935, la justice nationale avait accouché d’un État dans lequel toute dissension nationale avait disparu.

Comment concilier théorie de classe et théorie de la nation ?

13 Pour les marxistes, classes et nations entretiennent des relations a priori difficiles, si ce n’est contre-nature. Des analyses destinées à articuler ces deux « catégories imaginées » furent néanmoins développées par les bolcheviks, ou du moins par une partie d’entre eux. Avant le renversement du tsarisme, l’une des contributions majeures fut celle de Staline dans son célèbre article de 1913 : « Le marxisme et la question nationale. » Par le biais de l’« autonomie régionale » qu’il envisageait pour les nations vivant sur des territoires distincts, il entendait proposer un moyen de briser les barrières nationales. Elle était tout à fait à même d’unir les populations afin de préparer la distinction de classes. En ce sens, l’« autonomie régionale » était très différente du fédéralisme qui conduisait, selon lui, à la désintégration de l’unité des travailleurs. Si la différence entre ces deux formes d’organisation n’était pas claire, Staline n’en apporta pas moins là une pensée originale [21]. Après leur accession au pouvoir, Lénine et Staline furent confrontés aux sécessions et à l’acuité de la question nationale. Malgré des divergences sur la place des nationalités dans l’État, leur position fut celle du réalisme. Ils s’accordèrent en effet sur le principe d’une autodétermination nationale limitée et subordonnée aux intérêts de la classe ouvrière, qu’ils imposèrent au Parti non sans difficulté du reste [22]. Pendant la guerre civile, les initiatives prises en faveur des minorités furent alors justifiées par la possibilité qu’elles offraient de conduire la lutte nationale au sein du conflit de classe : ainsi de la création d’unités nationales dans l’Armée rouge, la machine de guerre révolutionnaire [23].

14 Mais, avec le retour à la paix, à l’heure de la construction du pays, les réflexions sur l’impérialisme s’effacèrent au profit de considérations sur le retard des populations allogènes. Lors du Xe congrès du Parti de 1921, celui de l’introduction de la NEP, Staline proclama que « l’essence de la question nationale dans la RSFSR réside dans l’abolition de l’arriération actuelle (économique, politique et culturelle) que certaines nations ont héritée du passé, afin de rendre possible pour les peuples arriérés de s’accrocher à la Russie centrale en termes économique, culturel et politique [24] ». Autrement dit, dans les périphéries, en particulier orientales, le développement devait revêtir une dimension nationale en ce sens qu’il devait prendre en compte le degré d’« arriération » et le « genre de vie » spécifiques à chaque minorité. À travers ces deux postulats, à savoir l’égalisation des conditions et la modernisation du pays, la nation prit dès lors un tour plus avantageux. Dans cette perspective, la révolution nationale, qui était associée à une étape du progrès historique, devenait un jalon majeur de la révolution sociale [25].

15 Le point de vue des « constructeurs de nation », s’il rencontrait la réticence des internationalistes, était aussi contesté par les communistes nationaux qui développèrent leurs propres thèses concernant marxisme et nationalisme. Le plus éminent d’entre eux fut certainement Mirsaïd Soultan-Galiev, un Tatar de la Volga qui rejoignit les rangs bolcheviques au lendemain de la révolution de février puis se hissa à plusieurs postes importants : au comité socialiste musulman, au Commissariat à la guerre et au Commissariat aux nationalités où il était l’un de ceux dont la voix était la plus écoutée. Soultan-Galiev considérait que la situation des périphéries ne permettait pas de mener de front les révolutions sociale et nationale. Pour l’heure, la priorité devait aller à l’éclosion de l’idée nationale plutôt qu’à l’éveil de la conscience de classe. Le passage au socialisme ne pouvait se faire que progressivement, par étapes : la première promouvait les cadres indigènes capables d’emmener le destin de leur communauté ; la seconde était rejetée à une époque lointaine où les prolétaires musulmans seraient susceptibles de succéder aux réformistes. Cet ajournement de la lutte des classes était légitime, parce que c’était l’ensemble de la société musulmane qui était opprimé. En effet, Soultan-Galiev pensait que « les peuples musulmans sont des peuples prolétariens ». À cet égard, le mouvement national dans les pays islamiques avait le caractère d’une révolution socialiste [26].

16 Malgré des positions quelque peu hétérodoxes, Soultan-Galiev fut longtemps soutenu par Staline. Lors du XIIe congrès du Parti, lors duquel l’indigénisation fut entérinée, le leader musulman fut néanmoins dénoncé pour complot nationaliste et aide aux rebelles Basmatchis d’Asie centrale. L’affaire fut orchestrée par Staline lui-même qui aurait eu vent des appels de pied faits en avril 1923 par son protégé en direction de Trotski afin de nouer une alliance. Si ce dernier ne manifesta apparemment aucun intérêt, Staline s’inquiéta d’une possible connivence qui aurait renforcé une opposition déjà bien constituée [27]. La condamnation de Soultan-Galiev, qui entraîna son exclusion du Parti et son incarcération pour plusieurs mois, non seulement trahissait la méfiance de Staline à l’endroit de ses adversaires politiques, mais indiquait également que le principe du conflit de classe, au cœur du processus révolutionnaire, ne pouvait être remis en cause : le risque était grand de se voir qualifié de déviationniste et d’opposant. Lors des répressions qui frappèrent les activistes nationaux à la fin de la décennie, certains d’entre eux furent justement poursuivis pour avoir développé, prétendit-on, des théories hérétiques tournées vers le nationalisme.

Des politiques en tension

17 Dans les faits, la mise en œuvre de la lutte des classes s’inscrivait dans une réforme de l’économie qui voulait en finir avec le capitalisme et le marché. Dès les premières heures de la Révolution, les bolcheviks promulguèrent un décret qui abolissait la propriété privée et redistribuait les terres, désormais collectives. Au sein de la nouvelle structure économique, la politique de classe entendait répartir les ressources entre ceux qui en avaient été privés et pénaliser ceux qui se les étaient accaparées. La transformation de la structure sociale qui devait en découler était censée entraîner à son tour un bouleversement de la culture ou, de manière plus limitative, de l’idéologie selon Lénine qui, s’étant exprimé à ce sujet, restait attaché à l’universalité de la culture. L’indigénisation ne fonctionnait pas, elle, sur la prémisse redistributive. Elle était une politique de reconnaissance qui entendait intégrer les indigènes à la société soviétique en subvertissant les mécanismes de domination sociale. Ce faisant, au sein des territoires, leur culture devait être encouragée, et tout d’abord la langue vue comme son principal marqueur. Mais des théâtres, des musées, des ensembles musicaux et des associations d’écrivains furent également créés. Les « études régionales » (kraevedenie), qui connurent un vif essor dans les années vingt, conduisirent toutes sortes d’expéditions archéologiques et ethnographiques aux quatre coins du pays [28]. Une condition devait toutefois présider au développement des cultures allogènes, qu’elles soient « nationales dans la forme, socialistes dans le contenu ». Cette formule floue, jamais véritablement explicitée par Staline, traduisait les ambiguïtés du projet soviétique. Elle transposait dans le domaine culturel la tension entre deux politiques publiques qui, si elles se croisaient à divers égards, mettaient en œuvre des logiques complètement différentes dans le but de réaliser une utopie promettant la disparition à terme des classes et des nations. Il y avait là une aporie qui se combinait aux legs du passé pour produire des conséquences inattendues, si ce n’est pour mettre en défaut les ambitions libératrices bolcheviques. Moscou se heurta en effet à des obstacles de taille, en particulier dans les territoires orientaux : la faiblesse du prolétariat indigène, le fort analphabétisme des minorités non russes et la quasi-inexistence d’élite locale ; les communistes nationaux y étaient en outre très peu nombreux. Trois exemples éclairent les difficultés des bolcheviks et les répercussions qu’eurent leurs mesures les unes sur les autres.

Difficultés et contradictions : trois exemples

18 L’instauration de territoires nationaux s’accompagna de la création de Partis nationaux au sein desquels la minorité titulaire devait être introduite. Staline considérait qu’il fallait « développer dans les régions et les républiques nationales de jeunes organisations communistes formées d’éléments prolétariens de la population locale [29] ». Il entendait rapprocher le Parti d’autochtones qui n’en connaissait parfois qu’à peine le nom. Mais cet objectif se heurta, d’une part, à l’incompétence des recrutés et, d’autre part à la résistance des communistes d’origine européenne peu enclins à accepter des nationaux parmi eux. Les responsables locaux n’en avançaient pas moins des chiffres éloquents qui donnaient le change. En Asie centrale, le Parti du Turkménistan présentait ainsi d’excellents résultats : en 1925, il accueillait un quart de Turkmènes, une proportion qui atteignit 40 % en 1930. Dans les faits, les Turkmènes étaient en général « politiquement et alphabétiquement illettrés » et incapables de montrer l’exemple : c’était particulièrement criant dans les zones rurales où, d’ailleurs, dans certains cas, les cellules n’existaient que sur le papier. Ils étaient en outre marginalisés par leurs collègues russes auxquels revenait le pouvoir décisionnaire. Cet ostracisme nourrissait un ressentiment qui éclata ouvertement en 1927 lors d’un plénum du Parti. Cette offensive fut toutefois sans conséquence dans la mesure où le protestataire s’aliéna tout soutien potentiel en rejoignant l’opposition de gauche. La situation resta donc inchangée jusqu’au début des années trente où les purges firent disparaître les revendications des porte-parole locaux [30].

19 Si la place des minorités dans les Partis locaux était loin d’être affirmée, le souhait de créer un prolétariat national fut aussi parfois réduit à peu de chose. En Crimée, la part de Tatars dans l’industrie, alors même qu’ils représentaient le quart de la population derrière les Russes, était très faible. Dans les années trente, elle ne dépassa guère les 10 % (contre 60 % de Russes), malgré le lancement de l’offensive socialiste et les injonctions qui l’accompagnaient pour introduire davantage les Tatars. Pour beaucoup d’entre eux, qui étaient essentiellement des ruraux, l’industrie était un lieu de passage où ils travaillaient quelques semaines ou quelques mois avant de retourner dans leur village. La médiocrité des installations d’accueil, absentes ou insalubres, ne les incitait aucunement à s’installer en ville [31]. Au final, ce ne fut qu’à la constitution d’une petite réserve de tâcherons, cantonnés à des tâches ingrates, qu’aboutit le projet soviétique. Les Tatars se retrouvaient au bas de l’échelle sociale avec des conditions matérielles qui ne pouvaient leur être offertes et un statut qui leur était dénié. Ils faisaient l’objet du mépris des Russes qui les raillaient ouvertement, obligeant les autorités à prendre des sanctions pour y remédier [32]. Au début des années trente, dans le cadre d’une campagne de lutte contre le chauvinisme grand-russien à l’échelle de la RSFSR, il fut même fait recours aux tribunaux, sans grande réussite en vérité [33].

20 Peut-être pire que ces insuccès, la lutte des classes puis son intensification à la fin des années vingt contredisaient à plus d’un égard l’indigénisation. Au Turkménistan, la korenizatsiia tâchait de ne pas favoriser quelque clan que ce soit au nom de l’égalité tribale : les bolcheviks étaient soucieux de se démarquer de ce qu’ils associaient à la politique coloniale tsariste ou des États européens. Mais l’équilibre était difficile à maintenir, puisque les grands lignages étaient ceux qui, cumulant capitaux social, économique et culturel, pouvaient occuper les postes dévolus aux nationaux. Autrement dit, la hiérarchie sociale correspondait grosso modo à la hiérarchie lignagère qui, elle-même, s’incarnait dans les institutions du Parti et d’État. Dans les villages, le conflit de classe entraîna une compétition exacerbée pour la domination du soviet. La conquête en était décisive, parce qu’elle permettait de s’assurer de qui serait étiqueté « koulak » et de qui serait considéré comme « pauvre ». L’exacerbation de la lutte des classes et la dékoulakisation donnèrent à cette concurrence un visage effrayant : beaucoup de ceux qui furent réprimés en tant que « koulak » appartenaient aux mêmes lignages [34]. L’affrontement entre clans, qui n’était en rien propre au Turkménistan, se retrouvait également au Kazakhstan et au Kirghizistan [35].

Des répressions de classe aux déportations nationales

21 Classe et nation étaient des catégories discriminatoires qui touchaient à tous les domaines de la vie quand bien même elles posaient des problèmes de définition. Dès la guerre civile, la classe fut également le motif de répressions ciblées qui prolongeaient de manière brutale les mesures déjà mises en œuvre au quotidien au nom de la cause prolétarienne. Ainsi des Cosaques qui, sous l’Ancien régime, formaient communauté et exploitaient des terres en échange d’un soutien militaire aux tsars et de la protection des frontières. Avec la Révolution d’octobre, ils furent privés de leur statut, dénoncés comme « koulaks » et « ennemis de classe ». Beaucoup rejoignirent les rangs des armées blanches. En 1919, l’avancée de l’Armée rouge vers le Sud se traduisit par un déchaînement de violence qui répondait à une circulaire de la hiérarchie du Parti [36]. L’objectif était autant de réprimer les révoltés que d’éliminer une population considérée comme réfractaire per se au communisme. Face à la résistance des Cosaques, l’ordre fut annulé et les atrocités imputées aux autorités locales. Une autre politique fut expérimentée, plus conforme au projet bolchevique selon ses instigateurs. À l’automne 1920, plusieurs villages cosaques du Caucase du Nord furent vidés de leurs habitants, déplacés dans les régions voisines. Les toponymes des bourgs furent changés, lorsque ces derniers ne furent pas rasés. La décosaquisation, qui fut stoppée à la fin de 1920, resta inachevée [37].

22 Au cours des années vingt, les bolcheviks refusèrent de s’engager plus avant dans la voie de la rétorsion. Avec la dékoulakisation, ils renouèrent cependant avec la violence contre les éléments « suspects ». L’objectif était d’extirper des campagnes les éléments susceptibles de s’opposer à la collectivisation et de coloniser les espaces inhospitaliers du pays. La résolution secrète du Politburo du 30 janvier 1930 fixait des quotas par région en fonction des catégories de personnes à réprimer : les « koulaks de 1re catégorie », au nombre de 60 000, étaient les « activistes engagés dans des actions contre-révolutionnaires » ; les « koulaks de 2e catégorie », estimés entre 129 000 et 154 000 familles, étaient les « paysans les plus riches, mais les moins activement engagés dans les activités contre-révolutionnaires ». Très vite, les quotas furent dépassés. Au titre de « koulaks de 1re catégorie », dont les listes étaient établies par la police politique, furent arrêtés pour une part des paysans dits « aisés » et pour une part des individus qui avaient jusque-là été tolérés. Dressées par des commissions locales, les listes de « koulaks de 2e catégorie » donnèrent lieu à toutes sortes d’excès, du pillage au règlement de compte entre voisins ou entre lignages. En deux ans, environ 1 800 000 personnes furent déportées vers les marges du pays. Puisque collectivisation et dékoulakisation avaient entraîné l’exode de milliers de paysans vers les villes, le régime entreprit de les nettoyer de ces « éléments antisociaux » à partir de 1933 [38].

23 Au même moment, la méfiance à l’égard des nationalités se faisait plus forte sous l’influence de deux facteurs : l’infléchissement de l’indigénisation dont les dignitaires du Parti jugeaient qu’elle renforçait le nationalisme ; l’exacerbation des tensions internationales. Au printemps 1934, le régime de surveillance des frontières fut renforcé dans la partie occidentale du pays et des milliers de familles d’origine allemande, polonaise, lettone, finnoise et estonienne furent déplacées vers les régions intérieures, voire déportées en Asie centrale ou en Sibérie [39]. Le nettoyage des frontières se poursuivit au cours des années suivantes dans la région de Leningrad et en Ukraine [40]. Ces déportations, à l’ampleur limitée, s’accompagnèrent de la suppression d’institutions nationales, telles les écoles, les circonscriptions nationales ou les églises catholiques polonaises de la région de Vinnitsa [41]. En 1936, la nouvelle Constitution proclamait la disparition des classes et promouvait la métaphore de l’« amitié des peuples ». Afin d’épurer le corps social des éléments dits « nuisibles » ou « étrangers », la hiérarchie du Parti déclencha une vaste entreprise de purges. Pendant la Grande Terreur, la « xénophobie soviétique » s’intensifia encore [42].

24 En effet, le régime frontalier fut renforcé le long des marches afghane et iranienne, entraînant la déportation de milliers de familles kurdes et iraniennes. Il fut ensuite étendu à la Sibérie orientale et à la Mongolie-Bouriatie [43]. Surtout, Staline lança à partir de l’été 1937 une dizaine « d’opérations nationales » qui ciblaient les Allemands et les Polonais ; les « Harbiniens », ces employés soviétiques de la Compagnie des chemins de fer de Mandchourie, basée à Harbin, qui avaient été rapatriés en URSS après la vente de la ligne au Japon ; les immigrés, sans égard aux raisons de leur présence dans le pays ; les Lettons, les Finnois, les Grecs, les Roumains et les Estoniens. Ces mesures policières reposaient sur la crainte d’une infiltration étrangère, les communautés réprimées étant accusées d’« espionnage », de « sabotage » ou d’« activités terroristes » pour le compte d’une puissance ennemie [44]. En janvier 1938, la durée des opérations fut prolongée, de nouvelles cibles furent désignées. Les populations stigmatisées furent privées de leurs institutions nationales. Au total, entre juillet 1937 et novembre 1938, plus de 300 000 personnes furent victimes des « opérations nationales [45] ». C’est dans ce contexte que survint la première déportation d’une minorité dans son entier, celle des Coréens d’Extrême-Orient qui furent relégués au Kazakhstan et en Ouzbékistan [46].

25 Cette déportation collective, qui ne fut pas la dernière, traduisait l’évolution de cette forme particulière d’ingénierie sociale qu’étaient devenues les répressions de « populations suspectes ». Toutefois, il ne faut pas envisager le passage des punitions de classe aux déportations nationales selon un schéma qui mènerait des unes aux autres. D’une part, tout au long des années vingt, plusieurs minorités furent l’objet d’une surveillance serrée, à l’instar des Polonais d’Ukraine soupçonnés d’espionnage pour le compte de la Pologne. D’autre part, la distinction entre classe et nation n’était pas toujours claire, comme dans le cas des Cosaques pour qui les deux critères étaient finalement congruents. De même, les Finnois, Allemands et Polonais, victimes des nettoyages des zones frontalières, étaient souvent désignés comme des « paysans individuels » ou des « individus privés de droits civiques », le critère national étant mâtiné de considérations de classe. Enfin, à propos des Coréens, la décision de les déporter collectivement revint en partie à la valeur accordée aux liens familiaux au sein de cette communauté asiatique.

Des catégories réifiées

26 Sous l’Ancien régime, classe et nation étaient des catégories administratives peu opératoires en Russie. La population y était classée d’un point de vue juridico-social en « états » (sosloviie) qui définissaient les devoirs et les obligations des individus vis-à-vis de l’État : marchands, noblesse, urbains, ruraux et allogènes. Pour bien des intellectuels du début du XXe siècle, ce système était dépassé, peu adapté aux réalités d’une Russie qui avait vu émerger une bourgeoisie et un prolétariat industrieux. En outre, les revendications nationales liées à la révolution de 1905 avaient témoigné de l’« éveil des nations » que connaissait le pays depuis la fin du siècle précédent. La société d’ordre fut supprimée par les bolcheviks qui se lancèrent dans une opération taxinomique du monde social à partir d’un postulat marxiste [47]. La production d’un corpus statistique devait tout autant guider les politiques publiques que décrire la société socialiste et prolétarienne en train de se faire. Les chiffres étaient un outil aussi susceptible de légitimer les discours et les actes des autorités [48]. Très vite, les statisticiens s’employèrent à proposer une cartographie de la population soviétique dont les recensements de 1926 puis de 1939 furent les grands moments (celui de 1937 fut annulé par Staline, les résultats ne correspondant pas à ses attentes) [49] .

27 Le travail de dénombrement et de nomenclature s’accompagna du développement des formes d’enregistrement des individus qui étaient autant de formes d’assignation identitaires : carte du Parti, du syndicat, livret militaire, de travail, etc., soit autant de documents qui déterminaient des pratiques discriminatoires et réglaient l’accès à telle ou telle ressource, qu’il s’agisse d’un emploi ou de biens alimentaires. Dans ces documents d’identification, où l’origine sociale apparaissait, la nationalité n’était pas toujours mentionnée jusqu’au début des années trente. Elle ne devint un critère systématique qu’avec l’introduction en décembre 1932 du passeport dans lequel elle représentait le cinquième point de l’état civil. Délivré aux seules personnes de plus de 16 ans des villes, il était destiné à contrôler les flux migratoires générés par la collectivisation et la dékoulakisation. Le passeport permit surtout d’exercer un contrôle social par le biais du fichage [50].

28 Statistiques, documents d’identification, politiques culturelles : tous ces éléments participèrent de la chosification de la classe et de la nation. Y contribuèrent peut-être avant tout les pratiques administratives discriminatoires et les répressions qui trahissaient, pour ces dernières, l’approche essentialiste des organes répressifs soviétiques désireux de retrancher du corps social tout élément douteux. Ces catégories, dont le contenu variait en fonction des administrations et de l’usage qui en était fait, n’en étaient pas moins disponibles pour les acteurs qui pouvaient les interpréter à leur manière, se les accaparer, les utiliser pour revêtir un rôle social ou les mobiliser comme des ressources pour agir. Ainsi, selon le moment, le contexte, un individu pouvait se réclamer ou bien de son origine de classe ou bien de son origine nationale pour solliciter la réparation de ce qu’il percevait comme un préjudice, quand bien même il l’exprimait autrement.

Conclusion

29 En Union soviétique, à en croire les hauts dignitaires du Parti, et Staline en premier lieu, le conflit de classe avait abouti à l’hégémonie du prolétariat. Ce dernier était certes encore fragmenté en nations mais, alléguaient-ils, les contentieux qui les brouillaient avaient disparu grâce à la politique nationale. Lutte des classes et politique nationale avaient donc accouché d’une société nouvelle où les rapports sociaux avaient été totalement transformés. Ce discours de célébration et de légitimation offrait alors éclat et cohérence à des orientations qui, en réalité, furent faites d’évolutions, de révisions, voire de volte-face.

30 Revenir en termes de justice sociale sur les politiques mises en place par les bolcheviks et les confronter ont rendu compte des logiques dissemblables qui les animaient, des contradictions qui en résultèrent, de l’infléchissement qui s’opéra de la classe vers la nation dans les années trente et des effets objectivant qu’elles eurent. L’intérêt n’était pas tant de souligner l’écart entre un projet de réforme radicale et sa réalisation concrète que de suggérer, à partir d’une approche centrée sur l’État, des lignes possibles de fractures et des espaces de jeu social que sa mise en œuvre pouvait aménager pour tout un chacun : ainsi de ces ouvriers qui bravaient les consignes sous prétexte d’indigénisation.

31 Il conviendrait donc maintenant de comprendre comment les individus se murent dans ces interstices, en quels termes ils formulèrent leurs doléances et de quelle manière ils justifièrent leurs actions. Pour ce faire, il faudrait déplacer la focale d’analyse du haut vers le bas et glisser du macro au micro pour saisir la constitution d’une grammaire du bien commun et les modes d’action qui s’y rapportaient. Une telle approche est susceptible de rendre compte de la diversité des engagements et ainsi d’éviter le piège tendu par les politiques de classe et nationale des identités réifiées qui masquent les nuances, les appropriations ou les conflits à l’intérieur des groupes [51].

Notes

  • [1]
    Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005. Nancy Fraser se distingue d’Axel Honneth pour qui les questions de redistribution sont enracinées dans celles de reconnaissance. Axel Honneth, La Société du mépris, Paris, La Découverte, 2008.
  • [2]
    Sheila Fitzpatrick, « L’usage bolchevique de la "classe" », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 85, novembre 1990, p. 70-80.
  • [3]
    Sheila Fitzpatrick, « L’identité de classe dans la société de la NEP », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 2, 1989, p. 251-271.
  • [4]
    Sur les étapes et les évolutions de cette politique : Sheila Fitzpatrick, « L’usage bolchevique de la “classe” », op. cit., p. 70-80 ; Jean-Paul Depretto, Pour une histoire sociale du régime soviétique (1918-1936), Paris, L’Harmattan, 2001.
  • [5]
    Orlando Figes, La Révolution russe. 1891-1924 : la tragédie d’un peuple, Paris, Denoël, 2007, p. 646.
  • [6]
    Larissa Zakharova, « Le 26-28 Kamennoostrovski, les tribulations d’un immeuble en révolution », dans Lorraine de Meaux (dir.), Saint-Pétersbourg. Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 480. Plus généralement, sur le logement : T.M. Smirnova, « Klassovaïa bor’ba na “Jilichtchnom fronte” : osobennosti jilichtchnoï politiki sovetskoï vlasti v 1917-natchale 1920-kh gg. », Sotsial’naïa istoriia, Ejegodnik 2007, Moscou, 2008, ROSSPÈN, p. 199-218.
  • [7]
    Laurent Coumel, « Rapprocher l’école et la vie » : Dégel et réformes dans l’enseignement soviétique (1953-1964), thèse de doctorat, Paris I Panthéon-Sorbonne, 2010, p. 52-58.
  • [8]
    Monique de Saint Martin, Sofia Tchouikina, « La noblesse russe à l’épreuve de la révolution d’Octobre. Représentations et reconversions », Vingtième siècle, 2008/3, n° 99, p. 104-128. Voir aussi le livre de Sofia Tchouikina, Dvorianskaïa pamiat’ : byvchie v sovetskom gorode – Leningrad, 1920-1930 gody, Saint-Pétersbourg, Izdatel’stvo Evropeïskogo ouniversiteta, 2006. La possibilité d’être démasqué fut longtemps présente. Sheila Fitzpatrick a ainsi écrit sur Anastasia Plotnikova, présidente d’un Soviet de district de Leningrad, qui fit en 1936 l’objet d’une enquête de la police politique mettant en cause sa biographie officielle : « The Two Faces of Anastasia », dans Brigitte Studer, Berthold Unfried, Irène Herrmann (éd.), Parler de soi sous Staline. La construction identitaire dans le communisme des années trente, Paris, Édition de la MSH, 2002, p. 53-64.
  • [9]
    Nathalie Moine, « Peut-on être pauvre sans être un prolétaire ? », Le Mouvement Social, 2001/3, 196, p. 89-114. Voir également : Golfo Alexopoulos, Stalin’s Outcasts : Aliens, Citizens, and the Soviet State, 1926- 1936, Ithaca, Cornell University Press, 2002 ; Jean-Paul Depretto, op. cit., p. 51-66.
  • [10]
    Joseph Staline, Les Questions du léninisme, t. 2, Éditions sociales internationales, 1931, p. 143-144. Selon Staline, plus s’approchait la défaite des éléments capitalistes, plus leur résistance devait être déterminée.
  • [11]
    Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », Le Livre noir du communisme, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 164-172.
  • [12]
    Sheila Fitzpatrick, « L’usage bolchevique de la "classe" », op. cit., p. 75-76.
  • [13]
    Jeremy Smith, The Bolsheviks and the National Question, 1917-1923, New York, Palgrave, 1999, p. 7- 19. Voir également : Georges Haupt, Michel Lowy, Claudie Weil, Les Marxistes et la question nationale, Paris, Maspero, 1974.
  • [14]
    En 1924, un dignitaire du Parti, Iosif Vareïkis estimait que seule l’autodétermination nationale était à même de permettre aux nations d’accéder au « vaste appartement communautaire » qu’était l’Union soviétique, à savoir une structure étatique où chaque minorité occupait un territoire, assimilé à l’une des « chambres séparées » de la kommounalka. Yuri Slezkine, « The USSR as a Communal Apartment, or How a Socialist State Promoted Ethnic Particularism », Slavic Review, 53, 2, 1994, p. 434.
  • [15]
    Daniel E. Schafer, « Local Politics and the Birth of the Republic of Bashkotorstan, 1919-1920 », dans Ronald G. Suny, Terry Martin (éd.), A State of Nations. Empire and Nation-Making in the Age of Lenin and Stalin, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 165-190.
  • [16]
    Plus généralement, l’ensemble des partis non bolcheviques fut interdit. La chasse aux opposants politiques aboutit au premier procès public de la Russie soviétique, celui des socialistes-révolutionnaires en 1922. Sur ce procès : K.N. Morozov, Soudebnij protsess sotsialistov-revolioutsionerov i tiouremnoe protivostoïanie (1922-1926) : ètika i taktika protivoborstva, Moscou, ROSSPÈN, 2005.
  • [17]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire. Nations and Nationalism in the Soviet Union, 1923-1939, Ithaca, Cornell University Press, 2001, p. 9-15, 31-55.
  • [18]
    Archives d’État russe pour l’histoire politique et sociale (RGASPI), 17/21/2468/155. En raison des expulsions et des spoliations conduites par l’autocratie en Crimée, les Tatars n’y représentaient plus qu’une minorité, numériquement réduite, socialement et économiquement déclassée. Voir Grégory Dufaud, Les Tatars de Crimée et la politique soviétique des nationalités, Paris, Non Lieu, 2011.
  • [19]
    Sur les famines de 1931-1933 : Andrea Graziosi, « Les Famines soviétiques de 1931-1933 et le Holodomor ukrainien », Cahiers du Monde russe, 46/3, Juillet-septembre 2005, p. 453-472.
  • [20]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 394-461 ; David Brandenberger, National Bolshevism. Stalinist Mass Culture and the Formation of Modern Russian National Identity, 1931-1956, Cambridge, Harvard University Press, 2002, p. 43-62.
  • [21]
    Jeremy Smith, op. cit., p. 18-19. Le texte de Staline a été édité en français : Joseph Staline, « Le marxisme et la question nationale », Le marxisme et la question nationale et coloniale, Paris, Éditions sociales, 1950, notamment p. 38-41.
  • [22]
    Yuri Slezkine, « The USSR as a Communal Apartment », op. cit., p. 420-422.
  • [23]
    Jeremy Smith, op. cit., p. 34-39. Sur l’introduction des minorités dans l’Armée rouge : Joshua A. Sanborn, Drafting the Russian Nation. Military Conscription, Total War, and Mass Politics, 1905-1925, DeKalb, Northern Illinois University Press, 2003, p. 63-95.
  • [24]
    Desiatyj s"ezd RKP(b), mart 1921 goda – stenografitcheskij ottchet, Moscou, 1963, p. 252.
  • [25]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 5-6.
  • [26]
    Alexandre Bennigsen, Chantal Lemercier-Quelquejay, L’Islam en Union soviétique, op. cit., p. 120-128 ; R.G. Landa, « Mirsaïd Soultan-Galiev », Voprosi Istorii, n8, 1999, p. 53-70.
  • [27]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 228-230 ; Jeremy Smith, op. cit., p. 228-238.
  • [28]
    Les Cahiers slaves ont consacré un numéro aux études régionales : « Les études régionales en Russie : origines, crise, renaissance (1880-1990) ». Cahiers slaves, n° 6, 2002. Sur le rôle des ethnographes dans la territorialisation des « identités nationales » : Francine Hirsch, Empire of Nations. Ethnographic Knowledge and the Making of the Soviet Union, Ithaca, Cornell University Press, 2005, p. 145-186.
  • [29]
    Cité par Hélène Carrère d’Encausse, Le Grand défi. 1917-1930, Paris, Flammarion, 1987, p. 195.
  • [30]
    Adrienne Edgar, Tribal nation. The Making of Soviet Turkmenistan, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 100-128.
  • [31]
    Krasnyi Krym, 14 décembre 1928 ; Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF), 1235/123/437/29-33.
  • [32]
    RGASPI, 17/21/2452/85-88 ; Materialy k dokladou pravitel’stva Krymskoï ASSR, Simféropol, 1933, p. 95. Sur les petits peuples du Nord et l’industrialisation : Yuri Slezkine, Arctic Mirrors. Russia and the Small People of the North, Ithaca, Cornell University Press, 1994, p. 265-299.
  • [33]
    À propos de la campagne de lutte contre le chauvinisme de la grande puissance : Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 156-159.
  • [34]
    Adrienne Edgar, op. cit., p. 182-191.
  • [35]
    Isabelle Ohayon, « Lignages et pouvoirs locaux. L’indigénisation au Kirghizstan soviétique (années 1920-1930) », Cahiers du Monde russe, 2008/1, 49, p. 156-167.
  • [36]
    Peter Holquist, « “Conduct Merciless Mass Terror”. Decossackization on the Don, 1919 », Cahiers du Monde russe, 38 (1-2), janvier-juin 1997, p. 127-162.
  • [37]
    Nicolas Werth, « Les Déportations de « populations suspectes » dans les espaces russes et soviétiques (1914-fin des années 1940) : violences de guerre, ingénierie sociale, excision ethno-historique », La Terreur et le désarroi. Staline et son système, Paris, Perrin, 2007, p. 230-231.
  • [38]
    Ibid., p. 231-236, 242-246.
  • [39]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 329-330.
  • [40]
    Michaël Gelb, « The Western Finnish Minorities and the Origins of the Stalinist Nationalities Deportations », Nationalities Papers, n° 24, 1996, p. 243.
  • [41]
    Amir Weiner, Making Sense of War. The Second World War and the Fate of the Bolshevik Revolution, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 143-144.
  • [42]
    Terry Martin, « The Origins of Soviet Ethnic Cleansing », The Journal of Modern History, vol. 70, n4, décembre 1998, p. 830.
  • [43]
    Juliette Cadiot, op. cit., p. 181.
  • [44]
    Nicolas Werth, « Les “Opérations de masse” de la “Grande Terreur” en URSS (1937-1938) », Bulletin de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n° 86, 2006, p. 24-30.
  • [45]
    Terry Martin, The Affirmative Action Empire, op. cit., p. 337-340.
  • [46]
    Michaël Gelb, « An Early Soviet Ethnic Deportation : The Far Eastern Koreans », The Russian Review, n° 54, 1995, p. 389-412.
  • [47]
    Sheila Fitzpatrick, « Class and Soslovie », Tear of the Masks ! Identity and Imposture in Twentieth-Century Russia, Princeton, Princeton University Presse, 2005, p. 72-75.
  • [48]
    Alain Blum, Martine Mespoulet, L’Anarchie bureaucratique. Statistique et pouvoir sous Staline, Paris, La Découverte, 2003, p. 261-262.
  • [49]
    Sur les recensements de l’entre-deux-guerres : Juliette Cadiot, op. cit., p. 143-205 ; Francine Hirsch, op. cit., p. 101-144.
  • [50]
    Dans les lieux passeportisés, un migrant devait obligatoirement se faire enregistrer et obtenir la « propiska ». Dans les « localités à régime spécial », différentes catégories de Soviétiques étaient exclues du droit de résidence : les koulaks comme les migrants sans contrat de travail. Nathalie Moine, « Passeportisation, statistique des migrations et contrôle de l’identité sociale », Cahiers du Monde russe, vol. 38 (4), oct.-déc. 1997, p. 587-600. Voir également : Juliette Cadiot, op. cit., p. 177-180.
  • [51]
    Laurent Thévenot, L’Action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
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