Couverture de HES_084

Article de revue

Des Pays d'En Haut au Haut-Canada : la formation d'une économie de colonisation

Pages 87 à 107

Notes

  • [1]
    Traduction de Jean-Pierre Poussou, qui tient à exprimer sa gratitude à Jacques Carré, professeur à l’Université Paris-Sorbonne, et à D. McCalla lui-même pour l’aide si importante qu’ils lui ont apporté pour mettre au point cette traduction.
  • [2]
    Cette recherche a été rendue possible par le Programme de Bourses de recherche Killam du Conseil des Arts du Canada et le Programme des chaires de recherche du Canada. Je tiens aussi à remercier Kris Inwood pour ses remarques très avisées. Le présent article actualise une argumentation que j’avais exposée pour la première fois dans Planting the province : the Economic History of Upper Canada 1784-1870 (Toronto, University of Toronto Press, 1993), ouvrage cité ci-dessous avant tout comme une source de données quantitatives. – N. B. : La Grande-Bretagne a réuni les deux Canadas en 1841 mais, comme les anciens noms ont continué à être utilisés de manière courante, je parle ici du Haut-Canada (Upper Canada) ; durant la période de l’Union, celui-ci fut aussi connu sous le nom de Canada West.
  • [3]
    Voir C. Matson, « A House of Many Mansions : Some Thoughts on the Field of Economic History », dans C. Matson (dir.), The Economy of Early America : Historical Perspectives and New Directions, University Park (Penn.), Pennsylvania State University Press, 2006, p. 26-29 et 50-51.
  • [4]
    S. Courville, J. C. Robert et N. Séguin, Atlas Historique du Québec : le pays laurentien au XIXe siècle : les morphologies de base, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1995, p. 7 à 27. Ce n’est que beaucoup plus tard que les familles rurales de Canadiens Français commencèrent plus systématiquement à bouger vers l’amont de la rivière, notamment le long de l’Ottawa, et éventuellement plus loin au nord : voir C. Gaffield, Language, Schooling and Cultural Conflict : The Origins of the French-Language Controversy in Ontario, Kingston et Montréal, Mc Gill et Queen’sUniversity Press, 1987.
  • [5]
    Voir, par exemple, K. M. Gruenwald, River of Enterprise : The Commercial Origins of Regional Identity in the Ohio Valley 1790-1850, Bloomington, Indiana University Press, 2002.
  • [6]
    Par exemple, la plus haute autorité légale était anglaise, cependant que les accès aux professions juridiques, qui étaient une clé du secteur bourgeois, étaient localement contrôlés par la Law Society of Upper Canada, fondée en 1797. Voir R. D. Gidney et W. P. J. Millar, Professional Gentlemen : the Profesions in Nineteenth-Century Ontario, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 17-20.
  • [7]
    H. Charbonneau et R. Cole Harris, « Le repeuplement de la vallée du Saint-Laurent », et L. Dechêne, « Les Seigneuries », dans R. Cole Harris et G. Matthews (dir.), Atlas Historique du Canada, t. 1, Montréal, les Presses de l’Université de Montréal, 1987, planches 46 et 51.
  • [8]
    Ce qui a laissé comme legs tout un ensemble de disputes concernant la propriété des terres ; au moment où cet article est écrit, durant l’été 2007, il y a une active résistance et une forte opposition aux projets de développement dans les deux emplacements. Les hommes politiques canadiens et le public ignorent une longue histoire, qui est, au contraire, restée très vivante à l’intérieur des communautés des Premières Nations. Ailleurs, dans le sud de l’Ontario, il y a de vives controverses sur les limites de ce que les Mississauga possédaient et cédèrent.
  • [9]
    D. B. Smith, « The Dispossession of the Mississauga Indians : a Missing Chapter in the Early History of Upper Canada », dans J. K. Johnson et B. G. Wilson (dir.), Historical Essays on Upper Canada : New Perspectives, Ottawa, Carleton University Press, 1989, p. 23-51 ; R. L. Gentilcore, D. Measner et D. Doherty, « L’arrivée des Loyalistes », et P. Désy et F. Castel, « Les réserves amérindiennes de l’est du Canada jusqu’en 1900 », dans R. L. Gentilcore et G. Matthews (dir.), Atlas Historique du Canada, t. 2, Montréal, les Presses de l’Université de Montréal, 1993, planches 7 et 32.
  • [10]
    Les Loyalistes sont les habitants des Treize Colonies qui sont restés fidèles à la Couronne au moment de la Révolution américaine. Beaucoup se sont réfugiés dans les territoires restés sous domination anglaise durant le conflit ; un grand nombre d’entre eux ont combattu aux côtés des troupes anglaises, formant même des régiments de Loyalistes (NdT).
  • [11]
    K. Norrie, D. Owram et J. C. H. Emery, A History of the Canadian Economy, 4e éd., Toronto, Thomas Nelson, (2007), p. 95 et 98.
  • [12]
    A. Taylor, The Divided Grounds : Indians, Settlers and the Northern Borderland of the American Revolution, New York, Knopf, 2006 ; P. Marshall, « Americans in Upper Canada 1791-1812 : Late Loyalists or Early Immigrants ? », dans B. J. Messamore (dir.), Canadian Migration Patterns From Britain and North America, Ottawa, Ottawa University Press, 2004, p. 33-44.
  • [13]
    J. Errington, The Lion, the Eagle and Upper Canada : A Developing Colonial Ideology, Kingston et Montréal, McGill-Queen’sUniversity Press, 1987, p. 36.
  • [14]
    Les townships sont des communes ; au Canada, un township est un canton (NdT).
  • [15]
    J. D. Wood, Making Ontario : Agricultural Colonization and Landscape Re-creation before the Railway, Montréal et Kingston, McGill-Queen’sUniversity Press, 2000, p. 20-21 et 94-95.
  • [16]
    En 1861, environ 60 % des fermes se situaient entre 70 et 169 acres, la plupart se groupant autour de 100 acres. Néanmoins, des fermes d’une étendue aussi petite que 25 ou 30 acres pouvaient être économiquement viables. Enfin, il y avait aussi quelques très grandes fermes, d’une superficie souvent supérieure à 200 acres. Voir G. Darroch, « Scanty Fortunes and Rural Middle-Class Formation in Nineteenth-Century Rural Ontario », Canadian Historical Review, 79, 1998, p. 630.
  • [17]
    C. A. Wilson, « Tenancy as a Family Strategy in Mid-Nineteenth Century Ontario », Journal of Social History, 31, 1997-1998, p. 875-896.
  • [18]
    Pour la manière dont ces processus se sont déroulés dans le comté d’Essex, qui se situe à la frontière sud-ouest du Haut-Canada, voir J. Clarke, Land, Power and Economics on the Frontier of Upper Canada, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2001.
  • [19]
    R. Cole Harris et J. D. Wood, « L’est du Canada en 1800 », et C. E. Heidenreich et R. M. Gallois, « Les indigènes au Canada vers 1820 », dans Atlas Historique du Canada, t. 1, op. cit., planches 68 et 69.
  • [20]
    Pour une série d’années choisies, allant de 1785 à 1861, les chiffres sont les suivants pour la population et pour la terre cultivée au Haut-Canada :
    figure im1

    D. McCalla, Planting the Province, op. cit., Table 1.1 : jusqu’en 1820 au moins les PremièresNations ne sont pas comprises dans ces chiffres (Voir l’ouvrage pour la discussion de ces données).
  • [21]
    Une description qui reste très utile de la région du Niagara – et des célèbres chutes –, se trouve dans la Géographie Universelle d’Élisée Reclus : il s’agit d’un « escarpement de calcaires siluriens, appelé localement la « montagne », qui contourne les lacs Michigan et Huron, et qui longe le lac Érié, avant de se retrouver sur la rive méridionale du lac Ontario ». C’est à cet escarpement que sont dues les chutes du Niagara. Voir E. Reclus, L’Amérique Boréale, t. XV de sa Nouvelle Géographie Universelle, Paris, Hachette, 1890, p. 425 et p. 440-448. H. Baulig définit cet escarpement calcaire comme une « cuesta » : voir son Amérique Septentrionale, Première Partie : Généralités-Canada, t. XIII, P. Vidal de La Blache et L. Gallois (dir.), Géographie Universelle, Paris, Librairie Armand Colin, 1935, p. 7 à 10 et 207-209 (NdT).
  • [22]
    Sur le contexte de guerre en général, voir J.-P. Poussou (dir.), Le bouleversement de l’ordre du monde : Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques à la fin du xviiie siècle, Paris, SEDES, 2004.
  • [23]
    Je distingue ici les colons des membres des Premières Nations pour mettre l’accent sur le fait que la colonisation eut un effet sur leur attitude et sur leur genre de vie. Beaucoup de communautés – représentant une majorité de la population des Premières Nations dans le sud – bâtirent aussi quelque chose de nouveau lorsqu’elles se déplacèrent vers le Haut-Canada après la guerre de la Révolution. Le fait qu’elles aient été capables de faire face elles-mêmes à de telles pressions, est une partie essentielle de leur histoire.
  • [24]
    M. McInnis, « The Population of Canada in the Nineteenth Century », dans M. R. Haines et R. H. Steckel (dir.), A Population History of North America, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 378-379.
  • [25]
    G. Darroch, « Scanty Fortunes… », art. cité, p. 624. Cette phrase, écrite avec beaucoup de précautions, reflète les complexités des définitions et des données ; pour l’analyse proposée dans le présent article, un ordre de grandeur suffit. Pour la hiérarchie urbaine, voir J. D. Wood, Making Ontario… , op. cit., p. 151.
  • [26]
    B. R. Tomlinson, « Economics and Empire : The Periphery and the Imperial Economy », dans A. Porter (dir.), The Oxford History of the British Empire, vol. 3, The Nineteenth Century, Oxford et New York, Oxford University Press, 1999, p. 72.
  • [27]
    P. E. Rider et H. Mc Nabb, « Introduction », dans P. E. Rider et H. Mc Nabb (dir.), A Kingdom of the Mind : How the Scots Helped Make Canada, Montréal et Kingston, Mc Gill-Queen’s University Press, 2006, p. XVII.
  • [28]
    K. Norrie et alii, A History of the Canadian Economy, op. cit., p. 117. Voir aussi G. Wynn, « La production et le commerce du bois jusqu’en 1850 », ainsi que J. D. Wood et alii, « Un nouveau paysage agricole : le Haut-Canada jusqu’en 1851 », dans Atlas Historique du Canada, t. 2, op. cit., planches 11 et 14.
  • [29]
    On parle de staple ou de staples pour désigner la ou les productions principales d’un pays, dont les exportations tiennent une place essentielle dans l’économie. La théorie des staples, qui explique la croissance et l’activité économiques par le rôle fondamental de ces productions, a notamment été mise en valeur pour le Canada – avant d’être ensuite appliquée au blé et au bois de pin, par les travaux d’H. A. Innis sur la fourrure et sur la morue de Terre-Neuve : voir ses ouvrages The Fur Trade in Canada ; An Introduction to Canadian Economic History, 1930 ; The Cod Fisheries, 1940. Voir à ce sujet C. Berger, The Writing of Canadian History : Aspects of English-Canadian Historical Writing since 1900, Toronto, University of Toronto Press, 1986, p. 85-111 (NdT).
  • [30]
    Cette distinction est basée sur l’opposition entre l’utilisation de ressources que l’on trouve, comme les minerais, le poisson, les fourrures ou le bois, et celles qui proviennent de l’exploitation agricole du sol, dans le cadre des fermes. Étant donné que celle-ci peut produire une large variété de productions, laquelle dépend des décisions et de la stratégie des fermiers, il n’est pas inapproprié de définir la production des fermes (en l’espèce le blé), comme une ressource.
  • [31]
    Les Corn Laws sont un ensemble de lois adoptées entre 1773 et 1815 pour réglementer le commerce des céréales en Grande-Bretagne. Elles ont été abolies en 1846 par Sir Robert Peel (NdT).
  • [32]
    Les Clearances peuvent se définir comme l’éviction des petits fermiers des Highlands par les Landlords lesquels développent, à partir du milieu du XVIIIe siècle, l’élevage ovin en constituant de grands domaines où les paturages à moutons l’emportent de très loin. Voir à ce sujet M. Gray, The Highland Economy 1750-1850, Édimbourg et Londres, Oliver et Boyd, 1957 ; T. M. Devine, The Transformation of Rural Scotland : Social Change and the Agrarian Economy 1660-1815, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1994. En français, on peut partir de J.-P. Poussou, La Terre et les Paysans en France et en Grande-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, SEDES, 1999, p. 253-267 et 431-433 (NdT).
  • [33]
    Pour la population noire, voir M. Wayne, « The Black Population of Canada West on the Eve of the American Civil War : A Reassessment Based on the Manuscript Census of 1861 », Histoire Sociale/Social History, 28, 1995, p. 465-485.
  • [34]
    Voir S. Courville, Immigration, colonisation et propagande : Du rêve américain au rêve colonial, Québec, Éditions MultiMondes, 2002, p. 24-33.
  • [35]
    Voir M. McGowan, Produire la mémoire historique canadienne : le cas des migrations de la Famine de 1847, Ottawa, Société Historique du Canada, coll. « Les groupes Ethniques du Canada », brochure 30, 2006, p. 2.
  • [36]
    Voir M. B. Katz, The People of Hamilton, Canada West : Family and Class in a Mid-Nineteenth-Century City, Cambridge (Mass.) et Londres, Harvard University Press, 1975.
  • [37]
    Pour un tel groupe, dont les liens à travers la frontière furent à la fois continus et étendus, voir R. Rogers Healey, From Quaker to Upper Canadian : Faith and Community among Yonge Street Friends 1801-1850, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2006, p. 31-50.
  • [38]
    M. McInnis, « The population of Canada in the Nineteenth Century », art. cité, p. 380-381.
  • [39]
    Recensement du Canada, 1871, t. 4, p. 136 et 182. En I846 et I851, un tiers des habitants du Haut-Canada – et la proportion est plus forte pour les adultes – sont nés au Royaume-Uni ; durant cette décennie, la proportion de ceux qui sont nés aux USA tombe de 7 % à moins de 5 %.
  • [40]
    D. H. Akenson, The Irish in Ontario : A Study in Rural History, Kingston et Montréal, Mc Gill-Queen’s University Press, 1984, p. 10-47 ; G. Darroch et L. Soltow, Property and Inequality in Victorian Ontario : Structural Patterns and cultural Communities in the 1871 Census, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 53-64.
  • [41]
    B. S. Elliott, « Regional Patterns of English Immigration and Settlement in Upper Canada », Canadian Migration Patterns, Messamore (éd.), p. 51-90.
  • [42]
    Recensement du Canada, 1871, t. 4, op. cit., p182-183. -Sur les approches ethniques dans le recensement, voir B. Curtis, The Politics of Population : State Formation, Statistics, and the Census of Canada, 1840- 1875, Toronto, Toronto University Press, 2001, p. 120-121, 130 et 284-286.
  • [43]
    Voir aussi L. H. Campey, The Scottish Pioneers of Upper Canada 1784-1855 : Glengarry and Beyond, Toronto, Natural Heritage Books, 2005, p. 151.
  • [44]
    Voir le tableau, note 20.
  • [45]
    Le total de 14 millions d’acres de terres cultivées en 1891, qui est le maximum pour toutes les périodes, représente moins de 7 % de la superficie de la province à l’époque contemporaine. Voir http:// www. statcan. ca/franais/freepub/11-516-XIF/sectionm/M34_44. csv ; et hhttp:// www. statcan. ca/francais/freepub/11- 516 – XIF : sectionl/sectionl_f. htm#Lands.
  • [46]
    Voir F. D. Lewis et M. C. Urquhart, « Growth and the Standard of Living in a Pioneer Economy, Upper Canada, 1826 to 1851 », William and Mary Quarterly, 3e série, 56, 1999, p. 175. Pour un modèle formalisé de ce processus, voir F. D. Lewis, « Farm Settlement with Imperfect Capital Markets : A Life-Cycle Application to Upper Canada, 1826-1851 », Canadian Journal of Economics/Revue canadienne d’Économique, 34, 2001, p. 174-195.
  • [47]
    Le Canada passa officiellement au système décimal en 1858, mais, par commodité, toutes les valeurs furent données en dollars. De manière sélective, selon les cas, les valeurs originales sont aussi exprimées soit en monnaie locale (cy) soit en sterling (stg). £1 cy = $ 4. 00 ; après 1820, £ 1 stg = environ $ 4. 87 (avant 1812, £ 1 stg = $ 4, 44) ; £1 = 20 shillings. Il en résulte que, dans ce cas, $ 1 = 5 shillings cy. Voir Planting the Province, op. cit., Appendice A.
  • [48]
    Voir Planting the Province, op. cit., p. 24, 75 et tableau 5.2, C1 ; F. D. Lewis et M. C. Urquhart, art. cité, p. 159-161. Si le revenu des exploitations procuré par les produits forestiers est inclus, le pourcentage se situe même plus bas. Voir aussi F. D. Lewis, art. cité, p. 181.
  • [49]
    Voir M. McInnis, « Perspectives on Ontario Agriculture, 1815-1930. Chap. 1, The Early Ontario Wheat Staple Reconsidered », Canadian Papers in Rural History, 8, Gananoque, Langdale Press, 1992, p. 25-39.
  • [50]
    Une staple crop est une culture principale servant à l’exportation : ici le blé (NdT).
  • [51]
    Planting the Province, op. cit., tableaux 3.3 et 5.1. Même si, pour éviter de sous-estimer l’importance du blé, nous estimons que les terres céréalières sont laissées en jachère une année sur deux, cela laisse au moins la moitié des autres terres défrichées disponibles pour une autre utilisation.
  • [52]
    D’une manière générale, entre 1852 et 1869, les exportations dépassaient 8 millions de boisseaux. Avant 1840, elles n’avaient jamais atteint 1 million de boisseaux. Le chiffre maximum fut celui de 1861 : 11, 6 millions de boisseaux ; si l’on fait un calcul à partir des prix de cette année-là, on arrive à un revenu de $ 12 par personne dans les zones cultivées en céréales. Voir Planting the Province, op. cit., tableau 5.2.
  • [53]
    M. Mc Innis, « Perspectives on Ontario agriculture… », art. cité, p. 44-46.
  • [54]
    Le Mixed Farming désigne les exploitations – ou les zones d’exploitations-pratiquant une agriculture reposant sur plusieurs types de production, en particulier associant céréales et élevage (NdT).
  • [55]
    M. C. Urquhart, Gross National Product, Canada, 1870-1926 : The Derivation of the Estimates, Kingston et Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1993, p. 29. Pour le rapport entre ces chiffres et les premiers avancés, voir F. D. Lewis et M. C. Urquhart, « Growth and the Standard of Living… », art. cité, p. 159-161.
  • [56]
    J. D. Wood, Making Ontario, op. cit., p. 88-89, où l’on trouve un tableau représentant les activités de trois exploitations. Basé sur des journaux masculins, il ne mentionne ni les œufs ni le beurre.
  • [57]
    Les fourrures ont eu évidemment un rôle semblable, au moins avant la guerre de 1812, quand leur montant en valeur en faisait la plus importante de toutes les exportations (Voir Planting the Province, op. cit., tableau 2.3, note 6). Il reste que l’on ne sait pas exactement d’où ces fourrures provenaient ni comment on se le procurait.
  • [58]
    Planting the Province, op. cit., p. 63, figure 4.1.
  • [59]
    F. D. Lewis, « Farm Settlement… », art. cité, p. 189-192.
  • [60]
    Planting the Province, op. cit., tableau 4.3.
  • [61]
    Idem, tableaux 6.1 et 6.8. Ensuite, le groupe le plus important était celui des bottiers et cordonniers, qui étaient presque 7 000. Ces deux activités étaient largement dispersées dans le monde rural. Bien que du cuir ait été importé, ils travaillaient généralement avec des produits locaux.
  • [62]
    M. Bruegel, Farm, Shop, Landing : The Rise of a Market Society in the Hudson Valley 1780-1860, Durham (NC), Duke University Press, 2002, p. 97 ; C. Matson, « A House of Many Mansions », art. cité, p. 57.
  • [63]
    Voir la discussion sur la co-intégration dans G. Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : Population, économie et famille au Saguenay, Montréal, Boréal, 1996, p. 128-154. -Voir aussi G. D. Taylor et P. A. Baskerville, A Concise History of Business in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1994, p. 140-148
  • [64]
    C. A. Wilson, « Reciprocal Work Bees and the Meaning of Neighbourhood », Canadian Historical Review, 82, 2001, p. 431- 464.
  • [65]
    R. Gourlay, Statistical Account of Upper Canada, S. R. Mealing (éd.), Toronto, McClelland et Stewart, 1974 (1re éd. 1822), p. 176-177, 206-207, 238-239, 284-285, 291. J. D. Wood fournit dans Making Ontario, op. cit., p. 117, des salaires pour 35 métiers en 1840. Voir aussi T. Crowley, « Rural labour », dans P. Craven (dir.), Labouring Lives : Work and Workers in Nineteenth-Century Ontario, Toronto, University of Toronto Press, 1995, p. 13-104.
  • [66]
    Planting the province, op. cit., tableaux C1 et C3. Voir aussi G. Paquet et J. P. Wallot, Un Québec moderne 1760-1840 : Essai d’histoire économique et sociale, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2007, p. 137-192.
  • [67]
    Voir la discussion sophistiquée sur le prix des terres dans J. C. H. Emery, K. Inwood et H. Thille, « Hecksher-Ohlin in Canada : New Estimates of Regional Wages and Land Prices », Australian Economic History Review, 47, 2007, p. 24-28.
  • [68]
    Voir R. W. Widdis, With Scarcely a Ripple : Anglo-Canadian Migration into the United States and Western Canada 1880-1920, Montréal et Kingston, McGill-Queen’sUniversity Press, 1998, p. 46 et 51.
  • [69]
    F. D. Lewis et M. C. Urquhart, « Growth and the Standard of Living… », art. cité, p. 167-170. Voir aussi D. McCalla, « Textiles Purchases by Some Ordinary Upper Canadians 1808-1861 », Material History Review/Revue d’Histoire de la culture matérielle, 53, printemps-été 2001, p. 4-27 ; Idem, « A World Without Chocolate : Grocery Purchases at Some Upper Canadian Country Stores 1808-1861 », Agricultural History, 79, 2005, p. 147-172.
  • [70]
    Calculs dans J. D. Wood, Making Ontario, op. cit., p. 52-53.
  • [71]
    M. Egnal, New World Economies : The Growth of the Thirteen Colonies and Early Canada, New York, Oxford University Press, 1998, p. 9-11.
  • [72]
    Les investissements d’affaires comprenaient du crédit commercial à court terme, qui pouvait se transformer en crédit à long terme, dans la mesure où la richesse qu’il générait par delà les océans s’avérait souvent difficile à extraire. Voir mon article, « Sojourners in the Snow ? The Scots in Business in Nineteenth-Century Canada », dans P. E. Rider et H. McNabb (dir.), op. cit.
  • [73]
    A Kingdom of the Mind, op. cit., p. 76-96 ; Planting the province, op. cit., tableaux 2.2 et 9.6. En juin 2007, le canal fut désigné comme le premier UNESCO World Heritage Site pour l’Ontario : voir http:// whc.unesco. Org/fr/list/1221.
  • [74]
    Ibid., tableau 7.1.
  • [75]
    Ibid., tableaux 4.3 et 8.2.
  • [76]
    Ibid., tableaux 9.4 et 9.5.
  • [77]
    En fait, l’acte de 1849 avait une portée générale, et la limitation à la ligne principale n’intervint qu’en 1851. En 1852, les conseils municipaux du Haut-Canada furent autorisés à utiliser leurs crédits pour de tels projets, ce qui aida à promouvoir de nombreuses lignes locales.
  • [78]
    Le Great Western également bénéficia de fonds américains, mais les Américains revendirent leurs titres en Angleterre, ce qui prouve que les Américains, eux aussi, s’appuyaient sur le marché londonien à cette époque.
  • [79]
    P. J. Cain et A. G. Hopkins, British Imperialism : Innovation and Expansion 1688-1914, Londres, Longman, 1993, p. 265.
  • [80]
    L. Martin, À la façon du temps présent : Trois siècles d’architecture populaire au Québec, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1999, p. 25.
  • [81]
    Voir G. Darroch, « Scanty Fortunes… », art. cité, p. 621.

1 Le Haut-Canada, qui devint en 1867 la province de l’Ontario, commença à être colonisé après la Révolution américaine  [2]. Le développement de cette province, qui constitue le cœur de l’économie du Canada, dépeint à tort dans l’histoire de celui-ci comme le récit d’une croissance spécialisée, entraînée par l’exportation, n’est en fait qu’un chapitre de l’histoire plus large de la formation des parties de l’Amérique du Nord sans esclaves  [3]. Bien que ressemblant à ses voisins par beaucoup d’aspects, le Haut-Canada a eu néanmoins ses spécificités et ses caractéristiques propres. Par exemple, il était limitrophe d’une société francophone installée depuis longtemps dans ce qui devint, en 1791, la colonie du Bas-Canada, dont l’économie et la population s’accrurent rapidement au XIXe siècle. Mais, alors que des hommes du Bas-Canada vinrent travailler de manière saisonnière au Haut-Canada, peu s’y installèrent  [4]. Le Haut-Canada avait des liens et des similitudes avec les États américains proches – l’ouest de l’État de New York, l’Ohio et le Michigan en particulier –, mais la proportion de sa population en provenance du milieu américain tomba rapidement après 1815, et, au contraire des États-Unis, où la croissance partit des États de l’est  [5], ici les principales directions d’affaires se firent à travers les liens de crédit et de commerce en provenance de Grande-Bretagne, à partir de Montréal, qui devint le centre commercial directeur du Canada. Le gouvernement et les lois étaient également d’origine britannique ; le pouvoir croissant des juristes, politiciens et fonctionnaires locaux se situait dans le cadre de l’autorité britannique  [6].

Les guerres et la formation d’une société nouvelle :

2 Durant le régime français, cette région était le début des Pays d’En Haut, ceux du commerce des fourrures, qui commençait à l’ouest de Montréal, au-delà du Saint-Laurent et de l’Ottawa  [7]. À la suite de la conquête du Canada, l’ensemble de ce territoire de l’intérieur fut réservé par les Britanniques, par la Proclamation Royale de 1763, pour les peuples indigènes, à moins qu’ils cèdent formellement leurs terres à la Couronne, et jusqu’à ce qu’ils le fassent. Les principaux occupants au nord du lac Ontario étaient alors les Mississauga, un peuple Anishnabe groupant peut-être 1 000 personnes. La défaite des Britanniques au cours de la guerre de la Révolution changea leur situation : conscients des limites de leur puissance, et soucieux de garder leurs liens avec les Britanniques, ils furent d’accord pour céder beaucoup de terres, parmi lesquelles la péninsule du Niagara et la rive nord du lac Ontario. Une partie en fut spécifiquement allouée aux Britanniques pour répondre aux besoins de leurs alliés parmi les Six Nations (Haudenosaunee) de l’État de New York, dont le rôle militaire justifiait la demande qu’ils avaient faite de réserves étendues sur le territoire britannique. Ils obtinrent une étendue de 6 miles (10 kilomètres) de profondeur de chaque côté de la Grande Rivière, qui se jette dans le Lac Érié à 50 kilomètres à l’ouest de la rivière Niagara, soit au total 700 000 acres (280 000 hectares), et une autre de 100 000 acres sur la baie de Quinté, qui ressemble en fait à une rivière, située à l’extrémité orientale du Lac Ontario. Par la suite, ces deux réserves furent fortement réduites : la manière britannique de négocier pour obtenir les terres des indigènes fait contraste avec la méthode américaine, parfois violente, mais la volonté britannique de transférer dans les mains des colons même les terres comprises au préalable dans les réserves qui avaient été concédées, n’en était pas moins très forte  [8].

3 Il est important de bien reconnaître le rôle des Premières Nations dans ces transactions : leurs membres ont cherché à faire respecter par la Grande-Bretagne ses engagements, à réagir aux tactiques administratives britanniques et à affronter des colons et des administrateurs coloniaux, qui les considéraient d’une manière profondément négative. À l’intérieur de leurs communautés, et parmi celles-ci, ils débattaient pour savoir comment mener leurs relations avec la société des colons et avec le gouvernement britannique, à travers les processus prévus par le traité, les négociations diplomatiques, les échanges quotidiens et leur utilisation de la terre – par exemple, pour établir des relations avec des colons choisis –. Mais, même en procédant ainsi ils pouvaient échouer. Ce fut, par exemple, le cas des Mississauga, pourtant très expérimentés et déterminés à résister à des ventes ultérieures : ils furent eux-mêmes obligés d’abandonner les terres stratégiquement situées qu’ils avaient à l’extrémité occidentale du lac Ontario, le rivage en 1805, et l’intérieur des terres en 1818-1819  [9].

4 Le début de la colonisation suivit directement la guerre de la Révolution. En 1784, plus de 5 000 Loyalistes [10] reçurent des terres sur le Saint-Laurent, aussi loin que dans la baie de Quinté et à l’ouest de la rivière Niagara. Beaucoup d’entre eux avaient été des soldats britanniques recrutés en Amérique du Nord ; ceux que leurs familles accompagnaient étaient les plus portés à s’installer pour coloniser. Leur expérience antérieure de l’agriculture en pays de frontière permet d’expliquer comment ils réussirent à surmonter les dures conditions des débuts et à rendre en quelques années la colonie autosuffisante du point de vue alimentaire. En 1791, une colonie séparée du Haut-Canada fut établie, dans laquelle le système seigneurial des tenures et les lois civiles françaises, qui étaient les institutions-clés du régime français, ne seraient pas appliqués. Le Haut-Canada fut la première colonie britannique d’outre-mer créée sans port maritime ; le gouvernement lui attribua une partie des taxes sur les marchandises importées prélevées à Québec, ce qui en fit sa principale ressource, sans cependant lui en donner le contrôle.

5 Il a été avancé qu’ici la colonisation avait été prématurée, car se situant au-delà de la frontière [11]. Si celle-ci est conçue comme une large zone dans laquelle des tentatives et des expériences de colonisation ont lieu en de nombreux endroits, plutôt que selon une ligne continue, liée et mobile, en fait le Haut-Canada se développa de manière simultanée à celle des zones américaines limitrophes. En effet, d’autres colons venus des États-Unis suivirent rapidement les Loyalistes. S’ils étaient disposés à prêter le serment d’allégeance, ils étaient les bienvenus  [12]. Le résultat en fut que le Haut-Canada devint « une communauté américaine, au moins sur le plan démographique »  [13].

6 La plus grande partie du territoire en question était fortement boisée. Au sud, il s’agissait, sur ce qui promettait d’être la meilleure terre utilisable pour l’agriculture, d’un mélange de bois durs et de bois tendres ; au nord, d’arbres au bois tendre, notamment des pins rouges et blancs. Les autorités britanniques commencèrent rapidement à faire faire les relevés de ces terres. L’unité de base fut le township [14], à l’intérieur duquel les lots étaient mis en place selon une grille rectangulaire  [15]. Les Britanniques espéraient pouvoir utiliser ces terres à la fois pour stimuler le développement et pour mettre en place une hiérarchie sociale. Les concessions furent différenciées en fonction du rang militaire, des territoires plus grands étant accordés à des hommes qui s’engageaient à recruter des colons ; les principaux administrateurs étaient récompensés par des terres, cependant que presque 30 % des lots de la plupart des townships étaient mis en réserve pour créer des dotations destinées aux besoins de l’administration gouvernementale et pour répondre à ceux de l’Église établie. Très vite, certains commencèrent à accumuler des terres, quelques-uns rêvant peut-être de créer des domaines capables de générer des revenus à long terme. Cela s’avéra impossible : il s’agissait de mettre en place une économie bâtie sur la tenure libre et la propriété indépendante, dont l’unité économique et sociale fondamentale était l’exploitation familiale, le plus souvent de 100 acres environ, soit 40 hectares  [16]. Cela laissait néanmoins une place pour des fermiers, parce que de nombreuses circonstances amenaient soit à donner en location une ferme, soit à prendre des terres en location, sur le court ou sur le long terme. L’abondance des terres restreignait les pouvoirs des landlords, limitait les fermages, et permettait souvent à des tenanciers de garder la plus-value des terres qu’ils avaient louées, engendrée par leur amélioration, la construction de bâtiments et de clôtures, …  [17] D’autres, qui avaient accumulé des terres, et que l’on appelait souvent de manière péjorative des « spéculateurs », cherchaient un profit essentiellement à partir de la revente. À côté des politiques officielles pour disposer de terres contrôlées par la Couronne, un marché de la terre florissant prit rapidement forme, les fermes et les terres non mises en valeur étant achetées, vendues, subdivisées, transférées à l’intérieur des familles, ou louées  [18].

7 Au début du XIXe siècle, l’ensemble de la population de ce qui restait des colonies britanniques au nord des États-Unis, totalisait moins de 400 000 personnes, dont au moins la moitié parlaient français. Six États américains avaient une population plus importante. Ces chiffres incluent également les Premières Nations qui vivaient à proximité de cette colonisation  [19]. Dans le Haut-Canada, ils représentèrent jusqu’à la moitié de la population dans les années 1780, mais guère plus de 15 % en 1805, moment où les colons étaient 46 000  [20]. Les deux tiers de ces colons vivaient dans des districts où s’étaient d’abord installés des Loyalistes. Environ 6 000 autres vivaient maintenant autour et à l’est de la capitale de la colonie, York, qui avait été fondée en 1797 sur la rive nord du lac Ontario. Au moins 8 000 s’étaient installés plus à l’ouest, principalement le long du lac Érié et de la rivière Detroit. Ils avaient choisi de vivre loin de Montréal, au-dessus du Niagara Escarpment [21], qui court à partir du nord-ouest des chutes du Niagara jusqu’à la péninsule de Bruce, sur le lac Huron, et qui divise la province à l’ouest du lac Ontario, ce qui suggère que leur première orientation n’était pas de produire des exportations pour le marché britannique.

8 Les guerres franco-anglaises, qui dominèrent la période 1793 à 1815, eurent un grand nombre d’implications pour la colonie, notamment en termes de présence militaire des Britanniques, de leurs stratégies, dépenses, et demande de produits coloniaux ; elle entraîna de l’inflation, et de nombreux changements de réglementation du commerce impérial, de taux de change, enfin de pouvoir pour les Premières Nations [22]. Ce qui est encore plus important, c’est que la colonie survécut. En 1812, la détérioration des relations entre la Grande-Bretagne et les États-Unis déboucha sur une guerre, dont une grande partie des batailles eurent lieu sur la frontière du Haut-Canada, ou à l’intérieur de celui-ci. Les combattants appartenant aux Premières Nations jouèrent un rôle vital dans les succès de la défense menée par l’armée britannique. Malgré cela, la Grande-Bretagne arrangea par la suite des cessions formelles de la plupart des terres du sud, non encore cédées par les Indiens. Il y avait encore d’importantes communautés des Premières Nations en plusieurs endroits, y compris sur les deux principales rivières à l’intérieur de la péninsule occidentale, le Grand et la Tamise – qui va vers l’ouest se jeter dans le lac Saint-Clair, – et à Walpole Island, à l’embouchure de la rivière Saint-Clair. Plus au nord, sur le lac Huron, une économie forestière continuait : c’est seulement en 1850 que les traités et les transferts de terres commencèrent à incorporer le rivage nord du lac Huron dans la nouvelle économie de colonisation  [23].

9 Au lendemain de la guerre, la politique du Haut-Canada changea, devenant hostile à l’immigration américaine. Au même moment, les ajustements immédiats dus à la fois à la paix retrouvée par le Royaume-Uni et à des changements socioéconomiques plus larges, y suscitèrent beaucoup plus d’intérêt pour l’émigration ; elle se mit en place à une plus grande échelle qu’au XVIIIe siècle, souvent sur une base familiale. Pendant les quarante années qui suivirent, le Haut-Canada fut une destination privilégiée. Les immigrants irlandais, écossais et anglais transformèrent la colonie en ce qu’il est mieux d’appeler désormais une communauté britannique. Grâce à eux, on y garda le même taux de croissance de la population qu’avant 1812, la population doublant à chaque décennie, ce qui a été la croissance la plus forte qu’ait connue une colonie britannique en Amérique du Nord  [24]. Elle se situait très au-delà de ce qu’aurait permis le seul taux d’accroissement naturel, pourtant très élevé. En 1861, il y avait 1,4 million d’habitants au Haut-Canada, soit 45 % de la population totale des quatre provinces qui constituèrent en 1867 le nouveau Dominion du Canada. À cette date, on y trouvait 56 villes et bourgs de plus de 1000 habitants ; la plus importante était la capitale, qui avait cessé en 1834 de s’appeler York, pour devenir Toronto. En 1861, avec 45 000 habitants, sa population représentait la moitié de celle de Montréal, ce qui lui donnait le troisième rang dans l’Amérique du Nord britannique. Pourtant, sur 6 habitants, 5 ne vivaient pas dans des centres urbains, et « l’agriculture restait le mode de vie de près de la moitié des familles » de la province  [25]. C’était encore une économie très rurale ; pour comprendre son développement, il est nécessaire de se focaliser sur la perspective des gens qui la firent ce qu’elle était. Ce n’est pas une approche habituelle jusqu’ici.

La colonisation du Haut-Canada et la formation d’une économie rurale

10 Partant d’un point de vue dont l’histoire européenne était le cœur, les historiens de l’empire et de l’économie qui se sont intéressés à l’industrialisation et à la globalisation, ont eu tendance à imaginer collectivement les colonies comme « la périphérie », et ils ont considéré que « leur expansion économique… dans le système impérial du XIXe siècle, avait été largement tirée par les ressources dont avaient besoin les économies industrielles européennes »  [26]. Les historiens canadiens ont partagé ce point de vue, faisant de l’exportation des ressources naturelles le fondement sur lequel reposait l’interprétation de l’histoire économique canadienne. Historiquement, c’était le point de vue d’une élite, exprimé par les principaux marchands et les membres de la haute administration, les premiers ayant une vision commerciale, les seconds celle de la grandeur impériale. En ce qui concerne la vallée du Saint-Laurent, ils imaginaient Montréal comme « la porte d’une vaste zone géographique riche en ressources », « l’énorme arrière-pays du Saint-Laurent »  [27]. La plus grande partie de ce territoire était cependant au sud des Grands Lacs, et le rêve de la construction d’un commerce l’unissant à la Grande-Bretagne se révéla très largement exagéré, moins parce qu’il fallut aller jusqu’aux années 1840 pour compléter le réseau de canaux supprimant les barrières à la navigation au-dessus de Montréal, que parce que la plupart des échanges entre l’est et l’ouest à l’intérieur des États-Unis relevaient d’un trafic domestique et non pas international. En dehors du commerce des fourrures, qui s’étendait bien au-delà du Saint-Laurent, jusqu’à l’océan Pacifique, l’arrière-pays de Montréal se limitait alors au Haut-Canada.

11 À cet égard, les historiens ont dépeint une économie basée sur l’exportation en Grande-Bretagne de deux produits : le pin, transporté sous forme de bois équarri, et la farine de blé  [28]. Ces produits furent importants, mais beaucoup moins centraux pour la croissance économique que la théorie des staples [29] le croyait. Tenant pour établie leur suprématie, elle a largement ignoré les autres exportations, et complètement négligé le marché domestique ; de manière tout à fait inappropriée, elle a caractérisé l’agriculture comme un secteur de « ressources »  [30] ; et elle a négligé qu’avant 1840 – donc durant la principale période d’immmigration – le blé du Haut-Canada ne fut pas exporté en Grande-Bretagne de manière habituelle. Elle a également élargi les exportations de pins de la vallée de l’Ottawa à l’ensemble de l’économie du Haut-Canada, et insuffisamment prêté attention à la chronologie. Le Haut-Canada a commencé à se développer vingt-cinq ans avant que les droits de préférence impériale n’aient été établis, durant les guerres napoléoniennes, ce qui donna une impulsion majeure aux exportations de bois, près de soixante ans avant que ne soient mises en place des exportations continues de blé vers la Grande-Bretagne. Elles ne commencèrent que dans les années 1840, lorsque celle-ci abandonna les Corn Laws [31] destinées à protèger l’agriculture britannique.

12 Le contexte immédiat de leur abolition en 1846 fut la famine en Irlande. Au cœur de nombreux aspects de l’histoire de l’immigration au Canada, elle a imposé l’idée que cette immigration a fondamentalement concerné des réfugiés, fuyant des circonstances tragiques, et luttant pour construire ailleurs une nouvelle vie. En réalité, l’histoire du Haut-Canada comporte d’autres histoires semblables, puisqu’elle commence avec les Loyalistes, et qu’elle inclut les Highlanders écossais dépeints comme des victimes des clearances [32], lorsque les Landlords convertirent leurs domaines en élevages à moutons, les gens des Lowlands d’Écosse, du nord de l’Irlande, et d’Angleterre, chassés par la pauvreté et les bouleversements de l’industrialisation, et les esclaves s’échappant le long de l’Underground Railroad [33]. Il s’agit de drames importants, à la très grande force émotionnelle, encore présents dans la mémoire populaire et historique. Il n’en reste pas moins essentiel de rappeler à la fois que la plupart de ceux qui furent affectés par ces processus n’émigrèrent pas, et que ces histoires dramatiques n’entrèrent pas en ligne de compte pour ceux qui le firent  [34]. Par exemple, l’afflux des gens qui vinrent d’Irlande entre 1846 et 1849 se situa presque à la fin de la principale période d’immigration ; malgré sa force, la croissance de leur nombre n’accéléra pas celle du taux de la population dans le Haut-Canada  [35]. En outre, comme beaucoup de ceux qui arrivèrent dans des ports de l’Amérique britannique, les gens ne s’y arrêtèrent pas systématiquement : le choix de continuer vers les États-Unis restait toujours possible  [36].

13 Il en résulte qu’immigration et colonisation ne furent pas des synonymes. Celle-ci fut un processus aux motivations économiques, et non une histoire de réfugiés. En début de période, l’histoire de la croissance du Haut-Canada fut autant l’œuvre d’Américains, qui vinrent après ces Loyalistes, que celle des premiers colons  [37]. Après 1815, la croissance fut soutenue de manière quasiment continue par l’addition successive de nouveaux arrivants. Chaque année, de 1817 à 1829, 9 000 émigrants ou davantage quittèrent le Royaume-Uni pour un port américain, avec un pic de 23 000 en 1819. À partir de 1829, nous avons des données spécifiques sur leur arrivée à Québec ; une fois que l’on a déduit ceux qui partirent immédiatement aux États-Unis, on peut arriver à une bonne estimation des immigrants qui sont restés  [38]. Durant la plupart des années qui vont de 1830 à 1854, 20 000 ou davantage s’installèrent comme colons, la majorité d’entre eux allant au Haut-Canada. Les maximums se situent en 1831-1832, avec plus de 40 000 immigrants chaque année, et, en 1847, année au cours de laquelle 57 000 des 90 000 immigrants qui arrivèrent à Québec s’installèrent. Il y eut un ralentissement en 1835, et un creux important en 1838-1839, à la suite de la crise commerciale de 1837 et des rébellions dans les deux Canadas à la fin de cette même année.

14 Au cours de ces années-là, l’Irlande fut le principal pays de provenance des immigrants. En 1842, le nombre des habitants du Haut-Canada nés en Irlande égalait le total cumulé de ceux nés en Angleterre ou en Écosse  [39]. Environ les deux tiers de ces Irlandais étaient protestants. On imagine souvent que les Irlandais catholiques étaient des prolétaires qui s’installèrent dans les zones urbaines, mais ils étaient semblables aux Irlandais protestants : comme eux, ils s’installaient dans des zones rurales, et la taille moyenne de leurs fermes était quasiment comparable  [40]. Le voyage était coûteux. À moins que quelqu’un n’ait payé pour eux – ce qui arriva pour certains –, les pauvres ne vinrent pas. Au contraire, les immigrants avaient besoin d’un capital, et beaucoup avaient des spécialisations utiles dans une économie rurale. En plus des agriculteurs, on y trouvait des charpentiers, des cordonniers, des forgerons, des tonneliers, et d’autres artisans. Quoiqu’il y ait eu beaucoup à apprendre, et un risque considérable à s’installer dans un cadre aussi neuf de colonisation, à l’évidence beaucoup y connurent la réussite. Leurs attentes et leurs expériences les amenèrent rapidement à en exhorter d’autres, au pays natal, pour qu’ils suivent leur exemple, ce qui entraîna un processus de chaîne migratoire  [41].

15 Des deux côtés de l’Atlantique, la famille et la communauté avaient une influence importante sur l’identité des arrivants, sur le moment de leur venue, et sur leur destination. Cela entraînait des groupements de gens d’origine commune et donnait dans les différentes aires géographiques des mélanges variés de culture. Par exemple, le comté de Waterloo, situé sur le cours amont de la Grande Rivière, à l’ouest de Toronto, a eu pendant longtemps un caractère germanique. En 1851, 20 % de sa population étaient nés dans ce que les listes de recensements appelaient « Allemagne, Hollande » ; ils avaient été attirés là parce que beaucoup d’Américains, qui avaient été les pionniers de la colonisation du comté, étaient d’origine germanique ; ils représentaient la moitié de tous ceux qui, dans la province, étaient nés en Allemagne  [42]. Dans ce même comté, il y avait néanmoins autant d’habitants nés dans les îles Britanniques qu’en Allemagne. Dans quelques comtés de l’ouest, les Écossais étaient le groupe de populations nées en dehors de la province le plus nombreux  [43]. À l’opposé, dans l’Essex, où la colonisation avait commencé très tôt, et était basée sur la vieille implantation française autour de Detroit, un tiers de la population était à la fois d’origine française et né au Canada, ce qui était le double de la proportion de ceux nés en Angleterre et en Irlande (seulement quelques centaines de colons étaient natifs d’Écosse). Il est courant, spécialement dans l’histoire populaire, de trouver de puissants stéréotypes culturels, tels que les clans traditionnels d’Highlanders catholiques, les Écossais rusés et calculateurs des Lowlands, les Américains pragmatiques et doucereux, et les journaliers catholiques irlandais, rudes, prodigues, bagarreurs, et portés sur la boisson. Il reste que les variations régionales agricoles s’expliquent principalement par des conditions telles que la longueur de la saison de maturation, la qualité des sols, et la proximité des principaux marchés. Ceci n’exclut pas les influences culturelles sur les pratiques familiales.

16 Vers 1861, le paysage du sud de l’Ontario avait été fortement transformé. Presque tous les cours d’eau qui pouvaient fournir de l’énergie hydraulique, avaient été domestiqués, et plus de 6 millions d’acres de terres arables avaient été mis en culture, ce qu’il faut comparer avec les 325. 000 qui l’étaient en 1817  [44]. Durant les années 1850, le taux de croissance de la population ralentit, mais non les défrichements, et la proportion de terre en culture par tête commença à croître, atteignant 4, 3 acres en 1861. À cette date, l’occupation agraire avait atteint les limites des terres arables de la province, et un grand nombre des premiers townships connurent leur maximum de population. Durant le reste du XIXe siècle, il partit beaucoup plus de gens de la province qu’il n’en vint s’y installer. Ce ne fut pas, néanmoins, la fin du processus de déforestation et de conquête des marécages pour les transformer en terres agricoles : au cours des trente années suivantes, plus de 8 millions d’acres furent mis en culture, essentiellement au sein des exploitations déjà existantes  [45].

17 Créer une ferme était un projet à très long terme. Ceux qui avaient assez d’argent pouvaient acheter une exploitation déjà existante dans une zone où la colonisation était avancée, ou louer de la main-d’œuvre pour une partie de la tâche de défrichement. Il faut se rappeler que ceux qui défrichaient et construisaient par leurs propres forces, faisaient aussi un investissement en créant une nouvelle unité de production. Chaque ferme passait par cette phase très longue. Qu’autant de familles aient eu la volonté d’entreprendre ce travail, indique la puissante attraction de la propriété agricole : elle offrait la possibilité d’une indépendance que beaucoup voyaient comme inatteignable, menacée, ou inabordable dans le Vieux Monde ou dans les zones depuis longtemps colonisées du Nouveau Monde. On n’avancera pas pour autant que ces familles de pionniers voulaient résister au capitalisme ; il faut plutôt imaginer qu’elles utilisaient leurs ressources pour se réinstaller sur des terres dont le prix était attractif, avec l’espoir d’un retour de leur investissement, ce qui créerait un avenir dans lequel le niveau de vie de leurs enfants serait plus haut que s’ils étaient restés chez eux  [46].

18 Mais, comment les familles pouvaient-elles vivre sur ces exploitations, spécialement au début de la mise en valeur, quand leur revenu était forcément réduit, une partie seulement de la terre étant en production, et que les colons avaient besoin de consacrer du temps et de l’argent à défricher la terre et à construire des maisons, des granges et des haies ? La théorie des staples (staples interpretation) implique que le blé leur procurait le revenu nécessaire : les agriculteurs auraient donné la priorité au blé, profitant des hauts rendements sur les terres nouvellement défrichées. Effectivement, dès 1794 le blé du Haut-Canada fut transporté sur le fleuve, et des quantités encore plus importantes en furent exportées en 1801-1802. Mais, pendant d’assez longues périodes, son prix ne fut pas spécialement élevé. Dans la partie orientale de la province, c’est-à-dire près du marché de Montréal, la valeur du blé n’excéda jamais un dollar le boisseau avant 1808, et il se situa plus bas pendant toute la décennie qui va de 1819 à 1828  [47]. Si l’on analyse l’ensemble des prix et des quantités, il est évident que les revenus que pouvait procurer le blé fluctuaient fortement, étaient incertains, et souvent limités. Des espoirs à cet égard auraient pu naître des pics des années 1817, 1830 et 1831, au cours desquelles les exportations de blé furent équivalentes à 6/7 dollars par tête dans les régions du Haut-Canada où il était cultivé. Mais ce fut exceptionnel. À l’opposé, elles représentèrent moins de 2 dollars par tête entre 1819 et 1825, et à plusieurs reprises dans les années 1830. En 1826, par exemple, elles ne constituèrent que 7 % du revenu agricole de la province, tel qu’on peut l’estimer  [48]. Il faut ajouter que ce que l’on appelle habituellement des exportations ne l’était pas en réalité. Ce n’est que de manière occasionnelle et imprévisible, lorsque les récoltes britanniques étaient déficitaires et les prix élevés, que la farine et le blé canadien étaient vendus au-delà des mers. Avant 1840, la plus grande partie du blé récolté au Haut-Canada y était consommée, et son principal marché en descendant le fleuve se trouvait au Bas-Canada  [49]. Là où il pouvait être cultivé, le blé était bien une staple crop [50] pour les agriculteurs du Haut-Canada, mais, jusqu’aux années 1840, le marché britannique ne leur fut pas ouvert. C’est alors seulement que la production, les exportations, et le revenu par tête qu’il procurait, s’accrurent, et qu’il devint pendant un temps une staple export du Canada. Mais ce fut à la fin et non au début de la vague d’immigration. Au contraire, les premiers niveaux de revenus tirés des exportations de blé paraissent trop irréguliers et trop limités pour expliquer les investissements et le développement de la province au cours de ces soixante premières années.

19 L’étude de l’utilisation de la terre conforte ce point de vue. Des hypothèses raisonnables sur les rendements et la consommation suggèrent que moins du quart de la superficie défrichée fut réellement plantée en blé  [51]. Même à l’époque où l’économie du blé fut à son maximum, en 1860, un échantillon solidement construit d’exploitations montre que moins de 30 % de la terre était planté en blé  [52]. Or, la superficie qui lui était consacrée ne s’accroissait pas avec la taille de la ferme. En effet, pour la plupart des familles, qui ne disposaient que de techniques manuelles traditionnelles, et dont la force de travail se limitait à la leur propre, le temps constituait une forte contrainte. Les productions et les surfaces en blé les plus importantes se trouvaient donc là où les agriculteurs faisaient pousser deux récoltes distinctes, le blé d’hiver – semé à l’automne et moissonné au milieu de l’été –, et le blé de printemps, moissonné à la fin de l’été  [53]. Seulement un tiers environ des agriculteurs le faisaient, dans une zone autour de Toronto et à l’ouest de celle-ci car, plus loin à l’est, les hivers étaient trop sévères.

20 Il en résulte que l’on avait là une mixed farming economy [54]. Dans une étude magistrale faite à propos du Produit National Brut (GNP) du Canada, qui commence en 1870, quelques 29 différentes sources de revenus agricoles ont été considérées. Dans la plupart des cas, il est clair qu’on les trouvait déjà depuis longtemps au Haut-Canada  [55]. D’une manière notable, il apparaît que les animaux donnaient globalement plus de revenus aux agriculteurs que le blé. Les chevaux, les bœufs, les animaux de boucherie et le bétail laitier, les cochons et les moutons étaient couramment un objet d’élevage, d’emploi, d’achat et de vente. La viande, le beurre, les cuirs, la laine et le suif donnaient lieu à un important commerce, tout comme les œufs et les poulets, que l’on ne trouve pas mentionnés dans les premiers recensements. Les gains que l’on en tirait, ainsi que ceux issus de la production du beurre, étaient généralement attribués aux fermières, qui étaient responsables de ce secteur dans l’exploitation  [56]. D’autres récoltes étaient pratiquées, comme l’avoine et le foin : on les cultivait principalement pour nourrir les animaux de l’exploitation, mais on en vendait également. Beaucoup de légumes et de fruits étaient produits, aussi bien pour la consommation que pour la vente, notamment les pommes de terre et les pommes. De très nombreuses fermes produisaient du sucre d’érable, essentiellement, semble-t-il, pour leurs propres besoins, car les autres consommateurs achetaient du sucre importé ; certaines, du miel, et d’autres, dans l’ouest, du tabac. Parfois, ces produits étaient exportés, mais ils donnaient surtout naissance à un commerce à l’intérieur de la province, ou même à des échanges locaux. En plus des villageois et des citadins, le marché provincial comprenait d’autres acheteurs : ceux qui n’avaient pas de ferme à eux, tels que les artisans et les journaliers, mais aussi d’autres exploitants agricoles, car peu d’exploitations produisaient de tout. Il y avait encore les familles qui venaient de s’installer : elles avaient besoin de bétail, de semences, et même de nourriture. Par ailleurs, beaucoup de fermes achetaient du bétail. Au total, la mise sur le marché de tous ces produits avait créé un tissu complexe d’échanges locaux, et donné naissance à une agriculture du Haut-Canada équilibrée, faisant montre de davantage de force, d’ampleur et de résistance que la monoculture du blé n’aurait pu le permettre.

21 Le second volet de la thèse des staples était le bois de pin, grossièrement équarri dans les forêts, particulièrement dans la vallée de l’Ottawa et dans la partie orientale de la province, puis expédié par flottaison jusqu’à Québec, pour être amené par bateau jusqu’en Grande-Bretagne. De manière croissante, le pin fut aussi scié en planches épaisses – appelées deals – pour le marché britannique ou, à partir du milieu des années 1840, pour faire du bois de charpente pour la partie orientale des États-Unis. Le bois de pin fut produit par des gens vivant dans des cabanes (shanties), installées au-delà des principaux centres de colonisation ; les fermes proches procuraient des chevaux et des bœufs, de la nourriture et du fourrage, ainsi que de la main-d’œuvre, mais les liens avec le Haut-Canada au-delà de la région de production étaient limités. Dans la vallée de l’Ottawa, par exemple, on amenait du porc et de la farine, mais les quantités en étaient réduites par rapport à la production totale. En outre, beaucoup de travailleurs forestiers étaient des saisonniers venant du Bas-Canada, car ils avaient des spécialisations que l’on ne trouvait pas chez les immigrants. Les exportations de bois de pin étaient essentielles là où il était produit, mais il est douteux qu’elles l’aient été pour l’ensemble du Haut-Canada, comme l’a avancé la théorie des staples : les liens étaient davantage indirects, par exemple en aidant à soutenir les structures commerciales, et en générant des échanges extérieurs  [57]. Un autre lien sur lequel la théorie des staples a insisté, a été que les gros chargements de bois à destination de l’est de l’Atlantique généraient des capacités supplémentaires de transport pour les voyages vers l’ouest de ce même océan, ce qui tirait vers le bas le prix du fret ou des voyages de passagers. Mais on ne trouve qu’une corrélation très réduite entre les trends et les fluctuations des exportations de pins, et ceux concernant les nombres d’immigrants  [58]. Les tarifs n’étaient que l’un des éléments considérés lors de la migration, et ils n’étaient pas déterminants quant à l’endroit où les colons s’installaient en Amérique du Nord.

22 En réalité, le bois de pin n’était pas la seule exportation forestière du Haut-Canada. En fait, avant 1840, pour les années pour lesquelles des chiffres d’ensemble existent, d’autres exportations forestières les dépassaient globalement en valeur, en général de manière nette. Un grand nombre de ces productions venaient des zones humides du bassin du Saint-Laurent ou de celles situées à proximité. Les plus importantes étaient des douves de chêne, utilisées pour faire des tonneaux, et la potasse, obtenue en faisant bouillir les cendres domestiques ou agricoles, grâce aux accumulations qu’en laissaient le chauffage des maisons et les feux allumés pour le défrichement des terres  [59]. Il y avait aussi des exportations de bois dur, principalement du chêne. Après qu’ait été ouvert, dans les années 1830, le canal Welland, entre le lac Ontario et le lac Érié, on put transporter par bateau du bois venant de l’ouest, notamment de la région du lac Saint-Clair. Mais, par ailleurs, le revenu net local engendré fut plus modeste que les valeurs totales ne semblent le suggérer, parce que le coût du transport par bateau représentait à lui seul la moitié du prix du chêne à Québec. Il reste que, durant la plupart des années antérieures à 1840, la valeur combinée des produits forestiers descendant par le Saint-Laurent dépassa celle du blé. Les valeurs extrêmes se situent en 1825, année où la valeur de la potasse comme celle des douves fut équivalente à celle du blé ; 1829, où elle la représenta trois fois ; 1835 et 1837, où elle en fut le double  [60]. Pour ces années aux valeurs extrêmes, si l’on ajoute la potasse aux douves, on est très au-dessus de la valeur du blé.

23 Il y avait aussi un large marché domestique pour les produits forestiers. Dans ce climat froid, ainsi que le montrent les journaux de ferme, durant l’hiver les hommes passaient de nombreuses semaines à couper du bois pour chauffer leur maison l’année suivante. Comme il n’y avait pas de charbon au Haut-Canada, le bois était à la fois la seule source de chauffage et le combustible pour les machines à vapeur. On n’a pas de statistiques officielles, mais il est raisonnable d’estimer, à partir du marché, que le bois à brûler était l’une des principales productions des fermes, les bûches en étant une autre. Partout dans la province il y avait des scieries : près de 1 000 en 1842 et près de 1 600 en 1851. Parmi elles, une petite douzaine, bien situées en termes de puissance, de fourniture du bois et de transport, étaient orientées vers le marché d’exportation. Elles étaient une des plus importantes industries de la province. Beaucoup d’autres avaient une activité de sciage locale, transformant les bûches en planches pour la construction locale. L’importance de celle-ci est suggérée par la prééminence des charpentiers : on en dénombrait 7 600 dans le recensement de 1851, ce qui en faisait le groupe d’artisanat le plus nombreux de la province  [61]. La troisième production en importance était l’écorce pour les nombreuses tanneries de la province. Que ces productions forestières aient été exportées ou consommées sur place, elles étaient produites sur les exploitations, ou à proximité de celles-ci. Elles étaient une partie intégrante du caractère « mixte » de l’économie de la province.

24 Le fait que les échanges locaux aient été si importants, peut évoquer le monde rural dépeint dans une puissante interprétation de l’histoire américaine, qui oppose « les échanges du voisinage » au « principe du marché », et décrit exactement, au cours de cette période, une transition entre l’époque où régnait « la fixation coutumière des prix et la réciprocité locale », et une autre marquée par « la régularisation des méthodes de production et d’échange »  [62]. Au Haut-Canada, cependant, ces deux formes distinctes ont apparemment coexisté, et cela longtemps après que soit survenue cette transition dont on suppose l’existence  [63]. En réalité, le contexte local fut toujours englobé dans un monde plus large, et il y a peu de raisons de penser que le Haut-Canada fut unique à cet égard.

25 L’idée d’une économie locale basée sur la coutume reflète l’importance du partage et de l’échange de main-d’œuvre, d’articles et de marchandises, toutes pratiques qui expriment la sociabilité et la solidarité de la communauté en face des risques et de la rareté. Aussi bien les colons étaient-ils engagés dans des activités parallèles, concernant notamment le travail qui ne pouvait pas être fait par une famille seule, ou qui était mieux fait avec une aide additionnelle, mais qui, évidemment, aurait été considéré comme trop coûteux s’il avait été réalisé avec du travail salarié. La forme classique du partage était le travail en commun réciproque. Parce que les plus importants de ces travaux en commun (construire une grange, par exemple) impliquaient des coûts prévisibles et des retours, on peut avancer qu’ils reflétaient le « principe du marché ». Même si ce n’était pas le cas, ils illustrent le fait que ces travaux en commun avaient un caractère « régularisé ». On ne trouvait pas, au Haut-Canada, ces niveaux extrêmes dans l’échelle de la richesse et du statut social que l’on trouvait dans l’Europe rurale ; pourtant, sa société n’était pas homogène. Comme le démontre une pénétrante analyse des travaux faits en commun, ceux-ci reflétaient les hiérarchies et les réseaux qui structuraient la communauté, en les renforçant  [64].

26 Surtout, même coexistant avec ces pratiques, il existait un travail rural salarié sur lequel nous avons une bonne documentation grâce aux comptes de moulins, qui ont été sauvegardés, et aux journaux de fermes. Certains avaient choisi de louer des travailleurs ; d’autres – des hommes sans terres à eux, des membres de familles n’ayant que des propriétés modestes, ou qui commençaient juste à exploiter des terres, ou encore des migrants saisonniers – avaient au contraire décidé de travailler en se louant. Un tel travail était ordinairement à court terme ou saisonnier ; il se situait à l’échelle d’une personne et non pas de groupes ; enfin, beaucoup combinaient une activité salariée et le travail chez eux. Ces gens connaissaient la valeur du temps et pouvaient effectivement demander, pour des travaux précis, des gages normaux – par jour, par semaine, par mois, ou à l’année, avec ou sans nourriture et logement. Pour une enquête sur l’économie de la province, qu’il mena en 1817, Robert Gourlay obtint des données pour la plus grande partie des townships existants sur les salaires des forgerons, des maçons, des charpentiers, des journaliers et des servantes  [65].

27 C’était aussi un monde où les prix existaient. À partir des années 1790, il est possible de créer des séries de prix pour les principales marchandises, ce qui inclut le blé, l’avoine, les pommes de terre, le porc, le bœuf, le beurre et le foin  [66]. Les informateurs de Gourlay lui fournirent les prix pour les chevaux, les vaches, les bœufs, les moutons et la laine. Son enquête se déroula durant les difficiles ajustements qui suivirent une longue période de guerre, et les problèmes dont ils traitaient, lui et ses informateurs, reflétaient ces difficultés. Entre 1817 et 1822, les prix du blé vendu à l’extérieur chutèrent très fortement ; ceux des marchandises et des productions locales reculèrent moins, mais ils le firent néanmoins très fortement ; il est clair qu’ils étaient déterminés par le marché et non par l’usage local. La terre elle-même avait un prix, qui reflétait sa situation, la qualité des sols, leur amélioration, les revenus que l’on pouvait en espérer, et les autres possibilités que l’on pouvait avoir ailleurs. Il en résulte qu’il est possible de construire des séries cohérentes et systématiques de prix à partir des archives agraires  [67].

28 Le travail des pionniers est habituellement imaginé comme commençant dans l’isolement et l’autosuffisance des familles et des communautés  [68]. Il est vrai que les exploitations familiales produisaient une grande partie de ce dont elles avaient besoin, ou qu’elles consommaient, mais les colons du Haut-Canada ne s’étaient pas installés à l’écart du monde moderne. Par exemple, ils achetaient des tissus de coton fabriqués dans les manufactures, et buvaient du thé, deux productions importées de Grande-Bretagne  [69]. Partout, la colonisation était étroitement associée au commerce. Dans la partie occidentale de la province, où son enquête fut la plus large, Gourlay trouva un magasin pour 200 habitants, une scierie pour 233, et un moulin à blé pour 341  [70]. Ces prolongements directs du capitalisme contemporain ont parfois été compris comme représentant un processus d’échange inégal dans lequel les marchands mettent en place des monopoles locaux et utilisent le crédit pour exploiter à leur profit les termes de l’échange. Mais, avec autant de magasins et de moulins, il ne pouvait y avoir de monopoles. Parce que les fermiers pouvaient voyager sur de longues distances – tout particulièrement en hiver, quand les routes étaient gelées –, les marchands du pays devaient connaître les prix pratiqués dans les villes les plus importantes, s’ils voulaient garder leur clientèle.

29 Finalement, l’image d’une économie locale à l’écart du marché n’est pas compatible avec les réalités du circuit d’échanges de la terre ni avec l’importance de la mobilité pour une population qui n’était nulle part refermée sur elle-même. Beaucoup de gens, par nécessité ou par choix, se déplaçaient plusieurs fois. Or, à l’époque de la colonisation, les familles tendaient à être larges. Comme il n’y avait aucune propension à voir diminuer la taille des exploitations, et que les enfants des familles des fermiers semblent généralement avoir voulu continuer à être des exploitants agricoles, la génération suivante avait nécessairement besoin de davantage de terres, ce qui l’amenait alors à repousser les limites de chaque exploitation. Dans les familles, les successions pourvoyaient normalement, d’une manière ou d’une autre, aux besoins de tous les enfants ou, au moins, de la plupart d’entre eux. Très souvent, cela comprenait l’achat ou la vente de terres, localement ou ailleurs. Même quand la transmission formelle d’une propriété se faisait selon sa valeur nominale, des considérations concernant sa valeur selon le marché pouvaient intervenir.

Les investissements et la formation d’une économie moderne

30 Les colons vivaient donc dans un monde commercial, et l’expansion de celui-ci ne dépendait pas d’une manière simple des volumes et de la valeur d’un ou de deux produits. L’argument n’est pas que les exportations de blé ou de pin étaient insignifiantes, mais que, par elles-mêmes, elles n’avaient pas une importance significative. C’est-à-dire :

31

  • 1° qu’il y avait d’autres exportations importantes, et que les producteurs avaient fait des choix qui leur donnaient une ampleur et une adaptabilité que l’histoire de ces ressources spécialisées oublie ;
  • 2° que les exportations représentaient une plus petite proportion de toute l’activité économique que celle que cette histoire impliquait ; d’ailleurs, une grande partie de la production de blé et de pin était destinée à la production locale ;
  • 3° qu’elles ne comptaient pas pour expliquer la vitesse de la colonisation, qui dépendait des attentes, de l’investissement et des dynamiques de la migration et de la formation des familles ;
  • 4° que la forme institutionnelle de l’économie ne peut être déduite des propriétés de ces produits, comme veut le faire la staple theory, qui y voit une catégorie particulière de croissance économique. Des liens externes étaient en effet nécessaires : comme Marc Egnal l’a montré pour une période antérieure, le rythme du développement colonial fut étroitement associé à de longs balancements de l’activité économique dans la mère patrie  [71]. Les importations – et la nécessité de les payer – ne furent qu’un des éléments de ces balancements, non la variable indépendante. Dans chaque cas, le Haut-Canada avait plusieurs moyens pour payer ses obligations externes : des exportations, les crédits provenant des dépenses du gouvernement dans la colonie, le capital investi par les immigrants et par les milieux d’affaires, et celui emprunté sur le crédit public  [72]. C’était la base du crédit qui sous-tendait les échanges, aussi bien locaux que plus larges, et qui soutenait le développement rural. Ce système permettait d’acquérir en temps utile de nouvelles technologies-clés et de bâtir les institutions caractéristiques d’une économie moderne. Des exemples choisis permettent d’en comprendre le processus.

32 Comme nous l’avons vu, le gouvernement britannique jouait un rôle fondamental pour la défense de la colonie. Dans ce but, il maintenait une importante garnison, et payait le coût du Département Indien, qui avait pour responsabilité les traités et la diplomatie à l’égard des tribus. D’autres dépenses locales incluaient les pensions des officiers de l’armée qui se retiraient au Haut-Canada, et une subvention pour les frais de l’administration civile, dont le coût, au début, excédait ce que rapportaient les taxes locales, sans oublier d’autres dépenses variées, comme par exemple le coût du Post Office, directement contrôlé par les Britanniques durant l’époque coloniale. Au début du XIXe siècle, ces dépenses, qui représentaient 225 000 $ (£ 50 000) ou plus par an, excédaient la valeur des exportations. À l’approche de la guerre de 1812 avec les États-Unis, les dépenses militaires s’accrurent considérablement. Un moyen d’y faire face fut d’émettre des valeurs d’armée (army bills), une forme de papier-monnaie dont le retrait rapide après la guerre fut une part importante de la déflation qui marqua cette période. En dépit des efforts pour les diminuer, les dépenses britanniques restèrent plus élevées qu’avant la guerre. Jusqu’à la fin de 1831, et encore de 1838 à 1840 – époque où les dépenses militaires furent très élevées par suite des répercussions des révoltes de 1837 –, elles ne cessèrent d’excéder en valeur les exportations du Haut-Canada. En plus des dépenses annuelles traditionnelles, il s’y ajouta 4 millions de dollars (plus de £ 800 000), dépensés entre 1826 et 1832 pour construire le canal Rideau entre Bytown – plus tard Ottawa – et Kingston  [73].

33 Le coût du canal Rideau dépassa de loin le budget prévu. Son constructeur, le lieutenant-colonel John By, ne tint pas compte des instructions qu’il avait reçues, celles d’édifier un canal facilitant les mouvements des bateaux de l’armée ; il lui donna donc des dimensions permettant le passage de bateaux à vapeur. Ils avaient été introduits sur le Saint-Laurent en aval de Montréal en 1808, et sur le lac Ontario en 1817. Les éléments des moteurs furent importés, mais la construction et la maintenance furent locales, et financées par des investisseurs locaux. En conséquence, la maîtrise de la machine à vapeur devint rapidement un élément du répertoire des technologies de la colonie. Vers 1830, au moins 10 navires avaient été construits pour servir sur le lac Ontario, et d’autres suivirent, car la demande s’accrut. Durant la saison de navigation, ils assuraient des services quotidiens dans les principaux ports. En 1840, il y en avait 37, sur le lac ou sur le canal Rideau  [74].

34 Dans les années qui suivirent immédiatement la guerre, les entrepreneurs coloniaux commencèrent à bâtir un système plus élaboré d’institutions financières, ce qui étendit et compléta les structures de crédit et de change déjà existantes. Des banques à charte en furent l’élément directeur, mais il y eut aussi localement des compagnies d’assurances à charte, des sociétés de construction et quelques banques opérant sans charte, lesquelles ne durèrent que peu de temps. La Banque de Montréal fut lancée en 1817, et d’autres suivirent à Québec et à Kingston dès 1818. Mais la tentative de la banque de Kingston fut bloquée par le gouvernement du Haut-Canada, lequel, au contraire, soutint une banque à charte différente, la Banque du Haut-Canada, qui avait son quartier général dans la capitale de la colonie. Elle ne fut capable de commencer à faire des affaires en 1822-1823, qu’avec le soutien de l’État. Ayant mis en place avec prudence son commerce normal de banque, c’est-à-dire procurer du crédit à court terme – 90 jours normalement –, pour faciliter les exportations de blé, de farine et de pins, elle obtint son autonomie au milieu des années 1820. Quand elle chercha à augmenter son capital autorisé, dans les années 1830, les processus politiques donnèrent à d’autres intérêts la capacité d’obtenir eux aussi des banques à charte. Vers 1837, il y avait trois banques à charte au Haut-Canada, avec un capital total de 2 millions de dollars (£ 500 000), des prêts et des remises de plus de 3 millions. La province bénéficiait également de services de banques extérieures à la province, en particulier la Banque de Montréal, et, à partir de 1837, la Banque Britannique de l’Amérique du Nord. Toutes proclamaient leur souci de financer les exportations. Leur pratique, cependant, était sensiblement différente. Le système grandit beaucoup plus vite que la valeur des exportations, au point qu’entre 1835 et 1838 ses remises auraient pu financer plus de trois fois la valeur des cargaisons qui descendaient le fleuve à cette époque  [75]. Il est clair que les crédits bancaires se situaient fortement au-delà du commerce des staples, ce qui reflétait et contribuait à étendre le boom d’investissements de la période. Les banques ne traitaient pas directement avec les agriculteurs, mais les marchands le faisaient. En conséquence, ils encouragèrent l’expansion de l’économie rurale, la reliant directement au système financier international, et son rythme d’expansion fut ponctué périodiquement par des crises commerciales.

35 L’expansion des années 1830 fut aussi renforcée par le crédit public, lorsque le gouvernement du Haut-Canada découvrit qu’il pouvait emprunter pour son compte à Londres. En 1834, il émit des obligations totalisant presque un million de dollars (£ 200 000) pour consolider un ensemble varié d’obligations, la plupart ayant pour but de soutenir la Compagnie du Canal Welland, projet destiné à créer une voie navigable entre le lac Ontario et ceux situés au-dessus. Bien qu’elle ait été nominalement privée, les liens de la Compagnie avec l’État étaient devenus plus étroits, en même temps que ses besoins d’argent s’accroissaient. En quatre ans, la dette de la colonie à Londres s’accrut de plus de 4 millions de dollars (presque £ 900 000)  [76]. Virtuellement, toute la dette nouvelle avait pour but de financer des travaux publics, en y comprenant le canal Welland et le début de canaux sur le Saint-Laurent, projet complété dans les années 1840, après que la Grande-Bretagne ait imposé, en 1841, l’union des deux Canadas. Quel qu’ait pu être leur intérêt futur, ces projets n’avaient évidemment pas été essentiels pour le commerce de la province au cours de ses cinquante premières années. En 1837, le gouvernement dut faire face à une crise de paiements lorsque son agent à Londres fit faillite. Mais ses dettes n’étaient pas encore trop grandes par rapport au niveau de son économie, aussi d’autres banquiers londoniens prirent-ils en mains le compte de la colonie.

36 Les liens de ce type avec Londres s’étendirent dans les années suivantes, notamment au cours de la décennie 1850, celle pendant laquelle la région s’intéressa aux chemins de fer. De nombreuses lignes furent projetées par les entrepreneurs locaux, mais aucun n’avait les ressources financières pour mener à bien des projets si importants. Par conséquent, en 1849, le gouvernement provincial fut convaincu qu’il fallait soutenir ces projets : pour éviter d’augmenter la dette publique, le procédé choisi fut d’offrir une garantie à une partie des engagements que prendraient les compagnies qui construiraient les principales lignes de la province  [77]. Pour donner elles-mêmes les garanties requises, elles devraient augmenter leur propre capital. Afin que les financiers londoniens, les fournisseurs britanniques et les entrepreneurs risquent leur capital, et pour persuader les investisseurs britanniques de mettre de l’argent dans les compagnies inconnues d’une colonie éloignée, il fallait qu’une prime substantielle par rapport aux taux de retour britanniques soit promise, et qu’un descriptif du projet convaincant soit proposé. Pour les principaux projets du Haut-Canada, ces descriptifs s’appuyèrent essentiellement sur l’existence d’un commerce local, afin de mettre en valeur les stratégies liant la province à l’Ouest américain. Un seul de ces projets, le Great Western, eut quelque succès ; partant d’Hamilton, il rejoignait Niagara Falls et Detroit, et reliait le New York Central au Michigan Central. De loin, le plus grand projet fut le Grand Trunk, lancé par des promoteurs britanniques : il devait relier Chicago à Portland (Maine), sur la côte atlantique. Au Haut-Canada, il allait le long du Saint-Laurent, de Montréal à Toronto, puis, de là, vers l’ouest jusqu’à la rivière Saint-Clair. Entre 1852 et 1859, plus de 2 300 km de chemins de fer furent bâtis au Haut-Canada, reliant ensemble presque toutes les villes de quelque importance, et réduisant le temps de voyage entre elles. De Toronto à Hamilton, il fallait seulement 90 minutes, et 15 heures pour gagner Montréal. Globalement, ces lignes nécessitèrent au Haut-Canada un investissement de 70 millions de dollars, presque entièrement levés en Grande-Bretagne  [78]. Des ingénieurs, entrepreneurs et sous-traitants américains et canadiens furent impliqués dans la construction, mais les hommes auxquels il fallut avoir recours pour la conduite des opérations et les travaux techniques nécessaires pour mettre en place ces systèmes, furent surtout recrutés en Grande-Bretagne. Il est probable aussi qu’une grande partie du travail de construction fut l’œuvre d’immigrants.

37 On a parfois considéré que l’importance de ces investissements extérieurs et la complexité de la technologie avancée qui les accompagnait, avaient renforcé la dépendance coloniale. Selon une interprétation impériale qui a eu beaucoup d’influence, emprunter à Londres créait au plan local « une élite économique collaborant avec le pouvoir et les capitaux britanniques, élite qui leur était liée et qui en dépendait »  [79]. En fait, quoique les obligations et l’ensemble des fonds des compagnies de chemin de fer aient été possédés par des Britanniques, et que le Grand Trunk et le gouvernement canadien aient été intimement liés, la dépendance – si ce mot peut être employé ? – était en réalité réciproque, et la colonie avait bien davantage d’autonomie que cette expression ne le suggérerait. Les politiciens canadiens devaient prendre en considération les intérêts locaux autant sinon plus que ceux de l’étranger ; peu de membres de l’élite canadienne étaient associés aux chemins de fer, et donc dans leur dépendance ; les gestionnaires professionnels envoyés de Grande-Bretagne avaient leurs propres intérêts, un pouvoir largement autonome, et des perspectives qui tendaient à être locales dans la mesure où les opérations à réaliser le demandaient.

38 Les années 1850 furent celles de très fortes exportations de blé, les revenus liés à cette culture s’accroissant rapidement : le prix du blé tripla presque au Haut-Canada entre 1852 et 1855, notamment par suite de la guerre de Crimée, qui interrompit les arrivages en provenance de Russie. C’est pourquoi on dit communément que la période fut celle du grand boom du blé. Mais bien d’autres éléments expliquent celui-ci : les principaux investissements dans les chemins de fer ne furent pas suscités par l’économie céréalière locale et, de toute façon, ils intervinrent avant que ce boom ne commence, et même qu’il puisse être envisagé. Les dépenses liées à des montants si élevés de capitaux importés au cours d’une période aussi brève furent inflationnistes et contribuèrent à faire croître la valeur nominale de toutes les marchandises. Les cargaisons de farine furent une source de revenus pour les chemins de fer, mais elles n’en furent qu’une parmi d’autres : ainsi, le Great Western tira plus de la moitié de ses revenus de son trafic de passagers. Enfin, l’économie rurale fut engagée dans un processus beaucoup plus important que ce qu’aurait permis la seule expansion de la production de blé.

39 Que l’histoire du Haut-Canada soit encore dépeinte en termes d’une économie de staples dans des travaux de référence comme l’Atlas Historique du Canada et d’autres textes de base qui servent d’introduction à l’histoire économique du Canada, est une démonstration frappante du pouvoir d’une version historique établie pour supprimer les écritures de l’histoire qui pourraient s’y opposer. Il en résulte un récit sélectif, fortement abstrait, qui, comme l’évoque la phrase de Paul-Louis Martin, a « l’inconvénient de syncoper le réel, d’éviter l’épaisseur du temps, et ce qui lui est associé, l’effort, celui de tous ces gens sans visage et sans nom, qui ne figurent dans aucun livre et à qui l’on doit la production des premiers paysages domestiques »  [80]. Ce que ces gens ont réalisé au Haut-Canada, c’est la mise en place d’une économie rurale équilibrée, capable de créer un niveau de vie moyen attractif, et ainsi de soutenir sa propre expansion pendant presque trois quarts de siècle. En 1861, le cœur de l’économie du Haut-Canada, c’était plus de 100 000 fermes, dont le recensement évaluait globalement la terre, les bâtiments, le bétail et l’équipement à 350 millions de dollars. Cela donne un ordre de grandeur du capital que ces familles ont réussi à constituer à travers la colonisation. Ces fermes, où l’on avait durement travaillé, étaient de « petits patrimoines », que Gordon Darroch, citant Tocqueville, considère comme formant une classe rurale moyenne, qui était la base d’une société nouvelle et prospère  [81].

Notes

  • [1]
    Traduction de Jean-Pierre Poussou, qui tient à exprimer sa gratitude à Jacques Carré, professeur à l’Université Paris-Sorbonne, et à D. McCalla lui-même pour l’aide si importante qu’ils lui ont apporté pour mettre au point cette traduction.
  • [2]
    Cette recherche a été rendue possible par le Programme de Bourses de recherche Killam du Conseil des Arts du Canada et le Programme des chaires de recherche du Canada. Je tiens aussi à remercier Kris Inwood pour ses remarques très avisées. Le présent article actualise une argumentation que j’avais exposée pour la première fois dans Planting the province : the Economic History of Upper Canada 1784-1870 (Toronto, University of Toronto Press, 1993), ouvrage cité ci-dessous avant tout comme une source de données quantitatives. – N. B. : La Grande-Bretagne a réuni les deux Canadas en 1841 mais, comme les anciens noms ont continué à être utilisés de manière courante, je parle ici du Haut-Canada (Upper Canada) ; durant la période de l’Union, celui-ci fut aussi connu sous le nom de Canada West.
  • [3]
    Voir C. Matson, « A House of Many Mansions : Some Thoughts on the Field of Economic History », dans C. Matson (dir.), The Economy of Early America : Historical Perspectives and New Directions, University Park (Penn.), Pennsylvania State University Press, 2006, p. 26-29 et 50-51.
  • [4]
    S. Courville, J. C. Robert et N. Séguin, Atlas Historique du Québec : le pays laurentien au XIXe siècle : les morphologies de base, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1995, p. 7 à 27. Ce n’est que beaucoup plus tard que les familles rurales de Canadiens Français commencèrent plus systématiquement à bouger vers l’amont de la rivière, notamment le long de l’Ottawa, et éventuellement plus loin au nord : voir C. Gaffield, Language, Schooling and Cultural Conflict : The Origins of the French-Language Controversy in Ontario, Kingston et Montréal, Mc Gill et Queen’sUniversity Press, 1987.
  • [5]
    Voir, par exemple, K. M. Gruenwald, River of Enterprise : The Commercial Origins of Regional Identity in the Ohio Valley 1790-1850, Bloomington, Indiana University Press, 2002.
  • [6]
    Par exemple, la plus haute autorité légale était anglaise, cependant que les accès aux professions juridiques, qui étaient une clé du secteur bourgeois, étaient localement contrôlés par la Law Society of Upper Canada, fondée en 1797. Voir R. D. Gidney et W. P. J. Millar, Professional Gentlemen : the Profesions in Nineteenth-Century Ontario, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 17-20.
  • [7]
    H. Charbonneau et R. Cole Harris, « Le repeuplement de la vallée du Saint-Laurent », et L. Dechêne, « Les Seigneuries », dans R. Cole Harris et G. Matthews (dir.), Atlas Historique du Canada, t. 1, Montréal, les Presses de l’Université de Montréal, 1987, planches 46 et 51.
  • [8]
    Ce qui a laissé comme legs tout un ensemble de disputes concernant la propriété des terres ; au moment où cet article est écrit, durant l’été 2007, il y a une active résistance et une forte opposition aux projets de développement dans les deux emplacements. Les hommes politiques canadiens et le public ignorent une longue histoire, qui est, au contraire, restée très vivante à l’intérieur des communautés des Premières Nations. Ailleurs, dans le sud de l’Ontario, il y a de vives controverses sur les limites de ce que les Mississauga possédaient et cédèrent.
  • [9]
    D. B. Smith, « The Dispossession of the Mississauga Indians : a Missing Chapter in the Early History of Upper Canada », dans J. K. Johnson et B. G. Wilson (dir.), Historical Essays on Upper Canada : New Perspectives, Ottawa, Carleton University Press, 1989, p. 23-51 ; R. L. Gentilcore, D. Measner et D. Doherty, « L’arrivée des Loyalistes », et P. Désy et F. Castel, « Les réserves amérindiennes de l’est du Canada jusqu’en 1900 », dans R. L. Gentilcore et G. Matthews (dir.), Atlas Historique du Canada, t. 2, Montréal, les Presses de l’Université de Montréal, 1993, planches 7 et 32.
  • [10]
    Les Loyalistes sont les habitants des Treize Colonies qui sont restés fidèles à la Couronne au moment de la Révolution américaine. Beaucoup se sont réfugiés dans les territoires restés sous domination anglaise durant le conflit ; un grand nombre d’entre eux ont combattu aux côtés des troupes anglaises, formant même des régiments de Loyalistes (NdT).
  • [11]
    K. Norrie, D. Owram et J. C. H. Emery, A History of the Canadian Economy, 4e éd., Toronto, Thomas Nelson, (2007), p. 95 et 98.
  • [12]
    A. Taylor, The Divided Grounds : Indians, Settlers and the Northern Borderland of the American Revolution, New York, Knopf, 2006 ; P. Marshall, « Americans in Upper Canada 1791-1812 : Late Loyalists or Early Immigrants ? », dans B. J. Messamore (dir.), Canadian Migration Patterns From Britain and North America, Ottawa, Ottawa University Press, 2004, p. 33-44.
  • [13]
    J. Errington, The Lion, the Eagle and Upper Canada : A Developing Colonial Ideology, Kingston et Montréal, McGill-Queen’sUniversity Press, 1987, p. 36.
  • [14]
    Les townships sont des communes ; au Canada, un township est un canton (NdT).
  • [15]
    J. D. Wood, Making Ontario : Agricultural Colonization and Landscape Re-creation before the Railway, Montréal et Kingston, McGill-Queen’sUniversity Press, 2000, p. 20-21 et 94-95.
  • [16]
    En 1861, environ 60 % des fermes se situaient entre 70 et 169 acres, la plupart se groupant autour de 100 acres. Néanmoins, des fermes d’une étendue aussi petite que 25 ou 30 acres pouvaient être économiquement viables. Enfin, il y avait aussi quelques très grandes fermes, d’une superficie souvent supérieure à 200 acres. Voir G. Darroch, « Scanty Fortunes and Rural Middle-Class Formation in Nineteenth-Century Rural Ontario », Canadian Historical Review, 79, 1998, p. 630.
  • [17]
    C. A. Wilson, « Tenancy as a Family Strategy in Mid-Nineteenth Century Ontario », Journal of Social History, 31, 1997-1998, p. 875-896.
  • [18]
    Pour la manière dont ces processus se sont déroulés dans le comté d’Essex, qui se situe à la frontière sud-ouest du Haut-Canada, voir J. Clarke, Land, Power and Economics on the Frontier of Upper Canada, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2001.
  • [19]
    R. Cole Harris et J. D. Wood, « L’est du Canada en 1800 », et C. E. Heidenreich et R. M. Gallois, « Les indigènes au Canada vers 1820 », dans Atlas Historique du Canada, t. 1, op. cit., planches 68 et 69.
  • [20]
    Pour une série d’années choisies, allant de 1785 à 1861, les chiffres sont les suivants pour la population et pour la terre cultivée au Haut-Canada :
    figure im1

    D. McCalla, Planting the Province, op. cit., Table 1.1 : jusqu’en 1820 au moins les PremièresNations ne sont pas comprises dans ces chiffres (Voir l’ouvrage pour la discussion de ces données).
  • [21]
    Une description qui reste très utile de la région du Niagara – et des célèbres chutes –, se trouve dans la Géographie Universelle d’Élisée Reclus : il s’agit d’un « escarpement de calcaires siluriens, appelé localement la « montagne », qui contourne les lacs Michigan et Huron, et qui longe le lac Érié, avant de se retrouver sur la rive méridionale du lac Ontario ». C’est à cet escarpement que sont dues les chutes du Niagara. Voir E. Reclus, L’Amérique Boréale, t. XV de sa Nouvelle Géographie Universelle, Paris, Hachette, 1890, p. 425 et p. 440-448. H. Baulig définit cet escarpement calcaire comme une « cuesta » : voir son Amérique Septentrionale, Première Partie : Généralités-Canada, t. XIII, P. Vidal de La Blache et L. Gallois (dir.), Géographie Universelle, Paris, Librairie Armand Colin, 1935, p. 7 à 10 et 207-209 (NdT).
  • [22]
    Sur le contexte de guerre en général, voir J.-P. Poussou (dir.), Le bouleversement de l’ordre du monde : Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques à la fin du xviiie siècle, Paris, SEDES, 2004.
  • [23]
    Je distingue ici les colons des membres des Premières Nations pour mettre l’accent sur le fait que la colonisation eut un effet sur leur attitude et sur leur genre de vie. Beaucoup de communautés – représentant une majorité de la population des Premières Nations dans le sud – bâtirent aussi quelque chose de nouveau lorsqu’elles se déplacèrent vers le Haut-Canada après la guerre de la Révolution. Le fait qu’elles aient été capables de faire face elles-mêmes à de telles pressions, est une partie essentielle de leur histoire.
  • [24]
    M. McInnis, « The Population of Canada in the Nineteenth Century », dans M. R. Haines et R. H. Steckel (dir.), A Population History of North America, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 378-379.
  • [25]
    G. Darroch, « Scanty Fortunes… », art. cité, p. 624. Cette phrase, écrite avec beaucoup de précautions, reflète les complexités des définitions et des données ; pour l’analyse proposée dans le présent article, un ordre de grandeur suffit. Pour la hiérarchie urbaine, voir J. D. Wood, Making Ontario… , op. cit., p. 151.
  • [26]
    B. R. Tomlinson, « Economics and Empire : The Periphery and the Imperial Economy », dans A. Porter (dir.), The Oxford History of the British Empire, vol. 3, The Nineteenth Century, Oxford et New York, Oxford University Press, 1999, p. 72.
  • [27]
    P. E. Rider et H. Mc Nabb, « Introduction », dans P. E. Rider et H. Mc Nabb (dir.), A Kingdom of the Mind : How the Scots Helped Make Canada, Montréal et Kingston, Mc Gill-Queen’s University Press, 2006, p. XVII.
  • [28]
    K. Norrie et alii, A History of the Canadian Economy, op. cit., p. 117. Voir aussi G. Wynn, « La production et le commerce du bois jusqu’en 1850 », ainsi que J. D. Wood et alii, « Un nouveau paysage agricole : le Haut-Canada jusqu’en 1851 », dans Atlas Historique du Canada, t. 2, op. cit., planches 11 et 14.
  • [29]
    On parle de staple ou de staples pour désigner la ou les productions principales d’un pays, dont les exportations tiennent une place essentielle dans l’économie. La théorie des staples, qui explique la croissance et l’activité économiques par le rôle fondamental de ces productions, a notamment été mise en valeur pour le Canada – avant d’être ensuite appliquée au blé et au bois de pin, par les travaux d’H. A. Innis sur la fourrure et sur la morue de Terre-Neuve : voir ses ouvrages The Fur Trade in Canada ; An Introduction to Canadian Economic History, 1930 ; The Cod Fisheries, 1940. Voir à ce sujet C. Berger, The Writing of Canadian History : Aspects of English-Canadian Historical Writing since 1900, Toronto, University of Toronto Press, 1986, p. 85-111 (NdT).
  • [30]
    Cette distinction est basée sur l’opposition entre l’utilisation de ressources que l’on trouve, comme les minerais, le poisson, les fourrures ou le bois, et celles qui proviennent de l’exploitation agricole du sol, dans le cadre des fermes. Étant donné que celle-ci peut produire une large variété de productions, laquelle dépend des décisions et de la stratégie des fermiers, il n’est pas inapproprié de définir la production des fermes (en l’espèce le blé), comme une ressource.
  • [31]
    Les Corn Laws sont un ensemble de lois adoptées entre 1773 et 1815 pour réglementer le commerce des céréales en Grande-Bretagne. Elles ont été abolies en 1846 par Sir Robert Peel (NdT).
  • [32]
    Les Clearances peuvent se définir comme l’éviction des petits fermiers des Highlands par les Landlords lesquels développent, à partir du milieu du XVIIIe siècle, l’élevage ovin en constituant de grands domaines où les paturages à moutons l’emportent de très loin. Voir à ce sujet M. Gray, The Highland Economy 1750-1850, Édimbourg et Londres, Oliver et Boyd, 1957 ; T. M. Devine, The Transformation of Rural Scotland : Social Change and the Agrarian Economy 1660-1815, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1994. En français, on peut partir de J.-P. Poussou, La Terre et les Paysans en France et en Grande-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, SEDES, 1999, p. 253-267 et 431-433 (NdT).
  • [33]
    Pour la population noire, voir M. Wayne, « The Black Population of Canada West on the Eve of the American Civil War : A Reassessment Based on the Manuscript Census of 1861 », Histoire Sociale/Social History, 28, 1995, p. 465-485.
  • [34]
    Voir S. Courville, Immigration, colonisation et propagande : Du rêve américain au rêve colonial, Québec, Éditions MultiMondes, 2002, p. 24-33.
  • [35]
    Voir M. McGowan, Produire la mémoire historique canadienne : le cas des migrations de la Famine de 1847, Ottawa, Société Historique du Canada, coll. « Les groupes Ethniques du Canada », brochure 30, 2006, p. 2.
  • [36]
    Voir M. B. Katz, The People of Hamilton, Canada West : Family and Class in a Mid-Nineteenth-Century City, Cambridge (Mass.) et Londres, Harvard University Press, 1975.
  • [37]
    Pour un tel groupe, dont les liens à travers la frontière furent à la fois continus et étendus, voir R. Rogers Healey, From Quaker to Upper Canadian : Faith and Community among Yonge Street Friends 1801-1850, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2006, p. 31-50.
  • [38]
    M. McInnis, « The population of Canada in the Nineteenth Century », art. cité, p. 380-381.
  • [39]
    Recensement du Canada, 1871, t. 4, p. 136 et 182. En I846 et I851, un tiers des habitants du Haut-Canada – et la proportion est plus forte pour les adultes – sont nés au Royaume-Uni ; durant cette décennie, la proportion de ceux qui sont nés aux USA tombe de 7 % à moins de 5 %.
  • [40]
    D. H. Akenson, The Irish in Ontario : A Study in Rural History, Kingston et Montréal, Mc Gill-Queen’s University Press, 1984, p. 10-47 ; G. Darroch et L. Soltow, Property and Inequality in Victorian Ontario : Structural Patterns and cultural Communities in the 1871 Census, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 53-64.
  • [41]
    B. S. Elliott, « Regional Patterns of English Immigration and Settlement in Upper Canada », Canadian Migration Patterns, Messamore (éd.), p. 51-90.
  • [42]
    Recensement du Canada, 1871, t. 4, op. cit., p182-183. -Sur les approches ethniques dans le recensement, voir B. Curtis, The Politics of Population : State Formation, Statistics, and the Census of Canada, 1840- 1875, Toronto, Toronto University Press, 2001, p. 120-121, 130 et 284-286.
  • [43]
    Voir aussi L. H. Campey, The Scottish Pioneers of Upper Canada 1784-1855 : Glengarry and Beyond, Toronto, Natural Heritage Books, 2005, p. 151.
  • [44]
    Voir le tableau, note 20.
  • [45]
    Le total de 14 millions d’acres de terres cultivées en 1891, qui est le maximum pour toutes les périodes, représente moins de 7 % de la superficie de la province à l’époque contemporaine. Voir http:// www. statcan. ca/franais/freepub/11-516-XIF/sectionm/M34_44. csv ; et hhttp:// www. statcan. ca/francais/freepub/11- 516 – XIF : sectionl/sectionl_f. htm#Lands.
  • [46]
    Voir F. D. Lewis et M. C. Urquhart, « Growth and the Standard of Living in a Pioneer Economy, Upper Canada, 1826 to 1851 », William and Mary Quarterly, 3e série, 56, 1999, p. 175. Pour un modèle formalisé de ce processus, voir F. D. Lewis, « Farm Settlement with Imperfect Capital Markets : A Life-Cycle Application to Upper Canada, 1826-1851 », Canadian Journal of Economics/Revue canadienne d’Économique, 34, 2001, p. 174-195.
  • [47]
    Le Canada passa officiellement au système décimal en 1858, mais, par commodité, toutes les valeurs furent données en dollars. De manière sélective, selon les cas, les valeurs originales sont aussi exprimées soit en monnaie locale (cy) soit en sterling (stg). £1 cy = $ 4. 00 ; après 1820, £ 1 stg = environ $ 4. 87 (avant 1812, £ 1 stg = $ 4, 44) ; £1 = 20 shillings. Il en résulte que, dans ce cas, $ 1 = 5 shillings cy. Voir Planting the Province, op. cit., Appendice A.
  • [48]
    Voir Planting the Province, op. cit., p. 24, 75 et tableau 5.2, C1 ; F. D. Lewis et M. C. Urquhart, art. cité, p. 159-161. Si le revenu des exploitations procuré par les produits forestiers est inclus, le pourcentage se situe même plus bas. Voir aussi F. D. Lewis, art. cité, p. 181.
  • [49]
    Voir M. McInnis, « Perspectives on Ontario Agriculture, 1815-1930. Chap. 1, The Early Ontario Wheat Staple Reconsidered », Canadian Papers in Rural History, 8, Gananoque, Langdale Press, 1992, p. 25-39.
  • [50]
    Une staple crop est une culture principale servant à l’exportation : ici le blé (NdT).
  • [51]
    Planting the Province, op. cit., tableaux 3.3 et 5.1. Même si, pour éviter de sous-estimer l’importance du blé, nous estimons que les terres céréalières sont laissées en jachère une année sur deux, cela laisse au moins la moitié des autres terres défrichées disponibles pour une autre utilisation.
  • [52]
    D’une manière générale, entre 1852 et 1869, les exportations dépassaient 8 millions de boisseaux. Avant 1840, elles n’avaient jamais atteint 1 million de boisseaux. Le chiffre maximum fut celui de 1861 : 11, 6 millions de boisseaux ; si l’on fait un calcul à partir des prix de cette année-là, on arrive à un revenu de $ 12 par personne dans les zones cultivées en céréales. Voir Planting the Province, op. cit., tableau 5.2.
  • [53]
    M. Mc Innis, « Perspectives on Ontario agriculture… », art. cité, p. 44-46.
  • [54]
    Le Mixed Farming désigne les exploitations – ou les zones d’exploitations-pratiquant une agriculture reposant sur plusieurs types de production, en particulier associant céréales et élevage (NdT).
  • [55]
    M. C. Urquhart, Gross National Product, Canada, 1870-1926 : The Derivation of the Estimates, Kingston et Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1993, p. 29. Pour le rapport entre ces chiffres et les premiers avancés, voir F. D. Lewis et M. C. Urquhart, « Growth and the Standard of Living… », art. cité, p. 159-161.
  • [56]
    J. D. Wood, Making Ontario, op. cit., p. 88-89, où l’on trouve un tableau représentant les activités de trois exploitations. Basé sur des journaux masculins, il ne mentionne ni les œufs ni le beurre.
  • [57]
    Les fourrures ont eu évidemment un rôle semblable, au moins avant la guerre de 1812, quand leur montant en valeur en faisait la plus importante de toutes les exportations (Voir Planting the Province, op. cit., tableau 2.3, note 6). Il reste que l’on ne sait pas exactement d’où ces fourrures provenaient ni comment on se le procurait.
  • [58]
    Planting the Province, op. cit., p. 63, figure 4.1.
  • [59]
    F. D. Lewis, « Farm Settlement… », art. cité, p. 189-192.
  • [60]
    Planting the Province, op. cit., tableau 4.3.
  • [61]
    Idem, tableaux 6.1 et 6.8. Ensuite, le groupe le plus important était celui des bottiers et cordonniers, qui étaient presque 7 000. Ces deux activités étaient largement dispersées dans le monde rural. Bien que du cuir ait été importé, ils travaillaient généralement avec des produits locaux.
  • [62]
    M. Bruegel, Farm, Shop, Landing : The Rise of a Market Society in the Hudson Valley 1780-1860, Durham (NC), Duke University Press, 2002, p. 97 ; C. Matson, « A House of Many Mansions », art. cité, p. 57.
  • [63]
    Voir la discussion sur la co-intégration dans G. Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : Population, économie et famille au Saguenay, Montréal, Boréal, 1996, p. 128-154. -Voir aussi G. D. Taylor et P. A. Baskerville, A Concise History of Business in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1994, p. 140-148
  • [64]
    C. A. Wilson, « Reciprocal Work Bees and the Meaning of Neighbourhood », Canadian Historical Review, 82, 2001, p. 431- 464.
  • [65]
    R. Gourlay, Statistical Account of Upper Canada, S. R. Mealing (éd.), Toronto, McClelland et Stewart, 1974 (1re éd. 1822), p. 176-177, 206-207, 238-239, 284-285, 291. J. D. Wood fournit dans Making Ontario, op. cit., p. 117, des salaires pour 35 métiers en 1840. Voir aussi T. Crowley, « Rural labour », dans P. Craven (dir.), Labouring Lives : Work and Workers in Nineteenth-Century Ontario, Toronto, University of Toronto Press, 1995, p. 13-104.
  • [66]
    Planting the province, op. cit., tableaux C1 et C3. Voir aussi G. Paquet et J. P. Wallot, Un Québec moderne 1760-1840 : Essai d’histoire économique et sociale, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2007, p. 137-192.
  • [67]
    Voir la discussion sophistiquée sur le prix des terres dans J. C. H. Emery, K. Inwood et H. Thille, « Hecksher-Ohlin in Canada : New Estimates of Regional Wages and Land Prices », Australian Economic History Review, 47, 2007, p. 24-28.
  • [68]
    Voir R. W. Widdis, With Scarcely a Ripple : Anglo-Canadian Migration into the United States and Western Canada 1880-1920, Montréal et Kingston, McGill-Queen’sUniversity Press, 1998, p. 46 et 51.
  • [69]
    F. D. Lewis et M. C. Urquhart, « Growth and the Standard of Living… », art. cité, p. 167-170. Voir aussi D. McCalla, « Textiles Purchases by Some Ordinary Upper Canadians 1808-1861 », Material History Review/Revue d’Histoire de la culture matérielle, 53, printemps-été 2001, p. 4-27 ; Idem, « A World Without Chocolate : Grocery Purchases at Some Upper Canadian Country Stores 1808-1861 », Agricultural History, 79, 2005, p. 147-172.
  • [70]
    Calculs dans J. D. Wood, Making Ontario, op. cit., p. 52-53.
  • [71]
    M. Egnal, New World Economies : The Growth of the Thirteen Colonies and Early Canada, New York, Oxford University Press, 1998, p. 9-11.
  • [72]
    Les investissements d’affaires comprenaient du crédit commercial à court terme, qui pouvait se transformer en crédit à long terme, dans la mesure où la richesse qu’il générait par delà les océans s’avérait souvent difficile à extraire. Voir mon article, « Sojourners in the Snow ? The Scots in Business in Nineteenth-Century Canada », dans P. E. Rider et H. McNabb (dir.), op. cit.
  • [73]
    A Kingdom of the Mind, op. cit., p. 76-96 ; Planting the province, op. cit., tableaux 2.2 et 9.6. En juin 2007, le canal fut désigné comme le premier UNESCO World Heritage Site pour l’Ontario : voir http:// whc.unesco. Org/fr/list/1221.
  • [74]
    Ibid., tableau 7.1.
  • [75]
    Ibid., tableaux 4.3 et 8.2.
  • [76]
    Ibid., tableaux 9.4 et 9.5.
  • [77]
    En fait, l’acte de 1849 avait une portée générale, et la limitation à la ligne principale n’intervint qu’en 1851. En 1852, les conseils municipaux du Haut-Canada furent autorisés à utiliser leurs crédits pour de tels projets, ce qui aida à promouvoir de nombreuses lignes locales.
  • [78]
    Le Great Western également bénéficia de fonds américains, mais les Américains revendirent leurs titres en Angleterre, ce qui prouve que les Américains, eux aussi, s’appuyaient sur le marché londonien à cette époque.
  • [79]
    P. J. Cain et A. G. Hopkins, British Imperialism : Innovation and Expansion 1688-1914, Londres, Longman, 1993, p. 265.
  • [80]
    L. Martin, À la façon du temps présent : Trois siècles d’architecture populaire au Québec, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1999, p. 25.
  • [81]
    Voir G. Darroch, « Scanty Fortunes… », art. cité, p. 621.
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