Couverture de HES_071

Article de revue

Administrer la frontière : les fonctionnaires de l'Isère et la frontière franco-italienne de la Restauration à la Monarchie de Juillet

Pages 85 à 105

Notes

  • [1]
    Sur l’histoire des frontières françaises, voir Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, XVIe-XIXe siècles, Paris, 1998, et, sur les liens entre frontière et identité nationale plus particulièrement, Peter Sahlins, Boundaries. The making of France and Spain in the Pyrénées, Berkeley, 1989 ; Laurent Dornel, La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie (1870-1914), Paris, 2004, p. 265-286.
  • [2]
    Michel Brunet, Le Roussillon. Une société contre l’État, 1780-1820, Toulouse, 1986.
  • [3]
    Catherine Denys, s.d., Frontière et criminalité, 1715-1815, Arras, 2000.
  • [4]
    Note sur Pagès par Maurice Duval, préfet des Pyrénées Orientales, 20 janvier 1832 (AN : F1bI/170/1).
  • [5]
    Lettre de Pagès au Ministre de l’Intérieur, 16 mai 1834 (AN : F1bI/170/1).
  • [6]
    Haxo, Mémoire sur la frontière de la France entre le département des Vosges et celui des Hautes Alpes, 15 décembre 1814.
  • [7]
    Compte rendu du préfet au Ministre de l’Intérieur sur la situation du département de l’Isère, thermidor an VIII (ADI : 136M7).
  • [8]
    Vincent Rivier, Situation sommaire des affaires de la ville de Grenoble à l’époque du renouvellement triennal du conseil municipal en 1834, compte-rendu du maire sortant aux conseillers municipaux de Grenoble, 16 janvier 1835, p. 10 (Archives privées Rivier).
  • [9]
    Comptabilité municipale de Grenoble, années 1815 à 1837 (AMG : 1L210 -1L226).
  • [10]
    Dépense militaire municipale annuelle de la ville de Grenoble : 30 736,76 francs en 1815 ; 25 768,10 francs en 1816 ; 28 302,31 francs en 1817 ; 12 560,02 francs en 1818 ; 11 200 francs en 1819 ; 20 943,35 francs en 1820 ; 11 494,14 francs en 1821 ; 10 000 francs de 1822 à 1830 ; 13 422,85 francs en 1831 ; 12 533 francs en 1832 ; 12 000 francs en 1833 ; 6 000 francs de 1834 à 1837.
  • [11]
    Vincent Rivier, Situation sommaire des affaires de la ville de Grenoble à l’époque du renouvellement triennal du conseil municipal en 1834, op. cit., p. 9-10.
  • [12]
    Lettre du maire de Grenoble au préfet, 28 août 1816 (ADI : 181M84).
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    ADI : 14M3 et 14M4.
  • [15]
    Maurice Agulhon, Louis Girard, Jean-Louis Robert et William Serman (dir.), Les maires en France du Consulat à nos jours, Paris, 1986, p. 329.
  • [16]
    Maurice Agulhon et alii, Les maires en France… , op. cit., p. 329.
  • [17]
    Jean Clinquart, L’administration des douanes en France sous la Restauration et la Monarchie de Juillet (1815-1848), Paris, 1981, p. 505.
  • [18]
    Arnaud-Dominique Houte, « Le migrant du gendarme. Le quotidien de la surveillance dans le département du Nord pendant la première moitié du XIXe siècle », dans Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (dir.), Police et migrants, France 1667-1939, Rennes, 2001, p. 235-249, p. 238.
  • [19]
    Lettre du préfet au sous-préfet de la Tour du Pin, 9 août 1824 (ADI : 56M5).
  • [20]
    Rapport du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, pour le mois de juillet 1826, 3 août 1826 (ADI : 56M5).
  • [21]
    Rapport du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, pour le mois de juillet 1826, 3 août 1826 (ADI : 56M5).
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Lettre du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, 10 décembre 1826 (ADI : 53M2).
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Lettre du directeur des douanes au préfet, 15 août 1825 (ADI : 181M40).
  • [26]
    Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, XVIe-XIXe siècles, Paris, 1998, p. 53-54.
  • [27]
    Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815 », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, op. cit., p. 59-79, p. 79.
  • [28]
    André Ferrer, « La répression de la contrebande au XVIIIe siècle dans une “province réputée étrangère” », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, op. cit., p. 49-57, p. 57, et, du même auteur, La contrebande et sa répression en Franche Comté au XVIIIe siècle, thèse d’histoire, Besançon, 1993.
  • [29]
    Jean-François Soulet, Les premiers préfets des Hautes Pyrénées, 1800-1814, Paris, 1965, p. 88.
  • [30]
    Michel Brunet, Le Roussillon. Une société contre l’État, 1780-1820, op. cit., p. 73.
  • [31]
    Gavin Daly, Inside Napoleonic France. State and society in Rouen, 1800-1815, Aldershot, 2001, p. 188-194.
  • [32]
    Michael Broers, « De la gendarmerie impériale à la carabiniere reale. L’expérience policière piémontaise, premier exemple d’exportation du modèle français », dans Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, 2002, p. 401-409, p. 404-405, et, du même auteur, Napoleonic imperialism and the Savoyard monarchy, 1773-1821. State building in Piedmont, Lewiston/Queenston/Lampeter, 1997, p. 329-333.
  • [33]
    Roger Dufraisse, « Contrebandiers normands sur les bords du Rhin à l’époque napoléonienne », Annales de Normandie, vol. 11, n° 3, 1961, p. 209-232.
  • [34]
    Lettre du directeur des douanes au maire de Montbonnot, 28 décembre 1822 (ADI : 52M25).
  • [35]
    Lettre du directeur des douanes au préfet, 11 janvier 1823 (ADI : 52M25).
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Acte d’accusation contre Étienne Ravay, batelier demeurant à Saint-Bron en Savoie, prévenu de crime de rébellion contre les préposés des douanes, 28 septembre 1827 (ADI : 4U162).
  • [38]
    Lettre de l’inspecteur des douanes au préfet, 4 octobre 1820 (ADI : 53M2).
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Arrêté du préfet, 14 juin 1822 (ADI : 4K68).
  • [41]
    Lettre du lieutenant principal des douanes au commandant de la place au Pont-de-Beauvoisin, 28 mars 1816 (ADI : 181M80).
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Ibid.
  • [45]
    Ibid.
  • [46]
    Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815 », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, op. cit., p. 59-79, p. 78.
  • [47]
    Acte d’accusation contre Étienne Ravay, batelier demeurant à Saint-Bron en Savoie, prévenu de crime de rébellion contre les préposés des douanes, 28 septembre 1827 (ADI : 4U162).
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Acte d’accusation contre Alexandre Duprat, cultivateur à Domeyssin (Savoie), prévenu de rébellion contre les préposés de la douane, 21 mai 1827 (ADI : 4U159).
  • [50]
    Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815 », op. cit., p. 76-79, André Ferrer, « La répression de la contrebande au XVIIIe siècle dans une “province réputée étrangère” », op. cit., p. 57.
  • [51]
    Lettre du sous-préfet de la Tour du Pin au préfet, 21 septembre 1827 (ADI : 3Z23).
  • [52]
    Ibid.
  • [53]
    Vincent Denis, Individu, identité et identification en France, 1715-1815, thèse d’histoire sous la direction d’Alain Cabantous, Paris I, 2003, 3 vol.
  • [54]
    Arrêté du préfet, 11 janvier 1808 (ADI : 4K7).
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    Arrêté du préfet, 11 janvier 1808 (ADI : 4K7).
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Arrêté du préfet, 10 mars 1808 (ADI : 4K7).
  • [59]
    Arrêté du préfet, 15 mars 1814 (ADI : 4K9).
  • [60]
    Arrêté du préfet, 16 mars 1814 (ADI : 4K9).
  • [61]
    Arrêté du préfet, 30 septembre 1816 (ADI : 4K11).
  • [62]
    Lettre du juge de paix de Saint-Laurent-du-Pont au préfet, 19 mai 1823 (ADI : 52M25).
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    Lettre du maire de Grenoble au commissaire général, 6 janvier 1817 (ADI : 52M20).
  • [65]
    Lettre du sous-préfet de Vienne au commandant de la gendarmerie à Vienne, 9 vendémiaire an IX (ADI : 4Z5).
  • [66]
    Vincent Denis, « Le contrôle de la mobilité à travers les passeports sous l’Empire », dans Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (dir.), Police et migrants, France 1667-1939, Rennes, 2001, p. 75-89, p. 88.
  • [67]
    Lettre du directeur des douanes au commissaire général, 11 juillet 1817 (ADI : 52M20).
  • [68]
    Lettre du juge de paix de Saint-Laurent-du-Pont au préfet, 19 mai 1823 (ADI : 52M25).
  • [69]
    Répartition des brigades de gendarmerie pour la compagnie de l’Isère, 12 février 1830 (SHAT : XF260).
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    Lettre du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, 30 mars 1825 (ADI : 56M5).
  • [72]
    Lettre du préfet au Ministre de l’Intérieur, 10 juillet 1830 (AN : F1bII/Isère/6).
  • [73]
    Ibid.
  • [74]
    Départements des bureaux de l’intendance du Dauphiné, sans date (BMG : O9785).
  • [75]
    Lettre du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, 18 juillet 1826 (ADI : 56M5).
  • [76]
    Mémoires du baron d’Haussez publiées par son arrière-petite fille la duchesse d’Almazan, Paris, 1896, t. 1, p. 346.
  • [77]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 346.
  • [78]
    Lettre du Ministre de la police générale au commissaire général de police, 13 avril 1816 (ADI : 52M9).
  • [79]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 346.
  • [80]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 347.
  • [81]
    Arrêté du préfet, 14 octobre 1815 (ADI : 4K11).
  • [82]
    Arrêté du préfet, 3 juin 1816 (ADI : 4K11).
  • [83]
    Arrêté du préfet, 2 mai 1816 (ADI : 4K11).
  • [84]
    Catherine Denys, « Frontière et pratiques judiciaires transfrontalières entre la France et les Pays Bas au XVIIIe siècle », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité… , op. cit., p. 93-117, p. 104-112.
  • [85]
    Arrêté du préfet, 29 septembre 1815 (ADI : 4K11).
  • [86]
    Lettre du gouverneur général de la Savoie au préfet, 2 février 1827 (ADI : 53M2).
  • [87]
    Ibid.
  • [88]
    Ibid.
  • [89]
    Lettre du préfet au commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin, 6 février 1827 (ADI : 53M2).
  • [90]
    Estelle Baret Bourgoin, Environnement et sensibilités : les grenoblois et leur ville au XIXe siècle, thèse d’histoire sous la direction d’Yves Lequin, Lyon, 2002, t. 1, p. 42.
  • [91]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 336.
  • [92]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 336.

1 Le second traité de Paris, le 20 novembre 1815, fait du département de l’Isère un département frontalier jusqu’à la remise de la Savoie à la France. Cette zone limitrophe nécessite une surveillance étroite au début du XIXe siècle, en raison tant de son caractère stratégique que de l’importance d’un contrôle des échanges économiques en période de protectionnisme. La frontière a retenu l’attention de quelques historiens pour ses enjeux politiques (naissance d’un sentiment national  [1] ou résistance à l’imposition d’un État centralisé  [2]) et policiers  [3] (zone favorable à certains délits comme la contrebande, et point de passage potentiel pour les criminels), mais aucune étude n’a été faite sur la spécificité de l’administration « de frontière ».

2 Celle-ci est pourtant réelle et était bien perçue par les fonctionnaires au XIXe siècle. Certains n’hésitaient pas en effet à mettre en avant cette expérience originale lorsqu’ils demandaient de l’avancement. Par exemple, Maurice Duval, préfet des Pyrénées-Orientales au début de la Monarchie de Juillet, en recommandant au Ministre de l’Intérieur l’un de ses sous-préfets, Pagès, en 1832, pour que celui-ci obtienne de l’avancement, souligne qu’il a exercé ses fonctions « dans un arrondissement difficile à cause (…) de la fréquence des rapports avec la frontière (…) »  [4]. Pagès étant ensuite nommé dans un autre arrondissement frontalier, celui de la Tour-du-Pin en Isère, demande au Ministre de l’Intérieur, en 1834, à être promu préfet de l’Ain, avec comme arguments à l’appui son expérience dans ce domaine : « L’arrondissement de la Tour du Pin est limitrophe du département de l’Ain ; l’administration y offre les mêmes caractères et souvent des intérêts communs (…) La surveillance à exercer sur les deux frontières présente encore la même importance, car les intrigues de Genève (pour l’Ain) diffèrent peu de celles de Chambéry et d’Aix (pour la Tour du Pin) (…) Je n’aurai pas de noviciat (dans l’administration de la frontière) à faire (…) »  [5].

3 La frontière franco-italienne en Isère sous la Restauration et la Monarchie de Juillet est l’une des plus difficiles à administrer, en raison des difficultés croisées nées du site (montagneux), de la situation (sur un grand axe de circulation commercial et touristique), du passé historique (liens traditionnels entre l’Isère et le royaume de Piémont-Sardaigne), du contexte militaire (crainte d’une nouvelle invasion et caractère stratégique de ce point des frontières françaises) et des riques politiques (forte agitation libérale dans les États italiens, susceptible de trouver un écho favorable dans un département fortement influencé par les idées républicaines). On souhaiterait donc, à travers cette étude de cas, proposer des données sur les contraintes et les méthodes de l’administration de ces confins du territoire national.

Défense du territoire national et administration locale : le gouvernement d’une zone stratégique

4 La province du Dauphiné sous l’Ancien Régime puis le département de l’Isère depuis 1790 étaient frontaliers avec le royaume de Piémont-Sardaigne mais, depuis l’annexion de la Savoie par la France en 1792, la ligne politique séparant les deux pays s’était déplacée. L’effondrement du régime et de l’Empire napoléonien entraînent à nouveau une redéfinition de la ligne de partage politique entre les deux pays : le roi de Piémont-Sardaigne, Victor Emmanuel 1er, retrouve tout d’abord, par le premier traité de Paris le 30 mai 1814, l’est de la Savoie, l’ouest restant français, puis, par le second traité de Paris, le 20 novembre 1815, l’intégralité. Ces deux traités de Paris redessinent donc une nouvelle fois les divisions politiques internationales et font de l’Isère un poste avancé du dispositif de défense français.

Fig. 1

Carte du département de l’Isère en 1833

figure im1

Carte du département de l’Isère en 1833


Archives Départementales de l’Isère, cote : 1Fi2050, ph. J.-P. Guillet.

5 La frontière, point d’entrée du territoire national, est par essence une zone stratégique d’un point de vue militaire. Cependant, selon le contexte politique, le danger peut être plus ou moins grand en tel point ou en tel autre des limites nationales. Après 1815, le danger semble surtout venir de l’Est et la frontière franco-italienne revêt une importance stratégique pour la défense de la France sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Le roi de Piémont-Sardaigne ayant le soutien des Alliés, notamment des Autrichiens, l’Italie apparaît alors comme une menace sérieuse pour la France. L’inspecteur général des fortifications Haxo écrit ainsi, dans un mémoire rédigé en décembre 1814 : « l’Italie est aujourd’hui sous la coupe des princes allemands donc il faut s’attendre à en voir sortir une ou plusieurs armées (…) »  [6].

6 Le caractère stratégique du lieu pour la défense nationale a deux principales conséquences pour l’administration locale du département : l’importance de la fonction militaire, et l’augmentation du nombre de fonctionnaires civils (ou à missions civiles comme pour les gendarmes) dans les communes proches de la frontière.

7 Le nombre de militaires est très élevé en Isère au début du XIXe siècle. Grenoble est le siège d’une division militaire, la 7e, et le département, fait assez rare, compte deux places fortes (Grenoble et Fort-Barraux). La présence militaire était déjà très forte sous le Consulat et l’Empire, en une période où l’Isère n’était plus vraiment frontalier mais voisin d’un État annexé. Le nombre de soldats en résidence dans le département, toutes armes confondues, est estimé à 1 650 en l’an VIII  [7]. Les effectifs augmentent ensuite très fortement sous la Restauration et la Monarchie de Juillet : le nombre de soldats dans la seule garnison de Grenoble est, en 1835, de 4 000 hommes  [8].

8 Cette forte présence militaire a un coût, et celui-ci est essentiellement pris en charge par les municipalités. Celles-ci doivent en effet entretenir et réparer les bâtiments militaires, financer parfois des achats ou des frais d’entretien d’armes, ainsi que les frais de transport ou de logement des prisonniers de guerre ou de soin des soldats malades. L’essentiel des dépenses militaires municipales est constitué par le financement des « lits militaires », c’est-à-dire du logement des militaires (et de leurs chevaux) dans la ville. Cette dépense, au début financée par l’État central, est transférée aux municipalités en 1812, et représente une somme élevée pour une ville de garnison comme Grenoble (environ 12 000 francs par an en moyenne au début de la Monarchie de Juillet, jusqu’à la nouvelle adjudication de 1834).

9 Les dépenses militaires de la ville de Grenoble (dépense annuelle moyenne de 14 500 francs sous la Restauration, et environ 9 000 francs de 1831 à 1837  [9]) représentent un poste budgétaire non négligeable : entre 3 % et 10 %, selon les années, des dépenses municipales totales sous la Restauration et au début de la Monarchie de Juillet (plus que les dépenses religieuses, par exemple).

10 L’histoire du financement municipal des dépenses militaires est donc en grande partie l’histoire d’une longue lutte de l’administration locale civile pour le contrôle des dépenses. Les maires et conseillers municipaux de Grenoble essaient de faire des économies dans ce domaine tout en évitant les conflits graves avec l’administration militaire locale ou nationale, et ils parviennent à restreindre sensiblement le montant des frais occasionnés par la forte présence de l’armée : très élevées au début de la Restauration (entre 25 000 et 30 000 francs par an de 1815 à 1817), les dépenses militaires commencent en effet à diminuer à partir de 1818 (entre 10 000 et 12 000 francs par an en moyenne jusqu’en 1830) et cette tendance à la baisse s’accentue sous la Monarchie de Juillet (6 000 francs par an à partir de 1834)  [10].

11 Un moyen de diminuer les dépenses de la ville pour l’armée consiste à éviter l’intervention directe du Ministère de la Guerre. La priorité de ce dernier (assurer un confort maximal aux soldats de la garnison et à leurs chevaux) se heurte en effet à l’impératif d’économie de la municipalité. Le maire de Grenoble au début de la Monarchie de Juillet, Rivier, se félicite ainsi, en 1834, de ce que l’administration municipale ait pu traiter directement avec un entrepreneur pour l’adjudication des lits militaires, sans passer par l’intermédiaire du Ministère de la Guerre : « L’abonnement pour l’occupation des lits militaires étant expiré, on s’est empressé d’en solliciter le renouvellement aux conditions les plus avantageuses à la ville. L’administration de la guerre aurait pu peut-être exiger d’après les règlements sept francs pour chaque homme de la garnison et trois francs pour chaque cheval (…) C’eût été pour (…) (ce) seul objet 28 000 francs par an qu’il eût fallu payer. L’abonnement actuel a été obtenu pour cinq ans et fixé à 6 000 francs (…) »  [11].

12 Le grand nombre de militaires pose aussi parfois des problèmes particuliers en ce qui concerne le maintien de l’ordre et l’urbanisme.

13 La cohabitation entre les citoyens et les soldats dans les villes de garnison n’est en effet pas toujours pacifique, loin de là. La correspondance des maires de Grenoble est remplie de plaintes adressées par l’un d’entre eux au préfet, au commandant de la place ou au lieutenant général sur la conduite de soldats envers des citoyens ou envers des fonctionnaires ou administrateurs locaux civils. Les plaintes portent aussi bien sur l’agressivité de soldats ayant trop bu et déclenchant des rixes dans des cabarets ou dans les rues, que sur les abus commis par les capitaines recruteurs, les sifflets de soldats ou leur refus d’enlever leur chapeau à la demande de policiers au théâtre, le danger que représentent les cavalcades de militaires passant au galop dans les rues de la ville, les insultes d’officiers envers des fonctionnaires civils (notamment les policiers) ou encore les bagarres entre habitants de la ville et soldats.

14 L’importance de la fonction militaire dans les villes de Vienne et surtout Grenoble a aussi des conséquences sur l’urbanisme et l’aménagement de la ville. Les maires de Grenoble doivent demander l’autorisation du Ministère de la guerre avant d’entreprendre des travaux dans une zone proche de dispositifs de défense de la ville, comme la zone située près des remparts ou des fortifications. Les besoins des militaires en espace (pour les manœuvres) et en bâtiments (pour les casernes, magasins, arsenaux, écuries, sièges d’état-major…) posent aussi des problèmes pour l’occupation des bâtiments nationaux ou municipaux en diminuant l’espace civil public disponible pour les administrations civiles.

15 Ces problèmes d’urbanisme deviennent plus aigus sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Les états-majors, ayant retenu les leçons de la crise de 1814-1815, décident en effet d’améliorer le système défensif de la France, notamment de la frontière sud-est dont ils essaient de faire une ligne fortifiée infranchissable. La place de Grenoble revêt alors une importance toute particulière, les autorités militaires souhaitant en faire une place imprenable et un grand magasin d’armement pour le sud-est. Dès août 1816, ces dernières demandent ainsi, par exemple, la restitution d’un ancien corps de garde que la municipalité de Grenoble utilisait depuis des années pour y entreposer le matériel destiné à l’éclairage de la ville. Ceci entraîne une désorganisation momentanée et des frais pour la municipalité. Celle-ci doit en effet financer les travaux de réfection du plancher de la pièce du rez-de-chaussée de l’hôtel de ville dans laquelle est transféré le matériel municipal d’éclairage  [12]. La dépense totale pour ces travaux s’élève à 683,10 francs  [13], l’armée et le Ministère de la Guerre n’en prenant aucune part à leur charge.

16 Les travaux de fortification de la place de Grenoble entraînent des conflits beaucoup plus graves entre les autorités civiles et militaires, les avis divergeant en ce qui concerne les priorités. Le plus important, pour les militaires, consiste à fortifier la montagne au-dessus de Grenoble, la Bastille. Les conseillers municipaux de Grenoble, le maire de Pina, et les notables grenoblois préféreraient, pour leur part, donner la priorité à la création d’une nouvelle enceinte, qui concilierait les besoins militaires et les attentes des Grenoblois (augmenter la surface constructible à l’intérieur des enceintes de la ville pour améliorer la salubrité, pouvoir construire de nouveaux logements et ainsi faire baisser le prix des loyers, avoir plus d’espace pour les besoins économiques de la ville…). Les militaires, notamment les officiers du Génie, ont le dernier mot dans ce domaine, la défense du territoire l’emportant sur toute autre considération et, après de longues négociations au sujet du financement des travaux (essentiellement par l’État central) et des plans de construction, les travaux de fortification de la montagne commencent en 1824 et se poursuivent jusqu’en 1840-1845. Ils coûtent au total environ 6 millions de francs. Les travaux dans la plaine, pour élargir l’enceinte de la ville, commencés en 1832, s’achèvent en 1837. L’ancienne enceinte est déclassée en août 1837 et remplacée par la nouvelle, élargie à de nouveaux quartiers.

17 Le caractère frontalier et stratégique de la région a aussi des conséquences sur le personnel administratif civil. Les maires anciens militaires sont ainsi un groupe minoritaire mais assez fortement présent dans le département de l’Isère sous la Restauration, contrairement à la majorité des départements français (25 maires anciens militaires en Isère sur 305 en 1817, soit environ 10 % de l’ensemble des maires du département  [14], contre 2 % de moyenne nationale selon l’enquête menée sous la direction de Maurice Agulhon sur les maires en 1824  [15]). Michel Salviac avait constaté le même phénomène pour l’arrondissement frontalier de Commercy en Lorraine (8 % de maires anciens militaires en 1811 et 16 % en 1824), et ce qu’il dit de la Lorraine sous la Restauration s’applique parfaitement à l’Isère à la même période : « La situation géographique de la Lorraine, cette marche de l’Est, a déterminé l’existence de places fortes, la création d’importantes garnisons. La Lorraine a ainsi été marquée, plus qu’ailleurs, par l’esprit militaire et le sentiment patriotique (…) »  [16]. Les habitants, dans ces régions frontalières, sont habitués à vivre en présence de militaires de la ligne et acceptent donc plus facilement d’être administrés par d’anciens militaires. Ces derniers semblent aussi devoir être plus efficaces en cas de nouvelle invasion du territoire (comme en 1814 et 1815) et plus aptes, dans les villes de garnison du département, à collaborer efficacement et sans heurts avec les autorités militaires.

18 La frontière franco-italienne en Isère n’est pas uniquement, au début du XIXe siècle, une zone stratégique pour la défense nationale, un espace politique et militaire sensible. La densité des échanges commerciaux, la forte fréquentation touristique (pratique bien établie du voyage en Italie, pratique plus récente et en forte augmentation avec la mode romantique du voyage dans les Alpes, essor du tourisme thermal dans les stations du département) et le grand nombre de passages de migrants le long de cette frontière en font aussi un lieu de flux économiques et migratoires nécessitant une surveillance policière et douanière quotidienne étroite, quel que soit le contexte politique ou militaire. Les agents de l’État doivent donc viser les passeports des voyageurs et lutter contre l’entrée en France de clandestins, surveiller les passages de marchandises en percevant les droits de douane et en contrôlant la composition des paquets, et lutter contre la contrebande.

Obligations policières et réalité de terrain : le défi quotidien de la surveillance de la frontière

19 À cause de ce surcroît de travail administratif, le nombre de fonctionnaires chargés de la surveillance des échanges et des migrations est plus élevé dans ces régions limitrophes que dans les départements de l’intérieur.

20 Les douaniers sont assez nombreux. Les bureaux de la direction départementale des douanes sont établis à Grenoble. Le département est ensuite divisé en deux circonscriptions dépendant de deux bureaux principaux, Chapareillan et Bourg-d’Oisans, et en seize bureaux secondaires dépendant de ces bureaux principaux  [17]. Ces bureaux secondaires sont situés dans des villes ou villages proches de la frontière, comme Pontcharra, Barraux et Pont-de-Beauvoisin.

21 Le nombre de gendarmes est aussi plus élevé que dans des départements de l’intérieur, et les gendarmes, en Isère comme dans d’autres départements frontaliers tel le Nord le long de la frontière franco-belge  [18], accordent une place particulièrement importante, dans leurs tournées, à la surveillance de la frontière.

22 L’augmentation du nombre de fonctionnaires est encore plus sensible dans les communes directement frontalières, qui ont souvent plus de douaniers, de policiers, de gendarmes et de gardes champêtres que les communes de l’intérieur du département. Par exemple, la commune de Pont-de-Beauvoisin se voit attribuer, le 16 juin 1824  [19], un commissaire de police, contrairement aux dispositions de la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) qui prévoient qu’un commissaire de police ne peut être nommé que dans une ville de 5 000 habitants ou plus. Le commissaire nommé à Pont-de-Beauvoisin, Théol, est, de surcroît, non pas rétribué (comme tous les policiers) par la municipalité mais directement par l’État central, par le Trésor, ce qui est exceptionnel. Cette entorse à la loi s’explique par la situation frontalière de la commune. Le commissaire de police est en effet spécifiquement chargé des opérations de police liées à la frontière, ce qui lui occasionne des frais spécifiques et pousse le gouvernement, sur la demande du préfet, à augmenter son traitement, le 5 mai 1825, de 1 000 francs à 1 200 francs. Le nombre de passages ne cessant d’augmenter, Théol, surchargé de travail et de frais, demande avec vigueur une aide supplémentaire. Le gouvernement décide alors d’établir une nouvelle brigade de gendarmerie à pied, « placée pour la surveillance des étrangers (…) »  [20], c’est-à-dire spécifiquement et uniquement affectée à la surveillance de la frontière. Les gendarmes sont cependant rapidement distraits de leur mission de surveillance de la frontière par les opérations de police ordinaires qu’ils accomplissent, dans la commune et ses environs, avec les gendarmes à cheval d’une brigade voisine  [21], ce dont se plaint le commissaire de police. Les gendarmes exerçant à Pont-de-Beauvoisin doivent, selon ce dernier, avoir des missions différentes de celles des gendarmes situés dans les autres endroits. Il propose alors de limiter l’action de la brigade à pied à sa mission initiale de surveillance de la frontière, ou de suivre le modèle italien en faisant collaborer la brigade à cheval à cette mission. Du côté piémontais, les carabiniers royaux sardes à cheval et à pied collaborent en effet pour la surveillance de la frontière et pour les missions générales de maintien de l’ordre  [22].

23 Ce renforcement des effectifs militaires ou gendarmiques n’est pas toujours apprécié par les fonctionnaires civils. Le successeur de Théol, Aubry, assure ainsi que, en augmentant le nombre d’agents chargés localement de missions policières, l’établissement d’une nouvelle brigade est à l’origine de conflits récurrents entre ces différents fonctionnaires, et notamment entre les gendarmes à cheval et les gendarmes à pied : « Il y a conflit d’autorité entre les deux brigades, ce qui est désagréable, cette arme ne se manie pas aussi facilement que les autres, tenant beaucoup à leurs prérogatives (…) »  [23]. La multiplication des institutions (gendarmerie et police), et la juxtaposition, dans un même lieu, de plusieurs brigades de gendarmerie n’est donc pas la solution idéale au surcroît de travail policier dans une région frontalière. Le commissaire de police Aubry estime que, plutôt que d’imposer un nouveau corps étranger, une brigade entière, il aurait mieux valu renforcer les effectifs existants et locaux, en attribuant deux hommes de plus à la brigade de gendarmerie qui y était déjà  [24].

24 Malgré cette augmentation des effectifs, les fonctionnaires spécifiquement chargés de la surveillance policière et douanière de la frontière restent trop peu nombreux pour les besoins du service, et la surveillance est assez relâchée sur l’ensemble de la période, d’autant plus qu’elle se heurte aux habitudes et au mode de vie naturels des frontaliers.

25 Un aspect de la « culture de frontière » consiste en effet dans l’importance des échanges, légaux ou illégaux, entre les deux pays. Le fait que la frontière soit, en beaucoup d’endroits, une zone montagneuse est à l’origine de pratiques propres aux régions de montagne, comme la transhumance, pratique qui se poursuit même après le déplacement de la ligne frontalière. Les éleveurs de l’Isère habitant dans des zones de montagne frontalières continuent ainsi à mener leurs troupeaux hiverner dans les plaines du Piémont (les plus proches de leur résidence) après l’interdiction du pacage à l’étranger sous la Révolution (arrêtés des 25 messidor an VI et 1er brumaire an VII). Les fonctionnaires et administrateurs locaux doivent souvent s’adapter à ces habitudes locales. Le directeur des douanes de l’Isère prévient ainsi le préfet, le 15 août 1825, de l’établissement d’un nouveau règlement pour les droits de douane sur l’élevage, en l’assurant que la situation particulière de l’Isère a été prise en compte par le gouvernement et que ce règlement autorise le pacage dans le Piémont pour les éleveurs de l’Isère, sanctionnant ainsi officiellement la tolérance qui avait eu lieu dans ce domaine sous la révolution et depuis 1815  [25].

26 Les fonctionnaires et administrateurs locaux doivent aussi tenir compte de l’importance des échanges humains entre les deux pays. Par exemple, l’application des lois sur l’instruction primaire publique, notamment la loi Guizot, se heurte souvent à l’insuffisance des revenus d’un grand nombre de communes, mais aussi et surtout à l’habitude d’un grand nombre de petits villages d’engager des instituteurs ambulants venus des montagnes des Hautes Alpes ou du Piémont.

27 La frontière est un point de contact entre deux pays, une ligne de partage politique, mais c’est aussi, par l’établissement de droits de douane, une ligne de partage économique. Daniel Nordman a montré l’importance de cette fonction économique dans la généralisation de l’utilisation du terme de frontière dans le domaine civil au XVIIIe siècle. L’emploi de ce mot, au départ limité au domaine militaire, est devenu courant dans les écrits des économistes français au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle et « c’est (…) par l’intermédiaire de l’idée de protection douanière (…) de droits payables à la périphérie du royaume, de prix aux frontières que le mot est passé insensiblement du champ militaire et du terrain de la géopolitique au domaine civil (…) Au cours du XVIIIe siècle, la frontière est souvent considérée comme une zone de rencontre entre intérêts économiques ou même comme une ligne que franchissent non plus seulement des hommes en armes, mais des marchandises (…) »  [26]. C’est assez dire l’importance du facteur économique dans les usages et fonctions de la frontière.

28 Celle-ci est en effet une zone de contrôle des échanges de marchandises et de perception de droits de douane. La proximité entre les deux pays, la tradition de passage et d’échanges d’un côté de la frontière à l’autre, et les lacunes de la surveillance douanière à cette époque (nombre insuffisant de fonctionnaires, complicité des villageois et souvent de maires ; larges portions du territoire frontalier sans surveillance…) sont cependant des incitations à la transgression de la loi. La contrebande était une pratique très étendue le long des frontières françaises sous l’Ancien Régime. Gilbert Larguier parle même de « culture de la contrebande » pour le Roussillon entre 1715 et 1815  [27], et André Ferrer observe que la frontière franco-suisse en Franche-Comté est, tout au long du XVIIIe siècle, une « zone d’intenses trafics illicites »  [28]. La contrebande reste très pratiquée au début du XIXe siècle, en Isère comme dans beaucoup d’autres départements frontaliers, comme les Hautes-Pyrénées  [29], le Roussillon  [30], la Seine-Inférieure  [31], le Piémont  [32] ou les départements rhénans  [33]. Dans certains villages dauphinois proches de la frontière, elle constitue, au début du XIXe siècle, une véritable économie parallèle, et se dote d’une organisation très structurée. L’établissement de réseaux en Savoie ou en Suisse, d’une certaine structure, voire de quartiers entiers consacrés à la fraude dans certaines communes, et surtout la solidarité des villageois compliquent le travail des douaniers.

29 Le travail des douaniers est d’autant plus difficile qu’ils ont parfois à vivre au quotidien dans un village proche de la frontière. Les relations entre les « gapians », surnom donné aux douaniers par les citoyens, et les villageois ne sont pas alors toujours harmonieuses. Par exemple, en 1822, les employés de la brigade des douanes de Montonnot sont en butte à de nombreuses menaces, insultes et coups de la part des habitants du village dont un grand nombre pratique la contrebande. La situation est d’autant plus grave que les habitants sont tacitement soutenus par le maire et l’adjoint au maire  [34]. Le directeur des douanes s’en plaint ouvertement au préfet, le 11 janvier 1823. Ayant appris que le maire de Montbonnot s’était plaint au préfet de la conduite du lieutenant des douanes en poste dans ce village, Vuillaume  [35], il affirme que l’unique raison de l’hostilité des habitants de la commune envers cet employé est son zèle et son efficacité dans la lutte contre la contrebande, contrairement aux douaniers qui l’ont précédé dans cette commune et qui, soit par peur soit par complaisance, fermaient les yeux sur le trafic pratiqué par un grand nombre de villageois : « C’est au sieur Vuillaume que l’on doit (…) d’avoir saisi, le 5 septembre dernier, trois ballots de coton filé entreposés chez le sieur Chaix aubergiste et six paquets trouvés sur des femmes qui cherchaient à les introduire en feignant d’apporter des fruits et des légumes en ville. C’est depuis ce moment que date l’origine de l’animosité des habitants contre ce lieutenant. Monsieur de Miribel (le maire de Montbonnot) ne peut pas ignorer ces faits ; il ne doit pas ignorer non plus que plusieurs habitants de sa commune ne font d’autre métier que celui de porte-à-col puisqu’il en a souvent parlé avec l’inspecteur (des douanes) de la Tronche (…) »  [36].

30 En effet, les contrebandiers sont, la plupart du temps, des villageois, qui exercent aussi une autre activité, officielle et légale, qui sont des figures de la vie villageoise : agriculteurs, aubergistes, négociants, bateliers… Un bon exemple de cela peut être donné par le groupe de contrebandiers que surprennent le lieutenant et le préposé des douanes de Saint-Bron, le 25 mars 1827. Leur chef, Tripier Chant, est le fermier du château voisin de Voissant. Parmi les autres membres de cette troupe de contrebandiers figurent aussi le frère et le domestique de Tripier Chant, et le batelier qui tient le bac sur le Guiers, à Saint-Bron, Étienne Ravay  [37]. De même, six douaniers des Abrets et d’Aoste attaquent, le 2 octobre 1820, une bande de trente contrebandiers, en arrêtent neuf et saisissent 18 ballots  [38]. En donnant au préfet le nom des prévenus, l’inspecteur des douanes de Pont-de-Beauvoisin l’informe que ces neuf hommes sont, pour l’essentiel, des ouvriers agricoles, des journaliers, ou des cultivateurs  [39].

31 Certains maires vont au-delà de la simple protection accordée à leurs concitoyens contre-bandiers et n’hésitent pas à participer eux-mêmes aux activités de contrebande, à l’image de ce maire d’un petit village de l’Isère, Saint-Vincent-de-Mercuze, destitué par le préfet d’Haussez le 14 juin 1822 pour avoir conservé pour son propre compte un ballot de coton saisi chez un contrebandier au lieu de le remettre à l’administration des douanes  [40].

32 Le travail des douaniers est d’autant plus compliqué que certaines communes frontalières ont une « géographie du crime », des quartiers entiers consacrés à la contre-bande. C’est le cas, par exemple, d’un quartier de Pont-de-Beauvoisin situé directement au bord du Guiers (rivière séparant, en cet endroit, la France de la Savoie). Les policiers mettent à jour dans cette ville en 1816 un trafic de contrebande internationale de grains impliquant treize artisans du quartier en question : un tisserand, un cordonnier, un boucher, deux tanneurs, un menuisier, deux pêcheurs et cinq peigneurs de chanvre  [41]. Ces hommes achètent la plus grande partie des grains que des agriculteurs voisins viennent vendre au marché de Pont-de-Beauvoisin, puis les entreposent dans leurs maisons situées directement sur le Guiers, et, la nuit, « au moyen d’affidés qu’ils ont en Savoie, (ils) descendent leur grain en sacs par les galeries desdites maisons, qui sont alors reçus par des porteurs placés dans la rivière et qui ensuite les transportent à l’étranger (…) »  [42]. Face à une organisation aussi structurée, avec un quartier entier de la commune servant d’entrepôt, et avec des réseaux dans le pays voisin, les employés des douanes, qui plus est en nombre insuffisant, ne peuvent lutter : « Tous les fonctionnaires publics qui sont au Pont connaissent l’insuffisance des préposés à cet égard, attendu que les maisons qui servent de dépôt sont baignées par la rivière (…) »  [43]. La seule solution consiste alors à recourir à l’intervention de l’autorité supérieure, du préfet, pour que ce dernier ordonne au maire de la commune d’interdire les entrepôts de grain dans la demie lieue qui avoisine la frontière, ce qui inclue le quartier en question, et pour qu’il autorise les douaniers à perquisitionner dans les maisons de personnes qui leur paraîtraient suspectes et qui pourraient conserver des entrepôts de grain après cette interdiction  [44]. Le préfet Montlivault ordonne ainsi au maire de Pont-de-Beauvoisin, le 2 avril 1816, « de défendre tout entrepôt de bled (…) dans des maisons qui bordent la rivière », sous peine de voir tous les marchés de la commune interdits  [45].

33 L’une des spécificités de la frontière franco-italienne en Isère est l’organisation et l’envergure internationale de la contrebande, contrairement à d’autres régions frontalières comme les Pyrénées dans lesquelles elle semble plus relever de l’amateurisme et de pratiques isolées, individuelles. Cette plus grande organisation de la contrebande en Isère s’explique sans doute par la proximité du foyer lyonnais qui est un débouché important pour la contrebande, notamment dans le domaine textile.

34 Les contrebandiers dauphinois ne sont en effet généralement pas des fraudeurs d’occasion, des individus isolés chargeant un ou deux barils de vin sur une mule comme ce villageois du Pont-de-Sau dans le Roussillon arrêté par des douaniers en décembre 1735  [46]. Les Dauphinois agissent généralement en bandes. L’organisation est toujours la même. Le chef est à la tête d’une bande de porteurs de ballots. Ceux-ci sont protégés par l’escorte, des hommes armés de fusils ou de bâtons chargés de lutter contre les douaniers tandis que les porteurs de ballots continuent leur chemin. Les douaniers sont, la plupart du temps, beaucoup moins nombreux que les membres de l’escorte, et ils doivent faire face à des hommes armés, habitués à la lutte, et n’hésitant pas à se montrer extrêmement violents. Ainsi, le travail des douaniers est non seulement dangereux, mais aussi souvent inefficace. Par exemple, le 25 mars 1827, un lieutenant et un préposé des douanes de Saint-Bron tentent d’arrêter un groupe de contrebandiers constitué de douze à quinze porteurs de ballots et d’une escorte assez nombreuse  [47], et sont « assaillis à coups de bâtons par les hommes de l’escorte, tous deux furent couverts de blessures graves à la tête et tombèrent sans connaissance et ne purent arrêter aucun des individus de la bande (…) »  [48].

35 Les bandes de contrebandiers dauphinois pratiquent une coopération transfrontalière du crime. Beaucoup tiennent les réunions préparatoires à leurs forfaits en Savoie, comme l’avoue l’un des contrebandiers arrêté par les douaniers dans la nuit du 28 février au 1er mars 1827 près des bois de Burcin, Alexandre Duprat, en possession de cinq ballots dont deux de coton filé et trois de tissus de coton. Dans son interrogatoire, ce dernier reconnaît qu’il était l’un des porteurs de ballots du groupe, et donne des renseignements précieux aux douaniers sur l’organisation interne de la bande de 16 à 18 contrebandiers dont il faisait partie et qui s’était réunie dans la soirée du 28 février à Saint-Béron en Savoie pour régler les derniers détails de leur passage de la frontière  [49].

36 Pour toutes ces raisons, la lutte contre la contrebande ne porte pas souvent ses fruits. L’État est impuissant à éradiquer cette pratique, en Isère comme dans beaucoup d’autres régions frontalières  [50].

37 Le contrôle des marchandises entrant légalement en France n’est pas toujours plus efficace, et cela pour les mêmes raisons (grand nombre de points de passage sur cette frontière et insuffisance des effectifs de fonctionnaires). Ainsi, la mesure prise par le gouvernement en 1824 (inspection préalable des livres exportés par un commissaire de police) reste inappliquée plusieurs années plus tard (en 1827) dans l’arrondissement de la Tour du Pin, alors qu’un très grand nombre d’ouvrages littéraires et de gravures sont envoyés à l’étranger, tous les jours, par ce point de la frontière. Les droits sur ces envois de livres et gravures sont bien acquittés mais « l’examen (du contenu des paquets) ne se fait pas (…) »  [51], par manque de personnel : il n’y a pas de commissaire de police à la Tour-du-Pin, et celui de Pont-de-Beauvoisin, déjà très occupé par la surveillance des voyageurs, n’a pas le temps de se livrer à cette inspection  [52].

38 Les fonctionnaires et administrateurs locaux doivent aussi contrôler les échanges humains. La surveillance des voyageurs passe essentiellement par le contrôle des passeports, surtout depuis la réorganisation qui a lieu sous l’Empire en matière de politique d’identification et de passeports  [53]. Le décret impérial du 18 septembre 1807 rend obligatoire pour les voyages à l’intérieur du pays le fait de se munir d’un passeport  [54]. Le durcissement de la politique de surveillance des étrangers, par l’inspection des passeports, date de 1808 et s’explique par la crainte d’espionnage politique ou économique anglais. Les préfets reçoivent ainsi une lettre du Ministre de la police générale, le 18 décembre 1807, les prévenant que « les Anglais, exclus du continent par le consentement de toutes les puissances, cherchent à y introduire des émissaires politiques ou commerciaux (…) Il est de la plus haute importance de faire exécuter rigoureusement le décret de Sa Majesté qui interdit toute communication avec la France au seul ennemi qui lui reste (…) »  [55]. Le préfet Fourier adresse alors aux maires, adjoints et fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre des consignes précises « pour empêcher les agents que l’Angleterre pourrait jeter sur nos côtes de pénétrer dans l’intérieur et (…) surveiller avec soin les passeports de tous les voyageurs (…) »  [56]. Pour cela, maires, adjoints, gendarmes, gardes champêtres et forestiers doivent contrôler avec soin les passeports des voyageurs et retenir dans la commune les étrangers qui n’auraient pas de passeports en règle jusqu’à ce que le préfet ait indiqué au maire ce qu’il convenait de faire de ces personnes  [57]. Les ressortissants de nations amies ou alliées de la France font l’objet de dispositions spécifiques. Ils peuvent voyager dans toute l’étendue de l’Empire avec un passe accordé à leur entrée sur le territoire français ou avec un passeport délivré dans leur pays d’origine et visé par le Ministre de la police générale de l’Empire. Les maires et leurs adjoints engagent leur responsabilité propre dans la surveillance des voyageurs passant dans leur commune. Les mêmes consignes de vigilance et d’inspection des passeports sont données, le 10 mars 1808, aux aubergistes et loueurs de chambres garnies, maîtres de poste et propriétaires de voitures publiques. Les gendarmes, gardes champêtres et forestiers doivent aussi s’assurer, tous les jours, de ce que les personnes voyageant dans des malles poste ou voitures publiques ont des papiers en règle  [58], doublant ainsi la surveillance des simples particuliers commerçants.

39 Cette politique de fermeté dans le contrôle des voyageurs se renforce à la fin de l’Empire, en 1814-1815, quand la menace alliée se précise. Le gouvernement, les fonctionnaires et les administrateurs locaux en Isère craignent alors l’entrée d’espions étrangers, notamment Suisses ou Italiens. Ceci n’est pas seulement un fantasme de la part des fonctionnaires dauphinois. Des espions étrangers s’introduisent bel et bien sur le territoire, particulièrement en 1814 et en 1815. Les quelques cas d’espions saisis et renvoyés chez eux montrent que la pratique existait, ceci d’autant plus qu’un certain nombre d’espions étrangers est sans doute parvenu à entrer en France sans se faire arrêter. Les fonctionnaires et administrateurs locaux français parviennent à arrêter cependant quelques espions, comme Jacques Miachont, douanier suisse employé par Cornevaux, lieutenant principal à Genève, arrêté pour espionnage dans l’arrondissement de la Tour-du-Pin le 14 février 1814, libéré et renvoyé dans le Léman le 15 mars 1814  [59] ou Floret, enfant de la charité de Lyon, « arrêté le 15 février (1814) dans l’arrondissement de Saint-Marcellin comme soupçonné d’espionnage (…) », libéré et renvoyé à Lyon, devant le commissaire général de police de cette ville, le 16 mars 1814  [60]. Sous la Restauration, le contrôle étroit des passeports est maintenu et la crainte d’espions étrangers est toujours aussi forte. Par exemple, un Anglais arrêté dans le département de l’Isère, Scholler, est jugé par la cour d’assises et renvoyé, le 30 septembre 1816, en Angleterre (conduit par la gendarmerie jusqu’à Arras, dans le Pas-de-Calais, puis livré au premier poste des troupes anglaises)  [61].

40 Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, à l’inquiétude de voir des espions de puissances étrangères s’introduire sur le territoire s’ajoute une autre crainte, celle de voir des opposants politiques, libéraux, chassés de leur pays, venir se réfugier en France, y comploter et agiter le pays. Le juge de paix du canton frontalier de Saint-Laurent-du-Pont constate ainsi, en 1823, que « la tranquillité (politique) de ce canton (est) plus facile à être corrompu (e), attendu sa proximité sur la frontière (…) »  [62]. Ce danger, propre à toute zone limitrophe entre deux pays, est cependant plus marqué pour la frontière franco-italienne que pour d’autres régions frontalières françaises, à cause de l’agitation libérale très forte dans les états italiens à partir des années 1820. Le gouvernement, sous la Restauration, craint particulièrement l’entrée dans le département de l’Isère, et ensuite dans le pays tout entier, de carbonari italiens. Les fonctionnaires en poste dans les villages proches des frontières franco-italienne et franco-suisse reçoivent des consignes de vigilance à ce sujet en mai 1823, après l’expulsion de carbonari italiens de la Suisse voisine où ils s’étaient réfugiés  [63]. Les fonctionnaires et administrateurs dauphinois avaient cependant précédé le gouvernement dans cette surveillance étroite des Italiens entrant en France, particulièrement des soldats. Les moindres faits et gestes de soldats ou d’officiers italiens de passage ou en séjour en Isère sont scrutés et rapportés aux autorités locales par les policiers ou par des espions. Par exemple, le maire de Grenoble, averti, début janvier 1817, de la tenue de réunions secrètes d’officiers Italiens chez un aubergiste situé dans un lieu isolé et mal famé de la ville, dans le faubourg populaire Très Cloîtres, en prévient aussitôt le commissaire général  [64].

41 Sur toute la période étudiée, malgré la volonté de fermeté des gouvernements successifs sous les différents régimes, le contrôle des passeports est peu efficace  [65]. La situation en Isère dans ce domaine au début du XIXe siècle correspond à ce que décrit Vincent Denis pour l’ensemble de la France : « il ne faut pas (…) exagérer l’efficacité (du système de surveillance des voyageurs par les passeports) (…) La surveillance est efficace dans le cadre urbain, où elle peut se concentrer aux points de passage, près des diligences, dans les auberges. A contrario, elle est moins efficace dans les campagnes, où le contrôle policier est plus lâche, et où la possession d’un passeport reste plus aléatoire, malgré les efforts de l’administration pour la rendre obligatoire (…) »  [66]. Le nombre insuffisant de fonctionnaires et le manque de zèle de certains administrateurs locaux rendent en effet souvent cette surveillance illusoire, malgré son caractère de scientificité croissante. Les maires ne sont pas tous très vigilants dans la délivrance de passeports ou dans l’inspection des passeports des voyageurs et étrangers, et les professionnels de la police des frontières, les douaniers, sont bien trop peu nombreux pour les besoins du service. Le directeur des douanes du département avoue ainsi, le 11 juillet 1817, au commissaire général de police qui lui demandait de renforcer les brigades de Vaujany, Oz et Rivier-d’Allemont pour surveiller plus efficacement le passage des voyageurs en ce point : « Je ne pourrais le faire en ce moment qu’en découvrant d’autres postes et je m’exposerais par là à ouvrir à la contrebande des débouchés importants à garder (…) »  [67]. En l’absence de douaniers, ce sont les gendarmes et les gardes champêtres qui doivent veiller à la surveillance des passeports et empêcher l’entrée de clandestins, mais les gardes champêtres ont de nombreuses autres occupations et ne sont pas toujours très compétents  [68], et les gendarmes ne sont pas très nombreux (30 brigades et 157 gendarmes seulement pour l’ensemble du département en 1830  [69]) et pas toujours placés au bon endroit pour cette mission. Le juge de paix du canton de Saint-Laurent-du-Pont se plaint ainsi au préfet, le 19 mai 1823, des inconvénients de l’emplacement du poste de gendarmerie dans un faubourg de Saint-Laurent-du-Pont trop éloigné de la frontière, et, par voie de conséquence, du grand nombre d’étrangers qui s’introduisent en France à cet endroit. Il demande ainsi le transfert du poste de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Pont à Entre-deux-Guiers parce que « tant que les gendarmes resteront placés à Saint-Laurent les étrangers auront la facilité d’entrer de Savoie en France comme d’en sortir (…) »  [70]. Au laxisme de certains maires, au manque de fonctionnaires et à la déficience de la couverture douanière et gendarmique de la frontière s’ajoute une autre difficulté pour une surveillance efficace de la frontière : le grand nombre de voyageurs entrant en France par la frontière située en Isère  [71]. La fréquentation est encore plus forte à certaines périodes de l’année, comme pendant la période des eaux d’Aix. Comme dans les Hautes-Pyrénées, la proximité de stations thermales et l’essor du tourisme augmentent encore les échanges entre les pays.

42 La frontière franco-italienne reste donc assez perméable en Isère au début du XIXe siècle. Les habitants continuent, après 1815, à se rendre régulièrement dans le Piémont voisin. Les fonctionnaires et administrateurs locaux dauphinois doivent donc eux aussi, pour administrer cet espace particulier, ce lieu de contact, collaborer avec leurs homologues du pays voisin. Le maintien d’échanges, légaux et illégaux, entre les habitants des deux côtés de la frontière s’oppose en effet à une pratique étroitement régionale ou nationale de l’administration et nécessite une adaptation des fonctionnaires et administrateurs locaux à la situation du département. Pour maîtriser un espace de contact, un lieu de passage, ces derniers doivent envisager le territoire frontalier non seulement comme une parcelle du territoire national mais aussi, et à la différence des départements de l’intérieur, comme un élément solidaire du territoire situé de l’autre côté de la ligne de partage politique, la partie française d’un même territoire transfrontalier divisé politiquement (et économiquement) en sa moitié mais uni de façon plus diffuse par les pratiques migrantes des frontaliers.

Une pratique administrative née des contraintes du lieu : la coopération transfrontalière

43 Les agents de l’État dans ce département frontalier doivent donc correspondre avec leurs supérieurs hiérarchiques, avec le pouvoir central à Paris, mais aussi avec leurs collaborateurs de terrain, leurs homologues du royaume piémontais, séparés des fonctionnaires de l’Isère par les contraintes politiques nationales mais plus proches d’eux (en distance) et partageant des problèmes et intérêts communs pour l’administration de territoires limitrophes.

44 La nécessité d’établir des relations avec les autorités sardes pousse ainsi les préfets de l’Isère à respecter un certain protocole à l’égard des souverains italiens. Le préfet Finot avertit ainsi le Ministre de l’Intérieur, le 10 juillet 1830, que le roi de Sardaigne est arrivé à Chambéry le 7 juillet et qu’il doit y rester six semaines ou deux mois, et il ajoute : « Le département de l’Isère étant limitrophe de la Savoie, mes prédécesseurs, dans des circonstances semblables, ont toujours reçu l’ordre de se rendre auprès de Sa Majesté pour lui offrir leurs respectueux hommages (…) »  [72]. Il demande donc, pour cela, de pouvoir s’absenter trois jours  [73]. Cette coopération transfrontalière n’est pas une nouveauté du début du XIXe siècle. Sous l’Ancien Régime, l’employé de l’un des bureaux de l’intendance du Dauphiné, le premier bureau ou « premier département », Durand de Marencour, travaillant sous la direction du chef de bureau De la Salle, était en effet déjà chargé des « affaires avec le Piémont »  [74].

45 La collaboration entre fonctionnaires français et sardes est particulièrement étroite dans le domaine policier et judiciaire. Les différents fonctionnaires et administrateurs locaux de l’Isère entretiennent ainsi souvent des relations avec leurs collègues des pays voisins : commissaires de police, carabiniers, douaniers… Par exemple, le commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin, Aubry, donne au préfet, le 18 juillet 1826, les renseignements qu’il demandait sur un militaire, le colonel Vogli, lieutenant colonel né à Strasbourg et domicilié à Berne, passé à Chambéry le 2 mars 1826 pour se rendre en Italie, muni d’un passeport du chargé d’affaires de France à Berne. Il assure que, depuis son départ pour l’Italie, ce colonel n’a plus été vu à Chambéry, et surtout il confie au préfet que ces renseignements lui ont été donnés par l’un des commissaires de police de Chambéry, de Gabrialis, « avec lequel (il) conserve des relations pour le bien du service (…) »  [75].

46 Les préfets eux aussi ont des rapports avec leurs homologues des régions étrangères voisines, ou même avec les chefs d’État. Par exemple, le préfet d’Haussez avait établi, au début des années 1820, des relations de travail régulières avec le gouverneur de la Savoie, le comte Dandezeno, « un auxiliaire très sûr et très adroit (…) » selon d’Haussez. Ils se voyaient souvent, entretenaient une correspondance active, s’échangeaient des informations de police sur des personnes suspectes faisant des voyages réguliers de l’un à l’autre pays. Une véritable coopération semble ainsi s’être mise en place entre ces deux hommes. Le préfet d’Haussez assure ainsi : « Il m’informa que certains individus que je lui avais signalés faisaient de fréquents voyages en Savoie et y entretenaient des rapports avec des personnes qui ne lui étaient pas moins suspectes. Il m’engagea surtout à faire surveiller les démarches des militaires sardes qui se rendraient à Grenoble, et me promit de me faire connaître le départ de ceux à qui il aurait donné des permissions d’y venir (…) »  [76]. Grâce à cette transmission de renseignements de police par les autorités piémontaises, le préfet d’Haussez, averti qu’un officier sarde était à Grenoble, où il « faisait exclusivement sa société des hommes les plus dangereux et assistait à des réunions (…) suspectes (…) », le fait arrêter et, après une fouille en règle par les gendarmes, découvre sur lui un ensemble de notes contenant tous les détails de la préparation d’une conspiration à Turin, dont la liste des principaux membres de ce projet. Le lieutenant général Pamphile de Lacroix ayant fait libérer ce prisonnier, le préfet en avertit aussitôt le gouvernement de Sardaigne, notamment le roi et l’intendant de police, mais, le roi de Piémont-Sardaigne n’ayant pas réagi à temps, la conspiration prévue éclate et entraîne l’abdication de Victor Emmanuel et la fuite des ministres en France. L’intendant de police, le comte de Lodi, et deux autres ministres du gouvernement déchu s’arrêtent ensuite à Grenoble, sur la route de Nice où ils vont rejoindre le roi en exil, et demandent au préfet d’Haussez de « servir d’intermédiaire à une correspondance entre les royalistes de Turin et eux (…) »  [77].

47 Certains fonctionnaires locaux, particulièrement sous la Restauration, emploient même des agents secrets qu’ils envoient en mission dans les pays voisins. Ainsi, le commissaire général de police à Grenoble envoie, au cours du printemps 1816, un espion en mission au Piémont « pour tâcher de surprendre la correspondance (qu’il croit) établie entre Grenoble et la Savoie (…) »  [78]. Le préfet d’Haussez, préfet de l’Isère de 1821 à 1824, rapporte aussi dans ses mémoires : « En m’appelant à administrer le département de l’Isère, on m’avait confié une surveillance de police fort étendue sur les départements limitrophes du Piémont, sur ce pays lui-même et sur Genève. J’avais établi des agents secrets sur la frontière, à Turin, à Chambéry, à Gênes, et par intervalles, à Milan et à Genève (…) »  [79]. Ce dispositif d’établissement d’un service de renseignements international dirigé depuis la préfecture de l’Isère est complété localement, à Grenoble, par un maillage de la ville par les policiers mais aussi par des espions qui écoutent les conversations des étrangers, notamment des Italiens, et qui surveillent les rencontres entre des Grenoblois suspects et des étrangers  [80].

48 Une coopération judiciaire est aussi établie, ponctuellement, entre l’Isère et le royaume de Piémont-Sardaigne sous la Restauration. Les exemples de criminels et délinquants italiens arrêtés en Isère et renvoyés devants les magistrats italiens sont nombreux, à l’image de Pierre Riveta, né à Moncalvo en Piémont et soupçonné de vol, renvoyé au Piémont pour être livré à la justice italienne le 14 octobre 1815  [81], ou encore de Geoffroy Bernardi, « forçat libéré natif de Saint-Pierre » (nom francisé d’un petit village italien près de Coni, dans le Piémont), renvoyé au Piémont le 3 juin 1816  [82]. Les criminels italiens fuyant leur pays pour échapper à la justice ne peuvent trouver l’impunité en France. En effet, lorsque les fonctionnaires français découvrent un criminel italien en fuite, ils le font reconduire à la frontière par les gendarmes pour le livrer ensuite aux magistrats italiens. Par exemple, Jean-Baptiste Genin, habitant la commune de Plenesse dans le royaume de Piémont-Sardaigne (en Savoie), soupçonné d’assassinat, se réfugie en France au printemps 1816 croyant échapper à la police et à la justice, mais, arrêté par les gendarmes dans la commune du Touvet en Isère en mai 1816, il est, le 2 mai 1816, renvoyé au Piémont par le préfet : « Vu le rapport de Monsieur le commissaire général de police du département de l’Isère sur le nommé Genin Jean-Baptiste (…) soupçonné d’assassinat. Ce rapport constatant que le nommé Genin a fui du territoire de Savoie pour se soustraire ainsi qu’il en fait l’aveu aux poursuites dirigées contre lui comme ayant éveillé les soupçons de la police de Chambéry (…) Le nommé Genin Jean-Baptiste (…) sera conduit de brigade en brigade par la gendarmerie à Entre-deux-Guiers le Bas et remis au sous-lieutenant de la compagnie départementale qui s’y trouve stationnée en ce moment qui le livrera à Monsieur le commandant des Échelles (…) Il s’entendra avec de dernier pour que le nommé Genin soit conduit sous escorte à Chambéry et mis à la disposition de Monsieur l’intendant général du duché de Savoie (…) »  [83]. Les juges, policiers et gendarmes français et italiens échangent aussi des renseignements sur des criminels en fuite (envois de signalements). La coopération judiciaire et policière transfrontalière et la pratique de l’extradition sont en effet indispensables pour éviter que les régions frontalières ne deviennent des zones de non droit, des zones de passage de criminels étrangers. Cette coopération judiciaire transfrontalière est donc pratiquée dans beaucoup de régions frontalières, et ce dès l’Ancien Régime. Catherine Denys a ainsi montré l’existence d’accords d’extradition réciproques pour les actes criminels graves entre l’Autriche et la France dès le début du XVIIIe siècle (Ordonnance du roi du 17 août 1736) et la pratique ordinaire d’une collaboration judiciaire entre la France et les Pays-Bas autrichiens au XVIIIe siècle  [84]. Un semblable accord est passé entre les souverains français et italiens lors de la première Restauration, en 1814 (Ordonnance du roi du 25 juillet 1814). Les auteurs de crimes et délits originaires de régions françaises jusqu’en 1814 ou 1815 mais cédées au royaume de Piémont-Sardaigne par le premier ou le second traité de Paris, ayant commis un crime ou un délit avant 1814, ayant été arrêtés, jugés et emprisonnés en France (lorsque leur région d’origine était encore française) et n’ayant pas fini de purger leur peine en 1815 doivent être libérés des prisons françaises et renvoyés au Piémont pour finir de purger leur peine dans une prison italienne. Jean-Marie Clavel, originaire de Moutiers en Savoie et emprisonné à Grenoble, est ainsi libéré en septembre 1815 pour être conduit par la gendarmerie à la frontière et remis aux autorités piémontaises : « Considérant qu’il était condamné à une détention de cinq ans et qu’il n’en a subi que trois, qu’il est dans le cas prévu par l’Ordonnance du roi du 25 juillet 1814 sur les individus détenus en France par suite de condamnations pour délits commis dans des pays qui n’appartiennent plus à la France (…) Jean-Marie Clavel (…) sera extrait des prisons de Grenoble et conduit de brigade en brigade par la gendarmerie jusqu’à la frontière de Savoye pour être remis à la disposition du premier poste étranger (…) »  [85].

49 Au-delà de cette simple transmission de renseignements factuels, les fonctionnaires français et sardes partagent aussi leur expérience de l’administration frontalière, expliquent leurs méthodes, se font connaître mutuellement les moyens qu’ils emploient pour régler un problème frontalier et les résultats obtenus. Par exemple, le préfet de l’Isère, ne sachant comment résoudre le problème de la surveillance de nuit de la frontière franco-italienne à Pont-de-Beauvoisin (à cause du manque de personnel), demande au gouverneur général de la Savoie, le 25 janvier 1827, comment les Sardes s’y prennent pour assurer une continuité de service nocturne pour la consigne et les passages  [86]. Le gouverneur général lui répond que, du côté piémontais, le passage de nuit, après contrôle des passeports, est ouvert jusqu’à 10 heures et demie. Après cette heure, il faut, pour traverser le pont, s’être muni au préalable d’un permis du commandant des carabiniers du côté piémontais ou d’un permis du lieutenant de gendarmerie ou du maire de Pont-de-Beauvoisin du côté français, à deux exceptions près, le passage libre pour certaines catégories de personnes (les curés, vicaires, médecins, sages femmes, commissaires de police et autorités militaires des deux villes) et pour les cas d’urgence  [87]. Les nécessités commerciales, politiques et diplomatiques sont prises en compte : le passage nocturne est toujours assuré, après contrôle immédiat des papiers, pour les voitures de poste, les négociants, les hauts fonctionnaires et diplomates. Dans ce dernier cas, le planton de gendarmerie doit réveiller le commissaire de police pour que celui-ci vienne contrôler les papiers et l’identité des étrangers  [88]. Le passage de la frontière de nuit est donc organisé plus tôt du côté italien et sert de modèle pour l’organisation du côté français. Le préfet, convaincu par l’exemple italien, demande en effet aussitôt au commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin d’appliquer ces mesures du côté français  [89].

50 La coopération transfrontalière n’est pas limitée au seul domaine du maintien de l’ordre et de la régulation sociale. Les fonctionnaires et administrateurs locaux de l’Isère collaborent avec leurs homologues italiens pour toutes sortes d’autres missions de l’administration locale : économie, santé publique, urbanisme et travaux publics…

51 Dans le domaine sanitaire, une collaboration transfrontalière active est ponctuellement établie en cas d’épidémie ou d’épizootie. Estelle Baret-Bourgoin a observé la mise en place, en 1831, après que le préfet ait été averti du déclenchement d’une épidémie de choléra à Milan, de deux lazarets provisoires sur la frontière avec l’Italie, dans les communes de Chapareillan et Pont-de-Beauvoisin, pour faire appliquer les mesures de quarantaine de sept jours pour les hommes et animaux entrant en France par la frontière avec l’Italie  [90].

52 Dans un autre domaine, l’urbanisme et les transports publics, les fonctionnaires n’hésitent pas parfois à se rendre en personne dans le pays voisin pour observer les méthodes de construction employées. Au début des années 1820, le préfet d’Haussez, souhaitant, avec les ingénieurs des Ponts et Chaussées, entreprendre de grands travaux pour rectifier le cours de l’Isère dans la plaine de Grenoble (pour protéger la ville contre le risque d’inondation) et sachant que des travaux similaires avaient lieu sur la partie supérieure de l’Isère, sur le territoire de la Savoie voisine, pour un coût peu élevé, se rend ainsi sur place pour observer la nature et les résultats de ces travaux. Il discute avec les ingénieurs sardes, descend le long de la rivière, observe avec attention les ouvrages de protection, pose de nombreuses questions sur les matériaux utilisés, sur le coût et les résultats, et prend des notes précises sur tous ces points. Enthousiasmé par les bons résultats obtenus pour un coût beaucoup moins élevé que le projet et le devis des ingénieurs des Ponts et Chaussées français pour le redressement de l’Isère, il s’empresse, de retour à Grenoble, de rédiger un dossier pour convaincre le Ministre de l’Intérieur d’autoriser l’application des mesures italiennes en Isère. Il décrit donc avec précision les ouvrages qu’il a vus, les « sortes de digues faites de peupliers étendus sur la rive du fleuve et percés de trous de tarrière dans lesquels on implante des boutures de saules (…) » et propose au Ministre d’adopter « ce mode si peu dispendieux (…) »  [91]. Cependant, cette ouverture internationale se heurte parfois à un nationalisme administratif, à un esprit de corps de certains fonctionnaires soucieux de protéger leur compétence, leur tutelle, leur organisation hiérarchique française et leur expertise, et hostiles à toute ingérence d’une autorité extérieure (comme le préfet) ou étrangère (comme les ingénieurs sardes). Le modèle piémontais est ainsi mis de côté par les ingénieurs français, et le préfet constate les effets négatifs de ce refus d’adopter des idées et pratiques élaborées par des personnes n’appartenant pas au corps technique français : « L’administration des Ponts et Chaussées intervint et fit repousser ma proposition (…) On ébaucha des projets dont les devis atteignaient des millions, mais on en resta là, et je quittai le département avant même d’avoir reçu les plans (…) »  [92]. La coopération transfrontalière suppose en effet un dépassement du nationalisme administratif, une reconnaissance des limites techniques de tel corps administratif sur certains points et donc des apports positifs d’autres administrations. La construction de l’État, le prestige croissant des fonctionnaires et des savants et ingénieurs au XIXe siècle peuvent parfois constituer des entraves à la coopération transfrontalière.

Conclusion

53 Les lois et règlements organisant le fonctionnement des institutions sont les mêmes sur tous les points du territoire français, mais la pratique de l’administration varie selon les contraintes du lieu. Cette nécessaire adaptation de l’administrateur aux conditions locales ressort très nettement du cas étudié de l’administration d’une région frontalière. Que ce soit au niveau de la gestion du personnel administratif, de la coexistence entre civils et militaires, de l’importance de certaines missions (contrôle des migrants, surveillance des échanges), ou encore des relations avec les autorités du pays voisin, un certain nombre de traits spécifiques font de l’administration « de frontière » une pratique de gouvernement originale, sensiblement différente de celle d’un département de l’intérieur.

54 L’administration de ces régions amène les fonctionnaires et administrateurs à relativiser le dirigisme étatique, la volonté et surtout la possibilité de l’État d’organiser et de réglementer certains aspects de la sphère publique, économique notamment, par des mesures nationales. La perméabilité de la frontière franco-italienne, et d’autres frontières françaises à cette période, met à jour la complexité des pratiques de gouvernement d’un pays. Les politiques publiques, notamment les politiques économiques et douanières ou les politiques d’immigration et de contrôle des voyageurs, élaborées par le pouvoir central trouvent leurs limites dans leur application dans les confins du territoire national.

55 Cette étude montre aussi une certaine permanence dans la politique gouvernementale de contrôle policier et économique (tant sous le régime se voulant « libéral » de la Monarchie de Juillet que sous la Restauration) et dans la pratique, assez relâchée et inefficace, de cette surveillance de la frontière. Le nombre de fonctionnaires affectés totalement ou en partie à cette mission n’augmente pas sensiblement au cours de la période, et il ne peut donc y avoir de réelle amélioration en la matière.

56 L’impossibilité d’un contrôle sans faille de la frontière rend nécessaire une action en amont et en aval des fonctionnaires et administrateurs dauphinois, action complémentaire à la surveillance strictement locale de la ligne de démarcation politique entre les deux pays. Les autorités civiles ne peuvent en effet que constater leur impuissance à empêcher tous les trafics illicites et les passages clandestins et doivent trouver des solutions pour contenir ce phénomène et essayer d’en prévenir les risques politiques pour l’ensemble du pays (risque d’entrée clandestine d’espions ou d’opposants politiques par exemple). La coopération transfrontalière est l’un des moyens les plus efficaces pour cela, notamment dans le domaine policier. Celle-ci n’est cependant pas seulement un palliatif, un mal nécessaire pour régler les problèmes frontaliers. Elle est aussi parfois une pratique de gouvernement local à part entière, un moyen de partager ressources, idées, méthodes et techniques, une forme de gestion collective d’un espace politiquement divisé mais géographiquement partagé. Le gouvernement de la frontière passe par cette adoption de pratiques administratives originales, par cette reconnaissance de l’existence de problèmes et d’intérêts semblables ou partagés avec les peuples et les administrateurs du pays limitrophe, par ce dépassement du cadre national étroit et par l’ouverture sur des pratiques de gouvernement différentes.


Date de mise en ligne : 01/01/2010.

https://doi.org/10.3917/hes.071.0085

Notes

  • [1]
    Sur l’histoire des frontières françaises, voir Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, XVIe-XIXe siècles, Paris, 1998, et, sur les liens entre frontière et identité nationale plus particulièrement, Peter Sahlins, Boundaries. The making of France and Spain in the Pyrénées, Berkeley, 1989 ; Laurent Dornel, La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie (1870-1914), Paris, 2004, p. 265-286.
  • [2]
    Michel Brunet, Le Roussillon. Une société contre l’État, 1780-1820, Toulouse, 1986.
  • [3]
    Catherine Denys, s.d., Frontière et criminalité, 1715-1815, Arras, 2000.
  • [4]
    Note sur Pagès par Maurice Duval, préfet des Pyrénées Orientales, 20 janvier 1832 (AN : F1bI/170/1).
  • [5]
    Lettre de Pagès au Ministre de l’Intérieur, 16 mai 1834 (AN : F1bI/170/1).
  • [6]
    Haxo, Mémoire sur la frontière de la France entre le département des Vosges et celui des Hautes Alpes, 15 décembre 1814.
  • [7]
    Compte rendu du préfet au Ministre de l’Intérieur sur la situation du département de l’Isère, thermidor an VIII (ADI : 136M7).
  • [8]
    Vincent Rivier, Situation sommaire des affaires de la ville de Grenoble à l’époque du renouvellement triennal du conseil municipal en 1834, compte-rendu du maire sortant aux conseillers municipaux de Grenoble, 16 janvier 1835, p. 10 (Archives privées Rivier).
  • [9]
    Comptabilité municipale de Grenoble, années 1815 à 1837 (AMG : 1L210 -1L226).
  • [10]
    Dépense militaire municipale annuelle de la ville de Grenoble : 30 736,76 francs en 1815 ; 25 768,10 francs en 1816 ; 28 302,31 francs en 1817 ; 12 560,02 francs en 1818 ; 11 200 francs en 1819 ; 20 943,35 francs en 1820 ; 11 494,14 francs en 1821 ; 10 000 francs de 1822 à 1830 ; 13 422,85 francs en 1831 ; 12 533 francs en 1832 ; 12 000 francs en 1833 ; 6 000 francs de 1834 à 1837.
  • [11]
    Vincent Rivier, Situation sommaire des affaires de la ville de Grenoble à l’époque du renouvellement triennal du conseil municipal en 1834, op. cit., p. 9-10.
  • [12]
    Lettre du maire de Grenoble au préfet, 28 août 1816 (ADI : 181M84).
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    ADI : 14M3 et 14M4.
  • [15]
    Maurice Agulhon, Louis Girard, Jean-Louis Robert et William Serman (dir.), Les maires en France du Consulat à nos jours, Paris, 1986, p. 329.
  • [16]
    Maurice Agulhon et alii, Les maires en France… , op. cit., p. 329.
  • [17]
    Jean Clinquart, L’administration des douanes en France sous la Restauration et la Monarchie de Juillet (1815-1848), Paris, 1981, p. 505.
  • [18]
    Arnaud-Dominique Houte, « Le migrant du gendarme. Le quotidien de la surveillance dans le département du Nord pendant la première moitié du XIXe siècle », dans Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (dir.), Police et migrants, France 1667-1939, Rennes, 2001, p. 235-249, p. 238.
  • [19]
    Lettre du préfet au sous-préfet de la Tour du Pin, 9 août 1824 (ADI : 56M5).
  • [20]
    Rapport du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, pour le mois de juillet 1826, 3 août 1826 (ADI : 56M5).
  • [21]
    Rapport du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, pour le mois de juillet 1826, 3 août 1826 (ADI : 56M5).
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Lettre du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, 10 décembre 1826 (ADI : 53M2).
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Lettre du directeur des douanes au préfet, 15 août 1825 (ADI : 181M40).
  • [26]
    Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, XVIe-XIXe siècles, Paris, 1998, p. 53-54.
  • [27]
    Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815 », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, op. cit., p. 59-79, p. 79.
  • [28]
    André Ferrer, « La répression de la contrebande au XVIIIe siècle dans une “province réputée étrangère” », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, op. cit., p. 49-57, p. 57, et, du même auteur, La contrebande et sa répression en Franche Comté au XVIIIe siècle, thèse d’histoire, Besançon, 1993.
  • [29]
    Jean-François Soulet, Les premiers préfets des Hautes Pyrénées, 1800-1814, Paris, 1965, p. 88.
  • [30]
    Michel Brunet, Le Roussillon. Une société contre l’État, 1780-1820, op. cit., p. 73.
  • [31]
    Gavin Daly, Inside Napoleonic France. State and society in Rouen, 1800-1815, Aldershot, 2001, p. 188-194.
  • [32]
    Michael Broers, « De la gendarmerie impériale à la carabiniere reale. L’expérience policière piémontaise, premier exemple d’exportation du modèle français », dans Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, 2002, p. 401-409, p. 404-405, et, du même auteur, Napoleonic imperialism and the Savoyard monarchy, 1773-1821. State building in Piedmont, Lewiston/Queenston/Lampeter, 1997, p. 329-333.
  • [33]
    Roger Dufraisse, « Contrebandiers normands sur les bords du Rhin à l’époque napoléonienne », Annales de Normandie, vol. 11, n° 3, 1961, p. 209-232.
  • [34]
    Lettre du directeur des douanes au maire de Montbonnot, 28 décembre 1822 (ADI : 52M25).
  • [35]
    Lettre du directeur des douanes au préfet, 11 janvier 1823 (ADI : 52M25).
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Acte d’accusation contre Étienne Ravay, batelier demeurant à Saint-Bron en Savoie, prévenu de crime de rébellion contre les préposés des douanes, 28 septembre 1827 (ADI : 4U162).
  • [38]
    Lettre de l’inspecteur des douanes au préfet, 4 octobre 1820 (ADI : 53M2).
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Arrêté du préfet, 14 juin 1822 (ADI : 4K68).
  • [41]
    Lettre du lieutenant principal des douanes au commandant de la place au Pont-de-Beauvoisin, 28 mars 1816 (ADI : 181M80).
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Ibid.
  • [45]
    Ibid.
  • [46]
    Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815 », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, op. cit., p. 59-79, p. 78.
  • [47]
    Acte d’accusation contre Étienne Ravay, batelier demeurant à Saint-Bron en Savoie, prévenu de crime de rébellion contre les préposés des douanes, 28 septembre 1827 (ADI : 4U162).
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Acte d’accusation contre Alexandre Duprat, cultivateur à Domeyssin (Savoie), prévenu de rébellion contre les préposés de la douane, 21 mai 1827 (ADI : 4U159).
  • [50]
    Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815 », op. cit., p. 76-79, André Ferrer, « La répression de la contrebande au XVIIIe siècle dans une “province réputée étrangère” », op. cit., p. 57.
  • [51]
    Lettre du sous-préfet de la Tour du Pin au préfet, 21 septembre 1827 (ADI : 3Z23).
  • [52]
    Ibid.
  • [53]
    Vincent Denis, Individu, identité et identification en France, 1715-1815, thèse d’histoire sous la direction d’Alain Cabantous, Paris I, 2003, 3 vol.
  • [54]
    Arrêté du préfet, 11 janvier 1808 (ADI : 4K7).
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    Arrêté du préfet, 11 janvier 1808 (ADI : 4K7).
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Arrêté du préfet, 10 mars 1808 (ADI : 4K7).
  • [59]
    Arrêté du préfet, 15 mars 1814 (ADI : 4K9).
  • [60]
    Arrêté du préfet, 16 mars 1814 (ADI : 4K9).
  • [61]
    Arrêté du préfet, 30 septembre 1816 (ADI : 4K11).
  • [62]
    Lettre du juge de paix de Saint-Laurent-du-Pont au préfet, 19 mai 1823 (ADI : 52M25).
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    Lettre du maire de Grenoble au commissaire général, 6 janvier 1817 (ADI : 52M20).
  • [65]
    Lettre du sous-préfet de Vienne au commandant de la gendarmerie à Vienne, 9 vendémiaire an IX (ADI : 4Z5).
  • [66]
    Vincent Denis, « Le contrôle de la mobilité à travers les passeports sous l’Empire », dans Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (dir.), Police et migrants, France 1667-1939, Rennes, 2001, p. 75-89, p. 88.
  • [67]
    Lettre du directeur des douanes au commissaire général, 11 juillet 1817 (ADI : 52M20).
  • [68]
    Lettre du juge de paix de Saint-Laurent-du-Pont au préfet, 19 mai 1823 (ADI : 52M25).
  • [69]
    Répartition des brigades de gendarmerie pour la compagnie de l’Isère, 12 février 1830 (SHAT : XF260).
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    Lettre du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, 30 mars 1825 (ADI : 56M5).
  • [72]
    Lettre du préfet au Ministre de l’Intérieur, 10 juillet 1830 (AN : F1bII/Isère/6).
  • [73]
    Ibid.
  • [74]
    Départements des bureaux de l’intendance du Dauphiné, sans date (BMG : O9785).
  • [75]
    Lettre du commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin au préfet, 18 juillet 1826 (ADI : 56M5).
  • [76]
    Mémoires du baron d’Haussez publiées par son arrière-petite fille la duchesse d’Almazan, Paris, 1896, t. 1, p. 346.
  • [77]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 346.
  • [78]
    Lettre du Ministre de la police générale au commissaire général de police, 13 avril 1816 (ADI : 52M9).
  • [79]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 346.
  • [80]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 347.
  • [81]
    Arrêté du préfet, 14 octobre 1815 (ADI : 4K11).
  • [82]
    Arrêté du préfet, 3 juin 1816 (ADI : 4K11).
  • [83]
    Arrêté du préfet, 2 mai 1816 (ADI : 4K11).
  • [84]
    Catherine Denys, « Frontière et pratiques judiciaires transfrontalières entre la France et les Pays Bas au XVIIIe siècle », dans Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité… , op. cit., p. 93-117, p. 104-112.
  • [85]
    Arrêté du préfet, 29 septembre 1815 (ADI : 4K11).
  • [86]
    Lettre du gouverneur général de la Savoie au préfet, 2 février 1827 (ADI : 53M2).
  • [87]
    Ibid.
  • [88]
    Ibid.
  • [89]
    Lettre du préfet au commissaire de police de Pont-de-Beauvoisin, 6 février 1827 (ADI : 53M2).
  • [90]
    Estelle Baret Bourgoin, Environnement et sensibilités : les grenoblois et leur ville au XIXe siècle, thèse d’histoire sous la direction d’Yves Lequin, Lyon, 2002, t. 1, p. 42.
  • [91]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 336.
  • [92]
    Mémoires du baron d’Haussez… , op. cit., t. 1, p. 336.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions