Notes
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[1]
Ministère des Affaires étrangères (MAE), correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, Télégramme à l’arrivée, Genève, 2 avril 1937. Service historique de l’armée de terre, 7 N 3373, « Le Mexique et les affaires d’Espagne », Note du gouvernement mexicain au secrétariat de la SDN, 2 avril 1937.
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[2]
Centro Republicano Español de Mexico, México y la Repùblica española. Antologia de documentos. 1931-1977, Mexico, CRE, 1978, p. 23.
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[3]
MAE (Quai d’Orsay), Correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 3 septembre 1936. Comme la France, le Mexique dissimule les caisses d’armes avec des produits agricoles.
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[4]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 17, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 15 septembre 1938. « Congrès contre la guerre et le fascisme » tenu à Mexico du 11 au 15/09/1938.
-
[5]
Loïs Elwyn Smith, Mexico and the Spanish republicans, Berkeley, University of California Press, 1955, p. 190.
-
[6]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, 15/01/1937.
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[7]
MAE, correspondance politique générale, Mexique, registre 16, 04/09/1936. Signalons à cette date la vente de 5000 fusils.
-
[8]
Pacte de la SDN avec annexe, Genève, 22 avril 1932, SHAT, 7 N 3373, « Le Mexique et les affaires d’Espagne », Note du gouvernement mexicain au secrétariat de la SDN, 2 avril 1937.
-
[9]
Se reporter au mémoire d’Eddy Noblet, Le Mexique face à la guerre civile espagnole. Le rapport de la diplomatie française du soulèvement péninsulaire au régime de Vichy, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
-
[10]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance politique générale, registre 16, M. Barbier, chargé d’affaires français à Valence, Télégramme à l’arrivée, 13 mai 1937.
-
[11]
MAE, Espagne, registre 188, M. Bonjean, chargé d’affaires de France à Madrid à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, 15 octobre 1936. Lorsque les troupes franquistes occupent Madrid en 1939, le droit d’asile et les évacuations sont aussi difficiles à préserver. Le Corps diplomatique étranger, plus spécifiquement les délégations américaines, proteste énergiquement auprès des autorités franquistes : MAE, Espagne, registre 189, Philippe Pétain, ambassadeur de la République française en Espagne (dépêché le 25 mars 1939), à Édouard Daladier, ministre des Affaires étrangères, Saint-Sébastien, 16 octobre 1939, et, Madrid, 18 décembre 1939.
-
[12]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, ministère à M. Barbier, chargé d’affaires de France à Valence, Paris, 11 mars 1937.
-
[13]
Centro Republicano Español de México, op. cit., p. 27. Les locaux exigus obligent de nombreuses délégations étrangères à acheter des bâtiments proches des ambassades.
-
[14]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance générale politique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Pierre-Etienne Flandin, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 19 août 1936.
-
[15]
Notamment à la fin de la guerre : MAE, Espagne, registre 140, Philippe Pétain, ambassadeur de la République française en Espagne, à Édouard Daladier, ministre des Affaires étrangères, Madrid, 29 novembre 1939.
-
[16]
MAE, Espagne, registre 205, Eirik Labonne, ambassadeur de la République française en Espagne (octobre 1937 à novembre 1938), à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, Barcelone, 15 octobre 1938.
-
[17]
Notons que l’interdiction du culte, les nombreuses destructions d’églises et les exécutions de prêtres n’ont pas pu définitivement arrêter la pratique religieuse qui s’effectue dans la clandestinité. Certains combattants loyalistes étant eux-mêmes imprégnés d’une éducation catholique, une politique de tolérance du culte est mise en place dans la zone républicaine, à partir de 1937.
-
[18]
Centro Republicano Español de México, op. cit., p. 59, « Hermanos de Raza », 13 juin 1939.
-
[19]
Loïs Elwyn Smith, op. cit., p. 170.
-
[20]
MAE, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, 10 septembre 1936. Commentaires sur les politiques mexicaines d’immigration.
-
[21]
Centro Republicano Español de México, op. cit., p. 52-53 ainsi que MAE, Mexique, Immigration au Mexique, registre 24, Havas, 2 novembre 1938.
-
[22]
MAE, Mexique, registre 77, Albert Bodard, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Paul Reynaud, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Mexico, 2 avril 1940.
-
[23]
MAE, Mexique, registre 17, Havas, 2 et 3 novembre 1938.
-
[24]
MAE, Mexique, registre 24, Albert Bodard, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Paul Reynaud, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 16 avril 1940.
-
[25]
Expression de Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1991.
-
[26]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance générale politique, registre 16, Havas, Paris, 9 août 1936. Propos des officiels mexicains.
-
[27]
Se reporter à la méthodologie de l’excellent livre de Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990.
-
[28]
MAE, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 3 septembre 1936.
-
[29]
MAE, Mexique, registre 16, Havas, 21 août 1936. Propos rapportés.
-
[30]
Jean Meyer, La révolution mexicaine, Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 214 et suiv. Notamment sur le pragmatisme et l’habileté de Càrdenas.
-
[31]
MAE, Mexique, registre 16, Havas, Washington, 17 mai 1938.
-
[32]
MAE, Mexique, registre 16, Havas, Mexico, 20 et 23 mai 1938.
-
[33]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 17, Albert Bodard, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Paul Reynaud, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 13 janvier 1940.
-
[34]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance générale politique, registre 17, Havas, « Un message du Président Càrdenas », 5 juin 1938.
-
[35]
Denis Rolland, Vichy et la France libre au Mexique. Guerre, culture et propagande pendant la Deuxième Guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 94.
-
[36]
Maryse Gachie-Pineda, Réel, idéologie et pensée politique dans le Mexique cardeniste (1937-1940) : Vicente Lombardo Toledano et José Vasconcelos, Claude Fell (dir.), Paris, Thèse Université Paris III, 1984, p. IV.
-
[37]
François Chevalier, L’Amérique latine de l’indépendance à nos jours, Paris, PUF, 1977, p. 576.
-
[38]
Jean Meyer, op. cit., p. 221.
-
[39]
MAE, Mexique, registre 77, Havas, 3 août 1936.
-
[40]
Thomas Hugh estime que 90 mexicains se sont engagés dans les brigades. Pour Lois Elwyn Smith, ils sont 150. Pedro Vives souligne une participation mexicaine plus importante : 454 volontaires.
-
[41]
MAE, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 19 août 1936.
-
[42]
Maraelena Negrete, Relaciones entre la Iglesia y el Estadi de México, México, D. F., El Colegio de México, 1988, p. 217.
-
[43]
MAE (Nantes), Mexico, C, registre 53, Excelsior, 18 octobre 1941.
-
[44]
Jean Meyer, Le sinarquisme : un fascisme mexicain ? 1937-1947, Paris, Hachette, 1977.
-
[45]
MAE, Mexique, registre 17, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 5 janvier 1939.
-
[46]
MAE, Mexique, registre 81, « Étude de M. Goiran et ses acolytes sur le Mexique », 12 août 1938. En 1935, 0,42 % des exportations de pétrole du Mexique vont à la France ; 45,38 % pour le Royaume-Uni, 21,28 % pour les États-Unis et, en troisième position : l’Allemagne avec 9,53 %.
-
[47]
Service historique de l’armée de terre, Mexique, 6 N 331, « Note sur l’achat du pétrole mexicain », 30 septembre 1938.
1 La guerre civile espagnole (1936-1939) ne laisse pas indifférente. Elle agite les passions politiques et mobilise les groupes de pression. À l’ère des masses, les opinions publiques s’activent, relaient ou doublent les institutions. Le 18 juillet 1936, le soulèvement militaire au Maroc s’étend à toute l’Espagne bientôt coupée en deux camps : les loyalistes d’une part qui soutiennent le gouvernement du Frente popular issu des élections du 16 février et les nationalistes, d’autre part, qui s’organisent progressivement autour du général Franco. Les États agissent selon des principes rationnels, leurs intérêts, et manœuvrent afin de traduire leurs priorités et leurs objectifs stratégiques en opportunités concrètes. Les affinités politiques, les doctrines, les sensibilités morales et religieuses créent également des liens qui dépassent les seuls intérêts nationaux. La crise espagnole, dont l’impact est significatif, s’ouvre ainsi sur la scène internationale. La France du Front populaire soutient l’Espagne républicaine appuyée par ailleurs par une puissance opportuniste : l’URSS. En face, l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et dans une moindre mesure le Portugal de Salazar arment et financent la conspiration nationaliste dissidente. Le Royaume-Uni se méfie des tentations extrémistes de la République espagnole mais soutient par principe la diplomatie française. Les États-Unis, quant à eux, restent neutres et lointains. Les puissances mènent une guerre d’influence par Espagnols loyalistes et nationalistes interposés. Une politique officielle de non-intervention, arbitrée par la Société des Nations, enraye momentanément l’enchaînement logique belliqueux entre les nations européennes.
2 Les grandes puissances mises à part et au-delà des frontières de l’Europe, il est intéressant de considérer l’impact de la guerre d’Espagne sur les anciennes colonies espagnoles d’Amérique latine. Ces dernières qui ont progressivement acquis leur indépendance au cours du XIXe siècle sont liées à la Péninsule ibérique par des héritages, culturels et politiques, du passé. La guerre civile espagnole vient donc hanter les consciences et raviver des tensions spécifiques aux pays latino-américains.
3 Le Mexique réagit d’une manière tout à fait originale face aux événements d’Espagne. Son gouvernement soutient ostensiblement les républicains espagnols auxquels il s’identifie. Il leur fournit ainsi des armes, de la nourriture et du pétrole et les défend à la Société des Nations en culpabilisant les démocraties occidentales paralysées par la politique officielle de non-intervention. Les relations entre les républicains d’Espagne et le gouvernement mexicain de Lazaro Càrdenas sont excellentes mais elles demeurent insuffisantes pour influencer le cours des événements. Le Mexique est, en effet, un État à « intérêts limités » et sa positon militante reste marginale en Amérique latine où les républicains espagnols sont loin de faire l’unanimité. Même au Mexique, on ne retrouve pas une opinion publique unifiée pour soutenir la République espagnole derrière son gouvernement. Un conflit similaire à celui d’Espagne y est, en effet, anticipé. Il est récupéré à des fins partisanes de politique intérieure et nous verrons comment la construction de l’identité nationale se fait aussi, au Mexique, par l’intermédiaire de la guerre civile espagnole.
Un État partisan : l’ascendant de Lazaro Càrdenas
Le Mexique et « son action pacificatrice » [1]
4 Au mépris de l’ordre officiel de neutralité prôné par la SDN et les nations européennes, le gouvernement mexicain se fait militant, aussi partisan que les opinions qui investissent les scènes publiques des démocraties occidentales. À l’instar de la France du Front populaire, le gouvernement mexicain a de nombreuses affinités culturelles et idéologiques avec le régime politique espagnol issu des élections du 16 février 1936. Làzaro Càrdenas, élu Président des États-Unis du Mexique en 1934, se lance effectivement dans une politique de type socialiste et affermit le pouvoir de l’État. Personnalité charismatique, son influence personnelle est réelle et son rôle significatif aussi bien dans la gestion de la politique intérieure que dans les relations extérieures. Au Mexique comme en Espagne, des réformes de modernisation sociale, entraînant sécularisation et démocratisation, sont mises en place. La politique agraire, l’enseignement scolaire et la lutte contre l’influence prédominante de la religion sont des objectifs prioritaires. Les questions régionales (catalanes et basques) et militaires (rétrécissement des régiments et troubles importants au Maroc espagnol) sont plus sensibles dans la Péninsule ibérique, l’armée mexicaine étant étroitement liée à l’État et au Parti Révolutionnaire Mexicain. Aussi Càrdenas parlant au nom de l’État et des « secteurs révolutionnaires » de son pays s’identifie-t-il aux forces républicaines espagnoles, « émancipatrices », luttant contre l’oppression des « castes privilégiées de la vieille Espagne » [2].
« Alimenter » la guerre pour la paix
5 L’administration cardeniste fournit du pétrole, des denrées alimentaires et du matériel de guerre aux loyalistes espagnols [3]. Les fusils sont de mauvaise qualité mais il s’agit moins pour Càrdenas de contrebalancer l’aide apportée à Franco par l’Axe Rome-Berlin que de contraindre les démocraties occidentales à sortir de leur passivité. L’État mexicain agit comme un simple groupe de pression exerçant « une pression populaire » [4]. Le gouvernement mexicain ajuste son soutien politique à l’Espagne républicaine sur un rapport de marché entre offreur et demandeur. À la différence de la France, le Mexique fait payer ses livraisons d’armes et de nourriture qui sont seulement exemptes des droits de douane. Notons que les autorités mexicaines sont bien moins exigeantes que l’URSS quant aux modalités de paiement. Si celles-là se contentent du papier monnaie émis par la République espagnole, celle-ci fixe les taux de change et n’accepte que l’or [5]. Le soutien moral et les armes soviétiques coûtent chers mais n’ont pas la même efficacité.
6 Le Mexique est par ailleurs accusé de servir d’intermédiaire à des États neutres ou à des lobbies agissant à partir de pays non-interventionnistes. Les autorités mexicaines réfutent ces accusations et affirment que tout matériel expédié est de fabrication nationale. Aux États-Unis, les groupes de pression pro-loyalistes font toutefois transiter, en pièces détachées, des armes et du matériel aérien par le Mexique. Les opérations sont masquées par des commandes officielles d’entreprises publiques mexicaines. Les équipements militaires sont ensuite montés et envoyés [6]. Certains pays neutres, comme la Colombie, vendent aux républicains espagnols des armes qu’ils ont fait fabriquer dans les usines mexicaines [7].
7 Le Mexique abrite enfin sous son propre pavillon national des bateaux de commerce espagnols. Des passeports mexicains sont accordés à des agents de l’Espagne républicaine qui peuvent ainsi se déplacer discrètement, traverser la frontière avec la France, commercer au profit de leur gouvernement, collecter des renseignements et nuire efficacement aux dissidents nationalistes du général Franco.
La Société des Nations, l’instrument mexicain contre l’Europe de la non-intervention
8 Le soutien des autorités mexicaines aux forces loyalistes espagnoles a deux objectifs : la paix dans la Péninsule ibérique et la sécurité collective au niveau international.
9 Le Mexique justifie sa position par le droit. Sa stratégie est essentiellement juridique. Mais il n’a ni la force ni l’influence internationale adéquate pour obtenir des résultats concrets.
10 La politique étrangère de Làzaro Càrdenas a toujours eu deux priorités : la coopération entre les nations et la paix mondiale. Au sein de la SDN, le Mexique a soutenu les sanctions contre l’Italie lors de l’occupation de l’Éthiopie et condamne l’invasion de la Chine par les Japonais.
11 Pour défendre l’Espagne républicaine, le gouvernement Càrdenas oppose l’universalité de la SDN au principe non-interventionniste élaboré par des grandes puissances soucieuses de contenir la guerre civile (démocraties occidentales) ou d’entraîner des troupes et tester le matériel militaire (Axe Rome-Berlin). Le Mexique revendique l’article 10 du Pacte de la SDN. Celui-ci stipule que « les Membres de la Société s’engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tous les Membres de la Société » [8]. Les autorités mexicaines demandent une motion déterminant les responsabilités de l’Allemagne et de l’Italie dans ce conflit.
12 Les interventions mexicaines ont ainsi peu d’effets. Le Mexique est un pays à intérêts limités et la SDN est moribonde à la fin des années 1930. L’ « action pacificatrice » du pays est par ailleurs marginale sur le continent américain (reconnaissance du gouvernement Franco par plusieurs États latino-américains, échec des interventions mexicaines en faveur de l’Espagne républicaine lors des conférences panaméricaines, neutralité des États-Unis).
Entre militantisme et diplomatie
13 Plusieurs thèmes ont déjà été étudiés [9] : les projets sans suite d’un rapprochement franco-espagnol ou franco-mexicain, la hantise allemande du Quai d’Orsay, les échanges réciproques des diplomates, des militaires, des syndicalistes et des intellectuels français avec leurs homologues hispaniques, les perceptions stéréotypées des élites et des opinions publiques. Concentrons-nous désormais sur les liens privilégiés existant entre le gouvernement mexicain et l’Espagne républicaine.
La « situation tout à fait exceptionnelle » [10] du Mexique auprès des autorités loyalistes espagnoles.
14 Les excellents rapports existant entre le gouvernement mexicain et les autorités républicaines d’Espagne peuvent être étudiés en analysant les nombreux échanges d’hommages et d’espérances. Nous avons toutefois privilégié les actions aux paroles. Les livraisons d’armes et de marchandises, étudiées précédemment, ont ainsi une portée beaucoup plus concrète que les seuls discours de soutien et d’espoir. L’évacuation de l’ambassade mexicaine à Madrid des asilés espagnols qui soutiennent la rébellion nationaliste du général Franco est tout aussi significative.
15 Le début de la guerre civile d’Espagne provoque de nombreux déplacements de population. Selon leurs opinions politiques, beaucoup d’Espagnols quittent une région administrée par les loyalistes pour se réfugier chez les nationalistes, et inversement. Ceux qui restent bloqués dans une ville cherchent à se protéger dans les ambassades et les consulats étrangers rapidement surpeuplés.
16 Ainsi, en octobre 1936, Alvarez del Vayo, ministre espagnol des Affaires étrangères, fait du droit d’asile « un régime d’exception prévu pour le cas d’un groupe réduit de personnes ou pour une personnalité » [11]. Par cette décision, le gouvernement républicain vise tout particulièrement les délégations américaines qui, au nom de la Convention panaméricaine signée à La Havane en 1928, ont accueilli de nombreux opposants espagnols. Mais le Corps diplomatique étranger présent en Espagne proteste auprès du Président de la République, Manuel Azaña, qui partage ses convictions. Les asiles se multiplient ainsi dans les ambassades surpeuplées sans que les évacuations soient prévues.
17 Le Mexique abrite 600 [12] à 800 [13] personnes dans ses locaux madrilènes. Les autorités loyalistes espagnoles donnent, en priorité, l’autorisation à l’ambassade mexicaine de les évacuer, tout en facilitant leur transport (notamment vers la France). Les autres délégations ne bénéficient pas de ce régime d’exception.
18 Les représentants diplomatiques français sur place expliquent la situation privilégiée du Mexique vis-à-vis des autorités républicaines espagnoles comme la conséquence d’une double affinité : culturelle (deux nations de « race ibérique ») et politique (deux « États communisants »). Le gouvernement de Lazaro Càrdenas soutient, en effet, la République espagnole sans la même ambiguïté que les démocraties occidentales vis-à-vis desquelles il se marginalise. Il se retrouve également isolé sur le continent américain où les républicains d’Espagne sont loin de faire l’unanimité. Si les autorités mexicaines ont ainsi des affinités politiques avec le Frente popular espagnol qu’elles associent aux forces révolutionnaires de leur pays, il y aurait aussi, selon elles, un lien de parenté ethnique : le lien ibérique et « métissé » entre les Mexicains et les loyalistes républicains en rejetant le seul aspect ibérique de la « vieille Espagne » où les nationalistes franquistes sont apparentés aux anciens colonisateurs du Nouveau continent.
La politique mexicaine de l’Espagne nationaliste et de la République espagnole
19 Le Mexique de Càrdenas ne reconnaît pas le gouvernement nationaliste espagnol, y compris son personnel représentatif : l’ambassade officieuse du mouvement insurrectionnel présidée par M. Pujadas, ancien premier secrétaire de la délégation officielle [14]. Ceci n’empêche pas l’influence de la cause franquiste auprès de la colonie espagnole au Mexique et au sein de l’opinion mexicaine.
20 Pendant la guerre civile, des projets sur la place future de l’Espagne dans le monde sont avancés par les responsables politiques des deux camps opposés. Les franquistes évoquent une « politique d’Empire » dont le contenu reste flou mais qui fait référence à l’unité du monde hispanique : les pays latino-américains seraient étroitement liés à la « renaissance », au « relèvement de notre nation » [15].
21 Dans le camp républicain, très divisé entre radicaux de gauche, socialistes, communistes, trotskistes et anarchistes, deux projets antagonistes sont élaborés. L’ambassadeur de France en Espagne en parle comme « l’amorce d’une politique républicaine impériale » [16].
- L’ancien ministre espagnol de la Défense, Indalecio Prieto, appuyé par la majorité des socialistes et des républicains de gauche, projette un rapprochement politique et économique avec les pays latino-américains « qui détacherait résolument [l’Espagne] du continent européen ».
- Le chef du gouvernement espagnol, Juan Negrin, soutenu par les communistes, rend hommage à la communauté hispanique dans son ensemble mais n’exclut pas les démocraties européennes qui devraient jouer un rôle important dans la reconstruction du pays. Negrin rappelle l’universalité de l’Espagne, se réfère opportunément à « l’universalisme catholique » [17] et à la « Fête de la Race » du 12 octobre.
23 Nationalistes et loyalistes définissent une identité collective avec les latino-américains. Si les uns et les autres évoquent la fraternité et les liens culturels, la rhétorique franquiste se base nettement sur le catholicisme. Les républicains évoquent la justice sociale et le progrès auxquels s’identifient les autorités mexicaines [18]. Càrdenas compare la République espagnole – le « peuple » – à la « dernière colonie de l’Espagne impériale » colonisatrice [19].
Le réfugié espagnol : le « privilégié » de l’immigration au Mexique.
24 De nombreuses études ont été rédigées sur l’exil des républicains espagnols consécutif à la victoire franquiste : les cinq cent mille réfugiés, massés en France et répartis dans des camps ; la précarité, leur organisation et pour certains le retour progressif en Espagne ; le coût financier assumé en grande partie par l’État français ; les engagements dans l’armée française, celle de la France libre ; les émigrations vers l’Amérique ou d’autres, rarissimes, vers l’URSS ; les deux organisations antagonistes pour l’aide aux réfugiés : le Service d’émigration pour les républicains espagnols (SERE) dirigé par Negrin et la Junte d’aide aux réfugiés espagnols (JARE) de Prieto ; les organisations politiques espagnoles au sein des camps français ; et enfin l’interdiction du SERE en France consécutive à la dissolution du Parti communiste français qui soutient le pacte germano-soviétique d’août 1939.
25 Considérons toutefois la place attribuée aux réfugiés espagnols par le Mexique, dont l’État est le plus accueillant d’Amérique.
26 Les autorités mexicaines ont antérieurement défini de véritables politiques d’immigration. Si la loi de 1930 protégeait les nationaux dans le domaine économique, celle de 1936 a pour objectif de « régénérer l’indien » impliquant un flux d’immigration adapté à « la politique de nationalisation et de fusion » [20] et une meilleure répartition « des races sur le territoire ». Le pays est vaste et a une densité moyenne de population d’un habitant au kilomètre carré (16,5 millions d’habitants pour 1,8 million de kilomètres carrés). Les moyens mis en application suivent « la tendance générale du socialisme mexicain » : « services de fiches anthropométriques », « inventaire scientifique », « classification méthodique »…
27 Le nombre de touristes admis sur le territoire est régulé.
28 Une véritable sélection à l’immigration est organisée : les Américains et les Espagnols sont prioritaires sans limitation d’effectifs ; puis jusqu’à 1000 (1939) et 5000 (1938) immigrés, par an, pour les principaux pays d’Europe et le Japon ; jusqu’à cent pour les autres nations (dont l’URSS) [21]. Les professions agricoles, industrielles et commerciales (d’exportation) sont privilégiées au détriment des ouvriers, des intellectuels et artistes, des petits commerçants et des professions libérales.
29 Pendant la guerre civile d’Espagne, le Mexique accueille quelques centaines d’orphelins espagnols et de combattants des Brigades internationales qui ne peuvent plus retourner sans danger dans leur pays d’origine. Cette hospitalité n’est pas incompatible avec la politique d’immigration mexicaine qui prévoit une clause spécifique aux étrangers ayant perdu leur nationalité, surtout s’ils sont jeunes, de sexe masculin et célibataires. La chute de la République espagnole accroît le nombre de réfugiés. Les voyages et les installations au Mexique sont financés par le SERE, la JARE, le Mexique et la France.
30 Làzaro Càrdenas les accueille à bras ouverts, théoriquement en quantité illimitée. Mais l’opinion publique mexicaine n’est pas du tout réceptive et témoigne de son mécontentement. Sur les cinq cent mille réfugiés qui ont quitté l’Espagne, seuls huit mille sont au Mexique en 1940 [22].
31 Les autorités mexicaines sont donc bien disposées à l’égard des Espagnols. En revanche, elles sont beaucoup plus exigeantes avec d’autres demandeurs d’asile. À la fin de l’année 1938, 21 Juifs allemands fuyant leur pays d’origine sont refoulés du Mexique pour les raisons suivantes : ils ne sont pas considérés comme exilés politiques, ne possèdent que des visas touristiques et ne disposent pas de « la somme exigée en dépôt pour entrer » [23].
32 Enfin, en 1940, des dispositions sont prises pour éviter l’afflux de réfugiés consécutif à la guerre en Europe, le Mexique n’accepte plus que « des capitalistes européens pouvant justifier un placement de capitaux (100 mille piastres pour le District Fédéral ou 50 mille piastres pour le reste de la contrée) » [24].
La guerre civile espagnole « vécue » au Mexique : « les forces profondes » [25]
« L’expérience d’Espagne interdit de nous laisser surprendre » [26] : récupération de la dialectique de la guerre d’Espagne au Mexique
33 Les périodes de confusion sont propices aux stigmatisations politiques et aux confrontations manichéennes. La guerre civile espagnole ranime les tensions proprement mexicaines, mobilise les opinions antagonistes et génère fantasmes et « événements imaginaires » [27]. Un conflit est anticipé au Mexique qui ne prend pas seulement en compte les forces idéologiques opposées, comme en France, mais aussi les confrontations sur les définitions d’une identité nationale proprement mexicaine. L’imaginaire de la conquête espagnole est ravivé. Les partisans de « l’hispanité » et les « indigénistes » s’affrontent : « les conservateurs, en raison d’affinités ethniques, politiques et religieuses, […] rangés du côté des rebelles [espagnols] avec le secret espoir de voir quelque général Franco entreprendre, lui aussi, au Mexique, la restauration d’un ordre favorable à leurs intérêts et conforme à leurs goûts [contre] les métis qui soutiennent depuis vingt ans la Révolution mexicaine, les fonctionnaires et les syndicats ouvriers » [28].
34 Trois étapes de la politique intérieure du Mexique rendent compte de la récupération de la guerre civile espagnole :
- Tout d’abord, notons le désordre provoqué par la confrontation de l’État avec des groupuscules subversifs de la droite extrémiste mexicaine. Ces derniers sont minoritaires mais leur rôle est sciemment amplifié par le Président Lazaro Càrdenas. Il s’agit notamment des chemises dorées de l’Acciòn Revolucionaria Mexicanista qui agitent « la menace rouge » du « bolchevisme [qui] est train de prendre la direction des affaires mexicaines. Il en résultera sans doute très prochainement les mêmes faits qui se produisent actuellement en Espagne » [29]. Contre cette menace « des éléments patronaux, militaires et les chemises dorées » des milices ouvrières s’organisent avec la complicité du gouvernement mexicain. Cette crise, pourtant éphémère, se fait sur fond de grève générale. Les chemises dorées sont aisément défaites et leurs chefs exilés.
- Mais ce climat est réactivé, en 1938, lors du conflit provoqué par Lazaro Càrdenas afin de se débarrasser du général Cedillo [30], un ancien allié politique devenu gênant. Le Président mexicain pousse ce dernier à la faute puis à l’isolement. Il n’est plus bon de le fréquenter. Càrdenas met à profit un contexte difficile : la nationalisation des ressources pétrolières suivie par les pressions politiques de Londres et de Washington. Mais il bénéficie aussi d’un véritable engouement populaire dont il a réveillé la fibre nationaliste contre les étrangers anglo-saxons propriétaires des raffineries de pétrole. Les amalgames sont nombreux. Cedillo, entouré de ses derniers fidèles, est accusé de vouloir fomenter un coup d’État à tendance fasciste, avec l’appui de Berlin [31]. On se croirait en pleine guerre civile espagnole. Les troupes régulières mexicaines sont mobilisées. Cedillo aurait par ailleurs 20 mille soldats et 57 avions dont des modèles allemands [32]. L’opinion s’inquiète. En fait Càrdenas se débarrasse aisément du prétendu soulèvement dans la mesure où son adversaire, sans influence, n’a jamais reçu l’aide allemande et ne bénéficie pas du soutien d’une telle armée.
- Enfin, en 1940, la guerre civile espagnole est encore récupérée et vient parasiter la campagne politique pour les élections présidentielles. Les actes de violence sont nombreux. À cette date, l’administration cardeniste s’essouffle tandis que le candidat de l’opposition, Almazàn, connaît un succès important. Le gouvernement est alors accusé d’avoir accueilli les réfugiés républicains espagnols dans le but d’affermir son pouvoir. Minoritaires au Mexique, les communistes s’agitent, soutiennent le pacte germano-soviétique et réclament « l’armement d’un demi-million d’ouvriers et de paysans » contre Almazàn et « le triomphe de la réaction ». Le peintre communiste Siqueiros, personnalité influente au Mexique et combattant volontaire en Espagne, attaque verbalement Càrdenas : « Si tu n’épures pas ton gouvernement […] il peut arriver à ton régime ce qui est arrivé au régime espagnol. » [33] Le gouvernement mexicain a, en effet, rompu ses relations diplomatiques avec l’URSS.
Les partisans de la République espagnole : « la marche normale de la nation » [34]
36 Le système politique mis en place par le très charismatique Président Càrdenas n’est pas ébranlé par tous ces débordements qu’il a réussi à exploiter à son profit.
37 Il réussit d’abord à neutraliser le Parti National Révolutionnaire, parti unique hérité de la présidence de Calles, pour créer, en 1938, son propre rassemblement – officiel – associant étroitement l’armée, les intellectuels, les fonctionnaires, les organisations ouvrières et paysannes. Le Parti Révolutionnaire Mexicain est ainsi crée. Les réseaux sur lesquels se basent les autorités cardenistes sont donc considérables et influents.
38 Considérons ainsi les organisations ouvrières et paysannes toutes chapeautées par des associations génériques subordonnées au gouvernement :
- La Confédération des Travailleurs Mexicains rassemble, en 1937, 3183 organisations ouvrières, soit six cent mille personnes environ [35]. La CTM, dirigée par le syndicaliste Lombardo Toledano ( « conscience notoirement marxiste » [36]) constitue le soutien le plus efficace au gouvernement cardeniste. Toledano dirige également l’Université ouvrière de Mexico, à sa création en 1936, et fonde en juin 1938 le journal El popular.
- La Confédération paysanne, quant à elle, réunit quatre millions de travailleurs – près d’un habitant sur cinq – lors de sa création en 1938 [37].
40 Ces immenses structures ne rendent toutefois pas compte des dissensions au sein de cette pléthore de syndicats, des mécontentements d’associations paysannes avec l’arrivée des milliers de réfugiés espagnols ou encore du soutien des cheminots au général Almazàn, candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 1940 [38].
41 Càrdenas entend aussi subordonner les intellectuels au domaine politique et les associer étroitement au projet culturel de l’État.
42 La nouvelle Université – ouvrière – est une matrice et un véritable laboratoire idéologique. Les intellectuels d’avant-garde, engagés politiquement, répondent présent. Avec les fonctionnaires, ils font partie de la catégorie « populaire » du Parti Mexicain Révolutionnaire.
43 Autre relais pédagogique et de diffusion culturelle, la Casa de España, ouverte en juillet 1938, accueille les intellectuels espagnols en exil, bientôt intégrés dans les écoles, les universités et les journaux mexicains.
44 Si le gouvernement cardeniste envoie du matériel militaire en Espagne, il se défend d’y engager des troupes. En revanche, il encourage les manifestations de soutien organisées notamment par l’ambassade républicaine espagnole au cours desquelles sont enrôlés des volontaires qui iront grossir les rangs des régiments loyalistes en Espagne [39]. La guerre civile espagnole est aussi connue pour l’engagement de milliers d’hommes aguerris venus de tous les pays et rassemblés dans les fameuses brigades internationales. Les Français forment le groupe le plus important comprenant environ le tiers des effectifs totaux (10000 sur 35000 ; pas plus de 18000 internationaux, toutes nationalités confondues, ont combattu en même temps sur le sol espagnol) et comptent proportionnellement moins de communistes que les combattants qui, « indésirables » dans leur pays, viennent d’Allemagne, d’Italie et d’Autriche. Les bataillons internationaux se constituent sur des critères nationaux. Le nombre de volontaires mexicains est réduit mais difficilement appréciable [40]. En outre, parlant la même langue, ils sont intégrés directement dans les troupes régulières espagnoles.
Les opposants
45 Au Mexique, les adversaires du régime politique de Càrdenas sont aussi généralement les opposants de la République espagnole. Distinguons trois courants principaux :
46 — Tout d’abord, la communauté espagnole, émigrée sur le territoire mexicain, manifeste son soutien immédiat au soulèvement nationaliste du général Franco [41]. Les Espagnols – essentiellement des industriels et des commerçants – sont bien implantés au Mexique. Plusieurs membres de cette colonie, majoritairement conservatrice, s’investissent dans la cause franquiste. Ils se détournent de l’ambassade républicaine espagnole au profit de la délégation officieuse du général Franco présente au Mexique. Les formalités administratives et juridiques les concernant s’effectuent dès lors à l’ambassade du Portugal. Des revues telles que Vida española et El diario español sont créées ainsi qu’une section phalangiste qui collecte des fonds financiers pour les rebelles nationalistes espagnols.
47 — Puis, la politique de soutien à l’Espagne républicaine poursuivie par Càrdenas fait l’union des opposants mexicains. À défaut de l’avant-garde intellectuelle d’extrême gauche, la majorité de l’intelligentsia mexicaine – notamment universitaire autour de l’Université autonome – est hostile à Càrdenas. Des journaux influents, tels Escelsior et Universal, critiquent les accointances idéologiques qui existent entre le gouvernement mexicain et l’Espagne républicaine. Ces modérés ne s’identifient pas aux nationalistes espagnols mais ils critiquent la mainmise socialiste de l’éducation et de l’enseignement par l’État, l’accueil des réfugiés espagnols ( « agitateurs politiques en puissance ») ou encore l’hospitalité offerte en janvier 1937 à Léon Trotsky, indésirable en URSS.
48 En revanche, l’église catholique mexicaine relaie véritablement la cause franquiste au sein de l’opinion publique. Hispaniste, l’épiscopat envoie un message d’espoir et de soutien aux nationalistes espagnols en juillet 1937 [42].
49 Le franquisme est enfin un modèle politique pour une organisation qui connaît un essor considérable à partir de 1938 : l’Uniòn Nacional Sinarquista. Créée par des Mexicains de la classe moyenne, elle se développe rapidement parmi les ruraux jusqu’à l’adhésion d’un demi-million de militants. Le sinarquisme est une formation qui, épousant le catholicisme et l’hispanité, rejette le capitalisme, le libre-échange et le socialisme. Des personnalités proches du gouvernement cardeniste associent les sinarquistes à « la cinquième colonne » subordonnée aux propagandes de l’Allemagne, de l’Italie, de Franco et tentée par la contre-révolution au Mexique [43]. Construite sur une mystique pro-franquiste, cette organisation nationaliste est en fait un avatar fascisant qui se défie toutefois du nazisme allemand, du fascisme italien. Ce mouvement condamne, étonnement, la violence [44].
50 — Enfin, un réel mécontentement populaire naît aussi de la politique espagnole de Càrdenas. Cette opposition n’est absolument pas le fait de préoccupations idéologiques. Ce courant contestataire a des origines beaucoup plus sociologiques et économiques. Il se réclame d’un sentiment d’injustice relatif aux facilités de travail et de logement dont bénéficient les réfugiés espagnols (achats d’haciendas par le gouvernement, plans établis par les autorités, etc.) lorsque la majorité de la population mexicaine vit dans la précarité.
51 Pour conclure, interrogeons-nous sur l’efficacité politique réelle d’un État-nation à « intérêts limités » sur la scène internationale ? Le Mexique soutient l’Espagne républicaine à qui il livre des armes de mauvaise qualité et qu’il défend vainement devant les membres de la Société des Nations. L’appui moral et l’aide aux réfugiés espagnols ont toutefois le mérite d’exister. La récupération proprement mexicaine de la guerre d’Espagne ravive les antagonismes sociaux. Aux confrontations des forces idéologiques s’ajoutent également, au Mexique, les polémiques sur la construction d’une identité nationale où les « indigénistes » s’identifient aux loyalistes outragés et où les partisans de « l’hispanité » sont confondus avec les nationalistes de la « Vieille Espagne », celle de la conquête des siècles passés.
52 La position internationale d’un pays qui n’a pas les moyens de ses prétentions politiques reste donc secondaire. L’attitude ferme du Mexique vis-à-vis de la guerre civile espagnole est pleine de paradoxes. Les exigences du réalisme rattrapent les ambitions idéalistes. La question du pétrole mexicain est ainsi significative. La nationalisation des ressources pétrolières par Càrdenas est un événement politique majeur. En 1936, le Mexique est le septième producteur mondial de pétrole mais son rendement a considérablement baissé depuis les années 1920 à cause de sa dépendance vis-à-vis des États-Unis qui, de consommateurs, puisent dans leurs propres ressources et s’adressent au concurrent vénézuélien. Les Mexicains exportent près de la moitié de leur pétrole et consomment le reste. Avec la nationalisation des ressources du sous-sol, effectuée par Càrdenas en 1938, les compagnies anglaises et nord-américaines sont expropriées. Les Britanniques rompent leurs relations diplomatiques et projettent d’importantes sanctions, bientôt suivis par les États-Unis de Roosevelt beaucoup plus complaisants [45]. Pour écouler le pétrole, le gouvernement cardeniste se tourne vers la France qui a pourtant toujours été une cliente insignifiante [46]. Les Français ne souhaitent toutefois pas perturber leur propre approvisionnement et n’entendent pas contrarier les Anglais avec qui des discussions sérieuses sont en cours sur leur ravitaillement respectif en cas de guerre avec l’Allemagne [47].
53 Afin d’éviter une véritable crise de politique intérieure, le Mexique socialiste de Càrdenas – fidèle allié de l’Espagne républicaine – est obligé de vendre son pétrole aux Allemands et aux Italiens. Situation paradoxale d’un pays militant forcé de fournir des ressources considérables à ceux-là même qui ravitaillent Franco.
54 Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale pour que les États-Unis se substituent aux forces de l’Axe comme acheteurs privilégiés du pétrole mexicain.
Notes
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[1]
Ministère des Affaires étrangères (MAE), correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, Télégramme à l’arrivée, Genève, 2 avril 1937. Service historique de l’armée de terre, 7 N 3373, « Le Mexique et les affaires d’Espagne », Note du gouvernement mexicain au secrétariat de la SDN, 2 avril 1937.
-
[2]
Centro Republicano Español de Mexico, México y la Repùblica española. Antologia de documentos. 1931-1977, Mexico, CRE, 1978, p. 23.
-
[3]
MAE (Quai d’Orsay), Correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 3 septembre 1936. Comme la France, le Mexique dissimule les caisses d’armes avec des produits agricoles.
-
[4]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 17, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 15 septembre 1938. « Congrès contre la guerre et le fascisme » tenu à Mexico du 11 au 15/09/1938.
-
[5]
Loïs Elwyn Smith, Mexico and the Spanish republicans, Berkeley, University of California Press, 1955, p. 190.
-
[6]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, 15/01/1937.
-
[7]
MAE, correspondance politique générale, Mexique, registre 16, 04/09/1936. Signalons à cette date la vente de 5000 fusils.
-
[8]
Pacte de la SDN avec annexe, Genève, 22 avril 1932, SHAT, 7 N 3373, « Le Mexique et les affaires d’Espagne », Note du gouvernement mexicain au secrétariat de la SDN, 2 avril 1937.
-
[9]
Se reporter au mémoire d’Eddy Noblet, Le Mexique face à la guerre civile espagnole. Le rapport de la diplomatie française du soulèvement péninsulaire au régime de Vichy, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
-
[10]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance politique générale, registre 16, M. Barbier, chargé d’affaires français à Valence, Télégramme à l’arrivée, 13 mai 1937.
-
[11]
MAE, Espagne, registre 188, M. Bonjean, chargé d’affaires de France à Madrid à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, 15 octobre 1936. Lorsque les troupes franquistes occupent Madrid en 1939, le droit d’asile et les évacuations sont aussi difficiles à préserver. Le Corps diplomatique étranger, plus spécifiquement les délégations américaines, proteste énergiquement auprès des autorités franquistes : MAE, Espagne, registre 189, Philippe Pétain, ambassadeur de la République française en Espagne (dépêché le 25 mars 1939), à Édouard Daladier, ministre des Affaires étrangères, Saint-Sébastien, 16 octobre 1939, et, Madrid, 18 décembre 1939.
-
[12]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 16, ministère à M. Barbier, chargé d’affaires de France à Valence, Paris, 11 mars 1937.
-
[13]
Centro Republicano Español de México, op. cit., p. 27. Les locaux exigus obligent de nombreuses délégations étrangères à acheter des bâtiments proches des ambassades.
-
[14]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance générale politique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Pierre-Etienne Flandin, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 19 août 1936.
-
[15]
Notamment à la fin de la guerre : MAE, Espagne, registre 140, Philippe Pétain, ambassadeur de la République française en Espagne, à Édouard Daladier, ministre des Affaires étrangères, Madrid, 29 novembre 1939.
-
[16]
MAE, Espagne, registre 205, Eirik Labonne, ambassadeur de la République française en Espagne (octobre 1937 à novembre 1938), à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, Barcelone, 15 octobre 1938.
-
[17]
Notons que l’interdiction du culte, les nombreuses destructions d’églises et les exécutions de prêtres n’ont pas pu définitivement arrêter la pratique religieuse qui s’effectue dans la clandestinité. Certains combattants loyalistes étant eux-mêmes imprégnés d’une éducation catholique, une politique de tolérance du culte est mise en place dans la zone républicaine, à partir de 1937.
-
[18]
Centro Republicano Español de México, op. cit., p. 59, « Hermanos de Raza », 13 juin 1939.
-
[19]
Loïs Elwyn Smith, op. cit., p. 170.
-
[20]
MAE, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, 10 septembre 1936. Commentaires sur les politiques mexicaines d’immigration.
-
[21]
Centro Republicano Español de México, op. cit., p. 52-53 ainsi que MAE, Mexique, Immigration au Mexique, registre 24, Havas, 2 novembre 1938.
-
[22]
MAE, Mexique, registre 77, Albert Bodard, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Paul Reynaud, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Mexico, 2 avril 1940.
-
[23]
MAE, Mexique, registre 17, Havas, 2 et 3 novembre 1938.
-
[24]
MAE, Mexique, registre 24, Albert Bodard, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Paul Reynaud, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 16 avril 1940.
-
[25]
Expression de Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1991.
-
[26]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance générale politique, registre 16, Havas, Paris, 9 août 1936. Propos des officiels mexicains.
-
[27]
Se reporter à la méthodologie de l’excellent livre de Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990.
-
[28]
MAE, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 3 septembre 1936.
-
[29]
MAE, Mexique, registre 16, Havas, 21 août 1936. Propos rapportés.
-
[30]
Jean Meyer, La révolution mexicaine, Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 214 et suiv. Notamment sur le pragmatisme et l’habileté de Càrdenas.
-
[31]
MAE, Mexique, registre 16, Havas, Washington, 17 mai 1938.
-
[32]
MAE, Mexique, registre 16, Havas, Mexico, 20 et 23 mai 1938.
-
[33]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, registre 17, Albert Bodard, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Paul Reynaud, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 13 janvier 1940.
-
[34]
MAE, correspondance politique et commerciale, Mexique, correspondance générale politique, registre 17, Havas, « Un message du Président Càrdenas », 5 juin 1938.
-
[35]
Denis Rolland, Vichy et la France libre au Mexique. Guerre, culture et propagande pendant la Deuxième Guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 94.
-
[36]
Maryse Gachie-Pineda, Réel, idéologie et pensée politique dans le Mexique cardeniste (1937-1940) : Vicente Lombardo Toledano et José Vasconcelos, Claude Fell (dir.), Paris, Thèse Université Paris III, 1984, p. IV.
-
[37]
François Chevalier, L’Amérique latine de l’indépendance à nos jours, Paris, PUF, 1977, p. 576.
-
[38]
Jean Meyer, op. cit., p. 221.
-
[39]
MAE, Mexique, registre 77, Havas, 3 août 1936.
-
[40]
Thomas Hugh estime que 90 mexicains se sont engagés dans les brigades. Pour Lois Elwyn Smith, ils sont 150. Pedro Vives souligne une participation mexicaine plus importante : 454 volontaires.
-
[41]
MAE, Mexique, registre 16, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 19 août 1936.
-
[42]
Maraelena Negrete, Relaciones entre la Iglesia y el Estadi de México, México, D. F., El Colegio de México, 1988, p. 217.
-
[43]
MAE (Nantes), Mexico, C, registre 53, Excelsior, 18 octobre 1941.
-
[44]
Jean Meyer, Le sinarquisme : un fascisme mexicain ? 1937-1947, Paris, Hachette, 1977.
-
[45]
MAE, Mexique, registre 17, Henri Goiran, ministre plénipotentiaire de France au Mexique, à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, Mexico, 5 janvier 1939.
-
[46]
MAE, Mexique, registre 81, « Étude de M. Goiran et ses acolytes sur le Mexique », 12 août 1938. En 1935, 0,42 % des exportations de pétrole du Mexique vont à la France ; 45,38 % pour le Royaume-Uni, 21,28 % pour les États-Unis et, en troisième position : l’Allemagne avec 9,53 %.
-
[47]
Service historique de l’armée de terre, Mexique, 6 N 331, « Note sur l’achat du pétrole mexicain », 30 septembre 1938.