Hérodote 2019/2 N° 173

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Article de revue

Y a-t-il une géopolitique du nationalisme hindou ?

Pages 7 à 28

Notes

  • [1]
    Directeur de recherche émérite au CNRS (CEIAS/EHESS) et chercheur senior à Asia Centre.
  • [2]
    Dans le langage courant, le chowkidar, terme hindi, est le gardien d’un immeuble ou d’une propriété. Appliqué au Premier ministre, le chowkidar devient tout à la fois la vigie, la sentinelle, le protecteur de la nation.
  • [3]
    Hébergeant la troisième population musulmane du monde derrière l’Indonésie et le Pakistan, l’Inde n’a jamais pu être membre de l’Organisation de la coopération islamique ni même observateur (un statut pourtant dévolu à la Russie en 2005) en raison de l’opposition constante du Pakistan.
  • [4]
    Dans les milieux extrémistes hindous circulent des cartes de l’Akhand Bharat intégrant aussi l’Afghanistan, le Népal, le Tibet, la Birmanie, le Sri Lanka, voire l’Asie du Sud-Est, qui rappellent en les inversant, des cartes qui circulent dans les mêmes milieux, cartes attribuées aux jihadistes pakistanais redessinant un Pakistan intégrant le Cachemire, mais aussi toute l’Inde du Nord et le Bangladesh, sous le nom de Mughulstan.
  • [5]
    L’auteur évoque ici des thèmes chers au RSS et à la Vishwa Hindu Parishad, des campagnes contre l’abattage des vaches et la consommation de bœuf à celles pour construire le temple de Ram à Ayodhya, le « jihad de l’amour » évoquant les attaques contre les couples mixtes musulmans-hindous, la séduction des jeunes filles hindoues par des jeunes gens musulmans étant perçue par les milices de l’hindutva comme un jihad délibéré pour favoriser les conversions à l’islam.

1 En remportant en mai 2014 31 % des suffrages exprimés, le Bharatiya Janata Party (BJP : Parti du peuple de Bharat, le vieux nom sanskrit de l’Inde) a accompli l’exploit de remporter à lui seul la majorité des sièges de la chambre basse du Parlement, la Chambre du peuple. Cela faisait trente ans qu’un tel succès n’était advenu. Le nouveau Premier ministre, Narendra Modi, compta pour beaucoup dans cette victoire. Il avait tablé sa campagne sur le « développement pour tous », thème classique s’il en est : son opposant majeur, le parti du Congrès au pouvoir de 2004 à 2014, avait dix ans durant plaidé pour un « développement inclusif ». Modi lui-même n’avait pas surjoué la carte idéologique du BJP, bras politique du nationalisme hindou, car chacun savait ce qu’il en était à cet égard. Les seconds ou troisièmes couteaux, pour leur part, étaient plus explicites : une stratégie duale bien rodée...

2 À l’heure où ce numéro d’Hérodote est rédigé, le mandat de Narendra Modi touche à sa fin, et les nouvelles élections générales approchent. Si son bilan politique et son bilan économique sont intensément débattus, tant dans la campagne électorale que chez les observateurs, c’est un autre volet qui retiendra ici l’attention. Alors que les idéologues du régime soulignent ce qui est spécifique, et authentiquement indien à leurs yeux, dans l’action du BJP au pouvoir, et que l’active politique étrangère de Narendra Modi fait aussi l’objet d’évaluations, l’on voudrait tenter ici de lier les deux en s’interrogeant sur les formes que peut prendre la relation entre nationalisme hindou et géopolitique indienne. Il s’agit, sans aucun doute, d’une affaire de degrés, et non d’un déterminisme simpliste qui définirait, idéologie oblige, une politique étrangère spécifique. Mais tenter de répondre à cette question, c’est aussi mesurer le poids des invariants, ou des simples ajustements qui donnent une coloration safran – la couleur de l’hindouisme et du drapeau de ses organisations les plus militantes – sans pour autant briser avec l’héritage du dernier quart de siècle, qui a vu l’Inde postcoloniale entrer dans une nouvelle phase, que j’appelle post-postcoloniale [Racine, 2006] où le pays émergent s’affirme, tout en voyant grandir l’écart qui le sépare de la nouvelle puissance chinoise.

L’hindutva, l’Inde et le monde : les sources idéologiques du nationalisme hindou

3 Un concept clé unit la grande nébuleuse du nationalisme hindou, celle qu’on appelle le Sangh Parivar (la famille des organisations) : celui de l’hindutva, qu’on peut traduire par hindouité. Son théoricien, Vinayak Damodar Savarkar, en publia en 1923 la doctrine dans un petit ouvrage intitulé Qui est un hindou ?, republié ensuite, et constamment réimprimé, sous le titre Hindutva. Who is a Hindu ? Dépassant les multiples rites et croyances des diverses formes de l’hindouisme, l’idéologue fonde sa vision identitaire d’une nation indienne non pas construite au xixe siècle contre l’Empire britannique, mais existant depuis des millénaires, et forgé par deux paramètres : une terre, Aryavarta, la demeure des Aryens, ou Bharatvarsha, le domaine de Bharat, ou l’Hindoustan, comprise entre l’Indus et le delta du Gange, et l’adhésion à une culture héritée des védas et des textes sacrés du brahmanisme et de l’hindouisme, mais qui dépasse les pratiques ou les croyances religieuses :

4

L’hindutva n’est pas un mot, mais une histoire. Pas seulement l’histoire spirituelle ou religieuse de notre peuple, comme il est parfois erronément confondu avec le concept d’hindouisme, mais une histoire en entier. L’hindouisme n’est qu’un dérivé, une fraction, un élément de l’hindutva [...]. L’hindutva embrasse toutes les catégories de la pensée et de l’action de l’Être total de notre race hindoue [Savarkar, 2009, p. 3-4].

5 Ces deux paramètres se résument en ce qui définit l’hindou (et par extension l’adhérent des religions nées en Inde : le bouddhiste, le jaïn, le sikh) pour qui l’Inde est à la fois patrie et terre sainte. Quant aux convertis des religions importées, christianisme puis islam, l’Inde peut être leur patrie, mais pas leur terre sainte...

6 Ce nationalisme culturel si attaché à sa terre sainte se veut aussi de portée universelle. Savarkar cite Manu, le mythique législateur originel, père de tous les hommes : « Que tous les peuples du monde apprennent leur devoir des anciens nés de cette terre. » Et il conclut son ouvrage par cette aspiration :

7

Un peuple de trois cents millions de membres ayant l’Inde pour base, pour patrie et pour terre sainte, avec une telle histoire derrière eux, liés par les liens du sang et une culture commune, pourra dicter ses termes au monde entier. Un jour viendra où l’humanité devra faire face à cette force [Savarkar, 2009, p. 16, p. 141].

8 En 1925, deux ans après la parution de la première édition de l’ouvrage de Savarkar est fondé dans la même ville de Nagpur, au cœur de l’Inde, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) : l’Association des volontaires de la nation, qui va devenir la matrice idéologique et organisationnelle du nationalisme hindou, construisant peu à peu de multiples filiales : outre ses quelque 58 000 groupements en propre affichés, dédiés à la réforme de la société et à la « résurgence nationale », elle compte aujourd’hui, hormis son bras politique le Bharatiya Janata Party, des syndicats (ouvriers, paysans, étudiants), des associations de femmes, des associations tribales, des think tanks, et même une organisation « musulmane nationaliste » fondée en 2002, le Muslim Rashtriya Manch. En 1964 le RSS établit le Conseil mondial de l’hindouisme, Vishwa Hindu Parishad (VHP), très militant en Inde même, où il se définit comme « la force indomptable de la société hindoue pour la protection de valeurs et croyances fondamentales, et de ses traditions sacrées », mais disposant aussi de filiales internationales, tissant un réseau établi dans une trentaine de pays sur cinq continents : États-Unis, Canada, Caraïbes, Royaume-Uni, Allemagne, Europe du Nord, Afrique de l’Est, Afrique du Sud, Asie du Sud, Asie du Sud-Est, Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji. Des terres à notable diaspora indienne pour l’essentiel, mais pas seulement. Le RSS lui-même développe un réseau international, distinct de celui de la VHP, entre autres au Népal, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie.

9 C’est dans le giron du Sangh Parivar que Narendra Modi, Premier ministre depuis 2014, s’est formé. Entré très jeune en contact avec le RSS, il rejoint l’organisation en 1970, à vingt ans, et deux ans plus tard devient pracharak, militant à temps plein. Il gravit les échelons, devient l’homme clé du RSS au Gujarat. En 1987 l’organisation le détache au BJP, pour devenir secrétaire du parti dans le même État. À ce titre, il organisera les premières étapes du rath yatra – la procession du char – imaginé par le président du parti L. K. Advani en 1990 pour focaliser l’attention sur la nécessaire construction d’un temple au dieu Ram, le héros du Ramayana, sur le site d’une mosquée moghole à Ayodhya, dans la vallée du Gange. La destruction de la mosquée en 1992, par une foule de militants du RSS, de la VHP et du BJP marquera un tournant dans l’histoire de l’Inde contemporaine, et donnera le signal de la montée en puissance du parti, arrivé en tête aux élections générales de 1996, mais sans majorité pour gouverner, puis accédant pour la première fois au pouvoir en 1998.

10 Dès 1995, le BJP l’avait emporté pour la première fois au Gujarat. Les divisions au sein du parti s’aiguisant, le leadership national confie en octobre 2001 la charge de ministre en chef à Narendra Modi : le pracharak est devenu un homme politique. Quatre mois plus tard un train de pèlerins de retour d’Ayodhya prend feu dans une gare du Gujarat : cinquante-neuf personnes périssent. La VHP se saisit du drame, accuse des musulmans d’en être responsables : commence un massacre qui durera plusieurs jours, sans que le gouvernement Modi ne réprime les émeutiers. Le bilan est très lourd, plus de mille victimes selon les autorités, plus de 2 000 selon les ONG, qui accusent Modi d’avoir parrainé la violence contre les minorités dans tout l’État. Dix ans plus tard, Modi sera définitivement blanchi par une commission d’enquête établie par la Cour suprême. Entre-temps, il aura été élu trois fois à la tête du Gujarat (2002, 2007, 2012). C’est là, dans son État, qu’il construit l’image qui le mènera à diriger victorieusement la campagne pour les élections générales de 2014, en combinant la figure de l’homme fort et dédié à la cause de l’hindutva, mais aussi, de façon décisive, de l’homme du développement. On sait aujourd’hui que le « modèle du Gujarat » a réussi dans certains secteurs (croissance, attractivité des investissements, infrastructures) mais pas dans le champ social, dont les indices sont restés dans la moyenne nationale.

11 Ancré dans la terre indienne chère à Savarkar, Modi va s’ouvrir au monde par le biais de sa politique économique. Non sans paradoxe : en 2005, le département d’État américain lui retire son visa, pour « violation des libertés religieuses », une conséquence des émeutes de 2002. L’Union européenne fera de même. Mais l’ostracisé des démocraties occidentales joue d’autres cartes. Il a lancé en 2003 une manifestation biennale, le « Sommet global du Gujarat vibrant », où sont invitées des personnalités étrangères aux côtés du gratin du capitalisme indien. Et Modi, en quête d’investisseurs, prend la route de l’Asie-Pacifique : simple chef du gouvernement du Gujarat, il conduit quatre missions en Chine. À Tokyo, il pose le premier jalon d’une relation durable avec Shinzo Abe. Dès avant son élévation au rang de Premier ministre, Narendra Modi a donc esquissé ce que sera sa politique étrangère : l’idéologie du nationalisme hindou peut faire écho à d’autres nationalismes menant des politiques libérales, comme celle du Japon d’Abe, mais le réalisme l’emporte, quand il s’agit de courtiser la Chine, en dépit de ce qui l’oppose à l’Inde. Quant à l’Occident, il comprend en 2013 que Modi pourrait bien devenir Premier ministre. Les contacts sont renoués et les dénis de visa bientôt levés. L’horizon s’ouvre de nouveau.

La politique étrangère de Narendra Modi : principes et promesses

12 Dans une interview donnée pendant les élections de 2014, Narendra Modi avait assuré : « Mon côté hindutva sera un atout pour traiter des questions internationales avec les autres nations », arguant que l’hindutva est fondé sur l’adage sanscrit « vasudhaiva kutumbakam » : « Le monde n’est qu’une seule famille. » Cette citation tirée des Upanishad, les commentaires philosophiques des védas, n’a en fait rien de propre au Sangh Parivar. Elle est une référence récurrente de la diplomatie indienne, de Nehru, Premier ministre de 1947 à 1964, à Manmohan Singh, lui aussi congressiste (2004-2014), en ce qu’elle implique, dans le discours indien contemporain, que l’Inde a depuis les temps anciens été ouverte au reste du monde, et que, comme l’assure Narendra Modi, « le respect mutuel et la coopération doivent être la base des relations entre nations » [Kuber, 2014].

13 Le programme électoral du BJP rompt toutefois avec cette continuité, en dénonçant la politique étrangère du gouvernement congressiste, jugée « empêtrée » et « confuse » [BJP, 2014, p. 39-40]. À l’en croire, les relations de l’Inde avec ses voisins sont allées à la dérive, et celles avec ses alliés traditionnels ont « refroidi ». Il s’agit donc, pour le futur gouvernement, de « relancer fondamentalement et de réorienter les objectifs de la politique étrangère » : « Nous construirons une Inde forte, autonome, ayant confiance en elle, et retrouvant sa juste place dans le comité des nations. » Au-delà de ces promesses convenues, quelques éléments plus précis se détachent, dont deux principes : être pragmatique dans la poursuite de l’intérêt national, et jouer toutes les cartes en main, la diplomatie classique assurément, mais aussi les atouts économiques, scientifiques, culturels et sécuritaires disponibles. Rien de bien neuf dans cette stratégie pourtant présentée comme un « nouveau paradigme » : la quête de puissance de l’Inde est indissociable de ses avancées économiques depuis le lancement des réformes par le Congrès dans les années 1990, et l’Inde indépendante a toujours affiché des ambitions normatives, a minima pour les pays postcoloniaux, voire pour le monde entier. À l’heure même de la proclamation d’Indépendance, dans un discours historique intitulé « Rendez-vous avec le destin », Nehru avait d’emblée inscrit le destin de l’Inde nouvelle dans celui de l’humanité tout entière : « En ce moment solennel, nous faisons serment de nous dédier au service de l’Inde et de son peuple, et de la cause plus large de l’humanité » [Nehru, 1947].

14 Plus que les grands principes affichés par le BJP (« nation d’abord, et fraternité universelle »), les objectifs définis sont éloquents. En matière de politique étrangère on y trouve la volonté de s’engager activement, « sur nos propres bases », avec les pays du voisinage et d’au-delà, « sans être guidé par les intérêts des grandes puissances », et celle de promouvoir un consensus international sur deux questions clés : le terrorisme et le changement climatique. Est réitérée la volonté d’avoir de bonnes relations avec le voisinage immédiat, mais « sans hésiter à prendre des mesures fortes » si besoin était : une allusion voilée au Pakistan. Sont confirmées la décision de renforcer les forums régionaux tels que la SAARC (Association régionale pour la coopération en Asie du Sud) ou l’ASEAN, dont l’Inde est un partenaire, mais pas un membre de plein droit ; et la poursuite de l’engagement avec les forums plus larges, voire globaux : G20, dont l’Inde est membre, BRICS, IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud), ASEM (Asia Europe Meeting) et Organisation de coopération de Shanghai. Sont mentionnés aussi la diaspora « et les professionnels établis à l’étranger, qui forment un vaste réservoir pour formuler nos intérêts nationaux et globaux », et cette touche significative : « L’Inde restera le foyer naturel des hindous persécutés, qui pourront se réfugier ici où ils seront bienvenus. »

15 En matière de sécurité et de défense, l’affichage est ambitieux [BJP, 2014, p. 38-39] : renforcer, par une politique de réforme, les capacités amoindries des équipements de défense, tant par le savoir-faire national que par les achats à l’étranger ; « traiter d’une main ferme le terrorisme transfrontalier » ; améliorer la gestion des frontières sur le plan interétatique (mention est faite des intrusions le long de la Ligne de contrôle avec la Chine sans que celle-ci soit explicitement citée) comme en matière de migrants illégaux sur les frontières de l’Est (essentiellement musulmans venus du Bangladesh). En matière de stratégie nucléaire, « maintenir une dissuasion minimale crédible » n’interdira pas de « réviser et de mettre à jour, en fonction des défis du moment » une doctrine définie par le premier gouvernement BJP après les essais de 1998, confirmée par le gouvernement congressiste, et affichant le principe de non-frappe en premier, un engagement que n’ont pris ni la Chine ni le Pakistan.

16 Dans un champ bien différent, la vision de l’héritage historique que porte le nationalisme hindou appelle à l’exercice du soft power :

17

L’Inde a toujours joué un rôle majeur dans les affaires globales, offrant beaucoup au monde ; c’est là une tradition immémoriale. Le pouvoir magnétique de l’Inde a toujours résidé dans son ancienne sagesse et dans son héritage éclairant les principes d’harmonie et d’équité. Cela continue d’être pertinent dans le monde d’aujourd’hui, en ces temps de soft power [BJP, 2014, p. 40].

18 Cinq ans après l’arrivée au pouvoir du BJP, quel bilan peut-on tirer de l’action du gouvernement de Narendra Modi en matière de politique étrangère, et qu’y a-t-il d’éventuellement spécifique à relever ?

Les grands dossiers géopolitiques

19 Quatre grands dossiers définissent l’essentiel de la politique étrangère indienne. Le premier porte sur les défis de la politique régionale, couvrant le voisinage proche : l’Asie du Sud, où la Chine multiplie les initiatives. Le second porte sur l’évolution de l’ordre mondial, entre multipolarité et multilatéralisme, face à la montée globale de la Chine et à la doctrine « America First » du président Trump. La politique maritime indienne dans l’Indo-Pacifique croise ici voisinage proche, voisinage étendu et échiquier international. Le troisième dossier porte sur la quête de puissance économique et militaire d’une Inde certes émergente, mais pas encore un acteur de tout premier plan. Le quatrième dossier est le plus spécifiquement lié à la mise en œuvre du nationalisme hindou, entre autres en matière de soft power comme en matière migratoire. On traitera ici des trois premiers dossiers, reportant le quatrième à la section suivante. L’instrumentalisation de la politique étrangère dans la campagne électorale préparant les élections générales d’avril-mai 2019 pourra être évoquée dans plusieurs de ces dossiers.

La politique régionale de Narendra Modi : les défis du voisinage proche

20 Bordée par des frontières contestées dans l’Himalaya, tant à l’est (Arunachal Pradesh) qu’à l’ouest (Cachemire), l’Inde met son voisinage immédiat au premier plan de sa vision géopolitique. Narendra Modi n’a pas changé cette priorité, et a voulu l’afficher dès le premier jour de façon spectaculaire, en invitant à sa prise de fonction tous les chefs d’État ou de gouvernement des pays d’Asie du Sud, Nawaz Sharif, Premier ministre pakistanais, inclus. Pour autant, les problèmes sont considérables. Le plus important d’entre eux est celui des relations indo-pakistanaises, qui pâtissent toujours du syndrome de la partition de 1947 ayant scindé en deux États l’Empire britannique des Indes, et du souvenir des conflits ayant émaillé une histoire tendue : premier affrontement au Cachemire en 1947-1948 ; guerre pour rien, toujours au Cachemire, en 1965 ; intervention militaire indienne au Pakistan oriental en 1971, en appui à l’insurrection sécessionniste qui donne bientôt naissance au Bangladesh ; course au nucléaire, officialisée par les essais conduits par les deux pays en mai 1998 ; guerre de Kargil en 1999, le long de la Ligne de contrôle au Cachemire, violée par les forces pakistanaises ; appui pakistanais aux séparatistes cachemiris très actifs à compter de 1989-1990 et entrée en lice d’organisations jihadistes pakistanaises, appuyées par l’ISI, l’Inter Services Intelligence, les principaux services secrets pakistanais.

21 Commence alors une séquence toujours en cours, que New Delhi définit comme étant une « guerre par procuration » conduite par le Pakistan par le biais du « terrorisme transfrontalier ». Islamabad récuse toute intrusion, et affirme ne soutenir que politiquement le droit du peuple cachemiri à l’autodétermination. Sous le premier gouvernement BJP, le Premier ministre A. B. Vajpayee avait tenté de brider cette plaie ouverte, en signant en février 1999 avec son homologue pakistanais Nawaz Sharif la très prometteuse Déclaration de Lahore, avant que les événements de Kargil n’illustrent une fois encore la dichotomie entre pouvoir civil et militaire au Pakistan. Les attentats contre l’Assemblée de Srinagar et surtout contre le Parlement à New Delhi, fin 2001, avaient conduit à un regain durable des tensions, marqué par la mobilisation des forces des deux pays le long de leur frontière, sans que la guerre éclate cependant. Mieux, Vajpayee et l’homme de Kargil, le général Musharraf, nouveau chef de l’État pakistanais après avoir renversé Sharif en 1999, engagent une politique d’apaisement sur la Ligne de contrôle, ouvrent un dialogue officiel sur les questions bilatérales, que complète une négociation secrète sur le Cachemire, que poursuivra le gouvernement congressiste de Manmohan Singh après 2004. La chute de Musharraf en 2007, et surtout les très graves attentats de Mumbai de 2008 conduits par un groupe pakistanais ont interrompu durablement le dialogue sur le Cachemire, sans rompre les relations diplomatiques, l’Inde conditionnant une reprise du dialogue à la mise en œuvre d’une répression significative des groupes jihadistes basés au Pakistan (Lashkar-e Taïba, Jaish-e Mohammad au premier chef).

22 Héritant de cette situation complexe, Narendra Modi, qui a joué pendant la campagne sur la figure de l’homme fort et résolu, a tenté un geste en décembre 2015, en se rendant lui aussi à Lahore, en visite personnelle, pour l’anniversaire de Nawaz Sharif revenu au pouvoir. Mais une semaine plus tard, de façon classique après chaque petit pas, une attaque jihadiste visait une base aérienne à Pathankot, au Pendjab indien : six morts. En septembre, une nouvelle attaque cible la base militaire d’Uri, au Cachemire cette fois : dix-neuf victimes. Modi va répondre sur trois plans. Sur le plan militaire, en décidant d’envoyer un commando indien mener des « frappes chirurgicales », dites préventives, contre un camp jihadiste en Azad Cachemire sous contrôle pakistanais : une première depuis la nucléarisation des deux pays, Vajpayee ayant pris garde, lors de la guerre de Kargil en 1999, de repousser les forces pakistanaises sans que les forces indiennes franchissent la Ligne de contrôle. Sur le plan politique, le gouvernement et la machine du BJP célèbrent cette action, preuve de la résolution du leadership indien, mais l’opposition les accuse de faire de la propagande, au lieu de mener la rétorsion dans la discrétion. Sur le plan diplomatique enfin, outre la prise à témoin de la communauté internationale, New Delhi décide de boycotter la réunion de la SAARC prévue à Islamabad en novembre 2016. Le Bangladesh, l’Afghanistan et le Bhoutan s’alignent sur l’Inde : Islamabad est contraint de reporter le sommet. À ce jour, cette réunion ne s’est toujours pas tenue.

23 Après la plus meurtrière attaque contre un convoi militaire indien au Cachemire depuis des décennies (quarante-quatre soldats tués dans un attentat suicide commis par un jeune Cachemiri, le 14 février 2019), Modi intensifie la riposte, en envoyant douze jours plus tard des avions de chasse bombarder un camp du Jaish-e Mohammad, qui a revendiqué l’attentat, non pas en Azad Cachemire, zone contestée, mais un peu au-delà, à Balakot, sur le territoire pakistanais. Les faucons indiens exultent : New Delhi ne s’est pas laissé intimider par la menace pakistanaise de recourir à des frappes nucléaires tactiques en cas d’agression indienne. Mais l’impossibilité de prouver qu’un camp jihadiste a bien été détruit, ce que dément bien sûr Islamabad, jette le trouble. Le débat enfle, car l’Inde est en campagne électorale. Derrière le consensus patriotique célébrant les forces indiennes (et un pilote indien abattu, tombé aux mains des autorités pakistanais qui le relâchent deux jours plus tard), l’opposition critique Modi, qui se présente désormais en chowkidar de la nation [2], l’accusant encore une fois d’instrumentaliser la force militaire à des fins électorales.

Carte 1. – L’Inde et ses frontières

Carte 1. – L’Inde et ses frontières

Carte 1. – L’Inde et ses frontières

24 Au-delà du Pakistan, la politique régionale du BJP est moins agitée, mais n’est pas non plus un long fleuve tranquille. Sur le plan bilatéral, en dépit d’un investissement diplomatique continu, les difficultés ou les incertitudes persistent : la bonne volonté vis-à-vis du Népal a été compromise par les « suggestions » indiennes sur la nouvelle Constitution du pays, et Kathmandu n’a guère apprécié en 2015 la manière de blocus reprochée à New Delhi en soutien aux peuples du piémont népalais, jadis venus de l’Inde. Si Modi a su conclure avec le Bangladesh les longues négociations engagées par ses prédécesseurs sur la stabilisation de la frontière par l’échange des enclaves villageoises des deux pays, le partage des eaux du Gange s’est heurté aux objections du gouvernement de l’État indien du Bengale occidental. En Afghanistan, où l’Inde mène une active politique de coopération, l’incertitude planant sur les négociations engagées par Washington avec les talibans, sans participation du gouvernement de Kaboul, laisse l’Inde perplexe. Certes New Delhi, Téhéran et Kaboul ont officialisé leur coopération autour du port iranien de Chabahar, permettant à l’Inde, qui en gère la zone franche depuis janvier 2019, d’accéder à l’Afghanistan par la mer en contournant le Pakistan. Mais New Delhi, qui n’a jamais reçu d’émissaires talibans, craint d’être marginalisée de nouveau au profit d’Islamabad si ceux-ci revenaient d’une façon ou d’une autre au pouvoir. Plane enfin, sur l’Asie du Sud et sur ses marges, l’activisme chinois, partout présent : en Birmanie, au Bangladesh, au Népal, au Sri Lanka – même si Maithripala Sirisena, président depuis 2015, cherche à mieux équilibrer ses relations avec Pékin et Delhi que son prédécesseur jouant la carte chinoise dans l’arrière-cour de New Delhi – et aux Maldives, où l’Inde s’est gardée d’intervenir lors de la grave crise politique de 2018, sans soutenir l’ancien président Mohammad Naseen demandant son appui.

25 Les principaux investissements chinois dans la région sont désormais intégrés dans les routes de la soie, dont un élément essentiel, le Corridor économique sino-pakistanais reliant le Xinjiang à la mer d’Arabie, pose problème à l’Inde, car il traverse le Gilgit Baltistan, ancienne partie du royaume du Cachemire administrée par le Pakistan mais toujours revendiquée par New Delhi. Rien de neuf, puisque la Chine avait modernisé auparavant la route du Karakorum qui traverse la région. Mais Narendra Modi a voulu marquer son mécontentement devant un projet majeur : l’Inde a boycotté en 2017 de lancement de la Belt and Road Initative à Pékin (cent trente pays étaient représentés à cette manifestation redéfinissant le projet pharaonique One Belt One Road ou OBOR annoncé par le président Xi Jinping en 2013), arguant qu’« aucun pays ne peut accepter un projet qui ignore ses préoccupations fondamentales en matière de souveraineté et d’intégrité territoriale » [MEA, 2017]. Ce n’était pas là un coup de menton sans suite. Ignorant les plaidoiries chinoises ou pakistanaises pour changer de ligne, New Delhi a de nouveau boycotté le second forum BRI en avril 2019, sur le même argumentaire. Un commentaire du Global Times, proche du PC chinois, y voit là un contrecoup du nationalisme indien, face au refus répété de Pékin d’inscrire le chef du Jaish-e Mohammad sur la liste onusienne des « terroristes globaux » : « Accuser la BRI d’ignorer les préoccupations fondamentales sur la souveraineté et l’intégrité territoriale n’est qu’une paresseuse excuse face au sentiment nationaliste croissant ayant suivi l’attaque terroriste » de février au Cachemire, le boycott, « position dure contre la Chine », aidera Modi « à gagner le cœur des électeurs en confortant le sentiment nationaliste » [Hu, 2019].

L’Inde de Modi dans les nouvelles dynamiques globales

26 Au-delà du contentieux frontalier et du soutien constant de Pékin au Pakistan, la Chine est au cœur de la géopolitique indienne pour bien d’autres raisons. La première tient au poids du pays, tant en Asie-Pacifique que dans le monde. Ce poids toujours croissant en dépit du ralentissement de l’économie chinoise tient du défi mais offre aussi à l’Inde des opportunités. Défi, car le différentiel entre les deux pays jadis égaux s’est considérablement élargi : en 2018, le PNB chinois fut près de cinq fois plus grand que celui de l’Inde, et le budget de la défense près de trois fois plus lourd. Si l’Inde boycotte la BRI, elle est l’un des pays fondateurs de la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures, établie à Pékin en 2014, et l’un de ses principaux emprunteurs. Surtout, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial de l’Inde (2016-2017) à égalité avec l’ASEAN, derrière le Conseil de coopération du Golfe et l’Union européenne. Pour autant, le très grand déficit de la balance commerciale avec Pékin est problématique, comme l’est, on l’a dit, l’activisme chinois en Asie du Sud et dans l’océan Indien.

27 Mais cet activisme, théorisé par Xi Jinping au nom du « rêve chinois », donne aussi à l’Inde des marges de manœuvre. Si New Delhi récuse tout endiguement de la Chine ou toute logique de blocs, la volonté toujours affirmée d’autonomie stratégique laisse la place à une dynamique de contrepoids, soit en compétition bilatérale, à l’image des initiatives des deux pays en direction des États insulaires ou riverains de l’océan Indien, soit dans un cadre de multiples partenariats, comme l’illustre le développement du nouveau concept phare d’Indo-Pacifique. Le Congrès au pouvoir dans les années 1990 avait décidé de « regarder vers l’Est ». Modi entend, lui, « agir à l’Est ». Les variations sémantiques ne sauraient toutefois masquer la continuité des approches, qui reposent sur des partenariats clés avec les États-Unis et le Japon. Pour autant, le Quad (États-Unis, Japon, Inde, Australie) dont on parle depuis 2007 n’a pas grandement progressé, et les manœuvres navales annuelles « Malabar », initiées par l’Inde en 2002, intègrent désormais de façon permanente, une année dans le Pacifique, une année dans l’océan Indien, les marines américaine et japonaise, mais pas la marine australienne. Le BJP poursuit en fait, sans l’avouer, l’ajustement du non-alignement opéré par New Delhi après la fin de la guerre froide : une diplomatie tous azimuts, nourrie de multiples partenariats bilatéraux (France comprise), mais sans alliances contraignantes.

28 La redécouverte des enjeux maritimes par une Inde longtemps focalisée sur ses frontières himalayennes, et les initiatives diplomatiques prises depuis vingt ans en direction de l’Asie-Pacifique, en particulier avec l’ASEAN, renforcent ainsi le poids relatif de l’Inde vis-à-vis de pays qui dépendent assurément de la Chine, mais qui veulent trouver avec l’Inde des marges de manœuvre, comme l’illustrent les cas du Vietnam ou de Singapour.

29 Narendra Modi a de même poursuivi la politique de ces prédécesseurs vis-à-vis des États-Unis. Deux ans après les sanctions imposées à l’Inde pour cause d’essais nucléaires, Washington revoit, dès Bill Clinton, sa politique indienne. George W. Bush confirme que les États-Unis « encouragent l’émergence de l’Inde, force positive sur la scène mondiale » et réussit même, en 2008, à faire bénéficier l’Inde d’un statut dérogatoire pour un État non signataire du traité de non-prolifération, statut lui permettant de développer ses activités dans le nucléaire civil, en pouvant importer uranium et technologies. Une décennie plus tard, ni les Américains ni les Français n’ont pourtant finalisé les projets de contrats de centrales nucléaires prévus en Inde. En 2015, Obama est l’invité d’honneur de la célébration de la République à New Delhi, mais il met en garde, hors tribune officielle, contre les dérives du nationalisme religieux. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en Inde comme ailleurs, est délicate à gérer. Les accords logistiques de défense se poursuivent, les achats d’armement américain s’accroissent, et l’énoncé de la nouvelle « Stratégie en Afghanistan et en Asie du Sud » en 2017 encourage l’Inde aux dépens du Pakistan... jusqu’à ce que les négociations entre émissaires américains et talibans afghans redonnent la main à Islamabad début 2019. Les tensions commerciales, et les restrictions sur les visas professionnels jettent d’autres ombres au tableau.

30 Sur l’échiquier de la multipolarité, Narendra Modi poursuit de facto la politique étrangère indienne. Les liens avec Washington s’accentuent, mais n’empêchent pas de cultiver Pékin. Xi Jinping est l’un des premiers invités de Narendra Modi en Inde et, en juin 2017, le pays, jusqu’alors observateur, devient, avec le Pakistan, membre de l’Organisation de coopération de Shanghai, l’organisation régionale lancée par Pékin et Moscou pour sécuriser l’Asie centrale. Mais un mois plus tard le face-à-face militaire entre Indiens et Chinois à Doklam, à la frontière sino-indo-bhoutanaise, témoigne pendant des semaines de ce que New Delhi entend sécuriser aussi ses frontières, sans dériver pour autant vers un conflit ouvert. La normalisation retrouvée débouche in fine sur la rencontre « informelle » entre Modi et Xi à Wuhan, sur le Yang Tsé, en avril 2018, rencontre célébrée comme le signal d’une nouvelle ère. Il n’en est bien sûr rien : Pékin continue depuis de protester quand des hommes d’État indiens (et a fortiori le dalaï-lama), se rendent en Arunachal Pradesh, revendiqué par la Chine sous le nom de Tibet du Sud ; continue de bloquer l’entrée de l’Inde au Groupe des fournisseurs de nucléaire et, en dépit de belles paroles, gèle toute réforme du Conseil de sécurité qui verrait y entrer de nouveaux membres permanents, dont l’Inde et le Japon. Mais Pékin s’est résolu, le 1er mai 2019, à approuver l’inscription du chef du Jaish e Mohammad sur la liste des sanctions onusiennes.

31 Un jeu subtil, et très codé, se déploie donc entre Chinois et Indiens, illustrant l’affaiblissement du multilatéralisme (pas seulement sous les coups de butoir de Trump) derrière les références à la charte des Nations unies, et la complexité de la nouvelle multipolarité bourgeonnante, qui multiplie les géométries géopolitiques d’étendue variable : BRICS, triangle ministériel Russie Inde Chine, triangle Inde Brésil Afrique du Sud (IBSA), projet de partenariat économique régional (RCEP) entre Asean, Inde et Chine – mais New Delhi est très prudent sur ce dernier point. Tout en cultivant États-Unis, Japon et Australie, l’Inde maintient des relations importantes avec la Russie, toujours pourvoyeuse d’armement, même si son poids baisse, et si Moscou commence à cultiver le Pakistan et les talibans.

32 Bref, le réalisme prévaut. Si le nationalisme hindou de Narendra Modi ne peut que faire écho à l’Israël de Netanyahou, où il s’est rendu en 2017 – un Israël devenu pourvoyeur décisif d’armements et de technologies de surveillance contre-terroriste –, le Premier ministre indien, sur les traces de son prédécesseur Manmohan Singh, a multiplié les visites dans les pays du Golfe, tout en cultivant l’Iran et en s’abstenant de commenter l’imbroglio syrien, au-delà de la condamnation du terrorisme de l’Organisation État islamique. Il est vrai que le Conseil de coopération du Golfe est décisif à deux égards : l’Inde compte sa diaspora la plus nombreuse au Moyen-Orient, qui, si elle n’a pas l’entregent politique de la diaspora indienne aux États-Unis, rapporte chaque année des milliards de devises transférés au pays, et la région est le principal fournisseur d’hydrocarbures à l’Inde, qui importe les deux tiers de ses besoins. On a donc vu Narendra Modi en Arabie saoudite, aux Émirats (où il a même visité l’emblématique mosquée al Zayeb en 2015), en Oman, au Qatar, en Palestine. Par son poids économique, et son invitation aux capitaux du Golfe à investir chez elle, comme par les consultations engagées en matière de contre-terrorisme, entre autres avec l’Arabie saoudite, l’Inde peut aussi chercher à contrebalancer pour partie les liens idéologiques et stratégiques établis de longue date entre le Pakistan, Riyad et les Émirats. De façon significative, et pour la première fois, la ministre des Affaires étrangères indienne Sushma Swaraj a été l’hôte d’honneur de la Conférence de la coopération islamique, à Abu Dhabi, en mars 2019 [3]. Le Pakistan a boycotté la rencontre, alors que le ministère indien des Affaires étrangères a vu dans cette invitation inédite « la reconnaissance bienvenue de la présence de 185 millions de musulmans en Inde, de leur contribution à son ethos pluraliste, et de la contribution de l’Inde au monde islamique » [MEA, 2019]. Un blanc-seing à l’Inde de Narendra Modi, où des musulmans ont été lynchés lors des campagnes pour la protection de la vache, et où le gouvernement BJP d’Uttar Pradesh a fait retirer le Taj Mahal des brochures touristiques officielles, le monument n’étant pas « représentatif de la culture indienne »...

La quête de puissance économique, militaire et spatiale

33 On peut être nationaliste et ouvert au monde : tout dépend des configurations de cette ouverture, la quête de puissance étant l’une des clés de cette dialectique. On peut être nationaliste et libéral en matière économique. En atteste l’un des slogans de campagne de Modi : « Gouvernement minimum, gouvernance maximale », selon le principe que « ce n’est pas l’affaire du gouvernement de faire des affaires ».

34 Dès le 1er janvier 2015, la Commission du plan, établie sous Nehru en 1950, est dissoute, au profit d’un organisme plus politique, baptisé NITI Aayog (Institution nationale pour la transformation de l’Inde), mobilisant les responsables des États indiens. En fait, le gouvernement est bien en première ligne dans la quête de la puissance économique, dont l’un des enjeux majeurs est de stimuler une industrialisation trop faible et trop peu créatrice d’emplois. La première grande décision économique du gouvernement Modi est de lancer, quatre mois après son arrivée au pouvoir, la campagne Make in India (Fabriquez en Inde) : un slogan que le Premier ministre diffuse lors de ses très nombreux voyages à travers le monde, pour attirer les investissements étrangers, dont l’entrée est facilitée par un certain nombre de réformes sur les taux de participation autorisés selon les secteurs économiques (100 % pour 25 secteurs, l’espace, la défense et les médias étant d’accès plus restreint). La campagne fut un succès (les investissements étrangers directs annuels passant de 74 à 102 milliards de dollars de 2014 à 2017), et l’économie indienne, au-delà du Make in India, est aujourd’hui celle qui croît le plus vite parmi les grands pays (7,25 % l’an en moyenne de PIB sur 2014-2018) : plus que la Chine tombée sous les 7 %, et l’Inde est devenue en 2019 la cinquième économie mondiale, dépassant coup sur coup (de peu) la France et le Royaume-Uni. Mais ce succès est relatif, car il dynamise les services plus que le secteur manufacturier : la question de l’emploi reste un défi structurel.

35 Le Make in India est aussi décisif dans le secteur de la défense, la stratégie étant de combiner investissements étrangers, transferts de technologie et ouverture au secteur privé indien. Mais les péripéties du contrat des Rafale français, passant d’une commande de 126 appareils (dont 108 à construire en Inde) négociée par le gouvernement précédent à une commande réduite en 2015 à 36 appareils à livrer clés en main illustre le poids des obstacles à franchir, qui nourrissent, dans la campagne électorale en cours, des soupçons d’irrégularités et de capitalisme de connivence au bénéfice d’entreprises privées proches du pouvoir, alors même que l’armée de l’air (entre autres forces) appelle à renouveler urgemment ses équipements. La campagne nationaliste nourrie par les frappes (réussies ou non) sur les camps jihadistes pakistanais en mars 2019 voile ces questions essentielles pendant la campagne électorale, au bénéfice d’un leader dépeint comme résolu et protecteur.

36 Reste que l’Inde accroît ses capacités de défense, aussi bien dans la marine (elle dispose depuis 2018 de la triade nucléaire terre, air, mer et modernise flotte et infrastructures) que dans les missiles balistiques, qui peuvent désormais couvrir toute la Chine. Le premier essai réussi d’un tir antisatellite conduit en mars 2019 illustre la volonté de se doter d’un bouclier antimissiles autonome, mais il a lui aussi suscité des débats quant à son calendrier coïncidant avec la campagne électorale.

37 Au-delà de la défense, dans la très haute technologie de l’espace, l’Inde monte en gamme avec ses missions orbitales vers la Lune et vers Mars conduites sous le Congrès, en 2008 et 2013, et sa capacité désormais reconnue de lancer au moindre coût de nombreux satellites étrangers. Pour aller plus loin le Premier ministre, a annoncé dans son discours célébrant le jour de l’Indépendance, le 15 août 2018, qu’une mission habitée sera lancée en 2022 : une année fétiche pour Narendra Modi, qui espère bien être toujours en place lors du 75e anniversaire de l’Inde indépendante.

Le nationalisme hindou en action

38 Au-delà des résonances de la fibre nationaliste, il est deux domaines où la marque de l’hindutva est incontestablement prégnante dans la géopolitique du BJP.

L’inflexion du soft power

39 Le premier, sans surprise, est celui du soft power. La politique d’influence culturelle n’est pas nouvelle en Inde, qu’elle soit pensée par l’État ou portée par une dynamique propre. Le Conseil indien des relations culturelles (ICCR) a été établi dès 1957 et dispose aujourd’hui de trente-cinq centres culturels à l’étranger, quinze autres étant prévus à moyen terme. Si le Conseil favorise aussi des tournées d’artistes à l’étranger, il est des champs culturels qui se sont développés par eux-mêmes, qu’il s’agisse de culture populaire et de l’impact des films de Bollywood dans de nombreux pays d’Asie et d’Afrique, ou de l’expansion remarquable de la littérature indienne contemporaine en traduction.

40 La touche spécifique du gouvernement Modi est ailleurs, dans l’usage habile des identités religieuses sous l’habillage des traditions culturelles jouant sur les savoirs et les sagesses antiques. En 2015, l’acceptation unanime par l’Assemblée générale des Nations unies de faire du 21 juin la journée mondiale du yoga fut un succès diplomatique pour Narendra Modi, complété l’année suivante par l’affichage sur toute la façade du siège des Nations unies de Happy Diwali – la fête des lumières marquant, dans l’une des grandes traditions hindoues, le retour victorieux de Rama à Ayodhya. Le Premier ministre, habile propagandiste, a aussi annexé le bouddhisme, né en Inde mais diffusé en Asie, se faisant un devoir de visiter à l’étranger les grands temples bouddhistes en compagnie des chefs d’État qui l’accueillent : les photos célèbrent ainsi Narendra Modi et Shinzo Abe au temple Koji de Kyoto en 2014, ou Modi et Xi Jinping à la pagode de l’Oie sauvage de Xian en 2015, le grand prêtre du lieu étant toujours présent. La pagode de Xian a un écho particulier : s’y rattache le grand classique chinois La Pérégrination vers l’Ouest, récit des moines bouddhistes envoyés en Inde pour ramener les Écritures. Le souvenir des grands pèlerins chinois venus en Inde au fil des siècles est depuis longtemps un passage obligé des déclarations bilatérales sino-indiennes. Là où Modi innove, c’est dans la mise en scène, tant de sa personne que du message, relayé sur les réseaux sociaux dont il est un usager très assidu. Dans les envolées les plus lyriques, un thème est cultivé de façon récurrente, l’Inde doit redevenir ce qu’elle fut jadis, le gourou du monde, vishwa guru : une formule qui satisfait le noyau dur du Sangh parivar, mais qui peut être interprétée aussi à l’aune du monde d’aujourd’hui et de demain, où l’on peut mêler nationalisme identitaire et nouveaux savoirs, économie numérique, voire nouvelles normes internationales [Racine, 2017].

41 Les dérives identitaires en Inde même peuvent démentir la rhétorique de l’« ethos pluraliste » d’une Inde idéalisée, la rhétorique n’en dure pas moins, et s’instille partout. À la COP 21 par exemple, où Modi s’engage à la satisfaction générale, comment est titrée la brochure officielle indienne ? Parampara : le mot sanscrit définissant la relation du gourou à son disciple. Pourquoi ? Réponse récurrente là aussi : le génie de l’Inde n’a jamais dissocié l’homme du cosmos, et la relation homme-environnement est donc intrinsèque à la culture indienne. Le premier sommet de l’Alliance solaire internationale (plus de cent vingt pays membres ont donné suite à un projet lancé par l’Inde et la France lors de la COP 21), qui réunit à New Delhi le Premier ministre indien et le président français en 2018, se fait l’écho de la même logique dans le discours indien. Les portraits de Narendra Modi et d’Emmanuel Macron sont dressés sur les rives du Gange à Bénarès, lieu sacré s’il en fut, pour annoncer l’inauguration conjointe de la plus grande centrale solaire indienne dans l’État d’Uttar Pradesh...

La question migratoire : la dualité du dedans et du dehors

42 Pour partie, la question migratoire relève du soft power indien, quand est en jeu la diaspora indienne, particulièrement celle qui, dans les pays occidentaux, peut avoir un précieux entregent politique. Se démarquant de la vieille tradition de « négligence bénigne » envers la diaspora, le premier gouvernement BJP d’A. B. Vajpayee (1998-2004) en avait pleinement mesuré les enjeux. En signe de reconnaissance envers les Indiens de l’étranger, il avait inauguré le premier « jour des Indiens non-résidents », Pravasi Bhartiya Divas, en 2003, une rencontre annuelle jusqu’en 2015, organisée tous les deux ans depuis. Objectifs : célébrer la réussite des Indiens de l’étranger, et les mobiliser au bénéfice économique ou politique de l’Inde. En ce sens, l’initiative dépasse le réseau hindutva des antennes à l’étranger de la Vishva Hindu Parishad ou du RSS, en même temps qu’elle les complète : des parlementaires d’origine indienne sont régulièrement invités, la distinction n’étant plus faite entre Indiens non-résidents ayant toujours la nationalité indienne et les « personnes d’origine indienne » n’ayant plus de passeport indien (l’Inde ne reconnaît pas la double nationalité). Ce qui n’affaiblit en rien le rôle que peuvent jouer ces citoyens, souvent américains, dans le soutien aux intérêts indiens, que ceux-ci soient économiques (le US-India Business Council), ou plus politique comme cette « Coalition hindoue républicaine » lancée par un entrepreneur d’origine indienne de Chicago pour établir, lors de la campagne présidentielle de Donald Trump en 2015, « un pont unique entre la communauté américaine hindoue et le leadership du parti républicain » [Racine, 2017, p. 62].

43 Dénonçant les possibles restrictions américaines au droit à l’immigration légale, le BJP est sur une autre ligne s’agissant de l’Inde. Le critère est ici religieux. De longue date le RSS et le parti ont dénoncé la poussée démographique des musulmans indiens qui mettrait en péril à terme le statut majoritaire de la population hindoue (en réalité la part des musulmans en Inde est passée de 13,4 % en 2001 à 14,2 % en 2011, celle des hindous passant de 80,5 % à 79, 8 % et le taux de natalité des musulmans baisse). L’autre argument avancé porte sur l’immigration illégale, bien réelle, de musulmans du Bangladesh dans le Nord-Est indien. Très sensible, la question avait été l’un des facteurs de l’insurrection aux accents séparatistes qui avait agité l’Assam dans les années 1980, et s’est trouvée ravivée par l’initiative du gouvernement Modi de revoir les règles définissant la citoyenneté dans la région du Nord-Est. Il s’agissait de régulariser les minorités religieuses « persécutées ou craignant la persécution » venues des pays en majorité musulmans entre 1966 et 1974 : essentiellement des hindous (mais aussi, en petit nombre, des sikhs, des jains, des bouddhistes, des chrétiens) venant d’Afghanistan, du Pakistan et surtout du Bangladesh. Un ministre BJP de l’Assam avait argué qu’une telle mesure empêcherait « 17 des 33 districts assamais de devenir d’ici 2021 majoritairement peuplés de musulmans venus du Bangladesh ». Mais l’argument n’a pas convaincu, les protestations se multipliant contre l’octroi de la nationalité indienne aux immigrants, musulmans ou non. Le projet de loi voté par la chambre basse en janvier 2019, le gouvernement BJP a jugé prudent de remettre à plus tard (après les législatives ?) le vote de la chambre haute, car l’affaire lui avait aliéné nombre de partis locaux dont l’alliance lui avait permis de multiplier les victoires électorales dans les États de la région.

44 Cette opposition aux immigrants a facilité la tâche du gouvernement Modi, face à la crise humanitaire ouverte en 2016 par le nettoyage ethnique des Rohingyas musulmans de l’État birman de Rakhine (anciennement Arakan) adjacent du Bangladesh, mais aussi proche de l’État indien du Mizoram. New Delhi a certes envoyé des vivres aux quelque 600 000 réfugiés au Bangladesh, et promis d’aider au développement du Rakhine avec les autorités birmanes. L’Inde a du reste des intérêts économiques et stratégiques dans le Rakhine, au port de Sittwe, dont la gestion va passer dans les mains indiennes. Sittwe est le point de départ d’un projet de connectivité avec l’Inde du Nord-Est, dit Projet de transport multimodal de Kaladan, mais est aussi le point de départ d’un pipeline chinois opérationnel depuis 2017 en direction du Yunnan. En l’affaire, le gouvernement Modi s’est bien gardé de partager le fardeau des migrants avec le Bangladesh. Pratiquant l’amalgame entre les réfugiés et les insurgés de l’Armée du salut des Rohingyas d’Arakan (ARSA), classée comme terroriste islamiste par les autorités birmanes, le gouvernement Modi a également menacé la minorité rohingya réfugiée en Inde depuis des années (40 000 personnes) de « rapatriement » – en fait de « refoulement » en droit international – tandis qu’au Jammu, bastion hindou et BJP de l’État du Jammu et Cachemire, se développait une campagne anti-Rohingya demandant leur expulsion. Des analystes indiens ont déploré cette politique, jugeant que New Delhi ternissait son image, et laissait en outre à Pékin le bénéfice d’une diplomatie de médiation entre Bangladesh et Myanmar. Mais d’évidence l’idéologie antimusulmane du nationalisme hindou et les intérêts géopolitiques de l’Inde en Birmanie convergeaient trop pour que la politique du BJP puisse être différente.

Conclusion

45 In fine, le débat reste ouvert en Inde sur le degré de spécificité de la géopolitique de Narendra Modi. Nombre d’analystes sans liens avec le BJP ont salué le dynamisme du Premier ministre étendant la sphère d’influence de l’Inde [Raja Mohan, 2015], ou soulignant sa capacité à faire bouger les lignes en rétorsion au dernier attentat terroriste au Cachemire [Pant, 2019]. D’autres analystes reconnus sont plus dubitatifs quant au caractère « révolutionnaire » de la politique étrangère du BJP [Ganguly, 2018]. Un troisième courant souligne plutôt, à juste titre me semble-t-il, la continuité derrière le changement de style et de langage [Basrur, 2017]. Certes, l’affichage pro-hindou est constant, tant dans la sphère du soft power que dans le double récit nationaliste cultivé en tout temps, et a fortiori en période électorale, avec un volet civilisationnel prêchant « la fraternité et l’harmonie universelle » héritée de l’Inde éternelle, et un volet politico-stratégique qu’illustre la figure du Premier ministre chowkidar protégeant la nation contre les menées pakistanaises. Mais derrière la rhétorique, la politique étrangère du BJP est restée pour l’essentiel dans un cadre préétabli. Quand Ram Madhav, idéologue et secrétaire général du BJP, a rappelé dans une interview donnée à al Jazeera en 2015 qu’en tant que fidèle du RSS il croyait à l’Inde indivise, l’Akhand Bharat, défaisant la partition pour réunir à l’avenir, par volonté commune, Inde, Pakistan et Bangladesh, il a été désavoué par le parti [4].

46 Si clivantes que soient en Inde même sa personnalité et son idéologie, le Premier ministre indien a su récolter à l’étranger les marques de reconnaissance dues à la montée en puissance de l’Inde d’aujourd’hui : article cosigné avec Barack Obama dans le Washington Post dès 2014 ; discours inaugural de la session plénière du Forum économique mondial de Davos en janvier 2018 ; discours d’ouverture en juin 2018 du Dialogue de Shangri-La, l’une des grandes rencontres mondiales sur la sécurité ; et même, en février 2019, le prix de Séoul pour la paix (attribué avant lui à Kofi Annan et à Médecins sans frontières).

47 Pour un « réaliste » tel que Bharat Karnad, analyste sourcilleux et déçu des ambitions indiennes, qui avait souligné en 2015 que l’Inde n’était pas (encore) une grande puissance, le bilan de Modi au pouvoir reste incertain, dans un monde marqué par l’ascension des « hommes forts » (Poutine, Xi, Trump, Erdogan, Abe et Modi lui-même) partisans de « mon pays d’abord ». Modi, souligne Karnad, a suscité beaucoup d’espoirs, mais « son gouvernement s’est enlisé dans la politique d’une frange hindoue centrée sur le culte de la vache, le “jihad de l’amour” et le temple d’Ayodhya » [5]. « Quand on prend en considération ses beaux discours, ajoute Karnad, il est particulièrement surprenant de voir comment, dans le champ extérieur, Modi est resté dans un jeu de petites mises ancré dans les horizons à court terme où les gouvernements précédents ont enfermé le pays. [...] Alors que la Chine a bondi sous la stratégie conduite par Xi et un système performant [...], l’Inde a déambulé, son impact global étant bien moindre que la somme de ses petits succès » [Karnad, 2018, introduction].

48 Le bilan est sévère, peut-être trop, et dépasse sans doute la personne de Modi et la philosophie qui l’anime. Karnad voit les obsessions nationalistes hindoues qui émaillent la vie socio-politique indienne depuis 2014 comme des distractions coupables face aux grands enjeux mondiaux. Spécialiste des questions stratégiques et des rapports de forces internationaux, il n’accorde guère de poids au soft power que Modi met si souvent en avant, et juge que l’obsession pakistanaise du pouvoir n’est pas à la hauteur des ambitions globales que l’Inde doit cultiver. Face à la sino-mondialisation en marche, le nationalisme hindou n’a pas en main tous les atouts pour proposer, à l’image de la Chine, de nouvelles pratiques, de nouveaux projets transcontinentaux, voire de nouvelles normes. Mais l’Inde est encore émergente, même si elle avance dans tous les domaines et dans tous les horizons, alors que la Chine de Xi Jinping vise le statut de superpuissance en 2050 (ou avant).

49 Grand diplomate et ancien conseiller à la sécurité nationale sous le gouvernement de Manmohan Singh, Shyam Saran avait déclaré en 2009 :

50

Certes l’Inde ne dispose pas d’une puissance économique et militaire équivalente à celle de la Chine. Mais l’équivalence n’est pas nécessaire. Ce qui compte, c’est qu’aucune architecture régionale, et en l’occurrence aucun arrangement global ne puisse être crédible sans la participation active de l’Inde [Racine, 2015, p. 176].

51 Dix ans plus tard, ce sage avis semble toujours pertinent. Et il n’exclut en rien que l’Inde poursuive ce que les gouvernements congressistes et BJP ont tous deux appelé non pas son émergence, mais sa résurgence. Comme pour la Chine, l’histoire des temps longs gouverne aussi, sous des formes variables, les dynamiques du présent.

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  • Racine J.-L. (2015), « Penser l’Inde émergente : de l’altérité orientaliste aux temps post-postcoloniaux. Enjeux locaux, enjeux globaux », in Wieviorka M. et al. (dir.), Penser global, Éditions de la MSH, Paris, p. 160-180, <halshs-01064362>.
  • Racine J.-L. (2017), « L’Inde, gourou du monde ? », in Dieckhoff A. et Portier P. (dir.), Religion et Politique, Presses de Sciences Po, Paris, p. 57-67.
  • Raja Mohan C. (2015), Modi’s World : Expanding India’s Sphere of Influence (Le monde de Modi. Étendre la sphère d’influence indienne), Harper Collins, New Delhi, 2015.
  • Savarkar V. D. (2009), Hindutva. Who is a Hindu ? (Hindutva. Qui est hindou ?), Hindi Sahitya Sadan, New Delhi (première édition 1923, Nagpur).

Date de mise en ligne : 22/07/2019

https://doi.org/10.3917/her.173.0007

Notes

  • [1]
    Directeur de recherche émérite au CNRS (CEIAS/EHESS) et chercheur senior à Asia Centre.
  • [2]
    Dans le langage courant, le chowkidar, terme hindi, est le gardien d’un immeuble ou d’une propriété. Appliqué au Premier ministre, le chowkidar devient tout à la fois la vigie, la sentinelle, le protecteur de la nation.
  • [3]
    Hébergeant la troisième population musulmane du monde derrière l’Indonésie et le Pakistan, l’Inde n’a jamais pu être membre de l’Organisation de la coopération islamique ni même observateur (un statut pourtant dévolu à la Russie en 2005) en raison de l’opposition constante du Pakistan.
  • [4]
    Dans les milieux extrémistes hindous circulent des cartes de l’Akhand Bharat intégrant aussi l’Afghanistan, le Népal, le Tibet, la Birmanie, le Sri Lanka, voire l’Asie du Sud-Est, qui rappellent en les inversant, des cartes qui circulent dans les mêmes milieux, cartes attribuées aux jihadistes pakistanais redessinant un Pakistan intégrant le Cachemire, mais aussi toute l’Inde du Nord et le Bangladesh, sous le nom de Mughulstan.
  • [5]
    L’auteur évoque ici des thèmes chers au RSS et à la Vishwa Hindu Parishad, des campagnes contre l’abattage des vaches et la consommation de bœuf à celles pour construire le temple de Ram à Ayodhya, le « jihad de l’amour » évoquant les attaques contre les couples mixtes musulmans-hindous, la séduction des jeunes filles hindoues par des jeunes gens musulmans étant perçue par les milices de l’hindutva comme un jihad délibéré pour favoriser les conversions à l’islam.

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