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Article de revue

Hérodote a lu

Pages 411 à 417

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Myriam Benraad, Irak, la revanche de l’Histoire. De l’occupation étrangère à l’État islamique, collection « Chroniques », Paris, Vendémiaire, 2015, 288 pages.

1L’exergue de cet ouvrage : Aux Irakiens pour leur courage, indique d’entrée qu’il s’agit d’une analyse qui prend en compte l’ensemble de la population irakienne, les chiites démographiquement majoritaires au pouvoir, les sunnites minoritaires dépossédés du pouvoir depuis 2003 et l’invasion américaine, et, parmi les sunnites, les différentes tribus alliées ou adversaires, les Kurdes sunnites si fiers de leur autonomie et de leurs combattants et enfin les chrétiens d’Orient, souvent victimes des uns et des autres.

2La complexité de la situation géopolitique irakienne apparaît avant même d’aborder le texte sur une double page : à gauche les partis et coalitions politiques et leur obédience – où l’on voit qu’à partir de 2003 les partis mixtes à la fois sunnite et chiite n’existent plus, les partis sont désormais l’un ou l’autre ; sur la page de droite la liste des vingt-deux principaux groupes insurgés entre 2001 et 2014, et leur obédience – tous islamistes à partir de 2003 et très majoritairement sunnites, si ce n’est deux groupes chiites, islamo-nationaliste et islamiste en 2003.

3La thèse développée par Myriam Benraad, est que le chaos irakien et la situation de guerre civile qui perdure depuis la chute de Saddam Hussein résultent principalement de la mise en marge chronique des Arabes sunnites. C’est donc à l’analyse de la trajectoire, très peu étudiée, des sunnites dans l’après-Baath qu’est consacré ce livre.

4Minorité au pouvoir jusqu’à la chute de Saddam Hussein, ils sont tenus à l’écart de toute responsabilité politique, administrative et institutionnelle par les chiites et les Kurdes longtemps victimes de leur domination. Et, selon Myriam Benraad, cette exclusion des sunnites, voulue aussi par les acteurs américains, a conduit, d’une part, au chaos et au conflit interne et, d’autre part, au communautarisme qui caractérise désormais la société irakienne. Néanmoins, « les catégories ethniques et religieuses promues par les forces étrangères... ne peuvent expliquer à elles seules les niveaux de violence atteints ces dernières années ». Les divisions entre sunnites sont aussi à prendre en compte, les uns défendant le nationalisme et l’unité de l’Irak, les autres prônant le djihad et la sécession territoriale.

5Pour éclairer cette situation géopolitique tragique et chaotique, l’auteure en retrace les étapes et l’engrenage. Les grossières erreurs des Américains dans leur volonté de débaathifier l’Irak ont poussé les sunnites à prendre les armes, associant lutte de libération nationale et djihad, ce que Myriam Benraad explique dans un excellent chapitre « Djihad et libération ». Autre chapitre très éclairant, « L’engrenage salafiste », dans lequel est analysé le rôle d’Al-Qaïda qui a réussi à imposer son primat idéologique et militaire qui promet une guerre sans merci contre les chiites (plus de 19 000 civils tués dans les violences religieuses en six mois en 2006 et près de 700 000 déplacés internes au cours de cette même année, plus de 1,2 million l’année suivante). L’unité sunnite a rapidement fait place à de profondes divisions, chaque tribu ou groupe de tribus luttant pour prendre le contrôle des ressources militaires, politiques et économiques. Ces divisions vont contribuer au réveil des tribus (plus de 100) déjà amorcé avant la chute de Saddam Hussein qui avait été contraint de s’appuyer sur elles après sa débâcle militaire au Koweït.

6Le retrait des Américains fin 2011 ne met pas fin aux conflits internes. Une partition de l’Irak en trois est de plus en plus évoquée, surtout par les Kurdes et les sunnites, les déplacements massifs de populations préparant en quelque sorte la formation de zones homogènes sur le plan confessionnel. En 2014 commence l’offensive de Daech sur le nord du pays. « C’est sur la frustration et la colère des sunnites, écrasés par le régime chiite installé à Bagdad depuis la chute de Saddam Hussein, que s’est déployé l’État islamique... promettant aux grands perdants de l’intervention de 2003 (dont de nombreux baathistes et officiers) une revanche sur cette désunification à marche forcée de l’Irak » (p. 253).

7La grande interrogation est désormais comment gagner le combat contre Daech sans unir les acteurs irakiens : armée irakienne, tribus sunnites, insurgés islamistes modérés, ce qui est pour le moment improbable.

8Béatrice Giblin

Frédéric Encel, Géopolitique du Printemps arabe, Paris, PUF, 2014, 256 pages.

9Frédéric Encel a été formé par Yves Lacoste qui a dirigé sa thèse Géopolitique de Jérusalem (soutenue en 1997). Il assure un séminaire sur le Proche-Orient au master recherche de l’Institut français de géopolitique, dirige des doctorants du laboratoire de recherche de ce même Institut et publie régulièrement dans Hérodote. C’est donc un proche de la revue.

10Depuis la publication de sa thèse, rééditée plusieurs fois, il a écrit une douzaine d’ouvrages qui ont souvent connu plusieurs éditions, preuve de l’intérêt que les lecteurs portent à ses analyses. C’est pourtant la première fois qu’Hérodote décide de rendre compte de l’un de ses ouvrages, Géopolitique du Printemps arabe – il est vrai que nous n’avons pas la réputation de faire beaucoup d’autopromotion.

11Un avertissement précède un préambule de quelques pages – signe que l’auteur tient à bien préciser quel est son objectif – Il explique pourquoi il a jugé utile d’écrire cet ouvrage de géopolitique en essayant « d’appréhender au plus près les représentations des acteurs, autrement dit leur manière de penser l’ennemi, son appartenance identitaire, l’espace, le temps, la paix, la guerre » (p. 18). Sans euphémisme, dans le préambule, Frédéric Encel parle du « désastre arabe » c’est-à-dire d’un monde arabe qui jusqu’à l’hiver-printemps 2011 n’évoluait pas, ou presque, quand l’ensemble des autres pays de ce qu’on appelait le tiers monde – à l’exception toutefois de certains pays de l’Afrique médiane – étaient en pleine évolution sous les effets de la mondialisation. Il revient sur cette exigence qui est aussi celle de la revue : comprendre et pour ce faire aider à ce que la raison l’emporte sur la passion si souvent présente quand il s’agit de questions géopolitiques.

12Quatre chapitres, 220 pages très accessibles et pédagogiques, un index, une chronologie des événements et une bibliographie sélective francophone et cinq cartes permettent au lecteur de replacer les événements du Printemps arabe dans le contexte d’un monde arabe en crise et dans celui spécifique de chaque pays. Le premier chapitre est un constat sévère, mais juste, de la stagnation politique institutionnelle du monde arabe et de la culture du ressentiment (autrement dit : tout est de la faute de l’Occident, c’est-à-dire des impérialismes britannique, français et américain) ; de sa faiblesse militaire et stratégique ; de ses divisions et déchirures, qu’il s’agisse de conflits et contentieux internes ou externes. Le chapitre 2, « Nature et déroulement du Printemps arabe », a ces interrogations basiques et incontournables en géopolitique : où, quand, pourquoi, comment ? Quels furent les moteurs de ces soulèvements ? Frédéric Encel propose des explications claires des raisons et causes de la réussite (même temporaire) de certaines révoltes et des échecs dramatiques d’autres et de la non-intervention occidentale en Syrie par crainte d’une escalade militaire, d’une déstabilisation régionale encore plus grande et d’une dangereuse dégradation des relations avec la Russie.

13Le chapitre 3, « Ce que le Printemps arabe a révélé des grandes puissances », dit l’échec des services de renseignement arabes comme occidentaux, l’absence d’« Europe géopolitique », disons de politique étrangère commune, l’absence des grands émergents (Brésil, Chine, Inde) échec turc, blocage à l’ONU, l’incapacité à protéger les chrétiens d’Orient.

14Enfin dans le quatrième chapitre, « Hypothèses et perspectives », Frédéric Encel voit la fin d’une première étape (et non la fin du Printemps arabe, les révolutions demandent du temps) avec l’élection de Al-Sissi à la présidence de la République d’Égypte et l’adoption positive de la Constitution tunisienne qui respecte les droits de la femme, et pour la suite sans doute une période d’instabilité institutionnelle et territoriale et les trois déchirures durables du monde arabe, la nation contre l’oumma, chiites contre sunnites et islamistes contre islamistes : Frères musulmans contre salafistes, Al-Qaïda contre Daech.

15Un livre très accessible et utile parce que les questions qui y sont posées n’ont pas fini de nous concerner.

16Béatrice Giblin

Jean-Pierre Filiu, Les Arabes, leur destin et le nôtre. Histoire d’une libération, Paris, La Découverte, 2015, 147 pages.

17Il s’agit avant tout d’un hommage rendu aux peuples arabes qui, depuis plus de deux siècles, luttent contre des forces à la fois internes et externes pour sortir de leur statut de domination et pour être reconnus comme souverains. L’objectif de cet essai est de répondre aux nombreux stéréotypes que l’actualité tragique en France ces derniers temps ne cesse de renforcer, à savoir qu’il existerait une certaine « exception » ou fatalité arabe. Ces peuples, du Maroc au Yémen, en passant par le Moyen-Orient, seraient condamnés à vivre à jamais sous le joug de pouvoirs totalitaires et liberticides. Fin connaisseur de l’histoire contemporaine de ces pays, l’auteur entend répondre à ces préjugés à travers une fresque historique qui remonte au xviiie siècle (expédition de Napoléon Bonaparte en Égypte).

18Il retrace les différentes étapes de la lutte de ces peuples pour leur émancipation politique et culturelle face à des pouvoirs étrangers (Empire ottoman, puissances coloniales) ou nationaux mais identifiés comme des forces d’occupation en raison de leurs comportements liberticides et répressifs à l’égard de leurs propres populations. Les aspirations démocratiques ont été systématiquement réprimées par les dirigeants successifs, plongeant progressivement les peuples et leurs élites intellectuelles dans une sorte d’apparente passivité intellectuelle.

19Pourtant, dès la fin du xixe siècle, le monde arabe était animé par une effervescence intellectuelle et culturelle sans précédent ; la Nahda (notamment dans les provinces syriennes de l’Empire ottoman, en Égypte et en Tunisie). Les élites arabes aspiraient à la démocratie et au pluralisme politique à travers un mode de gouvernance parlementaire.

20Pour comprendre comment les Arabes sont passés du joug colonial à celui de régimes dictatoriaux, l’auteur identifie trois étapes complémentaires. Tout d’abord, la militarisation et la radicalisation de la lutte anticoloniale comme conséquence directe de la répression aveugle des puissances occupantes. Les confrontations armées eurent pour conséquence d’entraîner une structuration plus hiérarchisée des partis (de type pyramidal et coercitif), sur fond de purge des modérés et des collaborateurs (dimension classique de guerre civile). Puis l’implantation d’un foyer juif en Palestine qui donna naissance en 1948 à l’État d’Israël et à toute une série de guerres israélo-arabes. Dès lors, la tragédie palestinienne va devenir l’élément central et unique du discours nationaliste arabe et un véritable enjeu de pouvoir entre les États fraîchement indépendants. À travers vingt ans de coups d’État répétitifs, des officiers issus des périphéries géographiques ou de classes sociales modestes s’emparent du pouvoir sur un schéma social de type revanchard. Ils réduisent le pluralisme politique et la vie parlementaire à néant, associant ces valeurs occidentales aux anciens occupants. Tout ceci sur fond d’une rivalité d’influence croissante entre l’Égypte de Nasser et l’Arabie saoudite de Ibn Saoud à l’origine de nombreux autres conflits régionaux meurtriers (Yémen, etc.) et surtout de la montée en puissance de l’affrontement idéologique entre les Frères musulmans et les salafistes quiétistes. 1979 et l’avènement de la République islamique d’Iran ne firent que conforter les bases despotiques des régimes dictatoriaux arabes. L’Irak, considéré alors comme le principal rempart contre l’expansion chiite, fut surarmé par l’Occident et sa population abandonnée maintes fois à la barbarie de Saddam Hussein. L’auteur déplore les réactions occidentales peu enthousiastes face aux révolutions arabes en cours depuis 2011, pourtant synonymes à ses yeux du renouveau de la Nahda. Enfin, il dénonce le retournement des opinions occidentales désormais « contre-révolutionnaires », animées par le « fantasme d’éradication de la contestation islamique », grand credo de légitimation des pouvoirs dictatoriaux arabes. Dans ces conditions d’abandon occidental des aspirations des populations arabes et de répressions tous azimuts, il semble malheureusement que la représentation de l’« exception arabe » ait encore de longs jours devant elle...

21Isabelle Feuerstoss

Pierre-Jean Luizard, Le Piège Daech. L’État islamique ou le retour de l’Histoire, Paris, La Découverte, 2015, 100 pages.

22Loin de s’inscrire dans la lignée des nombreux articles consacrés à l’État islamique (EI) qui s’attachent à décrire ses actions spectaculaires, son fonctionnement ou son organisation, le présent ouvrage se démarque par l’originalité et la pertinence de sa démarche. En effet, l’auteur part de l’échelle locale et de ses connaissances intimes des particularismes socioethniques, économiques et communautaires des territoires irakiens (et dans une moindre mesure, syriens) pour élaborer une analyse fine des dynamiques observées. Il nous livre une interprétation originale des mécanismes du succès fulgurant de la première phase de la conquête territoriale de l’EI en Irak, organisation qui, contrairement aux idées reçues, s’avère sur le terrain redoutablement pragmatique. Pour preuve, dès juin 2014, les trois quarts des zones sunnites irakiennes sont tombés sans combat grâce à une politique d’alliances et de partage de territoires avec les Kurdes ; ce que l’auteur appelle le « grand jeu communautaire ». Par-dessus tout, le succès de Daech revêt une dimension sociale face à une armée irakienne assimilée dans les provinces sunnites irakiennes à une force d’occupation chiite. Fin juin 2014, la rupture de l’accord de partage territorial avec les Kurdes sous la pression de Bagdad et de ses alliés, ainsi que la montée en puissance des milices chiites entraînèrent le retrait de l’EI des zones communautaires mixtes. La seconde phase d’expansion territoriale de l’EI commence alors avec la proclamation d’un califat sunnite transcendant pour la première fois de l’histoire les frontières de Sykes-Picot. Dès lors, pour transcender les limites communautaires et confessionnelles très étroites de son berceau irakien, l’EI développe un discours militant et universaliste, une « sortie vers le haut », n’hésitant pas à avoir recours aux temps longs de l’Histoire en dénonçant toutes les humiliations, trahisons et duplicités passées des anciennes puissances coloniales et des élites panarabistes, ces dernières n’ayant jamais remis concrètement en cause les frontières héritées des mandats. Pour autant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’attractivité internationale de l’EI repose essentiellement sur son ancrage territorial.

23Ce qui frappe à la lecture de cette analyse, c’est la continuité historique des dynamiques locales et des erreurs répétées par les pouvoirs en place successifs. L’auteur le souligne, l’EI symbolise le retour brutal et prévisible de l’Histoire. Nul ne devrait être surpris par l’expansion territoriale éclair de l’EI car elle n’est que le résultat des processus de fragmentation, de délitement et de communautarisation territoriaux en œuvre depuis l’instauration des mandats en Syrie et en Irak. Les trajectoires politiques de ces deux États diffèrent. Du mandat britannique à l’invasion américaine en 2003, l’État irakien a été conçu au profit exclusif de la minorité sunnite. Les chiites, majoritaires, ont été constamment discriminés dans leur accès à la citoyenneté et à la représentativité politique et militaire. Depuis 2003, les chiites prennent leur revanche, et ce sont les sunnites qui désormais n’ont plus d’espoir de réintégrer un jour le système politique national irakien en l’état actuel. C’est sur ce terrain de la marginalisation et de l’exclusion que l’EI prospère.

24Dans ce contexte, pour l’auteur, le « piège de Daech » consiste à impliquer malgré eux l’Occident et ses alliés régionaux dans une guerre perdue d’avance car dénuée de toute perspective politique pour la région et ces laissés-pour-compte. Une défaite militaire de l’EI ne réglera rien dans la région si les causes de son succès ne sont pas prises en compte.

25Isabelle Feuerstoss

Isabelle Feuerstoss, La Syrie et la France, Enjeux géopolitiques et diplomatiques, L’Harmattan, 2013, 438 pages.

26À l’origine de cet ouvrage, il y a une thèse universitaire de géopolitique qui répondait aux exigences classiques de ce type de travaux universitaires. En revanche, ce qui l’était moins c’était le sujet, les relations franco-syriennes traitées avec une approche relevant de la géopolitique et non des relations internationales.

27Qu’est-ce à dire ? Bien que nous soyons sur le champ des relations internationales, qui a ses règles et ses modèles, Isabelle Feuerstoss s’en est émancipée car les situations géopolitiques sont toujours singulières et ne correspondent pas à un modèle. Ainsi, si l’on se réfère aux situations de ce qui fut appelé le « printemps arabe », on mesure combien la situation syrienne en diffère tragiquement. La France s’est impliquée dans ce conflit interne, devenu une guerre civile, à la différence de ses partenaires européens. Cet engagement s’explique par la relation complexe de la France avec la Syrie et le peuple syrien, que n’ont pas les autres États de l’Union européenne, et ce depuis le mandat, exercé de la fin de la Première Guerre mondiale à la fin de la Seconde.

28C’est cette relation, particulière, qu’Isabelle Feuerstoss a étudiée dans sa thèse. Elle connaît bien la Syrie, parle couramment l’arabe et y a séjourné longtemps à plusieurs reprises. Partant de la situation actuelle, celle du début des années 2000, elle a dû, pour en expliquer la complexité, faire un long retour historique sur la période mandataire à l’origine de cette relation particulière faite à la fois du rejet de la puissance coloniale et d’une certaine fascination pour sa culture, sa langue, l’efficacité de son administration au point d’en reprendre quelques caractéristiques. Cet ouvrage analyse l’impact des représentations historiques sur les relations franco-syriennes et c’est en cela qu’il relève clairement de la démarche géopolitique car toute situation géopolitique s’explique aussi par des représentations divergentes, contradictoires, antagonistes, sur lesquelles les protagonistes s’appuient pour concevoir des stratégies.

29Il ne s’agit donc pas d’une géopolitique de l’instant, du seul temps contemporain, de l’histoire immédiate. L’analyse géopolitique, ici, identifie et analyse des logiques qui se déploient autant sur des temps longs que sur des temps courts. Ainsi, les représentations anciennes du Levant ont encore quelque influence sur les situations géopolitiques contemporaines, de même les représentations contradictoires de ce que fut le mandat français sont toujours présentes dans la mémoire collective syrienne et, dans une moindre mesure, dans les milieux politique et diplomatique français. Citons encore l’héritage des frontières mandataires et les conséquences de la manipulation des groupes minoritaires en Syrie par les fonctionnaires français, que l’on retrouve actuellement dans le scénario d’un éclatement de la Syrie et dans la possible recréation d’un État alaouite. Les conséquences territoriales de la période mandataire gardent ou retrouvent une actualité certaine.

30Cependant, les relations franco-syriennes ont aussi fluctué entre entente et conflit au rythme des situations géopolitiques régionales : Israël perturbateur des relations franco-syriennes, l’instauration du régime islamique iranien, la chute de l’URSS, la guerre du Koweït, l’accord politico-militaire entre Israël et la Turquie, les interventions militaires américaines en Irak et en Afghanistan, etc.

31Publié plus de deux ans après l’achèvement de sa thèse il était indispensable de faire une mise à jour sérieuse de celle-ci compte tenu du bouleversement interne de la Syrie. C’est alors que l’on mesure l’utilité d’une connaissance profonde de l’histoire associée à une connaissance tout aussi profonde des rapports de forces et des rivalités de pouvoirs locaux, régionaux, internationaux – soutiens de l’Iran et de la Russie au régime de Bachar al-Assad – actuels pour rendre compte avec lucidité de la tragique situation syrienne. C’est ce que fait avec tristesse et compétence Isabelle Feuerstoss.

L’Arabie saoudite, revue Moyen-Orient, n° 29 janvier-mars 2016.

32La revue Moyen-Orient consacre son dernier numéro à l’Arabie saoudite. Sa lecture conforte l’article d’Olivier Da Lage dans ce numéro d’Hérodote : l’Arabie saoudite est un État à risques.

33Ce dossier commence par d’utiles repères géographiques et historiques ; une carte montre l’importance de la population étrangère dans les différentes provinces et une autre, intitulée « Panorama religieux », la densité des groupes de mémorisation du Coran par province, faisant apparaître qu’elle est très élevée dans la grande province orientale Ach Charqiya par rapport à la population, il aurait été bien venu d’y mettre la population chiite, très importante dans cette région qui est aussi celle des hydrocarbures. Ces deux facteurs expliquent sans doute cette forte densité.

34Le premier article analyse les changements liés à l’arrivée au pouvoir du roi Salman en janvier 2015 tant sur le plan de la géopolitique externe, avec une diplomatie régionale plus offensive allant jusqu’à l’intervention armée au Yémen, que de la géopolitique interne. Le clan Soudeïri contrôle désormais tous les postes importants de pouvoir au détriment des autres clans, alors que la répartition des postes s’était toujours faite de façon consensuelle pour associer au pouvoir toutes les branches importantes des descendants du fondateur de la dynastie. Néanmoins la sécurité intérieure et extérieure du royaume exige l’entente des différents appareils de coercition saoudiens interdépendants les uns des autres, obligeant les trois princes qui se trouvent à leur tête à coopérer.

35Quant à l’économie, la question est posée de la fin plus ou moins proche de l’économie de rente et des difficiles problèmes que posent le chômage et l’éducation, et, question encore plus délicate, la saoudisation des emplois pour réduire la présence des travailleurs étrangers, car elle nécessite de faire appel aux femmes pour exercer certaines fonctions.

36Ce dossier aborde une question souvent ignorée, celle des tensions régionales internes à l’Arabie saoudite, en particulier dans la province orientale mais aussi dans le Sud-Ouest où les chiites se perçoivent comme des citoyens de seconde zone et toujours suspectés de possible trahison au profit de l’Iran, ennemi principal du royaume.

37D’autres aspects de l’Arabie saoudite moins connus sont aussi abordés, l’urbanisme de La Mecque avec un plan et surtout la littérature saoudienne qui commence à être traduite depuis quelques années. « Les écrivains femmes occupent une place importante dans cette nouvelle vague de romans subversifs. » Elles investissent aussi les problèmes sociaux comme le racisme, les immigrés ou les minorités.

38Un numéro très utile pour mieux comprendre un des pays les plus importants du Moyen-Orient car il joue un rôle de premier plan dans la situation géopolitique régionale.

39Béatrice Giblin


Date de mise en ligne : 02/05/2016

https://doi.org/10.3917/her.160.0411

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