Notes
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[1]
Université de Perpignan/UMR Art-Dev 5281.
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[2]
Université de Perpignan/UMR Art-Dev 5281.
-
[3]
Aux élections régionales de 1986 et de 1998, le président UMP Blanc avait passé un accord Hérodote, n° 154, et fait union avec le FN.
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[4]
Pierre Sergent (1926-1992) ancien résistant, putschiste en Algérie, membre de l’OAS, condamné à mort en 1962, fut député des Pyrénées-Orientales.
-
[5]
36 % aux municipales de 1995.
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[6]
A.-Y. Beck est le fondateur de « Nouvelle résistance », un groupuscule prônant « un fascisme dans sa version anticapitaliste », source : rue89.nouvelobs.com, « Un ultra dans les coulisses de campagne de Robert Ménard ».
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[7]
Au second tour, abstention de 31,5 % à Béziers, 37 % à Perpignan, 36 % moyenne nationale.
-
[8]
Dépêche AFP/Le Point du 15/02/2014.
-
[9]
Déclaration de Louis Aliot, cité Nouveau Logis les Pins, L’Indépendant du 14/02/2014.
-
[10]
A. Mestre et F. Palem, « Dans le quartier gitan de Perpignan, la tentation frontiste », Le Monde, 13/03/2014.
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[11]
J. Molénat, « Raymond Couderc : l’équilibriste », L’Express, 09/01/2003.
-
[12]
Gavach : habitant des montagnes en occitan.
-
[13]
A. Lévy, « Les sept plaies de Béziers », Le Point, 20/02/2014.
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[14]
J.-P. Alduy nouvellement réélu en 2009 a cédé sa place de maire à son premier adjoint J.-M. Pujol afin de prendre la présidence de la communauté d’agglomération.
1 Les élections municipales de 2014 à Béziers et Perpignan révèlent moins la « montée » du Front national (FN) qu’un enracinement plus complexe des droites extrêmes, marqueur de profonds changements. Ces deux villes identiquement caractérisées par la pauvreté, les héritages de systèmes géopolitiques et le difficile renouvellement des notabilités politiques constituent des territoires propices à l’extrême-droitisation des représentations politiques. Elles donnent à lire un paysage politique remodelé et dominé par les acteurs et les représentations de la droite dure et de l’extrême droite, pendant que s’affichent la fragmentation des gauches municipales et l’échec de la géopolitique urbaine de la gauche régionale « post-frêchiste ». Ces changements attestent une mutation du paysage électoral où s’affirment ceux que nous qualifions, en dévoyant l’expression de E. Négrier [2011], de « nouveaux » maîtres du Sud. Expression provocatrice dont l’intérêt consiste à révéler l’ancrage d’acteurs politiques à l’extrême droite et le changement d’une époque en Languedoc-Roussillon. Par « nouveaux maîtres du Sud », nous désignons un ensemble hétéroclite d’acteurs allant de la droite dure à l’extrême droite, issus de mouvances diverses (Front national, mouvements pour la défense de l’Algérie française, Bloc identitaire), ancrés dans le paysage politique et les territoires urbains. Se dessine une géographie électorale inédite où le vote en faveur des droites extrêmes n’est pas l’apanage de contestataires (ouvriers, chômeurs) mais résonne comme un vote d’adhésion. Celui-ci couvre un large spectre social allant « du Gitan au bourgeois » et est porté par des discours antisystème qui promeuvent la préférence communale et s’appuient sur des référents identitaires multiples amalgamant identités pied-noir, régionaliste ou gitane. Intervenant sur fond de renouvellement des notabilités politiques, ces changements bousculent représentations et imaginaires politiques. Ils posent aussi en Languedoc-Roussillon la question du leadership politique aux niveaux de l’agglomération et de la région.
Des territoires propices à l’« extrême-droitisation » des représentations politiques
2 L’élection en mars 2014 d’un maire soutenu par des partis d’extrême droite à Béziers (Robert Ménard, 46,99 %) et le score élevé du candidat frontiste à Perpignan (Louis Aliot, 45 %) ne sont pas des surprises.
Villes laboratoires et « front sudiste »
3 Cibles du FN, ces villes participent d’une stratégie de conquête des villes moyennes et symbolisent l’implantation d’un « front sudiste » en Languedoc-Roussillon [IFOP, 2013]. Perpignan et Béziers constituent des terres méridionales réceptives aux idées frontistes pour deux figures nationales de l’extrême droite en quête de légitimité locale. Depuis 1986 à Perpignan, avec l’élection du député frontiste Pierre Sergent (30 % en 1989), et les années 1990 à Béziers, les scores du FN y sont traditionnellement élevés. Plus largement, en Languedoc-Roussillon l’attitude conciliante de la droite régionale [3] constitue une « intrigue bienveillante » [Négrier, 2011], faisant du vote FN une constante électorale. Jusqu’en 2014, la présence du FN n’impliquait pas d’enracinement de leaders frontistes à l’exception de Pierre Sergent [4] et de Jean-Louis de Noell dans les Pyrénées-Orientales [5]. À Perpignan et à Béziers, le vote FN est facilité par la présence de groupes sociaux réceptifs au discours frontiste comme les familles de rapatriés d’Algérie.
4 Pour le vice-président du FN (Aliot), la conquête de Perpignan a valeur de symbole pour confirmer la stratégie de normalisation du FN. En effet, la liste « Perpignan ensemble » entend démontrer ses capacités de rassemblement d’un électorat hétéroclite. Incarnant une rupture rassurante, Aliot expérimente à Perpignan la campagne d’un nouveau FN entre populisme et démocratie [Wieviorka, 2013] y exhortant un « rassemblement Bleu Marine indépendant ». Quant à Robert Ménard, il n’a eu de cesse de publiciser l’ouverture de sa liste « Choisir Béziers ». Cet apparent brouillage des frontières participe de l’argumentaire du FN rejetant l’« UMPS ». L’examen de la composition des deux listes offre une lecture différente. Derrière l’affichage de listes de « socioprofessionnels » figure un personnel politique hétéroclite allant de la droite extrême à l’extrême droite. La liste « Choisir Béziers » est ainsi soutenue par le courant Bleu Marine, Debout la République, Renouvellement pour la France, le Mouvement pour la France, des membres du Bloc identitaire et une élue dissidente de l’UMP. La présence de deux membres du Bloc identitaire dans l’équipe de campagne de Ménard et celle discrète d’André-Yves Beck [6] attestent son ancrage extrême-droitier. À Perpignan, la liste d’Aliot comporte un théoricien du FN (B. Le Maire, conseiller économique de Marine Le Pen), un catholique traditionaliste, un fils de harki et des nostalgiques de l’Algérie française.
Les ressorts locaux de l’extrême-droitisation
5 Les résultats de 2014 tiennent moins à l’abstention [7] ou aux effets d’une triangulaire (à Béziers) que de l’agrégation quasi mimétique de trois éléments qui y expliquent l’importance du vote extrémiste.
L’instrumentalisation de la pauvreté : « la souffrance » des centres-villes
6 Béziers et Perpignan figurent parmi les villes les plus pauvres de France et se caractérisent par l’« ultrapaupérisation » des quartiers centraux et par une fragmentation socioethnique de l’espace urbain. Nous entendons par « ultrapaupérisation » l’accumulation dans des quartiers miséreux des centres-villes de maux sociaux affectant des populations fragiles (chômage supérieur à 30 %, part des bénéficiaires des minima sociaux supérieure à la moyenne nationale) et de conditions de dégradations physiques avancées (insalubrité, vacance résidentielle, déclin commercial). Béziers, 4e ville la plus pauvre de France selon l’Insee, cumule les handicaps. Ainsi, 33 % des Biterrois vivent sous le seuil de pauvreté pendant que le centre-ville se désertifie et concentre des formes localisées de précarité auxquelles s’associe le déploiement de la vacance résidentielle. Phénomène similaire à Perpignan où la déprise des rues commerçantes du centre jouxte l’insalubrité des quartiers populaires (4000 logements indignes). Cinquième ville la plus pauvre de France, Perpignan abrite d’importantes populations pauvres et minorisées (Gitans, Maghrébins) dans les quartiers dégradés du centre (dont Saint-Jacques, quartier gitan désigné en 2013 par l’Insee comme le plus pauvre de France). L’insalubrité des quartiers centraux couplée aux tensions en matière d’accès au logement entre résidents gitans et maghrébins y fait peser le spectre des émeutes urbaines. Désertification et vacance résidentielle à Béziers, insalubrité et tensions communautaires à Perpignan fournissent un terreau favorable au déploiement de la rhétorique frontiste et à une extrême-droitisation des représentations politiques.
7 La « souffrance du centre-ville », argument des discours de Ménard et d’Aliot, sert à dénoncer l’inefficacité des équipes municipales en place. Aliot dénonce « les politiques clientélistes éhontées, la situation désastreuse de certains quartiers. On achète la paix sociale [8] ». Pendant que Ménard se veut le porte-parole d’un « ras-le-bol généralisé après dix-ans ans de gestion UMP ». Elle alimente une rhétorique antisystème amalgamant insécurité, crise du centre, paupérisation, immigration, pauvreté, clientélisme et communautarisme. Le vote FN des quartiers dégradés est aussi la traduction spatiale de la recherche d’une remise à jour d’un système social en grande difficulté [Lebourg, 2014] de la part de populations qui estiment avoir été tenues à l’écart de celui-ci. Lorsque Aliot parcourt les quartiers gitans de Perpignan ce n’est pas pour dénoncer l’assistanat d’un groupe stigmatisé mais pour séduire un électorat dont le poids n’est pas négligeable [Giband, 2006] : « Ils sont français, mesdames et messieurs, comme vous, ces citoyens français veulent travailler [9]. » Discours efficace à Perpignan où depuis les émeutes de 2005 de nombreux Gitans jouent la carte de l’autochtone contre l’étranger.
Les Gitans catalans se sentent français. Nous sommes depuis soixante-quinze ans à Saint-Jacques ! Le vote FN est pour beaucoup un vote raciste contre les Arabes. Cette tentation existe depuis une quinzaine d’années et est alimentée par la peur de se faire voler son travail [10].
L’antisystème ou faire table rase des systèmes géopolitiques locaux
9 À Perpignan, la stratégie du FN passe par une campagne électorale pondérée pour un candidat qui « refuse de faire des promesses ». Pendant qu’à Béziers Ménard se présente comme « un Biterrois qui a réussi ». Les deux candidats développent des propositions mettant en avant la préférence communale et la baisse de la fiscalité, nouveaux référents de l’action politique de l’extrême droite, renvoyant au second plan la lutte contre l’insécurité ou l’immigration. Aliot et Ménard, en dénonçant les « trois piliers » du déclin (clientélisme, communautarisme et affairisme), entonnent un même discours antisystème. La dénonciation des « systèmes clientélistes et communautaristes » sert de leitmotiv dans deux villes fragmentées par leur organisation socioethnique et par l’héritage du clientélisme municipal. Or une confusion s’opère entre ce qui relève de régimes clientélistes municipaux (souvent fantasmés et défunts) et de systèmes géopolitiques locaux.
10 Les deux villes se caractérisent, en effet, par la présence de systèmes géopolitiques territorialisés. À Perpignan, J.-P. Alduy succédant à son père – qui avait mis en place un système clientéliste reposant sur un registre ethnique et territorial [Giband, 2006] – développe un mode de gouvernance partiellement rénové. Il rassemble une coalition de centre droit tout en continuant à profiter des appuis électoralement utiles de son père. Il met en place un système géopolitique ancré dans des fiefs électoraux hérités (quartiers gitans et pieds-noirs) et nouvellement construits autour d’un projet urbain (l’archipel roussillonnais). On souscrit à l’hypothèse formulée par C. Maury [2008] pour qui il s’agit moins d’une transmission de réseaux de clientèles du père au fils que d’une transmission d’outils clientélistes. Il développe un leadership politique dont les ressorts reposent sur un ancrage dans des territoires électoraux et sur l’importance accordée à l’action urbanistique et au déploiement d’imaginaires territoriaux. Son action se caractérise par un mélange de grands projets en centre-ville et de marketing territorial, associant une identité catalane renouvelée (« Perpignan la catalane ») au déploiement d’une politique urbaine arrimée à la coopération transfrontalière avec la « Catalogne Sud ». Les émeutes de 2005 témoignent d’un essoufflement de ce système géopolitique. Cela tient à la conjonction de quelques éléments : l’enkystement d’une pauvreté ethnicisée en centre-ville, l’échec des politiques publiques centrées sur la construction de grands équipements contestés pour leur poids dans l’endettement et leur inefficacité économique (gare TGV, théâtre de l’Archipel), l’usure liée à la personnification du pouvoir et la fin du mythe salvateur de la Catalogne Sud (au rythme de l’effondrement économique de l’Espagne).
11 À Béziers, lorsque R. Couderc prend l’hôtel de ville en 1995, il organise un système géopolitique qui s’appuie sur les réseaux communautaires et les lobbies de la ville : groupes rattachés à la franc-maçonnerie (dont ses deux directeurs de cabinet ont été membres), lobbies taurins (il a présidé l’Union des villes taurines) qui jouent un rôle important dans l’identité locale ; ou encore ceux que le magazine L’Express qualifiait en 2003 de « communautés organisées de la ville [11] ». On y trouve des associations de descendants d’Aveyronnais, d’Ariégeois, de Tarnais, autant de « gavachs [12] » dont les ancêtres ont participé au dynamisme de la ville et qui entretiennent un héritage identitaire. Il prend soin de l’électorat confessionnel (israélite et catholique). Se structure un système géopolitique articulé à des réseaux de lobbies et de clientèles culturelles, communautaires ou religieuses qui, jusqu’à une période récente, assurent une réélection à l’équipe en place. Ces systèmes géopolitiques semblent toutefois en bout de course. À l’usure du pouvoir et à sa forte personnalisation s’ajoute le poids des échecs. À Perpignan, l’opposition n’a de cesse de dénoncer la gabegie des grands équipements et l’endettement induit. Pendant qu’à Béziers les « sept plaies [13] » de la ville plombent le bilan de Couderc (insécurité, pauvreté, démographie, fiscalité, inondation, menaces sur l’antenne universitaire, déclin du centre).
Le difficile renouvellement des notables politiques
12 La fin de longs mandats de notables de la droite républicaine s’effectue sur fond de difficiles héritages, de rivalités internes et d’un droit d’inventaire non assumé. Aux deux figures de notables de la vie politique locale succèdent des « seconds couteaux », restés dans l’ombre. J.-M. Pujol, ex-premier adjoint puis maire non élu de Perpignan [14], apparaît comme le « mal élu ». À Béziers, la délicate union de la droite se fait dans un contexte de succession difficile de Couderc. Élie Aboud, second adjoint et député, se heurte à une partie de la droite biterroise qui minore sa légitimité et aux velléités de Couderc qui brigue un temps la présidence de l’agglomération.
13 Ces candidatures symbolisent un changement d’avec les lignes politiques précédentes. Pujol engage une droitisation forte en rupture avec la pratique d’ouverture politique du centre droit d’Alduy. Derrière les discours de façade sur la continuité de l’action politique se joue une rivalité pour la succession. Elle oppose les représentants du centre droit inscrits dans une tradition alduyste de projet de territoire à la vision d’une droite plus dure dont le discours se recentre sur les questions de sécurité, de fiscalité et de proximité de l’action politique. S’affirme un courant droitier dont la tête de liste se veut le héraut d’une droite forte, marquée par la place des pieds-noirs dans la ville, porteur d’un discours quelque peu anachronique dénonçant son rival socialiste comme « inféodé au pouvoir socialo-communiste ». Stratégie de droitisation qui suscite les quolibets du FN appelant les électeurs à « préférer l’original à la copie ». À Béziers, le discours sur le bilan supposément désastreux de Couderc est porté par une partie de la droite municipale, rendant difficile sa succession par son ancien adjoint.
14 Les candidats de la droite ont aussi eu à affronter deux leaders médiatiques de l’extrême droite. Le vice-président du FN comme le fondateur de Reporters sans frontières (RSF, R. Ménard) ont bénéficié d’une couverture médiatique qui a contribué à renforcer leur visibilité sur la scène municipale en dépit d’une faible implantation locale. S’il est difficile d’en évaluer les retombées électorales, cette médiatisation sert de caisse de résonance à la rhétorique dénonçant les systèmes en place et l’incapacité d’agir des partis traditionnels.
Une géographie électorale renouvelée : les droites extrêmes maîtresses du Sud ?
15 Le renouvellement des leaderships par les droites dures et l’extrême droite bouleverse l’échiquier politique et modifie les cartes électorales des deux villes.
« Du Gitan au bourgeois », le vote FN à Perpignan
16 Les municipales donnent ici à lire une carte électorale renouvelée où trois enseignements sont à tirer (figure 1). Premièrement, l’effondrement de la gauche qui, partie en ordre dispersé et disqualifiée pour le second tour, peine avec 11,92 % des suffrages à s’affirmer, y compris dans les quartiers d’habitat social où elle ne dépasse pas les 20 %. Deuxièmement, ce sont les quartiers du Vernet, mélange d’habitat social et de quartiers pavillonnaires modestes, traditionnellement fidèles à la droite municipale (ayant bénéficié des opérations de rénovation urbaine) et ceux d’une partie du centre-ville qui permettent la réélection du maire UMP. Une analyse par bureaux de vote montre que ce sont les quartiers pavillonnaires modestes du Nord qui pèsent le plus (60 %). Troisièmement, on assiste à un renouvellement social et spatial du vote FN dont l’électorat s’étire sur un large spectre allant « du Gitan au bourgeois ». Trois types de quartiers et de populations offrent des scores élevés au FN. D’abord, les populations pieds-noirs du quartier du Moulin à vent (56 %). Ancien bastion de P. Sergent, il abrite une importante population descendant des rapatriés d’Algérie qu’Aliot a ciblée pendant sa campagne, rappelant régulièrement son origine pied-noir. On trouve ensuite un ensemble disparate de quartiers modestes composés du quartier gitan et de quartiers péricentraux des classes moyennes inférieures (employés, ouvriers) qui tantôt, comme le Bas-Vernet, Las Cobas, Saint-Assiscle (52 % à 55 % pour le FN) situés à proximité de cités d’habitat social, se sentent délaissés par les politiques d’urbanisme ; ou tantôt, comme les lotissements des quartiers sud de la ville (Porte d’Espagne, Catalunya, 52 %), sont isolés au milieu de zones commerciales. À ces délaissés de l’urbanisme s’ajoute le vote des quartiers résidentiels aisés de l’Est (route de Canet, 53 %). Il s’agit de quartiers abritant une population de cadres supérieurs, commerçants, chefs d’entreprise, professions médicales. Dans ce « Perpignan chic », le discours antifiscaliste du FN, promouvant la défense de la propriété privée, joue à plein. S’affirme avec ce vote la revanche des périphéries, bric-à-brac de quartiers résidentiels modestes et aisés, cumulant les rancœurs à l’égard du centre-ville (vu comme un ghetto ethnique et le lieu d’équipements coûteux) et défendant un égoïsme fiscal et résidentiel.
Béziers : quelle spatialisation du vote Ménard ?
17 À Béziers, le vote Ménard se caractérise par son homogénéité spatiale et la stabilité entre les deux tours. L’ensemble des cantons électoraux offre des scores au candidat d’extrême droite compris entre 45 % et 48 %. L’analyse par bureaux de vote témoigne d’une plus grande disparité, les votes allant de 18 % à 58 %. Seuls trois bureaux se situent sous la barre des 40 % alors que treize dépassent les 50 % et la moitié se situe entre 45 % et 50 %. Les scores les plus élevés sont à chercher du côté des quartiers pavillonnaires voisins des cités d’habitat social les plus difficiles (La Devèze, 54,5 %, Du Guesclin 51,17 %) mais aussi dans une partie des quartiers centraux (Hôtel de ville 52,8 %, Saint-Nazaire 53 %). L’effondrement de la gauche est patent (18,38 %) ; certains quartiers peinent à atteindre les 15 %, notamment dans le voisinage du quartier de la Devèze. Les raisons sont en partie à chercher dans le maintien au second tour d’une liste dont le candidat n’a pas bénéficié du soutien du PS mais du seul Front de gauche. Les scores les plus élevés de la gauche se situent dans le quartier des allées Paul-Ricquet, socialement plus mixte. Pendant que le candidat UMP peine à atteindre 35 % et ne s’impose que dans un seul bureau de vote (La Devèze, 61,43 %).
A
l
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Bompas Ste-Marie
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St-Estève
Canet-
1 en-Roussillon
PERPIGNAN
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Saleilles
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Canohès
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Villeneuve-
de-la-Raho
St-Cyprien
2 km
Vainqueur au second tour par bureau de vote Résultats au second tour
Louis Aliot (FN)
Jean-Marc Pujol (UMP)
55 % 45 %
J.-M. Pujol Louis Aliot
Source : Ministère de l’Intérieur (UMP) (FN)
Carte conçue par David Giband ; Hérodote n°154
Candidat divers droite, soutenu par le FN
en % des suffrages exprimés
18 40 45 50 58
Les cinq bureaux de vote
où Robert Ménard n'a pas fini
en tête au second tour
2 km
BÉZIERS
Résultats au second tour
i
d
i
M
u
18 %
d
l
a
J.-M. Du Plaa
(PS) 47 %
Robert Ménard
35 %
Source : Ministère de l'Intérieur Elie Aboud (DD)
Carte conçue par David Giband (UMP)
Hérodote n°154
C
a
n
La redistribution des clientèles et la question des identités
18 Avec ces élections s’opère une redistribution partielle des clientèles électorales. À Perpignan, alors que traditionnellement les votes ethniques (gitan et pied-noir) allaient à la municipalité de centre droit, plusieurs changements se produisent. Le vote gitan se caractérise par une relative versatilité électorale au gré des enjeux du groupe et des avantages offerts par les partis politiques. Même s’il reste difficile à apprécier, un contraste s’opère entre les deux tours. Au premier tour, les bureaux 10 et 11 attestent une progression au regard des précédentes élections municipales du vote frontiste arrivé en tête chez les Gitans (+ 400 voix pour le candidat frontiste). Au second tour, le vote FN recule alors même que le taux de participation n’a pas progressé. Les raisons sont à chercher dans le démarchage à domicile de l’entre-deux-tours de membres de la liste UMP, qui a convaincu ces populations de l’inutilité d’un vote frontiste. Le changement concerne surtout le vote pied-noir dont les suffrages se portent sur le candidat frontiste. Dans les deux villes, ce vote occupe une place centrale dans les discours et les représentations des candidats qui se définissent tous par leur identité pied-noir (Ménard et Pujol sont nés en Algérie, la mère d’Aliot est pied-noir) et n’hésitent pas à multiplier les références à l’Algérie française sans souci des polémiques soulevées.
19 Le vote pour l’extrême droite repose moins sur une clientèle spécifique que sur un brassage d’identités hétéroclites ayant en commun le sentiment d’être menacées dans leur existence et leurs territoires de déploiement. La dimension identitaire et l’accumulation d’identités défensives constituent les clefs de voûte du vote extrémiste. Qu’il s’agisse des Gitans de Perpignan, des « gavachs » de Béziers, des pieds-noirs, le vote identitaire joue un rôle central. Il est mû par une dimension défensive dans une région marquée par les migrations et les changements démographiques. S’ajoute l’enracinement d’un discours sudiste du FN misant davantage sur la lutte contre la fiscalité et la défense de la petite propriété que sur le rejet de l’Europe ou de la mondialisation.
L’échec de la gauche post-frêchiste et la question des agglomérations
20 Le succès de l’extrême droite et de la droite dure tient aussi à l’échec de la géostratégie de la gauche régionale. En imposant à Perpignan un candidat mal préparé et en proposant dans les deux villes au second tour une alliance avec l’UMP fondée sur un partage des pouvoirs (à l’UMP la ville, au PS l’agglomération), le président de la région a développé une stratégie risquée conduisant à une aggravation des tensions avec la droite et à la division au sein de la gauche. À Béziers, les divisions de la gauche et les luttes au sein de la fédération PS de l’Hérault, héritage de la période hégémonique de G. Frêche, conduisent à rendre la gauche invisible et inaudible.
21 Dans l’agglomération de Perpignan (PMCA), les municipales mettent fin à une traditionnelle recherche de consensus au sein de la droite entre UDI et UMP. Le territoire de PMCA devient un fief de la droite dure au détriment de l’UDI. Ce qui va à l’encontre des accords négociés antérieurement aux élections au sein de la droite. Aucun élu de gauche, dont le retrait a pourtant assuré l’élection de J.-M. Pujol, ne siège à une vice-présidence ou à un poste de délégué. Les nouveaux élus communautaires promeuvent une politique droitière soucieuse de sécurité et de baisse des impôts. Pendant qu’à Béziers F. Lacas (divers droite, maire de Sérignan) est élu de justesse à la tête de l’agglomération face à Ménard. Situation qui limite la marge de manœuvre du maire de Béziers et complexifie les relations ville-agglomération.
Conclusion
22 De ces élections, deux conclusions sont à tirer. Premièrement, ce n’est pas le FN qui sort vainqueur mais un ensemble politique allant de la droite dure à l’extrême droite. Deuxièmement, l’analyse montre une géopolitique à géométrie variable des droites dures et extrêmes. Malgré l’indéniable succès électoral du FN (près d’un électeur sur deux), ressortent des différences d’intensité dans les votes entre les deux tours et la versatilité d’une partie de l’électorat frontiste, notamment la frange issue des catégories populaires. Les « nouveaux » maîtres du Sud, implantés dans des territoires urbains divers, ont acquis un vote d’adhésion auprès de populations hétéroclites pour des causes multiples (déclassement social, perte symbolique et identitaire, défense de la petite propriété) qui distinguent le vote frontiste du Sud de celui du Nord. L’extrême-droitisation des représentations politiques, la crise du leadership du Parti socialiste, des intercommunalités à droite augurent de recompositions de pouvoir aux échelles départementale et régionale avec pour horizon proche la réforme territoriale.
Bibliographie
Bibliographie
- GIBAND D. (2006), « Les événements de Perpignan ou la fin d’un système géopolitique local », Hérodote, n° 120, La Découverte, Paris, p. 177-189.
- IFOP (2013), « Front du Nord, Front du Sud », Focus, département opinion et stratégies d’entreprises, 92, 6 pages.
- LEBOURG N. (2014), « Béziers : le vote FN comme refus du déclin ? », Fondation Jean-Jaurès, note n°2, 17 février 2014, 6 pages.
- MAURY C. (2008), « Des chaussettes et des urnes. Chronique des municipales à Perpignan », Pôle Sud, n° 29, 2, p. 75-93.
- NÉGRIER E. (2011), Les Maîtres du Sud. Géopolitique du Languedoc-Roussillon, Golias Éditeur, Villeurbanne.
- – (2012), « Le Pen et le peuple. Géopolitique du vote FN en Languedoc-Roussillon », Pôle Sud, 2, 37, p. 153-166.
- WIEVIORKA M. (2013), Le Front national, entre extrémisme, populisme et démocratie, Éditions de la MSH, Paris.
Notes
-
[1]
Université de Perpignan/UMR Art-Dev 5281.
-
[2]
Université de Perpignan/UMR Art-Dev 5281.
-
[3]
Aux élections régionales de 1986 et de 1998, le président UMP Blanc avait passé un accord Hérodote, n° 154, et fait union avec le FN.
-
[4]
Pierre Sergent (1926-1992) ancien résistant, putschiste en Algérie, membre de l’OAS, condamné à mort en 1962, fut député des Pyrénées-Orientales.
-
[5]
36 % aux municipales de 1995.
-
[6]
A.-Y. Beck est le fondateur de « Nouvelle résistance », un groupuscule prônant « un fascisme dans sa version anticapitaliste », source : rue89.nouvelobs.com, « Un ultra dans les coulisses de campagne de Robert Ménard ».
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[7]
Au second tour, abstention de 31,5 % à Béziers, 37 % à Perpignan, 36 % moyenne nationale.
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[8]
Dépêche AFP/Le Point du 15/02/2014.
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[9]
Déclaration de Louis Aliot, cité Nouveau Logis les Pins, L’Indépendant du 14/02/2014.
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[10]
A. Mestre et F. Palem, « Dans le quartier gitan de Perpignan, la tentation frontiste », Le Monde, 13/03/2014.
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[11]
J. Molénat, « Raymond Couderc : l’équilibriste », L’Express, 09/01/2003.
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[12]
Gavach : habitant des montagnes en occitan.
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[13]
A. Lévy, « Les sept plaies de Béziers », Le Point, 20/02/2014.
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[14]
J.-P. Alduy nouvellement réélu en 2009 a cédé sa place de maire à son premier adjoint J.-M. Pujol afin de prendre la présidence de la communauté d’agglomération.