Hérodote 2007/4 n° 127

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Article de revue

L'intervention de l'État québécois dans le tourisme entre 1920 et 1940

Ou la mise en scène géopolitique de l'identité canadienne française

Pages 151 à 166

Notes

  • [*]
    PhD géographie, Université du Québec en Outaouais.
  • [1]
    À cet égard, voir mon article de Téoros (19 (1), p. 14-21).
  • [2]
    Nous avons repéré cinq documents non datés qui identifient les circuits proposés : Romantic Quebec-Gaspe Peninsula (32 pages); Montreal-Quebec (12 pages); The Eastern Townships of Quebec (12 pages); The Laurentian Promenade (32 pages); Lake St. John and National Park (12 pages). L’information est précieuse car on trouve là les régions qui seront effectivement mises en valeur par l’État jusque dans les années 1960.
  • [3]
    L’expression « contrôle étatique de l’activité touristique » concerne le concept de « contrôle politique de la mobilité ». Ce concept, employé en géographie structurale, rend compte d’un acte d’appropriation (Desmarais et Ritchot, 2000). En tourisme, il implique que les acteurs dominants mobilisent le potentiel des positions attractives en contrôlant, d’une part, l’information à leur sujet par l’entremise des instruments du « faire-savoir » – ex : les guides touristiques – et, d’autre part, leur accessibilité par l’entremise des instruments du « fairepouvoir » (exemple : les moyens de transport). Dans cette perspective, le tourisme procéderait d’une appropriation primitive, à la source de processus identitaires et même « patriotiques ».
  • [4]
    Il est intéressant de constater que cet organisme paragouvernemental est l’ancêtre des actuelles Associations touristiques régionales (ATR), implantées dans les régions administratives du Québec à partir de 1978.
  • [5]
    En 1932, un plan d’action est proposé par le journaliste Olivar Asselin. Ce plan, intitulé « Sur une organisation du tourisme », représente la base sur laquelle la structure gouvernementale du tourisme sera édifiée.

1« L’agrotourisme peut amener à une meilleure compréhension entre urbains, ruraux non agriculteurs et ruraux agriculteurs » (Girardville, Dumas et Lalancette, 1997, p. 21). Dans la suite de cette citation, on comprend pourquoi l’identité du monde rural au Québec pose problème. En effet, pourquoi aborder le rapport ville/campagne ? Parce que l’activité touristique à la campagne serait pratiquée, entre autres, par des citadins qui désirent se rapprocher du monde rural. Nous sommes donc en plein dans la problématique des relations entre la ville et la campagne; une géopolitique de l’identité rurale et urbaine. L’image des citadins envers la campagne est teintée d’une vision idéalisée, voire idyllique, du monde rural. D’où vient cette perception ? Dans le sillage de la mondialisation des marchés, les campagnes sont entrées dans un processus majeur de transformation, et ce à tous les niveaux (installation de méga-équipements agroalimentaires). C’est dans ce cadre général d’un contact entre deux vécus différents que les diverses facettes de l’activité touristique à la campagne doivent être analysées.

2Cet article abordera cette pratique touristique à partir d’une lecture géopolitique de la prise de contact entre deux univers, ceux de la ville et de la campagne. Par cette démarche, nous associerons les préoccupations de recherche et de terrain. Et, dans cette perspective, il est pertinent de faire le parallèle entre la pratique du tourisme « itinérant » du deuxième tiers du XXe siècle et l’engouement actuel pour le tourisme rural, une activité touristique qui vise sensiblement les mêmes objectifs.

3La première partie touche l’engagement de l’État québécois et ses actions pour mener à bien une opération visant la mise en valeur de l’identité rurale des campagnes au profit des touristes. La deuxième partie aborde de front la mise en scène comme telle, avec comme exemple l’île d’Orléans. Pourquoi l’île d’Orléans : parce que ce lieu a préoccupé les commentateurs de l’époque, notamment l’abbé Albert Tessier, qui signale son caractère culturel important en regard de la préservation de son identité rurale et comme le creuset de la « civilisation canadienne-française » (Tessier, 1939). La Gaspésie a constitué le lieu de mise à l’essai du tourisme moderne pour l’État québécois (Gagnon, 2003, p. 264-273). Quant au Lac-Saint-Jean, il est intéressant de comprendre la dynamique entre les acteurs de la bourgeoisie canadienne et américaine [1]. Enfin, Charlevoix est en effet un bon exemple de mise en scène du tourisme rural mais, dans ce cas, c’est la bourgeoisie canadienne qui a façonné cette destination touristique et l’objet de mon article concerne le rôle de l’État (Téoros, 17 (1), p. 15-22).

L’engagement touristique de l’État (1912-1945)

4« Le tourisme est une source de joie et de santé pour ceux qui s’y adonnent, et une source de prospérité et de richesse pour ceux qui le comprennent » (Québec, 1934). Les années 1920 et 1930 ont été marquées par les timides débuts d’un tourisme moins exclusif. On était encore loin du déferlement des masses qui envahiraient les différentes régions du Québec à compter des années 1950. Le tourisme n’est toutefois déjà plus limité à quelques enclaves réservées aux mieux nantis (Tadoussac, Pointe-au-Pic, etc.). En effet, les bourgeoisies canadienne et américaine contrôlent, depuis la seconde moitié du XXe siècle, les positions touristiques à caractères « naturels » (Gagnon, 1998,2000 et 2003). L’État québécois doit trouver son créneau. Alors que s’amorçait un étalement banlieusard et que la classe moyenne américaine commençait à s’affirmer, l’État misera sur la « culture » pour attirer les touristes. On assista alors à l’émergence (1912-1945) d’un « tourisme de masse », par le biais d’une mise en valeur de la « paysannerie canadiennefrançaise » (Gagnon, 2003, p. 219-242).

L’actualisation géopolitique de la « donne identitaire » à la campagne

5Examinons la donne identitaire qui caractérise l’engagement de l’État dans le domaine du tourisme au début du XXe siècle. Elle tient dans le nationalisme canadien-français par le truchement de la promotion du « fait français » comme caractère distinctif et de l’organisation du monde rural. Raoul Blanchard a explicité le fait que l’attraction principale du Québec, pour les « étrangers », s’est située du côté de la culture : « C’est le contact du peuple canadien-français, le spectacle de ses habitudes, les témoignages de son histoire [...], le plaisir est vif d’en contempler les traces : vieilles maisons (et) vieilles églises » (1960, p. 237). Plus loin, il vante les mérites du « dépaysement »: « C’est un contact avec cette civilisation française que Canadiens anglais et Américains viennent chercher dans la Province ; un agréable dépaysement parmi un peuple policé, mais différent » (ibid.). Roger Brière abonde dans le même sens :

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Pour l’étranger, c’est-à-dire pour l’Américain et l’Anglo-Canadien des autres provinces, le Québec représente un paysage humain bien particulier. La langue, certains vestiges de l’ancienne architecture, la toponymie et quelques survivances des anciens genres de vie rurale composent, pour le touriste qui n’est pas du Québec, une atmosphère qui le distrait de l’ambiance à laquelle il est habitué. Même pour le Québécois des villes, l’attraction d’un certain dépaysement n’est pas sans valeur. Les genres de vie diffèrent d’une extrémité à l’autre de la Province : les Gaspésiens, par exemple, ont des habitudes et des activités quotidiennes assez différentes de celles des Montréalais pour que ces derniers y trouvent un sujet d’étonnement (1961-1962, p. 44).

7D’après Robert Prévost, qui cite l’abbé Albert Tessier, cinéaste sur la scène du tourisme dans les années 1930 et 1940 : « Le sort du tourisme est intimement lié à la vigueur et à l’originalité de la civilisation particulière à chaque peuple. D’où il ressort que tout effort tenté pour intensifier nos qualités propres, pour redonner à notre personnalité ethnique sa pleine vigueur, amplifiera en proportion directe notre valeur touristique » (2000, p. 75). L’État se dotera, à partir des années 1920, d’outils pour « porter haut » la culture canadienne-française et diriger ainsi le flux des touristes vers les campagnes québécoises.

Good Roads Policy ou « véhicule » idéal de l’identité

8Jusqu’au début du XXe siècle, les bourgeoisies contrôlent les flux touristiques par le biais des chemins de fer et de la navigation à vapeur (Gagnon, 2003, p. 113-150). Alors, comment l’État va-t-il contrôler les trajectoires du tourisme et mettre en valeur le monde rural ? D’abord par la mise en place du réseau routier. « Il faut attendre 1912, sous le gouvernement de Lomer Gouin, pour voir l’État discuter de tourisme. Et encore, ce n’est pas tant le tourisme que l’extension des routes qui fait l’objet de débats en Chambre. Cet intérêt soudain de l’État vient d’un constat montrant l’insuffisance et la médiocrité des voies routières québécoises par rapport à la popularité croissante de l’automobile » (Prévost, 1995, p. 16). Raoul Blanchard écrivait pour sa part : « Le grand essor (du tourisme) attendait un outil plus souple, qui fut l’automobile. Toutes nos informations concordent pour placer le début de la poussée à une trentaine d’années en arrière, entre 1905 et 1910 [...]. La valeur du chemin de fer devenait bien restreinte à côté de celle de ce puissant instrument de pénétration [...]. Des progrès de la voirie dépendaient désormais ceux du tourisme; la politique routière de la Province s’est parfaitement adaptée à cette nécessité » (1947, p. 521).

9Les moyens de transport contribuent à l’évasion des touristes dans des univers particuliers. L’accès aux zones touristiques sert à contempler le paysage depuis le cœur même de l’attrait qu’il faut traverser pour arriver à destination. Cette accessibilité serait donc assujettie à certaines conditions qui semblent s’apparenter à un rituel, celui-ci étant régi par le franchissement de limites entre les points de départ et d’arrivée. D’un monde posé, on accéderait à un monde inversé, via le trajet entre ces deux termes, les voyageurs subissant ainsi un dépaysement, une transformation. Nous comprenons sous un nouveau jour le rôle des techniques de transport. Les acteurs, en l’occurrence l’État québécois, qui possèdent ou qui contrôlent ces « véhicules de contemplation », manipulent la mobilité des voyageurs; une véritable géopolitique de l’identité. Ces derniers doivent effectivement passer à travers un rituel assumé grâce à ces moyens de transport ou, dans le cas qui nous concerne, par l’utilisation du réseau routier qui arpente le monde rural québécois. La route peut alors être qualifiée d’instrument du « faire-pouvoir » accéder à un attrait et mettre en valeur l’identité rurale canadienne-française.

10C’est au début du XXe siècle que l’État prend en main la « voirie ». À l’époque, le gouvernement a mis en place un programme pour établir un réseau routier efficace. Ce programme, il le nomme justement la Good Roads Policy ou la « politique des bons chemins ». L’État propose des cheminements aux quatre coins de la Belle Province. Il avait bien compris que la route constituait un lien « organique » entre les différents circuits touristiques du Québec. Le parcours « mythique de la route n° 2 » fut exemplaire à cet égard. Cette artère laurentienne aurait « actualisé » une géopolitique liée à la survivance de l’identité canadienne-française à la campagne.

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This highway runs through typical French-Canadian villages, and skirts the St. Lawrence River most of the time. Unparalelled historic and scenic surrounding. Connecting highways : Charlemagne-St. Eustache (route 29), L’Assomption-Rawdon (route 33), L’Assomption-Joliette (route 48), Trois-Rivières-Shawinigan Falls-Grand’Mère-La Tuque (route 19), and Quebec-Ste. Anne de Beaupré-La Malbaie-St. Siméon (route 15) (Québec, 1929,56).

12L’amélioration graduelle du réseau routier depuis les années 1920 a donc permis de concevoir les premiers circuits touristiques sous le signe de l’identité, dont les tours de l’île d’Orléans (1927), de la Gaspésie (1929) et du Lac-Saint-Jean (1932) [2]. La consécration du monde rural comme « monde inversé » passait donc par un réseau routier efficace.

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From Quebec, good roads radiate in all directions. Splendid tours in the environs, especially around Orleans Island, four miles from Quebec (Québec, 1927,56).

14Certaines régions de la province de Québec avaient été, jusqu’ici, fermées au mouvement du tourisme, parce qu’elles n’étaient pas reliées aux grands centres par des routes convenables aux automobiles. L’on peut mentionner deux de ces régions en particulier, en autant que le bas de la Province est concerné : ce sont celles de la Gaspésie et du Saguenay. Le gouvernement de la Province n’a pas hésité devant les sommes énormes qu’il fallait dépenser pour relier ces deux localités aux grandes agglomérations. Dès l’été prochain (1929), l’on pourra parcourir, avec la plus grande sécurité et confort, le boulevard Perron, qui fait le tour de la Gaspésie, ainsi que la route Québec-Saint-Siméon-Grande-Baie (Chicoutimi) (L’Heureux, 1929, p. 3).

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L’amélioration du réseau routier permet aussi à des régions touristiques déjà embryonnaires de se développer – c’est le cas des Laurentides [...]. D’autres régions s’ouvrent timidement aux touristes : on commence à faire le « tour » du Lac-Saint-Jean et de la Gaspésie (toute une aventure) (Blanchard, 1947, p. 522).

16Ce tourisme de circuit raturait les campagnes et incorporait des attractions fortement valorisées, dont les plus renommées seront la paysannerie canadiennefrançaise pour l’île d’Orléans, le Rocher percé pour la Gaspésie et la maison de Maria Chapdelaine pour le Lac-Saint-Jean. Avec l’aide de l’État, ces tournées seront reconnues comme destinations privilégiées de prise de contact avec le modèle rural québécois pendant la crise économique du début des années trente. Fait remarquable, le Lac-Saint-Jean et la Gaspésie seront bouleversés au même moment par un mouvement de « retour à la terre ».

17La consécration des attributs de la ruralité à partir du réseau routier, dont le pittoresque est reconnu depuis le dernier quart du XIXe siècle, relève donc d’une recherche identitaire (Grant, 1991; De Blois-Martin, 1999, Gagnon, 2003). Elle a également répondu d’une représentation destinée à l’« étranger », en l’occurrence le voyageur canadien ou américain (Morisset, 1999). Mais il n’y a pas que le « faire-pouvoir » qui permet de mettre en valeur cette identité. Il y a aussi le « fairesavoir », puisque sont mobilisées de grandes énergies pour promouvoir la beauté de la campagne québécoise.

Québec : la Belle Province

18Les guides touristiques n’ont fait que « publiciser » des sites le plus souvent sélectionnés avant que les grands réseaux de transport soient aménagés. Pour Normand Cazelais, « l’information touristique parle d’une réalité à venir, d’une réalité anticipée ». Il compare même ce genre d’anticipation à un « acte de foi », ce qui veut tout dire sur la possession et le contrôle d’un tel instrument pour la sélection de destinations touristiques (1985, p. 3). Les guides touristiques attirent donc l’attention sur une destination, « faisant savoir » les avantages pour ceux qui ont l’intention de s’y rendre, l’État québécois l’avait bien compris. À partir de la seconde moitié des années 1920, il va mettre en place des outils (bulletins d’informations, guides touristiques, cartes routières, etc.) qui vont se charger de la mise en valeur du modèle rural québécois et ainsi diriger les flux touristiques vers la campagne.

19Le premier instrument promotionnel officiel que l’État québécois a produit fut le Bulletin officiel du ministère de la Voirie. Cette publication a présenté un bilan bimensuel sur les conditions routières et on y trouvait aussi une carte du « réseau des grandes routes ». Il fut publié de 1923 à 1933. Outre les renseignements sur le réseau routier, ce Bulletin fit la promotion de la protection de la végétation le long des routes et lança même un concours sur le thème : « Embellissons la Province. » « Le touriste peut maintenant parcourir la Province en tous sens sur des routes modernes et parfaitement entretenues. Sous le rapport des routes, la réputation de la Province est faite aux États-Unis [...]. Depuis plusieurs années [...], le département de la Voirie s’occupe d’embellissement [...]. Il poursuit actuellement un grand mouvement d’embellissement parmi les résidents le long des routes » (Québec, 1928, p. 1). On trouvait aussi, dans cette publication, des renseignements pour améliorer l’accueil des touristes (hôtellerie, arts culinaires, etc.).

20L’année 1926 correspond à un tournant décisif dans la prise de contrôle étatique de l’activité touristique [3]. Le ministère de la Voirie publie son premier guide touristique couvrant l’ensemble du territoire québécois. Celui-ci s’intitule Voyez Québec d’abord ! See Quebec First ! Au cours de la même année, le gouvernement crée, au sein du même ministère, un organisme qui se chargera du développement touristique : le Bureau provincial du tourisme. A lieu aussi le lancement de la première carte routière. Elle couvre l’ensemble des routes « numérotées » du Québec. Enfin, une brochure à l’intention des touristes américains est produite : Quebec, the French-Canadian Province.

21En 1929, un nouveau guide touristique est produit : Sur les routes de Québec. Plus complet que le précédent, cet ouvrage contient « une description générale de (chaque) route et du district qu’elle traverse, la liste complète des villes, villages et paroisses situés sur son parcours [...]. Le guide comprend 325 vues des points les plus intéressants de la Province. En plus, il comprend 76 cartes de routes remplissant chacune une page; 32 cartes donnant l’entrée et la sortie des principales villes et une carte générale du réseau des grandes routes de la Province. En tout, le guide comprend 435 dessins ou reproductions de photographies formant 293 pages d’illustrations » (Québec, 1929, p. 3). L’avant-propos de cette œuvre gigantesque de 900 pages est révélateur des visées « identitaires » du gouvernement. On peut y lire : « Le ministère de la Voirie aura atteint le but qu’il se propose s’il réussit à mieux faire connaître et aimer les beautés incomparables et les richesses inépuisables de cette terre généreuse qui est le centre de la culture française en Amérique. » Le tout signé : « J. E. Perron, ministre de la Voirie ».

22Le guide de 1929 – 900 pages – était trop lourd mais, dès 1935, une nouvelle génération de guides plus maniables est lancée. Cinq régions seront présentées : la vallée du Saint-Maurice, la région Québec-Chicoutimi-Lac-Saint-Jean, la Gaspésie, Montréal et les Laurentides. Ces publications diffèrent donc grandement des précédentes. Elles proposent des itinéraires qui joignent les circuits en bateau ou en train. Ceci montre bien que l’État contrôle de plus en plus la situation du tourisme et les flux des diverses clientèles en direction du Québec. « En 1934, le ministère de la Voirie dépensait environ 200000 dollars pour promouvoir le tourisme au moyen d’annonces, de brochures et autres formes de publicité [...]. Par ailleurs, il diffusait déjà plus d’un million d’exemplaires de sa carte routière et autres imprimés » (Prévost, 2000, p. 87). Sur les pages de couverture de ces ouvrages, on représente fréquemment des scènes pastorales (église, centre de village, maison de ferme, paysan au champ, etc.). Fort de ses instruments du « savoir » et du « pouvoir », l’État va mettre en place un programme géopolitique afin de modeler l’identité du monde rural et d’orchestrer la mise en scène du tourisme à la campagne.

La programmation régionale et provinciale du tourisme

23Il faudra attendre 1933 pour voir des changements significatifs dans l’organisation provinciale et régionale du tourisme, notamment l’adoption d’une première loi qui « sanctionnera » le rôle du Bureau provincial du tourisme : « Le gouvernement Taschereau adopte la première loi sur le tourisme, donnant ainsi une structure administrative au Service du tourisme instauré six ans auparavant » (Québec, 1992, p. 6). Concrètement donc, cette loi ne fait que reconnaître l’existence d’un organisme du ministère de la Voirie qui existe depuis 1926 et qu’il transforme en Office provincial du tourisme.

24Cet organisme gouvernemental déléguera à son tour son « devoir-faire » à une structure régionale : les syndicats d’initiative [4]. « Le rôle des syndicats d’initiative est de grouper dans une même région ou un même district toutes les forces vives du tourisme, c’est-à-dire tous les particuliers ou les corps organisés qui travaillent et peuvent travailler à accroître l’industrie du tourisme [...]. Les syndicats d’initiative sont donc appelés à remplir, sur une échelle réduite aux dimensions de leurs territoires respectifs, le rôle que le département de la Voirie, par son Office provincial du tourisme, remplit pour l’ensemble de la Province » (Québec, 1934, p. 3 et 5). Cette instance régionale s’inspire de l’exemple français proposé l’année précédente par Olivar Asselin [5].

25L’année suivante, 1934, le Bulletin officiel du ministère de la Voirie est remplacé par une nouvelle publication mensuelle : le Bulletin du tourisme. Ce bulletin d’information est publié de 1934 à 1936. Il a servi à la réalisation des actions régionales du gouvernement en matière d’affichage, d’hôtellerie et d’embellissement. Ces mêmes actions joueront un rôle déterminant dans le modelage des campagnes à l’enseigne de l’identité.

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Le département de la Voirie, qui poursuit depuis plus de dix ans une campagne (d’embellissement) des propriétés situées le long des grandes routes de la Province par des distributions de chaux et d’arbres d’ornement, ne peut qu’applaudir à ce geste heureux des sociétés d’agriculture [...]. La province de Québec attire les touristes par [...] la proverbiale hospitalité des habitants et sa renommée de pays agricole. (Les Américains) éprouvent un plaisir très vif à parcourir nos belles campagnes, à s’arrêter là devant une ferme qui attire leur attention par la propreté de ses abords, par son jardin orné de fleurs et son verger aux arbres chargés de fruits, ou encore au charme de ce tableau que forme toute une famille, homme, femme et nombreux enfants travaillant aux champs (Québec, 1934, p. 9-10).

27En outre, on initiera un concours de photographies. L’État démocratise la présentation de son territoire et demande à ses « sujets » de « contribuer au succès de la campagne de publicité touristique de l’Office provincial du tourisme en (photographiant) les plus beaux sites et paysages, les édifices et monuments les plus remarquables, les métiers domestiques, les types ruraux, les scènes de grande industrie, les scènes de chasse et de pêche les plus pittoresques. (L’Office) publie chaque année une série de brochures de propagande touristique dont il distribue, dans les autres provinces et aux États-Unis, au-delà d’un million d’exemplaires. (Celles qui auront été choisies par l’Office) seront publiées dans les éditions futures des brochures de propagande touristique » (idem, p. 1).

28Pour réaliser complètement cet ambitieux programme, on devine que l’État s’entoura d’alliés « fiables », capables de mobiliser les touristes américains et canadiens. Outre les syndicats d’initiative, le gouvernement provincial s’associa avec les sociétés d’agriculture et la petite bourgeoisie commerçante représentée par les transporteurs, les associations hôtelières et les clubs automobiles (Prévost, 2000, p. 96).

29La publication, par ces groupes d’intérêts, de guides touristiques, entre autres ceux du Quebec Automobile Club en 1934 et de la Province of Quebec Hotel Association en 1937, montre que l’État délègue des responsabilités à ces alliés régionaux. Le Guide Motoring in the Province of Quebec en est un exemple frappant. On peut lire en avant-propos que celui-ci « constitue avant tout un acte de propagande en faveur de la belle province de Québec » (Quebec Automobile Club, 1934, p. 5). Il propose le même type d’itinéraires que celui du gouvernement (Québec, 1929). On trouve même un message du ministre de la Voirie : « En 1934, la province de Québec est fière d’offrir, aux automobilistes locaux et aux innombrables étrangers qui la visitent chaque année, 16300 milles de routes réunies en un réseau qui couvre en entier le territoire habité de la Province et facilite à l’automobile l’accès des endroits les plus intéressants » (Quebec Automobile Club, 1934, p. 243).

30Autant d’indices d’alliances entre acteurs complémentaires. Autre constatation : le triomphe de l’automobile. Des tableaux de distances détaillées sont offerts, accompagnés des listes pour l’hébergement et la réparation des voitures. À cela s’ajoutent des publicités de commerces locaux (garage, hôtel, cabine, restaurant, etc.), tous reliés à l’activité touristique. « Si l’on veut une estimation du rythme avec lequel l’automobile a supplanté les autres modes de transport (train et bateau), soulignons que le nombre des véhicules motorisés entrés au Québec est passé de 1,500 en 1915 à 650,000 en 1933 » (Prévost, 2000, p. 87).

31Cette tendance à l’organisation du tourisme ne ralentit pas. Sous le régime Duplessis (1936-1940), « le tourisme devient enfin une “affaire d’État” quand (il) récupère l’image traditionnelle du Québec forgée et véhiculée depuis le XIXe siècle par et pour le tourisme élitaire anglo-américain, pour l’appliquer au développement du nationalisme identitaire québécois » (Décarie, 1999, p. 7). À cet égard, il est important de noter que, en 1937, la juridiction du tourisme passe sous le contrôle direct du Premier ministre.

32À l’aube des années 1940, le Québec est bien « instrumentalisé » (réseau routier efficace, campagne promotionnelle bien lancée, programmation et organisation de l’activité sur place) pour mobiliser la nouvelle classe moyenne urbaine en émergence vers les campagnes, qui n’attendent plus que les visiteurs. Toute est en place pour une mise en scène géopolitique de l’identité rurale québécoise. Reste maintenant la sauvegarde du patrimoine.

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De Montréal, l’accès aux Laurentides est facile par l’autoroute [...]. Une fois rendu, le touriste-skieur respire encore mieux qu’à Montréal l’atmosphère du Canada français. Le langage, les coutumes locales et l’architecture paysanne sont vraiment de l’inédit pour les visiteurs (Québec, 1969, p. 28).

34Les hauts lieux de la villégiature de la seconde moitié du XIXe siècle et du premier tiers du XXe ont permis à l’État de lancer un tourisme de type excursionniste. L’activité se propageait dans la proche campagne tout en empiétant sur les cantons agroforestiers. Il s’agissait de trajectoires courtes, bouclées, qui ne nécessitaient pas d’appropriations, encore moins d’occupations. L’objet de ce tourisme est rural, il est la ruralité même, au sens où il n’y a pas nécessité d’une « urbanisation » des positions.

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Si nos maisons et bâtiments sont peints ou blanchis, si les édifices publics n’ont pas l’air de places abandonnées, si la verdure encadre nos demeures et nos routes, si les instruments aratoires sont remisés au bon endroit et si le tas de fumier n’est pas au premier plan de nos fermes, si le gazon et les parterres de fleurs entrent dans nos mœurs tant à la ville que dans les campagnes, si tout annonce chez nous sinon l’aisance, du moins une honnête fierté, nous serons heureux de voir les voyageurs jeter un regard admirateur sur tout ce qu’ils verront en passant (L’Heureux, 1929, p. 13).

36Il y eut lieu de s’inquiéter, à cette occasion, de la disparition des traditions, de la dilapidation de patrimoines architecturaux et ethnologiques. La réponse à ces inquiétudes a notamment consisté à dresser des inventaires architecturaux et à multiplier les enquêtes ethnologiques et folkloriques. C’est ainsi que, au cours des premières décennies du siècle, les Percy E. Nobbs, Ramzay Traquair, Edmond Z. Massicotte, Marius Barbeau, Jean-Marie Gauvreau, Jean Palardy et Gérard Morisset ont parcouru les campagnes du Canada français et contribué à en faire connaître l’architecture, la culture matérielle du quotidien et les traditions (Genest, 1987; Vanlaethem, 1995). « On compte aussi parmi eux le directeur de l’Office du tourisme, Maurice Hébert, qui prône une politique du tourisme fondée sur la préservation de l’originalité de la campagne canadienne-française » (De Blois Martin, 1997, p. 38-39).

37En ce sens, l’engagement de l’État dans le domaine du tourisme et les initiatives promotionnelles ont pris le relais des démarches d’inventaires architecturaux et ethnohistoriques. Fut ainsi renforcé le « contrôle politique de la mobilité » des populations hôtes. Un courant architectural, néoquébécois avant la lettre, a témoigné de cet intérêt pour les formes du passé et a distingué certains hauts lieux du tourisme et de la villégiature (Beaudet, 1996; Dubé, 1986). On est même allé jusqu’à inciter hôteliers et aubergistes à renouer avec la tradition, notamment en matière de mobilier et de gastronomie (Garceau, 1990). En ce qui concerne l’aménagement intérieur, l’État suggère : « On ne saurait exiger des meubles de style moderne, au point de vue de l’esthétique, ils ne valent pas les anciens » (Québec, 1934, p. 8). Pour ce qui est de l’alimentation, il est proposé de se référer à un ouvrage d’art intitulé La Bonne Cuisine dans nos hôtels. « Le ministère de la Voirie a même édité, en vue du tourisme, un livre de cuisine qui devrait être l’objet d’une diffusion générale et capter l’attention de toutes les ménagères » (L’Heureux, 1929, p. 10).

38On vantait les mérites du terroir pour favoriser la fixation des populations ou pour orienter les trajectoires de ceux qui étaient tentés par l’aventure du tourisme à la campagne. Ce « contrôle politique de la mobilité » des populations rurales au profit des campagnes de l’aire ex-seigneuriale et des territoires de colonisation remonte au milieu du siècle dernier (Ouellet, Beaulieu et Tremblay, 1997). Il acquiert toutefois un contenu inédit avec la mise en tourisme des terroirs du Québec. Ce faisant, on transforma en produit touristique un genre de vie et en figurants ses acteurs. Voilà toute l’originalité de l’engagement touristique de l’État dans les années 1930.

39On devait donc garder la mémoire des secrets d’origine de ces terroirs. Le directeur de l’Office du tourisme de l’époque, Maurice Hébert, a lancé le tout premier concours d’architecture canadienne-française, dont le but était l’imposition de modèles conformes aux « canons » d’une culture « rurale canadienne-française » (Québec, 1944). En préface à la brochure sur les résultats de ce concours d’architecture, le Premier ministre Adélard Godbout se prononce :

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Nous avons d’abord voulu fournir au peuple des campagnes, si attaché à ses traditions, des modèles de maisons qui lui conviennent; et le ministère de l’Agriculture s’est chargé du soin de faire une campagne d’éducation à ce sujet. D’un autre côté, l’Office du tourisme et de la publicité accomplit beaucoup pour répandre le goût de notre architecture, car l’on sait que tout ce qui caractérise notre province attire et retient les visiteurs (Québec, 1944, p 1-2).
Ce concours marque un heureux début, et nous le ferons suivre de quelques autres. Celui de cette année, par exemple, aura trait aux hôtelleries rurales, aux cabines ou chalets, aux belvédères ou kiosques, et aux bâtiments de ferme (ibid., p. 2).

41On a ainsi défini, en cette période-charnière de l’histoire québécoise récente, le matériau du façonnement de l’image distinctive d’un Québec « profond », laquelle allait perdurer jusqu’à la fin des années 1960. Celle-là même, l’image, que l’activité agrotouristique moderne veut mobiliser de nouveau.

L’île d’Orléans : un lieu prototypique du « Canadien français »

42Exemple remarquable de mise en scène : l’île d’Orléans. Le « tour » de l’île d’Orléans a servi à mettre en scène le modèle du paysan canadien-français. « Par le pittoresque de son site, la beauté et la variété de ses paysages, le caractère archaïque des mœurs et coutumes de ses habitants, le nombre et l’importance de ses souvenirs historiques, l’île d’Orléans exerce une véritable fascination sur le touriste qui la visite pour la première fois » (Québec, 1934, p. 3). Ce berceau de la campagne laurentienne était déjà, au milieu des années 1930, une forme saillante investie de valeurs socioculturelles liées à l’identité canadienne-française (Lessard, 1998; Piché, 1997; Roy, 1928).

43Le peintre Horacio Walker, réputé pour ses représentations de scènes pastorales, avait sa résidence secondaire à l’île d’Orléans. « En 1888, Horacio Walker, peintre paysagiste d’origine ontarienne, choisit ce lieu pour ériger sa résidence et son atelier [...]. Cet artiste de renom se laissera conquérir par le caractère bucolique de l’île et produira des centaines d’œuvres illustrant la vie traditionnelle » (Lessard, 1997, p. 33).

44Au cours des années 1920, le programme de promotion touristique de l’État accorde une place particulière à l’île d’Orléans dans son premier véritable guide. « Le guide (Sur les routes de Québec) contient [...] la description complète et détaillée des 50 grandes routes de la Province, auxquelles le tour fameux de l’île d’Orléans a été ajouté » (Québec, 1929, p. 3). La construction d’un pont reliant l’île à la côte de Beaupré, en 1935, menaçait l’intégrité de cet « isolat » d’identité rurale, notamment en raison de l’arrivée de l’automobile et de son cortège d’équipements associés. Il n’en fallut pas davantage pour qu’une loi soit adoptée en vue de protéger l’île. En moins de six mois, au cours de l’année 1935, le sort de l’île sera joué et son accès réglementé.

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En mars : les travaux de construction du pont, qui reliera l’île d’Orléans à la rive nord du fleuve Saint-Laurent, avancent si rapidement que la circulation pourra s’y faire dans le cours de l’été prochain, probablement à partir du milieu du mois de juillet. L’ouverture officielle de ce pont aura lieu un peu plus tard et coïncidera tout probablement avec les fêtes que l’on propose d’organiser à l’occasion du quatrième centenaire de la découverte de l’île [...]. Les mœurs et coutumes mêmes ont un attrait archaïque que l’on retrouve rarement ailleurs et qui fait le charme de la population de l’île (Québec, 1935, p. 3).
En mai : publication du texte complet de la « loi sur l’île d’Orléans » dans le Bulletin du tourisme du mois de mai 1935. Cette loi a beaucoup de dents. Elle donne des pouvoirs d’expropriation et de démolition au Conseil du tourisme. Ce dernier contrôle aussi la gestion de l’affichage et la localisation des services pour les touristes (hébergement, poste d’essence, commerce, etc.).
En juillet : le pont de l’île d’Orléans a été ouvert à la circulation des véhicules automobiles au commencement de juillet et, dès le début, des milliers d’automobilistes locaux et étrangers l’ont traversé pour visiter l’île [...]. Mais cette facilité même d’accès à l’île a fait craindre que celle-ci ne perde rapidement le caractère archaïque qui fait son charme et qu’elle ne soit envahie par toute la gamme des petits commerces qui se dressent souvent dans les centres de tourisme. Aussi le gouvernement, par une loi sanctionnée le 3 mai dernier, a-t-il confié au Conseil provincial du tourisme le soin de préserver l’île et de réglementer les constructions nouvelles (ibid., p. 4).

46Le Conseil du tourisme, et non la Commission des monuments historiques, avait la responsabilité de l’application de la loi (Gelly et al., 1995). Le fait n’est pas anodin. Est-ce que la construction du pont n’a pas été planifiée uniquement pour satisfaire la curiosité des visiteurs ? « Le gouvernement confie au Conseil du tourisme de la province de Québec le mandat de veiller à l’application de cette loi, faisant ainsi ressortir son objectif premier, soit le contrôle de la clientèle touristique qui ne manquera pas de se développer avec la construction du pont » (Brunelle-Lavoie, 1997, p 18). Le gouvernement via son organisme consultatif contrôlera donc la mobilité des visiteurs, la construction du pont ayant représenté à cette fin un « instrument de l’État » pour « porter haut » la culture canadienne-française.

47Le Conseil du tourisme s’occupe d’attirer, par des signaux appropriés, l’attention des visiteurs sur tout ce que l’île renferme d’intéressant : vieilles églises,

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monuments, vieilles maisons, souvenirs historiques, etc.; il s’occupe aussi de créer, dans une partie de l’île qui convient à cette fin, un parc d’amusement où les automobilistes pourront s’arrêter et se recréer; il étudie enfin plusieurs autres mesures destinées à promouvoir le tourisme dans l’île (Québec, 1935, p 4).

49En 1939, Albert Tessier lance un cri d’alarme (à cause de l’état de délabrement où se trouve l’île): « L’île d’Orléans peut devenir un sanctuaire [...]. Mais il faudra la défendre. En peu d’années, on a affreusement enlaidi certains coins transformés en plages aux murailles et aux cabanes laides à nous faire hurler. Alerte !» (Tessier, 1939, p. 17). « Le pont allait également sonner le glas du rythme de vie traditionnelle de ce milieu ancestral. Le chemin Royal, route de ceinture, allait bénéficier au transport automobile né quelques décennies avant la construction du pont » (Lessard, 1997, p. 26). Quarante ans plus tard, en 1974, l’île entière est déclarée « arrondissement historique », conformément à la loi sur les biens culturels. Cet acte gouvernemental prolonge en droite ligne une démarche similaire amorcée dans le cours des années 1930.

50Le principal objectif de cet article consistait à démontrer que la campagne des années 1930 a été un terrain fertile d’interventions pour l’État québécois dans le domaine du tourisme. Pour l’État québécois, le tourisme est alors devenu un véhicule géopolitique idéal pour présenter l’identité canadienne-française. Cette démarche identitaire est passée par l’organisation d’un territoire, notamment celui du monde rural québécois. À partir de faits avérés par des commentateurs de l’époque (Eugène L’Heureux, 1929; Olivar Asselin, 1932 et Albert Tessier, 1939), nous avons démontré comment l’État québécois déploie des efforts pour mettre en scène la campagne et ses habitants au profit d’un tourisme canadian et american.

51Récapitulons. Il y a plus de 80 ans, l’État provincial s’implique dans l’aménagement d’un réseau routier fiable (routes numérotées) et la production de nombreux instruments promotionnels (bulletins de tourisme, guides touristiques et campagnes publicitaires). Destinés aux intervenants (clubs automobiles, compagnies d’autobus, etc.) comme à la clientèle potentielle (américaine et canadienne), ces « instruments du faire-pouvoir et du faire-savoir » donnent libre cours à la conception d’itinéraires qui mettent en scène l’identité rurale canadienne-française. L’ensemble de ces actions démontre bien que la campagne des années trente a été un terrain fertile d’interventions où l’État québécois a expérimenté son pouvoir sur le « contrôle politique de la mobilité » des habitants et des voyageurs.

52Après la guerre, l’État pourra ainsi appliquer les mêmes méthodes pour sa population, en invitant celle-ci à parcourir les campagnes. Blanchard signale ainsi le « programme de l’État » quant à l’importance de la mobilité des Québécois. Il est intéressant de constater la place privilégiée de régions particulières : « Ces habitants du Québec se mettent eux aussi en mouvement, vont explorer les Laurentides, s’installer au bord des lacs, fréquenter les pèlerinages, faire le tour de la Gaspésie, vivre sur les plages » (1960, p. 239). Le tourisme de masse expérimenté pendant l’entre-deux-guerres ciblera la nouvelle classe moyenne québécoise en émergence à partir des années cinquante.

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Date de mise en ligne : 27/11/2007

https://doi.org/10.3917/her.127.0151

Notes

  • [*]
    PhD géographie, Université du Québec en Outaouais.
  • [1]
    À cet égard, voir mon article de Téoros (19 (1), p. 14-21).
  • [2]
    Nous avons repéré cinq documents non datés qui identifient les circuits proposés : Romantic Quebec-Gaspe Peninsula (32 pages); Montreal-Quebec (12 pages); The Eastern Townships of Quebec (12 pages); The Laurentian Promenade (32 pages); Lake St. John and National Park (12 pages). L’information est précieuse car on trouve là les régions qui seront effectivement mises en valeur par l’État jusque dans les années 1960.
  • [3]
    L’expression « contrôle étatique de l’activité touristique » concerne le concept de « contrôle politique de la mobilité ». Ce concept, employé en géographie structurale, rend compte d’un acte d’appropriation (Desmarais et Ritchot, 2000). En tourisme, il implique que les acteurs dominants mobilisent le potentiel des positions attractives en contrôlant, d’une part, l’information à leur sujet par l’entremise des instruments du « faire-savoir » – ex : les guides touristiques – et, d’autre part, leur accessibilité par l’entremise des instruments du « fairepouvoir » (exemple : les moyens de transport). Dans cette perspective, le tourisme procéderait d’une appropriation primitive, à la source de processus identitaires et même « patriotiques ».
  • [4]
    Il est intéressant de constater que cet organisme paragouvernemental est l’ancêtre des actuelles Associations touristiques régionales (ATR), implantées dans les régions administratives du Québec à partir de 1978.
  • [5]
    En 1932, un plan d’action est proposé par le journaliste Olivar Asselin. Ce plan, intitulé « Sur une organisation du tourisme », représente la base sur laquelle la structure gouvernementale du tourisme sera édifiée.

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