Notes
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[*]
Université de Galatasaray, Institut français d’études anatoliennes, Istanbul.
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[1]
Depuis 2001, les citoyens turcs bénéficiant d’un titre de séjour dans un pays de l’Union européenne sont comptabilisés comme touristes (Y?l? idaret faaliyet raporu, 2007).
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[2]
Selon la douane turque, les autres moyens de transport utilisés (pour 2006) sont les liaisons. maritimes (6,7 %), le rail (0,3 %) et la route (18,8 %). T. C. BAS ¸ BAKANLIK, « Turkiye Istatistik Kurumu », Giris¸-Ç?k?s¸ Ziyaretçiler, Haber Bülteni, n° 104, juin 2006.
-
[3]
L’Association des hôteliers (TUROB), l’Association des investisseurs du tourisme (TYD), l’Association des tour-opérateurs (TURSAB).
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[4]
Les statistiques turques distinguent les pays européens membres de l’OCDE des autres pays du continent, c’est-à-dire l’Europe à 15 à laquelle s’ajoutent la Suisse, l’Islande et la Norvège. En réalité la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque sont membres de l’OCDE mais les ressortissants de ces pays sont toujours comptabilisés dans les autres pays d’Europe dans les statistiques officielles turques.
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[5]
D’après T. C. BAS ¸ BAKANLIK, « Turkiye Istatistik Kurumu », Giris¸-Ç?k?s¸ Ziyaretçiler, Haber Bülteni, n° 104, juin 2006.
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[6]
Que l’on doit à un universitaire réputé, Ali Çarkog?lu.
Un essor impressionnant
1En à peine une décennie, la Turquie s’est hissée au 10e rang mondial en termes d’accueil de touristes étrangers, au 8e en termes de revenus de l’activité touristique. De quelques centaines de milliers de voyageurs accueillis par an dans les années 1970, la Turquie a enregistré 10 millions de voyageurs en 2000 et plus du double cinq ans plus tard. Après un léger recul en 2006 – sur lequel nous reviendrons –, la tendance est à nouveau à la hausse pour 2007 : à partir des résultats des premiers mois de l’année, la fréquentation touristique devrait atteindre 22 millions de visiteurs, générant 14 milliards de dollars de recettes.
2On constate une croissance extraordinaire qui fait du tourisme le 2e secteur de l’économie du pays (après l’automobile), générant 5% du produit national brut (PNB) et fournissant 15% des emplois. D’après les spécialistes, cette progression devrait continuer sur sa lancée dans les années à venir, la Turquie restant riche en potentialités inexploitées; au grand ravissement des autorités publiques d’ailleurs, qui voient dans le développement de ce secteur riche en emplois une piste pour résoudre le chômage massif et durable qui frappe le pays.
3Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement ne manque pas d’ambition pour le secteur du tourisme : Le « Plan de développement stratégique du tourisme en Turquie (2007-2013)», publié par le ministère turc du Tourisme au printemps de 2007, prévoit 40 millions de visiteurs et 50 milliards de dollars de recettes à l’horizon 2013. C’est-à-dire à la fois un quasi-doublement du nombre de touristes accueillis et des recettes dégagées par touriste (d’environ 640 dollars en moyenne aujourd’hui, elles devraient passer, selon les plans du ministère, à 1250 dollars). Rappelons que doubler le nombre de touristes en six ans, c’est précisément ce qu’a fait la Turquie entre 2000 et 2006; simple projection donc, qui de surcroît ne tient pas compte du tourisme national qui se développe très rapidement. Pour arriver à un tel résultat, l’industrie touristique dans son ensemble devra opérer une mutation profonde et pas simplement multiplier les structures d’accueil comme par le passé.
FRÉQUENTATION TOURISTIQUE [1]
FRÉQUENTATION TOURISTIQUE [1]
4La première caractéristique de l’activité touristique en Turquie, c’est le « tout plage ». Le tourisme balnéaire est si dominant que nous sommes face à une « monoculture », avec les problèmes que cela peut poser en termes de déséquilibres géographiques et d’activité saisonnière. Alors qu’environ les deux tiers des entrées sont enregistrés entre juin et septembre, 90% des touristes restent dans la partie ouest du pays, plus précisément le long des côtes de la Méditerranée et de la mer Égée au sud-ouest du pays.
PROJETS DE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME (2007-2013)
PROJETS DE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME (2007-2013)
5Au nord-ouest, la métropole d’Istanbul tire aussi son épingle du jeu, avec un tourisme plus diversifié. Les tourismes culturel et d’affaires sont très importants pour la métropole, qui a vu cependant se développer des formes plus originales. Le tourisme médical, en plein essor, en est une. On évalue à 300000 le nombre d’étrangers venant en Turquie pour des interventions chirurgicales diverses (esthétiques, oculaires et orthopédiques essentiellement). Le secteur médical privé en Turquie a une excellente réputation, recrutant un personnel bien formé, généralement aux États-Unis ou en Europe occidentale. Chaque « touriste » dépense en moyenne 5000 dollars, mais pour une intervention qui lui coûterait 40% de plus dans les pays développés. Sans présupposer une relation de cause à effet, il est intéressant de noter qu’Istanbul, qui concentre compétences médicales et matérielles de pointe, est devenue une plaque tournante du trafic d’organes à destination de l’Europe. La ville bénéficie également d’un tourisme religieux autour de Sainte-Sophie et du complexe d’Eyüp, du nom du porte-drapeau du Prophète.
6Quant à l’Anatolie, elle est totalement ignorée par les touristes, à l’exception de la Cappadoce qui attire surtout des Français, quelques Italiens et Japonais. La ville d’Antalya est le symbole de cette concentration à l’extrême, devenant d’ailleurs le premier centre touristique de la Turquie. La région d’Antalya a reçu, à elle seule, plus de 30% des touristes étrangers en 2006 et possède 43% de la capacité d’accueil du pays (760000 lits au total). À titre de comparaison, la région d’Istanbul dispose de 10% de cette capacité totale d’accueil et celle d’Ankara, seulement de 3%! Le solde se répartit pour l’essentiel dans la région de Mug?la où se trouvent plusieurs stations balnéaires d’importance, et dans la région d’Ayd?n. Il s’agit donc d’un tourisme de masse, un tourisme de charter, comme le montre d’ailleurs la place sans cesse croissante de l’avion comme moyen de transport utilisé par les touristes venant en Turquie (74,2% en 2006 contre 54,4% en 1993) [2].
7Le deuxième trait dominant du tourisme en Turquie, qui est en partie une des causes de sa concentration excessive, est sans doute son caractère anarchique et improvisé. Le développement rapide de structures d’accueil de masse s’est fait sans aucune planification des problèmes à venir (transports, réseaux divers, etc.). Ce développement incontrôlé a été aussi rapide que brutal avec l’environnement, parfois au détriment de l’activité touristique elle-même. Une « économie de prédation » en quelque sorte, pour laquelle il s’agissait d’avoir un retour sur investissement le plus élevé et le plus rapide possible, même si cela devait être au détriment de la durabilité de l’activité. Certes, il existe bien des lois de protection de l’environnement (pour les côtes, les forêts et le patrimoine) mais elles sont très aisément contournées par les investisseurs dès lors qu’il y a des recettes à la clé. Plus encore, une loi de 1982 visant à favoriser l’essor du tourisme a permis de développer une activité touristique sur des sites protégés (Pérouse, 2004). Avec une logique assez voisine, le tourisme en Turquie fait souvent l’objet de surinvestissements a priori incompréhensibles en termes de bonne gestion : là où il y a un hôtel ou un restaurant (qui fonctionnent), il y en a très vite plusieurs, jusqu’à ce que cela ne fonctionne plus, soit parce que l’offre est trop concentrée par rapport à la demande, soit parce que l’objet touristique lui-même est dégradé.
8Cet état de fait s’explique par les conditions de l’émergence de l’offre touristique turque à la fin des années 1970. La Turquie était alors dans une situation économique difficile, notamment du fait du premier choc pétrolier, et avait un besoin crucial de devises. Avec sous les yeux l’exemple de l’essor touristique de la Grèce voisine, le gouvernement turc va mener une politique de développement massif de l’offre touristique. Au milieu des années 1980, avec la libéralisation de l’économie du pays, c’est le privé qui prend le relais sous l’impulsion de grands groupes internationaux et nationaux et d’une multitude d’acteurs locaux. C’est entre 1985 et 1990 qu’une grande partie des structures d’accueil aujourd’hui disponibles ont été construites, le plus souvent avec une importante aide publique. L’objectif était alors strictement quantitatif, au détriment de la qualité des constructions, de l’organisation urbaine et, le plus souvent, de l’environnement.
9Face à une demande touristique plus exigeante, certains acteurs publics locaux et les professionnels du tourisme, regroupés dans des associations puissantes [3], semblent désormais conscients des enjeux qualitatifs, que ce soit au sujet de la nécessaire rénovation du parc hôtelier actuel ou encore des questions environnementales. Reste à concilier, pour les années à venir, l’amélioration de l’offre touristique avec les objectifs gouvernementaux d’un accueil de 20 millions de touristes supplémentaires.
Une puissance touristique régionale
10La représentation habituelle du touriste en Turquie est celle d’un Européen de l’Ouest, épris de soleil et de baignades. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait faux, les pays d’Europe de l’Ouest [4] fournissant la moitié des touristes (51,2% en 2006). Mais l’explosion du tourisme en Turquie s’est traduite par une diversité croissante des pays d’émission, significative du nouveau positionnement de la Turquie dans l’équilibre régional.
11Parmi les dix principaux pays fournisseurs de touristes à la Turquie, quatre ne sont pas d’Europe de l’Ouest : la Russie (9,3% du total de 2006), la Bulgarie (5,9%), l’Iran (4,4%) et enfin les États-Unis (2,8%). L’Allemagne reste cependant en tête avec près de 19% du total. Les liens particuliers noués entre la Turquie et l’Allemagne et la présence ancienne d’importantes communautés turques expliquent bien sûr cet attrait particulier pour la Turquie. Les binationaux turco-allemands et les Turcs résidant normalement en Allemagne sont nombreux à se rendre en Turquie, mais sont loin de fournir la majorité du contingent allemand. Il en est de même pour les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Autriche et, dans une moindre mesure, la France, qui sont à la fois des pays abritant une importante population d’origine turque et des émetteurs réguliers et importants de touristes vers la Turquie : les six pays d’Europe occidentale totalisant à eux seuls 8,4 millions d’entrées sur le sol turc (43% du total).
PROVENANCE DES TOURISTES VISITANT LA TURQUIE (2000-2006) [5]
PROVENANCE DES TOURISTES VISITANT LA TURQUIE (2000-2006) [5]
12La Turquie est une destination de plus en plus prisée par les Russes et les autres ressortissants de la Communauté des États indépendants (CEI) qui se tournent essentiellement, comme les touristes occidentaux, vers les activités balnéaires et la côte sud du pays. Entre 2000 et 2006 le nombre de Russes à se rendre en Turquie a triplé, atteignant 1,85 million, la Russie devenant le deuxième pays émetteur de touristes vers la Turquie. La proximité géographique et les prix modérés pratiqués en Turquie sont pour beaucoup dans cette réussite. Ce tourisme s’est normalisé ces dernières années mais reste entaché par une réputation sulfureuse : mafias, trafics divers – de la drogue au « commerce à la valise » –, prostitution, etc. À l’inverse des années 1990, les professionnels du tourisme sont aujourd’hui très attentifs à la clientèle russe, réputée aisée et dépensière.
13Au-delà des Européens de l’Ouest et des Russes, qui retiennent l’attention par leur nombre, il est frappant de voir comment la Turquie est devenue une destination de plus en plus prisée à l’échelle planétaire : que ce soient les Africains – essentiellement du Maghreb –, les Sud-Américains ou les Asiatiques. Ils sont globalement deux fois plus nombreux à visiter la Turquie qu’en 2000. Affirmant cette intégration de la Turquie dans la mondialisation touristique, la part du pays dans le tourisme mondial est passée de 1,5% en 1996 à 2,5% en 2006, alors même que le secteur a connu une progression globale de 45%.
14Mais l’évolution du tourisme en Turquie souligne également l’attrait régional qu’exerce le pays sur ses voisins, toujours de plus en plus nombreux à passer la frontière, venant de Grèce et de Bulgarie (où se trouvent des communautés turcophones) mais aussi de Géorgie, d’Iran, de Syrie et, depuis 2004, d’Irak. Les échanges massifs avec la RTCN (République turque de Chypre-Nord, non reconnue par la communauté internationale) sont le fait de la dépendance de la partie nord de l’île envers la Turquie : environ un citoyen sur deux de la RTCN se rend en Turquie chaque année, alors que 300000 à 400000 Turcs prennent leurs vacances à Chypre-Nord. Pour finir ce panorama, il faut évoquer le cas un peu particulier d’Israël, le seul pays moyen-oriental non frontalier de la Turquie à y envoyer un fort contingent de touristes. Ce tourisme date de la seconde moitié des années 1990 et s’est établi à la faveur du développement des relations entre les deux pays en s’appuyant sur la présence d’une communauté d’origine turque en Israël.
Émergence d’un tourisme national
15Dans le langage courant, le « turist » en Turquie désigne un étranger, mais cela ne doit pas masquer la forte montée en puissance depuis une dizaine d’années d’un tourisme national qui, pour l’instant, reste réservé aux classes moyennes et supérieures des grandes villes. Traditionnellement, les néocitadins – qui sont la majorité des 12 millions d’habitants d’Istanbul – profitent des grandes fêtes religieuses (fête du sacrifice et fin du ramadan) pour se rendre « au village » ou visiter la famille et ne se considèrent pas comme des touristes.
16Les citadins sont désormais de plus en plus nombreux à prendre des vacances – au sens occidental du terme – dans le pays ou à l’étranger. En Turquie, les touristes nationaux ne se comportent guère différemment de leurs homologues étrangers, rejoignant en masse la côte sud du pays : Marmaris, Daça, Kas¸, Kus¸adas? ou encore Bodrum, qui est devenu un Saint-Tropez turc. Comme les touristes étrangers, les nationaux délaissent l’Anatolie, à l’exception de la Cappadoce. Dans la vague de nostalgie ottomane qui a submergé la Turquie dans les années 1990, il y a bien eu un mouvement de (re)découverte de l’Anatolie par la bourgeoisie d’Istanbul et d’Ankara, mais cela n’a eu que des effets très limités. L’est du pays, en particulier le sud-est, reste une terra incognita pour une large partie des classes urbaines éduquées.
17La classe moyenne stambouliote a investi les côtes proches de la métropole, autour de la mer de Marmara (Tekirdag?, Çanakkale, Yalova), et l’ouest de la côte de la mer Noire (S¸ile, Ag?va). Hôtels et « pansyon » se sont multipliés pour accueillir une clientèle effectuant de courts séjours. Le phénomène s’est également traduit par une explosion des résidences secondaires, souvent sous la forme de « site » (cités) que l’on retrouve le long des côtes.
18Enfin, et c’est très récent, les Turcs sont désormais plus de 8 millions à se rendre à l’étranger chaque année. Les grandes villes d’Europe occidentale et des États-Unis, la Côte d’Azur et l’Italie sont des destinations habituelles mais encore réservées à une clientèle disposant de ressources importantes. L’Europe orientale est également de plus en plus fréquentée par les Turcs, notamment la Bulgarie voisine qui offre un réseau important de stations de sports d’hiver. Cette circulation internationale est aussi alimentée par le nombre croissant d’étudiants turcs faisant leurs études à l’étranger (en Europe et aux États-Unis), partiellement ou dans leur totalité.
19Les touristes turcs sont en revanche encore peu attirés par l’Afrique et l’Asie. À l’exception de Dubaï, qui a su attirer (en Turquie comme dans d’autres pays musulmans) la nouvelle bourgeoisie d’affaires de province, souvent conservatrice. Un chassé-croisé d’une certaine manière, puisque Istanbul est devenue une destination courante pour les classes aisées des pays du Golfe, à la recherche d’un « second Beyrouth ». Enfin, toujours dans les milieux de la bourgeoisie conservatrice, il faut noter l’ampleur prise par le pèlerinage à La Mecque : les Turcs sont chaque année une centaine de milliers à accomplir cette obligation religieuse.
Sortir du tout balnéaire
20Face à l’émergence d’un tourisme national de masse et à la progression attendue du tourisme international, l’offre touristique doit radicalement se repositionner. Les installations actuelles ne répondent plus que partiellement à la demande : la Turquie s’est nettement développée et enrichie ces dernières années et, comme destination touristique, elle perd progressivement ce qui a longtemps été son principal atout, un coût peu élevé. Devenant plus chère, la Turquie doit diversifier et améliorer son offre si elle veut accueillir une clientèle plus dépensière mais aussi plus exigeante. Il en est de même avec la clientèle nationale qui va préférer aller faire du ski ou du tourisme culturel à l’étranger à défaut de structures locales adaptées.
21D’un point de vue politique, la diversification est éminemment souhaitable : elle peut permettre d’amoindrir les effets de la saisonnalité du tourisme balnéaire sur l’emploi et les recettes et permet d’envisager un certain rééquilibrage de l’activité touristique au profit de l’Anatolie. C’est clairement l’objectif du plan 2007-2013 établi par le ministère du Tourisme, plan fondé en grande partie sur des évolutions en cours ou des initiatives locales. Il s’agit tout d’abord d’améliorer l’offre du tourisme balnéaire, qui est destiné à rester la locomotive du tourisme en Turquie. Afin d’attirer une clientèle aux ressources financières plus élevées, les acteurs privés du tourisme, secondés par l’État et les pouvoirs locaux, mettent l’accent sur trois axes principaux : le développement du tourisme de croisière, du nautisme et du golf, trois activités touristiques connectées au tourisme balnéaire mais qui drainent une clientèle de qualité.
22La Turquie est déjà présente sur les circuits des croisières internationales, mais les autorités cherchent à développer d’autres étapes qu’Antalya, Izmir, Istanbul (où un projet de réaménagement du port de croisière suscite une violente polémique) et Kus¸adas? avec Alexandrette, à la frontière syrienne, et les deux grandes villes de la mer Noire que sont Samsun et Trabzon. L’ambition nautique de la Turquie est plus récente, mais sans doute plus prometteuse aussi, tant la demande nationale et internationale est forte. Avec environ 8500 emplacements pour yachts et voiliers répartis dans 31 marinas, le pays est sous-équipé et n’attire que 5000 bateaux sur les 700000 qui naviguent chaque année en Méditerranée. Le nautisme bénéficie d’importants investissements publics et surtout privés (qui gèrent aujourd’hui les deux tiers des emplacements existants) et une quinzaine de marinas supplémentaires devraient être construites rapidement.
23Le golf est à la mode : tout au moins chez les professionnels du tourisme qui communiquent beaucoup sur leurs ambitions en la matière. La construction, au milieu des années 1980, d’un complexe de 6 terrains de golf et 36 hôtels (18000 lits) à Belek, près d’Antalya, s’est révélée un succès important, et un exemple à suivre au moment où ce sport semble revenir en grâce. Hormis 7 terrains de golf à Antalya, 4 à Istanbul et un seul à Ankara, tout reste à faire en Turquie. Une campagne «100 terrains de golf en quatre ans » a été lancée par la Fédération turque de golf avec le soutien d’Ankara. Rares sont les Cassandres qui soulignent les problèmes posés par un tel projet en termes de terrains disponibles (notamment sur la côte) ou de ressources en eau, cette dernière question étant de plus en plus cruciale (approvisionnement et qualité) dans les zones touristiques. Malgré les recommandations anciennes de l’OCDE, la logique d’un « développement touristique soutenable » ne semble toujours pas être à l’ordre du jour.
24Le tourisme d’hiver est aussi l’objet de toutes les attentions du plan 2007-2013 : la Turquie dispose d’un potentiel énorme – la moitié du pays est à plus de 1500 mètres – en particulier dans le Nord-Est. C’est là que le projet prévoit de développer un réseau de stations formant un croissant de la région d’Erzincan à la frontière géorgienne, en passant par Erzurum. Il existe déjà 18 stations de sports d’hiver en Turquie, mais elles sont de dimensions modestes (voire très modestes) et ne peuvent pas concurrencer les stations étrangères. Les Stambouliotes préfèrent aller en Bulgarie, où les stations sont mieux équipées et qui est géographiquement plus proche. Seule Erzurum tire son épingle du jeu et commence à attirer une clientèle venant de la CEI. Les Universiades (Olympiades universitaires) d’hiver, qui se dérouleront à Erzurum en 2011, aideront sans doute au développement des sports d’hiver dans cette région.
25Dans la même veine, le plan prévoit de développer un tourisme de randonnée pédestre toujours dans le Nord-Est du pays, sur une ligne allant de Samsun à Artvin. Là encore, le ministère du Tourisme s’appuie sur des initiatives locales préexistantes qui ont rencontré quelques succès. Parallèlement, les tour-opérateurs étrangers soucieux d’environnement et les quelques associations turques qui militent pour limiter les effets dévastateurs du tourisme de masse ont un os à ronger, le plan prévoyant de nombreuses « zones d’écotourisme » aux modalités encore floues. Le plan 2007-2013 souhaite développer le tourisme thermal. Fort de la richesse en géothermie de la Turquie et de ses 1500 sources, le ministère envisage d’attirer à terme pas moins de 15 millions de touristes, ce qui suppose un effort considérable pour mettre en valeur les sites et la multiplication par dix des structures d’accueil existantes.
26Le tourisme culturel est lui aussi mis à l’honneur, d’autant plus que le ministère du Tourisme est aussi celui de la Culture. Le patrimoine turc en la matière est gigantesque mais souvent mal ou pas entretenu. La stratégie gouvernementale est de mettre en avant des « zones thématiques » autour des anciennes civilisations (Urartu dans l’Est, Hittites et Phrygiens à l’Ouest, la Cappadoce), Troie, Aphrodisia et enfin Sog?ut (berceau des Ottomans) près de Bursa. Le plan cherche également à mettre en avant quelques villes, surtout au centre et à l’est du pays, aux potentialités touristiques peu ou pas développées.
27Le tourisme religieux – toutes religions monothéistes confondues – est aussi à l’honneur, d’autant plus qu’il s’inscrit dans la politique de communication gouvernementale, en vigueur depuis une quinzaine d’années, sur la Turquie terre de tolérance religieuse. L’« axe du tourisme religieux » dans le Sud-Est va de Tarse à Mardin en passant par Harran et rejoignant Antioche, plus au sud.
Tourisme et représentations
28Le tourisme est une industrie fragile par nature, dépendante d’un ensemble de facteurs à partir desquels les touristes potentiels vont faire le choix de la Turquie ou non. L’image générale du pays à l’étranger est ici importante, mais à celle-ci s’ajoutent des éléments liés à la sécurité (attentats, rébellion kurde), aux moyens de transports (fiabilité des compagnies low cost), aux « dangers » naturels encourus par les voyageurs (grippe aviaire, tremblement de terre) et, bien sûr, à la question du prix.
29Le cas de 2006 est intéressant. La fréquentation touristique a globalement régressé (– 6,3%) du fait de la crise de la grippe aviaire en janvier et de la reprise (à faible intensité) des actions de la guérilla kurde : deux événements qui se sont conjugués avec la crise israélo-libanaise pour brouiller l’image de la Turquie et détourner le tourisme, surtout en provenance d’Europe de l’Ouest, vers des marchés concurrents. Le terrorisme n’a pas de frontières, y compris en termes d’impact sur le tourisme. Ainsi un attentat dans un pays d’une zone géographique donnée (Méditerranée orientale, Moyen-Orient) aura des conséquences en termes de fréquentation dans les pays de la zone, même s’ils ne sont a priori pas concernés (Drakos et Kutan, 2003).
30L’image du pays n’est bien sûr pas la même partout dans le monde. Un très bel exemple en est donné par le recul significatif de l’entrée des ressortissants américains, canadiens, australiens et néo-zélandais en 2003 et 2004, dans le sillage de l’intervention en Irak. Dans le monde anglo-saxon, la Turquie a d’abord une image (d’ailleurs plutôt positive) d’un pays du Moyen-Orient, avec en conséquence une perception de dangerosité dès lors que la région connaît des soubresauts. Il est intéressant de noter d’ailleurs que le Royaume-Uni, pourtant fortement impliqué dans l’affaire irakienne, n’a pas été touché par cette crainte, la Grande-Bretagne partageant avec l’Europe continentale une perception complexe de la Turquie dans laquelle l’image d’un pays méditerranéen domine.
31Globalement, l’essor du tourisme en Turquie doit beaucoup à l’amélioration sensible de l’image de la Turquie à l’étranger qu’on enregistre depuis le début des années 1990, le pays ayant finalement dépassé le syndrome Midnight Express qui lui était attaché dans les années 1970 et 1980. Conscient de l’enjeu, le ministère turc du Tourisme mène des campagnes marketing régulières dans plusieurs pays fournisseurs de touristes ou susceptibles de l’être. Pour l’année 2006, le ministère a participé à 125 foires internationales et dépensé plus de 62 millions de dollars en publicité dans 72 pays différents. L’accent est mis sur l’Allemagne, qui totalise à elle seule plus de 14 millions de dollars (budget en progression de 3 millions par rapport à 2005) pour une campagne publicitaire globale : cinéma, télévision, revues, panneaux, affichages dans les tramways, les gares, les trains et les autobus, etc. Pour l’Europe occidentale, viennent ensuite le Royaume-Uni (8,4 millions de dollars) et, loin derrière, les Pays-Bas (2,8 millions de dollars), la France (2,7), l’Espagne (2,5) et l’Italie (2,0). Le deuxième poste de dépenses est la Russie avec 8,8 millions de dollars (en progression de 3,1 millions) pour une campagne essentiellement axée sur la télévision. En revanche les budgets pour les autres pays d’Europe orientale (Pologne, Ukraine) ont été réduits. Hors du continent, les budgets en progression significative sont ceux consacrés aux Émirats arabes unis (1,8), à la Chine (1,1) et à la Malaisie (0,8). Les États-Unis (2,3) sont l’un des rares pays occidentaux, avec Israël, où le budget est en régression par rapport à 2005. Enfin, pour la première fois en 2006, des campagnes ont été menées au Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie).
32Cette répartition est intéressante à plus d’un titre : en premier lieu, elle souligne la domination européenne de l’Ouest dans la stratégie de communication du ministère : c’est là que le potentiel de touristes est le plus élevé. En deuxième lieu, la place acquise par la Russie est entérinée. Enfin, l’ouverture vers l’Asie (et l’Afrique du Nord) est une priorité qui se traduit en termes d’efforts consentis.
Tourisme et opinions
33Le boom touristique de ces dernières années a participé au développement du pays, mais a aussi induit des conséquences sociales et politiques aujourd’hui visibles. Le passage répété en Turquie de millions d’étrangers avec leur mode de vie, leur représentation du monde, influence une partie importante de la société turque, contrainte, en quelque sorte, à s’ouvrir sur l’extérieur. C’est une Turquie apparemment plus ouverte qui émerge donc, une société turque plus à l’aise dans le village global qu’est devenue la planète pour les Occidentaux et les élites des pays du Sud. L’étranger, avec ses besoins et son mode de vie, fait désormais partie d’une certaine normalité partagée par une part croissante de la société turque. Le phénomène est d’ailleurs souligné par la montée en puissance de la Turquie comme pays émetteur de touristes.
34L’essor touristique est donc significatif de l’ouverture de la Turquie sur le monde : à ce titre, il est aussi attaqué par ceux, plus nombreux mais souvent moins visibles, qui rejettent la part sombre de l’invasion touristique, soit au nom de la préservation d’une identité nationale qui serait menacée par l’acculturation, soit au nom d’une moralité qui serait mise à mal par les usages et les comportements des étrangers. Des polémiques surgissent régulièrement, que ce soit au sujet des résidences secondaires acquises par les étrangers ou encore sur l’organisation par un tour-opérateur de voyages homosexuels avec hôtels dédiés. En juin 2006, un sondage sérieux [6] repris par l’ensemble de la presse avait étonné l’élite stambouliote notamment par l’image négative du « turist » (comprendre le touriste étranger) dans l’opinion turque, 42% des personnes interrogées jugeant que les touristes détériorent la moralité de la nation.
35Le tourisme en Turquie rencontre aujourd’hui un problème de même nature que l’ensemble de l’économie. Après l’impressionnant développement des années 1990, il s’agit d’assurer la pérennité de ce développement. Les ambitions de croissance affirmées par le gouvernement entrent en conflit avec l’obligation de plus en plus ressentie par les acteurs du tourisme comme les touristes (turcs) eux-mêmes de miser sur la qualité et de mettre en place des solutions, notamment en matière environnementale. Il est cependant vrai que la Turquie dispose d’un potentiel extraordinaire et qu’il reste beaucoup à faire pour le mettre en valeur.
36Le regard que les Turcs portent sur le tourisme est très différencié, et est significatif des tensions qui parcourent la société turque, écartelée entre, schématiquement, une élite kémaliste occidentalisée et une nouvelle élite concurrente, souvent de province et conservatrice. Pour les uns le tourisme à la manière occidentale est un mode de vie à atteindre, pour les autres il s’agit au contraire d’un comportement étranger à la culture musulmane, voire à la culture islamo-turque. Mais personne, parmi les édiles du pays, ne songe un instant à se priver de cette manne financière.
Bibliographie
Bibliographie
- DRAKOS K. et KUTAN A., « Regional effects of terrorism on tourism in three Mediterranean countries », Journal of Conflict Resolution, vol. 47, n° 5, octobre 2003, p. 621-641..
- KÜLTÜR VE TURIZM BAKANLIG ? I, « Strateji Gelis¸tirme Bas¸kanl?g??», Y?l? Idare Faaliyet Raporu, avril 2007.
- PÉROUSE J.-F., La Turquie en marche. Les grandes mutations depuis 1980, La Martinière, Paris, 2004.
Notes
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[*]
Université de Galatasaray, Institut français d’études anatoliennes, Istanbul.
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[1]
Depuis 2001, les citoyens turcs bénéficiant d’un titre de séjour dans un pays de l’Union européenne sont comptabilisés comme touristes (Y?l? idaret faaliyet raporu, 2007).
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[2]
Selon la douane turque, les autres moyens de transport utilisés (pour 2006) sont les liaisons. maritimes (6,7 %), le rail (0,3 %) et la route (18,8 %). T. C. BAS ¸ BAKANLIK, « Turkiye Istatistik Kurumu », Giris¸-Ç?k?s¸ Ziyaretçiler, Haber Bülteni, n° 104, juin 2006.
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[3]
L’Association des hôteliers (TUROB), l’Association des investisseurs du tourisme (TYD), l’Association des tour-opérateurs (TURSAB).
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[4]
Les statistiques turques distinguent les pays européens membres de l’OCDE des autres pays du continent, c’est-à-dire l’Europe à 15 à laquelle s’ajoutent la Suisse, l’Islande et la Norvège. En réalité la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque sont membres de l’OCDE mais les ressortissants de ces pays sont toujours comptabilisés dans les autres pays d’Europe dans les statistiques officielles turques.
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[5]
D’après T. C. BAS ¸ BAKANLIK, « Turkiye Istatistik Kurumu », Giris¸-Ç?k?s¸ Ziyaretçiler, Haber Bülteni, n° 104, juin 2006.
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[6]
Que l’on doit à un universitaire réputé, Ali Çarkog?lu.