Notes
-
[*]
Professeur, responsable de la section « Aménagement touristique et culturel », Département de géographie, Faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Saint-Joseph de Beyrouth.
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[1]
Le Hezbollah (en arabe Ì izbu-llæh, « parti de Dieu ») fondé en juin 1982 est un mouvement politique chiite libanais possédant une branche armée qui fut créée, à l’origine, en réaction à l’invasion israélienne au Liban en 1982, en s’appuyant sur un financement iranien et syrien.
-
[2]
Selon une étude menée par le ministère des Déplacés en 1992,90000 familles ont dû abandonner leurs maisons et quitter leurs villages au cours de la guerre civile (1975-1990).
-
[3]
Créditée, en 1994, de 474400000 de dollars américains.
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[4]
Le dernier recensement de population au Liban a été réalisé sous le Mandat français en 1932. Depuis, l’Administration centrale de la statistique procède à des estimations.
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[5]
Chiyah, Ghobeiry, Haret Hreik, Bourj el-Brajné, Mraijé, Laylaké, Hay es-Sellom.
-
[6]
Excepté le 15 juillet 2006, où vingt immeubles du « périmètre de sécurité » seront réduits en une montagne de gravats.
-
[7]
L’État-major israélien ne va lancer son opération terrestre, destinée à repousser les combattants du Hezbollah au-delà du Litani, que le 10 août 2006.
-
[8]
Pour rappel, en 1982, lors de l’opération intitulée Paix en Galilée, le général Ariel Sharon avait envahi le Liban avec une troupe comprenant 110000 à 145000 soldats.
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[9]
Le Courant patriotique libre (Al-Tayyar al-Watani al-Horr) est un mouvement politique libanais fondé en 1992 par le général Michel Aoun. La naissance du Courant s’est faite dans une conjoncture de pression populaire autour de la résistance à l’offensive militaire syrienne, de la libération, du retour au pouvoir du droit et de la reconstruction de la nation libanaise. En avril 2006, le CPL s’est officiellement transformé en un parti politique, on dit aussi, depuis ce jour, Parti patriotique libre.
-
[10]
Le Parti social nationaliste syrien (PSNS, Al-Hizb as-Sºrî al-Qawmî al-Ijtimæ`î), connu aussi sous le nom donné par la France de Parti populaire syrien (PPS) ou saadiste, est un parti politique laïque créé en 1932 à Beyrouth, qui préconise une grande nation syrienne. Le PSNS est responsable de deux tentatives de coup d’État : en juin 1949 et le 31 décembre 1961. À l’instar d’autres partis, le PSNS établira sa milice et prendra part aux combats durant la guerre libanaise.
-
[11]
Le Dashnak ou « Fédération révolutionnaire arménienne » (Hay Heghapokhakan Dachnaktsoutioun) est un parti politique arménien.
-
[12]
M. Oussama Saad (député de Saïda) et M. Omar Karamé (député de Tripoli), ex-Premier ministre.
-
[13]
Le Courant du futur est un mouvement politique fondé par l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Il est dirigé depuis l’assassinat de ce dernier par son fils, Saad Hariri. Le Courant du futur (Tayyar Al-Mustaqbal) est la principale composante de l’Alliance du 14 mars et dispose depuis les élections de 2005 du plus grand bloc parlementaire (36 députés sur les 128 qui composent le Parlement libanais). Le Premier ministre Fouad Siniora et de nombreux autres ministres sont issus du Courant du futur.
-
[14]
Le Parti socialiste progressiste (PSP) a été fondé en 1949 par le chef de la communauté druze Kamal Joumblatt. Celui-ci meurt en 1977, très probablement assassiné par l’armée syrienne, suite à la découverte d’un projet soupçonné de Joumblatt portant sur l’assassinat de chrétiens des montagnes libanaises. C’est son fils Walid qui lui a succédé à la tête du parti. Bien que le parti soit officiellement laïque, il représente majoritairement la communauté druze. Il est membre de l’Internationale socialiste. Aujourd’hui, le parti se considère comme antisyrien et pro-occidental.
-
[15]
Le terme de Forces libanaises désigne une ancienne milice chrétienne qui joua un rôle majeur dans la guerre civile qui ravagea le Liban de 1975 à 1990. Quand la guerre civile fut terminée, le mouvement se transforma en parti politique bien que ses activités fussent sévèrement limitées par le gouvernement prosyrien jusqu’à la révolution des Cèdres qui conduisit au retrait des troupes syriennes en 2005. Le mouvement est officiellement laïque, mais dans les faits il a toujours été supporté par les chrétiens uniquement, et plus spécialement par les maronites.
1Un certain 12 juillet 2006, comme chaque jour, je déjeunais au Café des Lettres, un petit coin de France sis rue de Damas, où sont regroupés le consulat et le Centre culturel français au Liban. Alors que j’organisais, pour des collègues italiens, une randonnée pédestre, un ami nous annonce que le Hezbollah [1] a franchi, au petit matin, la ligne bleue délimitée par l’ONU et a enlevé deux soldats israéliens. Peu inquiétés par la nouvelle, nous poursuivons l’élaboration du programme touristique de la semaine suivante.
2Le 14 août 2006, après l’adoption de la résolution 1701 par le Conseil de sécurité, qui réclamait une simple cessation des hostilités, le ballet aérien des avions israéliens et le déluge de feu qui s’abattait sur la banlieue sud, la plaine de la Bekaa et les villages frontaliers s’arrêtent enfin, à partir de 8 heures du matin.
3Bilan de ces « trente-trois jours » interminables : un État exsangue, 1183 morts, 4059 blessés, plus d’un million de personnes déplacées, 15000 unités résidentielles détruites, des pertes directes estimées à 3,612 milliards de dollars dont 1 milliard pour le secteur du tourisme.
4Pourtant l’année 2006 avait si bien démarré, « pause » dans les assassinats politiques, amorce d’un dialogue national pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, les actions de Solidere s’envolaient à la Bourse de Beyrouth, des sociétés industrielles locales remportaient des contrats d’exportation juteux... Le ministère du Tourisme et les tours opérateurs prévoyaient un été de rêve; les touristes arabes et occidentaux avaient redécouvert les charmes de la destination Beyrouth et les hôtels prestigieux restaurés affichaient complet, les six festivals internationaux enregistraient une vente record de billets, des millions de dollars étaient investis dans l’immobilier, de nouvelles plages et de nouveaux restaurants ouvraient leurs portes... 1,6 million de touristes étaient attendus.
5Le 12 juillet 2006, tout a basculé. L’horreur s’est à nouveau installée dans un pays qui croyait avoir retrouvé sa douceur de vivre.
6En jouant, à partir du Sud-Liban, du bras nucléaire de l’Iran contre Israël, à la veille de la tenue d’un G8 qui devait prendre des sanctions dans ce sens et de la remise du rapport Brammertz gênant pour son allié syrien, en volant au secours du Hamas, en compromettant une saison touristique et en offrant à Israël la chance de détruire ce pays kaléidoscope, le Hezbollah (lui-même menacé par la résolution 1559 qui préconisait son désarmement) a plongé le Liban dans la tourmente.
Le drame de l’exode
7Au cinquième jour du conflit, 58000 personnes avaient déjà pris le chemin de l’exode, affluant vers Beyrouth et les zones chrétiennes. Flash-back sur la guerre civile et son lot de familles déplacées [2] qui constituent, de nos jours encore, un dossier brûlant. Seize ans après la fin de la guerre, la création d’un ministère et d’une Caisse des déplacés [3] destinée à financer les projets de retours, 45 % d’entre elles n’ont toujours pas réintégré leurs villages.
8Au terme du vingtième jour de la guerre, plus d’un million de personnes auront été déplacées, souvent sorties de leurs maisons soudainement sans rien emporter avec elles. L’image de ces voitures brinquebalantes ou d’enfants, de vieillards... qui fuient à pied les zones de combat nous a ramenés vingt ans en arrière, comme le préconisait Olmert. Relégués tout au fond de notre mémoire, ont resurgi des souvenirs pénibles et douloureux que nous pensions avoir oubliés. Automatiquement, nous avons retrouvé des attitudes, des actions, des gestes... qui ont constitué notre quotidien, quinze années durant.
9Une fois de plus, une mobilisation spontanée et pluriconfessionnelle va plus ou moins rapidement mettre en place une chaîne de solidarité : institutions étatiques, ONG, fondations, associations caritatives, université Saint-Joseph, partis, individus...
10Les familles déplacées ont été installées dans des écoles publiques ou privées, dans des couvents, des jardins publics... tant dans la capitale que dans la montagne chrétienne où les risques de représailles israéliennes étaient moindres. Des caisses de ravitaillement, des couvertures, matelas, draps, serviettes de toilette mais aussi des médicaments ont été distribués. Le CICR, l’Union européenne, les Nations unies, l’organisation Médecins sans frontières, les pays arabes... vont se mobiliser pour apporter une aide d’urgence au Liban. La communauté internationale était au chevet du Liban.
Beyrouth et la carte des bombardements
11Le Liban est un petit pays qui couvre une superficie de 10452 km2. Sa capitale, Beyrouth, est une très grosse conurbation urbaine qui s’étend sur 30 km le long de la côte et sur les premières pentes du Mont-Liban jusqu’à 1000 m d’altitude. Près de deux millions de Libanais y résident, soit la moitié de la population estimée au Liban [4].
12La guerre civile (1975-1990) et les déplacements de population qu’elle a occasionnés ont renforcé l’homogénéisation confessionnelle des quartiers et de son agglomération. La banlieue sud est composée de plusieurs municipalités [5] essentiellement chiites et sous contrôle du Hezbollah.
13Le quartier général du Hezbollah, baptisé depuis des années « périmètre de sécurité », est situé à Haret Hreik. Il abritait, jusqu’au 12 juillet 2006, le domicile et le bureau du secrétaire général du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah, les locaux de la télévision Al-Manar, de la radio Al-Nour, le siège du Conseil de la choura du parti. Les frappes aériennes israéliennes très ciblées répondaient à une logique tactique et stratégique qui consistait à isoler le quartier général du Hezbollah et le couper de ses zones de ravitaillement en armes et en hommes.
14La campagne aérienne s’inscrit dans l’espace beyrouthin en trois temps. Du 12 au 17 juillet 2006, les obus s’abattent essentiellement autour du « périmètre de sécurité » du Hezbollah [6]. Sont touchés les carrefours, les axes de communications et les ponts reliant la banlieue sud à la plaine de la Bekaa et au Liban-Sud.
CARTE DES COMBATS
CARTE DES COMBATS
15Afin de mettre en place et de renforcer le blocus aérien, les frappes aériennes viseront l’aéroport international Rafic-Hariri (pistes, tunnels, routes et stocks de carburant), le blocus maritime touche le port de Beyrouth, ses silos mais aussi les petits ports d’Ouzaï et de Jounié.
16La deuxième phase débute le 18 juillet. L’aviation israélienne va concentrer ses frappes sur Haret Hreik et le quartier général du Hezbollah mais aussi traquer et bombarder les camions susceptibles de transporter les missiles de moyenne et de longue portée ainsi que les citernes de fuel.
17Le 19 juillet, poursuite du matraquage intensif du « périmètre de sécurité », extension des frappes aériennes dans les régions chrétiennes où des antennes de télécommunications, des radars et des routes internationales seront pris pour cibles. Outre l’intérêt stratégique qu’ils représentent dans une politique d’isolement et de blocage de l’acheminement éventuel de renforts au Hezbollah, il ne faut pas sous-estimer l’impact psychologique recherché par l’adversaire, qui cherche à briser l’élan de solidarité qui anime la population libanaise et lui rappeler qu’aucune région du pays n’est à l’abri de représailles israéliennes.
18À partir du 21 juillet et ce, jusqu’à la cessation des hostilités le 14 août, nous entrons dans la troisième phase de l’opération. Haret Hreik et la banlieue sud seront quotidiennement pilonnés. La nuit qui a précédé l’arrêt des combats, ils seront bombardés à raison de 18 obus à la minute.
Bilan immédiat du conflit
19Dans les jours qui suivirent la fin de la guerre, le million de déplacés chiites sont retournés dans leurs villages détruits et leurs villes endommagées. De jeunes partisans chiites commencent à établir un inventaire précis des dégâts occasionnés par les bombardements intensifs de l’ennemi. Les télévisions du monde entier diffusent des images où un député, membre du parti de Dieu, distribue de l’argent liquide (10000 à 12000 dollars) aux familles ayant perdu leurs biens. Le sayyed Nasrallah tenait les promesses faites au début du conflit.
20Des hommes d’affaires, des banques ou de grandes entreprises libanaises s’engagent à reconstruire, chacun dans sa région, les ponts endommagés. Une floraison de pancartes publicitaires, sur lesquelles sont exposées des scènes de désolation et de destruction, assure que le Liban se reconstruira vite et mieux qu’avant. L’objectif consistait à redonner confiance aux Libanais, à les dissuader d’émigrer vers des cieux plus cléments, à les encourager à participer activement au redressement du pays.
21Parallèlement, nos deux adversaires crient victoire : « À peine le canon s’est-il tu que, d’un côté comme de l’autre, on revendique âprement la victoire » (Issa Goraieb, L’Orient-Le Jour, 16 août 2006), mais peut-on parler de victoire?
CARTE DES DÉGÂTS DE LA GUERRE ET DE LEUR COÛT
CARTE DES DÉGÂTS DE LA GUERRE ET DE LEUR COÛT
22Du côté israélien, la campagne aérienne a atteint ses objectifs puisqu’elle a détruit une partie des bases de missiles de moyenne et de longue portée de l’ennemi, qui menaçaient la sécurité d’Israël. Elle a également gravement endommagé la majeure partie des infrastructures routières et a réussi à couper les lignes de renforts et de logistique qui relient le Hezbollah à la frontière syrienne et à son hinterland.
23Mais, alors que ses objectifs étaient atteints dès la deuxième semaine, pourquoi l’État-major israélien n’a-t-il pas opté pour une opération terrestre de grande envergure [7] ? Pourquoi n’a-t-il mobilisé que 15000 réservistes [8] mal préparés et mal équipés ? Plus grave encore, ne disposant pas de mission claire sur le terrain ?
24Les batailles acharnées de Maroun el-Ras et de Bint-Jbail n’ont pas eu les résultats escomptés. Au contraire, elles ont permis de démontrer, une fois de plus, qu’une armée régulière a du mal à engager une guerre asymétrique, qui semble être le propre des conflits qui ont éclaté en ce début de XXIe siècle (Afghanistan, Irak, Gaza...). Au terme du conflit, Tsahal aura perdu 157 soldats et remporté en fin de compte une victoire symbolique sans avoir pu venir à bout du Hezbollah dont les missiles ont atteint des villes israéliennes et ont terrorisé sa population civile.
25Dès la cessation des hostilités, le cabinet israélien et l’armée de l’État hébreu ont dû affronter les critiques croissantes de l’opinion israélienne à propos de leur gestion de la guerre au Liban (selon un sondage mené par Maariv le 16 août, 84 % des Israéliens étaient mécontents). En réponse à cette situation, des commissions ont été formées pour mener des enquêtes sur les erreurs de jugement et de stratégie commises par l’État-major.
26Pour la première fois depuis la création de l’État d’Israël, une milice a résisté et bombardé Haïfa à plusieurs reprises. À Téhéran comme à Damas, la singulière victoire du Hezbollah a été célébrée avec force de discours et de manifestations populaires. Son chef revendique « une victoire stratégique et historique pour tout le Liban et la résistance et pour la oumma » (Nasrallah, 14 août 2006).
27Cette « divine victoire » annoncée à cor et à cri par ses propagandistes garde un goût bien amer puisqu’elle se solde par la destruction de l’économie du pays, de ses principales infrastructures, de son image touristique à l’étranger... sans oublier les villages rasés, la perte d’un millier de civils et celle tenue secrète du nombre de miliciens tombés sur les champs de bataille.
Au nom du pluralisme
28À peine les hostilités terminées, des campagnes publicitaires « ravagèrent » les routes. Un seul thème de communication : la Reconstruction. Malheureusement, aucune étude sérieuse n’a été menée auprès des Libanais qui, aux dires de quelques professionnels du métier, auraient réagi négativement à ce matraquage visuel qui leur rappelait à chaque coin de rue le lourd prix payé pour une guerre qui n’était pas la leur.
29Pour célébrer la « divine victoire », le Hezbollah organisa un grand meeting dans la banlieue sud, qui rassembla plusieurs milliers de personnes. L’objectif de cette manifestation était de mettre un terme « aux mauvaises langues de mauvaise foi » qui pourraient remettre en question son aventurisme qui a coûté cher à la nation.
30Deux mois après la fin du conflit, les déclarations quotidiennes, les discours, les débats... reprennent en chœur les termes consensus, dialogue, culture... qui sonnent creux puisque, sur le terrain, chaque camp durcit ses positions et agit comme si la guerre des « trente-trois jours » n’avait pas eu lieu.
31Déni, amnésie... pourtant la situation a bien changé et l’échéance prochaine de certains dossiers justifie la tension qui sévit dans les cercles politiques.
32Nous assistons à l’émergence d’un duopole : d’un côté le Hezbollah, le CPL (Courant patriotique libre [9] ) et la majorité des forces qui gouvernaient le pays avant le meurtre de Rafic Hariri que sont le PSNS (Parti social nationaliste syrien [10] ), le Dachnak [11] et des personnalités sunnites influentes [12] ou maronites comme monsieur Suleiman Frangié. Ce pôle regroupe les fractions politiques prosyriennes... et par surcroît pro-iraniennes. Ils restent attachés à ces alliances politiques externes parce qu’elles leur garantissent des prérogatives et des bénéfices. Tout en ignorant les accords de Taëf, ils mènent campagne contre le gouvernement et exigent son départ avant d’accepter de débattre du sort du président Lahoud. Ils sont également pour l’adoption d’une nouvelle loi électorale et des élections législatives anticipées, un piège qui vise à saboter la majorité actuellement au pouvoir, donc une manœuvre qui n’a rien de « démocratique ». Le second pôle réclame un Liban souverain et autonome. Ce mouvement – connu sous l’appellation « Forces du 14 mars » ou « de la majorité » – regroupe le Courant du futur [13], le Parti socialiste progressiste [14], les Forces libanaises [15]. La majorité des membres de ce regroupement réclament aujourd’hui la « vérité » dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri et l’avènement d’un nouveau chef d’État. Notons que l’Église maronite, par la voix de ses prélats, et notamment le patriarche Sfeir, affiche son soutien à ce courant. D’ailleurs, ce dernier, dans son homélie du 29 octobre, fustigea le courant qui « cherche à faire retourner le Liban sous la tutelle syrienne ».
33La situation, qui se dégrade de jour en jour, plonge le Liban dans un cercle vicieux qui semble devoir durer. La poursuite de ce bras de fer est loin de servir l’intérêt national, car le redressement du pays est pour ainsi dire impossible à l’ombre de ces deux positions inconciliables qui paralysent l’État et bloquent les décisions nécessaires.
34Quels sont les dossiers qui menacent le Hezbollah, l’axe irano-syrien et ses acolytes ? Tel un effet de dominos, plusieurs éléments se sont progressivement mis en place et resserrent l’étau autour du parti chiite :
À l’échelle internationale
35 La création d’un tribunal international, suite à la demande du gouvernement libanais et conformément à la résolution 1664 adoptée en mars 2006. Le Hezbollah, considéré par Washington comme une organisation « terroriste », tient à échapper au piège du tribunal. Afin de protéger ses alliés (les présidents Bachar el-Assad et Émile Lahoud), il cherche, par le biais de certaines factions politiques, à limiter les manœuvres du tribunal afin d’en restreindre les compétences. Il compte aussi sur le chef de l’État prosyrien, Émile Lahoud – dont la signature est nécessaire –, pour ne pas l’avaliser. Mais aujourd’hui aucune échappatoire ne semble possible à la formation de ce tribunal « spécial pour le Liban ». À la veille de la constitution du tribunal, le rapport Brammertz risque d’être plus accusateur en avançant le nom de certains commanditaires de l’assassinat de Rafic Hariri. Le Hezbollah tout comme la Syrie sont incommodés par la divulgation du rapport.
36La tenue à Paris d’une conférence internationale sur l’aide financière au Liban intitulée « Paris III », destinée à faire baisser sa dette publique évaluée à 41 milliards de dollars. Cette action apporte une reconnaissance encore plus grande au président du Conseil, Fouad Siniora, et à son équipe alors que le Hezbollah et son camp réclament sa démission.
À l’échelle régionale
37Les violations aériennes israéliennes ont beau être recensées par la FINUL renforcée, décriées par le président Chirac, elles se poursuivent jusqu’à présent sans sanctions. Pourtant le survol des avions de combat israéliens constitue une provocation et une menace pour la souveraineté du territoire libanais mais aussi pour la milice qui se sait observée. Ehoud Olmert a déclaré que ce n’est pas une violation de la résolution 1701, puisque celle-ci n’a pas été appliquée dans sa totalité. Mais c’est aussi l’occasion de garder le Liban ouvert à tous les scénarios.
38Les deux soldats israéliens enlevés le 12 juillet sont toujours entre les mains du Hezbollah. Ils constituent un atout précieux en vue d’un échange de prisonniers. Mais l’arrivée de l’ultranationaliste Liebermann aux commandes des Affaires stratégiques israéliennes laisse envisager le pire. Sans oublier que les scandales qui touchent le président Katsav et Ehoud Olmert pourraient pousser le gouvernement israélien à mener une opération de libération des deux otages.
39Une présence « arabe » et sunnite de plus en plus forte par le biais d’aides financières auprès des habitants du Liban-Sud mais aussi par des investissements immobiliers dans la capitale. L’Arabie saoudite, en médiateur, cherche à éviter toute confrontation interne au Liban et a reçu, au cours de ces dernières semaines, Berry, Hariri, Siniora... car il ne faut pas oublier que le régime wahhabite s’inquiète de l’hégémonie iranienne sur la scène libanaise mais aussi des dangers que représente l’influence de l’Iran sur la communauté chiite parfois majoritaire dans certains pays du Golfe comme l’île de Bahreïn.
40Le parti chiite compte donc sur le formidable pouvoir de déstabilisation que l’axe irano-syrien peut exercer au Liban. Mais les États-Unis veillent puisque leur ambassadeur auprès de l’ONU, John Bolton, accusait « la Syrie et l’Iran de tenter activement de déstabiliser le gouvernement libanais formé démocratiquement, en contravention de la résolution 1559 » (L’Orient-Le Jour, 31 octobre 2006).
À l’échelle locale
41Il est clair que la « divine victoire » a changé la donne. Hassan Nasrallah a perdu tous ses acquis d’avant le 12 juillet 2006 : il ne règne plus en maître absolu au Liban-Sud, l’armée libanaise occupe ses positions, soutenue logistiquement par une FINUL renforcée composée de 7200 hommes. Il a perdu ainsi l’arme de menacer Israël, conséquence d’un enjeu régional au profit de la Syrie, mais surtout de l’Iran. Le dernier rapport de l’émissaire de Kofi Annan, Terjé Roed-Larsen, porte sur l’application de la résolution 1559 et le désarmement de la milice chiite. Or, lors de sa dernière déclaration, Nasrallah a affirmé qu’il ne désarmerait que lorsque Jérusalem serait délivrée, mettant de nouvelles conditions difficilement réalisables. Jeudi 19 octobre le gouvernement a décidé d’installer des caméras de vidéo-surveillance dans les lieux publics de la capitale à la suite d’une série d’attentats (grenades, roquettes, bombe...). Le Hezbollah a exprimé quelques craintes pour la sécurité du pays ainsi exposé à la menace d’Israël. Mais ce qu’il craint par-dessus tout, c’est que désormais tous ses faits et gestes soient contrôlés par l’État libanais, et de plus par les États-Unis, puisqu’il est question de relier ces caméras à un réseau plus global, via les satellites. La concertation sur le gouvernement d’unité nationale et la loi électorale proposée par le président de la Chambre Nabih Berry a mit tout le monde au pied du mur et oblige à la crédibilité internationale du gouvernement Siniora : Condoleezza Rice, après avoir exprimé le « degré de respect et d’admiration mondial à l’égard du gouvernement Siniora », a rappelé que les États-Unis n’oublieraient pas l’attentat contre le quartier général des marines en 1983 perpétré par le Hezbollah et lui conseillait de désarmer.
42Le dernier élément concerne les fermes de Chebaa, occupées par Tsahal et qui jusqu’à présent justifient l’armement de la milice chiite. Or, Kofi Annan a mandaté le 29 octobre des experts onusiens et américains pour délimiter les frontières desdites fermes. Une fois le tracé effectué, et après concertation avec le cabinet israélien, le Palais de verre demandera le transfert de souveraineté des fermes de Chebaa à l’ONU.
43La chute de ce dernier domino pourrait modifier plusieurs paramètres et avoir des conséquences sur le nouveau round de dialogue proposé par Berry. Entretemps, Sayyed Nasrallah hausse le ton et se montre intransigeant; ainsi le 12 novembre les cinq ministres chiites (Amal et Hezbollah) du gouvernement démissionnent.
44Dans la rue, la rumeur court et on avance des scénarios catastrophiques : grande manifestation, organisée par le tandem Hezbollah-Aoun, en direction du Grand Sérail; scénario de tirs, suivis par la mise en place du couvre-feu, prélude à la démission du gouvernement; voitures piégées visant les civils et spectre d’une reprise des assassinats.
45Depuis la cessation des hostilités, le Liban s’est engagé dans une situation d’équilibre instable. Le choix se joue entre libanisme, ouverture, droit à la différence, respect du pluralisme et des libertés publiques ou, à l’opposé, idéologie communautaire guerrière et affiliation à un axe irano-syrien.
46De rassemblements en manifestations, de célébrations en commémorations, le duopole s’affronte à coups de discours hargneux et le fossé des divisions internes semble encore plus profond. Un climat malsain, un fractionnement irresponsable déteignent sur toutes les couches de la société, s’infiltrent dans les écoles et les universités. Or, le Libanais veut tout simplement vivre, mener une vie tranquille sans se poser la sempiternelle question depuis 1975 : « De quoi demain sera-t-il fait ?» Beyrouth, le 13 novembre 2006.
Notes
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[*]
Professeur, responsable de la section « Aménagement touristique et culturel », Département de géographie, Faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Saint-Joseph de Beyrouth.
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[1]
Le Hezbollah (en arabe Ì izbu-llæh, « parti de Dieu ») fondé en juin 1982 est un mouvement politique chiite libanais possédant une branche armée qui fut créée, à l’origine, en réaction à l’invasion israélienne au Liban en 1982, en s’appuyant sur un financement iranien et syrien.
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[2]
Selon une étude menée par le ministère des Déplacés en 1992,90000 familles ont dû abandonner leurs maisons et quitter leurs villages au cours de la guerre civile (1975-1990).
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[3]
Créditée, en 1994, de 474400000 de dollars américains.
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[4]
Le dernier recensement de population au Liban a été réalisé sous le Mandat français en 1932. Depuis, l’Administration centrale de la statistique procède à des estimations.
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[5]
Chiyah, Ghobeiry, Haret Hreik, Bourj el-Brajné, Mraijé, Laylaké, Hay es-Sellom.
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[6]
Excepté le 15 juillet 2006, où vingt immeubles du « périmètre de sécurité » seront réduits en une montagne de gravats.
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[7]
L’État-major israélien ne va lancer son opération terrestre, destinée à repousser les combattants du Hezbollah au-delà du Litani, que le 10 août 2006.
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[8]
Pour rappel, en 1982, lors de l’opération intitulée Paix en Galilée, le général Ariel Sharon avait envahi le Liban avec une troupe comprenant 110000 à 145000 soldats.
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[9]
Le Courant patriotique libre (Al-Tayyar al-Watani al-Horr) est un mouvement politique libanais fondé en 1992 par le général Michel Aoun. La naissance du Courant s’est faite dans une conjoncture de pression populaire autour de la résistance à l’offensive militaire syrienne, de la libération, du retour au pouvoir du droit et de la reconstruction de la nation libanaise. En avril 2006, le CPL s’est officiellement transformé en un parti politique, on dit aussi, depuis ce jour, Parti patriotique libre.
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[10]
Le Parti social nationaliste syrien (PSNS, Al-Hizb as-Sºrî al-Qawmî al-Ijtimæ`î), connu aussi sous le nom donné par la France de Parti populaire syrien (PPS) ou saadiste, est un parti politique laïque créé en 1932 à Beyrouth, qui préconise une grande nation syrienne. Le PSNS est responsable de deux tentatives de coup d’État : en juin 1949 et le 31 décembre 1961. À l’instar d’autres partis, le PSNS établira sa milice et prendra part aux combats durant la guerre libanaise.
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[11]
Le Dashnak ou « Fédération révolutionnaire arménienne » (Hay Heghapokhakan Dachnaktsoutioun) est un parti politique arménien.
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[12]
M. Oussama Saad (député de Saïda) et M. Omar Karamé (député de Tripoli), ex-Premier ministre.
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[13]
Le Courant du futur est un mouvement politique fondé par l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Il est dirigé depuis l’assassinat de ce dernier par son fils, Saad Hariri. Le Courant du futur (Tayyar Al-Mustaqbal) est la principale composante de l’Alliance du 14 mars et dispose depuis les élections de 2005 du plus grand bloc parlementaire (36 députés sur les 128 qui composent le Parlement libanais). Le Premier ministre Fouad Siniora et de nombreux autres ministres sont issus du Courant du futur.
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[14]
Le Parti socialiste progressiste (PSP) a été fondé en 1949 par le chef de la communauté druze Kamal Joumblatt. Celui-ci meurt en 1977, très probablement assassiné par l’armée syrienne, suite à la découverte d’un projet soupçonné de Joumblatt portant sur l’assassinat de chrétiens des montagnes libanaises. C’est son fils Walid qui lui a succédé à la tête du parti. Bien que le parti soit officiellement laïque, il représente majoritairement la communauté druze. Il est membre de l’Internationale socialiste. Aujourd’hui, le parti se considère comme antisyrien et pro-occidental.
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Le terme de Forces libanaises désigne une ancienne milice chrétienne qui joua un rôle majeur dans la guerre civile qui ravagea le Liban de 1975 à 1990. Quand la guerre civile fut terminée, le mouvement se transforma en parti politique bien que ses activités fussent sévèrement limitées par le gouvernement prosyrien jusqu’à la révolution des Cèdres qui conduisit au retrait des troupes syriennes en 2005. Le mouvement est officiellement laïque, mais dans les faits il a toujours été supporté par les chrétiens uniquement, et plus spécialement par les maronites.