1Au sein de notre contemporanéité, l’érudition est couramment admise pour qualifier un savoir approfondi qui passe par une connaissance précise et détaillée des faits (Weber, 2019). L’érudition a pour étymologie latine « erudire », qui signifie littéralement « enseigner le savoir, la connaissance ». Historiquement, elle concernait principalement les domaines du religieux, de l’histoire et de la littérature (Piégay-Gros, 2015). François Brizay (2015) précise que l’érudition est du ressort d’une minorité de spécialistes. On reconnaît d’ailleurs un lien entre érudition et culture savante. Un érudit est un savant qui possède un savoir approfondi dans un domaine donné. Doté de capacités pour exploiter et traiter une grande quantité d’informations hétérogènes, il est en recherche perpétuelle de nouvelles connaissances afin d’étayer et approfondir son savoir. Dans cette quête, information et savoir sont essentiels. Ces deux notions sont distinctes tout en étant interdépendantes. L’information a trait aux messages qui circulent. Ces messages, une fois mis en réseau, peuvent donner lieu à des connaissances. Le savoir relève, quant à lui, dans un champ donné, d’une mise en réseau organisée des connaissances accumulées et validées. En retour, le savoir donne un sens à ces informations recueillies. C’est le flux d’informations qui nourrit le savoir. Depuis le libre accès au Web 2.0 (O’Reilly, 2005) et particulièrement aux réseaux socionumériques, les contenus d’informations liés au savoir foisonnent. Ces plateformes constituent de nouveaux moyens d’accéder à la connaissance avec les vidéos YouTube, les blogs et les contenus de vulgarisation scientifique comme le diffusent par exemple France Culture et TEDx. Les outils des réseaux socionumériques permettent de publier en temps réel du contenu et de faire fi du délai de parution. Ils marquent l’avènement de la désintermédiation mutée en « démédiation » (Bassoni, 2015). Les usagers-récepteurs (Lukasik, 2021) peuvent interagir de manière directe avec le contenu comme s’ils pouvaient dialoguer et même produire du contenu. Ils sont acteurs et non plus simples spectateurs (Rebillard, 2011 ; Be Diaf, 2015). L’analyse, l’échange et le débat ne sont plus réservés au cercle fermé des acteurs de la culture mais désormais accessibles à tous publiquement (Diminescu et Wieviorka, 2015). Les cours en ligne désignés par l’acronyme MOOC (Massive Open Online Course) ont eux aussi partie liée avec cette démocratisation du savoir. Thierry Vedel évoque l’agora d’Internet (Vedel, 2006). L’agora trouve son origine dans l’Antiquité et symbolise une place publique où les citoyens pouvaient s’exprimer à leur guise. Dans le contexte des réseaux socionumériques, on retrouve cette parole libérée de tout intermédiaire qui devrait faciliter l’acquisition du savoir et, partant, favoriser l’érudition. Or, si l’accès à une information diversifiée est une condition nécessaire de l’érudition, accéder aux sources via les réseaux socionumériques ne permet pas toujours, en revanche, d’accéder à la pluralité informationnelle. En effet, le fonctionnement même des réseaux socionumériques pose question concernant l’accès aux sources. Au contraire de l’agora, ces plateformes ne permettent pas de confronter les contenus. Alors que les contenus se sont démultipliés en raison du brouillage des frontières entre sources officielles et sources alternatives, on assiste paradoxalement à une polarisation de la diffusion. Les contenus des réseaux socionumériques sont disponibles pour chacun par l’intermédiaire des membres de son propre réseau. Cette particularité de s’informer par le biais d’un tiers entre en résonance avec le modèle de la communication à deux étages de l’école de Columbia (Katz et Lazarsfeld, 2008). Les réseaux socionumériques, avec leur fonctionnement et leur partage de contenus par l’intermédiaire des usagers-récepteurs, édifient la plateforme la plus propice à la concrétisation de ce modèle (Maigret, 2007 ; Katz, 2005). Dès lors, à partir de la transposition de ce modèle, nous expliquerons dans quelle mesure, les réseaux socionumériques constituent un mirage pour l’érudition.
Une diffusion du savoir : les groupes secondaires
2À l’heure numérique, l’usager-récepteur a la possibilité de s’informer par l’intermédiaire des membres de ses réseaux socionumériques. Cette transmission de l’information semble être la concrétisation à grande échelle du modèle de la communication à deux étages de l’école de Columbia. La communication est ici à entendre au sens de la transcription humaine du message tandis que l’information constitue le message (Wolton, 2019). Le modèle de la communication à deux étages est le résultat d’une « entreprise cumulative » d’études de l’influence personnelle. Trois ouvrages ont permis l’élaboration de ce paradigme : People’s choice (1944), Voting (1954) et Influence personnelle (1955). Dans ce modèle, ce ne sont pas les médias qui influencent directement les usagers-récepteurs de l’information, mais les personnes avec lesquelles ils échangent. Les médias influencent une catégorie d’usagers-récepteurs, les usagers-récepteurs dominants, ceux que l’école de Columbia appelle les « leaders d’opinion ». Ces leaders d’opinion vont influencer à leur tour leurs groupes d’usagers-récepteurs. La figure du leader d’opinion de l’école de Columbia est à distinguer de l’usage courant du terme utilisé par les médias. Elihu Katz (2005) a précisé à cet effet l’importance du caractère commun et quotidien du leader d’opinion. Le leader d’opinion de Columbia est différent des autres leaders, il n’exerce pas une influence toute-puissante. Le leadership d’opinion dépend de la sociabilité d’un groupe. Impermanent, il est sans cesse en mouvement. C’est pour cela qu’il est rattaché à une conversation. Le leader d’opinion est celui qui partage l’information avec son groupe. À l’instar d’un précepteur, c’est le leader d’opinion qui peut transmettre le savoir. Pourtant, le leader d’opinion, comme l’usager-récepteur des réseaux socionumériques, est un être commun, sans compétence particulière. Ce leader d’opinion transmet le savoir de manière impermanente, ce qui ne permet pas au leader à un instant donné de devenir expert. Il peut être intéressé par un sujet mais son impermanence ne lui permet pas d’acquérir un savoir approfondi. D’autant plus que c’est le groupe qui octroie le leadership. Cette figure du leader d’opinion évolue dans un contexte de réseau social, celui des groupes primaires (Cooley, 2002). Ces derniers sont qualifiés de « primaires » puisqu’ils sont liés à la proximité, aux relations personnelles. La force du modèle de l’école de Columbia, même s’il date de 1944, demeure d’avoir réintroduit l’activité du récepteur dans sa prise d’information. À l’instar du groupe qui s’informe par l’intermédiaire d’un leader d’opinion, on s’informe aujourd’hui via les réseaux socionumériques. Le seul élément novateur est que le réseau social classique se soit numérisé et par conséquent démultiplié. Thomas Stenger et Alexandre Coutant (2011) considèrent également les réseaux socionumériques comme une continuité des relations sociales. Les usagers-récepteurs ne s’informent plus seulement par l’intermédiaire de conversations en face-à-face, mais également via des conversations virtuelles. En transposant le modèle au contexte des réseaux socionumériques, nous avons pu observer un nouveau type de conversation : la conversation par interface numérique. C’est pourquoi une redéfinition des groupes sociaux semble nécessaire (Maigret, 2007). Comme l’évoquent Jarol B. Manheim et Lance W. Bennett (2006) dans leur théorie de la communication à un étage, depuis le numérique, le groupe primaire, fondé sur la relation en face-à-face, semble dépassé. Nous proposons la notion sous-jacente de « groupes secondaires » pour ces groupes virtuels afin de demeurer dans la continuité des groupes primaires de la théorie portée par Paul F. Lazarsfeld. Les groupes secondaires se distinguent des groupes primaires par l’absence de face-à-face. Les manifestations du corps telles que la communication non verbale sont absentes. Néanmoins, les membres du groupe entretiennent des liens, notamment des liens affinitaires virtuels. Ces groupes interagissent virtuellement par l’intermédiaire d’une interface numérique. Ici, les communications ont lieu via les réseaux socionumériques. Il n’est pas question de remettre en cause la notion de « groupe primaire », au sens de l’ensemble des membres d’un même cercle. À titre d’exemple, les membres d’une même famille relèvent du lien primaire. Toutefois, à partir du moment où ces membres communiquent via les réseaux socionumériques, ils passent au deuxième plan et deviennent membres d’un groupe secondaire. Chaque individu discute par l’intermédiaire de l’interface et constitue donc un groupe secondaire. À l’image d’une continuité, le lien secondaire dépend du lien primaire dans la mesure où les membres du groupe ne sont pas en présentiel. Ces échanges informationnels virtuels n’étant pas en mesure de remplacer les échanges de communication humaine réelle, il s’agit de faire évoluer le concept et de le transposer aux réseaux socionumériques. Ainsi, les groupes primaires dans la vie réelle migrent en groupes secondaires au sein de la plateforme virtuelle des réseaux socionumériques. La diffusion du savoir par l’intermédiaire des groupes secondaires change la donne en termes de compréhension. Dans la communication humaine, ce sont la négociation et le compromis qui fondent la compréhension mutuelle (Renucci et al., 2014). Sans cette compréhension des différents aspects d’une information, l’érudition, qui nécessite l’approfondissement et la confrontation aux sources, semble difficilement atteignable. Cette confrontation à la diversité n’est pas aisée en raison du fonctionnement même des réseaux socionumériques (Wolton, 2019). Le numérique s’oppose à la communication humaine par son manque d’individualité.
Des réseaux socionumériques homophiles
3Le principal écueil de la diffusion du savoir est l’homophilie. Littéralement, l’amour de son semblable, la tendance à n’aimer que celui qui nous ressemble : il s’agit d’avoir pour modèle de référence sa propre personne. Les individus interagissent entre eux car ils partagent un ensemble de valeurs, ont fréquenté les mêmes lieux, partagent les mêmes centres d’intérêt, etc. C’est à partir de ces points communs que les usagers-récepteurs vont former des groupes. Les membres des réseaux socionumériques se constituent en groupes en fonction de l’homophilie (Belvaux et Marteaux, 2007 ; Barrat, 2013). Ainsi, en se cultivant via son groupe, l’usager-récepteur ne peut obtenir qu’un aspect de la connaissance et ne peut accéder à l’érudition. Selon la théorie des bulles de filtre (Pariser, 2011), les usagers-récepteurs des réseaux socionumériques n’ont qu’un accès limité à certains contenus. C’est en observant Facebook qu’Eli Pariser a démontré l’existence des bulles de filtre, autrement dit la présence de groupes homophiles. Ces bulles cognitives créées par les algorithmes illustrent bien le schéma de groupe homophile de l’école de Columbia. La notion d’homophilie, qui définit la constitution des groupes selon les ressemblances et les affinités communes, a été largement étudiée par le paradigme de l’influence personnelle. Le fonctionnement des réseaux socionumériques correspond à celui des réseaux sociaux non numériques déjà à l’œuvre au sein du modèle de l’école de Columbia. Les groupes, au sein de ce modèle, sont homophiles. Les réseaux socionumériques tout comme les conversations allient information et divertissement, tout en créant et en entretenant du lien social. Le principe de l’homophilie comme valeur première du groupe est encore la condition essentielle du groupe à l’origine de la formation d’un réseau. Et l’influence personnelle de cette homophilie entre en résonance avec une société dans laquelle les usagers-récepteurs s’informent de plus en plus par l’intermédiaire de leur groupe issu du réseau social numérique. Alors qu’on pourrait penser que les usagers-récepteurs ont dorénavant un prisme élargi d’informations diverses, les usagers-récepteurs ne voient en réalité qu’une partie du contenu diffusée par leurs groupes homophiles. Ces derniers, partageant leurs opinions et leurs goûts, limiteraient le spectre du savoir accessible. Seuls les initiés seraient en mesure de compenser cette limitation d’accès grâce à leurs recherches personnelles autour de sources multiples comme les revues numériques, les archives ouvertes et les encyclopédies en ligne. Les initiés ont en effet les compétences pour rechercher et exploiter les différentes sources nécessaires à la maîtrise d’un sujet. L’érudition n’a ainsi pas changé. Elle est toujours réservée à un petit nombre d’individus savants. Le réseau a beau être très large, composé de centaines d’amis, une seule partie de l’information est visible par les usagers-récepteurs. La conversation a été remplacée par un fil d’actualité fait de partages, de likes, d’interactions. Chacun se rend sur les réseaux socionumériques pour entamer une conversation, jeter un œil sur l’information et observer ce que les autres partagent. Sur les réseaux socionumériques, l’usager-récepteur n’est confronté qu’à sa vision du monde, il est dans une bulle ; c’est la raison pour laquelle il ne voit que certains amis de son réseau sur son fil d’actualité. En Suisse, c’est en menant une expérimentation pédagogique à propos du fonctionnement de l’algorithme du news feed de Facebook que des étudiants ont pris conscience de la théorie de bulle de filtre (Pignard-Cheynel et al., 2017). À l’aide des huit profils politisés qu’ils ont constitués, ils ont observé que les contenus des amis sont les plus visibles via le fil d’actualité au détriment des autres contenus. Les réseaux socionumériques, à y regarder de plus près, seraient finalement la concrétisation de l’influence personnelle dans nos sociétés. L’homophilie a pour effet une vision restrictive du monde, puisqu’elle consiste à ne prendre en considération que des personnes semblables. En outre, l’initiale réaction binaire « j’aime/je n’aime pas » de Facebook n’offrait pas d’entre-deux et illustrait bien cette distorsion de l’esprit critique. Avec cette dichotomie, Facebook semble proposer un monde qui ne peut être que manichéen. L’esprit critique de la réflexion et de la nuance semble bafoué. Facebook a depuis contourné cette critique en annexant d’autres réactions comme la colère, l’étonnement, la tristesse. La plateforme réduit la communication au minimum. Déjà en créant un fil d’actualité à la temporalité très courte, Facebook offre une condition de lecture flottante peu propice à la réflexion, à la mise en parallèle de différentes sources. Présentée dans l’instantanéité, sans nuance, l’usager-récepteur peut avoir une impression d’homogénéisation de la pensée. Ce filtre est renforcé par l’octroi du like. Les likes, les partages, les réactions sont les indicateurs de l’activité du public des réseaux (Mercier et Pignard-Cheynel, 2018). Le like est une reconnaissance du groupe, à l’instar du partage.
Le partage : illusion de la connaissance pour tous
4Le partage est essentiel à la diffusion du savoir. Cependant, via les réseaux socionumériques, il n’est pas forcément synonyme d’apport intellectuel ou de réflexion. Le partage sert essentiellement à donner son avis sur une personne ou un événement et non sur le contenu partagé (Ibid.). Dans son essai sur le don, Marcel Mauss, en observant les formes et raisons de l’échange dans les sociétés archaïques, développe la thèse que nous sommes dans une société de l’échange. Le don renforce la relation, en créant de l’intimité et du lien, il a pour but de « maintenir une alliance profitable » (Mauss, 2012, p. 226). Sans cet échange, le groupe ne peut exister, le don est ce qui renforce le groupe. Nous pouvons dès lors dresser un parallèle du « don/contre-don » avec le partage via les réseaux socionumériques. Le partage d’un contenu culturel n’aurait majoritairement pas vocation à instruire mais plutôt à conforter une manière de penser au sein du groupe. Les partages de contenus observés sont fortement homogènes au sein du groupe. Le partage peut aboutir à un acquiescement par un like, un rejet par un « je n’aime pas », à une conversation par l’intermédiaire de commentaires, ou au contraire à un silence. Comme l’illustrait jadis Gabriel Tarde, le partage d’informations est un prétexte à l’échange conversationnel (Tarde, 1899 ; 2006). Pour reprendre l’expression de Gabriel Tarde du « salon », du « causoir » (Tarde, 1899, p. 92), les réseaux socionumériques seraient-ils les nouveaux « salons », « causoirs » virtuels qui hébergeraient la conversation des groupes ? Mais la conversation, échange spontané interpersonnel, ne se transforme pas forcément en discussion, qui est déterminée sur un sujet précis. Et pour cause, si les réseaux socionumériques sont devenus les lieux de rassemblements virtuels par excellence de notre société contemporaine, Coralie Le Caroff (2018) constate néanmoins la rareté des discussions lors du partage de contenus sur les réseaux socionumériques. Selon elle, ces plateformes sont plus des lieux de diffusion que de discussion. L’auteur l’explique par le conformisme des groupes des réseaux socionumériques (Ibid.). Afin de préserver la relation sociale, on retrouve l’application de la spirale du silence d’Elizabeth Noëlle-Neumann dans les réseaux socionumériques (Le Caroff, 2015). Dans l’unique but de demeurer membre d’un groupe, Elizabeth Noëlle-Neumann (1989) affirme que les individus peuvent préférer taire leurs véritables opinions. Coralie Le Caroff (2018, p. 209) compare les usagers-récepteurs qui ne publient pas à des « regardeurs-actifs ». Ces utilisateurs silencieux des réseaux socionumériques ne partagent pas de contenu avec toute leur communauté. Ils préfèrent conseiller du contenu à leur cercle proche. Car le partage de contenus n’est pas anodin, il va forcément créer une réaction de la part des pairs. Qu’il y ait une réaction négative, positive, ou silencieuse, le partage est issu le plus souvent d’une homophilie. Les partages sur les réseaux socionumériques ont pour but la distinction sociale. Cette volonté de distinction sociale est liée aux relations interpersonnelles, à la sociabilité. Le like d’un partage est quant à lui une nouvelle forme de prestige. Plus les internautes récoltent des likes, plus ils sont considérés comme populaires ; c’est le cas notamment pour des réseaux socionumériques comme Instagram et Twitter (Mercier et al., 2018). Dominique Cardon (2015) compare le système de likes de Facebook aux métriques de réputation cités dans le gloriomètre de Gabriel Tarde (Cardon, 2015). Jean-Claude Domenget assimile cette idée au contrôle social (Kwok Choon, 2016) que les utilisateurs n’hésitent pas à pratiquer tout au long de la journée en surveillant leurs réseaux socionumériques (Domenget, 2017). Serge Proulx et Mary Jane Kwok Choon (2011) définissent le contrôle social comme une procédure d’intériorisation des conventions sociales par les individus. Et pour cause, les réseaux socionumériques sont plus que des simples représentations de l’individu (Millette, 2013) : ce sont de véritables énigmes autobiographiques numériques à déchiffrer. Les affinités, les centres d’intérêt, les groupes d’appartenance, les goûts, les lieux fréquentés et opinions, etc., tout peut être lu de la personne à partir de ses réseaux socionumériques. La seule condition à cette lecture est la personne elle-même et sa volonté de semer de l’information. L’individu, avec plus ou moins de conscience, est responsable de son propre contrôle social. Le contrôle social désigne deux versants : les individus qui gravitent autour de l’individu et l’individu lui-même. Ce serait cette pression du contrôle social qui limiterait les utilisateurs dans leur partage du savoir. Le savoir disponible n’étant que la concrétisation de l’appartenance à un groupe, il devient homogène. Or, l’homogénéité des sources disponibles ne permet pas l’accès à l’érudition. Néanmoins, à l’instar de la minorité d’érudits d’autrefois, on peut observer que certains usagers-récepteurs osent tout de même s’affranchir du groupe en partageant librement du contenu diversifié, à contre-courant. Ces partages étant soliloques, la communication avec le groupe est rompue et l’on passe de l’« incommunication », la tentative de comprendre l’autre, à l’« acommunication », l’absence totale de communication (Wolton, 2019).
5Les possibilités d’accès à l’information se sont démultipliées avec le Web 2.0. Cependant, la diffusion via les réseaux socionumériques polarise les contenus sans distinction. En effet, nous avons vu que l’essence même du fonctionnement des réseaux socionumériques, homophiles à souhait, favorise l’homogénéisation de pensée. Par le mécanisme des bulles de filtre, ces réseaux socionumériques limitent le savoir accessible et ne permettent pas d’accéder à l’érudition. Un mécanisme filtrant qui se trouve renforcé par les usagers-récepteurs eux-mêmes ; ces derniers préférant perdre leur altérité en se conformant afin de demeurer dans le groupe. Seules la réflexion personnelle et la quête individuelle d’une diversité de sources pourraient restituer l’hétérogénéité nécessaire à l’acquisition d’une certaine érudition.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : partage, réseaux socionumériques, savoir, homophilie, leader d’opinion
Mise en ligne 23/04/2021