1Franck Renucci : Quelle analyse faites-vous des rapports entre information et communication aujourd’hui ?
2Dominique Wolton : Le concept de communication ? Un des plus grands écarts existant entre la théorie et la pratique. Du point de vue pratique, la communication occupe l’essentiel de nos vies : on essaie tous de communiquer, de partager, d’échanger, mais l’on bute sur l’incommunication. Et l’on essaie d’éviter le pire, l’acommunication. La communication, une des activités, et des aspirations, les plus importantes dans toutes les cultures et les civilisations.
3À l’inverse, sur le plan de la pensée théorique, il y a un vide général. Malgré les luttes politiques qui ont permis, après de longues batailles, la reconnaissance de la liberté et de l’égalité, malgré ensuite la révolution technique qui, du téléphone à la radio, de la télévision à Internet, a facilité la multiplication des échanges, malgré enfin toutes les révolutions culturelles favorables à la communication, on continue de penser que celle-ci ne sert pas à grand-chose. Ou plutôt qu’elle est rarement du côté de l’authenticité. On la souhaite et l’on s’en méfie. Et ce décalage, comme cet impensé, remontent très loin.
4On valorise d’autant plus l’information que l’on dévalorise la communication. On préfère le message à la relation, celle-ci étant évidemment plus compliquée. Le message et sa « rationalité » plutôt que la complexité du rapport à l’autre… L’information s’est imposée comme symbole de vérité alors que la communication se dévalorisait, au moment où elle se généralisait, réduite à l’influence et avec hélas un stéréotype dominant : le récepteur est facilement manipulable. Plus il y a d’échanges techniques ou humains, plus on réduit la communication à la transmission ou à la manipulation ou l’influence et plus on idéalise l’information, jusqu’aux « big data », symboles de toutes les libertés. Peut-être est-ce parce que la communication est toujours plus compliquée que l’information qu’elle est simplifiée ou caricaturée. Vive le message, dont on suppose le plus souvent qu’il est « bien reçu », sous-entendu qu’il n’y a pas de problème de récepteur ! Et pourtant… Bref, la communication, symbole de l’émancipation, est lentement descendue aux enfers !
5Mais paradoxalement, le même phénomène risque de se produire aujourd’hui avec l’information. La surabondance de l’information finit par la délégitimer. Elle est trop facile, trop abondante, donc désacralisée… Et finalement atteinte du même symptôme que la communication : tomber du côté du mensonge et de la suspicion. L’information n’est plus le symbole de la vérité, mais celui de l’influence et de la manipulation. C’est le règne des fake news. Tout le monde ment. Avec cinquante ans de retard, l’information rejoint la communication dans le même enfer ! Terrible défaite de l’esprit et de la politique. Le cœur de la démocratie (l’information et la communication) réduit à des activités d’influence. Et dans les deux cas, vérité ou mensonge, on oublie toujours de poser la question de la complexité du récepteur. Aujourd’hui, pour l’information comme pour la communication, domine l’idée qu’il n’y a plus de vérité – on parle même de « post-vérité » – mais seulement de l’influence, voire du mensonge. La facilité et l’abondance créent l’inverse de ce qui était recherché depuis plus de deux siècles.
6Troisième phénomène qui a accentué la double dégradation de l’information et de la communication : les difficultés de la communication humaine et la tentation de la communication technique. Plus il y a de liberté et d’échange, plus on réalise qu’il n’est pas facile de se comprendre. Par contre, la communication technique est, elle, de plus en plus efficace. D’où le glissement vers la séduction de la communication technique et une certaine déception, voire dévalorisation, de la communication humaine. On est bien mieux avec l’interactivité technique qu’avec les incompréhensions humaines. Les réseaux autant, si ce n’est plus, que les rapports humains… Malheureusement, la communication est beaucoup plus complexe que la performance. La communication technique ne peut jamais surclasser ou remplacer la communication humaine : elle est un ersatz. Bien sûr, ses performances sont plus fortes, mais là n’est pas le seul enjeu de la communication humaine. Pour le dire d’un mot, l’interactivité technique n’est jamais synonyme d’intercompréhension. L’interactivité concerne les machines, ou les dialogues hommes/machine. L’intercompréhension concerne les hommes et les sociétés.
7Oui, les techniques sont plus performantes que les hommes et les sociétés. Mais plus la technique prend de l’importance, plus on s’aperçoit des limites de ses performances et l’on réalise qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la communication humaine. En outre, derrière les performances de la communication technique, on découvre souvent que c’est de la communication humaine dont il est question… Tout ce qu’on n’a pas voulu penser depuis soixante ans, sur les rapports entre information et communication, communication et incommunication, nous revient en boomerang. La communication technique concerne l’efficacité des machines, l’incommunication les hommes et les sociétés.
8Pourquoi dissocier, comme j’essaie de le faire, communication, incommunication et acommunication ? Parce que ces trois dimensions existent quasiment simultanément dans la communication. Penser la communication, c’est penser ces trois dimensions. La communication symbolise la volonté d’échange ; l’incommunication, la découverte de l’altérité avec l’obligation de négocier pour trouver un terrain d’entente. Si la négociation réussit, on cohabite. Si elle échoue, on glisse vers l’acommunication, l’échec, le silence, voire la guerre. C’est cela le défi de la communication : négocier l’incommunication, chercher un terrain de cohabitation, éviter l’échec de la négociation et l’impasse de l’acommunication. Avec l’incommunication, il y a encore un minimum de possibilité d’intercompréhension, avec l’acommunication, c’est la rupture, la guerre ou l’anomie.
9Franck Renucci : Avec la communication et ses trois dimensions, on découvre l’importance de l’altérité et combien l’incommunication est féconde. Mais ce qui augmente aujourd’hui, c’est peut-être moins l’incommunication que l’acommunication. Cette acommunication, c’est peut-être le fait de ne plus savoir faire avec l’ambiguïté des mots ?
10Dominique Wolton : Communiquer, c’est vouloir échanger, partager. C’est le sens originaire du terme : s’aimer, se comprendre, aller vers l’autre. Mais cette communication bute très souvent sur l’incommunication : on ne se comprend pas toujours, on n’a pas le même vocabulaire, on n’a pas envie de se répondre, on n’a pas les mêmes sentiments. On ne s’écoute pas, on ne se comprend pas. Le terrain commun est là, mais les mots et les sens glissent, notamment en fonction des contextes et des expériences. Le temps ne simplifie pas toujours la communication, et l’incommunication en devient souvent son horizon. On bute sur l’autre, mais quelque chose reste ouvert. À l’inverse, on passe de l’incommunication à l’acommunication quand la situation d’incommunication se durcit. C’est la rupture entre l’émetteur, le message et le récepteur. Les repères communs, les vocabulaires, les codes d’humour, disparaissent, et en définitive on est face à une incommunication radicalisée, et non face à une incommunication négociable. Chacun en fait l’expérience quotidiennement sur le plan personnel et social. Autrement dit, dans l’incommunication, on n’est pas d’accord mais on peut se parler. Dans l’acommunication, c’est soit le silence, soit la guerre. L’acommunication constitue la radicalisation de l’incommunication, on n’arrive plus à trouver les mots qui peuvent faire des ponts. Il n’y a plus que des murs. Dans l’incommunication, il y a du désaccord, mais du désaccord assumé qui permet un minimum de négociation. Dans l’acommunication, il n’y a plus ce désaccord assumé, seulement des rapports de force et le poids de l’altérité. Le refus de l’autre, avec une volonté soit de le dominer soit de le nier. On sort complètement des codes de la communication, qui par hypothèse – et c’est là la grande valeur philosophique et politique du concept de communication, dans la démocratie –, reconnaissent qu’il peut y avoir plusieurs protagonistes, points de vue, valeurs, qui n’interdisent pas de dialoguer. Avec l’incommunication, les « bruits » humains et sociaux demeurent. Avec l’acommunication, le silence domine.
11Les trois logiques sont fondamentales. La première, la communication, c’est l’idéal que l’on cherche à atteindre. La deuxième, l’incommunication, c’est ce que l’on fait à longueur de journée : négocier pour éviter les conflits. La troisième, c’est l’acommunication, qui résulte de la négociation ratée et du passage à « l’anégociation ». On n’a plus rien à se dire, et la distance l’emporte sur la possibilité de se respecter. Dans l’incommunication, on peut n’être d’accord sur rien mais on se respecte. Dans l’acommunication, il y a souvent le non-respect de l’autre, et il n’est pas interdit de vouloir le faire disparaître psychiquement, voire physiquement.
12Cette radicalité de l’acommunication, j’y attache de plus en plus d’importance car elle donne sa mesure au défi de la communication. Essayer de se comprendre ; assumer l’incommunucation et les rapports de force ; risquer l’échec, le vide, le désaccord, voire le conflit.
13Franck Renucci : L’acommunication n’est-elle pas un processus qui veut gommer la discontinuité entre communication humaine et technique ?
14Dominique Wolton : Oui, tout à fait. Dans l’incommunication, on admet cette discontinuité, mais il demeure un lien. Dans l’acommunication, les ponts sont rompus. L’incommunication permet de gérer les rapports entre communication humaine et communication technique. L’acommunication signe la discontinuité radicale. La communication technique ne peut même pas pallier les difficultés de la communication humaine. Comme une sorte de banquise qui se fractionne. Il n’y a plus de lien, ni de cadre commun. C’est l’anomie qui précède souvent le conflit. Si l’altérité est souvent la cause, ou la condition, de la communication et de l’incommunication, elle devient, dans le cadre de l’acommunication, un facteur entropique.
15Franck Renucci : N’est-ce pas alors se soumettre à une simplification confortable par rapport à la complexité des rapports humains ?
16Dominique Wolton : Non, c’est plutôt la question de l’altérité radicale : il n’y a plus rien qui passe. La communication comme l’incommunication peuvent être complexes, l’acommunication peut être très simple, jusqu’au conflit radical. Rien de simple dans la communication, contrairement à ce que l’on n’arrête pas de dire ! Y compris avec les promesses techniques.
17Franck Renucci : Passons à la question de la temporalité. Dans l’incommunication, on n’apprécie plus la lenteur nécessaire à la communication, alors que l’information ne fait qu’accélérer les processus de réduction.
18Dominique Wolton : C’est très juste : la vitesse de l’information n’est pas incompatible avec l’incommunication. L’important dans l’incommunication est de pouvoir sortir de la négociation et cohabiter plus ou moins partiellement. À ce titre, la vitesse n’est pas forcément un handicap. En revanche, avec l’acommunication, la question de la vitesse se complique. Comme les ponts sont rompus, comment réussir à rapprocher… C’est comme la diplomatie qui a toujours besoin de temps pour rapprocher lentement les inconciliables. Est-ce que la multiplication des informations, la vitesse, le volume, peuvent être un outil favorable pour sortir de l’acommunication ? Peut-être, mais rien de certain. Il y a une telle altérité entre les deux que finalement, en voulant introduire plus d’information pour essayer de créer un certain lien, on peut arriver au résultat inverse.
19Si l’information c’est mettre en rapport et faire le lien, cela peut être un facteur favorable pour réduire l’incommunication. Mais il n’est pas certain que le résultat soit similaire avec l’acommunication. Ici, tout est beaucoup plus compliqué…
20Franck Renucci : La communication, au sens de la reconnaissance de la liberté et de l’égalité des parties prenantes, est inséparable de la démocratie. Au cœur du processus démocratique, on reconnaît l’altérité et la négociation comme valeurs fondamentales. Cette acommunication n’est-elle pas un symptôme d’une sorte d’anti-démocratie qui apparaît aujourd’hui ? Le règne de l’information, des données, n’est-il pas antidémocratique ?
21Dominique Wolton : La tyrannie de l’information peut-elle aboutir à l’incommunication, voire à l’acommunication ? Excellente question. La révolution de l’information est déjà devenue, de manière complètement improbable, un facteur de fake news, alors que chacun pensait, au contraire, qu’elle favoriserait la vérité et la démocratie. Elle pourrait, paradoxe des paradoxes, devenir un facteur croissant d’acommunication. Contradiction incroyable, alors même que l’histoire de l’information est celle de l’émancipation et du rapprochement des points de vue depuis le xvie siècle. Mais ce ne serait pas la première fois que des concepts se pervertissent et se retournent.
22Je souhaite dramatiser la question de la communication pour montrer qu’il s’agit d’une question très compliquée, peu banale, et qui n’a pas grand-chose à voir avec la manipulation ou le marketing, qui toutes deux supposent un récepteur faible. Non, ce qui est commun avec la communication, c’est hélas la question de la haine de l’autre. Sans parler du rôle des éléments de contexte qui simplifient rarement les rapprochements. Si on prend par exemple les guerres civiles, on ne sait pas toujours pourquoi elles commencent, ni pourquoi, au bout d’un moment, tout bascule. On ne sait pas toujours pourquoi, à un moment, cela ne sert plus à rien de négocier. Il n’y a plus de volonté, on sort du terrain. L’acommunication, c’est la fin des règles. La haine de l’autre peut être jugulée par la discussion et la négociation. Mais quand la violence, l’insupportabilité de l’autre, l’emportent, il n’y a plus qu’à s’ignorer, voire à se tuer. Finalement, l’acommunication, c’est sortir des codes et s’autoriser à tout. Cet horizon violent ne doit pas être oublié, notamment par rapport à tous ceux qui évoquent la « fadeur » de la communication. Il n’y a rien de « fade » dans la communication ! C’est un concept aussi fragile que l’information. On ne peut pas s’en passer, car il n’y a pas d’information sans communication et réciproquement, et l’un comme l’autre peuvent glisser vers le meilleur comme vers le pire.
23Avec ces trois mots, j’essaie donc de montrer la progression vers le tragique, avec le passage de la communication à l’incommunication, puis à l’acommunication. Ni la culture, ni l’intelligence, ni l’histoire ne suffisent à juguler le risque de ce glissement.
24Franck Renucci : Les bulles informationnelles dans lesquelles on se trouve tous font que la communication régresse dans sa complexité. Tout est apparemment simple, mais cela porte atteinte à la démocratie.
25Dominique Wolton : On a découvert les difficultés de la communication humaine, et donc l’incommunication. De bonne foi, on a pensé que le volume d’information d’une part et la communication technique d’autre part allaient réduire les contradictions de l’incommunication. Or, non seulement cela ne suffit pas à les réduire car une bonne partie de ces informations deviennent des fake news, mais surtout parce qu’un mécanisme diabolique se met en place : une incommunication non régulée dans un monde saturé d’interactivité peut parfaitement renforcer les acommunications. C’est un phénomène nouveau. Il y a toujours eu des ruptures de sens, de négociations, des malentendus, sans parler des conflits d’intérêts et de valeurs, qui ont débouché sur des guerres. Mais ici, la vitesse même de circulation des informations peut accentuer les risques d’acommunication.
26Pendant deux siècles, on a voulu accélérer la circulation de l’information car l’on pensait, à juste titre, qu’il s’agissait d’une condition de la démocratie : ce n’était pas les puissants, les curés, les riches, les militaires qui devaient contrôler l’information. Si l’information était rapidement accessible à tous, il y aurait enfin plus d’égalité, et finalement de démocratie. On est en train de basculer de l’autre côté, en réalisant que le volume et la vitesse de l’information ne sont pas forcément solubles dans l’incommunication, mais peuvent devenir accélérateurs d’acommunication. Ce sont des questions sur lesquelles il n’y a pas beaucoup, hélas, de recherches. On pense un peu mécaniquement que les deux sont mutuellement du côté du progrès et certains, très peu, en symétrie, les diabolisent. Dans les deux cas, tout cela est trop simple. Les rapports de l’information et de la communication à la démocratie sont de plus en plus compliqués.
27C’est ce qui m’obsède dans mes recherches sur la communication depuis quarante ans : ce qui a été un des plus grands idéaux de la liberté de conscience, de parole, d’émancipation depuis le xvie siècle peut devenir, dans un monde ouvert et interactif, un facteur d’acommunication. Et ceci quelle que soit la performance des techniques.
28Cela nous oblige à travailler sur les fondements de l’altérité dans le cadre de la mondialisation, des démocraties « numériques » et sur les conditions d’une intercompréhension minimale. Avec une réflexion nouvelle sur les langues, les cultures, les identités. L’acommunication surgit quand tous nos repères culturels s’effondrent. La mondialisation, ayant trop donné de poids à l’économie et à la technique par rapport à la culture et à la politique, risque d’être un accélérateur non seulement d’incompréhension mais aussi d’acommunication.
29On aboutirait alors à ce paradoxe invraisemblable : aller en avion au bout du monde en 24 heures, tout savoir, tout voir et simultanément s’enfermer dans la haine, le refus de l’autre et l’irrédentisme identitaire. L’acommunication est une forme de négation : « je ne veux rien savoir ». Ce que l’on constate d’ailleurs souvent dans les relations privées. Quand on se dispute, c’est de l’incommunication, on peut en sortir. Quand on arrive à l’acommunication, c’est soit les coups soit le silence… Paradoxalement, c’est parfois le temps qui permet d’en sortir, c’est-à-dire l’inverse de l’idéologie de la vitesse et des interactions. C’est pour cela qu’il va falloir repenser les échelles de temps et arrêter de croire que si tout va vite, mieux c’est.
30La vitesse n’est plus synonyme de progrès, ce qu’elle fut pendant deux siècles avec la technique. Au-delà du conflit entre communication humaine et communication technique, cela nous oblige à une réflexion sur le statut de la vitesse dans le cadre de la « communication technique ». Si on ne veut pas faire sauter tous les cadres anthropologiques, il faudra retrouver la durée. Or la durée est l’antinomie de toute la philosophie de la communication technique.
31Le succès d’Internet ? Les trois ruptures : vitesse, liberté, accessibilité. C’est un succès mondial, car les hommes adorent cette triple révolution culturelle, extrêmement séduisante. Mais les adeptes de la vitesse sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis en délégitimant le temps ! D’ailleurs, si l’on souhaite échapper à la vitesse technique, on est pris pour quelqu’un d’antimoderne. La vitesse est identifiée à l’émancipation. Il va falloir trouver une solution, hors de la vitesse, pour comprendre les liens entre communication, incommunication et acommunication. La vitesse est facteur de progrès, mais aussi de stéréotypes, d’incompréhension et d’altérité radicale. On ne sait pas quelle sera la bonne vitesse et la bonne distance, mais ce ne sera pas forcément celles des systèmes d’information. Pourquoi aime-t-on à ce point la vitesse des systèmes d’information et des réseaux ? Probablement parce qu’il y a là quelque chose qui nous rassure. Si on est capables d’échanger « à toute vitesse », c’est parce que l’on pense qu’il y a une compréhension mutuelle. On est tous comme ça. Personne n’a envie de rester seul. Le problème, c’est que cette communion technique triomphante n’empêche pas la segmentation, le communautarisme ; elle les accentue même peut-être…
32L’acommunication est une forme de schizophrénie. Pas une schizophrénie bienveillante, mais plutôt belliqueuse ou agressive. C’est en cela que c’est une question politique en bonne partie nouvelle. Les hommes certes se battent depuis toujours, mais pas toujours avec cette interactivité frénétique. La guerre n’est pas une question politique nouvelle, ni l’agressivité ; mais ce qui est nouveau, c’est la manière dont ce dérèglement de l’incommunication peut accélérer une mise en cause beaucoup plus radicale de la capacité de vivre à peu près tranquillement ensemble.
33Ce qui est positif avec l’incommunication, c’est que tout est peut-être encore possible. Ce n’est plus le cas quand on vire à l’acommunication. Or, la démocratie gère en permanence des incommunications. Et c’est dans ces espaces, dans ces mécompréhensions, dans ces trous de non-rationalité que se jouent la liberté et les rebonds de la démocratie. Quand on arrive à une aridité trop grande, symbolisée par l’acommunication, il n’y a plus rien.
34Si on est optimiste, on pensera que la nature humaine rebattra les cartes. Si on est pessimiste, on dira que le développement inattendu de l’acommunication est un quitus donné à tous les affrontements.