1Le champ de l’information et de la communication a été profondément bouleversé ces trente dernières années. Le monde, essentiellement occidental, a assisté à un processus de dérégulation de l’information avec une multiplication des canaux de diffusion, non pas comme alternative, mais en complément des canaux traditionnels. La croissance exponentielle des nouvelles technologies de l’information et de la communication a engendré une déstructuration de l’information mais également de la communication. Nous sommes passés dans une société où l’information est omniprésente, toujours plus spécialisée et dense, avec des travaux d’investigation tous plus poussés les uns que les autres, mais où l’incommunication prédomine. Bien qu’elle soit une étape nécessaire dans le processus de communication, voire même « l’horizon de la communication » selon Dominique Wolton (2009), cette étape ne doit être que transitoire avant la négociation censée mener à la cohabitation. Or il semblerait que l’incommunication tende à devenir une fin en soi, figée par la technicisation de l’information.
2La question du récepteur a été mise de côté pendant plusieurs décennies où seule celle de l’émetteur importait. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on revient à l’importance de la réception, dans un contexte où l’écologie de l’attention (Citton, 2014) est, sinon désirée, désirable. L’information n’est plus contrôlée, l’information n’est plus contrôlable, comme l’a bien montré la crise des subprimes. Là où l’information paraissait indissociable de la communication il y a trente ans, ce lien si précieux s’est détérioré, non pas dans les mentalités, mais dans la pratique. Beaucoup pensent que les réseaux sociaux numériques ont mis en exergue la force de la communication, si bien que l’on parle aujourd’hui – que ce soit dans le monde de l’entreprise ou des écoles de communication – de communication numérique ou digitale. Ces réseaux ont accru l’information, la connexion, mais pas la communication. L’évolution de la technique ne doit pas prendre le pas sur la pratique.
3Ce bouleversement du champ de l’information et de la communication est souvent résumé selon l’opposition suivante : l’évolution des techniques de l’information et de la communication est jugée soit dangereuse et nocive pour l’humain, soit merveilleuse dans la mesure où elle aurait démocratisé l’accès à l’information et à la culture. Premièrement, cette évolution n’a pas démocratisé l’accès à l’information puisque les clivages en termes de classes sociales se retrouvent autant sur les réseaux sociaux où l’endogamie est encore plus présente que dans notre société (Mercklé, 2011). Que ce soit sur Facebook, Twitter ou Linkedin, chaque personne ne reçoit pas la même information alors même qu’elle peut accéder à toutes les informations publiques (il existe toutefois des groupes privés où l’entrée est sélective ou bien même des sites entiers nécessitant un parrainage, à l’image de Gens de confiance). Deuxièmement, bien que la dérégulation de l’information ait permis à tout le monde de s’exprimer librement, elle a également favorisé l’incommunication du fait du flux colossal qu’elle a généré. Jamais l’information n’a été aussi rapide, jamais le temps n’a été aussi accéléré, et ces processus nuisent profondément à la communication au sens large, soit le fait d’établir une relation avec autrui, d’échanger avec elle ou lui.
4Face à ces mutations, il est du ressort du chercheur ou de la chercheuse en sciences de l’information et de la communication, mais également de toute personne consciente de ces changements, de s’interroger sur certains phénomènes qui animent ou sont amenés à animer notre quotidien.
5L’avènement de l’intelligence artificielle est sinon mis de côté, du moins trop négligé dans le domaine des sciences de l’information et de la communication (SIC). Pourtant, de nombreux scientifiques s’alarment déjà quant à son expansion et les risques qu’elle peut engendrer (Grace, Salvatier, Dafoe, Zhang et Evans, 2018). Il est nécessaire d’analyser et de réfléchir à ses conséquences en termes de rapport à l’autre, d’échange et donc de communication, voire d’incommunication. En parallèle, il serait également envisageable pour les SIC de se recentrer sur la question de l’humain et de son rapport à l’incommunication : étudier comment ce rapport est perçu et traité et, s’il est perçu de manière consciente, quelles sont ses conséquences sur nos comportements, sur nos langages et nos interactions.
Références bibliographiques
- Citton, Y., Pour une écologie de l’attention, Paris, La Découverte, 2014.
- Grace, K., Salvatier, J., Dafoe, A., Zhang, B. et Evans, O., « When Will AI Exceed Human Performance ? », Journal of Artificial Intelligence Research, n° 62, 2018, p. 729-754.
- Mercklé, P., Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2011.
- Wolton, D., Informer n’est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009.