Notes
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[1]
Designer sonore et fondateur de l’agence Sixième Son.
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[2]
Je parle ici de la forme grammaticale (harmonies, rythmes, timbres, tonalités/atonalités, etc.) ; la forme structurelle (forme-rondeau, forme-lied, forme-da-cap, forme-sonate, etc.) ; et la forme en matière de genre musicale (symphonie, concerto, ABBA, etc.). Voir notamment Massin et Massin, 2003.
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[3]
Comme par exemple les paroles, la symbolique et l’imaginaire de l’œuvre ainsi que ses effets sur les auditeurs, quels qu’ils soient (émotion, mémoire/souvenir, plaisir, ordonnances, etc.).
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[4]
Qui peut être défini comme l’ensemble de formes de même caractère, réunies par leur destination (par exemple la musique de chambre) ou par leur fonction (par exemple la musique sacrée).
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[5]
Le jingle est le terme anglais pour ritournelle.
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[6]
Par souci d’homogénéité, mon corpus n’abordera pas le cas des clips de campagne. J’en fais état dans une récente publication (Jeandemange, 2018a).
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[7]
Cf. « Valéry Giscard d’Estaing “le chant du depart” », JT de 13 h, 6 mai 1974. En ligne sur : <www.ina.fr/video/I04145573>, page consultée le 26/09/2018.
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[8]
Cf. le JT d’Antenne 2 du 18 juin 1977. En ligne sur : <fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00139/changer-la-vie-l-hymne-du-ps-en-1977.html>, page consultée le 25/09/2018.
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[9]
Toutes les URL des hymnes évoqués se trouvent en fin de chapitre.
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[10]
Le choix de ces deux personnes s’explique par le fait qu’ils sont des militants de gauche et très proches de François Mitterrand. Voir Theodorakis, 1975 (préface de F. Mitterrand, « je peux me dire son ami », p. I-V).
-
[11]
On peut faire remonter les premières traces du marketing politique à la campagne de Franklin Roosevelt en 1936.
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[12]
La campagne de Jean Lecanuet pour l’élection présidentielle de 1965, au travers de la première communication télévisuelle, marque les débuts du marketing politique en France.
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[13]
Denis Barbet soulève (2002) que « le monde politique […] emprunte très largement à la publicité commerciale ses méthodes et techniques, mais moins souvent ses mots ».
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[14]
Publicitaire ayant travaillé dans l’agence Euro RSCG (Havas), cofondée par Jacques Séguéla.
1Si les campagnes électorales ont des mots (Tiberj, Gougou, Laplanche-Servigne et Peugny, 2007), des affiches (Luciole, 1991) ou encore des gestes (Calbris, 2003), elles ont également des sons, des airs, des mélodies et des timbres. Historiquement, l’hymne est le type de musique utilisé par le politique, car désignant un chant ou poème composé en l’honneur d’un dieu ou d’un héros, il s’intègre parfaitement dans des liturgies et rituels politiques. Il est donc commun pour les partis et candidats en lice pour la présidentielle de mobiliser de la musique et/ou l’image de certains artistes comme signifiant symbolique. Plus que producteur d’une tradition partisane, l’hymne est un médium de diffusion programmatique et idéelle efficace. Il participe activement de la politique symbolique dont l’objectif est de créer le consentement nécessaire à l’institution et la sauvegarde du pouvoir grâce à l’établissement et au renforcement des croyances et des représentations communes. Il advient que le chant est la principale force de l’hymne ainsi que le contenu sémantique qui le compose : « Le chant s’inscrit pleinement dans les mises en scène du politique. Loin d’être anecdotique, il participe à la construction de l’image du pouvoir. » (Dompnier, 1996)
2Au-delà des paroles, la musique – c’est-à-dire les éléments rythmiques, harmoniques, de tonalité, etc. – est une composante à part entière de la communication et du marketing politique. Elle fait partie des outils symboliques privilégiés dans les stratégies de production et de légitimation des campagnes électorales. Le choix de la forme musicale représente un élément stratégique majeur s’inscrivant dans un plan communicationnel dont la musique est un des éléments. Écouter et analyser les mélodies des partis invite à repenser la musique comme un véritable outil de connaissance et de compréhension du politique. Pour Michaël Boumendil (2012) [1] :
une musique de campagne est aussi importante qu’un slogan politique. Elle soulève plusieurs enjeux. D’abord, elle contribue à l’impact qui permet d’identifier le candidat et de donner plus de force à son message. Ensuite, elle doit transmettre ses valeurs, son état d’esprit, imprimer son style. Comme un slogan, une musique de campagne pousse à l’adhésion des électeurs. Une campagne c’est un tout. Comme le logo, la musique nous ramène à ce que sont le candidat et sa vision de la France.
4Cette citation permet de poser une série de questions fondamentales aux politistes et, plus généralement, à celles et ceux qui s’intéressent à la communication politique : comment une musique de campagne transmet-elle des valeurs (politiques ou sociales) ? Comment peut-elle « imprimer le style » d’un candidat ou dire sa vision de la France ? En somme, comment, dans ses formes [2] et contenus [3], la musique développe-t-elle des idées sociopolitiques en ce sens où il existe des logiques idéelles propres à chacune des productions musicales ?
5L’aspect expressif des séquences musicales se traduit par l’expression d’une grammaire musicale, mais aussi par l’existence d’éléments musicaux exogènes. La grammaire musicale renvoie aux composantes de la musique, c’est-à-dire aux règles ou systèmes sémiologiques et sémantiques de composition, des plus simples aux plus complexes. On y retrouve des éléments comme les notes de musique, la hauteur des sons, les intervalles harmoniques et mélodiques, le degré de consonance ou de dissonance, l’influence des modes, ou encore le tempo et le rythme. Outre les éléments internes de grammaire musicale, les éléments exogènes doivent absolument être pris en compte. Tout d’abord, il y a l’influence du temps sur les évocations émotionnelles. Celles-ci correspondent au timbre et aux modes de jeu d’un instrument. Ensuite, il y a le genre musical [4]. Enfin, il y a le contexte montrant que l’émotion musicale n’est pas uniquement la conséquence de la syntaxe musicale (son contenu).
6De plus, il apparaît que l’hymne n’est pas la seule forme musicale opérante en politique. Le marketing politique va faire évoluer les formes musicales des hymnes vers des ritournelles publicitaires. Ces formes musicales se distinguent en trois catégories. Tout d’abord, le jingle [5] qui est une forme musicale particulière puisqu’il sert avant tout de logo musical à une marque ou organisation quelconque. Le logo musical (qui peut être apparenté au Leitmotiv de Wagner) prend la forme d’une mélodie très courte et sans parole, composée pour être associée systématiquement à la marque. Il joue, schématiquement, le même rôle qu’un logo visuel. L’intérêt final de ce dernier est d’être automatiquement reconnu quand le spectateur est exposé à sa mélodie. Facilement mémorisable, le logo musical ne doit pas excéder sept notes et peut par exemple correspondre au nombre de syllabes du slogan. La deuxième forme est la technique très répandue, notamment dans le marketing publicitaire, qui consiste en l’emprunt d’une chanson ou d’un air (plus ou moins) connus pour illustrer un message. Ses bénéfices, liés aux problématiques de son identité partisane ou programmatique, sont évidents : la reprise permet de segmenter efficacement une cible électorale. Elle est donc une opportunité de positionnement. Cela permet également de lier/d’associer le souvenir d’un individu à un candidat ou un parti politique. Toutefois, il faut que la reprise s’articule bien avec le contenu programmatique du parti/candidat. Dans le cas contraire, l’association ne fonctionne pas. L’utilisation d’une chanson ou d’un air connus va souvent de pair avec l’utilisation de l’image de l’artiste, soit parce que l’artiste soutient un parti/candidat/programme politique, soit parce que la maison de disques qui a les droits des œuvres en question vend les droits d’exploitation. Enfin, la troisième forme est la composition originale.
7Quels sont les effets de l’importation du marketing politique sur les musiques de campagnes ? J’analyserai ici les stratégies musicales comme « l’ensemble des outils et des méthodes basés sur des éléments issus de la musique (composition, artistes, éléments de l’arrangement…) permettant d’apporter une solution concrète à des objectifs mercatiques tels que : définir l’identité de la marque, influencer la perception de ses valeurs, faciliter la mémorisation de l’offre, susciter l’action du consommateur, etc. » (Delassus, 2012, p. XVII). Pour appuyer mon argumentaire, mon propos sera étayé par un corpus se composant des hymnes des partis de gouvernement [6]. Leur comparaison permet de saisir les effets du marketing sur les musiques de campagne. De plus, ces partis politiques ont eu la particularité de se partager le pouvoir selon une alternance régulière et d’user des mêmes dispositifs de communication politique. Cette analyse s’organisera diachroniquement. Dans le premier temps, j’examinerai les hymnes de campagne avant leur transformation marketing. Puis, dans un second temps, je me pencherai sur la transformation des hymnes sur le modèle des ritournelles publicitaires.
Les hymnes de campagne avant leur transformation marketing
8Avant le début des années 1980, il est d’usage de chanter La Marseillaise pendant les meetings lorsque l’on est un parti de droite sur l’échiquier politique ou L’Internationale pour les partis de tradition socialiste et communiste. Un autre exemple assez bien connu est le choix d’exécution de l’hymne : Le Chant du départ, symbole de victoire et de liberté [7], ou La Marseillaise par Valéry Giscard d’Estaing pendant sa campagne de 1974. Mais ce sont davantage les hymnes composés pour les formations politiques et les candidats qui nous intéressent, car ils sont révélateurs des choix esthétiques validés par les instances décisionnaires.
9C’est à la fin des années 1970 que le parti socialiste (PS) et le Rassemblement pour la République (RPR) vont, pour des raisons diverses, mettre en chantier la composition d’un hymne. L’hymne du PS a été composé dans l’euphorie d’une très large victoire de la gauche au lendemain des élections municipales de 1977. Et c’est au terme du congrès de Nantes en 1977 [8] que Mikis Theodorakis (à la musique) et Herbert Pagani (pour les paroles) présentent Changer la vie [9]. Cet hymne a été commandé par François Mitterrand [10]. Dans ses paroles, Changer la vie célèbre les idées réformistes du PS. La lutte contre les puissances de l’argent reste l’idée centrale : « libérer nos vies des chaînes de l’argent ». Mais désormais, les idées révolutionnaires et « les lendemains qui chantent » sont abandonnés au profit de l’idée de « changer la vie, ici et maintenant ». Cet hymne apparaît comme une tentative d’alternative aux chants et hymnes révolutionnaires traditionnels des partis de gauche comme L’Internationale ou Le Temps des cerises. Pour le RPR, ce sera en vue des élections législatives de mars 1978 que le parti commandera un hymne. Son titre est Le Grand Élan – Le plus grand des rassemblements. La composition instrumentale est de M.-P. Mingorance et les paroles sont écrites et interprétées par Roger Vivant. J’ajoute ici que ce même Roger Vivant composera, écrira et interprétera l’hymne du Front National Bleu, blanc, rouge, La France est de retour – en do majeur, comme Le Grand Élan.
10Les deux hymnes du PS et du RPR se ressemblent sur beaucoup de points. Tout d’abord dans la symbolique des paroles. Ils sont des chants de conquête du pouvoir. Tandis que l’hymne du PS appelle à ce que l’idéal socialiste triomphe, l’hymne du RPR appelle à ce que le parti soit aux commandes du pouvoir. Chacun à leur manière, ces deux hymnes mobilisent les militants. Néanmoins, l’hymne du PS est moins un hymne de campagne que celui du RPR. Musicalement, tous deux sont construits sur le même modèle de couplet-refrain. La mélodie et l’accompagnement sont à la guitare et des onomatopées de voix féminines sont présentes dans les refrains pour donner plus de profondeur aux morceaux. Les deux hymnes présentent des batteries, très discrètes pour marquer les temps forts, c’est-à-dire le premier et le troisième temps. Les mesures sont binaires (4/4). Les tempi sont également plus ou moins les mêmes : 120 BPM. Néanmoins, la tonalité des deux morceaux est différente. Changer la vie est en ré mineur tandis que Le Grand Élan est en do majeur. De plus, l’hymne du RPR présente une cadence plus dynamique sur le refrain alors que les couplets sont plus posés. L’hymne du PS quant à lui cadence sur le couplet comme sur le refrain. Le choix de la voix du chant est une autre particularité qui distingue ces deux hymnes. Dans le cas de Changer la vie, c’est un choeur masculin et féminin qui chante, dans les couplets comme dans les refrains. A contrario, c’est une voix masculine, celle de Roger Vivant, qui chante les couplets du Grand Élan. Puis, les choeurs rejoignent le chanteur pendant les refrains. De plus, l’hymne du RPR présente des violons qui harmonisent et accompagnent le thème.
11Bien qu’ils fussent composés à la même période, ces hymnes présentent tout de même des caractéristiques musicales différentes. Reste qu’assez globalement, les premiers hymnes partisans sont proches des canons de l’hymne tel qu’on l’entend traditionnellement. En effet, les équipes de campagne vont s’appuyer sur le contenu sémantique des paroles ainsi que sur les rythmes marqués afin de dire une forme de déférence (plus ou moins intense) à l’égard d’un idéal politique qu’incarne la formation partisane. Il se dessine alors trois principales caractéristiques de musique dans la communication politique. Premièrement, la construction des repères identitaires avec des sonorités musicales qui varient en fonction des formations partisanes ainsi que des thématiques abordées. Deuxièmement, il y a la construction d’un lien direct entre la musique et un type de discours sur le candidat ou les valeurs que le parti politique défend. Et troisièmement, la musique offre, sinon impose, aux destinataires des schèmes d’interprétation et d’analyse de la réalité par le son (persuasion politique). À partir de ces principales caractéristiques, quelles sont les influences du marketing sur les esthétiques musicales des hymnes de campagne ?
Des hymnes aux ritournelles publicitaires
12En matière de communication politique, le modèle français contemporain s’inspire directement du modèle étatsunien tant dans ses méthodes (D’Almeida, 2003) que dans ses modèles théoriques (Lavigne, 1995). Le changement de paradigme en matière de stratégies musicales dans la communication politique s’effectue à partir des années 1930 aux États-Unis [11] et 1960 en France [12] et s’opère à plusieurs niveaux. Le premier niveau de transformation concerne les conseillers en marketing. Ces derniers sont entrés en politique et y ont appliqué les « ficelles » de leur métier comme le développement des études de marché, la prolifération des spots et des clips politiques, la généralisation des séances de media-training, etc. Le deuxième niveau de transformation concerne les transferts technologiques du monde de la publicité commerciale vers l’univers politique [13]. Ces transferts technologiques sont d’ailleurs très largement présentés aujourd’hui comme une évidence par des professionnels de la publicité.
13La production de la musique de campagne n’échappe pas à ce processus de transformation, car si la communication politique contemporaine se nourrit allègrement des techniques et outils de la publicité marchande, cela suppose que les communicants appliquent les stratégies musicales provenant du monde de la publicité. À partir de la fin des années 1970, la production musicale des campagnes électorales va davantage être confiée à des publicitaires et s’inscrire dans une démarche globale. Dans un premier temps, les équipes de campagne vont s’inspirer des formes traditionnelles de l’hymne politique. C’est le cas de l’hymne du candidat à la mairie de Paris, Jacques Chirac, en 1976. L’hymne qu’il commande reprend les codes esthétiques de la musique folklorique et populaire parisienne. Le thème est joué par un piano tandis que l’orchestration est faite avec des violons et un accordéon pendant les couplets. Pendant les refrains, les violons rejoignent le piano afin de jouer le thème. Le morceau est en la bémol majeur avec un tempo d’environ 70 BPM. Chirac pour Paris – Pour que Paris, est écrit et composé par Michel Paje (aussi appelé Michel Roy) et Paul Piot, deux compositeurs de musiques de publicités et de films.
14En 1981, c’est Pascal Stive qui s’occupera de la composition de l’hymne de campagne du candidat Jacques Chirac à l’élection présidentielle. Le titre de l’hymne reprend le slogan du candidat : Jacques Chirac, maintenant. L’équipe de campagne de François Mitterrand va proposer un hymne de campagne et un slogan, Mitterrand Président, sur le même modèle que l’équipe de Jacques Chirac. Pour le PS, le premier changement s’effectue dans le choix des compositeurs puisque ceux-ci ne sont plus des militants. Les hymnes sont commandés par les agences de communication à des musiciens. L’hymne du candidat socialiste à la présidentielle de 1981 est écrit et composé par Denise Donders [14] et Pascal Stive, celui-là même qui a composé l’hymne de Jacques Chirac la même année.
15Bien qu’ils fussent composés par la même personne, les hymnes de campagne de François Mitterrand et de Jacques Chirac de 1981 présentent des différences. Esthétiques d’abord puisque l’hymne de Mitterrand a une couleur musicale typique des années 1980, notamment due aux timbres des sons de synthétiseur. L’hymne de Chirac reprend une esthétique très funk-disco. Pour ce qui est de l’orchestration, elle présente une base basse-batterie binaire et simple. Les claviers posent les accords de la grille du morceau. Enfin, des violons ainsi que des cuivres marquent les temps forts et les transitions entre les mesures du morceau. Les cordes et les cuivres participent à rendre le morceau grandiloquent. Musicalement, les deux hymnes sont composés dans des sonorités mineures : mi bémol mineur pour l’hymne de Mitterrand et sol mineur pour l’hymne de Chirac. Pour ce qui est des tempi, l’hymne de Mitterrand a un tempo presto, tandis que celui de Chirac est plus allegretto. Esthétiquement et musicalement, ces hymnes sont donc très différents. Néanmoins, les paroles présentent des similitudes formelles et sémantiques. Leur construction est grosso modo la même que celle observée dans le cas des hymnes partisans avant l’introduction des techniques et outils marketing en politique. Les paroles restent très proches de ce que l’on attend d’un hymne, à savoir : faire du candidat le maître de la situation politique. Néanmoins, la « sloganisation » des paroles est visible, notamment dans la présence récurrente des slogans de campagne. Mais c’est véritablement l’hymne, Le Changement c’est maintenant, du candidat socialiste François Hollande à la présidentielle de 2012 qui peut résumer ce qu’il y a à savoir sur la « sloganisation » des hymnes de campagne. Ce morceau est composé en si mineur, avec un tempo d’environ 120 BPM. Reprenant le slogan de sa campagne, « le changement c’est maintenant », l’hymne dure 3 minutes 58. Le mot « changement » y est prononcé 20 fois et le mot « maintenant » 33 fois.
16L’analyse comparée de ces hymnes permet de dire que les harmonies, les timbres, les hauteurs ainsi que les arrangements, présentent des différences non négligeables. Les stratégies musicales des campagnes électorales tendent à produire un hymne spécifique pour le candidat et à substituer l’esthétique « pure » de la musique à tout autre motif. Les tonalités, les rythmes et les tempos contribuent à produire le « mot d’ordre » de la campagne de façon plus festive, agréable ainsi qu’à susciter une ambiance globale, bien qu’il ne puisse pas être sérieusement envisageable de s’abstraire du contexte de production et de diffusion des campagnes électorales. La musique s’articule avec le « métalangage des silences », les sons d’applaudissements, les images des clips, les discours, le timbre de la voix des candidats, etc. L’étude de la musique de campagne permet de dire qu’il y a une sorte de consensus et les similitudes d’usage de la musique par les principales structures partisanes du champ politique institutionnel, de droite et de gauche.
17Les observations pour l’objet musical sont similaires aux observations sur d’autres objets étudiés dans le champ de la communication politique. La musique sert des objectifs fixés selon les modalités vues précédemment. Les objectifs de ses usages sont multiples et peuvent être regroupés en trois catégories. Les objectifs affectifs tout d’abord : la musique sert à procurer du plaisir à l’électeur et à créer chez lui de la gaieté, afin qu’il ait une sensation de bien-être. Les objectifs cognitifs ensuite : la musique doit donner une indication sur la cible du parti politique, sur son univers ou avoir un rapport avec le programme défendu. Ici, la musique doit également être en mesure de donner une ambiance festive. Les objectifs comportementaux enfin : la musique doit être en mesure de susciter l’adhésion totale ou relative de l’électeur, pouvoir provoquer le vote. Ainsi, le choix de la musique repose sur quatre piliers. Le style de musique qui reflète l’image du candidat ou du parti ; ce que la musique va évoquer en termes d’univers, d’émotions ; le tempo qui a la possibilité de détendre ou stimuler ; et la notoriété de la chanson ou de l’artiste qui peut être associée ou non au caractère distinctif d’un parti ou d’un candidat. Les éléments de la grammaire musicale sont des outils de communication et de marketing à part entière. Ils favoriseraient l’émergence d’une expression émotionnelle spécifique qui s’accorde avec les thèmes et lignes directrices des campagnes électorales. Il est donc indispensable d’avoir connaissance des éléments de grammaire musicale, en plus des éléments de contexte politique et communicationnel. Allier l’esthétique d’une musique avec le contexte (dans lequel elle prend, en partie, tout son sens) permet d’analyser la musique dans le marketing politique notamment par le lien qui semble se faire entre systèmes de tonalités et affects (Jeandemange, 2017).
Références bibliographiques
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- D’Almeida, F., « L’américanisation de la propagande en Europe de l’Ouest (1945-2003) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 80, 2003, p. 5-14.
- Barbet, D., « Les emprunts discursifs entre politique et publicité. Des échanges inégaux », Mots. Les langages du politique, no 98, 2012, p. 15-30.
- Benoit, J.-M. et Scale, J. (dir.), Bleu, blanc, pub, Paris, Le Cherche Midi, 2008.
- Boumendil, M., « Une musique de campagne est aussi importante qu’un slogan politique », Challenge, 26 mars 2012.
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- Cayrol, R., La Nouvelle Communication politique, Paris, Larousse, 1993.
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- Jeandemange, T. et Usul, L’air de la campagne, Médiapart, 2016-2017. En ligne sur : <www.mediapart.fr/studio/videos/emissions/lair-de-la-campagne>, page consultée le 26/09/2018.
- Julien, J.-R., Musique et publicité. Du Cri de Paris… aux messages publicitaires radiophoniques et télévisés, Paris, Flammarion, 1992.
- Lavigne, A., « La communication politique en Amérique du Nord et en France », Hermès, no 17-18, 1995, p. 371-392.
- Luciole, La Politique s’affiche : les affiches de la politique, Paris, Didier, 1991.
- Magis, C., La Musique et la publicité : les logiques socio-économiques et musicales des mutations des industries culturelles, Paris, Mare & Martin, 2015.
- Massin, B. et Massin, J., Histoire de la musique occidentale, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Fayard, 2003.
- Riutort, P., Sociologie de la communication politique, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2007.
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- Tiberj, V., Gougou, F., Laplanche-Servigne, S. et Peugny, C., Les Mots des présidentielles, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
Mots-clés éditeurs : communication/marketing politique, hymnes de campagne, musique et pouvoir, campagne électorale, parti politique
Date de mise en ligne : 03/12/2018
https://doi.org/10.3917/herm.082.0169Notes
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[1]
Designer sonore et fondateur de l’agence Sixième Son.
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[2]
Je parle ici de la forme grammaticale (harmonies, rythmes, timbres, tonalités/atonalités, etc.) ; la forme structurelle (forme-rondeau, forme-lied, forme-da-cap, forme-sonate, etc.) ; et la forme en matière de genre musicale (symphonie, concerto, ABBA, etc.). Voir notamment Massin et Massin, 2003.
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[3]
Comme par exemple les paroles, la symbolique et l’imaginaire de l’œuvre ainsi que ses effets sur les auditeurs, quels qu’ils soient (émotion, mémoire/souvenir, plaisir, ordonnances, etc.).
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[4]
Qui peut être défini comme l’ensemble de formes de même caractère, réunies par leur destination (par exemple la musique de chambre) ou par leur fonction (par exemple la musique sacrée).
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[5]
Le jingle est le terme anglais pour ritournelle.
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[6]
Par souci d’homogénéité, mon corpus n’abordera pas le cas des clips de campagne. J’en fais état dans une récente publication (Jeandemange, 2018a).
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[7]
Cf. « Valéry Giscard d’Estaing “le chant du depart” », JT de 13 h, 6 mai 1974. En ligne sur : <www.ina.fr/video/I04145573>, page consultée le 26/09/2018.
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[8]
Cf. le JT d’Antenne 2 du 18 juin 1977. En ligne sur : <fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00139/changer-la-vie-l-hymne-du-ps-en-1977.html>, page consultée le 25/09/2018.
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[9]
Toutes les URL des hymnes évoqués se trouvent en fin de chapitre.
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[10]
Le choix de ces deux personnes s’explique par le fait qu’ils sont des militants de gauche et très proches de François Mitterrand. Voir Theodorakis, 1975 (préface de F. Mitterrand, « je peux me dire son ami », p. I-V).
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[11]
On peut faire remonter les premières traces du marketing politique à la campagne de Franklin Roosevelt en 1936.
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[12]
La campagne de Jean Lecanuet pour l’élection présidentielle de 1965, au travers de la première communication télévisuelle, marque les débuts du marketing politique en France.
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[13]
Denis Barbet soulève (2002) que « le monde politique […] emprunte très largement à la publicité commerciale ses méthodes et techniques, mais moins souvent ses mots ».
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[14]
Publicitaire ayant travaillé dans l’agence Euro RSCG (Havas), cofondée par Jacques Séguéla.