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Un signe avant-coureur se réfère à l’incertitude à laquelle tout entrepreneur est confronté et à laquelle Frank Knight (1921) a consacré son célèbre Risk, Uncertainty and Profit.
1L’économie s’est constituée comme science dans la seconde moitié du xixe siècle en s’appuyant sur deux piliers : en postulant un état du monde concurrentiel animé par des individus parfaitement rationnels et informés et en déduisant à l’aide de l’outil mathématique un ensemble de conséquences sur le fonctionnement des marchés. Cette axiomatique a dominé la pensée économique jusque dans les années 1930. Toutefois, bien avant 1994 et l’essor d’Internet, un changement de paradigme s’est affirmé progressivement [1]. On le doit aux articles précurseurs que Frédéric Hayek a publiés en 1937 et 1945 sur le rôle de la connaissance et de l’information. Dans l’immédiat après-guerre, le postulat d’information gratuite, parfaite, accessible et compréhensible à tous fut abandonné au moment où les économistes s’investissaient dans la construction laborieuse des modèles de comptabilité nationale et de croissance.
2Les développements successifs du système informatique observés depuis le passage de relais d’IBM (gros ordinateurs réservés aux entreprises) à Apple avec les PC à l’usage de tout un chacun, ont pu faire croire que le monde se rapprochait de l’idéal d’une société « sans coutures » où l’information circulerait sans obstacle (seamless society), gratuitement, pour le plus grand bonheur de tous. On a même cru que le numérique apporterait une contribution décisive au développement durable.
3Paradoxalement, à partir des années 1970 (Akerlof, Stiglitz, etc.), la science économique a changé de paradigme en mettant en exergue les asymétries d’information de toute sorte, tant sur les marchés qu’à l’intérieur des organisations. C’était ouvrir la voie à l’étude approfondie des comportements et à la théorie des jeux. Désormais, avec le pétrole, l’information de qualité est devenue la ressource stratégique de l’époque (Bienaymé, 2009).
4À l’usage, si les coûts de transmission ont considérablement diminué, la qualité des informations et des emplois qui en sont faits (« bobards », messages malveillants, cybercriminalité) pose de redoutables questions. Il s’y ajoute les problèmes posés par l’addiction aux écrans, l’instantanéité, voire la brutalité des rapports sociaux (Babeau, 2018), le gouvernement à la mode Trump, par des tweets qui sont tout sauf des gazouillis, la fracture numérique, l’hégémonie des monopoles technologiques américains et chinois. Mentionnons aussi les conséquences potentielles sur nos manières de penser du passage de l’écriture manuelle à l’écriture digitale. Doit-on par exemple bannir crayons et stylos de l’enseignement scolaire comme certains l’expriment à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) ?
5Dans le bilan des avantages et inconvénients de la promotion à marche forcée d’un tout numérique lui-même en continuelle évolution, il faut souligner qu’elle augmente les dépenses contraintes des particuliers. Ces dépenses interviennent en déduction de leurs revenus disponibles après impôts et cotisations sociales ; elles concernent l’énergie du logement, les assurances obligatoires, les services de télécommunications et de télévision, etc. (en témoignent les statistiques annuelles de l’Insee). Leur pourcentage, de l’ordre de 27 %, augmente sous l’effet de la mode et de la pression des administrations publiques. L’administration en ligne oblige les ménages à s’équiper en matériels électroniques coûteux et occupe un espace souvent précieux. Par ailleurs, l’administration en ligne permet à l’État de se décharger sans vergogne sur les entreprises du poids de la collecte des impôts (pour un coût de plus de 1 milliard d’euros pour le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu). Le développement des communications électroniques entraîne des dépenses d’électricité (exemple du bitcoin) d’un montant qui tourne le dos aux objectifs d’économie d’énergie affichés en matière de protection de l’environnement.
6Parmi les recherches qui s’imposent, outre les liens entre connaissance, incertitude, informations, connexions, décisions et action, nous citerons volontiers le problème de la régulation d’un système qui échappe largement à la souveraineté des nations (Luckett et Casey, 2016). La faible culture économique des Français suggère que l’on s’interroge sur les politiques susceptibles d’améliorer leur réceptivité et leur compréhension en ce domaine. Bref, face à l’enthousiasme des ingénieurs, la science économique conserve sa réputation de « dismal science ». La révolution des procédés de communications a un coût !
Références bibliographiques
- Babeau, O., Éloge de l’hypocrisie, Paris, Le Cerf, 2018.
- Bienaymé, A., « Le pouvoir subversif de l’information en économie », Commentaire, n° 125, 2009, p. 37-46.
- Knight, F., Risk, Uncertainty and Profit, Boston et New York, Houghton Mifflin, 1921.
- Luckett, O. et Casey, M., The Social Organism, A Radical Understanding of Social Media to Transform Your Business and Life, New York, Hachette Books, 2016.
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Un signe avant-coureur se réfère à l’incertitude à laquelle tout entrepreneur est confronté et à laquelle Frank Knight (1921) a consacré son célèbre Risk, Uncertainty and Profit.