1Il existe mille et une façons de regarder les parcs à thème. Les différentes disciplines se sont emparées d’un phénomène qui brasse autant d’argent que de positions idéologiques. Le marketing observe, souvent avec admiration, l’organisation des points de vente thématisés qui permettent, grâce à un décor narratif, de vendre à haut prix des produits de qualité moindre. L’ethnologie étudie les relations induites par les espaces de loisirs marchands et interroge le statut du produit et du lieu dans l’échange humain. L’art exploite les parcs comme des lieux symboliques du rêve, du drame, de la rencontre, de la liberté ou de la tyrannie. Les sémiologues, comme Louis Marin et son expression « utopie dégénérée », ont souvent décrit les parcs à thème comme des espaces manipulatoires. Les géographes et les urbanistes se concentrent sur les formes hybrides engendrées par ces monstres fonciers qui développent ou dénaturent des territoires.
2Le point commun entre ces exemples d’approches résumées rapidement est la thématisation et la force d’immersion que peut susciter un lieu : entourer le lieu d’un récit, est-ce violer l’histoire ou bien la rendre vivante ? Est-ce recréer un lien rompu ? Cette multitude de prismes mène à des discours militants et engagés sur des notions philosophiques, où les parcs sont montrés comme les instruments implacables d’une opinion à démontrer.
Rendre objective l’analyse des parcs à thème ?
3Bryman (2004) et Ritzer (20045, sociologues américains, se sont employés au début des années 2000, à mettre un peu d’ordre dans cette galaxie d’opinions et à rendre objective l’analyse des parcs à thème. Avec la notion de « disneyization », Bryman rejette le militantisme et en fait un objet d’étude (à peine une page à la fin de son ouvrage) plutôt qu’une méthode. Il met de côté celle de « disneyification », trop assimilée à un lavage de cerveau opéré par les industries du divertissement. L’anthologie d’articles dirigée par Scott A. Lukas en 2016 sur la thématisation se veut également observante en se concentrant sur des études de cas de lieux narratifs. En 2016 aussi, Clément Thibault soutient une thèse de doctorat qui défend certaines capacités de réappropriation des visiteurs pour remettre en cause leur hypnose. Comme dans la culture pop qui consiste à utiliser les codes pour mieux en suggérer les caractéristiques à interroger dans un perpétuel renouvellement, la notion de « réappropriation » permet de paraître critique dans le confort du modèle dominant. De la même manière, à trop s’empêcher de critiquer, ces chercheurs en quête de preuves de liberté dans la société de consommation sont tentés de glisser vers le plaidoyer.
4Ce fond de toile contextuel est au cœur de la tension qui suscite cet article. Les parcs à thème sont des machines à rêve parodiées en usines à cash. Les documentaires sur les parcs à thème ne cessent de se multiplier et d’être rediffusés, avec une structure identique : d’abord, le rêve et la success story ; ensuite, les coulisses de la comptabilité et le business model ; la conclusion est toujours la même : « tout le monde trouve son compte dans le capitalisme ». Constamment, le thème de la finance s’oppose binairement à celui de l’imagination. Cela est d’autant plus critique dans les parcs à thème puisque le produit repose sur le terrain glissant du rêve éveillé qui, depuis Platon, divise. Banksy s’est attaqué à ce qu’il croit être une hypocrisie en créant un parc d’attractions éphémère nommé Dismayland, où on peut jouer avec des bateaux de migrants télécommandés dans un bassin de pétrole. Alan Bryman (1995) souligne que la figure de Disney a toujours été tiraillée entre sa réussite en tant qu’homme d’affaires et son visage de nouveau Jules Verne. Ces exemples auxquels pourraient s’ajouter bon nombre de films publicitaires et institutionnels révèlent la tension mythique qui habite le monde des parcs à thème et que l’histoire tente de réconcilier. L’enjeu des parcs à thème est la survivance d’un mythe malgré les preuves de son inexistence. De quelle quête anthropologique les parcs à thème sont-ils les terrains ? Comment le mythe renaît-il dans l’espace et le récit ? Nous nous trouvons dans la problématique des hauts lieux analysés par exemple par Armand Frémont (2010) pour qui le haut lieu combine la foule et les jardins secrets et Bernard Debarbieux (1993) qui décrit le haut lieu comme la manifestation concrète de valeurs abstraites en précisant qu’il est difficile « de rendre conciliable l’imaginaire du lieu et l’apparence du site ». Dans les échanges qu’ils suscitent, comment analyser ces parcs à thème qui incarnent des valeurs et en rendent l’existence indépendante du contexte ?
5Une perspective communicationnelle peut répondre à cette question de circulation des idées sur l’imaginaire des lieux. Nous partons d’un corpus d’observations de terrain et de deux milliers de pages de commentaires recueillis sur TripAdvisor avec une sélection de trois parcs à thème français défendant un programme culturel (Disneyland Paris, Parc Astérix, Futuroscope).
Les parcs à thème à travers la communication
6Lors d’une visite à Disneyland, j’ai pu entendre : « Je viens tous les dix ans. C’est le temps qu’il me faut à chaque fois pour oublier à quel point c’est pénible, et j’y retourne ». Cet exemple rappelle que nous pouvons être capables de retourner dans un endroit qu’on savait pénible parce que les images oniriques ont repris le dessus. Les commentaires des visiteurs attestent une tendance à « adorer détester » des destinations pas toujours socialement avouables. Les commentaires multiplient les « je sais bien mais quand même », en alternant des attitudes de cynisme résigné et des gestes romantiques assumant le refuge de l’illusion, ce qui apporte des sujets de tension traversant la perception de l’expérience des parcs à thème. Premièrement, la sensation d’enfermement rassurant peut cohabiter avec un sentiment d’évasion : « On ne sait plus tout de suite si l’on court au centre ou si l’on s’évade », a pu écrire Gaston Bachelard (1957) dans La Poétique de l’espace. Deuxièmement, le sentiment d’authenticité émanant de la reconnaissance d’images vues préalablement devient même une source d’évasion à l’intérieur de soi.
7Ceux qui s’expriment après leur visite sur le célèbre site de conseils entre voyageurs Tripadvisor sont en majorité satisfaits des trois parcs avec des notes moyennes de 4/5. Les profils rhétoriques se fondent en majorité sur le besoin de garder la tête haute, en expliquant un échec par l’échec de la prestation, en acceptant un échec par les aléas du réel, ou en adhérant par l’adéquation d’une idée et d’une expérience, de telle manière que ce site de conseils adopte plus souvent une fonction d’expression d’idées et d’idéaux, pour ne pas dire de défoulement. Cela confirmerait l’idée de Jean-Didier Urbain (2003) selon laquelle le voyage est une idée et résiste à toutes les définitions passant d’une tendance élitiste à une autre. Le voyage serait avant tout un débat à étudier.
8Pour saisir ce phénomène, il est nécessaire de prendre en compte les trois étapes de l’expérience : promise, vécue, puis objectivée. Ces trois pôles sont essentiels pour appréhender la circulation des idées. La méthode qui consiste à réconcilier les conditions de production, le texte produit et ses appropriations s’inspire de Roger Odin (2011) et sa sémio-pragmatique qui se propose d’analyser la « non-communication » dans des situations médiatisées. Le modèle fondé sur la non-communication entre l’espace émetteur et l’espace récepteur rend compte de l’expérience différée et médiatisée, ce qui est le plus adapté à la situation des parcs à thème qui se définissent par des constructions souhaitées, des espaces conçus et vécus, et des réclamations dans le cadre d’une relation commerciale. Le lieu physique des parcs ne serait donc qu’un des textes suscitant l’échange humain, ces derniers s’appuyant tantôt sur des contenus publicitaires, tantôt sur des souvenirs personnels ou des opinions sur le tourisme en général.
9L’approche de Roger Odin peut être complétée par le modèle de l’hypertexte qui, selon Alex Muchielli (1998), postule que la communication naît de la relation entre les échanges. La liberté, la mauvaise foi, l’adhésion ou la soumission de chacun face au message en rapport à ses propres expériences ne sont pas les objets de l’analyse qui réside plutôt dans les postures qui brandissent ces notions. Le résultat d’une communication est l’ensemble des commentaires effectués lors d’un débat reconstitué. L’expérience d’un parc à thème est donc définie comme des détails pratiques, une vision du monde, un état d’esprit face au tourisme, des attentes préalables, un profil de visiteur. Ainsi, dans les commentaires des visiteurs, la séparation entre imaginaire et monde réel est aussi affirmée avec nuances : le besoin d’efficacité et de bonnes prestations pratiques (toilettes, flux, accès, propreté) est signalé comme un pré-requis pour être bien immergé dans un univers magique où ces aspects quotidiens sont justement oubliés.
10La spécificité de la non-communication dans l’espace communicationnel des parcs à thème réside en partie dans la problématique de la vérifiabilité des images entre le produit idéalisé, le produit vécu et produit commenté. L’allégorie publicitaire y est plus compliquée que dans les publicités traditionnelles en raison de ce contact humain et forcément imprévisible avec un produit qui est à la fois doublement du temps et doublement de l’espace : référence de l’époque copiée et temps organisé par le visiteur ; référence de l’espace copié et espace parcouru par le visiteur.
Le produit promis
11Il ne sera pas question ici de rendre compte d’une analyse précise des contenus promotionnels diffusés par les canaux officiels des parcs à thème. Il en sera cependant fait mention dans l’analyse de l’expérience observée dans les parcs à thème et des commentaires écrits qui en émanent. Ces contenus promotionnels sont en effet toujours en filigrane la base des énoncés produits par les visiteurs car ils sont leurs repères. Une analyse quantitative des commentaires écrits sur Disneyland Paris, le Parc Astérix et le Futuroscope démontre d’ailleurs que les visiteurs connaissent les valeurs véhiculées par chaque parc : l’héritage cinématographique et la magie chez Disney, la bonne humeur et le goût de la simplicité efficace au Parc Astérix, la technologie à sensation pour le Futuroscope. Ces contenus promotionnels ont donc une importance méthodologique pour comprendre les propos des visiteurs. Erving Goffman (1991) parle de « situations naturelles » pour définir les modèles que modalisent les cadres de l’expérience. Les contenus promotionnels des parcs à thème proposent plutôt des situations idéales sur lesquelles les visiteurs vont jauger leur propre expérience, ce qui explique en partie que les mots « arnaque », « mensonge » ou « vol » ne sont pas les moins utilisés par des consommateurs adoptant une posture faussement naïve et surprise. Les trois étapes de l’expérience révèlent des jeux conscients sur les ruptures de cadres s’appuyant sur les contradictions de la notion d’évasion exprimées par les visiteurs eux-mêmes tiraillés entre des priorités contraires : exigences de prévisibilité et de facilitation par la marchandisation d’un lieu fermé et proche tout inclus versus surprise du dépaysement et de la distance, besoin d’exclusivité et d’espace pour soi dans des parcs prévus pour vingt à cinquante mille entrées quotidiennes. Dans les publicités des parcs, on a à ce sujet l’impression que les visiteurs ont tout cela à la fois. Mais que serait une publicité totalement vérifiable pour un lieu déjà dépassé par son image onirique ?
Aperçu des commentaires sur Tripadvisor
12Ce que Saskia Cousin (2016) a appelé le passage de la « démocratisation touristique » à la « démocratie touristique » entraîne une multitude d’avis contradictoires sur un même lieu. Un futur visiteur curieux d’un parc à thème peut lire tout et son contraire, ce qui donne à certaines pages de Tripadvisor l’apparence d’un forum de discussion. L’enjeu pour le chercheur est, au-delà de l’analyse de contenu et des catégorisations rhétoriques des arguments et modes discursifs mobilisés, de déceler un éventuel point commun dans la quête engagée par le visiteur lorsqu’il va visiter un parc à thème à travers l’objectivation qu’il fait de sa propre expérience.
13Quelle que soit la teneur argumentaire des avis postés, la tendance est manifestement de construire un récit ou un rapport phénoménologique et d’affirmer une vision du monde. Le mode fictionnalisant engage par exemple une distance avec les faits en les inscrivant dans une suite rendue logique et déterminée pour les rapprocher d’une fiction, et certains visiteurs s’en servent même pour jouer avec le lien que les parcs à thème entretiennent eux-mêmes avec la forme narrative. Un des visiteurs du Parc Astérix, tout en exprimant sa déception de ne pas trouver dans le parc l’ambiance du monde du petit Gaulois, se livre à des jeux historiques et lexicaux comme on en trouve dans les bandes dessinées de Goscinny. Le visiteur tisse d’abord un lien entre la vétusté du parc et l’éloignement temporel de la Gaule : « Les fausses fenêtres sont déglinguées, mais nettement moins que les allées, et les peintures semblent avoir été posées quand Jules César parcourait les forêts bretonnes. » Le commentateur révèle un des hiatus qui existent entre la promesse et sa matérialisation dans un parc à thème : les visiteurs attendent une immersion confortable. Toute marque d’usure dans un décor le ramène à l’évidence de négligence, alors qu’elle peut en augmenter l’impression d’authenticité dans un monument dit historique. À Disneyland Paris, les visiteurs se pâment devant les fausses toiles d’araignées imitées à la perfection mais sont intransigeants face à de la peinture écaillée par absence d’entretien. Dans les files d’attente, on en aperçoit quelques-uns qui interrogent chaque fissure en se demandant : « exprès ou pas ? ». Dans un des discours de Dominique Marcel, P-DG de la Compagnie des Alpes, principal actionnaire du Parc Astérix, ce hiatus est récupéré dans un paradoxe promesse/expérience exprimé mais non résolu car transféré dans un nouveau hiatus culture interne/relation clients : « Comme vous allez le voir, comme vous le savez, puisque vous connaissez Astérix, nous ne nous prenons pas au sérieux. En revanche, notre devoir est de prendre nos clients au sérieux. » Le visiteur que nous venons de citer continue son commentaire en écrivant : « Pour exemple, le jour où nous y sommes allés, à 17 h 30 dans l’attraction Romus et Rapidus, les poubelles débordaient de Détritus (pas le personnage de la BD, vous l’aurez compris). » Ces propos confirment le hiatus : ce qui fait sourire dans l’imaginaire lexical de la bande dessinée le fait beaucoup moins dans l’expérience multisensorielle du parc à thème, où les jeux de mots ne sont bien reçus que sous la forme de textes à lire.
14On sent bien que, dans les propos des passionnés, l’engagement des mécontents et les listes d’avantages et d’inconvénients des conseillers méticuleux qu’il ne s’agit pas dans leurs discours de visiter un parc d’attractions dans un but affiché unique de consommation, comme dans ces deux commentaires :
On sait très bien en y allant qu’on se retrouve au milieu d’une grosse pompe à fric […] mais bizarrement la féerie de ce parc en pleine banlieue parisienne opère toujours et nous laisse passer une journée magique entre famille et amis. À faire au moins une fois !
Une animation-jeu sur le 8e continent, celui des plaques de déchets qui parcourent les océans sous le patronage de Maud Fontenoy sans qu’un seul instant se pose l’origine de cette masse de déchets en provenance des pays à bas salaires et à faible contraintes écologiques où la plupart des sponsors de la navigatrice font réaliser leurs productions. Comment faire disparaître cette masse de déchets ? rien de plus simple puisqu’il suffit de les désintégrer et tirant dessus à coup de pistolet laser ! De toute évidence, ce n’est pas la curiosité des enfants qu’on cherche à stimuler au Futuroscope, peut-être leur imagination et encore… À moins qu’on cherche à créer une génération de rêveurs crétins !
17Les parcs à thème suscitent des discours qui vont au-delà des valeurs d’usage du loisir pour prendre des tournures politiques, morales, civilisationnelles et identitaires. Il s’agit de se construire en acceptant ou non les modèles, certains passionnés se positionnant dans une dialectique de la passion-répulsion dans un souci de faire état de tous les points de vue.
La communication dans l’enceinte des parcs à thème
18En lisant les commentaires sur Tripadvisor, on pourrait donc croire que se joue dans les parcs un débat guerrier. Et, pourtant, au cours de nos nombreuses visites, la majorité joue le jeu et adopte les codes de ces lieux. Dans les allées et les files d’attente, le principal sujet de conversation est le parc lui-même. L’auto-thématisation fait son travail à grand renfort de stimuli. Ces conversations regroupent des projections, des souvenirs, des questionnements et comparaisons. On pourrait aussi penser qu’une sortie de groupe renoue les liens, mais, dans les files d’attente, la musique et les répétitions en boucle des effets sonores règnent. Les discussions sont à peine audibles, et on voit beaucoup de bouches fermées, d’yeux cherchant un signe et se résignant finalement à regarder le sol piétiné. Dans les restaurants, beaucoup pianotent sur les téléphones ou regardent les photographies qui viennent d’être prises avec les compagnons assis autour de la table.
19La discipline observable ne correspond pas aux conflits d’opinions qu’on lit sur Internet, mais on y observe encore des décalages de modes. À bord de l’attraction Epidemaïs au Parc Astérix, qui consiste à parcourir des scènes des aventures d’Astérix en trois dimensions à bord d’une galère bigarrée, un couple de parents souffle de mécontentement à cause de la discussion de deux passagers : ceux-là se croient au cinéma, ceux-ci se pensent en promenade de santé. Dans les groupes, les rôles se distribuent entre l’expert-guide, le suiveur, la force de proposition et l’euphorique. L’objectif est d’éprouver ensemble des sensations : les silences post-manèges et les visiteurs seuls sont rarissimes. Les échanges sont dédiés à la planification de la sensation : « c’est le matin, on en profite pour chercher les sensations fortes », « on vient de manger, on va monter sur un manège calme », « il fait chaud, on va faire une attraction aquatique », etc. Cette catégorisation exprimée des sensations est confirmée par une division spatiale des fonctions. On aperçoit aussi des espaces circulaires comme des places où se construisent pourtant des files humaines rectilignes, comme sur l’esplanade à l’entrée de Disneyland Paris. Quand cette planification de sensations ne peut plus être appliquée, la colère et l’angoisse montent, car le produit « parc à thème » se révèle dans sa nature de lieu où il n’y a rien d’autre à faire que ce pour quoi il a été construit. En fin d’après-midi, plusieurs groupes de visiteurs quittent le parc parce qu’ils sont fatigués d’attendre. Où sont les euphoriques qu’on lit sur Tripadvisor ? Encore un décalage ? Expérience intériorisée ?
20Il ne faut pas omettre les nombreux muets et secrets, que Jean-Didier Urbain (2003) a savoureusement étudiés. Une majorité de visiteurs de parcs à thème choisit de ne pas s’exprimer publiquement. Les parcs, eux aussi, sont souvent muets, de telle façon que certains fans reconstituent eux-mêmes les récits qu’ils considèrent comme incomplets, comme le Youtubeur Johan Souply.
Réponses des parcs aux commentaires sur Tripadvisor
21Les réponses publiques des parcs sur Tripadvisor ne sont pas systématiques et tendent à diminuer entre juin 2017 et juin 2018 : de 87 % à 37 % chez Disneyland Paris qui répond aux commentaires de toutes factures, de 3 % à 1,7 % pour le Parc Astérix qui ne répond qu’à quelques commentaires négatifs en les renvoyant au formulaire officiel, et de 37 % à 8 % pour le Futuroscope. La tournure idéologique, ironique et les nombreuses répétitions dans les commentaires découragent peut-être les directions de consacrer des salariés à ce travail argumentaire impossible, à moins que ce ne soit certaines remarques de visiteurs sur ces réponses perçues comme robotisées. Nous proposons ici cinq des stratégies de réponse qui révèlent, dans la relation entre clients et prestataires touristiques, encore un décalage entre les modes documentarisant, moralisant, fictionnalisant et fabulisant, tous décrits par Roger Odin (2011). Les parcs :
- invitent à ce que les clients règlent eux-mêmes leurs problèmes avec les outils mis à leur disposition ;
- proposent de consommer davantage pour diminuer le stress en profitant davantage du parc grâce aux séjours avec nuitées ;
- rejettent la faute sur les conditions qui ne dépendent pas d’eux ;
- occultent certaines questions comme les politiques tarifaires et ne parlent que de politiques de diversité de gamme ;
- remercient un commentateur sur un point positif en omettant la partie négative du message, récitent mécaniquement leur regret et les intentions du parc alors que le visiteur vient justement d’argumenter pour en démontrer le non-respect.
22Les parcs se maintiennent dans une relation commerciale qui refuse le débat d’idées. Manifestement, les parcs insistent sur une présence mimée comme si une communication humaine pouvait dignement se faire sans message.
23Les différents stades de communication ont révélé des décalages car, comme le conseille Roger Odin (2011), la communication a été perçue comme un problème et non comme « quelque chose d’existant ». Ces décalages sont autant de supports pour des parodies, jeux narratifs et appropriations permis par l’absence de normes stylistiques sur Tripadvisor et qui compensent les difficultés techniques d’organiser un dialogue. Les représentations et les idéologies sont ainsi placées au centre de l’analyse d’une quête déjà idéologique, celle d’un ailleurs, à travers l’univers discursif des parcs à thème rendu complexe par sa double nature inextricablement fictive et spatiale. Les accumulations d’énoncés construisent le phénomène d’évasion. Le partage entre locuteurs est limité par la technique mais les convergences d’intérêts, même si les opinions divergent, émergent clairement.
Références bibliographiques
- Bachelard, G., La Poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, 1957.
- Bryman, A., Disney and his Worlds, New York, Routledge, 1995.
- Bryman, A., The Disneyization of Society, Thousand Oaks, Sage Publications, 2004.
- Clément, T., Plus vrais que nature : les parcs Disney ou l’usage de la fiction dans l’espace et le paysage, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2016.
- Cousin, S., « De l’aventurier au campeur : les mutations du tourisme » (table ronde), Esprit, juillet-août 2016, p. 45-58.
- Debarbieux, B., « Du haut lieu en général et du Mont Blanc en particulier », Espace géographique, no 22, 1993, p. 5-13.
- Frémont, A., « À propos de l’espace vécu », Communications, no 87, 2010, p. 161-169.
- Goffman, E., Les Cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991 [1974].
- Lukas, S., A. (dir.), A Reader in Themed and Immersive Spaces, Pittsburgh, Carnegie Mellon ETC Press, 2016.
- Muchielli, A., « Les modèles de la communication », in Dortier, J.-F. (dir.), La Communication, Auxerre, éditions Sciences humaines, 1998, p. 65-78
- Odin, R., Les Espaces de communication, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2011.
- Ritzer, G., Enchanting a Disenchanted World, Thousand Oaks, Pine Forge Press, 2005
- Urbain, J.-D., Secrets de voyage, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2003.
- Urbain, J.-D., Le Voyage était presque parfait, Paris, Payot & Rivages, 2008.
Mots-clés éditeurs : thématisation, immersion, expérience, parcs à thème
Date de mise en ligne : 03/12/2018
https://doi.org/10.3917/herm.082.0134