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Article de revue

L’incommunication, pour penser la communication diplomatique des ONG de solidarité internationale

Pages 176 à 182

Notes

  • [1]
    Site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : <www.diplomatie.gouv.fr/fr/>.
  • [2]
    Extrait de la présentation d’une rubrique intitulée « Relations avec les organisations de la société civile » : <www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/societe-civile-et-volontariat/relations-avec-les-organisations-de-la-societe-civile/>, page consultée le 13/06/2018.
  • [3]
    Le lobbying, dans le domaine associatif, est plutôt appelé plaidoyer et fait référence à deux activités principales : une communication engageant le public pour faire pression sur les pouvoirs publics et/ou les entreprises, les négociations des ONG avec les pouvoirs publics et/ou les entreprises.
  • [4]
    Pour P. Robert, ce paradoxe est une source d’incommunication ; il nous semble plutôt qu’il soit source d’acommunication quand celui-ci est volontairement mis en œuvre.
  • [5]
    Cette approche philanthropique est cependant plus qu’une stratégie discursive, puisqu’elle est révélée dans les représentations sociales de huit responsables communication d’ONG SI sur les neuf personnes interrogées dans le cadre de notre recherche.

1Comme en témoigne le site France Diplomatie [1], les organisations non gouvernementales de solidarité internationale (ONG SI) sont devenues des acteurs importants des relations internationales : leur association « à la politique de développement est un enjeu majeur pour l’élaboration de stratégies durables et concertées afin de relever les défis contemporains [2] ». On parle volontiers de « diplomatie non gouvernementale » (Rouillé d’Orfeuil, 2006) pour décrire l’influence des ONG sur les normes internationales en matière de lutte contre la pauvreté, de développement durable ou de droits humains. Cette influence diplomatique donne à penser que les ONG de solidarité maîtrisent parfaitement leur communication : capacité à rédiger des revendications communes, art de sensibiliser l’opinion publique notamment via les médias de masse et les médias numériques, maîtrise du lobbying [3], etc. Pourtant, si la communication des ONG SI rencontre certains succès diplomatiques, elle connaît néanmoins des échecs. Dès lors, il convient de proposer un nouveau cadre épistémologique pour penser à la fois les forces et les faiblesses de la communication des ONG SI.

L’apparent succès de la communication diplomatique des ONG SI

2Les ONG SI sont des acteurs majeurs des relations internationales. Qu’elles agissent dans l’humanitaire (Médecins sans frontières [MSF], US Aid), dans le développement (Comité catholique contre la faim et pour le développement [CCFD], Oxford Committee for Famine Relief [Oxfam]) ou dans l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI) – (Centre de recherche et d’information pour le développement [Crid], Centre de formation pour le développement et la solidarité internationale [Iteco]), elles semblent parfois convaincre les institutions. D’une part en s’adressant directement à elles : lobbying et intervention dans les conférences internationales de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; d’autre part en leur mettant la pression par l’engagement de l’opinion publique et par des revendications dans les médias nationaux et internationaux.

Une communication diplomatique « directe »

3Comme le rapporte Sylvie Bukhari-de-Pontual (2009, p. 61), les ONG (associations de droit privé à but non lucratif, indépendantes des États) ont acquis une influence dans les relations internationales grâce à une intense activité communicationnelle : « publications de rapports alternatifs sur l’état du monde, recommandations écrites et orales, rédaction de contre-propositions à l’intention des négociateurs, rencontres informelles avec les représentants des pays les plus riches de la planète (G8) […] activités de plaidoyer auprès des décideurs politiques, opérations commando sous le regard de la presse ou encore constitution de coalitions nationales et internationales ». Cette activité communicationnelle intense est l’apanage bien sûr des ONG environnementales (Greenpeace, World Wide Fund for Nature [WWF]), en première ligne dans les négociations internationales sur le climat, mais aussi d’ONG comme Amnesty International ou Handicap international, qui ont réussi à faire évoluer le droit international (interdiction des mines antipersonnel) et obtenu la création d’une cour pénale internationale, ou bien encore d’ONG de lutte contre les inégalités et la pauvreté (CCFD-Terre solidaire, Secours populaire). C’est d’ailleurs le président de la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale (Coordination Sud), Henri Rouillé d’Orfeuil, qui a forgé le concept de diplomatie non gouvernementale. Pour lui, cette dernière n’est pas une diplomatie parallèle – ce que serait la diplomatie des multinationales – mais une « diplomatie participative » mettant en relation les citoyens et leurs dirigeants. L’objectif de cette diplomatie participative ne serait pas, selon son concepteur, de servir l’intérêt particulier des acteurs de la solidarité internationale, mais de construire un monde solidaire (Rouillé d’Orfeuil, 2006). Pour cela, les ONG SI développent des actions de terrain (financement de projets de développement, formation des acteurs, mise en place de filière de commerce équitable, etc.) mais aussi des actions de communication. Les actions de communication diplomatiques peuvent s’adresser directement aux institutions : les élus et les membres de l’administration, par l’intermédiaire de spécialistes du plaidoyer. Comme les grandes entreprises, ces derniers font du lobbying, qui peut parfois être à l’initiative de plusieurs ONG. Par exemple, Coordination Sud, qui regroupe 160 ONG françaises, est une instance qui permet un échange entre ces ONG et d’adopter, parfois, des positions communes pour négocier – en position de force – avec les pouvoirs publics. De même, la confédération européenne des ONG de développement et d’urgence (Concord) – qui regroupe, selon son directeur, 1 600 ONG à travers l’Union européenne (UE) – a pour but de peser sur les institutions de l’UE afin de veiller à la « qualité et quantité de l’aide publique au développement au niveau européen » (Consolo, 2007, p. 100). Ces activités de lobbying, notamment menées par les acteurs économiques, connaissent des critiques concernant leur manque de transparence. C’est pourquoi les ONG tentent au contraire de rendre publiques leurs actions de « plaidoyer » par des pétitions ou des événements de rue (par exemple la pyramide de chaussures d’Handicap international).

4La communication diplomatique des ONG SI se déploie, comme toute communication diplomatique, dans un espace institutionnel à l’abri des regards citoyens, notamment à travers le lobbying, mais sa spécificité est de s’appuyer sur une communication politique qui se développe sous le regard de tous dans l’espace public. En effet, l’implication des citoyens est un moyen de faire pression sur les institutions, afin de faire évoluer les normes internationales.

Une communication d’influence de l’opinion au service du lobbying

5La communication diplomatique des ONG SI comporte donc un volet grand public. Ces ONG s’adressent au grand public, sans dicter des normes plus contraignantes ou proposer des modes d’action plus efficaces, mais en poursuivant deux objectifs distincts. Le premier, en cohérence avec les principes d’ECSI, est de développer une compétence démocratique (Dewey, 1993) sur la solidarité internationale. Cette forme d’éducation populaire vise un changement des représentations sur les pays du Sud et une participation directe des citoyens à des activités de solidarité internationale. Mais, le plus souvent cet objectif de long terme est occulté par un second, de court terme : rallier l’opinion publique à leurs propositions afin de légitimer leur activité de lobbying et accentuer la pression (soft power). Elles s’adressent alors au grand public pour le mobiliser par la signature de pétitions ou encore l’envoi de cartes postales. Ces campagnes de sensibilisation passent par la négociation d’espace publicitaire dans les grands médias, à l’image de la campagne « Bonne nouvelle : la faim dans le monde est plus facile à guérir qu’à regarder » (Action contre la faim) qui était diffusée sur le petit écran à l’heure des repas. Elles peuvent aussi prendre la forme de communiqués de presse percutants repris par l’ensemble des médias, comme celui de la campagne « Combattre les inégalités, vaincre la pauvreté » qui annonçait, en janvier 2018, le rapport annuel d’Oxfam sur les inégalités. Rapport dont l’affirmation-choc – les 1 % les plus riches possèdent désormais davantage que les 99 % restants – a été reprise internationalement. Elles s’incarnent aussi sur les réseaux sociaux numériques et des sites internet, comme en 2016 où MSF a soutenu la réalisation de plusieurs ateliers de photographie participative dans le camp de Katsikas, en Grèce, afin que les réfugiés témoignent eux-mêmes de leur quotidien en images, et a coorganisé une campagne de mobilisation et d’interpellation autour de la journée mondiale des réfugiés, le 20 juin.

6Cette intense activité communicationnelle n’est pas sans effet diplomatique puisque, sous la pression des ONG SI, des négociations sur des taxes internationales ont vu le jour, des listes officielles de paradis fiscaux ont été constituées, le principe de clauses de sauvegarde quand la santé publique est menacée a été introduit à l’OMC, etc. Mais ces succès relatifs semblent davantage reposer sur des rapports de force (faire pression sur) et l’usage de processus persuasifs (faire agir le public) que sur une communication politique démocratique. On retrouve là la définition que Pascal Robert (2005) donne de l’incommunication : ça marche parce que ça ne marche pas. Plus précisément, c’est bien parce que la communication diplomatique des ONG semble marcher – évolution de normes internationales spécifiques, implication temporaire du grand public – qu’elle ne marche pas – incapacité à changer les orientations politiques fondant les normes internationales, non-développement des compétences démocratiques citoyennes.

Les problèmes de communication des ONG SI

7En s’inscrivant dans l’urgence, propre à la tradition humanitaire, beaucoup d’ONG SI usent plus de la persuasion que du dialogue et ont, à cet égard, recours aux stéréotypes. De plus, malgré l’idéal de solidarité internationale que portent les ONG SI, elles n’arrivent pas à faire changer les institutions d’objectif : le développement. Elles renforcent dès lors la colonialité (Quijano, 1994) au lieu de la combattre.

Une communication grand public renforçant les stéréotypes

8Les ONG SI déploient des actions de communication en vue de construire un monde plus solidaire – une « grande communauté » dirait Dewey (2014). Pour lui, cette dernière demande un prérequis : le développement de compétences démocratiques par la connaissance. C’est là, pour Dewey (2010), la fonction de la communication. Cette approche de la communication permet de mettre en exergue des incohérences des ONG SI. Pour le formuler autrement : elles mettent en visibilité de grands enjeux de société, mais ne contribuent pas toujours au développement des compétences démocratiques sur ces sujets. Par exemple, la faim dans le monde est souvent expliquée de façon assez simpliste et court-termiste – pauvreté, catastrophes naturelles – sans mettre l’accent sur les causes structurelles (disparition progressive de l’agriculture vivrière, creusement des inégalités). En effet, la plupart des ONG SI se situent dans un schème communicationnel basé sur la transmission et la persuasion. Or, transmettre n’est pas communiquer, si l’on appréhende la communication comme une relation, une production collective (Mucchielli, 2000) et non pas comme un processus linéaire d’un producteur vers un récepteur. De même, persuader, c’est amener l’autre à penser comme soi et cela revient à nier la différence. Persuader, c’est aussi, trop souvent, vouloir limiter les interprétations possibles, et donc l’esprit critique. Ainsi, la communication transmissive ou persuasive (ce que Dacheux et Duracka, 2017, nomment, à la suite de L. Quéré, le modèle épistémologique de la communication) s’inscrit dans le temps court de l’émotion amenant les ONG SI à s’appuyer sur des stéréotypes (l’enfant maigre en danger) pour provoquer l’adhésion. Cela entre en contradiction avec la mission qu’elle se donne : changer les représentations et les comportements.

9Cette domination du modèle épistémologique dans la communication des ONG SI s’explique sans doute par la croyance, très largement partagée dans le monde social et académique, que la communication, au sens d’intercompréhension, doit être la norme (Wolton, 1997). Les pratiques dérivent alors, nous venons de le voir, vers la transmission (il suffit d’exprimer pour se comprendre) et la persuasion (pas de place pour le désaccord). En voulant être comprises du plus grand nombre, les ONG SI en viennent à user de moyens contradictoires (la communication marketing) avec les fins recherchées (le développement de compétences démocratiques). D’où un écart entre ce qui est dit et la façon dont cela est dit [4]. Par exemple, lorsque les associations promeuvent la dignité humaine sans la respecter (usages d’images dégradantes), lorsqu’elles s’inscrivent dans une démarche d’ECSI en même temps qu’elles usent d’une communication simpliste basée sur des stéréotypes (le Sud ne peut pas s’en sortir sans l’aide du Nord), ou encore quand elles prônent la participation, l’engagement de long terme, par des messages persuasifs suscitant une émotion de court terme. Cette double contradiction entre la fin (politique) et les moyens (marchands) d’une part, et le dire (complexe) et la manière de le dire (simpliste) explique pourquoi les ONG-SI, fortement marquées par la puissance communicationnelle de leur branche humanitaire, tendent à enfermer l’altérité dans son statut de victime et à transformer cette victime en une image pour vendre la cause défendue (Mesnard, 2002). Cette communication grand public semble alors être contre-productive à la construction d’un monde solidaire (Rouillé d’Orfeuil, 2006). En d’autres termes, contrairement au schéma simpliste qui expliquerait le succès – tout relatif, nous allons le voir – de la communication diplomatique des ONG SI auprès des institutions internationales par la maîtrise de leur communication grand public, nous pensons, que l’explication réside dans l’incommunication. Pour revenir au propos de Pascal Robert, la communication des ONG SI auprès des citoyens, « ça marche parce que ça ne marche pas et ça ne marche pas parce que ça marche » (Robert, 2005, p. 10). Elle fonctionne précisément parce qu’il n’y a pas besoin de communiquer, c’est-à-dire quand on reste dans les évidences ou les stéréotypes. Elle atteint son objectif de court terme (l’adhésion financière) parce qu’elle n’atteint pas son objectif de long terme (l’engagement politique).

Une communication vis-à-vis des institutions renforçant la colonialité

10Dans l’espace public, la communication des ONG SI marche parce qu’elle ne marche pas. C’est exactement la même chose dans les espaces politiques propres à la diplomatie internationale. Le lobbying des ONG est efficace (pour infléchir les normes) parce qu’il est impuissant (à remettre en cause les orientations politiques fondant ces normes). Précisons que le lobbying (vestibule en anglais) peut être défini comme « une action de pression exercée par un groupe d’intérêt à l’égard d’un ou de plusieurs représentants des pouvoirs publics » (Libaert et Pierlot, 2009, p. 57), se faisant dans les couloirs des institutions. Le lobbying, même associatif, semble assez éloigné d’une communication politique démocratique : « un processus symbolique complexe et ambivalent qui vise, par des moyens rationnels et non rationnels, à faciliter la confrontation d’opinions contradictoires dans l’espace public » entre altérités libres et égales (Dacheux, 2016, p. 104). En utilisant les mêmes armes que les multinationales, qui sont entendues des institutions internationales habituées à ces pratiques, les ONG SI s’éloignent de l’idéal démocratique citoyen qu’elles sont censées incarner. Leur succès est également ambigu sur le fond. Pour être entendues, elles doivent parler le langage des institutions. D’où, sans doute, une tendance lourde à s’inscrire dans une approche philanthropique [5], propre à l’humanitaire (Freyss, 2004). Cette approche philanthropique, qui correspond aux rapports asymétriques de l’ordre international où les pays du Nord consentent à aider les pays du Sud, renforce ce que certains intellectuels du Sud (Grosfoguel, 2006 ; Quijano, 1994) nomment la colonialité (la persistance de l’esprit colonial, après la colonisation). Cette confusion solidarité/aide est, par exemple, particulièrement explicite dans le logo de l’ONG Solidarités internationales dont la baseline est « Aidons plus loin ». Cet ancrage philanthropique de nombreuses ONG SI est pourtant en contradiction avec l’idéal qu’elles portent. En effet, faire référence à la solidarité internationale, c’est s’inscrire dans une relation d’égalité. Or, les ONG SI s’éloignent de cet idéal lorsque, par exemple, elles reprennent le terme « développement » des institutions en en faisant un objectif à atteindre. Même s’il ne s’agit plus, comme dans le passé, d’assister mais de rendre autonome autrui, l’idée même de développement suppose un modèle à suivre, un retard à combler, une seule et unique façon (occidentale) de parvenir au bien-être (Rist, 2001). Par ailleurs, des ONG du Nord tendent trop souvent à prendre la parole au nom de citoyens du Sud. Or l’enjeu d’une approche décoloniale pourrait être, au contraire, de mettre en dialogue et de respecter les capacités de choix et d’action de chacun. En effet, puisqu’on ne se comprend jamais tout à fait soi-même, il est peu probable de comprendre complètement un autre que soi (Robert, 2005 ; Wolton, 2009), d’autant plus dans un contexte international. Cette impossibilité de croire en l’intercompréhension nous conduit, ici aussi, à l’incommunication (Lepastier, 2013). En effet, cette dernière nous amène non seulement à remettre en cause le modèle persuasif de la communication utilisé dans les espaces publics nationaux, mais aussi et surtout à remettre en cause ce modèle dans les espaces politiques internationaux. Dans ces derniers, croire en l’intercompréhension, en une communication universelle simple et transparente assurée par les traducteurs des agences onusiennes, ne permet pas de prendre pleinement en compte les altérités radicales révélées par la solidarité internationale. La solidarité internationale ne met pas seulement en lien des individus parlant des langues différentes, elle met en jeu des ontologies – des façons d’être au monde – différentes. C’est pourquoi, l’incommunication devrait être autant un paradigme communicationnel pour les acteurs de la solidarité internationale dans l’espace public français que le socle sur lequel se bâtissent les relations de solidarité internationale : comprendre qu’on ne se comprend pas tout à fait et respecter cette altérité est en effet un moyen de cohabiter, voire de construire un monde pluriversel (Glissant, 1997).

11Le relatif succès diplomatique des ONG SI s’explique en partie par leur inscription dans un modèle communicationnel persuasif, efficace à court terme seulement. Mais cette efficacité ne doit pas cacher une réelle impuissance à changer les comportements des citoyens et à faire évoluer les paradigmes politico-économiques fondant l’action des institutions internationales. En réalité, comme nous avons essayé de le montrer, ces deux phénomènes sont liés : la condition d’efficacité de la communication diplomatique des ONG SI est son inscription dans une vision persuasive et intercompréhensive de la communication. Or, cette inscription même renforce les stéréotypes et entretient une approche internationale emprunte de colonialité. En ce sens, on ne peut pas dire que la communication diplomatique des ONG SI contribue à la construction de ce monde solidaire qu’elles réclament. C’est pourquoi il semble nécessaire de changer de paradigme. Quitter le modèle épistémologique de la communication (persuasif et intercompréhensif) au profit du modèle de l’incommunication (Dacheux et Duracka, 2017). L’incommunication pourrait être, en effet, une autre manière, plus féconde, d’envisager une complémentarité entre la communication grand public – qui ne peut être réduite à une communication marketing – et la communication auprès des institutions – qui devrait être décoloniale – de façon à fonder cette diplomatie non gouvernementale participative (Rouillé d’Orfeuil, 2006) cohérente avec l’idéal de solidarité internationale.

12Appréhendée comme incommunication, la communication diplomatique des ONG SI devient alors une enquête (au sens de Dewey), une recherche-action continue ne pouvant se satisfaire de modèles préétablis. C’est donc bien l’étonnement, le paradoxe, l’incompréhension d’un monde de plus en plus inégalitaire qui invitent à mener l’enquête, à s’inscrire dans une pensée réflexive sur la solidarité internationale. En dépassant les évidences sociales, les habitudes, on génère de l’incommunication mais surtout de la réflexion. C’est donc quand la communication diplomatique des ONG SI ne semblera pas fonctionner qu’elle pourrait au contraire marcher (Robert, 2017).

Références bibliographiques

  • Bukhari-de-Pontual, S., « ONG et évolutions du droit international », Projet, n° 313, 2009, p. 61-69.
  • Consolo, O., « Concord, la confédération européenne des ONG de développement et d’urgence », in Coordination Sud, Diplomatie non gouvernementale, Paris, Coordination sud, 2007, p. 98-103.
  • Dacheux, E., « Du consentement à la délibération : une critique communicationnelle du marketing politique », Communiquer. Revue de communication sociale et publique, n° 16, 2016, p. 85-110.
  • Dacheux, E. et Duracka, N., « Sur quels modèles théoriques une approche communicationnelle en sciences sociales peut-elle s’appuyer ? » ESSACHESS – Journal for Communication Studies, vol. 10, n° 2(20), 2017, p. 207-222.
  • Dewey, J., Logique : la théorie de l’enquête, Paris, Presses universitaires de France, 1993.
  • Dewey, J., Le Public et ses problèmes, Paris, Gallimard, 2010.
  • Dewey, J., L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2014.
  • Freyss, J., « La solidarité internationale, une profession ? », Revue Tiers Monde, n° 180, 2004, p. 735-772.
  • Glissant, E., Traité du tout-monde, Paris, Gallimard, 1997.
  • Grosfoguel, R., « Les implications des altérités épistémiques dans la redéfinition du capitalisme global : transmodernité, pensée frontalière et colonialité globale », Multitudes, 2006, vol. 26, n° 3, p. 51-74.
  • Laville, J.-L., Politique de l’association, Paris, Seuil, 2010.
  • Libaert, T. et Pierlot, J.-M., Communication des associations, Paris, Dunod, 2009.
  • Lepastier, S. (dir.), L’Incommunication, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2013.
  • Mesnard, P., La Victime écran : la représentation humanitaire en question, Paris, Textuel, 2002.
  • Mucchielli, A., La Nouvelle Communication : épistémologie des sciences de l’information-communication, Paris, Armand Colin, 2000.
  • Quijano, A., « Colonialité du pouvoir et démocratie en Amérique latine », Multitudes [en ligne], juin 1994. En ligne sur : <www.multitudes.net/Colonialite-du-pouvoir-et/>, page consultée le 13/06/2018.
  • Rist, G., Le Développement : histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références inédites », 2001 [2e éd.].
  • Robert, P., « De la communication à l’incommunication ? », Communication et langages n° 146, 2005, p. 3-18.
  • Robert, P., De l’incommunication au miroir de la bande dessinée, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2017.
  • Rouillé d’Orfeuil, H., La Diplomatie non gouvernementale, Ivry, L’Atelier, 2006.
  • Wolton, D., Penser la communication, Paris, Flammarion, 1997.
  • Wolton, D., Informer n’est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009.

Mots-clés éditeurs : ONG, communication diplomatique, incommunication, solidarité internationale

Date de mise en ligne : 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0176

Notes

  • [1]
    Site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : <www.diplomatie.gouv.fr/fr/>.
  • [2]
    Extrait de la présentation d’une rubrique intitulée « Relations avec les organisations de la société civile » : <www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/societe-civile-et-volontariat/relations-avec-les-organisations-de-la-societe-civile/>, page consultée le 13/06/2018.
  • [3]
    Le lobbying, dans le domaine associatif, est plutôt appelé plaidoyer et fait référence à deux activités principales : une communication engageant le public pour faire pression sur les pouvoirs publics et/ou les entreprises, les négociations des ONG avec les pouvoirs publics et/ou les entreprises.
  • [4]
    Pour P. Robert, ce paradoxe est une source d’incommunication ; il nous semble plutôt qu’il soit source d’acommunication quand celui-ci est volontairement mis en œuvre.
  • [5]
    Cette approche philanthropique est cependant plus qu’une stratégie discursive, puisqu’elle est révélée dans les représentations sociales de huit responsables communication d’ONG SI sur les neuf personnes interrogées dans le cadre de notre recherche.

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