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Article de revue

Inscrire la diplomatique intellectuelle dans une capacité d’agir : l’Unesco et l’argument des think tanks

Pages 158 à 165

Notes

1Le onzième numéro de la collection de notes courtes « Q&R » de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) intègre un article consacré au « “Soft Power” de la culture », qu’il définit ainsi : « Le “soft power”, ou diplomatie culturelle, cherche à favoriser les échanges de vues et d’idées, à encourager une meilleure connaissance des autres cultures et à jeter des passerelles entre les communautés. » Cette définition, foncièrement idéaliste, met de côté le caractère stratégique des pratiques diplomatiques liées au soft power qui visent in fine la défense d’intérêts nationaux à travers la poursuite d’objectifs économiques ou idéo logiques. C’est avec les travaux de Nye sur le soft power que la culture a été promue par de nombreux politologues au rang de ressource et de levier d’influence dans les relations internationales, qu’elles soient interétatiques ou qu’elles impliquent des acteurs institutionnels non étatiques ou interétatiques, comme les organisations internationales. Parce qu’il valorise la dimension communicationnelle du pouvoir au détriment de ses ressources traditionnelles comme l’usage de la force militaire, le soft power est associé à l’idée d’une pacification des relations internationales, faisant écho à la raison d’être de l’Unesco :

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Dans un monde fragile, les accords entre États ne suffisent pas à instaurer la paix durable. La paix doit s’appuyer sur le respect des droits et de la dignité humaine, sur la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. Le travail de l’Unesco est d’agir sur les mentalités pour encourager le dialogue et la compréhension mutuelle [1].

3Faisant écho à son acte constitutif entré en vigueur en 1946, c’est-à-dire plus de trois décennies avant les travaux de Nye, les discours de l’Unesco semblent bien parler de ce qui sera qualifié plus tard de soft power. Une différence persiste cependant. Les discours de l’Unesco n’évoquent pas explicitement l’acception traditionnelle du soft power comme outil alternatif dont disposent les acteurs les plus faibles pour développer des stratégies d’influence et promouvoir leur agenda. Ils se contentent d’assimiler le soft power à un levier fondamental, voire exclusif, de pacification des relations internationales :

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Le hard power ne suffit pas. Pour promouvoir la paix, on a aussi besoin du soft power, éducation, liberté d’expression, dialogue interculturel.
(Irina Bokova, conférence publique prononcée à la LSE de Londres, juin 2016)

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L’Unesco met au service de la paix le soft power de la persuasion.
(conférence Unesco sur l’autonomisation et le leadership des femmes, juin 2017)

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L’éducation est le plus fabuleux des soft power au service de la paix. (conférence sur l’éducation en marge de la 72e session des Nations unies, septembre 2017) L’Unesco, acteur-clé sur l’agenda du soft power.
(Irina Bokova, université italienne de la Bocconi, 2017) [2]

7Dans ces différentes conférences et événements, l’Unesco est présentée comme étant experte et garante du soft power : elle serait un lieu privilégié de rencontre pour les acteurs internationaux, au sens large, dont le souhait est de participer aux affaires du monde en privilégiant la discussion au sens noble du terme.

8De façon paradoxale, le recours à l’argument du soft power renforce la dimension intellectuelle de cette organisation internationale, descendante de l’Institut international de coopération culturelle de la Société des Nations (SDN), et dont elle reprendra une partie des objectifs et des archives (Renoliet, 1999). Il rassure des États inquiets quant au périmètre limité de ses actions et à l’innocuité de ses moyens. Cette tension a été soulignée par la nouvelle directrice de l’Unesco, Audrey Azoulay, qui appelait à ne pas être « naïfs sur l’usage du soft power et sur les valeurs véhiculées [3] » dans un entretien au magazine Challenges.

9La revendication d’une expertise sur les questions diplomatiques culturelles amène l’organisation à se présenter sur son site internet, comme un « laboratoire d’idées […] qui fixe des normes internationales et mène des programmes de coopération pour accélérer la connaissance réciproque des cultures, la libre circulation des savoirs et l’éducation de qualité pour tous [4]. » Si la version en langue anglaise du site évoque elle aussi l’idée que cette organisation servirait de laboratoire d’idées : « serving as laboratory of ideas », le texte russe précise quant à lui que « l’Unesco agit en qualité de laboratoire d’idées », alors que le texte chinois présente l’Unesco comme le creuset de la réflexion de l’Organisation des Nations unies (ONU) – éléments disparaissant uniquement dans les présentations nettement plus succinctes en espagnol et en arabe.

10Si l’Unesco entend jouer un rôle de laboratoire d’idées dans la poursuite de ses objectifs fondamentaux, elle s’entoure pour ce faire d’un ensemble d’acteurs, qu’elle réunit notamment lors d’événements. Parmi ces acteurs, l’expression « think tank » semble désigner de façon uniforme des acteurs hétéroclites en termes de formes juridiques, de modes de fonctionnement et de gouvernance, mais aussi de projet politique et de stratégies d’influence. La mention des think tanks, présentés comme des parties prenantes organiques pour l’Unesco sur son site internet laisse apparaître une volonté pour l’organisation de montrer sa capacité à créer du dialogue. Ces objectifs communicationnels qui l’amènent d’ailleurs elle-même à se désigner parfois comme un think tank.

11Cet article se propose d’analyser l’ambiguïté épistémique autour de la représentation du rôle de l’Unesco et d’une nébuleuse d’organisations regroupées par elle sous l’appellation « think tanks ». Il décrit aussi un écosystème dont le point de rencontre est la défense d’un modèle démocratique de gouvernance amenant in fine l’avènement de sociétés civiles pluralistes et éclairées, au sens d’éduquées et dynamiques en termes de participation politique.

La diplomatie intellectuelle des think tanks : un modèle d’action pour la diffusion des connaissances

12Partant du constat d’une confusion sémantique entre les diverses instances productrices d’idées et l’emploi de l’expression « think tanks » dans la description que l’Unesco fait d’elle-même, les significations données à cette dénomination et ce label par et dans le cadre de l’Unesco sont édifiantes, quand bien même une grande partie de la centaine d’occurrences relevées sur le site provient de documents que cette organisation internationale n’a pas produits, mais qu’elle se contente de mettre en visibilité.

13Au-delà de la mission symbolique de l’Unesco de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes », ses compétences principales relèvent autant de la gestion de projets que de la médiation des savoirs (Rondot, 2015a). L’organisation est un lieu de rencontre pour d’autres experts, venant dans son cadre échanger et participer à la production d’un ensemble de connaissances, mais elle entend aussi être reconnue pour produire des connaissances, grâce aux experts de ses propres grands programmes. Son site internet incarne cette double compétence : il permet à la fois de médier (au sens de médiation) et de médiatiser des connaissances. Aussi est-il un objet particulièrement propice à l’observation de la manifestation du soft power de l’Unesco : il en est à la fois la preuve et l’argument. Une preuve, parce qu’il permet à l’organisation de valoriser ses actions sur la scène internationale ; un argument, parce qu’il montre le caractère incommensurable et unique de ses ressources propres, notamment son pouvoir de mobilisation. À cet égard, le dispositif investi, un site internet, joue un rôle important de mise en scène de la performance de l’organisation. Il lui permet de s’appuyer à la fois sur des propriétés techniques (stockage a priori illimité, évolutivité, multilinguisme, etc.) et d’être associée aux valeurs du numérique : liberté, émancipation, réduction des distances physiques, etc.

14L’expression « think tank » dans l’espace des pages du site internet de l’Unesco permet à l’organisation de se mettre en scène en chef d’orchestre de la diplomatie intellectuelle définie par Thierry de Montbrial comme « une forme non structurée de track 2 diplomacy », soit l’occasion d’une démonstration du talent des think tankers pour l’échange avec leurs homologues, mais aussi avec les diplomates et des forces qualifiées « d’opposition » (Montbrial, 2011, p. 16). Évoquer les think tanks permet de convoquer des images laudatives : rigueur scientifique, débat, innovation, production de connaissances socialement utiles, mais aussi engagement dynamique sur le terrain d’une « guerre des idées », une expression violente peu compatible avec le soft power.

15La plupart des références aux think tanks sur le site de l’Unesco sont insérées dans des documents produits dans le cadre de manifestations ou de programmes précis. Les think tanks y apparaissent le plus souvent dans des listes, au sein desquelles ils sont mis dans une forme d’équivalence avec un ensemble hétéroclite d’acteurs : « diplomates et représentants de diverses agences gouvernementales, organismes de recherche, think tanks, éducateurs, groupements d’intérêts de fermiers, ONGs, agences onusiennes régionales [5]. » Dans le programme d’événements, leur présence vient démontrer la capacité de l’Unesco à mobiliser nombre d’acteurs réputés importants, étatiques ou non. Rappelée au sein de documents de synthèse, elle apporte une forme de vernis polyphonique aux discours de l’organisation et de caution externe à ses discours. Le dire d’experts vient alors démontrer la capacité de l’organisation à s’ouvrir aux spécialistes les plus pointus sur un sujet. En outre, grâce à l’exclusion des think tanks de la catégorie floue des « autres acteurs de la société civile », ces derniers existent avec autant d’intensité que les acteurs historiques de la diplomatie, ce qui revient à institutionnaliser leur rôle dans les stratégies de soft power de l’Unesco et indirectement à accréditer le caractère de label recherché de cette dénomination.

16Quand ils sont définis dans le corps de documents qui traitent d’eux spécifiquement, les think tanks sont caractérisés par leur capacité à agir dans un contexte complexe. Le Rapport mondial pour les sciences sociales de 2010 (Unesco, 2010) apporte ici un témoignage éclairant, à travers une sous-partie d’un chapitre consacré aux « Knowledge brokers and think-tanks », titré en français « Médiateurs du savoir et laboratoires d’idées (Think tanks) ». Deux articles écrits par des chercheurs viennent constituer cette sous-partie : « Les sciences sociales en dehors de leur tour d’ivoire : le rôle des think tanks et de la société civile [6] » par Helmut Anheier, présenté comme docteur de l’université de Yale et doyen de la Hertie School of Governance ; et « L’effondrement de l’espace séparant les universités et les think tanks » de Thomas Asher et Nicolas Guilhot, respectivement responsable de programmes au Social Science Research Council de New York et chercheur au CNRS. Parce qu’ils sont écrits par des universitaires, ces articles se veulent légitimes dans leur discours de dénigrement de la recherche académique et d’appel à la production de savoirs utiles parce que résolument axiologiques et inscrits dans des systèmes de compétition pour obtenir l’attention des membres des cercles décisionnels et des journalistes. Les médias traditionnels restent en effet perçus comme de puissantes chambres d’écho. Les think tanks seraient légitimés en tant que producteurs d’idées innovantes, parce que leur forme organisationnelle est atypique et permet une grande diversité des formes de rattachement, d’engagement et de participation, des modalités d’écriture collégiale, la diversité des régimes discursifs, des stratégiques rhétoriques et des formats éditoriaux. Cet argument est réapproprié par l’Unesco lorsqu’elle se présente en ces termes :

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Afin de contribuer à l’élaboration de politiques publiques susceptibles de mieux répondre aux mutations de nos sociétés, le secteur des sciences sociales et humaines de l’Unesco agit comme un véritable Think-tank pour les nations, s’efforçant d’associer tous les acteurs concernés par ses actions à leur conception et leur mise en œuvre [7].

18L’utilisation des expressions qualificatives « think tank » et « laboratoire d’idées » pour décrire l’Unesco pourrait relever d’une simple confusion sémantique opportuniste doublée d’une indécision orthographique (variabilité du tiret et de la majuscule). Cette utilisation vient mettre sur un pied d’équivalence deux objets totalement différents et, de façon transversale, traduit une modalité particulière de l’action publique internationale. Grâce aux think tanks, l’organisation montre sa capacité à réunir – et donc à régir – au sein d’un système politique complexe parce que comprenant des acteurs étatiques et non étatiques. En s’arrogeant le droit de se décrire elle-même comme un think tank ou comme un laboratoire d’idées, elle montre sa capacité à agir et réinvente la dimension axiologique de son action. L’Unesco doit montrer qu’elle est active en s’appuyant sur ses valeurs universalistes et sur ses missions hautement symboliques, définies dans son Acte constitutif (Rondot, 2015b). L’effet de synecdoque par lequel l’Unesco prétend être un think tank possède une puissance rhétorique par laquelle est implicitement rappelée la dimension agissante d’une organisation assaillie par les critiques : immobilisme, inefficacité, opacité, politisation, etc.

19Par ailleurs, si l’expression think tank a été très présente dans les discours de l’Unesco jusqu’en 2010, elle se fait plus sporadique depuis. Elle a même disparu des rapports mondiaux sur les sciences sociales et humaines. Cette disparition peut être rapportée à l’aune des relations compliquées entre les États-Unis et l’Unesco. En 2010, les États-Unis – soit un pays démocratique corporatiste qui s’enorgueillit de ses think tanks, nombreux, dynamiques et influents – ont suspendu leurs financements de l’Unesco. Le discours longtemps dominant qui valorisa les think tanks pourrait avoir été lié à des référentiels politiques états-uniens, aujourd’hui contestés.

Des relations diplomatiques organiques de légitimation mutuelle

20Dans la lignée des travaux de Kerlstrup (2016) qui questionnent la catégorie hétérogène d’organisations regroupées sous l’appellation « think tank », on observe des ambiguïtés entre les fonctions politiques et sociales assignées aux think tanks par les journalistes et les membres des noyaux décisionnels politiques, et celles qu’ils revendiquent. Ces organisations pérennes qui produisent et publicisent des analyses et des propositions politiques plaident la rigueur de leurs méthodologies, une certaine autonomie financière ainsi que leur indépendance intellectuelle vis-à-vis de la puissance publique, des intérêts particuliers, et des corps intermédiaires (partis politiques, entreprises, syndicats). Leur stratégie de légitimation en tant que fournisseurs d’analyses de fond, d’idées nouvelles et de propositions pertinentes et opérationnelles trouve son socle dans le dynamisme de leur activité de publication d’une grande diversité de documents (rapports, notes). Diffusés via de nombreux dispositifs (papier, web, médias sociaux), ces documents circulent dans un espace médiatique qui méconnait les frontières nationales. Ils participent de facto au rayonnement intellectuel de leurs pays d’implantation. Des chercheurs rattachés à un think tank australien, l’Institut d’études des affaires internationales (AIIA), ont plaidé de manière très intéressée le rôle diplomatique crucial des think tanks dans un monde multi-centré. Ils évoquent leurs activités de médiation dans le cadre de négociations, de collecte d’informations sur des thématiques et des terrains internationaux, les liens qu’ils tissent avec leurs homologues étrangers, notamment à travers des coopérations transnationales, et leurs efforts de diffusion de leurs idées à un public élargi au-delà du périmètre des frontières nationales : décideurs politiques et simples citoyens (Tyler et al., 2017). Les think tanks sont aussi actifs en termes de diplomatie parallèle, ce qui renforce indirectement le soft power des Étatsnations. La participation de think tanks à des événements ou des groupes de travail de l’Unesco peut en ce sens être analysée comme une stratégie cohérente de prolongation de leurs activités diplomatiques. Ils peuvent se présenter comme des fournisseurs d’une expertise technique, des porte-parole officieux de leurs États, et parfois aussi comme des acteurs politiques engagés. L’organisation leur offre une arène pour faire entendre leurs voix, mais encore, elle les cite abondamment, qu’ils soient ou non les ventriloques (Cooren, 2012) officiels ou officieux de la diplomatie de leurs pays.

21En sollicitant la présence de représentants de think tanks à ses très nombreuses formes d’activités (groupes de travail, commissions thématiques, conférences), l’Unesco peut leur déléguer un rôle actif important et consensuel de relais de diffusion, voire de mise en œuvre de certaines de ses idées et projets. Ensuite, elle manifeste la diversification de ses sources d’information, et bénéficie d’une forme de report d’autorité des think tanks vers elle. Dans un contexte marqué par la diffusion de fake news et de faits « alternatifs » à des fins stratégiques, et de crise de l’autorité des médias traditionnels, les think tanks revendiquent objectivité et rigueur, faisant ainsi figure d’institutions providentielles pour asseoir l’autorité d’un discours, et ce en dépit de leur capacité à manier ce que Oyvind Ihlen (2015) appelle une « rhétorique de persuasion » qui trouve sa force dans les symboles et les affects. Si la plupart des journalistes affirment avoir du recul sur les écrits qu’ils reçoivent de la part des chargés de communication des entreprises (Kochhar, 2018), une poignée d’entre eux seulement questionne la catégorie et l’appellation « think tanks » ou va jusqu’à critiquer des productions des think tanks en termes de rigueur épistémologique, d’objectivité et d’instrumentalisation par des intérêts privés ou des élus. Dans la sphère académique au contraire, Diane Stone (2007) compare les think tanks à des « poubelles de recyclage à idées », Martin Thunert (2000) montre leurs liens organiques avec des partis et syndicats. D’autres chercheurs ont prouvé la surreprésentation des partisans de l’idéologie néolibérale et des politiques dites d’austérité parmi les rangs de think tanks financés par le secteur philanthropique (Plehwe et al., 2018). Si ce discours critique sur les think tanks reste largement méconnu du grand public, leur participation aux activités de l’Unesco renforce l’image d’une organisation au service de la diffusion des produits de la recherche.

22De manière plus subtile, le caractère organique du lien entre l’Unesco et les think tanks permet à cette organisation internationale de manifester son ouverture à une grande diversité d’acteurs, et notamment ceux de la société civile censés incarner la modernité et le pluralisme démocratique. La possibilité de leur existence et la multiplication de leur nombre ont été analysées comme des indices de développement démocratique des pays (McGann et Weaver, 2000), ce qui occulte la diversité de leurs formes organisationnelles et les enjeux politiques qu’ils cristallisent, notamment que des régimes autoritaires puissent créer des think tanks sur lesquels s’appuyer dans le cadre de stratégies d’influence relevant du soft power. Ces analyses achoppent encore sur la diminution de la présence de think tanks américains aux événements de l’Unesco de manière proportionnelle au désengagement financier, puis au départ des États-Unis.

23Le caractère organique des relations entre l’Unesco et les think tanks procède du renforcement mutuel de leur autorité en tant qu’institutions savantes, mais ouvertes aux voix citoyennes, impliquées mais non politisées, innovantes et pourtant porteuses de valeurs universelles comme l’éducation, la connaissance, la paix, le pluralisme. L’analyse discursive des formes énonciatives et des stratégies rhétoriques présentes sur le site internet de l’Unesco montre que cette organisation promeut une représentation dépolitisée des think tanks comme des primus inter pares de la société civile, travaillant de manière rigoureuse et objective à la production et la diffusion d’idées politiques immédiatement applicables. Empruntant des pratiques d’écriture de la recherche autant que de l’influence politique, ils doivent se présenter comme apolitiques pour prétendre à un statut d’expert indépendant (Jezierska, 2018). En retour, par la simple évocation de leur participation à toute une série d’événements, les think tanks joueraient un rôle passif de promotion d’un certain modèle de démocratie pluraliste, ce qui fait partie des objectifs les plus sensibles de l’Unesco dans la mesure où cette organisation accueille parmi ses membres des pays aux régimes politiques variés. Au-delà du gommage des caractères subtilement prescriptifs (Desmoulins et Seignobos, 2017) et engagés des écrits publiés par les think tanks, l’absence de visibilité individuelle des think tankers dans les programmes des événements dénote un attrait limité pour leur apport intellectuel spécifique. Leur présence semble davantage relever d’un effet rhétorique et argumentatif et d’une opportunité de capitaliser sur les représentations qui leur sont associées : entre expertise et action. Ce duo d’arguments est judicieux pour médiatiser l’utilité de l’organisation et éviter ainsi le risque d’insignifiance (Devin et Smouts, 2011).

Références bibliographiques

  • Conley, T. M., Matthews, R. et Brockhurst, E., « Think Tank Diplomacy », Brill Research Perspectives in Diplomacy and Foreign Policy, vol. 2, n° 3, 2017, p. 1-96. DOI : 10.1163/24056006-12340007
  • Cooren, F., « Communication Theory at the Center. Ventriloquism and the Communicative Constitution of Reality », Journal of Communication, vol. 62, n° 1, 2012, p. 1-20.
  • Desmoulins, L. et Seignobos, E., « L’auctorialité d’un think tank dans son art délicat du lobbying : la prescription d’un certain modèle mutualiste par l’Institut Montaigne », Études de communication, n° 49 [à paraître].
  • Devin, G. et Smouts, M-C., Les Organisations internationales, Paris, Armand Colin, 2011.
  • Ihlen, Ø., « Critical Rhetoric and Public Relations », in L’Etang, J., McKie, D., Snow, N. et Xifra, J. (dir.), Routledge Handbook of Critical Public Relations, Londres, Routledge, 2015 p. 90-100.
  • Jezierska, K., « Performing Independence. The Apolitical Image of Polish Think Tanks », Europe-Asia Studies, vol. 70, n° 3, 2018, p. 345-364. DOI : 10.1080/09668136.2018.1447648
  • Kelstrup, J. D., The Politics of Think Tanks in Europe, Londres, Routledge, 2016.
  • Kochhar S. (dir.), The Top 10 Public Relations Insights of 2017. The Institute for Public Relations board of trustees, IPR [en ligne], 18 fév. 2018. En ligne sur : <http://instituteforpr.org/top-11-public-relationsresearch-insights-2017/>, page consultée le 06/06/2018.
  • McGann, J. G. et Weaver, R. K. (dir.), Think tanks & Civil Societies : Catalysts for Ideas and Action, Piscataway, Transaction, 2000.
  • Montbrial, T. (de), « Qu’est-ce qu’un think tank ? », version révisée d’une communication à l’Académie des sciences morales et politiques, le 28 février 2011. En ligne sur : <www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/questcequunthinktankdiscoursasmpdef.pdf>, page consultée le 06/06/2018.
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  • Renoliet, J.-J., L’Unesco oubliée. La Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
  • Rondot, C., Représenter et incarner une organisation internationale : analyse d’une prétention communicationnelle sur le site internet de l’Unesco, thèse de Doctorat soutenue à l’université Paris-Sorbonne, Celsa, 2015a.
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  • Stone, D., « Recycling bins, Garbage Cans or Think Tanks ? Three Myths Regarding Policy Analysis Institutes », Public Administration, vol. 85, n° 2, 2007, p. 259-278.
  • Thunert, M., « Players Beyond Borders ? German Think Tanks as Catalysts of Internationalisation », Global Society, vol. 14, n° 2, 2000, p. 191-211. En ligne sur : <http://doi.org/10.1080/13600820050008449>, page consultée le 06/06/2018.
  • Unesco, Rapport mondial sur les sciences sociales, Paris, Unesco, 2010.

Mots-clés éditeurs : Unesco, diplomatie intellectuelle, think tanks, influence, soft power, diplomatie culturelle

Date de mise en ligne : 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0158

Notes

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