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Article de revue

La responsabilité sociale des entreprises, entre discours diplomatique et publicitaire

Pages 94 à 100

Notes

  • [1]
    En fonction des cas, d’autres types de discours peuvent être mobilisés : communications scientifiques, engagements politiques, etc. Nous allons nous focaliser ici sur l’étude des discours diplomatiques et publicitaires.
  • [2]
    Nous prenons ces deux types de discours à titre d’exemple des présupposés et des rapports sociaux induits par les mix discursifs. En outre, nous ne suggérons pas que les auteurs des communications RSE s’inspirent consciemment des discours diplomatiques et publicitaires, mais que certaines de leurs caractéristiques sont devenues des spécificités du genre RSE.
  • [3]
    Par exemple, exploiter de manière intensive un site est susceptible d’améliorer la richesse et les conditions de vie d’une communauté locale tout en ayant des effets néfastes sur l’environnement, payer des impôts peut être interprété comme une contribution à la richesse nationale ou comme un remboursement des frais d’infrastructure sociale et technologique mise à disposition des entreprises par l’État, etc. Autrement dit, au sein d’une société, la frontière entre intérêt public et privé est négociée en permanence.
  • [4]
    Les sites web ont été consultés entre mars et juin 2018.
  • [5]
    En même temps, ces deux groupes ont fait l’objet de deux émissions critiques Cash Investigation portant sur certaines de leurs pratiques moins éthiques.
  • [6]
    Sur la scène internationale, la réciprocité ne suppose pas que le pouvoir est distribué de manière égalitaire.
  • [7]
    D’autres lectures critiques de ces discours sont possibles.
  • [8]
    Les marketeurs divisent la population en cibles commerciales afin de répondre au mieux aux besoins de chaque groupe. Cependant, une cible est une population avec une taille et un pouvoir d’achat suffisants pour se procurer les produits et services vendus. Ainsi, le ciblage est fait sur la base de critères économiques et non pas démocratiques et de citoyenneté.
  • [9]
    Nous ne suggérons pas qu’il s’agit toujours d’une manipulation consciente, mais la communication en tant qu’action induit inévitablement des rapports sociaux et moraux qui la sous-tendent.
  • [10]
    Bien que les mix discursifs puissent être variés et que leur interprétation ne soit pas homogène selon les contextes et les formations de lecture (au sens de Bennett et Woollacott, 1987), les innombrables textes publicitaires, de RSE, de politique internationale et leur discussion dans les médias favorisent une structuration partielle autour de quelques caractéristiques de genre RSE.
  • [11]
    Ces acteurs sont ciblés plutôt par la communication financière.

1Aujourd’hui, pratiquement toute entreprise communique sur sa politique de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). La communication institutionnelle des entreprises participe au dialogue sociétal mené avec l’ensemble des parties prenantes visant à combattre des prétendus stéréotypes et des incompréhensions du public concernant le vrai visage des organisations. Ainsi, les messages de RSE sont présentés comme de l’information sur les stratégies, les engagements, les actions responsables et donc comme un moyen de construction de la légitimité des organisations communicantes. Cependant, Libaert (2014) affirme que les audiences de la communication RSE l’associent souvent au greenwashing.

2Notre intérêt se porte moins sur la question de savoir si la communication RSE est purement instrumentale ou si elle a pour finalité de traduire et d’induire une philosophie socialement responsable. Nous nous intéressons au mode de problématisation de la RSE qui infère un positionnement pour les différentes parties prenantes, et plus particulièrement pour l’entreprise communicante. Nous suggérons que cette structuration des rôles des parties prenantes interdépendantes se fait de manière implicite à travers l’intertextualité des discours (Fairclough, 2006) RSE. L’ordre social proposé dans ces discours (Gee, 2009) n’est pas que de nature politique, mais aussi de nature morale (au sens de Jayyusi, 2014).

3Nous pouvons rapprocher les pratiques RSE de celles de l’aide au développement et de la diplomatie publique. La proximité des thématiques en termes de protection de l’environnement et des droits de l’homme nous incite à étudier les emprunts des discours diplomatiques mobilisés dans les communications RSE. En même temps, les actions RSE ne peuvent se résumer à la diplomatie d’entreprise car elles sont menées par tous types d’entreprises (domestiques et multinationales) et visent tous types de publics. Ainsi, ayant pour finalité la légitimité sociale, la communication RSE peut s’apparenter aux discours promotionnels et publicitaires [1], [2].

4Afin d’étudier le type d’ordre politique et moral évoqué implicitement dans les mix discursifs mobilisés dans les textes RSE, nous rappelons brièvement le concept de la RSE avant de nous attarder sur certaines spécificités des discours diplomatiques et publicitaires. Ensuite, nous questionnerons le positionnement potentiel établi dans les discours RSE en fonction des emprunts discursifs assemblés.

Le concept de la RSE

5Caroll (1979), l’un des auteurs les plus cités dans la littérature classique sur la RSE, affirme que « la responsabilité sociale des entreprises englobe les attentes sociétales d’ordre économique, légal, éthique et volontariste vis-à-vis des organisations à un moment donné » (Carroll, 1979, p. 500). Partant de cette définition très large, ce qui compte, donc, ce n’est pas si une entreprise est responsable socialement ou pas mais « combien » elle est responsable.

6En outre, les entreprises, certaines organisations internationales comme l’Organisation des Nations unies (ONU), la Banque mondiale ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) sont des acteurs actifs dans l’institutionnalisation de projets RSE. Ainsi, la proximité de la diplomatie publique et de la RSE est soulignée dans la conception commune de l’Union européenne (UE) et de la diplomatie française comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société » (Journal officiel de l’Union européenne, 2012) et « un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’Homme et de consommateurs dans leurs activités commerciales et leur stratégie de base [mené] en collaboration étroite avec leurs parties prenantes [tout en] respectant la législation en vigueur et les conventions collectives conclues entre partenaires sociaux » (France diplomatie, 2017). En plus d’être économiquement viables et légales, les entreprises socialement responsables assument toutes les externalités positives ou négatives dont elles sont à l’origine. La RSE est aussi un processus continu d’intégration de préoccupations ou d’intérêts qui peuvent être contradictoires (consommateurs vs employés, investisseurs vs société civile, etc.) et qui les rend compatibles. Mieux, le concept de RSE – n’étant pas considéré comme un idéal mais comme une réalité – suppose que l’harmonie entre les intérêts contradictoires de multiples parties prenantes est habituelle. Ces images de concorde ou d’entreprises héroïques qui l’assurent sont fréquentes dans les communications institutionnelles RSE/développement durable.

7Mais si l’on s’intéresse à la problématisation de la RSE faite dans les communications officielles, une pratique peut avoir de multiples conséquences à la fois économiques, environnementales et sociales, à la fois positives et négatives selon les audiences [3]. D’une part, des nombreuses actions qui peuvent être classées RSE ne le sont pas forcément. D’autre part, les entreprises évitent de donner des détails sur certains comportements contestables (marges importantes, externalités négatives, etc.). La direction et son porte-parole revendiquent le pouvoir de définir ce qui est discutable dans les communications institutionnelles (au sens de Lukes, 2005), de catégoriser certaines actions comme émanant de la RSE, de fixer l’ordre de priorité des parties prenantes à prendre en compte dans les stratégies RSE, et ce type de pouvoir est encore plus important dans le cadre des entreprises multinationales qui opèrent dans des contextes économiques, légaux et socio-culturels variés. Ce qui est considéré comme dérivant du rôle de l’État et de son appareil parlementaire ou comme une pratique de travail habituelle dans certains pays occidentaux peut être présenté comme une stratégie RSE dans d’autres pays (De Geer et al., 2009).

8Pour illustrer notre propos, nous mobiliserons les communications RSE de Veolia et Danone actuellement en ligne [4]. Si l’on se fie aux informations diffusées sur ces sites, les deux groupes français ont adopté une approche RSE depuis leur création et estiment avoir une philosophie RSE au cœur de leurs stratégies de développement [5].

Des relations sociales reflétées dans les discours diplomatique et publicitaire

Le discours diplomatique

9Selon Cooper et al. (2015, p. 2), « l’essence de la diplomatie est le management pacifique des relations entre des acteurs internationaux dont au moins un est habituellement un acteur gouvernemental ». Les diplomates représentent des idées de paix universelle et d’ordre international qui dépassent les intérêts nationaux (Jönsson et Hall, 2005). Le rôle des diplomates est de maintenir les relations entre des publics ayant des visions, des intérêts et des pratiques variés. Afin de ne pas donner l’impression de partialité, le discours diplomatique se caractérise par l’ambiguïté (Villar, 2006). Quant aux actions RSE, elles se caractérisent aussi par la tentative de résoudre des conflits d’intérêts entre des parties prenantes multiples et dans la finalité d’un bien social supérieur de préservation de l’environnement, de protection des droits de l’homme et des modes de vie de publics variés, présents et futurs. De même, les investisseurs, les salariés, les consommateurs et les populations locales sont considérés comme interdépendants et présentés comme ayant des droits réciproques. Ainsi, Danone croit que « la santé des hommes et celle de notre planète sont interconnectées ». Par conséquent, l’ambiguïté est de mise, notamment sur le type de parties prenantes à prendre en compte, sur les origines des problématiques RSE et l’implication des auteurs. Veolia a l’ambition de « dialoguer avec nos parties prenantes », et de « ressourcer le monde ». Danone a l’ambition d’« améliorer les conditions de vie de tous tout en protégeant la nature dont nous dépendons ».

10La norme diplomatique de la réciprocité (Jönsson et Hall, 2005) symbolisant l’égalité [6] entre les États implique la ritualisation des pratiques diplomatiques. Le discours diplomatique mobilise phrases toutes prêtes, expressions polies et euphémismes (Villar, 2006). De leur côté, les communications RSE se caractérisent par la mobilisation de termes et de thèmes conventionnels en s’inspirant de la littérature scientifique et des discours d’institutions internationales portant sur l’éthique des affaires. Ainsi, pour Veolia, « le développement durable de la planète est un impératif », « le bien-être de nos collaborateurs conditionne notre performance », l’entreprise répond « aux grands enjeux environnementaux ». Danone a l’ambition « de faire et de créer une croissance inclusive » et « de construire un monde en bonne santé ».

11Le diplomate représente et agit au nom d’une population et d’un État reconnu et il ou elle est traité(e) comme étant un agent collectif. La question de la représentativité de la communication institutionnelle n’est que rarement traitée dans la littérature managériale (voir Taylor et Van Every, 2008). À travers la communication institutionnelle, le polyphonisme interne est supprimé et l’entreprise est présentée comme monolithique. Dans les discours RSE, l’organisation se présente comme étant le porte-parole des intérêts de multiples parties prenantes, surtout externes à son fonctionnement et au nom desquelles elle réalise des actions responsables. Ainsi, Veolia « ressource la planète » et les « territoires », Danone est « au service de tous » et « pour un monde durable ».

12Pour résumer, si le discours diplomatique peut être perçu comme banal (Villa, 2006), il implique des finalités nobles (préservation de la paix et de l’harmonie) à travers la réciprocité et le respect de toutes les parties prenantes, ceci au nom d’acteurs collectifs et légitimes [7].

Le discours publicitaire

13Les discours publicitaires et leurs variantes promotionnelles ont colonisé de multiples sphères de la vie sociale et économique (Fairclough, 2006). La concurrence, supposée être une source d’efficience, implique la nécessité de présenter une image valorisante afin de favoriser des attitudes favorables à l’égard d’un individu ou d’une organisation. En présupposant que le public ne connaît pas les points forts de l’objet du discours publicitaire, ce dernier se propose d’assumer, entre autres, cette fonction informative.

14Selon Cook (1992) et Adam et Bohhomme (2011), le discours publicitaire se caractérise par la sélectivité des aspects des produits et des organisations présentés, par l’usage de superlatifs, par le dessin d’un monde optimiste et euphorique où les produits et les acteurs sont supposés être les meilleurs. Par exemple, Adam et Bohhomme (Ibid.) montrent que le discours publicitaire mobilise constamment la rhétorique épidictique. Cette dernière, en exposant des faits et thèmes connus par tous, amplifie l’éloge ou le blâme et donne de la grandeur aux phénomènes présentés. En ce qui concerne les messages RSE, la mobilisation de la rhétorique épidictique y est aussi fréquente. Des acteurs non identifiés (la société dans son ensemble, la globalisation) provoquent des défis environnementaux et sociaux mais qui peuvent être résolus grâce aux interventions éthiques des entreprises responsables. Ainsi pour Danone, « la santé des hommes et celle de notre planète » « doivent être toutes deux nourries et protégées ». Les communications RSE sont optimistes et volontaristes et présentent une vision harmonieuse des rapports sociaux. « Veolia a pour première responsabilité de veiller au bien-être de ses 163 226 collaborateurs ». Veolia « concrétise » « notre ambition RSE », « chaque jour avec la volonté de gérer de manière exemplaire ». Danone affirme : « nous avons les plus hautes exigences en matière de sécurité et qualité alimentaires ».

15Certaines organisations, en plus de valoriser leurs actions RSE, se présentent comme ayant une expertise, notamment technique et scientifique, des problématiques environnementales (Veolia a pour ambition de « proposer les solutions les plus performantes et innovantes à nos clients ») ou comme étant des experts éthiques en appliquant des codes moraux stricts et universels (par exemple, Veolia dispose de codes éthiques et de consignes anti-corruption dans toutes les langues locales de ses implantations).

16Les discours promotionnels s’inscrivent dans des attitudes idéologiques et émotionnelles qui glorifient les opinions dominantes dans les cultures locales et notamment les valeurs du consumérisme (Cook, 1992). La rhétorique épidictique porte sur des sujets consensuels et souscrit aux valeurs incontestées (Adam et Bohhomme, 2011). De même, les discours RSE sont compatibles avec les valeurs de l’économie de marché. Par exemple, la préservation de l’environnement n’est pas une priorité au regard du développement économique. Les actions RSE sont présentées comme étant un moyen de fidéliser les clients, les salariés et les autres publics. Ainsi chez Veolia, « notre stratégie et ambition RSE contribuent à notre attractivité auprès de toutes nos parties prenantes, parmi lesquelles figurent avant tout nos clients, nos collaborateurs et nos investisseurs ». Chez Danone, « nous nous appuyons sur une offre unique de produits tournés vers la santé de quelques-unes des catégories qui croissent le plus vite parce qu’elles répondent aux tendances de consommation ».

17Cependant, pour Cook (1992) et Adam et Bohhomme (2011), l’expérience quotidienne avec le genre publicitaire favorise des interprétations distancées. Considéré comme émanant de la propagande, il est vu comme partial et servant les intérêts de ses auteurs. Ainsi, son prétendu dialogisme n’est pas forcément crédible et seules les audiences dominantes peuvent avoir le sentiment d’y être représentées [8].

18Si les communications RSE tant de Veolia que de Danone s’inspirent à la fois des discours diplomatiques et publicitaires, le mix discursif de ces deux organisations semble être différent. Ainsi, nous pouvons suggérer qu’en fonction de l’inter-discours RSE retenu, les organisations ont la marge de manœuvre de construire des ordres sociaux et moraux variés en positionnant leurs clients et salariés, l’environnement et les autres parties prenantes et en traduisant leurs attentes et besoins [9].

Les rapports sociaux et moraux impliqués dans le mix discursif de la RSE

19Les discours diplomatique et publicitaire sont critiqués pour leur faible valeur informative. Ainsi, leur usage généralisé peut être interprété de deux manières : performer le mythe de l’harmonie sociale et tenter de performer une identité RSE particulière [10].

20Les conflits, lorsqu’ils sont traités dans les discours diplomatique et publicitaire, sont supposés dysfonctionnels et rares. Ces discours restent silencieux sur le mode de fabrication des finalités présupposées par l’ordre en place. En s’inspirant de ces genres discursifs, les communications RSE positionnement les organisations comme étant pacificatrices grâce à leurs politiques socialement responsables. Si les organisations dépassent leurs intérêts propres, les autres parties prenantes sont présentées comme étant focalisées sur leurs préoccupations catégorielles. Par exemple, les salariés de Danone sont supposés vouloir développer un « état d’esprit co-actionnaire ». Selon Veolia, les principaux besoins des salariés sont la santé, la sécurité, le développement professionnel, l’engagement des managers en matière de responsabilité sociale et le dialogue avec les parties prenantes internes.

21Afin de mobiliser des audiences variées, les discours diplomatique et promotionnel fondent leur rhétorique sur des sujets consensuels. À leur image, les discours RSE traitent la préoccupation commune de la préservation de l’environnement et de l’entente sociale. Les investisseurs et l’État sont rarement cités de manière explicite [11]. La nature, les populations locales, les salariés et les clients sont présentés comme étant passifs et ayant des attentes que les entreprises responsables satisfont sans difficulté. En plus de certains exemples cités plus haut, les territoires doivent renforcer leur attractivité et leur compétitivité, et ceci grâce à l’efficacité des services rendus par Veolia, alors que Danone crée « de nouveaux programmes et services permettant d’encourager l’adoption de meilleures pratiques alimentaires ».

22Malgré certaines similitudes, les discours diplomatique et publicitaire se distinguent par le fait que le premier représente un acteur collectif (un État, l’humanité) différent du second (une organisation) et par les valeurs humanistes qu’il défend (paix, droits de l’homme) alors que le second soutient des valeurs corporatistes. Comme évoqué plus haut, le discours diplomatique implique la réciprocité, la valorisation de l’interlocuteur et sa reconnaissance. En revanche, le discours promotionnel est ethnocentrique et la valorisation des interlocuteurs sert à magnifier l’objet de promotion. L’usage des superlatifs ou le positionnement en termes de leadership mondial sont fréquents.

23Lorsque les discours RSE se rapprochent des discours diplomatiques, les entreprises se positionnent dans le rôle d’acteurs qui œuvrent pour un bien supérieur. Par exemple, dans son Manifesto, Danone s’exprime sur sa volonté de construire « un monde en bonne santé », « un monde durable », « de faire prospérer les communautés dans les différentes régions du monde ». À l’image de Danone, nombreuses sont les entreprises qui communiquent sur leurs actions sociales et environnementales en parallèle des politiques publiques. Certes, c’est toujours mieux que rien. Cependant, dans le cadre de discours ambiants néolibéraux sur la prétendue inefficacité des politiques publiques et les performances RSE revendiquées par les entreprises, il peut être tentant de laisser aux acteurs privés la marge de manœuvre de définir leurs propres politiques sociales et environnementales. Néanmoins, les entreprises ne sont pas des organisations démocratiques et les citoyens ne sont pas uniquement des consommateurs.

24Lorsque les discours RSE se rapprochent des discours promotionnels, ils positionnent les entreprises communicantes en experts techniques ou moraux. En ce qui concerne l’expertise morale, ce sont les employés qui sont censés avoir besoin d’accompagnement afin d’adopter des comportements éthiques (à travers les codes éthiques ; voir le site de Veolia). Ces discours qui dépeignent des organisations ayant des cultures démocratiques et humanistes (« la première responsabilité » de Veolia qui est « de veiller au bien-être et l’épanouissement de ses » collaborateurs) peuvent être parfois en décalage avec le ressenti quotidien des audiences. Ainsi, des lectures critiques de ce type de pratiques signifiantes semblent être plus fréquentes. Si, suite à l’usage de discours promotionnels, l’expertise morale des entreprises n’est pas attribuée automatiquement, l’expertise technique l’est probablement plus. En effet, les acteurs privés maîtrisent des certifications de toute sorte et valorisent leur capacité de recherche et d’innovation. Ainsi, le discours promotionnel de leur leadership technologique fait d’eux un point de passage obligatoire, notamment dans le cadre de la protection de l’environnement. Par exemple, « Veolia mesure et contrôle en toute transparence à travers une centaine d’indicateurs, l’impact de ses activités sur l’environnement et la santé publique grâce à son système de management environnemental (SME) ».

25En conclusion, les actions et les discours RSE qui les accompagnent sont multiples et toute entreprise se doit d’avoir une stratégie RSE et de la communiquer. En mobilisant les exemples des discours diplomatique et promotionnel, nous avons tenté d’argumenter que le sens que chaque entreprise donne à sa politique RSE implique l’enrôlement politique et moral de l’organisation et de ses parties prenantes. Notre objectif n’est pas de dénigrer les efforts de RSE fait par les entreprises, notamment celles du secteur social et solidaire. Identifier les rapports sociaux instaurés dans les communications RSE permet de maintenir le contrôle citoyen sur le traitement des externalités positives et négatives provoquées par les organisations publiques et privées.

Références bibliographiques

  • Adam, J.-M. et Bonhomme, M., L’Argumentation publicitaire : rhétorique d’éloge et de la persuasion, Paris, Armand Colin, 2011.
  • Bennett, T. et Woollacott, J., Bond and Beyond. The Political Carrier of Popular Hero, Londres, MacMillan Education, 1987.
  • Carroll, A., « A Three-dimensional Conceptual Model of Corporate Performance », Academy of Management Review, vol. 4, n° 4, 1979, p. 497-505.
  • Cook, G., The Discourse of Advertising, Londres, Routledge, 1992.
  • Cooper, A., Heine, J. et Thakur, R., « Introduction. The Challenges of 21st Century Diplomacy », in Cooper, A., Heine, J. et Thakur, R. (dir.), The Oxford Handbook of Modern diplomacy, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 1-31.
  • Danone, Les Objectifs Danone 2030 pour la révolution de l’alimentation, Danone [en ligne], s.d. En ligne sur : <www.danone.com/index.php?id=987>, page consultée le 12/06/2018.
  • De Geer, H., Borglund, T. et Frostenson, M., « Reconciling CSR With the Role of the Corporation in Welfare States : The Problematic Swedish Example », Journal of Business Ethics, n° 89, 2009, p. 269-283.
  • Fairclough, N., Language and Globalization, New York, Routledge, 2006.
  • France diplomatie, Qu’est-ce que la responsabilité sociale des entreprises pour la France ?, 12 oct. 2017. En ligne sur : <www.diplomatie.gouv.fr/>.
  • Gee, J., An Introduction to Discourse Analysis : Theory and Method, New York, Routledge, 2009 [2e éd.].
  • Jayyusi, L., Categorization and the Moral Order, New York, Routledge, coll. « Routledge Revivals », 2014.
  • Jönsson, C. et Hall, M., Essence of Diplomacy, New York, Palgrave MacMillan, 2005.
  • Journal officiel de l’Union européenne, « Avis du Comité économique et social européen sur la “Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014”, COM(2011) 681 final, 31 juil. 2012. En ligne sur : <http://eur-lex.europa.eu>.
  • Libaert, T., Communication et environnement, le pacte impossible, Paris, Presses universitaires de France, 2014.
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  • Veolia, Responsabilité sociétale de l’entreprise, Veolia [en ligne], s.d. En ligne sur : <www.veolia.com/fr/groupe/profil/performance-rse>, page consultée le 12/06/2018.
  • Villar, C., Le Discours diplomatique, Paris, L’Harmattan, 2006.

Mots-clés éditeurs : communication institutionnelle, discours et intertextualité, RSE

Date de mise en ligne : 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0094

Notes

  • [1]
    En fonction des cas, d’autres types de discours peuvent être mobilisés : communications scientifiques, engagements politiques, etc. Nous allons nous focaliser ici sur l’étude des discours diplomatiques et publicitaires.
  • [2]
    Nous prenons ces deux types de discours à titre d’exemple des présupposés et des rapports sociaux induits par les mix discursifs. En outre, nous ne suggérons pas que les auteurs des communications RSE s’inspirent consciemment des discours diplomatiques et publicitaires, mais que certaines de leurs caractéristiques sont devenues des spécificités du genre RSE.
  • [3]
    Par exemple, exploiter de manière intensive un site est susceptible d’améliorer la richesse et les conditions de vie d’une communauté locale tout en ayant des effets néfastes sur l’environnement, payer des impôts peut être interprété comme une contribution à la richesse nationale ou comme un remboursement des frais d’infrastructure sociale et technologique mise à disposition des entreprises par l’État, etc. Autrement dit, au sein d’une société, la frontière entre intérêt public et privé est négociée en permanence.
  • [4]
    Les sites web ont été consultés entre mars et juin 2018.
  • [5]
    En même temps, ces deux groupes ont fait l’objet de deux émissions critiques Cash Investigation portant sur certaines de leurs pratiques moins éthiques.
  • [6]
    Sur la scène internationale, la réciprocité ne suppose pas que le pouvoir est distribué de manière égalitaire.
  • [7]
    D’autres lectures critiques de ces discours sont possibles.
  • [8]
    Les marketeurs divisent la population en cibles commerciales afin de répondre au mieux aux besoins de chaque groupe. Cependant, une cible est une population avec une taille et un pouvoir d’achat suffisants pour se procurer les produits et services vendus. Ainsi, le ciblage est fait sur la base de critères économiques et non pas démocratiques et de citoyenneté.
  • [9]
    Nous ne suggérons pas qu’il s’agit toujours d’une manipulation consciente, mais la communication en tant qu’action induit inévitablement des rapports sociaux et moraux qui la sous-tendent.
  • [10]
    Bien que les mix discursifs puissent être variés et que leur interprétation ne soit pas homogène selon les contextes et les formations de lecture (au sens de Bennett et Woollacott, 1987), les innombrables textes publicitaires, de RSE, de politique internationale et leur discussion dans les médias favorisent une structuration partielle autour de quelques caractéristiques de genre RSE.
  • [11]
    Ces acteurs sont ciblés plutôt par la communication financière.

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