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Article de revue

Le télégramme diplomatique et autres outils de communication aux Affaires étrangères

Pages 42 à 44

Note

  • [1]
    Françoise Piotet, Marc Loriol et David Delfolie, Splendeurs et misères du travail des diplomates, Paris, Hermann, 2013.
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1Une recherche collective sur le travail des diplomates [1] a permis de montrer comment celui-ci se structure autour d’un certain nombre d’activités : informer, négocier, représenter la France, défendre ses intérêts et protéger les Français de l’étranger. Dans chacune de ces activités, la communication est centrale. Le travail du diplomate peut, in fine, se résumer à la production de récits, d’images du monde, et à la tentative de les faire advenir dans le fonctionnement concret des relations internationales. Cet univers est caractérisé par le recours à l’écrit, la sacralisation de l’accord négocié et validé officiellement. Les traités internationaux, les accords, les comptes rendus officiels, les télégrammes diplomatiques, les drafts, les non-papiers, les notes verbales, etc. offrent toute une panoplie et une hiérarchie de textes écrits dont l’empilement va constituer petit à petit un monde singulier et contraignant sur lequel les diplomates pourront appuyer leurs actions, leur argumentation et leurs écrits ultérieurs.

« Si vous voulez être entendus, faites un télégramme »

2Le diplomate à l’étranger (notamment l’ambassadeur) est mandaté pour transmettre les informations tant auprès des autorités locales que pour sa propre administration. Les messages ont donc une forme et un contenu pour une part dictés par les obligations qu’impose cette fonction. L’objectif est de participer à la production d’une certaine image publique de la relation bilatérale ou de la gestion d’un dossier en multilatéral. L’information produite par les diplomates doit également éclairer les décisions politiques. Elle doit donc participer à la construction de la position de la France, des « éléments de langage », du cadre d’action de la politique étrangère. L’information diplomatique devrait aussi, d’après les diplomates rencontrés, favoriser une intercompréhension, voire un rapprochement entre les positions des différents gouvernements. A minima, elle devrait contribuer à expliciter les points de désaccord et les voies possibles pour un rapprochement. Enfin, l’information diplomatique s’inscrit dans une routine administrative qui impose la production de notes préparatoires ou de comptes rendus après chaque événement ou rencontre ayant un caractère officiel.

3L’observation des diplomates montre que les activités de rédaction de notes de synthèse et de télégrammes restent des moments forts de leur travail, auxquels soin et attention sont apportés. Comme par le passé, la stratégie la plus fréquente consiste à produire un grand nombre de télégrammes de manière à faire parler de soi et à ne pas pouvoir être pris en défaut si tel ou tel élément se révélait important a posteriori. Le télégramme diplomatique reste la forme la plus valorisée de communication parce qu’il s’agit d’une forme officielle, diffusée selon un circuit précis dans les différents services. « Si vous voulez être entendus, faites un télégramme », avait ainsi conseillé un ambassadeur lors d’une réunion à propos d’une demande qui n’avait pas abouti.

4Les différents secrétaires généraux du Quai d’Orsay envoient régulièrement aux ambassadeurs des notes enjoignant de réduire le nombre de télégrammes, leur longueur et d’utiliser avec plus de parcimonie les mentions « urgent » ou « confidentiel ». Les mails, les listes de diffusion, les recherches sur Internet permettent à la fois d’élargir et d’accélérer le processus de traitement de l’information. Les formes plus traditionnelles (lecture et rédaction des télégrammes et des notes de synthèse, de la presse) occupent toujours une part importante du travail des diplomates, mais s’y ajoutent d’autres sources d’informations, des échanges plus informels de données et d’analyse.

5L’observation d’une journée de travail d’un conseiller dans une ambassade ou d’un rédacteur à Paris illustre l’importance quantitative et symbolique du télégramme diplomatique. La lecture de collections quotidiennes d’une centaine ou plus de télégrammes est une tâche fastidieuse mais nécessaire pour connaître la position officielle (et ses évolutions) sur les sujets plus ou moins liés aux dossiers à traiter. Au milieu de la lecture de sa collection de télégrammes, le diplomate s’arrête pour commencer la rédaction d’une note puis, avant d’avoir terminé celle-ci, consulter sur Internet des sites d’information ou des sites spécialisés sur les sujets ou les pays de son portefeuille, tout en jetant, dans certains postes, un œil distrait sur la chaîne d’information continue d’une télévision allumée en permanence avec le son coupé, avant de reprendre la lecture des télégrammes. Outre la lutte contre la monotonie, cette façon de faire facilite une intégration d’informations plus ou moins formelles, plus ou moins officielles et encourage la créativité, la recherche de solutions novatrices et restant dans le cadre des lignes rouges évolutives qui forment la « position de la France ».

Des règles tacites

6Depuis la mise en place au début des années 2000 d’un nouveau système sécurisé, l’utilisation de l’Intranet, des mails ou des listes de diffusion permet une circulation plus rapide de l’information, moins protocolaire et moins hiérarchique (un rédacteur peut ainsi correspondre régulièrement avec le conseiller du ministre sans avoir la supervision préalable de son supérieur, etc.). Mais pour que cela soit possible, il faut que les supérieurs acceptent de déléguer et de faire confiance à leurs subordonnés. De plus, la capacité à prendre du recul, à contextualiser ou à relativiser une information dépend pour une part de l’ancienneté et de l’expérience accumulée, des savoir-faire intériorisés.

7La particularité de l’information diplomatique tient également aux pratiques et aux enjeux qui en fondent la logique. Chaque nouvel arrivant doit apprendre les règles codifiées de la rédaction des télégrammes diplomatiques et des notes de synthèse. Les jeunes diplomates que nous avons rencontrés expriment la même difficulté : « Il y a tout un code qui n’est écrit nulle part, qu’il faut apprendre à déchiffrer. On vous dit “faites-moi telle note”, en plus c’est des termes très techniques, vous ne voyez pas toujours de quelle note il s’agit. Il faut se renseigner, chercher des modèles. […] le savoir-faire à proprement parler, savoir présenter sa note, savoir à qui la remettre, au bon moment, etc., on y perd un temps fou et je crois que c’est quand même trente pour cent du truc… L’envoyer à la bonne personne, récupérer l’avis de Pierre et Paul parce que c’est obligé, qu’elle soit validée à tel endroit » (rédactrice, direction géographique).

8Officiellement, il s’agit de faire remonter toute information qui pourrait être pertinente pour la conduite de la politique extérieure. Mais dans la pratique, le savoir-faire mis en œuvre est différent de celui d’un universitaire spécialiste des relations internationales ou d’un expert scientifique. Un « bon » télégramme doit parvenir à intégrer dans un même « récit » un ensemble de points de vue et être cohérent avec la politique menée par le pays. Il doit prendre en compte l’image du pays et de ses institutions. Il est ainsi difficile de critiquer ou même de faire apparaître sous un jour défavorable son supérieur ou les décisions prises antérieurement. Au contraire, il s’agit de faire ressortir positivement la position et le rôle du service dans lequel se trouve le rédacteur du télégramme. Surtout, il faut que le contenu fasse sens pour ceux qui en sont les destinataires. Les faits et les interprétations présentés seront donc, au moins pour une part, conformes aux attentes et à la grille de lecture des décideurs. Sinon, le risque est de ne pas être lu, entendu. L’information produite par le diplomate doit contribuer à poursuivre la construction de la position de son pays dans le jeu diplomatique international sur un sentier déjà largement emprunté tout en étant suffisamment inédite pour retenir l’intérêt des destinataires.

9L’histoire diplomatique française est riche d’exemples où des diplomates n’auraient pas été écoutés parce que leurs mises en garde allaient à l’encontre des grandes orientations politiques et des grilles de lecture du monde des décideurs. Par exemple, l’ambassadeur au Rwanda aurait signalé dès 1990, dans un télégramme diplomatique, le risque de répression violente du pouvoir hutu contre les Tutsis sans que cela change la perception du problème pour les décideurs à Paris.

10Les nouvelles technologies ont naturellement modifié le travail des diplomates notamment en ce qui concerne la rapidité et le volume de l’information à traiter. Aux télégrammes diplomatiques transmis quotidiennement s’ajoute désormais une masse considérable de courriers électroniques qu’il faut évidemment traiter dans l’urgence. La transformation des modes de communication facilite et complique le travail, pose de nouveaux problèmes tant en matière de sécurité (WikiLeaks en est la preuve) qu’en matière de respect des voies hiérarchiques et de contrôle du travail. Le brouillage des auditoires, la crainte qu’un télégramme se retrouve sous des yeux auxquels il n’était pas destiné, l’usage non contrôlé de ce qui peut être fait par la suite des écrits, peuvent susciter prudence et euphémismes.

11Depuis une quinzaine d’années, notamment avec la mise en place des indicateurs de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), les ambassadeurs sont incités à utiliser les sites Internet, les blogs ou les différents réseaux sociaux pour développer la diplomatie publique et le soft power. Il s’agit aussi de mettre en scène des styles moins formels et guindés de représentation. Les nouvelles technologies (comptes Twitter, Facebook, blogs, etc.) offrent de nouvelles occasions pour les diplomates de mettre en scène leur vie, y compris dans ses aspects privés ou intimes : on se souvient par exemple de Boris Boillon, l’ancien ambassadeur de France en Tunisie, qui s’était vu reprocher ses photos embarrassantes le montrant en maillot de bain sur le site Copains d’avant, mais d’autres ont été plus habiles en présentant une image décontractée et moderne d’eux-mêmes sans prêter le flanc à la raillerie. L’audience de ces nouveaux outils de communication reste toutefois limitée et ne semble pas modifier profondément l’image de la diplomatie.


Date de mise en ligne : 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0042

Note

  • [1]
    Françoise Piotet, Marc Loriol et David Delfolie, Splendeurs et misères du travail des diplomates, Paris, Hermann, 2013.

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