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Article de revue

Communiquer la diplomatie

Pages 23 à 31

Notes

  • [1]
    J’ai souvenir d’avoir eu quelques minutes pour expliquer à une autorité politique française certaines réalités sur un pays que je connaissais pour y avoir été précédemment affecté et où cette personnalité s’était déjà rendue officiellement. A l’issue de ces quelques minutes, au cours desquelles cette autorité ne m’avait interrompu que pour me poser quelques questions, quelle n’a pas été ma surprise de l’entendre me dire : « c’est étrange, on ne m’avait jamais dit cela ». Non pas que cette personnalité remît en cause ce que je lui disais, mais elle était justement étonnée de n’avoir jamais entendu semblable analyse ; et ma surprise ne venait pas de ce qu’elle fût étonnée de découvrir une réalité, mais qu’elle me le dît !
  • [2]
    Expression volontairement vague, mais qui permet de recouvrir à peu près toutes les situations et le type d’action attendue d’une ambassade.
  • [3]
    Ainsi, il semble que le Royaume-Uni commence de se repentir d’avoir fermé nombre d’ambassades depuis le début des années 2000, car il s’est ainsi rendu dépendant de l’information fournie par d’autres.
  • [4]
    Il n’est pas lieu de s’étendre sur le travail diplomatique bilatéral (promotion des intérêts économiques, culturels, etc.) qui justifie également que l’État consacre quelques centaines de millions d’euros chaque année à son réseau diplomatique (la masse salariale du Quai d’Orsay est de l’ordre de 0,7 % de la masse salariale de l’État).
  • [5]
    Ceci ne vaut que pour les ambassades bilatérales : les ambassades multilatérales, représentations permanentes de la France auprès d’organisations internationales, vivent au contraire au rythme d’un échange permanent d’informations, de propositions et d’instructions. Le dialogue est quotidien, parce que les organisations internationales sont des lieux où des textes doivent être agréés, donc négociés : la position française, in fine arrêtée par Paris, doit prendre en compte les réactions des autres parties à la négociation, rapportées par la représentation permanente. Le travail des ambassades bilatérales ne nécessite pas cette interaction permanente.
  • [6]
    La conférence annuelle des ambassadeurs, fin août, est le moment désormais traditionnel où le président de la République dresse un bilan, donne sa vision et fixe des orientations.
  • [7]
    Tel n’est pas tout à fait le cas dans les pays de l’Union européenne, où la liberté de circulation des hommes, marchandises et capitaux impose un haut degré de confiance dans les organes de contrôle de chacun des États membres – et donc dans l’effectivité de l’État de droit. Il m’est ainsi arrivé de provoquer volontairement un émoi à la télévision locale afin de tenter de mettre fin (avec succès, en l’espèce) à une scandaleuse décision nuisible à une entreprise française, explicable par la corruption d’un juge de l’État européen où j’étais affecté.
  • [8]
    Terme recommandé en lieu et place de fake news qui allie brièveté et clarté – et langue française !
  • [9]
    On voudra pour preuve de ce tiraillement entre la personne et la fonction que nombre de comptes Twitter des ambassadeurs français portent la mention « compte personnel de l’ambassadeur à… ».

1

Nous avons vu qu’en politique, le plus grand mobile de la persuasion est l’intérêt. Un négociateur habile ne négligera donc point cet appât, il en fera la partie la plus importante de ses écrits, et dans toutes les affaires de nation à nation, il le préférera même aux motifs de droit et aux preuves juridiques. Mais en appuyant sur des motifs d’intérêt, il doit le faire avec ménagement. S’il paraissait connaître les avantages d’une puissance mieux qu’elle-même, il se rendrait odieux, comme il se rendrait suspect s’il mettait trop de chaleur à les lui faire sentir. Pour acquérir cette solidité, qui ne redoute ni la critique ni les réfutations, on doit, autant qu’il est possible, être plus riche de pensées que de mots. Ces pensées doivent être vraies, justes, lumineuses, nécessaires ; elles doivent avoir un rapport direct avec le sujet et le seconder.
En voulant s’étayer d’un principe faux, douteux, ou même étranger à la cause, on s’exposerait à voir tomber avec lui l’édifice qu’il devait soutenir, et l’on donnerait un grand avantage à son adversaire.
H. Meisel, Cours de style diplomatique, tome I, Paris, J.-P. Aillaud, 1826, p. 20-21.

2La communication est l’essence même du métier diplomatique. L’étymologie le dit elle-même : la communication est l’art de faire du « commun ». Le diplomate est essentiellement chargé de créer du commun, de créer un lien – ou de le rétablir, de le renforcer, etc. – entre deux États. Il n’est même chargé que de cela et ne dispose pour ce faire que du verbe. Le diplomate est sans doute le seul fonctionnaire qui n’ait aucun pouvoir : il n’édicte pas de textes généraux, ne juge pas, n’arrête pas, n’instruit pas, ne note pas, n’offre aucun avantage ni subvention, ne décide d’aucun destin particulier ni général… Il n’est qu’un intermédiaire. Et il n’a que la parole pour arme. Car parler, en diplomatie, c’est agir. Même s’il est rare que la parole soit performative – cas de la reconnaissance d’un État ou de la déclaration de persona non grata –, elle peut être considérée comme telle lorsque le représentant d’un État dit qu’il « condamne » telle action ou « se félicite » de telle autre ou « soutient » telle partie dans un conflit : il énonce ainsi une position politique qui peut entraîner des conséquences dans le monde réel – ce qui est toujours l’objectif de la parole diplomatique.

3La communication est donc inhérente au métier de diplomate. Il ne fait que cela toute la journée, soit qu’il informe ses autorités, soit qu’il se tourne vers le pays de sa résidence temporaire. Comme tout fonctionnaire, le diplomate ne parle jamais lui-même, il n’est qu’un agent de l’État parlant – sauf lorsqu’il informe ses propres autorités : c’est alors le diplomate lui-même qui s’exprime, avec son expérience, son expertise. Cette partie fondamentale du travail diplomatique, invisible de l’extérieur et, pour cette raison, jamais ou rarement évoquée, est également un travail de communication, plus important aujourd’hui sans doute qu’à l’époque où les administrations étaient moins nombreuses et moins encombrées de services chargés des questions internationales – et où les relations internationales se limitaient aux relations entre États, eux-mêmes peu nombreux.

4Ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation impose que chaque administration prenne en compte ce qui se passe ailleurs sur la planète, non seulement parce que son travail est engoncé dans des règles – dont elle a pu oublier parfois l’existence – qui sont issues de négociations internationales, mais aussi parce que son action peut avoir des ramifications internationales ou peut être rendue inefficace par la possibilité pour l’administré de voter avec ses pieds pour contourner une réglementation… La création de tels services chargés des questions internationales est donc pleinement justifiée – sauf à ce que le ministère des Affaires étrangères prétende avoir sous sa coupe toutes les administrations au prétexte qu’elles ont une activité qui a une incidence diplomatique, ce qui serait évidemment absurde. Mais de tels services ne peuvent être efficaces que s’ils sont en rapport direct avec les ambassades pour comprendre les réalités locales.

5C’est donc l’ensemble du gouvernement qui a besoin des informations et analyses fournies par les ambassades. La communication interne, avec la France, est la première mission du diplomate. Les Affaires étrangères ont ceci de particulier que l’éloignement masque l’ignorance : on ignore mieux ce qu’on n’a jamais vu et on ignore d’autant mieux l’étendue de sa propre ignorance que l’on n’est pas confronté à cet inconnu. Pourtant, les débats publics sur les options ou sur les événements de politique étrangère montrent que chacun s’estime compétent pour émettre un point de vue sur n’importe lequel de ces événements : tous sont aveugles à la complexité.

6La communication à destination de l’ensemble des administrations est donc au moins aussi importante que la communication à l’égard du pays dans lequel le diplomate a été envoyé : elle permet d’éviter des erreurs d’analyse ou d’interprétation et peut éviter à une autorité politique de lâcher une bêtise – ce qui n’est jamais inutile – susceptible d’avoir des conséquences qui n’avaient pas été désirées, envisagées, souhaitées, prévues.

7La communication avec « Paris » est d’autant plus importante que le phénomène de la mondialisation et celui de l’ignorance et de l’incompréhension des réalités de pays étrangers si divers, se combinent pour pousser à l’erreur politique. En effet, les administrations centrales sont d’autant plus difficiles à convaincre de la pertinence d’une analyse ou d’une proposition émises par une ambassade, que la dimension internationale de leur action n’est pas centrale et qu’ignorants de leur ignorance, les agents de l’État dont ce n’est pas le métier peuvent en rester aux idées reçues : ils n’ont pas de temps à consacrer à la compréhension de particularités locales qui sont éloignées de leurs principaux enjeux (et des électeurs de leur hiérarchie politique).

Les ambassades, des services de formation et d’information

8Bien souvent, l’information fournie par le diplomate aux administrations parisiennes est donc d’abord une formation [1]. Les quelques éléments qui précèdent devraient suffire à dissuader quiconque de considérer que les ambassades sont des institutions désuètes ou dépassées à l’heure de l’avion à réaction, de Whatsapp et d’Internet – et même en Europe.

9Il est en effet banal de prétendre que les ambassades ont perdu de leur pertinence à mesure que les rencontres entre les ministres ou les chefs d’État sont plus fréquentes ou plus faciles, qu’elles soient téléphoniques ou sous forme de sommet (voire dans des couloirs, à l’occasion de réunions multilatérales dont c’est souvent la principale utilité) et qu’Internet fournit une masse d’informations bien plus vite que les ambassades.

10C’est le contraire qui est vrai : les ambassades sont aussi des services d’information au bénéfice des autorités françaises. Elles ne sont certes pas des services de renseignement, qui cherchent des informations confidentielles dans un domaine précis, mais le ministère des Affaires étrangères attend d’elles une information fiable sur la réalité politique d’un pays et sur ses dirigeants, de façon que le ministre puisse définir quelle politique peut être raisonnablement menée, en fonction des intérêts de la France, à l’égard de ce pays et compte tenu de ses positions sur un sujet donné.

11Or, l’État n’a pas d’autre moyen de connaître la réalité de façon aussi complète, permanente et orientée dans la défense de ses intérêts, que de recourir à des agents dont c’est le métier : le décryptage qu’ils fournissent permet à toutes les administrations une compréhension bien plus fine. Les autorités politiques ont certes d’autres possibilités pour s’informer – à commencer par la presse ou par leurs discussions avec leurs homologues. Mais aucun des autres canaux d’information ne répond au besoin qui est celui de l’État. Car un diplomate n’écrit pas à des inconnus, comme un journaliste : il écrit à des services administratifs précis ou à des autorités politiques déterminées, et ce qu’il écrit a pour objectif de préparer une action (ou d’en rendre compte), même s’il ne s’agit que de l’analyse politique d’un événement particulier ; et même rapporter simplement un fait accroît la compréhension globale dont dispose l’État français sur un autre État. En écrivant à son administration, le diplomate sélectionne ce qu’il soumet à son analyse et porte à la connaissance du « Département », parce qu’il est mû, dans sa correspondance, par un objectif politique : il n’écrit pas par pur intérêt intellectuel ou scientifique, comme un chercheur. Il analyse en ayant toujours en vue la « promotion des intérêts de la France [2] » pour provoquer une réaction, immédiate ou plus tardive : il s’agit donc bien d’une communication.

12La communication de cette information à Paris permet au ministère de prendre des décisions en connaissance de cause [3], et de choisir une position, qu’il s’agisse d’une déclaration ministérielle relative à une crise ou d’un vote sur un texte dans une instance multilatérale. J’ai ainsi le souvenir que la position française à Bruxelles, sur certains sujets concernant mon pays de résidence d’alors, se fondait manifestement sur l’analyse de l’ambassade, voire suivait mes recommandations, entraînant parfois sur ses positions d’autres États membres a priori moins déterminés au départ. Cette seule raison suffirait à considérer que les ambassades restent nécessaires [4].

13Pour être efficace, le rapport avec l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères et avec les autres ministères doit prendre la forme d’un dialogue : en informant telle ambassade des réflexions ou débats parisiens, le ministère peut éviter à ladite ambassade de commettre une erreur d’analyse sur la position parisienne – et donc d’agir de façon impropre. Car les ambassades ont une vision réduite, puisque locale, et n’appréhendent pas tous les déterminants d’une décision politique.

14Pour autant, par expérience, la communication de Paris vers les ambassades est moins systématique : certains des déterminants d’une décision peuvent ne pas être fournis aux ambassades pour des raisons de confidentialité. La communication entre ambassades et administration centrale est ainsi déséquilibrée au détriment des ambassades [5], qui peuvent souffrir d’un sentiment d’incommunication, bien plus gênant pour l’action sur place que l’éventuel énervement que peut provoquer l’impression d’avoir écrit dans le vide.

15Cette communication interne est fondamentale – et pour cela est peut-être première – car elle assure que la politique est définie sur des bases qui sont claires pour l’administration comme pour l’ambassade et que chacune des structures en a complète connaissance. Et c’est sur cette base que peut ensuite être mise en œuvre la communication externe, à destination du pays de résidence ou du public.

S’adresser à des acteurs internationaux toujours plus nombreux et divers

16Le développement des relations internationales, corollaire de la mondialisation, a également provoqué un pullulement des acteurs internationaux : c’est une banalité de l’écrire. Qu’il y ait d’autres acteurs internationaux a modifié la nature du système des interactions internationales, devenu une cour des miracles, mais n’a en rien rendu caduc le rôle des États. Tout juste l’a-t-il compliqué : les États, dans l’ordre international, ont d’autres questions à traiter que la guerre et la paix (ce qui n’est pas tout à fait nouveau), car ils doivent à présent traiter de tout.

17La complexité de la vie internationale contraint en effet les États à développer une compétence technique internationale et une compétence internationale dans des domaines techniques d’une variété infinie. Ils sont également contraints de développer leur action internationale non pas uniquement en direction d’autres États, mais vers des acteurs toujours plus variés. Cela impose une adaptation de la communication à ces différents publics.

18Dans ce monde plus complexe et encombré par la multiplication des enceintes de discussion et de décision, la communication est encore plus nécessaire, puisque l’action diplomatique continue d’être verbale.

19Soumis à la concurrence d’acteurs dont la légitimité n’a pour fondement que leur propre volonté, mais qui disposent d’une capacité d’action qui repose soit sur la puissance financière, soit sur la connaissance technique d’une question, soit sur le nombre de personnes fédérées pour défendre une cause quelle qu’elle soit (des bébés phoques au désarmement nucléaire), la voix des États n’est plus unique et devient facilement inaudible : les États risquent alors l’impuissance. Or, dans un monde aussi désordonné que le nôtre, il n’y a encore que les États qui soient capables d’agir pour créer une loi commune : c’est en réussissant à porter au niveau des États une question ayant une dimension internationale qu’il pourra y être apporté une réponse. Contraints d’agir soit par nécessité, soit par choix, soit sous la contrainte de ces acteurs (en voulant limiter leur puissance ou en cédant à leur pression), les États ont appris à parler à des acteurs variés.

20Le mode de communication à destination de tout ce qui est extérieur, autres États ou acteurs non étatiques, français ou étrangers, diffère, selon l’acteur, le thème, l’objectif recherché. La communication peut être ouverte ou fermée – ou, si l’on préfère, large ou limitée.

21La presse est évidemment l’interlocuteur privilégié d’une communication ouverte : parler à des journalistes représente l’avantage de parler potentiellement à tout le monde. En outre, les journalistes sont, en principe, des acteurs qui connaissent et comprennent ce dont le diplomate souhaite parler, ce qui assure un dialogue raisonné. Car, comme tout communicant, un diplomate ne donne pas d’interview pour le plaisir : il a un message à passer qui est destiné potentiellement à toute la population du pays où il a été envoyé.

22Paris communique beaucoup par voie de presse. Le point de presse du porte-parole du Quai d’Orsay, quotidien, est le moment de la proclamation de la ligne politique de la France sur les questions du jour. En conséquence, le choix des sujets qui feront l’objet d’une déclaration et la formulation des réponses aux questions qui seront vraisemblablement posées sont arrêtés avec le cabinet du ministre. Le ministre peut aussi décider d’exprimer lui-même cette position, au cours d’une interview, lors des questions au gouvernement, ou sous toute autre forme. Les grandes orientations comme le commentaire d’événements particulièrement graves ou médiatisés, peuvent aussi être accaparés par le président de la République qui fixe la ligne et la fait connaître avec bien plus de solennité [6] – ce qui facilite la tâche des ambassadeurs : il suffit de se référer à la parole présidentielle.

23L’action de communication d’un ambassadeur bilatéral est également variée, dans sa forme et ses cibles. S’il communique avant tout avec son pays de résidence, il est aussi sollicité par des acteurs venus de France, collectivités territoriales, entreprises, journalistes, qui souhaitent un conseil, une analyse, un coup de pouce pour obtenir un rendez-vous ou un coup de main pour régler un problème délicat. Il s’agit néanmoins d’un mode de communication plus restreint et l’ambassadeur est rarement appelé à s’adresser à ses compatriotes en France, tâche qui est celle du ministère des Affaires étrangères – alors qu’il est attendu par ses compatriotes expatriés dès lors que la situation l’impose, en cas de crise locale par exemple.

24À l’égard de son pays de résidence, tout secteur de la société, même dans les pays peu libéraux, peut être le destinataire des messages que l’ambassadeur veut passer – bien souvent l’explication d’une position française, parfois un commentaire sur la situation politique locale, ce qui est une source potentielle de polémique, car la légitimité d’un ambassadeur français à émettre un avis public sur la vie politique de son pays de résidence est faible [7].

25L’un des objectifs de la communication d’une ambassade est de tenter de modifier les poncifs qui existent sur la France dans son pays de résidence : il est rare que, dans un pays donné, notre pays ne soit pas affublé de tares plus ou moins imaginaires ou abusives. Les poncifs varient selon l’histoire des relations entre la France et ledit pays et la situation politique du moment. Ce qui permet de se faire servir des critiques radicalement opposées : j’ai pu ainsi m’entendre dire, dans un précédent pays de résidence, que la France était bien trop ouverte aux étrangers venus du sud de la Méditerranée ou de l’Afrique, puis, dans mon actuel pays de résidence, que la France était honteusement fermée aux Africains, preuve de son racisme.

26Bien souvent, ces poncifs en forme de critiques en disent plus sur la société qui les porte que sur la réalité française. Et tenter de les modifier, par l’argumentation, revient à vouloir transformer la psyché politique du pays de résidence, ce qui pourrait être considéré comme œuvre inutile : de ce point de vue, les ambassadeurs sont tous des Sisyphe. Ou plutôt des adeptes de la devise prêtée à Guillaume d’Orange – et, de fait, nous persévérons.

Une voix à faire entendre dans le brouhaha

27La communication diplomatique peut être plus limitée, car le travail de communication est un exercice d’influence, et il est souvent pertinent de cibler le public. La communication avec les autorités locales est en principe discrète – ou disons rarement publique : il serait étrange qu’un ambassadeur leur passe un message par voie de presse, alors qu’il lui est facile d’avoir accès aux ministres dans la plupart des pays, voire aux chefs d’État ou de gouvernement. Les diplomates leur portent la parole de leur pays sans y donner plus de publicité que cela ne le mérite : ils font ainsi régulièrement des démarches pour appeler l’État où ils sont accrédités à adopter telle position défendue par la France (candidature dans une organisation internationale, position sur un texte en négociation, etc.) ou pour fournir une explication à une position ou une déclaration française, ou en demander en retour, suggérer une action bilatérale, solliciter un soutien à une entreprise française en difficulté avec une administration locale, etc.

28Mais se limiter à rencontrer les autorités locales ou leurs fonctionnaires serait inapproprié dans un monde aux acteurs devenus multiples, pour les raisons exposées plus haut. La communication doit donc s’adresser aussi, à des publics particuliers : partis politiques, entreprises, collectivités territoriales, lobbys professionnels, associations, étudiants, acteurs humanitaires, chercheurs, etc. Ces contacts servent autant à apporter de l’information à l’ambassade qu’aux diplomates à exposer leur vision à leurs interlocuteurs. D’où l’importance d’être présent dans les débats académiques et les colloques, de s’adresser aux étudiants (ce que l’actuel président de la République aime, manifestement), de recevoir largement et de se déplacer de même. Car, pour espérer qu’un point de vue soit adopté par les élites d’un pays donné, la première condition est de le faire connaître. La multiplication des acteurs et des lieux de débat impose de tenter d’être présent partout pour peser sur ces débats et modifier les perceptions dans un sens favorable à la vision française.

29La communication avec les acteurs français qui ont une action internationale (entreprises, collectivités territoriales, organisations non gouvernementales, etc.) est également utile pour leur apporter une information et éventuellement modifier leur perception du pays de résidence, souvent pas moins étouffée sous les poncifs véhiculés dans notre pays sur nombre de pays de la planète, en retour de ceux dont nous sommes les victimes. Le rôle d’une ambassade bilatérale étant de défendre les intérêts français dans toute leur diversité, il lui incombe donc de faire bénéficier de ses connaissances et de ses réseaux les représentants de ces divers intérêts – dans une mesure qui reste à l’appréciation des diplomates. Innovation de ces dernières années, une demi-journée, au début de la conférence annuelle des ambassadeurs, est consacrée à des rencontres très rapides (10-15 minutes) avec des dirigeants de PME : de tels entretiens font gagner du temps à des entrepreneurs qui n’ont pas les moyens de rechercher des informations sur de potentiels marchés étrangers et peuvent, après cette brève discussion, décider de consacrer du temps pour en savoir plus ou écarter d’emblée cette éventualité.

30Que le monde soit noyé sous une communication permanente impose de ne pas rester en retrait et de participer à ce qui peut ressembler à un gigantesque brouhaha. C’est d’autant plus important que certains acteurs utilisent la propagande et « l’infox [8] » avec efficacité, dans un cas pour passer un message par tous les moyens, dans l’autre pour faire passer un faux message et détruire ainsi la confiance dans l’ensemble du système de communication – et jeter le doute sur nos propres actions de communication.

31La multiplication des canaux de communication impose d’exister sur les réseaux dits sociaux, qui sont devenus la scène où chacun s’expose et s’exprime. Mais la nature même de ces réseaux est difficilement adaptée à la communication diplomatique, institutionnelle par définition, alors que les réseaux sociaux se fondent sur la relation et l’interaction individuelles : le diplomate ne parle jamais en son nom et sa liberté de parole est bridée parce qu’il n’est qu’un porte-parole, alors que Facebook ou Twitter valorisent le propos libre et personnel [9]. Dans toute sa communication, mais plus encore sur ces réseaux, le diplomate doit naviguer entre l’écueil de la communication purement institutionnelle, proche de la langue de bois, au risque de l’ennui (et donc de l’inaudible), et la personnalisation au risque de la gaffe.

32Il s’agit d’un art qui nécessite du doigté, du tact – un brin de… diplomatie, en somme.


Date de mise en ligne : 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0023

Notes

  • [1]
    J’ai souvenir d’avoir eu quelques minutes pour expliquer à une autorité politique française certaines réalités sur un pays que je connaissais pour y avoir été précédemment affecté et où cette personnalité s’était déjà rendue officiellement. A l’issue de ces quelques minutes, au cours desquelles cette autorité ne m’avait interrompu que pour me poser quelques questions, quelle n’a pas été ma surprise de l’entendre me dire : « c’est étrange, on ne m’avait jamais dit cela ». Non pas que cette personnalité remît en cause ce que je lui disais, mais elle était justement étonnée de n’avoir jamais entendu semblable analyse ; et ma surprise ne venait pas de ce qu’elle fût étonnée de découvrir une réalité, mais qu’elle me le dît !
  • [2]
    Expression volontairement vague, mais qui permet de recouvrir à peu près toutes les situations et le type d’action attendue d’une ambassade.
  • [3]
    Ainsi, il semble que le Royaume-Uni commence de se repentir d’avoir fermé nombre d’ambassades depuis le début des années 2000, car il s’est ainsi rendu dépendant de l’information fournie par d’autres.
  • [4]
    Il n’est pas lieu de s’étendre sur le travail diplomatique bilatéral (promotion des intérêts économiques, culturels, etc.) qui justifie également que l’État consacre quelques centaines de millions d’euros chaque année à son réseau diplomatique (la masse salariale du Quai d’Orsay est de l’ordre de 0,7 % de la masse salariale de l’État).
  • [5]
    Ceci ne vaut que pour les ambassades bilatérales : les ambassades multilatérales, représentations permanentes de la France auprès d’organisations internationales, vivent au contraire au rythme d’un échange permanent d’informations, de propositions et d’instructions. Le dialogue est quotidien, parce que les organisations internationales sont des lieux où des textes doivent être agréés, donc négociés : la position française, in fine arrêtée par Paris, doit prendre en compte les réactions des autres parties à la négociation, rapportées par la représentation permanente. Le travail des ambassades bilatérales ne nécessite pas cette interaction permanente.
  • [6]
    La conférence annuelle des ambassadeurs, fin août, est le moment désormais traditionnel où le président de la République dresse un bilan, donne sa vision et fixe des orientations.
  • [7]
    Tel n’est pas tout à fait le cas dans les pays de l’Union européenne, où la liberté de circulation des hommes, marchandises et capitaux impose un haut degré de confiance dans les organes de contrôle de chacun des États membres – et donc dans l’effectivité de l’État de droit. Il m’est ainsi arrivé de provoquer volontairement un émoi à la télévision locale afin de tenter de mettre fin (avec succès, en l’espèce) à une scandaleuse décision nuisible à une entreprise française, explicable par la corruption d’un juge de l’État européen où j’étais affecté.
  • [8]
    Terme recommandé en lieu et place de fake news qui allie brièveté et clarté – et langue française !
  • [9]
    On voudra pour preuve de ce tiraillement entre la personne et la fonction que nombre de comptes Twitter des ambassadeurs français portent la mention « compte personnel de l’ambassadeur à… ».

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