Couverture de HERM_081

Article de revue

Communication et diplomatie plurielle

Introduction générale

Pages 15 à 17

1La communication diplomatique est partout. Elle utilise toutes les opportunités, s’installe dans tous les évènements internationaux, investit tous les vecteurs possibles – ou presque. Alors que la diplomatie était traditionnellement l’apanage des États souverains, et le métier de professionnels, de nouveaux acteurs sont apparus qui ont développé une démarche de communication diplomatique, explicitement ou non. Les ambassadeurs, dont le rôle était justement de créer des conditions pour éviter les incommunications et les ruptures, doivent désormais composer avec les membres des gouvernements, qui développent souvent une activité internationale intense, mais aussi avec les parlementaires, les intellectuels, les think tanks, etc. Les cabinets des ministres, des maires, des présidents de région ont intégré des conseillers diplomatiques, tout comme d’autres institutions ou entreprises.

2Dans le contexte de la mondialisation, de très nombreuses formes de communication deviennent diplomatiques, assorties ou non d’une qualification particulière : économique, stratégique, culturelle, climatique, d’entreprise, touristique, sportive, spatiale, culinaire, de la recherche, religieuse, numérique, de la santé, muséale, etc. La liste est longue et en constante évolution. En se précisant ainsi, la diplomatie devient plurielle et se dilue, tandis que la communication diplomatique devient banale et omniprésente. Et, à chaque fois, il s’agit bien, in fine, de communiquer, d’influencer, de créer des conditions optimales de réception de messages, d’idéologies, d’utiliser un contexte devenu favorable, alors même que certaines négociations auraient plutôt besoin de secret que de transparence, de discrétion plutôt que de publicité. Certains font de la diplomatie sans l’affirmer, d’autres l’assument : la réception même de certains actes ou messages prend parfois un caractère diplomatique, car elle s’inscrit dans une communication entre représentants mandatés ou supposés de pouvoirs divers, d’intérêts particuliers.

3La multiplicité des acteurs et des opportunités, l’instrumentalisation plus ou moins avouée d’évènements sportifs, de réalisations scientifiques, de notoriétés culturelles, de défilés de mode, d’installation de musées, de co opérations entre universités « classées » ont, en développant énormément le champ de ce qui serait « diplomatique », banalisé de facto la communication diplomatique, qui n’appartient plus seulement aux diplomates professionnels et ne se limite plus au politique. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication correspond aussi à un renouvellement des pratiques – « diplomatie 2.0 » ou « diplomatie numérique » – et il est intéressant d’envisager l’impact des réseaux sociaux notamment sur les objectifs ou sur les résultats des actions des représentations étrangères. Alors que tous les États ou presque ont clairement décidé d’intégrer ces outils et leur utilisation dans leur stratégie, la réalité des pratiques diplomatiques, sur le terrain, est encore loin d’une appropriation délibérée et maîtrisée. Les champs d’action ont cependant changé. En particulier, une nouvelle (ou inédite) proximité avec les opinions publiques dans les pays d’intervention (et cela concerne aussi les entreprises ou d’autres organisations) est mobilisable dans le cadre d’une diplomatie publique d’influence et de reconnaissance.

4La « diplomatie singulière » ne se laissait pas surprendre. C’était une diplomatie du possible, du temps sinon long du moins calibré en décennies, d’une réalité construite par l’articulation entre information, négociation, représentation et coordination, d’une anticipation sans réaction intempestive ou commentaire, une affaire de professionnels qui tentaient de surmonter impressions, sentiments, préjugés. En août 2014, la 23e conférence des ambassadeurs de France, à Paris, a eu pour thème « L’action extérieure de la France : une diplomatie globale ». Cette diplomatie globale est une diplomatie plurielle (cf. Cornago, 2013, dans la sélection bibliographique), au risque d’une fragmentation, d’une soumission à l’actualité, mais, et peut-être surtout, devant composer avec d’autres diplomaties, des acteurs apprentis diplomates.

5Ce volume a pour ambition d’analyser ces évolutions : qu’en est-il aujourd’hui de la communication en diplomatie, jadis une fonction essentielle des ambassades des États souverains, dont le domaine comme les acteurs se sont étendus ? Quelles sont les conséquences de cette double extension acteurs/domaines ? Aboutit-elle finalement à une limitation des incommunications ou, au contraire, à une augmentation des difficultés pour les réseaux diplomatiques régaliens qui ont à gérer les crises ?

6Dans le contexte actuel des diplomaties plurielles, des nouveaux acteurs impliqués et des multiples domaines devenus « diplomatiques », il est aussi intéressant de se demander comment s’articulent entre elles, comment interagissent (ou non) ces formes de communications. Quelle est la place, désormais, de la diplomatie « classique », « régalienne », en tant que moyen classique de réalisation de la politique étrangère d’un État ? Cette banalisation des objectifs dans une volonté globalisante d’une communication multicanal est-elle susceptible d’améliorer les relations, de limiter les incommunications, ou au contraire contrarie-t-elle l’action diplomatique régalienne ? La transparence attendue de la décision publique et la communication généralisée représentent-elles une revalorisation de la diplomatie ? Comment les opinions publiques deviennent-elles un acteur de l’action diplomatique ?

7La première partie de ce dossier met l’accent sur les évolutions et les mutations : celles du travail des diplomates professionnels (François Verrières), dont les profils ont beaucoup changé, depuis des figures comme Keynes (Bernard Valade) ou Romain Gary (Nicolas Gelas). Les outils ont évolué (Marc Loriol), les missions d’influence se réalisent avec des outils nouveaux (Zhao Huang et Olivier Arifon). Le drapeau arc-en-ciel s’invite dans la communication diplomatique (Maria Rostekova et Peter Rosputinsky). Les ambassadeurs, qui désormais utilisent les réseaux sociaux, revendiquent les interactions humaines (Yordanka Chobanova) et tentent de « trouver un équilibre entre vitesse et sagesse ». Ils intègrent aussi des outils du marketing, par exemple pour construire ou améliorer une image de marque (Abel Polese), ce qui permet aux « petits » pays de tenter d’obtenir une place particulière dans les relations internationales mondiales.

8La deuxième partie est consacrée aux reconfigurations, aux nouveaux acteurs qui revendiquent (ou non) une activité diplomatique « communicante ». Il en est ainsi des parlementaires (Philippe Péjo), dont l’activité médiatisée peut ne pas être en phase avec la diplomatie régalienne (Bertrand Ollivier). La diplomatie d’entreprise est désormais bien installée, souvent avec le concours de diplomates de carrière (Denis Simonneau et Élise Bernard) et alors même que certaines entreprises prennent des distances avec les intérêts de leur État d’origine. Pour autant, certains discours sur la responsabilité sociétale des entreprises, utilisés en interne comme en externe, sont souvent davantage « publicitaires » que « diplomatiques » (Stela Raytcheva). De nombreux acteurs participent donc désormais à la communication diplomatique, dans les domaines de la culture, de la recherche scientifique (Pierre-Bruno Ruffini), de l’écologie (Vihren Mitev) ou de l’humanitaire (Carine Luangsay-Catelin), ce qui peut induire, finalement, à la fois une dilution de l’action diplomatique, mais aussi une prise de conscience de son importance, voire des mobilisations citoyennes sur des questions sensibles.

9Ainsi, la communication en diplomatie connaît des succès comme des échecs, ce qu’expose la troisième partie. L’exemple des relations franco-allemandes est édifiant sur ce point (Dominique Herbet), tout comme la crise ukrainienne (Jean Crombois et Diana Elagina) ou encore les relations avec la Russie (Antony Todorov, Loredana Simionov et Gabriela Carmen Pascariu). L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), les think tanks et les organisations non gouvernementales utilisent – et même, peut-être, instrumentalisent – la communication diplomatique avec des résultats très variables (Lucile Desmoulins, Camille Rondot, Florine Garlot et Éric Dacheux). Le sport est devenu un enjeu stratégique majeur pour de nombreux pays (Thierry Côme et Michel Raspaud), tout comme de nouvelles formes de diplomaties culturelles (William Guéraiche). La diplomatie est certainement le dernier recours avant la guerre, mais la guerre est elle-même au centre de communications diplomatiques (François-Bernard Huyghe).

10Il reste aussi des chantiers non explorés dans ce numéro, qui sont les symboles des non-dits, des hésitations, des refus de commentaires publics. La diplomatie vaticane, l’évolution des profils des diplomates professionnels (par exemple la difficile conciliation actuelle entre activité diplomatique et carrière artistique en parallèle), le secret des chancelleries, les négociations à huis clos… La communication diplomatique est peut-être la plus maîtrisée, la plus contrôlée de la scène publique et le spectateur se contente de ce qu’on lui laisse voir.

11Ce numéro d’Hermès constitue aussi un éloge des diplomates régaliens, professionnels de la représentation et de la négociation internationales. Ces derniers ont bien évidemment développé, depuis une bonne décennie au moins, des compétences indispensables de « communicants » et ont à gérer l’image du pays qu’ils représentent dans un contexte informationnel souvent impossible à anticiper. Des compétences qui s’ajoutent à leur capacité de négociation, interpersonnelle, dans un cadre plus ou moins fermé et contrôlé. La diplomatie est en effet, par essence, communicationnelle, mais toute communication n’est évidemment pas diplomatique : il ne suffit pas d’une auto-proclamation ou d’un référencement particulier, mais bien de prendre conscience des objectifs et des enjeux. Les relations internationales entre États de droit ont besoin de citoyens vigilants et actifs, bien sûr, mais aussi d’une diplomatie compétente à même de développer, au-delà de la public diplomacy, de l’image et du commerce, une activité de négociation efficace et crédible. « Les chancelleries ne sont pas des salons de thé » (Emmanuel Rimbert) et il s’agit bien de notre sécurité. Reste à relier les citoyens aux diplomates… Voilà peut-être un enjeu fondamental pour une diplomatie légitime.


Mots-clés éditeurs : communication diplomatique, porte-parole, métier diplomatique, réseaux sociaux

Date de mise en ligne : 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0015

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