1Le sens des mots « public », « privé », mais aussi « intime », « collectif », « commun », est lié à des contextes, des cultures ; leur utilisation s’inscrit dans une dynamique, en particulier liée aux usages et à leur évolution, « la frontière entre “privé” et “public” varie d’une culture à une autre, d’un sexe à un autre, d’une génération à une autre » (Paquot, 2015, p. 50-51), tantôt dans un contexte de « porosité » entre les sphères, tantôt dans une délimitation stricte, sans confusion ni échange. La question des frontières entre le « public » et le « privé » est donc centrale et permet, en les délimitant, de les concevoir. Au sein des sociétés, les êtres relationnels (Simmel, 1988) articulent privé et public, individualité et collectivité. Ainsi, « plus l’individualité d’un sujet s’affirme, plus la distinction entre le “privé” et le “public” lui paraît essentielle ». En dernier lieu, c’est à chacun que revient « l’initiative de tracer la frontière entre ce qui lui paraît […] “privé” ou “public” » (Paquot, 2015, p. 66). Pour Dominique Wolton, l’espace public est aussi valorisé pour des raisons idéologiques : ce qui est public est commun, ce qui est privé est secret et interdit, caché, conservateur (1997, p. 379-380).
2Tout comme celui d’espace public, le concept de « vie privée » est éminemment communicationnel : a minima, il s’agit de pratiques ou d’attitudes visant à restreindre à un cercle particulier ses activités ou pensées, les rendant alors inaccessibles aux autres. Les évolutions des implications politiques, les constats de désengagements civiques ou encore les désenchantements politiques incitent à réfléchir sur les liens interpersonnels, les loisirs, les relations amicales ou familiales, alors même que le champ du « privé » semble rétrécir, les données personnelles s’exposant dans les espaces publics, dans la vie professionnelle comme sur les « murs » des réseaux sociaux.
3La diffusion, et leurs utilisations, voire appropriations, d’appareils de communication numérique, en particulier mobiles, semblent bien avoir transformé les définitions et les frontières des sphères publiques et privées. Pour Patrice Flichy (1991), au début du siècle dernier, les technologies de communication à distance ont rendu possibles des diffusions publiques d’informations, s’affranchissant de la diffusion point à point. La radiodiffusion puis la télédiffusion se sont alors introduites au sein des familles, dans le cadre d’une « privatisation mobile » (Williams, 2003) de flux informationnels dans des espaces privés domestiques, induisant de nouvelles mobilités sociales, avec de nouveaux contenus, et une évolution des sociabilités publiques. La disparition physique du fil, en téléphonie, n’empêche pas de réaliser une communication entre deux personnes seulement, mais ouvre cette possibilité au sein d’un groupe plus ou moins important. Un peu comme le passage du télégraphe à la radiophonie, mais en interactivité. De plus, les contenus, désormais numériques, se mêlent et les canaux de communication peuvent se chevaucher.
4Plus globalement, la communication est au centre des articulations public/privé : il s’agit de comprendre comment « construire le monde vécu » (Gerstle, 1987, p. 659). Pour Dominique Wolton, c’est « la relégitimation du privé qui permet […] à l’espace public de se dessiner et de s’affirmer » (2012, p. 140). Le privé, « facilement identifié au domaine des interdits d’autrefois, des traditions inutiles », s’assimile ainsi, avec la valorisation d’un « public » émancipateur, à une tentation conservatrice : d’un côté, des libertés qui s’expriment publiquement, de l’autre, un individualisme, pouvant devenir privatisme, processus incitant au refus des engagements collectifs, au recul des sentiments d’appartenance, à la mise en veille des valeurs de reconnaissance des autres et de la solidarité.
5Les mises en perspective publiées par Hermès, depuis 30 ans, constituent un corpus unique relatif à ces différents aspects de la communication et de la vie quotidienne. Un enchaînement de thématiques est facile à constater, tant le nombre de contributions abordant ces aspects est important : en particulier, les articles relatifs à la médiatisation de la vie privée, aux frontières entre la sphère privée et la vie professionnelle ou encore à la porosité induite par les activités éditoriales des internautes dans les réseaux sociaux.
Presse et vie privée
6Les espaces publics, espaces symboliques « fait[s] de savoirs et de représentations » (Tétu, 1995, p. 287), ont besoin de médiations, un rôle que jouent les médias, notamment. Mais toutes les informations diffusées ne sont pas d’ordre « public » et les indiscrétions sur les vies privées ont été médiatisées bien avant la diffusion d’informations de toute sorte sur Internet. De nouveaux magazines spécialisés ont émergé, en France, dans les années 1980 et ont toujours des tirages imposants tandis que d’autres hebdomadaires plus anciens ont renouvelé leur contenu, s’inspirant notamment des tabloïds britanniques (Marion, 2005). Les procès faits à la presse sont souvent instrumentalisés par ces médias tandis que s’intensifient les harcèlements médiatiques et les débordements des paparazzis, photographes de presse souvent sans scrupule baptisés du nom d’un précurseur mis en scène par Fellini dans la Dolce Vita.
7Il faut peut-être chercher dans l’ambivalence entre désir de liberté et conservatisme, dans l’articulation, pour soi, des champs du privé et du public, un intérêt pour le privé des people par un public souhaitant une protection de sa vie privée en étant intéressé par celle des personnes publiques, justement parfois en quête de publicité comme de discrétion, selon des rythmes qui ne sont pas ceux des publications et de la réception par le public. Les « anonymes » mis en cause dans les médias, victimes de dénonciations, d’accusations non fondées, ou impliqués dans des instructions judiciaires, ont bien évidemment les mêmes droits que les personnes publiques, ou supposées telles, en matière de protection de la vie privée.
8Comme d’autres pays, la tradition française est de chercher par la loi à établir un équilibre entre la liberté de la presse et le respect de la vie privée. Pour autant, notamment avec l’évolution des programmes (Macé, 1993) vers un exhibitionnisme ordinaire ou particulier, en réponse à une curiosité nouvelle tendant parfois à un voyeurisme télévisuel (Mehl, 1994 ; Jeanneret et Patrin-Leclère, 2003), les frontières entre liberté d’expression et protection des vies privées semblent aussi confuses qu’entre vie publique et vie privée. L’équilibre entre médias et vie privée ne concerne pas seulement la protection des personnes, mais est devenu un enjeu de société, de fonctionnement même de la démocratie (Wolton, 1992 ; Hermès, no 35, 2003).
9La recherche de cet équilibre est d’autant plus compliquée, désormais, que des nouvelles technologies, pratiques commerciales et politiques de communication, en se développant, ont réduit de facto l’espace de la vie privée. En effet, la numérisation des données et la mise en réseau rendent facile la publicité au niveau mondial de tout évènement : le temps, la distance et la mémoire de l’actualité ont été redéfinis et les protections traditionnelles de la vie privée sont devenus très difficiles à appliquer. Les mémoires semblent permanentes et l’information infiniment duplicable. Il est fondamental de s’interroger sur les effets de ces nouveaux modes de traitement de l’information (Sire, 2015) comme sur les manipulations ou accommodements (Soulez, 2004), autant d’évolutions qui renforcent la pertinence du positionnement d’Hermès.
10Vecteurs d’influence ou stratégies commerciales, les images personnelles, les éléments des vies privées se sont ainsi installés dans les espaces publics, questionnant une autre frontière entre le public et le privé : entre le droit des personnes et le droit de l’information du public (Kessous et Rey, 2009). En France, une réglementation complexe et une jurisprudence importante, depuis plus de trente ans, auraient ainsi réduit le champ de la liberté de la presse. Pour autant, la définition de la « vie privée » ne figure pas dans les textes législatifs qui, s’ils n’ont eu qu’un impact relatif sur la réalité de la protection de la vie privée du citoyen, ont provoqué en revanche une augmentation des contentieux, à des fins publicitaires dans beaucoup de cas. Trois attitudes sont caractéristiques des entreprises de presse dans ce contexte : investir dans un service juridique permanent, pratiquer une autocensure et vérifier tous les consentements des personnes citées ou prendre des risques.
11L’image, dans les espaces publics et les médias, a un rôle « aux confins de l’espace public et de la sphère privée » et la question du droit des individus à posséder, et donc en capacité de contrôler, son image reste essentielle (Dayan, 1994). Le « droit à l’image », « droit fantôme » jurisprudentiel depuis 2009 en France, mobilise le droit à la vie privée, le droit de propriété et même dans certains cas le droit de la propriété littéraire (Viera et Maigret, 1994 ; Gingras, 2011). Il ne s’agit pas seulement de l’image de personnes, connues ou non, mais aussi de biens. Ce droit qui participe à la délimitation de la sphère privée dans les espaces publics encourage de facto les manipulations des images.
12Un inventaire rapide des modalités de la recherche de l’équilibre entre protection de la vie privée et liberté de la presse, au sein des différents pays européens, met en évidence une opposition entre deux logiques. Dans la plupart des démocraties occidentales, le système repose sur la primauté, pour les citoyens, du droit naturel à la liberté et sur la protection du point de vue des minorités. Les médias sont reconnus avoir une mission d’intérêt général, d’information du public et participent à la transparence de l’action publique. En revanche, en France, les libertés sont instituées par la loi et la justice reste une autorité plus qu’un pouvoir.
13Cette situation évolue cependant avec l’intégration européenne et le droit européen des libertés contrôlé par la Cour européenne des droits de l’homme dont les arrêts sont reconnus en France au même titre qu’une disposition législative nationale, et qui interprète avec restriction les limites à la liberté d’expression (possibles en cas de « besoin social impérieux »). Il s’agit désormais de prendre en compte les risques issus de la généralisation des usages des réseaux sociaux au niveau communautaire, un enjeu fondamental : comment à la fois garantir le respect des citoyens et assurer la liberté des médias ?
Vie privée, vie professionnelle
14Depuis le début des années 2010, la question des frontières entre le privé et le public dans le cadre de la vie professionnelle a fait l’objet de différentes études (Panczuk, 2011 ; Rey 2013), dont la plupart mettent en perspective une porosité nouvelle constatée et l’évolution des technologies de communication. Pour autant, le phénomène n’est pas nouveau : l’utilisation à des fins privées des téléphones professionnels, bien avant les connexions Internet, a fait l’objet depuis plusieurs décennies de débats, de controverses et de mesures diverses de contrôle, voire de sanctions. En 2013, une enquête du Credoc indique que près de la moitié des actifs utilisent les outils numériques sur leur lieu de travail à la fois pour des usages professionnels et privés.
15En 2015, l’auteur du rapport « Transformation numérique et vie au travail », commandé par la ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, s’interroge sur l’« équilibre entre vie professionnelle et vie privée » et décrit les conséquences de la « révolution numérique », de l’évolution des environnements de travail, de l’évolution du télétravail, du « nomadisme », et de l’absence, souvent, de lieu professionnel de référence (Mettling, 2015, p. 7). Alors que « l’articulation entre vie privée et vie professionnelle se complexifie » (Ibid., p. 18), il s’agit bien d’une des conditions essentielles de la réussite de la « transformation digitale » des entreprises.
16Cette notion d’équilibre est évidemment dynamique, doit être contextualisée, voire individualisée, un « état instable » (Dumas, 2008). La responsabilité de l’articulation revient ainsi aux entreprises comme aux salariés, mais aussi aux dispositions réglementaires. Les usages des technologies actuelles, dans la sphère privée comme dans la vie professionnelle, contribuent à rendre possibles de nouveaux comportements nomades, mais il faut aussi tenir compte de l’évolution de la valeur attribuée au travail (Meda, 2010 [1995]) et de la « place du soi » et du « “à soi” au travail » (Rey, 2013, p. 111), dans le contexte généralisé d’une « économie numérique » particulière (Kessous et Rey, 2009).
17L’empiétement de la vie professionnelle sur la vie privée (et réciproquement) n’est donc pas nouveau, mais la désacralisation relative du travail, la différenciation de plus en plus discutée entre travail, emploi et activité et, peut-être surtout, la prise en compte, pour certains emplois, d’une nouvelle logique de performance liée à la motivation et à la réalisation personnelle, contribuent à modifier les frontières. La réglementation tente de suivre, de s’adapter à ces évolutions, en particulier concernant le « télétravail », encadré par un accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, puis par la loi du 22 mars 2012 qui l’associe à l’amélioration de la qualité de vie au travail. Les dernières ordonnances de 2017 modifiant le Code du travail devraient autoriser la mise en place de dispositifs conventionnels liés aux spécificités locales.
18Le travail à distance est-il vraiment un « levier de transformation des entreprises » (Bouvard et Storhaye, 2013), et plus généralement de la société tout entière, en mobilisant aussi des objectifs (et valeurs) environnementaux et politiques. Le travail à distance aurait en effet un impact sur le coût et la durée des transports en même temps que sur le stress, l’efficacité, une écologie à la fois du corps et de l’esprit en quelque sorte. Il s’agit aussi d’accompagner l’internationalisation économique en installant une plus grande flexibilité sur les horaires des communications et donc sur les distances au niveau mondial. Ces problématiques sont actuellement assez peu investies par les chercheurs dans une approche communicationnelle (pour Hermès, citons les articles de Pascal Petit en 2006 et de Christian Licoppe en 2008).
19Les craintes et défiances vis-à-vis du télétravail sont nombreuses et de différents ordres : peur d’une externalisation ou d’une délocalisation dans le contexte de destruction d’emploi, mais aussi crainte de perte d’une socialisation, des communications informelles, du sentiment d’appartenance et, in fine, d’une évolution jugée négative des cultures d’entreprise. En même temps que ces évolutions, les plateformes Airbnb et Uber en particulier participent à l’extension du freelance, du travail en dehors des contrats traditionnels et d’une transformation radicale du salariat – non pas donc une « fin du travail », mais bien une « fin de l’emploi ».
20Les frontières entre vie privée et vie professionnelle se construisent donc individuellement et collectivement, et les responsabilités sont partagées concernent la mise en œuvre d’une capacité à se déconnecter en dehors du travail, de l’exercice d’un « droit à la déconnexion ». Il est remarquable que l’idée de ce droit soit apparue en même temps ou presque que le « droit à la connexion » : pour pouvoir exercer ses droits (et devoirs) de citoyen, chacun doit pouvoir se connecter à Internet et aux multiples sites et applications lui apportant informations et services, mais chacun doit aussi pouvoir choisir les lieux et les temps de ces connexions, également par rapport à sa vie professionnelle. Le droit à la déconnexion (Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013) constitue le cadre nécessaire de l’exercice d’une pratique qui dépend avant tout de la capacité des travailleurs à l’exercer et il n’est pas du tout évident de pouvoir résumer les différences d’application mobilisant une explication générationnelle : les facteurs explicatifs des comportements sont nombreux et des « fractures » existent au sein de chaque génération. En revanche, il est possible, collectivement, de faire évoluer les environnements professionnels dans ce but : par exemple les RTT (réduction du temps de travail) améliorent dans beaucoup de cas l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle et certaines entreprises ont signé des accords relatifs au droit à la déconnexion. La Poste incite les salariés à ne pas répondre aux sollicitations selon certains critères tandis que d’autres entreprises comme Orange expérimentent des outils de déconnexion. Dans d’autres cas, sont expérimentées des fermetures des serveurs de messagerie pendant les week-ends ou à certaines heures.
Communications digitales, vie privée et intimité
21Après plusieurs décennies d’évolution des usages, d’Internet et des outils de communication, en particulier en réseau, communications individuelles et diffusions collectives utilisent des supports de communication identiques, dans de nouvelles appréciations des distances et des temporalités. En investissant des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou encore LinkedIn, les utilisateurs, conscients ou non des risques de sécurité associés à leur utilisation (Madden, 2012), partagent des photos, des noms, des dates de naissance, des adresses électroniques ou postales, des intérêts, des envies, des désirs, s’inventent des espaces de communication, intégrant « amis » et contacts bien connus physiquement et d’autres, identifiés dans d’autres espaces (Livingstone, Mascheroni et Murru, 2011). Plus que ces contenus, les traces, clics et données de navigation des internautes nourrissent un nouveau modèle économique dans lequel chacun devient en même temps consommateur et marchandise (Perriault, 2009 ; Ertzscheid, 2009), « araignée ou abeille » (Bouchet, 2003) et la « surveillance numérique », désormais, ne se limite plus à la vie professionnelle ou à certains espaces publics (Bouchet, 2009 ; Lancelot-Miltgen, 2009).
22Les usages des « médias électroniques » questionnent donc les frontières entre les espaces publics et privés qui s’ajustent ou s’estompent dans un processus dynamique et individualisé. Nous sommes témoins d’une privatisation de facto du public concomitant à une publicisation du privé. L’individualisation relative des implications de chacun dans ces espaces de communication augmente l’indétermination, ou l’imprécision collective, de ces frontières. Les utilisateurs des réseaux sociaux mettent en place, individuellement, un « continuum » dynamique intégrant les dimensions public et privé, en caractérisant, au gré de leurs choix de publication et du statut des membres de leurs réseaux, certains contenus comme entièrement privés ou publics. Ainsi, la gestion des espaces public et privé s’inscrit dans une malléabilité particulière, personnelle, et dépasse le cadre des réseaux sociaux.
23Cette fluidité relative des temps et des espaces n’est pourtant pas toujours considérée comme un progrès et la rapidité des transitions entre les différentes sphères de la vie quotidienne, entre l’Internet et le hors-ligne, entre le(s) public(s) et le(s) privé(s) amènent à la création temporaire d’espaces interstitiels, mixtes. Les travaux sur le « droit à l’oubli » comme sur les « identités numériques » et l’avenir des données après le décès des personnes physiques participent aux questionnements du rapport au corps, du « moi social » (Marcel Proust), de la construction identitaire, car ces « micro-récits » produits et diffusés sur tous et sur tout ont un impact sur les identités sociales, sur les manières de percevoir, sur les extériorisations des consciences (Stulzman, 2006).
24Internet changerait la société, mais sans pour autant renverser les pouvoirs. À condition de pouvoir/savoir gérer sa propre servitude volontaire, de développer une conscience (un contrôle ?) de l’appropriation personnelle des dispositifs, Internet permettrait de valoriser les conversations de chacun, les intérêts comme les engagements dans un nouvel espace de légitimation, où les publications peuvent être visibles sans être publiques (Cardon, 2010). Mais la fréquentation des réseaux sociaux régis par des algorithmes opaques enferme plus qu’elle n’ouvre, aux autres comme à soi-même, avec l’objectif inavoué d’induire une production permanente de données personnelles, source de valeur dans un nouveau modèle d’affaires. S’agit-il vraiment de l’élargissement d’un espace public qui s’invite jusqu’aux confins de l’intimité de chacun d’entre nous, bousculant les frontières du public, du privé et de l’intime ? L’enfermement dans un flux informatif restreint et peu contrôlé invite, incite chacun à s’inscrire dans une posture communicationnelle nouvelle, dans les actes, les relations, même sans éteindre les smartphones.
25Même si les internautes sont invités à publier leurs pensées, à témoigner de leurs comportements, de leurs désirs, l’intimité conserve ses territoires (Dufoulon et Rouet, 2016). La liberté de publier en ligne n’est pas anonyme, et chacun agit en autonomie et par autodétermination, car, en fin de compte, l’utilisateur lui-même assure la gestion de son activité, qu’il ait ou non conscience des algorithmes et stratégies qui déterminent les contenus que les sites « poussent » vers lui. Chacun construit ses frontières entre l’intime, le privé et le public, et peut toujours avoir le choix d’une rupture, d’un comportement non prévu ou décalé. Et cela s’apprend certainement aussi (Cardon, 2015), par l’ensemble, parce que le social, comme l’organisation, sont communication.
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Mots-clés éditeurs : privé, vie professionnelle, intime, espace public
Date de mise en ligne : 25/05/2018
https://doi.org/10.3917/herm.080.0259