1Beaucoup d’auteurs ont tenté d’articuler les concepts d’information, de communication et d’organisation, expliquant les complémentarités, les liaisons, les interdépendances. De nombreuses approches informationnelles rendent compte du principe organisateur de l’information, processus par lequel « une entité, de nature humaine ou sociale, est transformée » (Metzger, 2002, p. 24), d’autres relèvent les paradoxes de la communication au sein des organisations ou affirment la primauté de la médiation.
2En premier lieu, la relation entre information et communication ne va pas de soi et il est possible de la concevoir de différentes manières. Ainsi, dans une approche systémique, les différents éléments d’une organisation établissent des liens entre eux grâce, notamment, à l’information, lubrifiant du système, tandis que l’approche communicationnelle des organisations considère que la communication permet d’en relier les différents niveaux, de l’opérationnel au politique, en produisant du sens.
3Les interactions entre les acteurs sont au centre de travaux qui se réclament de la « communication organisationnelle ». Il s’agit alors de prendre en compte les contraintes locales et institutionnelles et la communication s’analyse comme un processus susceptible de rendre possibles ces interactions, d’interpréter et, également, de donner du sens aux activités, qui restent les éléments essentiels, souvent implicitement, des organisations. Ces études, s’intéressant donc à la communication au sein des organisations, peuvent ne considérer l’organisation que comme un contenant, lui conférant une existence indépendante des individus qui la composent ou qui l’ont composée, concevant alors l’organisation par essence, la communication étant « ce » qui circule dans le contenant.
4Bien sûr, il est intéressant d’étudier comment la communication est déterminée par la structure de l’organisation, par son histoire, ses rituels, etc. Il est même possible d’étudier ainsi les aspects culturels et symboliques. L’organisation est bien comprise séparément de la communication, et voilà pourquoi cette communication devient « organisationnelle ». Il s’agit de la rendre efficace, bien évidemment, pour que l’organisation fonctionne le mieux possible : partager l’information, éviter les « mauvaises » communications, résoudre les « problèmes de communication », en particulier par des dispositifs techniques. L’organisation peut aussi être envisagée comme lieu de discours enchevêtrés ou encore ensemble de dispositifs communicationnels ou informationnels, en référence souvent à la sociologie des usages. Le terme même de « dispositifs » oriente la conceptualisation de l’organisation en installant une dimension technique (technologique ?) implicite. Il est de plus très facile de constater que plus les technologies de communication se perfectionnent, plus les organisations semblent connaître des problèmes de communication… Tous ces éléments invitent à penser très différemment la communication et les organisations, et tel est bien le projet d’Hermès.
5Si l’organisation était faite de corps et d’esprits, et donc de communication, l’information ne serait alors qu’un élément de contexte, comme les objets ou les processus. Des interprétations et des réinterprétations s’imbriqueraient, se contrarieraient, se compléteraient dans des confrontations d’attitudes et de comportements, parce que l’organisation est faite d’individus, d’individualités et de recherches de sens.
6La fréquentation d’Hermès, ou plutôt de son équipe, m’a fait prendre conscience – au-delà du caractère inextricable des liens entre information, communication et organisation quand il s’agit de s’interroger sur les rôles et comportements des acteurs – de la très difficile conceptualisation de ces liens. Et si, finalement, l’information comprenait la communication, n’en était plus ni l’objet ni le message, mais n’existait que par la communication ? Il ne s’agirait plus alors de tenter de relier information à communication, ou de faire l’inverse, par exemple avec la médiation. Comment en effet considérer l’information comme un contenu si la communication n’est pas (plus) un contenant, mais une relation, un lien, une confrontation, la condition même de la construction de chacun, de soi et de l’autre ?
7La réflexion sur ces articulations, au quotidien, par l’observation même des pratiques, invite à définir l’organisation elle-même comme communication et non pas comme communicationnelle, comme confrontation et non pas comme lieu de confrontation, comme interprétation et non pas comme espace de médiation. Son sens est collectif, son essence est culturelle, sa temporalité est partagée, son espace est à la fois mental et physique. En nous éloignant des paradigmes instrumentaux ou interprétatifs, l’organisation est communication, car humaine.
8Il faut, alors, tenter d’éviter de penser contenu et contenant, objectivation de l’information, d’opposer discours et pratiques, en centrant l’approche des organisations sur la responsabilité humaine, élément fondamental du management. On peut alors comprendre différemment les routines, les innovations, les manifestations des intelligences collectives, les logiques d’apprentissages de ces organisations-communications, mais aussi la question des valeurs, la non-neutralité absolue de tous les outils de gestion, le caractère idéologique des gouvernances, les servitudes volontaires.
9L’organisation est communication, car la communication n’est pas un simple transfert d’information, mais le processus fondamental qui construit notre réalité sociale. Il s’agit aussi d’un projet : celui de tenter un regard nouveau sur les structures de nos sociétés.
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