Couverture de HERM_080

Article de revue

Propos sur la communication politique en Afrique

Pages 227 à 229

1Face aux défis énormes, auxquels le continent africain fait face depuis toujours, le temps est venu de replacer la communication politique au cœur des débats. Repenser ce concept demeure un impératif pour permettre aux acteurs (hommes politiques, opinion publique et médias) de s’approprier l’action publique. C’est la condition sine qua non pour l’émergence d’une véritable démocratie de masse, gage d’un développement harmonieux, durable et inclusif en Afrique.

2La présente réflexion est le fruit de mes participations au comité de rédaction d’Hermès depuis 2015 et de mon expérience personnelle dans le champ de la communication en général et des sciences politiques en particulier.

À propos de la communication politique

3Les relations entre la politique et la communication – entendue comme sphère dans laquelle se discutent les affaires communes et se prennent des décisions – sont des plus anciennes. L’émergence de la communication politique est l’aboutissement du double processus de démocratisation et de communication, correspondant à des aspirations profondes de l’homme. À tous les niveaux, la politique a besoin de la communication pour se réaliser pleinement. Sur le plan anthropologique, la communication intervient comme mise en scène des détenteurs du pouvoir, associée à un travail de légitimation de l’autorité. Au niveau gouvernemental, elle est liée à la propagande qui contrôle les représentations sociales et mobilise les gouvernés (Mercier, 2017). L’originalité et l’intérêt de la communication politique résident donc dans le fait que cette science interdisciplinaire constitue ce lieu d’expression et d’affrontement des légitimités constitutives et contradictoires de la démocratie de masse. En ce sens, elle est une réalité nouvelle, observable tant à l’étape fonctionnelle que théorique dans les sociétés (Wolton, 2016).

L’Afrique à la traîne !

4Toutefois, si la conscientisation des peuples par la communication est une réalité dans les sociétés occidentales, tel n’est pas le cas en Afrique, malgré quelques progrès. Non pas parce que les citoyens africains préfèrent rester aux antipodes des autres, mais parce que les axes de réflexions relatifs aux problématiques sociopolitiques sont mal définis. Les initiatives sont peu ambitieuses et pas toujours suivies d’actes empiriques. C’est plutôt une posture attentiste, sinon réactionnaire, du moins défaitiste, qu’il est donné de noter. Les sommets de l’Union africaine ressemblent plus à des clubs d’amis et résolvent rarement les problèmes de gouvernance et de démocratie. En Côte d’Ivoire, par manque de vision sur le long terme, face à l’effondrement du système économique en 1980, une instabilité sociale s’est installée. Au Zimbabwe, les multiples choix politiques hasardeux de Robert Mugabe ont contraint plus de trois millions de personnes à émigrer en Afrique du Sud pour fuir la misère en 2008. Les intellectuels, qui ont autorité à s’exprimer publiquement sur la politique, à partir d’une logique de la connaissance, tiennent régulièrement des discours inaudibles, peu crédibles – alors que ce sont justement eux qui devraient faire partie de la communication politique.

Ambitions nobles, vision prospective floue

5Au sortir de l’esclavage et de la colonisation, les élites africaines ont entrepris des actions visant à affronter les graves crises sociales, politiques, économiques et culturelles. Ces crises avaient provoqué la perte des repères identitaires des peuples obligés, au nom du « progrès », de faire face à une acculturation et à des perturbations sociales profondes (Tudesq, 1998). À partir des années 1920, de grandes idéologies vont donc se développer, principalement parmi les intellectuels. Le panafricanisme et la négritude en sont des illustrations. Bien que les méthodes de lutte fussent différentes, ces doctrines visaient les mêmes objectifs : l’émancipation et la reconnaissance de l’humanité des Noirs. En 1960, le panafricanisme finit par être intégré dans la panoplie des politiques des États regroupés au sein de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) (Ellis, 1995). L’OUA se présentait comme une réponse aux aspirations des populations d’Afrique vers la consolidation d’une fraternité et d’une solidarité intégrées au sein d’une unité plus vaste transcendant les divergences ethniques et nationales. Mais paradoxalement, Félix Houphouët-Boigny, qui joua un rôle de premier plan dans la création de ce mouvement en 1963, ne crut jamais en ses finalités. Il assimilait l’organisation à un parlement, voire une cour de justice, qui s’arrogeait de plus le droit de critiquer sa politique (Baulin, 1980). C’est le cas de plusieurs projets politiques qui, tout compte fait, semblent n’avoir rien apporté à la résolution des maux réels des Africains.

Associer les citoyens à l’action publique par la communication

6Les ambitions parfois démesurées des leaders africains ont peiné à produire les effets escomptés par absence de concertation et de dialogue social, par la communication au sens de négociation (Wolton, 2016). En Afrique, dans les années 1990, les conférences nationales, le « printemps » de la presse, avaient laissé entrevoir une prise en charge par les populations de leur destin. Les risques majeurs demeuraient tout de même : la détermination par l’Occident de l’avenir de l’Afrique ; les pouvoirs qui se voulaient providentiels et les nouvelles menaces liées au terrorisme (Pomel et al., 2015). En Côte d’Ivoire, depuis la réinstauration du multipartisme en 1990, la compréhension effective de la nécessité de discussion n’est pas encore ancrée dans les mœurs (Bamba, 2015). Dans ce pays, les crises sont liées d’une part à un mauvais legs de la colonisation française et d’autre part aux modalités de la naissance d’une société politique ivoirienne (Dozon, 2011). Afin d’éviter une rechute en 2011, le président élu, Alassane Ouattara, a tenté de trouver des solutions aux maux qui minent son pays (Hofnung, 2012). Mais sur ce plan, le dialogue politique a du mal à fonctionner. Le pouvoir et l’opposition sont dans une incommunication totale.

La communication politique comme solution aux maux de l’Afrique ?

7Le succès de la démocratie et de la culture politique en Afrique repose sur une bonne stratégie de communication politique ; ce qui suppose l’existence d’un véritable espace public où vont s’échanger les discours contradictoires. Pour ce faire, les citoyens doivent s’identifier, d’une manière ou d’une autre, aux discours ou enjeux qui circulent dans les agoras (Wolton, 2017). Cette communication doit enfin reposer sur le modèle dialogique, qui met en présence des individus, l’espace public et les médias (Achache, 2017). L’Afrique doit donc relever le pari de la démocratie, par la communication, si ce continent veut être réellement démocratique comme les autres.

8La modification des équilibres géostratégiques, la révolution numérique et les défis de l’accoutumance au changement climatique, l’économie mondiale, ont créé de profondes mutations dans le monde. L’Afrique a pour obligation de trouver son positionnement au sein de ce nouveau paysage en constante évolution. De notre point de vue, ce défi passe par une communication politique bien repensée.

Références bibliographiques

  • Achache, G., « Le marketing politique », in Mercier, A. (dir.), La Communication politique, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2017, p. 117-132.
  • Bamba, S. (dir.), Les Espaces de discussions de rue en Côte d’Ivoire : risques supposés, risques réels ou risques surfaits ?, Paris/Talence, Karthala/MSHA, 2015.
  • Baulin, J., La Politique africaine d’Houphouët-Boigny, Paris, Eurafor-Presse, 1980.
  • Dozon, J.-P., Les Clefs de la crise ivoirienne, Paris, Kartala, 2011.
  • Ellis, S., L’Afrique maintenant, Paris, Karthala, 1995.
  • Hofnung, T., La Crise ivoirienne. De Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, Paris, La Découverte, 2012.
  • Mercier, A., « La communication politique entre nécessité, instrumentalisation et crise », in Mercier, A. (dir.), La Communication politique, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2017, p. 15-44.
  • Pomel, S. (dir.), Du risque en Afrique. Terrains et perspectives, Paris, éd. Karthala-MSHA, 2015.
  • Tudesq, A., L’Espoir et l’illusion : actions positives et effets pervers des médias en Afrique subsaharienne, Talence, éditions de la MSHA, 1998.
  • Wolton, D., Communiquer c’est vivre. Entretien avec Arnaud Benedetti, Paris, Cherche-Midi, 2016.
  • Wolton, D., « Les dix contradictions de la communication politique », in Mercier, A. (dir.), La Communication politique, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2017, p. 63-78.

Date de mise en ligne : 25/05/2018

https://doi.org/10.3917/herm.080.0227

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