1Qu’est-ce qu’une revue scientifique ? Ou encore : que doit être une revue scientifique dans le domaine des sciences humaines ? Une revue scientifique doit être un tableau complexe capable de faire passer de l’information à la connaissance et de la connaissance à l’information. C’est ce que fait Hermès. De plus en plus, les revues scientifiques s’organisent selon des normes communes internationales. Tout est prévu, fixé, ficelé par des paramètres. On est cependant en droit de poser des questions plus larges : que peut-on demander à un texte dit scientifique ? Peut-on l’évaluer à partir de son auteur ? De sa biographie ? Peut-on le cerner à partir de son point de départ : s’il a été écrit par un seul auteur ou s’il est le résultat d’une recherche d’équipe ? S’il a été écrit par un docteur ou par un étudiant ?
2On peut penser que la seule question valable est celle-ci : qu’est-ce que ce texte dit ? L’auteur meurt dès que le texte est fini. Autrement dit : sommes-nous capables d’évaluer la pertinence interne d’un texte et de juger s’il est « bon » sans considérer ou privilégier des données externes comme la biographie de son auteur ? Dans le cas affirmatif, on fait de la science. Dans le cas contraire, on avoue notre impuissance à définir des critères scientifiques dans les humanités. Hermès prouve depuis trente ans qu’il est possible de parier sur la diversité d’horizons théoriques, culturels, idéologiques et sur l’idée d’une revue comme espace pluriel de discussion et de tension.
3Dominique Wolton, créateur d’Hermès, a établi un principe qui peut également être valable pour réfléchir au rôle d’une revue scientifique : « L’identité culturelle et la cohabitation culturelle ne seront reconnues comme enjeux politiques que si ces questions sont débattues contradictoirement dans l’espace culturel » (2003, p. 70). Voilà : une revue scientifique doit être vue comme un « espace culturel ». Un espace culturel est une arène où se jouent les grands matchs de la vie en société. Il y a là en même temps coopération et compétition, convergence et divergence, proximité et séparation, continuité et contradiction, affirmation et négation.
4Hermès a su traiter, en trois décennies, de politique, de cognition et, principalement, de communication et d’information en faisant la différence entre ses deux concepts, soulignant sans cesse la plus grande complexité du premier. On peut oser dire que pour Hermès, la question de la communication est toujours politique et que la communication politique exige une politique de communication pour être comprise et discutée dans l’espace culturel mondialisé de la science. Voilà ce qu’il faut peut-être retenir : la science est aussi un espace culturel où doivent cohabiter les différences et les différends.
5Fille de son temps et héritière de ses espoirs et dilemmes, Hermès a accompagné – de la chute du mur de Berlin à l’explosion d’Internet et des réseaux sociaux – le rôle des technologies dans nos sociétés contemporaines, en discutant toujours de façon critique et plurielle. Mais il faut un cap éditorial : celui d’Hermès est de ne jamais tomber dans l’idéologie techniciste. Il est possible aussi de penser le rôle de cette revue comme celui d’un combat contre toute sorte d’aveuglements contemporains, tels que les a décrits Edgar Morin :
Tant de sources d’aveuglements donc : l’aveuglement sur soi-même et sur autrui, phénomène général quotidien, l’aveuglement qui vient de l’empreinte culturelle sur les esprits, l’aveuglement qui résulte d’une conviction fanatique, politique ou religieuse, d’une possession par dieux, mythes, idées, l’aveuglement qui vient de la réduction et de la disjonction, l’aveuglement d’indifférence et l’aveuglement de haine ou de mépris […] L’aveuglement qui vient d’un excès de rationalisation ou d’abstraction, lesquelles ignorent la compréhension subjective. L’aveuglement par méconnaissance de la complexité.
7Et nous revenons au début de cet article : évaluer la valeur d’un texte scientifique par la seule biographie de son auteur ou par ses titres serait encore un aveuglement, une méconnaissance de la complexité de la production d’idées. Hermès est un espace culturel de cohabitation et de combat contre les aveuglements technicistes, technocratiques, scientifiques, rationalistes, positivistes et autres. Il faut parfois aller regarder l’envers du décor pour en savoir plus sur une œuvre qui se donne à voir en toute sa splendeur. Les réunions du comité de rédaction d’Hermès, qui se tiennent tous les six mois et qui rassemblent des chercheurs de tous les continents, sont encore un témoignage de cette recherche de la diversité dans un espace culturel complexe.
8Il faut penser la communication. Toute notre époque passe par là. Il faut montrer que la communication exige la reconnaissance de l’autre, cet autre toujours différent de moi. Il faut penser la communication au-delà de la technologie. Voilà les piliers peut-être de cette aventure intellectuelle et scientifique appelée Hermès. Trente ans aujourd’hui, trente ans déjà, dans la fraîcheur de la jeunesse et dans la maturité de l’âge de la raison, sans pour autant se laisser aveugler par les mythes d’une rationalisation maladive. C’est dit.
Références bibliographiques
- Morin, E., La Méthode, vol. 6. L’Éthique, Paris, Seuil, 2004.
- Wolton, D., L’Autre mondialisation, Paris, Flammarion, 2003.