Notes
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[1]
Voir à ce propos le numéro 26-27 sur la démocratie locale qui, bien que représentant un retour au lien direct, n’exclut pas les difficultés des relations interhumaines et interpersonnelles.
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[2]
Agier (2016, p. 22) définit ce risque d’exotisme vis-à-vis de l’autre, lors de son étude des relations avec les migrants. « Le risque de la cause exotique des migrants, “parce qu’ils sont tout ce que nous sommes pas”, c’est d’aller vers une certaine esthétisation de la différence, une séparation et au final une “chosification” de l’autre qui, là encore, dans les faits, risque fort de ne pas correspondre au portrait lointain ou archaïque qu’on en imagine. ».
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[3]
« La coexistence de deux voix devient une menace, conduisant à une schizophrénie sociale, lorsque celles-ci sont en concurrence, mais si elles forment une hiérarchie dont le principe a été librement choisi, on peut surmonter les angoisses du dédoublement et la coexistence devient le terrain fertile d’une expérience nouvelle. » (Todorov, 1996, p. 20).
1La montée des nationalismes en Europe, la peur qu’engendre l’arrivée des migrants, l’érection de « murs » de par le monde, le Brexit, la revendication séparatiste de la Catalogne : autant de signaux forts de turbulences politiques, économiques et sociales.
2La diversité culturelle est pour Hermès avant tout une question politique. Dès 1999, l’interrogation sur le futur européen se fait au travers de la revendication du concept de cohabitation culturelle ; en 2004, c’est la Francophonie politique qui est interrogée par ce concept. Cette diversité est à chaque fois liée aux questions économiques et politiques de la mondialisation, comme en témoignent les numéros les plus récents : le no 75 sur les langues romanes, le no 77 sur les incommunications européennes et le no 79 sur les BRICS.
3La revue parcourt plusieurs aires régionales, dans le but d’éprouver la validité de sa conception de la « cohabitation culturelle », mais également, lorsqu’elle rencontre des ruptures, pour tenter de solidifier son modèle conceptuel. La diversité culturelle pose la question de la paix, alors que l’on ne se comprend pas. Comment faire cohabiter les humains qui ne peuvent plus s’ignorer – du fait des nouvelles technologies de l’information et de la communication et du journalisme mondialisé – alors que l’intercompréhension fait souvent défaut ?
4En sus des numéros-titres, l’interrogation court, plus discrète, par exemple sous la plume de B. Mve-Ondo à propos de la fracture dans la société de la connaissance (2006) ou encore dans les discussions sur les stéréotypes (Hermès, no 30, 2001). Le catalogue des publications relève pas moins de 42 titres sous la rubrique « diversité culturelle et sociétés », ce qui représente le record absolu de toutes les rubriques du recueil. Cette longévité, en dehors de toutes modes, est un premier trait spécifique de la revue Hermès.
5Un second caractère spécifique tient à la pluralité des disciplines convoquées pour analyser la diversité culturelle. D’un côté, la revue convoque les disciplines aptes à questionner les institutions culturelles : l’économie – car la culture, quoi qu’on ait dit, est bien un marché, surtout pour sa valeur symbolique – ou l’interrogation juridique sur l’universalité des droits, quand les barrières juridiques, politiques, financières viennent contrecarrer l’accès aux œuvres, tant au niveau de la production qu’à celui de la diffusion. À l’Unesco, la Convention sur le droit à la diversité de l’expression culturelle (1985) n’a pu aboutir qu’après trente ans de débats et négociations. C’est souligner la complexité des facteurs politiques, économiques, sociétaux, communicationnels en jeu. La Convention pour la biodiversité n’avait demandé « que » vingt ans de démarches !
6De l’autre, ce sont les disciplines capables de scruter les rencontres interpersonnelles qui sont invitées à analyser comment cette diversité se fait jour dans les rencontres interhumaines mondiales.
7La diversité culturelle expose les chercheurs au paradigme de la complexité et dévie la question vers la cohabitation scientifique.
8Sous l’impulsion de Dominique Wolton, les traditions académiques sont délibérément bousculées : foisonnement des disciplines convoquées, en dépit des « murs » soigneusement érigés par chacune d’elles et des « chapelles » plus ou moins tolérées. Dans l’article « Manifeste pour l’indiscipline » (Wolton, 2013, p. 216), ce dernier relève d’ailleurs que l’interdisciplinarité est une forme de savoir qui a permis la naissance des études de communication, mais plus encore que la communication peut permettre de comprendre les échanges entre différentes traditions disciplinaires. Dans un article de 2016, L. Radut-Gaghi et D. Oprea notent la difficulté de faire de la recherche européenne, tant les divergences culturelles sont grandes. Ces quelques lignes illustrent qu’au sein même du royaume de la connaissance, en dehors de toute pression économique ou politique, la diversité des sciences est un long processus.
Rappel épistémologique
9Au plan de la communication interpersonnelle et interculturelle, c’est tout le rapport à l’altérité qui occupe le terrain. L’altérité est, depuis le début, au cœur des investigations d’Hermès : qu’elle soit celle du public des médias de masse, ou celle de l’étranger que l’on ne comprend pas. Les chercheurs impliqués dans la revue ont comme devise : « l’autre n’est pas une donnée » (pour reprendre le titre du no 68 de la revue, paru en 2014).
10Historiquement, c’est en Grande-Bretagne, par le métis Stuart Hall, à Birmingham (ville industrielle cosmopolite) qu’émergent en Europe les cultural studies. À cette époque, pourtant déjà aux États-Unis (Berkeley University) surgissent sous la plume de chercheurs africains des revendications historiques et scientifiques sur l’esclavage et le colonialisme. De même, pour des mécanismes identiques de subordination et de métissage, c’est au Québec (Taylor, 1994) que, bien avant la France, au sein même de la francophonie, surgit le questionnement du choc des cultures.
11Dans le no 51, Gina Stoiciu (2008) décrit les rares « territoires » où l’on se préoccupe de la diversité culturelle : selon elle, les considérations pratiques sont déterminantes ; ainsi, en premier lieu, les organisations internationales, en charge de la régulation des conflits, puis, en pleine expansion industrielle, l’interculturalité et le management des entreprises multinationales (cf. les travaux d’E. T. Hall puis de G. Hofstede). Enfin, à l’époque, l’intégration des immigrés pose question. Les exilés du nazisme et du soviétisme ne cessent d’interroger la question de l’intégration dans un nouveau système de signifiance et d’intégration sociale (Arendt, Schutz, Anders). La France, centralisée depuis plusieurs siècles, se tient à l’écart (sauf de Gaulle) des revendications du « Québec libre » vis-à-vis d’un Canada anglais « oppresseur ».
12N’est-il pas « amusant » de constater que le concept de diversité culturelle se trouve, dans les faits, ballotté, dénié, valorisé, en fonction du territoire géographique et même de l’origine ethnique des chercheurs engagés sur ce thème ?
13La dimension internationale (politique et économique) l’emporte en conséquence sur les troubles psychologiques, les relations entre individus. Or, faut-il le rappeler, d’un point de vue anthropologique, la communication est aisée, voire quasi normale en milieu endogène, mais devient ardue en milieu exogène, voire conflictuelle et fratricide en confrontation à l’« étranger ». Avec la prise en compte de l’autre, de son irréductible différence, tout se complique. La communication devient incertaine et l’incommunication, concept né lors des travaux sur cette diversité menés par Hermès, refait surface.
14Des travaux anciens de « polémologie » s’efforçaient déjà, au sein de populations animales, de déceler les seuils d’animosité, suivis de violences, liés à la surpopulation. Dans les îles Galápagos où toute intervention humaine est interdite depuis Darwin, la concurrence pour la survie animale, en pénurie de ressources alimentaires, accompagne les mutations génétiques (par exemple allongement du cou chez les tortues contraintes de brouter bien au-dessus du niveau du sol). Concurrence, tentative de domination ou tout au moins de défense de son territoire caractérisent toutes les espèces vivantes (et même les minéraux, si l’on en croit H. Laborit).
15L’angélisme concernant la nature humaine n’est-il plus de mise ? Selon les Écritures, Caïn tua Abel dès l’orée des temps ; mais la conscience élève l’Homme au-dessus des pulsions animales. La mémoire du temps ancien, l’anticipation du futur, au fil des millénaires et dans toutes les civilisations, a suscité l’invention de règles de droit surmontant le simple rapport de force. Bien avant le premier millénaire, une Déclaration universelle était déjà proclamée par Darius, grand rival d’Alexandre le Grand, en plusieurs langues, dans l’immense empire babylonien. Proclamation analogue dans l’empire du Mali, longtemps avant notre Déclaration française de 1789 (charte du Manden, proclamée en 1236).
16L’Histoire est jalonnée, sur tous les continents et sous toutes les formes de cultures, de grandes civilisations qui correspondent chaque fois à de grands Empires ; n’y a-t-il pas une contradiction épistémologique entre proclamer l’universalité et respecter les différences ? Cette difficulté d’application, même sous régime politique « démocratique », est soulignée avec force et régularité, toujours dans notre revue, à partir d’autres thématiques. Citons les contributions nombreuses de Michael Oustinoff, principalement à propos de la « domination » de la langue anglaise ; ou encore Joanna Nowicki dénonçant l’hypocrisie de la démocratie, bafouée de fait de l’Est à l’Ouest de l’Europe sous couvert de « langues de bois ». Plus rarement, d’autres chercheurs évoquent, pour « sortir de la grande nuit » (Mbembe, 2010), l’oppression colonialiste, les revendications du créolisme (Jean Bernabé). La revue Hermès ne cesse de répéter que la culture n’est pas universelle, que le « village global » est une illusion de la mondialisation. Le cercle culture-identité-communication devient alors un questionnement ; pour que la culture soit un facteur de relation, la communication doit permettre d’éviter le risque, toujours présent, du surgissement d’identités-refuges.
17Ces thèmes de recherche sont toujours actuels en 2017, avec par exemple l’historienne Myriam Cottias (CNRS) ou encore Christian Agbobli (directeur de département à l’Uqam, Canada), ou encore avec la création d’une chaire Unesco à l’université Bordeaux-Montaigne, en communication, vouée à l’usage africain des outils de communication, sous la direction d’Alain Kiyindou dans l’héritage des travaux de Robert Escarpit et d’André-Jean Tudesq.
Théorisation nécessaire
18Patrice Meyer-Bisch (2004) qualifie de « virage » la signature de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’Unesco en 2005. En effet, dit-il, jusqu’à cette date, face à la raison universelle une « culture était obligatoirement particulariste ». Or cet aveuglement disparaît progressivement pour faire place aux facteurs d’innovation, de développement que favorise le respect de la diversité. Faut-il rappeler qu’il s’agit ici du management d’entreprise, de la formation, et pas seulement de l’expression artistique ?
19Le mot culture a des acceptions fort diverses (de l’agriculture à l’art) mais, au sens sociologique tel que le décrivait P. Bourdieu, toute activité individuelle ressortit de l’appartenance à telle ou telle communauté (habitat, nourriture, vêtements, rituels, etc.).
20Dans le no 51 (p. 42 sq), l’anthropologue Paul Rasse observe judicieusement que, pendant des siècles, le confinement, les difficultés de transport, d’alimentation, la vie en autarcie ont favorisé l’émergence de cultures originales, holistes, cohérentes au plan économique, inscrites dans la temporalité cyclique de la nature et fortement territorialisées. Il devient clair qu’au plan conceptuel s’affrontent deux théorisations antagonistes : d’un côté le refuge du communautarisme, au sein d’un « vivre entre soi », sans risquer de se perdre dans un vivre-ensemble qui nie les différences. De l’autre côté, les défenseurs abstraits d’une égalité de droits du sujet, purement formelle, atomisée (et si je puis me permettre aussi déshumanisée que l’individu statistique numérisé contemporain).
21La première posture est majoritaire chez ceux qui sont victimes de « dénigrement », de non-reconnaissance ; l’autre, dite « libérale », se situe très au-delà des « contingences » que sont la nourriture, le vêtement, le langage, les rituels… Ce libéralisme s’accompagne d’une forme de cécité ; certains parlent d’aveuglement. Mais l’actualité ouvre enfin les consciences. L’Unesco (par le biais du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines, CIPSH) s’est saisie de ce sujet lors d’une conférence mondiale à Liège, en août 2017 et, c’est aussi l’un des thèmes de la foire du Livre politique, en novembre 2017 (avec les ouvrages Net.lang, sous la direction de Maaya, Le Crosnier et Vannini, 2012, et Les Oubliés de l’internet, sous la direction de Laulan et Lenoble-Bart, 2014, à la tribune de l’association Semantis). Pour illustrer ce risque de « cécité » dans un autre champ « culturaliste », il a fallu plusieurs siècles, en médecine, pour s’apercevoir que l’on ignorait la spécificité des symptômes de souffrance cardiaque entre hommes et femmes : les études scientifiques faites par des hommes sur des patients masculins ayant entraîné une « cécité » aux conséquences parfois mortelles envers les patientes.
L’irruption de la mondialisation
22La réalité sociale, économique, politique rattrape ici la recherche et pose en de nouveaux termes l’interrogation. Longtemps « particulariste », esthétique, la diversité se trouve proclamée par les plus hautes institutions internationales ; mais voici que des ruptures, sur divers continents, viennent bousculer l’apparente unanimité internationale. Le public de cette diversité culturelle est un public rebelle : pas de communication mondiale sans prise en compte de celui-ci. Si les informations et les manifestations sont mondiales, le public lui est toujours régional.
23D’abord la préoccupation croissante de la démographie ; la dominance en termes de populations (Inde, Afrique) vient contrecarrer la « supériorité de l’Occident ». Le développement inattendu des BRICS (cf. Hermès, no 79, « Les BRICS, un espace ignoré ») sur le plan économique, et la maîtrise du savoir rendent tout à coup « menaçants » ces habitants venant occuper nos espaces industriels, imposer leur langue, pratiquer un usage différent de l’Internet (exigences arabes, chinoises).
24La revendication identitaire s’exprime avec force en Grande-Bretagne, France, Allemagne, au fil des élections les plus récentes. L’utopie d’un effacement des différences grâce à l’interconnexion s’érode : il faut gérer la négociation permanente avec l’Autre.
25L’Anthropologie de l’homme mondialisé par Christoph Wulf (2013) invite à redéfinir les concepts, face à une mutation de l’Histoire ; mais, pendant ce temps, la mémoire historique « régionale » vient contrecarrer la doctrine médiatique officielle. Ainsi, faut-il s’interroger sur la cohabitation culturelle en Europe, sur les guerres de mémoire dans le monde. Initiées aux États-Unis, les recherches sur la diversité culturelle dans la mondialisation permettent de penser les associations et mélanges culturels d’une nouvelle façon (Bhabha ou Appaduraï). Ce thème est repris par Bruno Ollivier en 2009 sous le titre Les Identités collectives à l’heure de la mondialisation, mais largement réactualisé, revisité, sous l’impulsion de Joanna Nowicki et Michaël Oustinoff, pour s’achever en 2017 avec l’épais numéro consacré aux « Incommunications européennes », dirigé par J. Nowicki, L. Radut-Gaghi et G. Rouet (Hermès, no 77). Dans ce numéro particulièrement riche de témoignages de voix culturelles peu entendues, le hasard de l’édition fait se rencontrer une évocation-hommage à Georges Balandier, anthropologue des pays émergents ; dès 2005, dans Le Grand Dérangement, il dénonçait l’homme « sur-moderne et suréquipé », mais aussi au plan technico-économique ce qu’il appelle la Grande Transformation, créatrice de nouveaux mondes aux limites incertaines et changeantes (p. 261, cité par Thierry Paquot).
26L’actualité politique immédiate, avec le Brexit, la revendication indépendantiste de la Catalogne, la plaie toujours ouverte en Irlande, tout ceci prouve le bien-fondé des interrogations. Aux facteurs multiples (économiques, techniques, culturels, linguistiques), aucun homme ne peut plus se reconnaître dans cette mondialisation a-culturelle ; or sans reconnaissance, il ne peut y avoir de communication.
Le retour du territoire ?
27Au plan commercial s’opère une valorisation inattendue, elle aussi, du « local [1] », du territorial, de la proximité – somme toute, un antidote à la mondialisation. Sur un autre plan, l’analyse des « réseaux sociaux » révèle que, là aussi, la proximité territoriale définit le nombre des échanges : pour la France, on dépasse rarement la distance du département (source Telecom).
28Indépendamment donc des migrations économiques et politiques, surgissent les revendications juridiques légitimes concernant la langue maternelle, au nom de l’universalité du droit individuel (G. Devereux) de pouvoir s’exprimer, se confier au médecin ou s’expliquer devant un juge dans sa langue maternelle. Au sein des instances internationales (Nations unies), ce thème connaît une place prépondérante, soutenu par la société civile dont la puissante Association Maaya que préside Adama Samassekou, ancien responsable du WSIS (Sommet mondial sur la société de l’information 2003 ; 2005).
29Plus accessoire, mais bien présent, l’attrait pour la différence, l’ailleurs, l’autrement, proche tout ensemble de l’innovation et de la transgression, qui reprend les thèmes évoqués par Segalen (1999) dans son fameux Essai sur l’exotisme. Néanmoins, cet exotisme semble reproduire le stéréotype du différent, l’autre me fascine puisqu’original, mais ce regard écarte et ne crée pas de dialogue [2].
30Les instances juridiques internationales sont désormais sensibilisées aux questions que pose la diversité. Depuis toujours, cet argument de vente commercial, bien approprié aussi par les agences de voyages culturels, fait recette, caractérise même un nouveau style de tourisme. Selon les travaux de la chaire Unesco de Strasbourg (sous la direction de Philippe Viallon), cette forme de voyage est ressentie comme « intrusive » par les autochtones, craignant le « viol » ou à tout le moins le vol de leur « trésor culturel propre ». Ni la mondialisation ni la numérisation ne peuvent, semble-t-il, contrecarrer l’aspiration, singulière, au sein d’un petit groupe défini, à la différence.
31Hermès n’a cessé de répéter que la cohabitation culturelle se construit et prend du temps. L’intercompréhension, devenue centre des numéros récents, nécessite un travail afin de ne pas rejeter l’autre dans une différence absolue, mais de tisser conjointement des liens. À l’assemblée des Nations unies de formuler une régulation en souplesse, respectueuse des différences, dans l’universalité du droit universel. La communication n’est pas un fait, mais un processus jamais achevé ; les travaux évoqués dans notre revue, placée sous la protection du dieu des messagers, nous incitent à découvrir, à l’époque de l’Internet, avec quelles sages mesures préserver le droit universel et la barrière protectrice sociétale dont chaque être humain a le plus urgent besoin.
32Selon les Écritures, la tour de Babel et la multiplicité des langues résultent d’une malédiction divine ; on voit l’imbrication de facteurs différents : mondialisation économique, suprématie (actuelle) de l’Occident pour l’Internet, domination de la langue anglaise dans les échanges internationaux. Autant de rapports de force, de contraintes qui viennent contrecarrer l’aspiration contemporaine à l’individuation, à la liberté d’expression, en plus des revendications identitaires.
33D’un côté, l’individu des sociétés de masse souhaitant pouvoir vivre sa vie dans la différence ; de l’autre, la peur de l’altérité et de la différence – tout cela recouvert par une continuation de l’idée d’un universalisme culturel possible. Cela se traduit par une sorte de « schizophrénie culturelle », pensée par T. Todorov (1996) dans L’homme dépaysé [3]. Si les voix de la mondialisation culturelle ne s’accordent pas, les identités-refuges pointent. C’est alors aux chercheurs, aux organisations mondiales, de réfléchir à la façon dont il est possible de générer une cohabitation culturelle fertile apte à promouvoir une nouvelle mondialisation.
Références bibliographiques
- Agier, M., Les Migrants et nous. Comprendre Babel, Paris, CNRS éditions, 2016.
- Balandier, G., Le Grand Dérangement, Paris, Presses universitaires de France, 2005.
- Daghmi, F., Amsidder, A. et Toumi, F. (dir.), dossier « L’identité dans tous ses états, 1 Identités et dispositifs numériques », REFSICOM, no 3, 2017.
- Daghmi, F., Amsidder, A. et Toumi, F. (dir.), dossier « L’identité dans tous ses états, 2 Catégories symboliques et enjeux sociaux », REFSICOM, no 4, 2017.
- Laulan, A.-M. et Lenoble-Bart, A., Les Oubliés de l’internet, Bordeaux, LEH éditions, 2014.
- Maaya, Le Crosnier, H. et Vannini, L. (dir.), Net.lang. Réussir le cyberespace multilingue, Caen, C&F éditions, 2012.
- Mbembé, A., Sortir de la grande nuit, Paris, La Découverte, 2010.
- Meyer-Bisch, P., « Diversité et droits de l’homme », Hermès, no 40, 2004, p. 39-43.
- Mvé Ondo, B., « Systèmes fractures, libertés et innovations retrouvées », Hermès, no 45, 2006, p. 173-174.
- Radut-Gaghi, L. et Oprea, D., « Entre identité et médias. L’identité européenne comme point de mire d’une recherche internationale », Hermès, no 75, 2016, p. 177-186.
- Rasse, P., « La diversité des cultures en question », Hermès, no 51, 2008, p. 45-49.
- Segalen, V., Essai sur l’exotisme, Paris, Le Livre de poche, 1999.
- Stoiciu, G., « L’émergence du domaine d’étude de la communication interculturelle », Hermès, no 51, 2008, p. 33-40.
- Taylor, C., Multiculturalisme, différence et démocratie, Paris, Flammarion, coll. « Champs Essais », 1994.
- Todorov, T., L’Homme dépaysé, Paris, Seuil, 1996.
- Wolton, D., « Pour un manifeste de l’indiscipline », Hermès, no 67, 2013, p. 210-222.
Publications d’Hermès citées
- Hermès, « www.démocratielocale.fr », sous la dir. d’E. Maigret et L. Monnoyer-Smith, no 26-27, 2000.
- Hermès, « Stéréotypes dans les relations Nord-Sud », sous la dir. de G. Boëtsch et C. Villain-Gandossi, no 30, 2001.
- Hermès, « Francophonie et mondialisation », sous la dir. de T. Bambridge, H. Barraquand, A.-M. Laulan, G. Lochard et D. Oillo, no 40, 2004.
- Hermès, « L’Autre n’est pas une donnée. Altérités, corps et artefacts », sous la dir. de F. Renucci, B. Le Blanc et S. Lepastier, no 68, 2014.
- Hermès, « Les langues romanes : un milliard de locuteurs », sous la dir. de M. Oustinoff et L.-J. Calvet, no 75, 2016.
- Hermès, « Les incommunications européennes », sous la dir. de J. Nowicki, L. Radut-Gaghi et G. Rouet, no 77, 2017.
- Hermès, « Les BRICS, un espace ignoré », sous la dir. d’O. Arifon, T. Dwyer et C. Liu, no 79, 2017.
- Ollivier, B., Les Identités collectives à l’heure de la mondialisation, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2009.
- Rasse, P., La Diversité culturelle, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2013.
- Wulf, C., L’Anthropologie de l’homme mondialisé. Histoire et concepts, Paris, CNRS éditions, coll. « CNRS Communication », 2013.
Mots-clés éditeurs : altérité, cécité juridique, dimension politique accrue, universalisme en question
Date de mise en ligne : 25/05/2018
https://doi.org/10.3917/herm.080.0168Notes
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[1]
Voir à ce propos le numéro 26-27 sur la démocratie locale qui, bien que représentant un retour au lien direct, n’exclut pas les difficultés des relations interhumaines et interpersonnelles.
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[2]
Agier (2016, p. 22) définit ce risque d’exotisme vis-à-vis de l’autre, lors de son étude des relations avec les migrants. « Le risque de la cause exotique des migrants, “parce qu’ils sont tout ce que nous sommes pas”, c’est d’aller vers une certaine esthétisation de la différence, une séparation et au final une “chosification” de l’autre qui, là encore, dans les faits, risque fort de ne pas correspondre au portrait lointain ou archaïque qu’on en imagine. ».
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[3]
« La coexistence de deux voix devient une menace, conduisant à une schizophrénie sociale, lorsque celles-ci sont en concurrence, mais si elles forment une hiérarchie dont le principe a été librement choisi, on peut surmonter les angoisses du dédoublement et la coexistence devient le terrain fertile d’une expérience nouvelle. » (Todorov, 1996, p. 20).