Couverture de HERM_080

Article de revue

La revue Hermès : messager et passeur

Pages 127 à 129

1La revue Hermès représente pour l’étude de la communication et pour les sciences de l’information et de la communication (SIC) un atout et un apport de connaissances importants. Il faut d’abord considérer son audience et sa diffusion. Peu de revues en information et communication peuvent être présentes à l’étranger, dans de nombreuses bibliothèques universitaires et centres de documentation, et rayonner au-delà du champ des études et analyses sur la communication. Par ailleurs, son positionnement orienté vers les phénomènes d’altérité, de politique, de culture, du rôle des médias, des techniques, incluant des apports épistémologiques, en fait une revue précieuse. Avec sa pratique de constituer des dossiers spécialisés par un ancrage éditorial rejoignant souvent l’actualité et les grands domaines de réflexion, Hermès permet de relier une réflexion circonstanciée et contextualisée. Il y a un aspect à la fois historique et analytique qui donne toute son acuité à cette revue. Il faut souligner aussi, sous l’impulsion de Dominique Wolton, la volonté de toujours pousser des problématiques sociales, sociétales, politiques, épousant les grands phénomènes traversés par notre époque. Par ailleurs, Hermès permet à des auteurs francophones du monde entier de se faire connaître et de s’exprimer, afin de faire un tour d’horizon international et de porter des regards sur la sphère francophone mondiale, sur les relations entre pays émergents et pays développés. La revue rend compte des interactions entre le politique, les liens sociaux et culturels, dans une démarche qui permet d’accéder à une mise en perspective incluant aussi des régions du monde souvent délaissées.

L’apport de la revue Hermès

2Hermès apporte en premier lieu un éclairage sur le monde. La revue m’a ainsi orienté vers une véritable prise en compte de l’altérité, de l’interculturalité, des apories et asymétries qui traversent les phénomènes de communication – avec, comme pendant, l’incommunication. Avec une certaine acuité, un refus des convenances de bienséance scientifique, Hermès sait prendre à rebrousse-poil des lieux communs scientifiques et ouvre une voie importante pour construire une assise scientifique qui nourrit l’épistémologie à partir du débat contradictoire, sans complaisance ni facilité.

3Ensuite, Hermès fonde un regard plus large et plus complet sur les phénomènes de communication au-delà des liens, des perceptions, des réceptions, des usages, des médiations. Je considère de plus en plus – et notamment grâce à Hermès – que s’attaquer au questionnement sur la communication et l’information relève d’une approche paradoxale, ce qui m’amène à penser des mouvements tels que communication/incommunication, tensions/liaisons, échange/rupture, modernité/régression, facilitation/complexité.

Une approche unique du numérique

4Au niveau des outils et dispositifs numériques auxquels je m’intéresse plus spécifiquement, notamment sur la question de l’émergence de nouvelles formes de savoir partagés ou d’évolutions des liens et, plus globalement, de leur rapport à la connaissance et à l’apprentissage, Hermès constitue un véritable creuset. Tout le monde connaît la passion radicale de Dominique Wolton sur ce plan – combattre l’efficience et la surdétermination, également scientifique, des techniques –, passion diversement partagée sans doute par son propre comité et par les chercheurs en SIC. Pour autant, il est fondamental qu’une telle position existe et qu’Hermès s’en fasse l’écho. Par ailleurs, cette volonté n’a jamais empêché que les aspects et problématiques les plus novatrices concernant les objets et supports numériques soient abordés. Je pense aux numéros sur l’open science (Hermès, no 57, 2010), les réseaux sociaux numériques (Hermès, no 59, 2011), les problématiques de l’humain augmenté (Kleinpeter, 2013), l’éducation ou le savoir bouleversé par le numérique (Hermès, no 78, 2017). À chaque fois, la revue a su se faire l’écho d’une actualité en permanente évolution, soulignant les novations en cours tout en pointant les apories et asymétries liées à l’intégration du numérique en termes d’excès d’efficience supposée (évaluation, expertise, normalisation, standardisation). Les numéros évoqués ont également montré les nouvelles formes de contraintes et de dérégulations impliquées par les technologies numériques dans la pratique de la science, de l’édition, de la diffusion du savoir, notamment. J’y trouve un écho très sensible et stimulant pour mes propres recherches ou celles menées au sein de mon laboratoire qui ont privilégié par exemple la notion « d’acculturation au numérique » plutôt qu’une supposée culture numérique univoque et établie et la notion « d’expérience » pour mieux rendre compte de situations vécues dans le cadre de transformations engagées sur le terrain de la formation et de l’apprentissage en particulier. Ce qui est réjouissant c’est que l’approche critique promulguée par Dominique Wolton et, pour le coup, relayée par le comité éditorial ne soit ni essentialiste, ni idéologique, ni issue d’une école de pensée, mais constitue bien plutôt une exigence afin de nourrir la discussion, le débat, encore une fois sans complaisance ni mollesse.

5Cette approche du monde numérique sur des aspects à la fois très spécifiques et très documentés dans chaque numéro, reflétant par ailleurs une diversité internationale, est très stimulante. Ayant posé un regard sur ces questions au Mexique, au Brésil, au Liban, au Vietnam, en Afrique occidentale, je trouve chez Hermès cette idée que c’est l’altération versus le déni d’altérité qui peut nourrir l’imaginaire des techniques. Je retrouve aussi derrière des effets proclamés de modernité les risques d’une régression sociétale et culturelle. Si mes orientations diffèrent quelque peu de celles exprimées par la revue, c’est notamment sur les questions liées à l’information qui me paraissent parfois poser des continents de problèmes et de complexité, tout autant que la communication humaine. Il me semble que cette exigence critique, cette volonté d’aller débusquer des apories et asymétries au cœur des technosciences est centrale. Une des idées principales d’Hermès à ce niveau est que si les techniques, notamment depuis le xixe siècle, ont été une longue conquête de l’individuation et de l’émancipation pour les humains, les technologies numériques posent avec une acuité nouvelle le fait que cette émancipation soit corrélée avec de nouvelles formes d’asservissement (bien souligné dans tous les numéros d’Hermès qui ont traité des industries de la connaissance et des relations techniques/cognition) qui reposent à nouveau de façon accrue le rapport humains/techniques, modernité/évolution. Autres idées fortes de la revue : les ruptures sociotechniques s’exercent dans la continuité et les effets de continuité (voire de réinvention permanente des mêmes asymétries) sont inscrits dans les ruptures. Ces deux visions sont propres à Hermès et aptes à nourrir les réflexions des chercheurs.

Références bibliographiques

  • Durampart, M., « Les savoirs et pratiques dans tous leurs états : prolifération des savoirs en action, appropriation, disséminations, à l’ère de la diversité des supports technologiques et des contextes d’usages », in Papy F. (dir.), Recherches ouvertes sur le numérique, Paris, Hermès Lavoisier, 2013, p. 201-240.
  • Durampart, M., « Les TICE dans une perspective comparative Nord-Sud. Une mise à l’épreuve des modalités communicationnelles et de l’apprentissage dans la formation à distance », Hermès, no 49, « Traduction et mondialisation », 2007, p. 221-227.
  • Wolton, D., « Manifeste », Catalogue des publications Hermès, 2017 [En ligne] : <http://fr.calameo.com/read/004781456ca5ab51cddfb>.
  • Publications d’Hermès citées

    • Hermès, « Les élèves, entre cahiers et claviers », sous la dir. de V. Liquète et B. Le Blanc, no 78, 2017.
    • Hermès, « Ces réseaux numériques dits sociaux », sous la dir. de T. Stenger et A. Coutant, no 59, 2011.
    • Hermès, « Sciences.com : libre accès et science ouverte », sous la dir. de J. Farchy, P. Froissart et C. Méadel, no 57, 2010.
    • Hermès, « Critique de la raison numérique », sous la dir. de V. Paul et J. Perriault, no 39, 2004.
    • Kleinpeter, E., L’Humain augmenté, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2013.

Date de mise en ligne : 25/05/2018

https://doi.org/10.3917/herm.080.0127

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