Notes
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[1]
On pourra se référer à l’excellente « Promenade bibliographique » dans Paquot, 2006, ou à D. Le Breton, Anthropologie du corps et modernité (Puf, 2011), F. Dagognet, Le corps (Puf, 2008), M. Jousse, L’Anthropologie du geste (Gallimard, 2008), G. Vigarello, A. Corbin et J.-J. Courtine (dir.), Histoire du corps, 3 tomes (Seuil, 2005), M. Marzano, La philosophie du corps (Puf, 2017).
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[2]
Sèma signifie aussi en grec tombeau.
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[3]
Comme l’écrit Céline Lafontaine (2008, p. 98) : « S’inscrivant dans le double mouvement de déconstruction de la mort [à une première dissolution scientifique de la mort, s’ajoute celle, beaucoup plus profonde et brutale de sa désymbolisation dans les champs d’extermimination nazis] [la cybernétique] participe à la remise en cause de ses fondements anthropologiques en l’assimilant à la seconde loi de la thermodynamique, c’est-à-dire l’entropie ».
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[4]
Sur cette notion d’augmentation, on pourra lire Le Blanc et Claverie (2013), Perriault (2013), et Lindenmeyer (dir., 2017).
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[5]
Cf. le site <iatranshumanisme.com/>.
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[6]
Le réel ne manque pas, « si le sujet veut le dénier, le déjouer, l’oublier, de faire irruption et de mettre en échec les algorithmes les mieux conçus, les bases de données les plus étendues, les calculs les plus massifs qui prétendent tout expliquer, tout évaluer, tout prévoir. » (Laurent, 2016)
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[7]
Avec « l’homme, animal puant […] aimable quand elle émane de l’être aimé, telle le parfum de son âme, l’odeur corporelle devient détestable quand elle impose la fragrance d’une intimité animale parce que non désirée »
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[8]
Le collectif Pierre Alféri, Dominique Figarella Catherine Perret, Paul Sztulman, introduit avec trois textes le numéro 72 d’Hermès. Les auteurs souhaitent montrer qu’une recherche fondée sur la pratique artistique est conditionnée par une triple invention : formelle (la thèse comme œuvre-mémoire) ; pédagogique (fondée sur l’appropriation et le déplacement de la scène de l’art) et institutionnelle (un nouveau modèle du laboratoire).
1Certains mots entendus provoquent la colère ; d’autres, manquants, rendent les corps violents. Quand Zinédine Zidane assène un coup de tête à Marco Materrazzi, le corps de son adversaire devient un corps ennemi. Les combats au corps à corps ensanglantent toujours les champs de bataille. De Verdun à Alep, quand on tue, c’est toujours corps et âme. Et puis il y a l’autre et la caresse : Michel Piccoli pour Brigitte Bardot (Le Mépris, Godard, 1963) ; l’autre qui, même absente, sera toujours là pour une dernière danse : Isabelle Renault pour Bruno Ganz (L’éternité et un jour, Angelopoulos, 1998) ; l’un et l’autre qui se diront toujours des mots de toujours pour toujours : Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva (Amour, Haneke, 2012). On pense souvent que l’autre sème le désordre. Or, le désordre est en nous, marque d’une détresse originelle qui fait que l’on a toujours besoin de l’autre pour s’accorder. Se jouent alors les enjeux de la communication, avec ce que chacun a de plus profond, d’étrange et familier que révèlent la lecture de L’Innommable (Beckett, 1953) et le concept d’incommunication (Wolton). En 2018, la question est de savoir pourquoi souhaiterait-on se passer de l’autre alors que notre corps en a toujours besoin pour s’accorder.
2L’objet de cet article n’est pas d’ajouter une réflexion de plus autour du thème du corps [1], mais de montrer en quoi le concept de communication humaine, pensé par la revue Hermès, en modifie l’appréhension. Dans un contexte de marchandisation, de réification du corps, de son hybridation avec la technologie, nous réaffirmons que le corps a davantage besoin de l’autre humain que d’une augmentation technique pour répondre à ses désaccords. La question de communication n’est pas de trouver un accord sur un désaccord verbal, mais de saisir en quoi l’autre qui n’est pas transparent, qui préserve son intimité, est essentiel pour accorder notre corps. La communication est alors déterminante. « Ce n’est pas seulement la vie privée qui nous accompagne comme un passager clandestin dans notre long ou bref voyage, mais la vie corporelle même et tout ce qui traditionnellement s’inscrit dans la sphère de “l’intimité” […]. C’est comme si chacun sentait obscurément que l’opacité de la vie clandestine renferme en soi un élément authentiquement politique, en tant que tel éminemment partageable – et que cependant, si l’on essaie de le partager, il échappe obstinément à toute prise et ne laisse derrière lui qu’un reste dérisoire et incommunicable » (Agamben, 2015). L’enjeu est politique.
3En Europe, les réseaux des langues latines, grecques, hébraïques et arabes constituent les matrices des significations. Pour le mot « corps », il existe en plus l’empreinte des traditions philosophiques qui ont discuté la séparation du corps et de l’esprit. Le Dictionnaire historique de la langue française (2010, p. 540), sous la direction d’Alain Rey, indique que « le mot corps vient du latin corpus. Dès l’origine corpus est pris dans l’opposition “corps-âme” opposé à anima ou animus, et désigne non seulement l’organisme vivant, mais aussi le corps inanimé, le cadavre [2], ainsi que tout objet pris dans sa matérialité. Par métaphore, il est employé à propos de choses composées de parties ». À l’ère d’une mondialisation où les techno-biologies effacent les zones d’opacité vitale du corps à travers l’imagerie numérique, le Tour du monde des concepts dirigé par Pierre Legendre (2013) exprime toute la complexité du « mot-concept » « corps » entendu différemment par un Arabe et un Perse, un Africain du Burkina Faso ou du Gabon, un Chinois, un Indien, un Japonais, un Turc ou encore un Russe. Le corps manifeste les enjeux du couple identité/altérité qui se rapproche alors des enjeux exprimés en sciences de la communication par la revue Hermès. L’aborder sous l’angle de la communication, c’est réaffirmer une altérité de l’humain, inhérente à son inachèvement à la naissance et à l’incomplétude du symbolique, ayant pour conséquence l’évolution permanente de son cerveau tout au long de sa vie.
4De manière insidieuse, le mouvement transhumaniste « h+ » s’approprie les technologies émergentes (réseaux informatiques, intelligence artificielle, cellules-souches, robotique, etc.) pour les greffer à l’humain. Désormais le corps s’écrit par algorithmes. Plus grave, ce mouvement transhumaniste touche de près à nos invariants symboliques autour de la naissance et la mort qui structurent nos vies en restant des mystères, des impossibles à dire, sur lesquels reposent des mythes. Pourquoi sommes-nous autant soumis à ce mouvement de désymbolisation du corps alors que, comme le rappellent les travaux de Brigitte Munier (2014), les mythes nous protègent du réel en le contenant ? Un premier élément de réponse se trouve peut-être dans l’essai Les mirages de la certitude (Hustvedt, 2018) : « L’enthousiasme pour l’homme transcendantal vient-il de l’horreur ou de la crainte d’une universelle dépendance originelle au corps d’autrui, le corps de la mère in utero et, ensuite, le besoin du lait de ce corps ou un besoin de nourriture ou de réconfort offerts par le corps d’une autre personne ? ». Il faudrait se passer de l’autre, tel est l’objectif du transhumanisme. Une seconde réponse se trouve dans la notion de convergence. Elle est le nom d’une société qui offre une course contre la mort dans le roman Zéro K (Don DeLillo, 2017) ; elle s’attache aussi à l’acronyme NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique, sciences cognitives) qui hérite d’un mouvement de désymbolisation de la mort [3]. Comme le montrent Bernard Claverie (2014) et Céline Lafontaine (2008), cette notion de convergence s’inscrit dans une histoire indissociable de la cybernétique, de l’entropie, donc de l’information. Alors qu’il existe un lien entre la procréation et la mort, il y a un effet de dévoilement du réel : « Habituellement les conditions de la procréation demeurent voilées, laissées à l’intimité de chacun […] L’impact des biotechnologies peut se révéler traumatique, à la mesure du réel impensable que celui-ci dévoile » (Ansermet, 2015).
5Alors que biotechnologies de la procréation et algorithmes de prédiction sont de plus en plus connectés, les transhumanistes projettent de « surmonter nos limites biologiques par les progrès technologiques » et d’augmenter [4] les capacités intellectuelles, physiques et émotionnelles. Ainsi, l’idéologie transhumaniste tend à s’approprier ce qui caractérise la communication humaine : l’empathie, l’émotion, la conversation. Ce délire s’affirme dans une dimension communicationnelle avec l’augmentation de « la capacité d’empathie envers les autres », de « la profondeur émotionnelle » et « la félicité perpétuelle par modification chimique (paradise engineering) » [5]. Il leur manque en effet l’expérience de l’autre qui s’incarne dans le vivant. « C’est le fait de manquer l’incarnation qui rend le transhumanisme définitivement superficiel » (Besnier, 2016). L’expérience laisse des traces. Comme le développe François Ansermet avec le concept de plasticité, la constitution de l’inconscient n’est pas uniquement « un phénomène d’ordre psychique mais met en jeu également le corps ». L’incommunication humaine ne peut être résolue par l’idéologie technique car « le vivant est soumis à cette autre forme de vie qui colonise le vivant : le signifiant trouble le corps, l’affecte, introduit l’équivoque, l’homophonie, l’homosémie, les palindromes, anagrammes ou tropes » (Ansermet, 2015). L’idéologie de l’homme augmenté, déniant l’incommunication, ne fera qu’augmenter l’absence de communication.
Corps et altérité
6Aujourd’hui, dans une visée interdisciplinaire et critique, la revue Hermès pourrait aussi s’ouvrir à des travaux dans la lignée de ceux de Pierre-Marie Lledo (2017), proche de Jean-Didier Vincent et directeur du département de neurosciences à l’Institut Pasteur, d’Antonio Damasio (2017), professeur de neurosciences, et aussi du psychanalyste Éric Laurent (2016). En effet, le premier souhaiterait « fonder une véritable anthropologie de l’altérité », en soulignant que « l’organisation et le fonctionnement du cerveau humain tels qu’on les connaît aujourd’hui sont à l’image de la complexité de nos rapports avec autrui ». Le second, critiquant les programmes, « dotés de cognition pure, mais privés d’affects », montre qu’ils ne peuvent devenir humains car c’est la perception de nos émotions corporelles, nos sentiments, « qui cause nos vulnérabilités, qui nous permet d’être en empathie avec la souffrance et la joie d’autrui ». Les sentiments requièrent un corps. Or le corps jouit. Pour Éric Laurent, « la langue du corps, celle de la jouissance, n’autorise en effet aucun hédonisme heureux. Elle oblige à en affronter le réel » que le monde des algorithmes voudrait dénier [6].
7L’interdisciplinarité est la plus efficiente lorsqu’une problématique forte apparaît. Elle offre un cadre de travail permettant aux auteurs de s’engager sans s’égarer, différents points de vue qui amènent des éléments de réponses dans des faisceaux d’idées appelés à négocier. Il existe toujours une possibilité de se décaler, d’offrir une marge de manœuvre là où l’on pense que tout est figé. La revue Hermès s’élabore à partir d’une problématique en sciences de la communication travaillée dans un cadre interdisciplinaire. Le numéro 68 (« L’autre n’est pas une donnée. Altérités, corps et artefacts ») a ainsi comme problématique celle de l’altérité à l’épreuve d’un être informationnel et une première partie, consacrée au corps, a été élaborée avec des auteurs de différentes disciplines. Ainsi, pour David Le Breton, le corps est « pourvoyeur de significations » qui ne doivent pas être réduites à un traitement d’informations ; pour sa part, Jean Caune croise différentes cultures et pratiques pour montrer un corps dans sa dimension relationnelle ; Samuel Lepastier revient sur l’hystérie et l’importance du modèle de conversion. Avec d’autres approches, Pierre Fastrez et Bernard Andrieu, chercheurs en sciences cognitives, rappellent, pour le premier, comment le paradigme expérientialiste a réintroduit le corps dans les sciences cognitives tout en pensant la communication entre individus comme une intersubjectivité qui repose sur une expérience commune incarnée et socialement établie ; le second pose la question de la première personne. Comme le demande Dominique Wolton, ces différentes approches permettent de créer un espace de négociation entre les disciplines, offrant ainsi simultanément une problématique de communication mais aussi une approche méthodologique construite à partir d’une logique de communication entre les disciplines.
8Comme le souligne Bernard Valade (2016) dans « Les cinq sens : diversité et divergence des savoirs désunis », les sciences de la communication et la revue Hermès « permettent de réunir des savoirs dispersés ». Il nous rappelle aussi l’importance de Lucien Febvre avant de définir « sens, sensation, sensibilité ». Ce texte est publié dans le numéro 74, « La voie des sens », coordonné par Brigitte Munier et Éric Letonturier. L’érudition de certains auteurs de la revue confère une profondeur historique nécessaire aux lecteurs. Bernard Valade ou Thierry Paquot peuvent en quelques lignes définir avec finesse des concepts forts. Ce dernier, en quelques mots, rappelle ce que « l’individu » sous-tend, insiste avec une dizaine de références de Georges Vigarello tout en appuyant sur la nécessité, « afin d’éviter tout anachronisme de s’attarder sur le sens des mots ». Aborder le thème du « corps », comme le propose la revue Hermès, c’est aussi soutenir des œuvres littéraires, la métaphore, la métonymie. Brigitte Munier cite ainsi Madame de Sévigné, Victor Hugo, Italo Calvino, Charles Baudelaire. Lire son texte, c’est sentir l’odeur d’un corps « À vue de nez » [7].
9Hermès, c’est aussi une expression libre, engagée. Quarante ans après Le nouvel ordre sexuel (1974), Dominique Wolton affirme que « le rapport sexuel, [c’est] l’épreuve la plus radicale de l’altérité ». L’incommunication préside entre les corps, on a pourtant toujours besoin de l’autre. La communication, telle qu’elle est pensée chez Hermès, offre une marge de manœuvre. Il en a sans doute bien fallu à Dominique Wolton lors de ses entretiens avec le Pape François quand celui-ci affirma, séparant la chair de l’esprit : « – Les péchés les plus légers sont les péchés de la chair. [Dominique Wolton répond] : – D’accord, mais il faudrait le dire plus fort car ce n’est pas toujours entendu… [Le Pape François précise alors] : – Les péchés de la chair ne sont pas (toujours) les plus graves. Parce que la chair est faible. Les péchés les plus dangereux sont ceux de l’esprit. J’ai parlé d’angélisme : l’orgueil, la vanité sont des péchés d’angélisme. J’ai compris votre question. L’Église est l’Église. Les prêtres ont eu la tentation – pas tous, mais beaucoup – de se focaliser sur les péchés de la sexualité. C’est ce dont je vous ai déjà parlé : ce que j’appelle la morale sous la ceinture. Les péchés les plus graves sont ailleurs ». Le numéro 69, « Sexualités », coordonné par Étienne Armand Amato, Fred Pailler et Valérie Schafer, apporte de multiples réponses sur les questions de normalité et d’anormalité, les relations entre le sexuel et la communication. Dès lors, il a fallu penser le corps avec « les sexualités au pluriel », ce qui « offre alors l’occasion de considérer qu’il n’y a ni communication ni sexualité évidente a priori ».
10L’art engage le corps. Publier des artistes, c’est une position engagée d’Hermès. Le numéro 72, « L’artiste, un chercheur pas comme les autres », en témoigne en publiant des écrits d’artistes qui se prononcent d’une part sur la question de la recherche pour un artiste et d’autre part sur l’importance du corps dans la création artistique qui noue le corps de l’artiste, son œuvre et son public. Mais il faut que l’artiste ait pu se mettre en accord avec le rythme propre de son œuvre. Pierre Alféri, Dominique Figarella, Catherine Perret et Paul Sztulman [8] proposent des « scènes de recherche pour un art vivant », des scènes de recherche où le corps a une « importance fondamentale dans l’enseignement […] parce qu’il est l’outil qui permet de percevoir et de ressentir son travail aussi bien que celui des autres […] dans une situation de parole où les savoirs doivent pouvoir travailler et s’actualiser au tempo des œuvres qui s’élaborent ». Bernhard Rüdiger, l’artiste, celui qui est « capable de transformer le ressenti en une forme de dialogue avec le monde », effectue « un travail de compréhension : incorporer l’espace et pour ainsi dire “excorporer ses organes” […]. L’approche esthétique étant le résultat de cette complexe opération d’objectivation de ce qui est perçu par le corps ». Alors que Frank Madlener souligne qu’entre l’information et le corps, « jamais le raccourci n’a été aussi vif, aussi sensationnel, aussi continu », il valorise le rôle de l’interprète qui, face à cet afflux de données, loin d’une hyperspécialisation ou d’un reflux mélancolique, « va donner » cours au goût de l’expérimentation. Le danseur-interprète Jean-Christophe Paré souligne la temporalité propre du geste artistique qui s’entreprend d’autant mieux « dès lors qu’on ose perdre son temps […]. Dans le travail artistique, le rapport au temps n’est pas conflictuel mais, à coup sûr, de l’ordre du combat ». Entre artistes et chercheurs, comme le souligne Jean-François Peyret, qui a collaboré avec Jean-Didier Vincent ou encore Alain Prochiantz, « n’oublions jamais la différence, nos différences. Chacun reste l’autre de l’autre […]. Le scientifique vient faire de la science, sur un autre tempo et l’homme de théâtre essaie de faire un théâtre un peu autre ». La revue Hermès accueille dans son comité de rédaction des artistes mais elle pourrait aller plus loin : faire des recensions d’expositions et occuper d’autres espaces. Comme l’écrit Fabio Poggi (2015) pour la danse in situ, il s’agirait alors d’une « opportunité de resignification, de recontextualisation des espaces ».
Dix concepts
11Pour conclure, à l’ère des biotechnologies et de l’homme augmenté, à partir de travaux récents, nous proposons dix concepts clés pour ce corps qui aura d’autant plus besoin de l’autre que l’on voudra s’en passer. La communication, c’est le besoin de l’autre. Et comme le dit si bien Dominique Wolton en 2016, « Communiquer, c’est vivre ».
12Corps parlant : À la suite de Jacques Lacan qui introduit en 1974 le terme de « parlêtre », « l’enjeu est de situer de la façon la plus précise possible comment la parole impacte le corps. Le mystère dit J.-A Miller, le point de réel est l’union de la parole et du corps » (Éric Laurent, 2016).
13Empathie : Dans le chapitre 4 « Humain, très humain… des cerveaux interconnectés » du livre Le cerveau, la machine et l’humain, Pierre-Marie Lledo définit l’empathie qui permet de vivre, de partager et de ressentir les émotions d’autrui. Il se réfère à de nombreux auteurs, dont J.-D. Vincent (Le cœur des autres, une biologie de la compassion, Paris, Plon, 2003) ; J. Hochman, Histoire de l’empathie (Paris, Odile Jacob, 2012) ; S. Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social (Paris, Albin Michel, 2010) ; G. Rizzolati et C. Sinigaglia, Les neurones miroirs (Paris, Odile Jacob, 2008).
14Émotions, sentiments : Dans L’Ordre étrange des choses. La vie les sentiments et la fabrique de la culture, Antonio Damasio (2017) s’appuie sur deux concepts différents : les émotions qui sont « la série des changements qui se produisent dans le corps et le cerveau », et les sentiments qui sont « la perception de ces changements ».
15Homéostasie : Antonio Damasio (2017) élabore sa théorie des émotions et des sentiments autour du concept clé d’homéostasie. « Les sentiments sont l’expression mentale de l’homéostasie ». Rappelant les travaux de Claude Bernard, il s’en éloigne un peu pour prendre une trajectoire dynamique : « Le vivant nourrit un désir non réfléchi et involontaire : celui de persister et d’avancer vers l’avenir, contre vents et marées ».
16Individu : Choisir le thème de l’individu dans ce texte sur le corps nous paraît essentiel pour rappeler l’articulation des dimensions sociales, biologiques et psychologiques choisie pour entreprendre en sciences de la communication ces deux concepts (Renucci, 2015) qui partagent de plus en plus de choses.
17Néoténie : « En biologie du développement, la néoténie est la possibilité d’atteindre la maturité sexuelle par un organisme encore au stade larvaire ou, par extension la possibilité de conserver des traits juvéniles chez l’adulte, comme pour le cerveau humain qui montre un développement très lent de sa forme mature. […]. C’est parce que ce cerveau est néoténique qu’il reste avide d’interactions sociales. » (Lledo, 2017)
18Plasticité : « La plasticité démontre que le réseau neuronal reste ouvert au changement, à la contingence, modulable par l’événement et les potentialités de l’expérience, qui peuvent toujours modifier ce qui était » (Ansermet et Magistretti, 2004 ; 2011).
19Pulsion, traces, expériences : « La pulsion a son origine dans une association entre un scénario fantasmatique et un état somatique. La dimension somatique est de l’ordre de la quantité, dans la mesure où elle est ramenable à des valeurs biologiques. Les représentations inconscientes, inscriptions et transcriptions successives de l’expérience sont du domaine des qualités » (Ibid.)
20Synchronie, rythmes, diachronie : pour Siri Hustvedt (2018), « “Synchronie” est un mot utilisé pour décrire les adaptations physiologiques et comportementales dynamiques et réciproques qui ont lieu au fil du temps entre un parent et un bébé ». La notion importante dans son ouvrage de rythme apparaît, notamment pour s’accorder sur le rythme de l’autre. Pour Ansermet et Magistretti (2010), toute inscription de traces serait à la fois synchronique et diachronique « prise dans le déroulement des inscriptions et en même temps, prise dans un destin synchronique de réassociations ».
21Transitivisme : Citant Henri Wallon, Paul-Laurent Assoun (2015) rappelle que « le sujet édifie ses limites dans son rapport avec l’autre. Ce brouillage des limites du corps est bien illustré par le “transitivisme” […], comme la “forme” qui “précède immédiatement l’instant où l’enfant saura distribuer sans erreur entre lui et autrui les états où les actes qu’il perçoit” ».
Références bibliographiques
- Agamben, G., L’Usage des corps, Homo sacer, IV, 2, Paris, Seuil, 2015.
- Ansermet, F., La Fabrication des enfants : un vertige technologique, Paris, Odile Jacob, 2015.
- Ansermet, F. et Magistretti, P., Les Énigmes du plaisir, Paris, Odile Jacob, 2010.
- Ansermet, F. et Magistretti, P., À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient, Paris, Odile Jacob, 2011.
- Assoun, P.-L., Corps et symptôme. Leçons de psychanalyse, Paris, Economica/Anthropos, 2015 (4e éd.).
- Besnier, J.-M., « Le transhumanisme et la haine du corps », Hermès, no 74, 2016, p. 214-218.
- Claverie, B., « De la cybernétique aux NBIC : l’information et les machines vers le dépassement humain », Hermès, no 68, 2014, p. 95-101.
- Damasio, A., L’Ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de la culture, Paris, Odile Jacob, 2017.
- Hustvedt, S., Les Mirages de la certitude. Essai sur la problématique corps/esprit, Arles, Actes Sud, 2018.
- Lafontaine, C., La Société post-mortelle, Paris, Seuil, 2008.
- Laurent, E., L’Envers de la biopolitique. Une écriture pour la jouissance, Paris, Navarin/Le champ freudien, 2016.
- Le Blanc, B. et Claverie, B., « Homme augmenté et augmentation de l’humain », in Kleinpeter, E. (dir.), L’Humain augmenté, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2013, p. 61-78.
- Legendre, P. (dir.), Tour du monde des concepts, Paris, Fayard, coll. « Essais », 2014.
- Lindenmeyer, C. (dir.), L’Humain et ses prothèses. Savoirs et pratiques du corps transformé, Paris, CNRS éditions, 2017.
- Lledo, P.-M., Le Cerveau, la machine et l’humain. Le cerveau au xxie siècle, Paris, Odile Jacob, 2017.
- Munier, B., « À vue de nez », Hermès, no 74, 2016, p. 89-97.
- Munier, B. et al., Technocorps. La sociologie du corps à l’épreuve des nouvelles technologies, Paris ; François Bourin, 2014.
- Pape François, Politique et société. Rencontres avec Dominique Wolton, Paris, éditions de l’Observatoire, 2017.
- Paquot, T., Des corps urbains. Sensibilités entre béton et bitume, Paris, Autrement, 2006.
- Paquot, T., « Historiens des sens », Hermès, no 74, 2016, p. 74-77.
- Perriault, J., « Le corps artefact. Archéologie de l’hybridation et de l’augmentation », in Kleinpeter, E. (dir.), L’Humain augmenté, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2013, p. 37-53.
- Poggi, F., « Quand la ville danse. Espace et performances artistiques », L’Esprit des villes, 2015, p. 219-236.
- Renucci, F., « L’individu communiquant », Hermès, no 71, 2015, p. 64-71.
- Rey, A., Dictionnaire historique de la langue française, 4e éd., Paris, Le Robert, 2010.
- Valade, B., « Les cinq sens : diversité et divergence des savoirs désunis », Hermès, no 74, 2016, p. 31-42.
- Wolton, D., « Pour conclure. Quarante ans après le Nouvel Ordre Sexuel », Hermès, no 69, 2014, p. 192-197.
- Wolton, D., Communiquer c’est vivre. Entretiens avec Arnaud Benedetti, Paris, Cherche Midi, coll. « Documents », 2016.
Publications d’Hermès citées
- Hermès, « L’Autre n’est pas une donné. Altérités, corps et artefacts », sous la dir. de F. Renucci, B. Le Blanc et S. Lepastier, no 68, 2014.
- Hermès, « Sexualités », sous la dir. de V. Schafer, E.-A. Amato et F. Pailler, no 69, 2014.
- Hermès, « L’artiste, un chercheur pas comme les autres », sous la dir. de F. Renucci et J.-M. Réol, no 72, 2015.
- Hermès, « La voie des sens », sous la dir. de B. Munier et E. Letonturier, no 74, 2016.
- Kleinpeter, E. (dir.), L’Humain augmenté, Paris, CNRS éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2013.
Mots-clés éditeurs : interdisciplinarité, conversation, Hermès, corps, création artistique, l’autre, émotion, empathie
Date de mise en ligne : 25/05/2018
https://doi.org/10.3917/herm.080.0089Notes
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[1]
On pourra se référer à l’excellente « Promenade bibliographique » dans Paquot, 2006, ou à D. Le Breton, Anthropologie du corps et modernité (Puf, 2011), F. Dagognet, Le corps (Puf, 2008), M. Jousse, L’Anthropologie du geste (Gallimard, 2008), G. Vigarello, A. Corbin et J.-J. Courtine (dir.), Histoire du corps, 3 tomes (Seuil, 2005), M. Marzano, La philosophie du corps (Puf, 2017).
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[2]
Sèma signifie aussi en grec tombeau.
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[3]
Comme l’écrit Céline Lafontaine (2008, p. 98) : « S’inscrivant dans le double mouvement de déconstruction de la mort [à une première dissolution scientifique de la mort, s’ajoute celle, beaucoup plus profonde et brutale de sa désymbolisation dans les champs d’extermimination nazis] [la cybernétique] participe à la remise en cause de ses fondements anthropologiques en l’assimilant à la seconde loi de la thermodynamique, c’est-à-dire l’entropie ».
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[4]
Sur cette notion d’augmentation, on pourra lire Le Blanc et Claverie (2013), Perriault (2013), et Lindenmeyer (dir., 2017).
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[5]
Cf. le site <iatranshumanisme.com/>.
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[6]
Le réel ne manque pas, « si le sujet veut le dénier, le déjouer, l’oublier, de faire irruption et de mettre en échec les algorithmes les mieux conçus, les bases de données les plus étendues, les calculs les plus massifs qui prétendent tout expliquer, tout évaluer, tout prévoir. » (Laurent, 2016)
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[7]
Avec « l’homme, animal puant […] aimable quand elle émane de l’être aimé, telle le parfum de son âme, l’odeur corporelle devient détestable quand elle impose la fragrance d’une intimité animale parce que non désirée »
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[8]
Le collectif Pierre Alféri, Dominique Figarella Catherine Perret, Paul Sztulman, introduit avec trois textes le numéro 72 d’Hermès. Les auteurs souhaitent montrer qu’une recherche fondée sur la pratique artistique est conditionnée par une triple invention : formelle (la thèse comme œuvre-mémoire) ; pédagogique (fondée sur l’appropriation et le déplacement de la scène de l’art) et institutionnelle (un nouveau modèle du laboratoire).