1Conducteur des âmes, dieu de la communication, Hermès est « un brouilleur de piste, un trafiquant, un brigand. S’il peut représenter l’ordonnancement d’un espace, il peut aussi bien en être le désorganisateur. Il est à la fois l’ordre et le désordre. Il est déroutant et insaisissable ». Tels sont, pour Laurence Kahn-Lyotard (1981), les caractères originaux de ce messager des dieux grecs qu’elle présente dans le Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique. S’ils correspondent parfaitement à ceux de la revue, placée par Dominique Wolton sous le double signe de l’indiscipline et de l’interdisciplinarité, ils rendent dérisoires les quelques indications ou « informations » qui vont suivre – celles, par exemple, que les principaux traits de cette « figure d’Hermès » sont reproduits depuis 2011 (Hermès, no 60) en tête de chaque livraison, ou, qu’à partir de cette date, le « dos » de la revue est rubéfié, ou encore qu’après avoir été domiciliée 27 rue Damesme jusqu’en 2009, puis 20 rue Berbier-du-Mets, son adresse parisienne est, depuis 2015, 3 rue Michel-Ange. Mais toutes ne sont pas aussi anecdotiques, et si Hermès est d’abord une orientation de la pensée, un état d’esprit, il n’est pas tout à fait inutile de rappeler comment celle-là a été tracée – avec quels moyens –, et celui-ci partagé – avec qui, et pour l’atteinte de quels objectifs.
La division du travail
2Publié par les éditions du CNRS en octobre 1988, le premier numéro d’Hermès – Cognition, Communication, Politique est formé des actes d’un séminaire, organisé dans le cadre du programme « Sciences de la communication » du CNRS, et consacré à la communication politique ; il a pour titre « Théorie politique et communication ». Trois instances sont affichées : le directeur de la publication – Dominique Wolton –, un conseil scientifique (CS) de 20 membres présidé par Jacques Lautman, alors chef du département des SHS au CNRS, et un conseil de rédaction (CR) de 15 membres – dont Marc Abélès, Daniel Andler, Jean-Michel Besnier, Pascal Engel, Dominique Reynié. Plus encore que la variété des attaches institutionnelles – universités parisiennes, provinciales, étrangères –, celle des appartenances disciplinaires des membres du CS est particulièrement notable : anthropologie (Marc Augé), droit (Paul Amselek), études transdiciplinaires (Edgar Morin), philosophie (Jürgen Habermas), sciences de la communication (Elihu Katz), sociologie (Alain Touraine).
3Mis en place par Dominique Wolton, ce dispositif éditorial a connu des modifications, plus ou moins importantes, au cours des trois dernières décennies. Une « rédaction » fait une brève apparition dans le quatrième numéro, pour disparaître puis renaître comme « rédaction en chef » en 1999 (Hermès, no 23-24). Cette nouvelle instance, d’abord occupée par Suzanne de Cheveigné, Guy Lochard et Yves Winkin, est rejointe l’année suivante par Jean-Michel Besnier, Éric Maigret, Arnaud Mercier, notamment. Elle s’augmentera tout au long des années 2000-2015 de la quasi-totalité des 21 collaborateurs qui composent aujourd’hui le bureau de la rédaction. Se sont enchaînées pendant cette période la disparition, en 2009, du comité scientifique, la nomination d’un rédacteur en chef (Hermès, no 67, 2013), la substitution à la rédaction en chef de ce bureau (Hermès, no 73, 2015). C’est au sein de ce dernier que sont débattues les questions de programmation, que sont choisis et définis les thèmes des numéros à venir, désignés leurs coordinateurs et superviseurs. Les décisions à prendre font l’objet de réunions bimensuelles, où les échanges ont plus d’affinité avec la liberté d’expression des rencontres du Crapouillot, naguère tenues autour de son « bien-aimé directeur » Galtier-Boissière, qu’avec la gravité de ton d’une société savante. Elles sont ensuite soumises au comité de rédaction – formé à ce jour de 35 membres, dont près d’un tiers vient de pays étrangers (pays européens, pays africains, Brésil, Australie, Canada, Chine, Liban, etc.) – lors d’assemblées convoquées deux fois l’an, qui sont l’occasion de discussions, aussi animées et aussi fécondes que celles du bureau.
4On ne s’étonnera pas, dans ce contexte de libres échanges, de la place donnée aux débats et controverses. Dominique Wolton l’a marquée à l’orée de la revue qu’il a créée : « Hermès comportera une rubrique “Controverses”, de longueur variable » (Hermès, no 1, 1988). En effet, dès le troisième numéro, « Psychologie ordinaire et sciences cognitives », un dossier a pour objet les controverses auxquelles ces dernières donnent lieu. Un numéro complet (Hermès, no 73) sera consacré, en 2015, au thème général « Controverses et communication ». Entre-temps, cette rubrique n’a pas été particulièrement garnie, mais la discussion argumentée est la marque distinctive de toutes les livraisons d’Hermès, et telle ou telle controverse scientifique la matière de nombre d’entre elles. Trois autres « rubriques » ont été, en revanche, régulièrement et substantiellement nourries. La rubrique « Lectures », inaugurée par une recension de Jean-Marc Ferry du livre de Tzvetan Todorov Nous et les autres, est introduite en 1989 (Hermès, no 4) ; après Cynthia Fleury, et depuis 2010 (Hermès, no 58), Brigitte Chapelain en assure la coordination. Celle titrée « Hommages » fait son apparition en 1993 (Hermès, no 11-12) ; elle a été précédée de deux nécrologies – de François Bourricaud et d’Annick Percheron – rédigées par Dominique Wolton (Hermès, no 10, 1992). La rubrique « Varia » apparaît plus tardivement (Hermès, no 30) ; depuis 2000, une ou deux études, indépendantes du dossier principal, accompagnent ce dernier sous cet intitulé devenu, en 2015 (Hermès, no 71), « Diagonales » ; Michel Durampart en a la responsabilité.
5Dossiers, lectures, diagonales, hommages : tous les apports d’Hermès sont répertoriés, classés, distribués entre cognition, communication et politique, et tous leurs auteurs recensés dans le Catalogue des publications 2017. Pour les auteurs, ce catalogue nous indique qu’aux quelque 1 000 listés en 2008 s’en sont ajoutés plus de 600 pendant la décennie écoulée. D’origines nationales et disciplinaires les plus variées, ils s’expriment dans la revue sur les multiples enjeux dont est lestée la communication ; leurs analyses, que soutient toujours une solide assise documentaire, permettent de renouveler la perception et la représentation, l’explication et la compréhension desdits enjeux. Pour les plus jeunes de ces auteurs, l’opportunité de publier dans Hermès est valorisante ; pour l’ensemble des enseignants-chercheurs, elle est, à divers titres, gratifiante. C’est en tout cas à leurs contributions qu’Hermès doit le permanent enrichissement de son patrimoine éditorial.
6La vue panoramique de ce domaine du savoir labouré depuis trente ans met bien en évidence, avec plus de quarante renvois et références, la prodigieuse activité déployée par Dominique Wolton dans et pour cette revue. Avant que d’en venir au rôle joué par son fondateur, on soulignera quelques-unes des caractéristiques de celle-ci. Au premier chef, son caractère international et interdisciplinaire : ici, point d’enfermement hexagonal, point de carcan disciplinaire, mais une ouverture sur le monde, un croisement des regards, dont celui, toujours présent, des correspondants étrangers. En second lieu, la portée générale des questions traitées ; ce n’est qu’exceptionnellement le nom d’un théoricien qui donne son titre aux numéros d’Hermès : deux – Bertrand Russell (Hermès, no 7, 1990), Edgar Morin (Hermès, no 60, 2011) – sur les 79 parus. Les thèmes de recherche privilégiés sont ceux qui intéressent les relations entre sciences, techniques et société, les sciences de l’information et de la communication, la diversité et la cohabitation culturelles, les langues, les problèmes de traduction, les réseaux, divers « sujets » abordés en termes de « frontières » et de « fractures ». Les espaces géographiques couverts sont, par ailleurs, multiples et appréhendés dans l’optique de la mondialisation : les Outre-mers, la francophonie, le monde Pacifique, la Chine et l’Asie orientale, l’Amérique latine, les BRICS. Au comparatisme dans l’espace s’ajoute le comparatisme dans le temps. On trouve ainsi reproduit, dès la première année (Hermès, no 2, 1988, « Masses et politiques »), à côté de textes de Michel Foucault et de Pierre Macherey sur « l’Homme d’en bas », l’article « Peuple » que le chevalier de Jaucourt a écrit pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. L’extrême attention portée aux évolutions contemporaines ne fait pas négliger les legs du passé. En témoigne le dossier « Racines oubliées des sciences de la communication », qu’Anne-Marie Laulan et Jacques Perriault ont dirigé (Hermès, no 48, 2007). On rappellera enfin qu’Hermès a publié des pages de Gabriel Tarde (Hermès, no 5-6, 1989) et une belle étude d’Elihu Katz sur « l’héritage de Tarde » (Hermès, no 11-12, 1993), en un temps où l’auteur des Lois de l’imitation n’était guère connu ni cité.
Le « moment Hermès »
7Signés par Dominique Wolton, trois textes-annonces se sont succédé depuis le lancement d’Hermès. « Un nouveau paradigme mobilise aujourd’hui la communauté des chercheurs : celui de la communication. Au-delà des effets de mode, il mérite d’être pris au sérieux. Tel est le pari scientifique de la revue Hermès. » L’intention affichée était premièrement d’ouverture, avec l’accueil de problématiques en rupture avec le débat franco-français, et deuxièmement de diffusion, en direction d’un public éclairé (Hermès, no 1, 1988). « La communication est une valeur, une aspiration, mais elle est aussi une industrie, un marché florissant, voire une idéologie. Autrement dit, un phénomène critique et polysémique qui requiert un travail d’analyse critique et de compréhension. » Les mêmes objectifs étaient fixés et précisés, assortis d’un troisième : porter à la connaissance des lecteurs des textes anciens propres à montrer que bien des questions posées ne datent pas d’aujourd’hui (Hermès, no 15, 1995). « L’aventure d’Hermès ? Légitimer la communication comme un des grands enjeux scientifique, politique, social et culturel du xxe siècle, réaliser l’importance de son rôle comme facteur de paix et de guerre au début du xxie siècle. » L’accent était fortement mis sur l’interdisciplinarité, la communication comme l’une de ses conditions structurelles, la différence entre informer et communiquer qui donne son sens au « tournant communicationnel » amorcé en 1988 (Hermès, no 60, 2011).
8Ce dernier texte est un abrégé de celui écrit, en 2008, pour les 20 ans d’Hermès. Il invite à faire retour aux déclarations d’intentions et mises au point effectuées à l’occasion des « anniversaires » de la revue. Le numéro « www.démocratie-locale.fr » (Hermès, no 26-27, 2000) contient un « Dossier : 1989-1999, les dix ans d’Hermès » qui s’ouvre sur un éditorial de Catherine Bréchignac, directeur général du CNRS. Un soutien sans réserve y est donné à l’entreprise poursuivie par Dominique Wolton « au travers du programme Communication, du Laboratoire communication et politique et de la revue Hermès » (p. 7). Le propos du directeur de celle-ci est consacré à la recherche en communication au CNRS. Pour lui, « La communication n’est pas seulement l’ensemble des échanges entre les hommes, ni l’usage des techniques classiques ou nouvelles ; elle est aussi, et peut-être surtout, un modèle culturel et social, évoluant dans le temps et dans l’espace, et qui est la manière dont les individus et les collectivités perçoivent et organisent leurs relations » (p. 9-10). Suivent des considérations sur la communauté interdisciplinaire qu’Hermès contribue à structurer, le défi éditorial qu’il lui faut relever, les « chantiers théoriques » à ouvrir. En conclusion, les deux raisons qui rendent l’étude de la communication si importante sont rappelées : « Elle est le symbole de la démocratie […] Elle pose directement la question de l’autre » (p. 15). Pour le quinzième anniversaire d’Hermès (1988-2003), le dossier sur « L’audience » (Hermès, no 37, 2003) est précédé d’un éditorial au terme duquel Dominique Wolton estime qu’« Il y a, depuis 15 ans, un moment Hermès, fait de liberté, curiosité, rapports amicaux, confiance mutuelle… ». Peut-être n’en restera-t-il rien quand « les positions théoriques et politiques sur les grands enjeux […] de l’information et de la communication seront plus structurées. Pour l’instant c’est le Far West de la connaissance » (p. 12).
9Le but poursuivi est constamment rappelé : construire un nouveau domaine de la connaissance scientifique. L’importance des éléments fournis par la revue pour y parvenir est en même temps soulignée. Le catalogue publié pour Les 20 ans de la revue Hermès, 1988-2008, montre l’étendue de la production éditoriale. Cette production porte l’empreinte des impératives distinctions information/communication, moyens techniques/communication humaine, celle des nouveaux rapports qui s’instaurent entre sciences, techniques et sociétés, identité et altérité, celle aussi de la mondialisation où la diversité culturelle est donnée à voir comme « nouvelle frontière ». Sa récapitulation montre la forte implication du directeur de la publication par des « ouvertures », « avant-propos », introductions ou conclusions. La plupart de ces pages de préface ou postface sont en prise sur le thème particulier dont traite le dossier, mais il en est qui sont de plus vaste portée. Un premier texte, « De l’information aux sciences de la communication » (Hermès, no 48, 2007), introduit une périodisation dans un demi-siècle qui aura connu quatre tournants théoriques : le tournant linguistique (1960-1970), la rupture des techniques (1970-1980), la révolution de l’information (1980-2000), le « tournant communicationnel ». Des cinq caractéristiques de celui-ci qui s’est opéré au début du nouveau siècle, la cinquième n’est pas la moins lourde de conséquences : « l’importance de l’incommunication qui devient, en quelque sorte, » (avec l’omniprésence de l’altérité) « l’horizon de la communication » (p. 197). On notera que ce premier texte est contemporain de l’apparition, fin 2006, de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC) dont Dominique Wolton a assumé la direction, après en avoir réclamé et obtenu la création. Aussi bien s’achève-t-il sur la présentation des objectifs de l’ISCC.
10Ces dernières années, le fondateur d’Hermès est revenu à plusieurs reprises sur la constitution du champ de recherches interdisciplinaires à laquelle les sciences de l’information et de la communication doivent d’exister. Le numéro consacré à l’interdisciplinarité (Hermès, no 67, 2013) a pour conclusion un « manifeste de l’indiscipline » où la problématique de l’interdisciplinarité est clarifiée, et précisé le statut de l’indiscipline entendue comme rejet du conformisme et aspiration à la libre création. Dans le numéro suivant (Hermès, no 68, 2014) est introduit le carré des connaissances, avec ses quatre angles – épistémologie comparée et interdisciplinarité, expertise et controverses, industries et ingénierie des connaissances, rapports entre sciences, techniques et société – et une médiatrice – diversité culturelle, sociétés et mondialisation. Les raisons pour lesquelles la communication est « l’impensé » du xxe siècle – où elle fait figure de révolution non revendiquée et sans légitimité – sont examinées (Hermès, no 70, 2014). Le numéro 71 (2015) renferme trois textes importants. D’abord une « Défense et illustration des sciences de la communication » : le succès populaire et la méfiance des élites, le primat toujours donné à la technique sur une communication conçue comme échange, partage, transmission, négociation, le rapport communication/incommunication en forment les principaux thèmes. Ensuite une analyse détaillée des quatre discours respectivement tenus en ce domaine par les thuriféraires, les critiques, les empiristes-critiques, les nihilistes. Enfin, une articulation originale des « industries impériales » – le carré des GAFA – aux quatre logiques du carré des connaissances, avec en correspondance Apple pour l’information, Google pour la connaissance, Facebook pour la communication, Amazon pour la culture.
Un « pari scientifique et humain »
11Parmi les récents articles donnés par Dominique Wolton à Hermès, on retiendra ceux du numéro 77 sur les incommunications européennes (2017). Autant que les dix chantiers préconisés pour diminuer ces dernières, l’avant-propos intitulé « Information, communication, incommunication » atteste l’attention grandissante portée à l’incommunication. La revue en a dit l’importance dès son origine : une « Petite sociologie de l’incommunication », signée Raymond Boudon, figure au sommaire de l’une de ses premières livraisons (Hermès, no 4, 1989). Cet aspect est désormais prioritairement pris en compte. Le « Manifeste » qui sert d’ouverture au Catalogue des publications 2017 pose que penser le « tournant communicationnel », c’est penser le « triangle communication/incommunication/acommunication » (p. 5). Les illusions suscitées par l’idéologie technique, qui fait croire que « le village global » « pourrait devenir un idéal social, culturel et politique » – alors que l’incommunication perdure, « au coin des réseaux comme au coin de la rue » (p. 6) – y sont combattues avec véhémence. L’appel à « détechniciser » la réflexion sur l’information et la communication, à tenir compte du rôle essentiel du récepteur, à valoriser les concepts de négociation et de cohabitation, y est de nouveau lancé de façon passionnée. Il ne s’agit cependant pour l’auteur d’Indiscipliné – La communication, les hommes, la politique (2012) ni de condamner ni de célébrer, mais de comprendre, en soulignant l’insuffisance de la réflexion critique sur ces questions et la responsabilité des élites « qui adhèrent sans grande distance à toutes les promesses des révolutions de l’information et de la communication » (ibid.).
12La reconnaissance de la complexité de ces objets de pensée ne s’accompagne jamais, dans cette entreprise d’élucidation, de sa réduction par les voies du scientisme ou du sociologisme. L’étudier à nouveaux frais est la tâche d’Hermès, l’histoire de la revue étant indissociable du programme Communication du CNRS (1985-2001), du laboratoire « Communication et politique » (UPR 36) dont Dominique Wolton a été le premier directeur, et de 2007 à 2014, de l’ISCC (cf. supra) ; indissociable aussi de la collection « CNRS Communication » créée en 1998, et, depuis 2008, des « Essentiels d’Hermès », sous la responsabilité d’Éric Letonturier et d’Émilie Silvoz. En ce qui concerne la seule revue – à laquelle David Rochefort, secrétaire de la rédaction, apporte tous ses soins depuis 2012 –, les 79 numéros parus à ce jour composent un fonds documentaire d’une incomparable richesse. Aux études, dossiers et varias/diagonales, on a précédemment indiqué que s’ajoutent les recensions de très nombreux ouvrages touchant, de près ou de loin, à la communication ; s’y ajoutent également les biographies de personnalités disparues. Si le présent catalogue d’Hermès inclut la liste des « Hommages », il se prête mal à l’énumération des comptes rendus. Mais ces « Lectures », en nombre et le plus souvent très développées, font sens à tous égards et constituent des sources de renseignements qui ne doivent pas être négligées. On peut en dire autant des Hommages, en notant qu’Hermès n’y oublie pas de les rendre aux siens : ainsi Dominique Wolton a salué la mémoire de deux membres de la rédaction en chef – André Akoun, disparu en 2010, et Geneviève Jacquinot-Delaunay, disparue en 2014 – pour l’importance de leur fidèle collaboration et le grand intérêt de leurs contributions.
13« Toute revue est un pari intellectuel et humain », écrivait le directeur d’Hermès en 2008. « Pari scientifique pour contribuer à penser le “tournant communicationnel”, en construisant des concepts permettant d’échapper à la seule emprise de la technologie et de retrouver l’enchevêtrement de l’histoire et des sociétés. Pari humain, car la revue est depuis toujours un carrefour où se retrouvent des individus libres, venant d’horizons théoriques et disciplinaires différents, mais souhaitant, dans la confrontation et l’amitié, contribuer à penser ce nouveau champ de recherche » (Hermès, no 50, 2008, p. 9). On peut dire que ce pari est gagné, et depuis longtemps déjà. En 2001, Éric Maigret, rendant compte de l’enquête sur les revues menées par le ministère de la Recherche, indiquait qu’en termes de notoriété et de pertinence scientifique, Hermès était placée au premier rang et, plus précisément, classée première revue scientifique francophone dans le domaine des sciences de l’information et de la communication (« La communication en revue », Hermès, no 30, 2001). Depuis la fin des années 1980, son audience n’a fait que croître : c’est plus d’un million de consultations en ligne qui ont été enregistrées en 2016. À ce succès de la revue n’a pas peu contribué, durant cette dernière période, le ferme soutien que lui a donné Alain Fuchs, président du CNRS.
14Le pari scientifique concernait aussi le positionnement de la revue. Sur ce point, une étude de Thierry Paquot (« Le présentoir des revues », Hermès no 70, 2014) donne quelques repères. En 1961, Georges Friedmann, Roland Barthes et Edgar Morin lançaient Communications, émanation du Centre d’études des communications de masse (Cecmas). En 1968 commençait la publication de Communication et langage par François Richaudeau. Réseaux, faisait son apparition en 1982, sous la direction de Patrice Flichy et de Paul Beaud. Quand paraît le premier numéro, en 1987, des Quaderni de Lucien Sfez, le terrain était donc passablement occupé. Pourtant, l’année suivante Dominique Wolton fondait Hermès, en donnant à son objet des orientations pleinement originales – celles que l’on vient sommairement de rappeler –, et un nouveau cadrage théorique que n’oblitèreront pas, en 1996, les Cahiers de médiologie devenus Medium en 2004, de Régis Debray. Avec ses trois axes de recherche – « cognition », « communication » et « politique » – et ses neuf sous-ensembles qui vont de l’épistémologie comparée aux relations sciences, techniques, société, cette « Revue internationale de recherche en communication » s’applique en définitive à structurer, depuis trente ans, un champ d’études interdisciplinaires qui subvertit les clivages académiques. On y traite aussi bien des langues de bois (Hermès, no 58, 2010, sous la dir. de J. Nowicki, M. Oustinoff et A.-M. Chartier) que des élèves « entre cahiers et claviers » (Hermès, no 78, 2017, sous la dir. de V. Liquète et B. Le Blanc), de l’interdisciplinarité (Hermès, no 67, 2013, sous la dir. de J.-M. Besnier et J. Perriault) que de l’artiste, « un chercheur pas comme les autres » (Hermès, no 72, 2015, sous la dir. de F. Renucci et J.-M. Réol).
15Quant au pari humain, Dominique Wolton observait lors des 20 ans de la revue : « Hermès ? Un laboratoire d’idées et un lieu formidable de cohabitation théorique. Les affrontements intellectuels n’ont jamais mis en cause l’existence de ce milieu amical. Un miracle » (Catalogue. Les 20 ans de la revue Hermès, 1988-2008, p. 5). Il le redit aujourd’hui, au début du Catalogue des publications 2017 : « Les affrontements existent, la parole est libre, mais l’amitié est réelle » (p. 5). Elle l’est, en effet, et c’est pourquoi le miracle se renouvelle toujours. Tout cela n’est pas exclusif de quelque fantaisie. Si le sérieux, la rigueur, la rectitude sont évidemment de mise à Hermès – recherche scientifique oblige –, le gai savoir n’en est pas pour autant proscrit. On en trouvera la preuve dans l’avant-propos de La voie des sens (Hermès, no 74, 2016) où Brigitte Munier-Temime, co-directrice avec Éric Letonturier de ce dossier, s’est employée à remplir le « réservoir des sens » des expressions toutes faites et des locutions convenues attachées à chacun d’eux ; pour conclure qu’« En y réfléchissant, tout cela n’a pas grand sens et passe le bon sens : faut-il donner sens à ce qui tombe sous le sens ? Ça n’a pas le sens commun ! » (p. 13). Hermès ? Un lieu de vie scientifique dont on peut dire – comme de son inventeur et infatigable animateur – qu’il est décidément à nul autre pareil.
- Direction du programme « Science, technique et société » (1980-1985)
- Programme « Communication » (1985-2000)
- Création et direction du laboratoire Communication et politique (1988-2000)
- Création de la revue Hermès (1988)
- Création et direction de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (2007-2014)
Références bibliographiques
- Kahn-Lyotard, L., « Hermès », in Bonnefoy, Y. (dir.), Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, vol. 1, Paris, Flammarion, 1981, p. 500-504.
- Wolton, D., Indiscipliné – La communication, les hommes, la politique, Paris, Odile Jacob, 2012.