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Article de revue

Le siècle de la publicité

Pages 102 à 105

Notes

  • [1]
    Dans son Traité des pauvres publié en 1612, le projet de « bureau d’adresses » du médecin Renaudot avait été breveté par le roi Louis XIII ; proche de Richelieu, il le mettra en pratique dans l’île de la Cité, à Paris, en 1629, en ouvrant un bureau d’adresses et de rencontres, lui permettant de collecter les petites annonces qu’il imprimera à compter de 1632 dans une « Feuille du bureau d’adresses » (musée Renaudot, Loudun).
  • [2]
    Antipatro omnia patefacienda, ut ne quid omnino, quod venditor norit, emptor ignoret
English version

1Si l’historien Marc Martin (1992 ; 2012) fait remonter l’histoire de la publicité en France à plus de trois siècles, sous la forme de petites annonces insérées dans une presse naissante (la Gazette de Théophraste Renaudot, créée en 1631), le xxe siècle est bien celui de la publicité – et encore, uniquement dans sa seconde moitié, la France accusant un retard certain en ce domaine sur ses voisins européens ayant aussi embrassé la révolution industrielle, eux-mêmes tous surpassés dès le tournant du siècle par les États-Unis, le modèle encore actuel. Durant ce siècle, la publicité a appris de son histoire en marquant sa différence ontologique avec d’autres formes de communication, bien trop ambivalentes pour cette activité qui assume être commerciale. La publicité accepte son ADN, elle tente d’influer sur les comportements et revendique cette caractéristique ; son but, explicite, est de faire vendre ou de promouvoir. En ce sens, elle s’inscrit dans une dynamique totalement différente des autres formes de communication. Le professionnel de la publicité ne se contente pas de véhiculer l’information, il lui incombe une obligation de résultat : il doit impérativement convaincre le récepteur de cette information. Ainsi, la publicité illustre bien la différence entre l’information et la communication. L’essentiel n’est pas le message mais la relation. La publicité, activité fortement critiquée, se trouve être à l’avant-garde d’une distinction à valoriser et qui ne dévalorise pas systématiquement la communication.

Les premiers pas, la petite annonce

2L’annonce classée, par rubrique (emploi, achat/vente, etc.), qui est prosaïquement une information de mise en relation fournissant adresses [1] et renseignements, bénéficie de la rupture technologique de l’imprimerie, introduite à Paris depuis 1470, pour développer le « faire-savoir » de tout échange marchand – et parfois galant – depuis que l’Homme commerce. À tel point que Cicéron, au premier siècle av. J.-C., cite à son fils Marcus, dans ses Offices, le philosophe stoïcien de Tarse mort au siècle précédent : « Selon Antipater, tous les faits doivent être divulgués, de sorte que l’acheteur ne peut être en aucune façon ignorant de tout ce que le vendeur sait [2]. » L’avocat Cicéron, dans ce traité des devoirs, qualifie déjà ce que notre droit européen prohibe dans la directive de 2005 consolidée de textes adoptés depuis 1984, relative aux pratiques commerciales déloyales : l’omission trompeuse.

Les prémices de la déontologie

3L’affirmation de la loyauté, de la vérité, dans la publicité, se fera au cours du xxe siècle de manière originale, d’abord par une démarche d’autodiscipline des acteurs économiques avant une régularisation en France dans la loi du 2 juillet 1963, qui crée le délit de publicité trompeuse, étendu par la loi Royer de décembre 1973, et dorénavant codifié à l’article L 121-1 du code de la consommation, ne définissant d’ailleurs pas concrètement la publicité.

4Dans les années 1970, forts de ce socle réglementaire, les professionnels de la publicité vont construire tout un encadrement déontologique, détaillant pour chaque secteur d’activité les notions de véracité et de loyauté. Attentifs aux attentes de la société, ils associeront ensuite à ces règles des normes visant les questions sociétales, comme l’image de la personne humaine, l’environnement ou encore la diversité.

5Cette matière, empruntant au droit classique mais aussi aux usages professionnels, va se développer au cours du xxe siècle pour atteindre aujourd’hui sa maturité. La notion de « droit souple », consacrée dans l’étude 2013 du Conseil d’État, s’inscrit désormais comme une articulation essentielle du secteur publicitaire. Cette profession a démontré, en France mais aussi en Europe, la nécessité d’une organisation réactive, proche des besoins des professionnels et sans impact financier sur le budget de l’État.

6Là aussi, par la promotion de l’autorégulation, la publicité, secteur largement dévalorisé, quoique indispensable, se trouve également à l’avant-garde des recherches sur le « droit souple ».

La naissance de la communication publicitaire

7C’est à Honoré de Balzac, du moins en France, que l’on doit l’acception moderne de publicité, plutôt que de seulement « rendre public », en 1837 : l’ancien commis-droguiste de César Birotteau, Anselme Popinot, aidé du commis-voyageur Félix Gaudissart, développe une huile de noisette, qu’ils lancent avec succès grâce au « pouvoir de l’Annonce », cette « vive publicité » (Balzac, 1975). Il n’est évidemment pas fortuit que notre illustre romancier, journaliste, qui a aussi été, avec beaucoup moins de succès, libraire-éditeur et imprimeur dix ans plus tôt, qualifie dans le même paragraphe les « annonces payées » d’« immense révolution ». Bien que cette nouvelle soit publiée avec l’hebdomadaire Le Figaro, racheté par le libraire Boulé, Balzac est proche d’Émile de Girardin, qui vient en 1836 de lancer le premier quotidien La Presse, qui, grâce aux annonceurs, divise par deux l’abonnement, élargissant le lectorat que ces derniers recherchent. La publicité dans les journaux avait été introduite depuis 1827, à l’imitation de la presse anglaise, afin de survivre à une loi postale multipliant par 2,5 la taxe payée pour l’expédition en province de la quinzaine de titres parisiens. L’introduction du roman-feuilleton, ou la prépublication de romans à paraître, dont La Vieille Fille de Balzac dès ses premiers numéros, contribuent à la fidélisation des lecteurs de La Presse. Balzac plaindra son Birotteau « incapable de mesurer la portée d’une pareille publicité » et ajoute avec clairvoyance, ce qui sera réitéré à chaque nouveau support publicitaire émergent, « sans comprendre la différence des temps, sans apprécier la puissance des nouveaux moyens d’exécution dont la rapidité, l’étendue, embrassaient beaucoup plus promptement qu’autrefois le monde commercial ».

8Tous les protagonistes de la Comédie humaine sont alors réunis, l’entrepreneur, le vendeur, le média, qui vont constituer l’alliance multipartite de l’économie de la publicité, à l’exception cependant des créateurs des annonces, des affiches, etc., qui ne se structureront qu’à la fin du xixe siècle ; les affichistes étant les plus célèbres d’entre eux, faisant de ce support publicitaire une exception française (Chéret, Mucha, Toulouse-Lautrec, etc.).

Le secteur publicitaire se structure

9La première agence de publicité est américaine – Volney B. Palmers, en 1842, à Philadelphie – et se présente plutôt comme un bureau de vente d’espaces publicitaires dans les journaux qu’elle commercialise. Charles Havas, qui avait créé son bureau en 1832, n’associera à son métier d’agence d’information celui du commerce des annonces que vingt ans plus tard. La première agence de publicité française au sens contemporain a été fondée en 1902 par Hémet, le Bureau technique de la publicité en 1907, qui publiera une revue La Publicité, enseignera la matière à partir de 1908 dans la section commerciale de l’Institut catholique de Paris – HEC l’intégrera dans son cursus à partir de 1911 –, et publiera en 1912 un Traité pratique de publicité commerciale et industrielle à l’attention des praticiens, qui en feront une profession. Un premier établissement d’enseignement technique privé sera fondé à Paris en 1927, l’École supérieure de publicité, toujours en activité.

10Le premier « publicitaire » revendiqué est Octave-Jacques Gérin, qui fondera un cabinet de publicité, n’intervenant pas dans les négociations et l’achat des espaces publicitaires, mais uniquement dans la conception des messages. Il fédérera en 1913 ces métiers en fondant la Conférence des chefs de publicité, évoluant en juillet 1914 en Corporation des techniciens de publicité (CTP). En mars 1916, c’est l’Union des annonceurs qui se crée. Parallèlement, en 1906, Louis Vergne, « publiciste » monté à Paris au bureau de La Dépêche de Toulouse, est le secrétaire général d’un premier organisme confédéral, la Chambre syndicale de la publicité (CSP), sous les auspices du ministre du Commerce, Gaston Doumergue. Cette CSP formalisera en 1923 un code des usages de la publicité, organisant principalement les relations complexes entre tous les intervenants du secteur, de l’annonceur au support publicitaire – presse et affichage à l’époque –, en instaurant une activité d’arbitrage. Son président après guerre, Charles Maillard, juge au tribunal de commerce, parviendra à fusionner en 1935 la CSP avec la CTP dans une union de syndicats, la Fédération française de la publicité, dont il prendra la présidence.

11À ce titre, il sera le premier président de l’Office de contrôle des annonces (OCA) constitué le 9 avril 1935, qui a pour but d’« assurer la sincérité de la publicité sous toutes ses formes », mais aussi « de donner aux publicitaires et aux annonceurs, qui le demanderont, des avis sur la moralité et la légalité des projets d’annonces ». L’OCA prévoit aussi dans son règlement intérieur de traiter les plaintes du public ou de s’autosaisir. Un dernier conseil d’administration le 18 septembre 1940, qui s’interrogera sur les « autorités occupantes » et les effets de la loi du 16 août 1940 concernant l’organisation provisoire de la production industrielle, qui dissout les groupements professionnels, mettra en sommeil l’OCA jusqu’à sa refondation le 20 août 1953 en Bureau de vérification de la publicité, rénové en 2008 en Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), mais dont la gouvernance et les missions originelles demeurent.

12Forts de l’expérience de leurs aînés, les acteurs sont en place dès la fin de la guerre et des rationnements. Avec la décolonisation, qui offre des marchés captifs par essence, et la construction européenne, la France devient une économie de moins en moins rurale et protégée. Pour autant, avec la nationalisation de Havas jusqu’en 1986, l’État a longtemps été le premier publicitaire de France, régisseur de la presse quotidienne, de la publicité radio, cinéma, afficheur, éditeur… et diffuseur TV en 1984 lorsque le monopole étatique de l’audiovisuel, commun à tous les pays européens à diverses époques, s’est morcelé de toutes parts.

Internet, le renouveau

13L’accroissement de médias (privés) mis « gratuitement » à la disposition de leurs publics, accordera à la publicité un surcroît d’intérêt, d’interdépendance, mais pas forcément de reconnaissance ; Internet est l’acmé de ces contradictions, présenté par ces pères, sans limites, il questionne, tardivement, les nations et leur peuple sur son infinitude, mais dont les quelques rares collecteurs des octrois modernes (opérateurs d’infrastructure, fabricants, navigateurs, moteurs, plateformes, etc.) échappent à leur contrôle ou leur contribution à un intérêt général.

14Internet repose paradoxalement les mêmes questions qu’au siècle passé de distinction de la publicité, de la communication et du commerce, dorénavant technologiquement imbriqués. Proche par nature, ce « triangle béni » doit se refréner de rapprochements incestueux à terme mortifères pour chaque partie, qui sait, au moins implicitement, que le récepteur des messages, des prises de parole respectives, est intelligent. C’est en cela, par exemple, qu’à l’inverse de tout un courant de pensée, devenu une doxa conformiste, plutôt spécifique à la France, qui a mis longtemps à accepter la légitimité de l’entreprise, la publicité ne peut « manipuler » car elle s’impose de s’identifier comme telle. La publicité, bien que ciblée, voire de plus en plus personnalisée, revendique sa logique grand public, populaire, comme elle défend sa liberté de création, et des valeurs de fait universelles. Elle doit taquiner, surprendre, interroger, mais s’impose depuis longtemps par autodiscipline ses limites pour ne pas heurter des convictions communément partagées, une éthique, certes différentes dans le temps et géographiquement, parce qu’elle connaît, dépend de, respecte un Absolu : le client !

15La simple mesure économique de l’efficacité de la publicité aux objectifs assignés invite modestement à l’empirisme ; les origines anglo-saxonnes, protestantes et puritaines, se sont opposées à notre cartésianisme en assumant la question de la rentabilité. Cette remise en question permanente de l’exercice de la profession publicitaire est assurément moins flamboyante, déstabilisante pour tous ceux aux convictions établies. La dimension, finalement modeste, de la communication publicitaire n’en est pas moins très intéressante pour trois raisons : assumer le caractère commercial et veiller à ce que cette caractéristique soit toujours clairement perçue ; distinguer l’information de la communication ; et avoir construit une autorégulation, qui accepte la cohabitation de trois logiques : publicitaire, client, média. La publicité, secteur hélas toujours dévalorisé, se trouve en réalité en avance concernant une réflexion théorique sur le devenir de la communication dans une société ouverte. Reste à comprendre pourquoi, malgré cette originalité, on constate trop souvent une publiphobie, qui n’empêche pas finalement une séduction bien réelle de la publicité auprès de tous les publics.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Balzac, H. (de), Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, parfumeur, chevalier de la Légion d’honneur, adjoint au maire du deuxième arrondissement de la ville de Paris, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1975.
  • Martin, M., Trois siècles de publicité en France, Paris, Odile Jacob, 1992.
  • Martin, M., Les Pionniers de la publicité, Paris, Nouveau Monde, 2012.

Notes

  • [1]
    Dans son Traité des pauvres publié en 1612, le projet de « bureau d’adresses » du médecin Renaudot avait été breveté par le roi Louis XIII ; proche de Richelieu, il le mettra en pratique dans l’île de la Cité, à Paris, en 1629, en ouvrant un bureau d’adresses et de rencontres, lui permettant de collecter les petites annonces qu’il imprimera à compter de 1632 dans une « Feuille du bureau d’adresses » (musée Renaudot, Loudun).
  • [2]
    Antipatro omnia patefacienda, ut ne quid omnino, quod venditor norit, emptor ignoret
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