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Article de revue

La communication handicapée. Les enfants surdoués et les enfants autistes ont-ils encore un corps ?

Pages 82 à 88

1Si les débuts de la psychanalyse se sont centrés sur la clinique des orifices (Golse, 2010 ; Cournut, 2002) et du traumatisme sexuel, les postfreudiens du xxe siècle ont privilégié la clinique des enveloppes et du défaut de contenance. L’approche clinique du xxie siècle sera-t-elle celle des connexions neuronales (Weismann-Arcache, 2010a) ? La psychopathologie contemporaine du développement et des troubles spécifiques tend à les regrouper sous la rubrique des troubles neuro-développementaux. Ce terme « neuro-développemental » traduit-il la juxtaposition de deux modèles qui peuvent coexister, ou bien sommes-nous en train de passer du « tout-archaïque » ou du « tout-sexuel » au « tout-neurologique » ? Ainsi, le terme « neurotypique » tend à remplacer ce qui était nommé « variations du cadre de la normale ». La santé psychique n’est plus inscrite dans un développement psychosexuel qui prenait en compte le corps de l’enfant, ses éprouvés qui évoluent en affects et s’associent progressivement à des représentations, investissements modulés par les relations d’objets.

2Il s’agit de ne pas substituer le neurone à l’anatomie, selon la célèbre phrase reprise par Freud à Napoléon qui se libellerait alors ainsi : « le neurone, c’est le destin ». Les relations d’objet centrées sur un équilibre narcissique et libidinal ne réduisent pas le sujet à son seul fonctionnement neuronal, même s’il est acquis désormais qu’elles le modifient. Renoncer au développement psychique, limité à la comorbidité, et occulter la sexualité infantile, c’est exclure la pensée et la complexité. Nous montrerons comment les nouvelles expressions symptomatiques peuvent être éclairées par une métapsychologie revisitée (psychologie de l’inconscient et des pulsions).

Trois vignettes cliniques

3Le haut potentiel intellectuel est rarement abordé dans la perspective de la communication, et il demeure un objet réservé aux sciences cognitives. La communication et, au-delà, la relation sont un domaine d’études largement abordé par la psychanalyse. Nous proposons d’articuler ces champs différents que sont l’intelligence et la communication, en les élargissant aux concepts de pensée et de relation, à partir d’un phénomène très médiatisé : les enfants détenant un haut potentiel intellectuel, hier appelés enfants intellectuellement précoces ou encore enfants surdoués.

4Qu’en est-il de la fonction du langage, de la relation et des possibilités transférentielles liées à la capacité à se représenter les pensées d’autrui et surtout à se laisser modifier par autrui, ce que certains nomment la théorie de l’esprit ? Ce que nous formulerons par la question suivante : le génie a-t-il de l’esprit, ou encore le génie s’oppose-t-il à l’esprit ? Dans cette perspective, nous rapportons trois vignettes cliniques. L’une nous appartient, les deux autres sont issues de la littérature.

5La première vignette concerne un enfant de 8 ans et demi, Harro, qui consulte pour des :

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difficultés de discipline insurmontables à l’école […] La maîtresse a l’impression « qu’il pourrait s’il voulait », il donne souvent de bonnes réponses qui montrent une maturité au-dessus de son âge ; il refuse néanmoins souvent de coopérer, et ce avec des remarques très grossières qui détruisent la discipline de la classe. Par exemple : « c’est trop bête pour moi » […] Il est très maladroit, il ne maîtrise pas bien sa motricité et ne peut pas diriger avec exactitude ses coups ; il a souvent blessé ses adversaires ; il est très susceptible à la moquerie car il a des côtés très ridicules qui provoquent celle-ci. […]. Il y a chez lui des activités sexuelles inquiétantes […] des gestes homosexuels avec tentative de copulation. Il ressemble à un adulte en miniature, surtout par ses traits mûrs. Le regard est souvent perdu, absent, il a l’air de ruminer […] Il a une façon de s’exprimer qui est mûre, précise. Ce ne sont pas des phrases toutes faites qu’il se serait appropriées comme le font certains enfants, mais il parle de sa propre expérience qui n’est pas celle d’un enfant. Il semble créer au moment même le mot qu’il faut. Souvent il ne répond pas à la question, mais parle sans interruption de ses expériences vécues. Même s’il paraît loin des choses et des gens – ou peut-être à cause de cela – il fait beaucoup d’expériences et a des intérêts autonomes. On peut s’entretenir avec lui comme avec un adulte ; on peut recevoir de lui des informations intéressantes.
(Asperger, 1998)

7La seconde vignette concerne un enfant qui a présenté des troubles très précoces. À l’âge d’un an, il se trouve dans un état de prostration, de langueur, qui s’accompagne de crises convulsives dans deux circonstances particulières : lors du rapprochement tendre de ses parents et à la vue de l’eau qui s’écoule. « Cela dura plus d’un an durant lequel le mal s’augmentait ; il tomba dans une telle extrémité qu’on le regardait comme prêt à mourir. » (Périer, 1988) Le cataplasme appliqué par une rebouteuse déclenche pendant quelques heures un état comateux au cours duquel il semble privé de vie : « il n’avait ni pouls, ni voix, ni sentiment, il devenait froid. » Suite à cet enveloppement – ancêtre du pack –, il sort miraculeusement guéri de cet épisode qui a duré toute la deuxième année de sa vie, correspondant aussi à la troisième grossesse de sa mère. Cette dernière meurt alors qu’il est âgé de trois ans, et le père va élever seul ses trois enfants. Ce petit garçon tourmenté va alors surdévelopper son intelligence, encouragé par l’intransigeance paternelle qui le maintient avec ses deux sœurs dans une vie recluse et austère. Le père sera « leur seul maître », refusant que ses enfants aillent à l’école. Cet homme passionné de mathématiques les interdira à son fils jusqu’à l’âge de 16 ans. Le garçon transgressera l’interdit paternel, démontrant quelques propositions mathématiques d’Euclide à l’âge de 11 ans. Il deviendra un adolescent souffreteux, d’humeur mélancolique et ascétique : « On aurait dit qu’il se vengeait de quelque chose ; il donnait l’impression de ne pas aimer les êtres humains, d’y être tout au moins indifférent ; et au fond de lui il avait au contraire des désirs intenses d’être caressé, aimé, touché, tendrement choyé » (Virconcelet, cité par Gardou, 2006). Ce garçon étrange deviendra un génie, savant, philosophe et physicien, semblant échapper à la psychose (Anzieu, 1981) grâce aux découvertes scientifiques qui transcenderont ses angoisses précoces de vidage, et notamment des travaux sur les liquides, solides, gaz, équivalents aux fluides corporels. Il sera à l’origine de la notion mathématique de probabilités, luttant contre le doute et travaillant sur la question du vide.

8Le troisième est un jeune garçon que nous avons rencontré à l’âge de 8 ans, parce qu’il est « précoce », comme il nous l’annonce lui-même alors que nous lui demandons pourquoi il vient nous voir. Pour ses parents, la consultation est motivée par des comportements violents à l’école, des jeux sexuels (masturbations ou compulsion à toucher son pénis très fréquemment), une difficulté à accepter les règles de la vie en collectivité ; l’école a évoqué l’opportunité d’une classe spécialisée malgré ses bons résultats scolaires et son année d’avance. Les sanctions n’ont aucun effet et ses parents le trouvent insensible, disent qu’il ne prend pas en compte les autres. Charlie ne joue qu’aux Lego et s’ennuie souvent, n’est jamais invité et communique très peu, mais chante et parle fort quand il est contrarié. L’excellence scolaire s’applique d’ailleurs surtout aux mathématiques, car Charlie boude tout ce qui ressemble à du « français », et ne s’exprime pas davantage à l’écrit qu’à l’oral.

9Charlie a tout le temps peur de perdre – au foot, aux jeux de société, etc. –, il supporte mal les frustrations, l’incertitude et, surtout, les temps morts. Il ne veut pas jouer, sauf à des jeux de règles comportant un gagnant et un perdant, il ne veut pas dessiner non plus, ça fait perdre du temps. Charlie est très remuant, a une allure saccadée dans ses déplacements, est maladroit et malmène les objets, les autres et lui-même. Il évite le regard et manipule des crayons, ce qu’il trouve, de manière compulsive et irrépressible. Il chuchotera à voix basse au cours de ce premier entretien, m’évoquant un film muet, et notamment Les Temps modernes de Charlie Chaplin où l’on voit un « surdoué inadapté », nommé Charlot, aux prises avec son corps dans l’espace, corps et espace mécanicisés, automatisés, et qui va être happé par la chaîne de montage de l’usine dans laquelle il travaille, tentant désespérément de remonter cette chaîne et le cours du temps à rebours.

Autistes et surdoués

10Le premier enfant, Harro, 8 ans et demi, est un cas décrit par Hans Asperger (1998). Il s’agit donc d’un autiste dit « d’Asperger » ou de haut niveau (inclus dans le groupe des « troubles du spectre autistique », le syndrome est finalement rejeté par le DSM-5. Le sujet disparaît deux fois : une première fois en tant que sujet malade, et une seconde fois en tant que découvreur du syndrome, qui devient anonyme et privé de paternité !). Asperger insiste sur les aspects contrastés et énigmatiques de ceux qu’il appelle « les psychopathes autistiques » : « leur intelligence particulière est fondée sur leurs propres productions spontanées et originales, mais elle résiste aux apprentissages systématiques et aux apports de l’extérieur. Le maniement du langage l’illustre bien, avec la création de néologismes pertinents et poétiques qui rappellent les mots d’enfant : “Pour un œil d’art ces images sont peut-être jolies mais elles ne me plaisent pas”. » (Ibid.). Cet exemple révèle avant l’heure une théorie de l’esprit chez l’enfant autiste.

11Le second enfant est le petit Blaise qui deviendra le grand Pascal, « misanthrope sublime » selon Voltaire, « effrayant génie » selon Chateaubriand (Lefort et Lefort, 2003). Pour Blaise Pascal, le discours mathématique, volé en quelque sorte à son père, est un langage et pour lui « les chiffres et les lettres sont faits d’une même matière, et il croit le monde constitué à partir des chiffres » (Ibid.). Il s’agit là d’une transmodalité qu’on observe naturellement chez les bébés, mais aussi chez les sujets à l’intelligence sur-développée : Je suis né un jour bleu est le titre d’un ouvrage écrit par un adulte autiste de haut niveau (Tammet, 2007), et dans le poème « Voyelles » (1871), Rimbaud associe à chaque voyelle une couleur et une tonalité affective… La logique mathématique, dont Lacan dit qu’elle satisfait à cette condition d’un langage sans équivoque, évite les glissements de la signification et l’incertitude (Lacan, Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, séance du 8 janvier 1969, inédit, apud Lefort et Lefort, 2003). Ce discours mathématique de Pascal qui cherche à définir l’infini, à mesurer le vide, à évaluer la pesanteur, à retrouver la mère morte (Weismann-Arcache, 2011), évoque les « pensées sans penseur » de Bion (Neri, 2007), qui flottent dans l’air du temps en attendant de trouver un penseur qui doit être dans ces dispositions particulières, un penseur sans pensées.

12Enfin, nous avons retrouvé en Charlie ce penseur sans pensées, ou plutôt avec une sorte d’interchangeabilité, de transmodalité entre le mouvement, le dessin, la parole et la pensée : ainsi, au cours d’une séance, il nous dira que « ça gigote dans ses pensées comme ça gigote dans son corps ». La motricité remplace les mots et les mots remplacent la motricité, ces procédés auto-calmants cherchent à calmer l’angoisse de mort par toujours plus d’excitation. Lors de la première séance, il prend un livre pour enfants et le tient de manière à être caché derrière, mais il ne s’agit pas d’un jeu de cache-cache qui suppose une double alternance/altérité : nous avons le sentiment qu’il nous fait disparaître de sa vue.

13Sur notre invitation, il réalisera un dessin unique, il n’y en aura pas d’autres avant longtemps : ce dessin représente une sorte de maison champignon au toit couvert d’espaces blancs, analogues aux ouvertures des fenêtres sans croisées, dont on ne sait s’il s’agit de taches ou de trous ; c’est encore une maison visage et les ouvertures, porte et fenêtres, semblent correspondre aux orifices du visage, voire du corps car la porte arrondie tout en bas est coloriée en marron. Sur le côté se tient un garçon sommaire, à l’unique bras dressé et se terminant par un objet marron également. Charlie commente ainsi ce dessin inaugural : « Un petit garçon qui mange sa chocolatrine (sic), il est sorti de la maison. » L’analité, très présente dans le dessin au niveau de l’utilisation des couleurs, colore l’expression choco-latrine dans une fécalisation de l’objet : faut-il la considérer comme un lapsus ou comme un néologisme ? La transmodalité renvoie également à la confusion des orifices.

14Nous répéterons en différé ce mot de chocolatrine, sans effet : pas de négation, pas de retour du refoulé, la décondensation n’opère pas ce jour-là et il est difficile de jouer avec la polysémie des mots. Il en ira de même pour les jeux très destructeurs et répétitifs auxquels se livrera Charlie, sans commentaires, durant quelques semaines : construire un mur de cubes, aligner des animaux derrière, puis tirer des boulets de canon jusqu’à ce que tous les animaux soient à terre. Après avoir épargné quelques survivants, nous lui proposerons, un peu à court, d’écrire des histoires ensemble, et le même scénario répétitif sera construit avec des mots équivalents aux boulets de canon en plastique.

15Le dessin semble signifiant, le jeu possède un scénario, l’histoire écrite est constituée d’un vocabulaire relativement riche, mais le tout est sans affect, inhabité. Nous aurons parfois l’impression de nous trouver avec un enfant-robot. Danon-Boileau (2007) s’interroge sur des sublimations qui se déploieraient à l’écart de toute symbolisation : peut-on les appeler sublimations, y compris pour des dessins parfois remarquables au plan esthétique ? Les œuvres de Charlie sont déconnectées ou encore, comme le dit Danon-Boileau (Ibid.), c’est « une œuvre sans effet sur son auteur ». La pensée de Charlie n’a pas d’effet sur ce qu’il ressent, l’écart est insuffisant entre le signifié et le signifiant : si Charlie ne supporte pas de perdre au jeu, c’est que la perte est totale, c’est la perte de lui-même. Il additionne les succès comme il additionne ou multiplie les chiffres. Dans ces conditions, la « configuration dans laquelle se trouvent excitation, pulsion, représentation et élaboration semble ici presque inversée par rapport aux descriptions classiques du processus psychique banal, qu’il s’agisse de celui de l’enfant, du créateur ou de l’artiste » (Ibid.).

16L’écart entre sa propre représentation et ce qui advient est à peine supportable ; il est l’équation symbolique de la mort imprévisible, dont Pascal (1998) dit : « Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter ». Charlie confond également le mouvement et le vivant : est vivant tout ce qui est animé, est mort tout ce qui est inanimé. Et de m’expliquer très sérieusement qu’il adore arracher les pattes des araignées, les pattes des faucheux plus exactement, parce qu’elles continuent à gigoter, séparées, mais vivantes : métaphore de ses pensées déconnectées qui s’agitent en dehors de lui et l’enveloppent comme une armure.

Caractéristiques communes des enfants à haut potentiel intellectuel

17Le haut potentiel intellectuel n’étant pas, de notre point de vue, une entité nosographique, le regroupement de ces sujets se fait sur un mode analogique qui ne veut pas dire homogène comme le précisent Delion et Golse (2008) à propos de l’autisme. Le critère commun est psychométrique, quantitatif, à savoir un quotient intellectuel supérieur à 130, bien que les recherches actuelles commencent à distinguer les « hauts potentiels » non académiques, par exemple le haut potentiel créatif. Nos propres recherches s’inscrivent entre pathologie et sublimation, et concernent les anachronismes dans le développement psychique. Dans cette perspective, ces enfants dits surdoués présentent néanmoins des caractéristiques communes. Nous en citerons trois.

18– Un questionnement intense sur les origines et la finitude, versus vide, manque, castration… qui nourrit longtemps des théories sexuelles infantiles peu refoulées et une relation au temps particulière (Weismann-Arcache, 2009).

19– Une utilisation contraphobique de la pensée et du langage qui tente de colmater une surcharge pulsionnelle en quête de procédés pare-excitants ou auto-calmants, à défaut d’objet. La relation d’objet possède un caractère traumatique, par excès ou par défaut (emprise/abandon ?) rappelant le jeu de cache-tampon : l’enfant brûle s’il s’approche de l’objet convoité, et gèle quand il s’en éloigne (Weismann-Arcache, 2010b).

20– Un évitement/refus des modèles, dans tous les domaines, tentative illusoire pour se déprendre du lien de dépendance à la réalité et aux objets. Ces sujets privilégient leurs propres représentations mentales, ce qui n’est pas sans rapport avec les soubassements identitaires et identificatoires et leurs aléas. Au niveau clinique, ce refus concerne les activités d’écriture et de copie, d’utilisation des règles scolaires et la réticence à dessiner et à jouer à des jeux symboliques. Les tâtonnements ne sont pas admis, car ils représentent l’écart entre le modèle à atteindre, l’idéal et les limites du Moi du sujet.

Fonctions de l’intelligence surdéveloppée

21Les aspects dysharmoniques, voire anachroniques, du développement de ces enfants questionnent les différentes conceptions du fonctionnement mental et de ses troubles : faut-il parler en termes de déficit/suppléance, de symptôme/défense, de handicap ou de trouble psychique, ou encore de processus autre ? À partir de là, deux hypothèses peuvent s’articuler :

  1. Il s’agit d’une population hétérogène qui couvre toute la gamme des classifications psychopathologiques, depuis les variations de la normale jusqu’aux troubles les plus sévères. Cette dimension transnosographique et transfrontalière du haut potentiel est retrouvée dans des fratries comportant des sujets dits surdoués présentant des troubles divers, répertoriés aujourd’hui comme dyspraxie, hyperactivité ou autisme de haut niveau.
  2. Notre hypothèse actuelle est la suivante : n’ayant pu accéder aux plaisirs auto-érotiques qui sont le préalable à la capacité de rêver, jouer et fantasmer, ces sujets ont développé un haut potentiel intellectuel pare-excitant, une pensée « auto-calmante ». L’enfant va développer un investissement du savoir de type « machiniste, en se servant de cet investissement comme d’un bouclier contre l’objectalité que ces savoirs mobilisent » (Goëb, Botbol et Golse, 2003). L’intelligence surdéveloppée empêche néanmoins la décompensation psychotique en maintenant un secteur clivé d’adaptation à la réalité, adaptation partielle liée au surinvestissement cognitif.

Conclure par et avec le transfert

22Pour Anna Freud (1949), ce sont les dangers pulsionnels qui rendent les hommes intelligents. Cependant, si les dangers internes dépassent les possibilités d’intégration du sujet, l’hyperactivité intellectuelle vise à ramener le calme à travers la recherche répétitive de l’excitation. Le surinvestissement intellectuel prend alors valeur de procédé auto-calmant, et s’accompagne paradoxalement d’un vide représentatif, les processus de pensée fonctionnant à vide. Souvenons-nous de l’activité très rythmée de Charlot à l’usine, qui ne semble pas propice à favoriser la pensée, la représentation. La référence cinématographique des Temps modernes évoque l’aspect mécanique, machinal et peu mentalisé des procédés auto-calmants. Ainsi, les difficultés de l’enfant à haut potentiel ne se résument pas à un problème de communication, car les particularités cognitives de ces sujets sont toujours accompagnées de difficultés affectives et semblent même parfois en être une conséquence. Rappelons qu’Anna Freud (1968) évoque le cas d’enfants présentant une intelligence verbale très développée au détriment de l’autonomie corporelle, du plaisir de jouer et de la socialisation, et le risque d’une utilisation perverse ou délinquante de cette intelligence dysharmonique.

23Nous conclurons sur la psychothérapie, et nous n’avons pas voulu céder à l’hyperactivité thérapeutique, ni reprendre à notre compte l’objectif de rentabilité du patron des Temps modernes : « pas de perte de temps, maximum de rendement ! ». Un jour, les parents de Charlie sont venus nous dire que Charlie « s’ennuyait pendant ses séances, ne fallait-il pas changer de thérapeute » ? Il est vrai que la rentabilité accompagne généralement l’interchangeabilité des objets. Ce à quoi nous avons répondu que nous étions ravies que Charlie s’ennuie. Au cours de cette dernière séance, Charlie nous a d’ailleurs raconté qu’il avait sauvé un faucheux qui était pris dans une toile d’araignée, car le faucheux ne fabrique pas de toiles. Alors si le faucheux peut échapper à la grande faucheuse, il nous semble que les forces de vie l’emportent sur celles qui poussent vers la mort et la destruction, et que l’ennui y est peut-être pour quelque chose, qui ouvre une brèche à la fantasmatisation et redonne une consistance au langage ! Nous n’avons pas déterminé si Charlie était « HPI, Thada » (haut potentiel intellectuel ; trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention) ou s’il s’inscrivait dans le spectre des troubles autistiques, mais quand il nous a quitté lors de sa dernière séance, il nous a serré la main en disant « à la prochaine ». Nous avons alors su qu’il reviendrait. Un an plus tard, il est revenu, vérifiant que le temps qui passe n’est pas seulement un temps de perte, mais peut être aussi un temps de retrouvailles : en un mot, le temps du transfert.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Anzieu D., Le Corps de l’œuvre, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1981.
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  • Freud, A., Le Normal et le pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1968.
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  • Weismann-Arcache, C., « L’adolescent savant : penser la mort pour rêver d’amour », Adolescence, n° 28, 2010b, p. 347-360.
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