1Des quelque 7 000 langues parlées sur Terre, 1 250 (soit 18 %) le sont en Australie, Nouvelle-Zélande et Océanie insulaire, région qui ne renferme que 0,6 % de la population mondiale. La plus grande diversité linguistique se trouve dans les zones tropicales (extrême nord de l’Australie et Mélanésie) : quelque 200 langues pour les Aborigènes, 70 aux îles Salomon, 110 à Vanuatu, et 830 en Papouasie-Nouvelle-Guinée (mais 1 115 dans toute la Nouvelle-Guinée). Les locuteurs sont souvent des groupes humains de taille réduite où aucune communauté ne parvient à s’imposer à une autre. Ils vivent dans des lieux reculés où le climat humide permet une production alimentaire suffisante tout au long de l’année, ce qui les pousse à vivre en quasi-autarcie.
2Il convient aussi de parler de la complexité des langues océaniennes. Elles appartiennent à trois grandes familles nettement différenciées. Les plus anciennes sont celles parlées par les Aborigènes. Suivent les langues papoues, centrées sur la Nouvelle-Guinée mais débordant sur les archipels proches. Les derniers arrivés sont les Austronésiens, qu’on retrouve depuis la Nouvelle-Guinée jusqu’à Hawaï et l’île de Pâques, dans les trois régions traditionnelles de l’Océanie insulaire (Mélanésie, Polynésie et Micronésie).
3Complexité supplémentaire, les langues papoues ont profondément influencé leurs voisines austronésiennes sur les plans phonétique, lexical et même grammatical, au point d’inverser leur ordre naturel de sujet-verbe-objet à sujet-objet-verbe dans certains cas.
4Établir une liste exhaustive et précise de cet ensemble linguistique est un exercice délicat. Nos connaissances sur un grand nombre de ces langues, notamment les plus petites, sont rudimentaires et la documentation, lorsqu’elle existe, est ancienne, incomplète et peu détaillée. D’où l’importance numérique des « isolats », ces langues qu’on ne peut classifier car il est impossible, pour l’heure, d’établir leur lien de parenté avec d’autres parlers. Une difficulté majeure réside également dans la délimitation entre langues et dialectes. Est-on confronté à deux simples variantes dialectales de la même langue, ou bien s’agit-il de langues authentiquement distinctes ? En Europe, la différenciation tient plus à des critères politiques ou culturels qu’à des données purement linguistiques. Plus objectif est le degré de compréhension mutuelle, lorsque plus de 85 % du vocabulaire de base des deux parlers est commun ou très proche. Mais lorsqu’on a affaire à une même langue étendue dans l’espace, la situation change : si deux variantes adjacentes ne posent aucun problème aux locuteurs concernés, l’intelligibilité devient difficile, voire impossible, lorsqu’on se situe aux deux extrêmes géographiques du même continuum linguistique.
5Cette extrême complexité s’est encore accrue au xixe siècle avec la colonisation européenne. Les contacts entre Océaniens et Européens ont donné naissance à diverses langues hybrides, composées d’un vocabulaire rudimentaire permettant la compréhension mutuelle entre les deux groupes, notamment dans les plantations. Ces « pidgins », conservant une grammaire essentiellement océanienne mais un lexique fortement influencé par les langues coloniales, anglais en tête, se sont parfois développés et enrichis au point de devenir une lingua franca rendant également possible l’échange entre Océaniens d’origine différente. Certains se sont même enracinés jusqu’à devenir la langue maternelle et usuelle de plusieurs communautés, c’est-à-dire de vrais créoles, et être considérés, notamment en Mélanésie, comme une langue nationale. Tel est le cas du tok pisin en Papouasie-Nouvelle-Guinée, du pijin aux Salomon et du bichelamar à Vanuatu, tous trois plus ou moins intelligibles mutuellement. Le pitcairnien et sa variante de Norfolk sont aussi des créoles.
6Les colonisateurs ont aussi fait venir de la maind’œuvre sous contrat : Japonais, Chinois, Vietnamiens, Indonésiens, Indiens. Leurs descendants, restés dans les archipels, sont bilingues, voire trilingues, et maintiennent plus ou moins la langue de leurs ancêtres.
7Mais ce sont les grandes langues coloniales qui se sont le plus complètement imposées : français (Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Polynésie française et partiellement Vanuatu), anglais partout ailleurs. Ces langues sont celles de l’école et de l’administration, on les retrouve dans les médias, et même si peu d’Océaniens les parlent couramment, ils savent qu’elles sont l’outil indispensable à toute promotion sociale.
8Elles constituent de ce fait une grave menace pour les langues océaniennes : la jeunesse les délaisse et les moins parlées sont en danger d’extinction totale. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a lancé un programme louable pour sauver un certain nombre d’entre elles, mais rien ne garantit que ces efforts seront suffisants face à la mondialisation galopante qui a fini par atteindre les mers du Sud.