Couverture de HERM_060

Article de revue

Cosmologie

Pages 25 à 32

Notes

  • [1]
    Décalage vers le rouge.
  • [2]
    Voir spécialement les chapitres de Jean-Philippe Uzan « Vous avez dit Big bang ? » et « Le nouveau regard de Planck sur la plus vielle image du monde ».
  • [3]
    L’onomatopée est douteuse, car rien ne peut faire détonner un substrat préexistant à l’univers sans porter atteinte à sa définition.
  • [4]
    L’une des bases de la théorie des supercordes avec les dimensions supplémentaires d’espace.

L’éternel poseur d’énigme : le cosmos

1Toi, ciel la nuit, tu fais ton bleu. La nature semble s’être donnée quelques modèles qu’elle introduit dans sa pratique sans qu’aucune fin ne soit atteinte. En aucune occasion elle ne ment mais elle ne commente jamais ses déclarations. Elle parle avec des éclairs ou des cieux bleus ou sombres. Et il y a des équations belles comme des femmes, des perles ou des cyprès qui rendent justice de l’expansion de l’espace, de son refroidissement et des transitions de phase (virement de cosmos) que celui-ci induit. Il est de nature de l’être pensant de former des idées d’univers, de zéro et d’infini, de s’en extasier, et de les révoquer en doute. De ce vertige naît une science typiquement morinienne qui combine cosmos et logos, organisation et langage.

2À la fin du xixe siècle, la philosophie des sciences dominées par le positivisme avait officiellement banni la cosmologie du champ scientifique. Mais sous la croûte glacée du dogme circulait le sang de la cosmologie implicite : des questions de nature cosmologique comme l’inertie, les principes de conservation, de l’entropie et la mort thermique de l’Univers et de l’existence de l’éther ou de sa non-existence taraudaient les meilleurs esprits. Aujourd’hui, à la suite des travaux d’Einstein, de Gamow ou de Lemaître…, la cosmologie a pris place au panthéon des sciences respectables.

3Cela signifie que les critères de scientificité ont changé, ou bien que le renouvellement du cadre théorique et des procédures d’observation permet aujourd’hui d’accorder le qualificatif de scientifique à la science de l’univers. Je pense qu’Edgar inclinerait pour la seconde solution, mais je n’en suis pas sûr. L’évolution concerne la manière dont sont posées les questions.

4Uranie, la vieille muse, fait flèche de tout bois. L’astronomie techniquement équipée et la cosmologie solidement arrimée à la physique mathématique. Ses discours se croisent avec ceux de la physique des particules. L’école du dehors a rejoint l’école du dedans.

5Dans les studios scientifiques s’écrit le scénario du Big bang. La mise en intrigue de la cosmologie relève, à l’évidence, d’un besoin inhérent à l’esprit humain, celui des grands récits. Quels furent les Homère de cette Odyssée ? Einstein vint en premier, avec un modèle général de gravitation géométrisée (géo-maîtrisée) qui permit de signifier une presque impensable unité. L’Univers entier put être conçu comme solution générale d’une équation de mouvement. Friedmann, en Russie agitée, exhiba des solutions non statiques des équations dont Einstein avait paralysé la houle au moyen de sa « constante cosmologique » ad hoc et fit prévaloir l’idée radicalement neuve d’évolution de l’Univers. Le pragmatisme anglo-saxon vint parachever la mise en branle du cosmos. Au moyen d’un télescope géant, poursuivant la grande enquête sur l’Univers inaugurée par les philosophes ioniens de Milet au début du vie siècle avant notre ère, il mit en lumière rougie la fuite généralisée des galaxies par le biais, du redshift[1] de leur rayonnement. C’est le savant abbé Lemaître qui, le premier, remarqua l’étroite corré lation entre le phénomène d’expansion et certaines conséquences mathématiques de la relativité générale née du génie d’Einstein (Friedmann et Lemaître, 1997). Ce n’est pas le moindre mérite de Georges Gamow et ses collaborateurs, Alpher et Herman, d’avoir inventé le Big bang et prévu qu’une lueur invisible filtre du fond des temps.

6La cosmologie observationnelle a connu des progrès fulgurants dans les années récentes (voir la note de lecture d’E. Kleinpeter dans ce numéro). Nous avons appris à corseter les modèles théoriques. Ces avancées ont été le moteur de la cosmologie de précision. Elles ont mis en vedette le modèle de Friedmann et Lemaître, amendé par l’inflation.

7Les données riches et nombreuses glanées par les observatoires et les satellites sont adéquatement décrites par une simple application de la relativité générale et la théorie quantique des champs. Cependant, ces théories sont conceptuellement incomplètes. Elles supposent que l’univers est issu d’une incompréhensible singularité (euphémisme d’aberration). Quelle est cette science qui admet à l’origine l’impensable infini de densité et de courbure ? C’est la cosmologie.

8Les connaissances cosmologiques sur la géométrie et l’extension de l’Univers, sa structuration et sa composition reposent sur trois types indépendants d’observations : l’étude détaillée du rayonnement cosmologique fossile, la fine cartographie des galaxies et des amas d’icelles, et une estimation précise de la luminosité et du redshift de la lumière des supernovæ extragalactiques, jalons de l’espace, ce qui permet de restituer les étapes de l’expansion de l’Univers (freinage et accélération). Mais ceci est trop bien connu pour que j’y revienne (Audouze, 2010 [2]).

9La cosmologie vise à donner un sens au mot univers. Uni vers quoi ? Uni par quoi ? Uni, pourquoi ? Vite, sur le feu, quelques réponses préliminaires à ce rébus, dans le style lapidaire des oracles : univers rien, il n’y a aucune intention manifeste dans le cosmos. Il est uni par ses lois, qui ne sauraient être moins qu’universelles ; par l’inflation primordiale, phase soudaine et brève d’expansion supraluminique de l’espace motorisée par la pré-lumière, « vide quantique » ou un de ses avatars, avec tout ce que cela comporte de problèmes et d’ambiguïté. Il y a simplement une chaîne physique de la genèse, ou plus exactement une procession de spins (attributs de rotation quantique) « Vide » (spin 0) ? Lumière (spin 1) ? Matière et antimatière (spin1/2) ? « vide » (spin 0). Nous sommes entre deux vides, celui du commencement et celui de la fin qui s’éternise. C’est sans dogmatisme aucun ce que la cosmologie écrit sur ses tablettes en ce moment. Car, comme son objet, l’Univers, elle est en évolution.

10Avec Edgar, dans un parfum d’été antique, nous avons parlé d’étoiles sous les oliviers (Cassé et Morin, 2003), de cosmologie dialogique (Morin, 2007a). Le processus scientifique n’aura été qu’un décentrage progressif et une lutte contre le géocentrisme. Nous en sommes, comme nous l’écrivions avec Edgar, à la cinquième révolution copernicienne, alors que la toute première (1. le Soleil n’est pas au centre de son système) n’a pas encore pénétré le langage. Nous disons, le matin, que le Soleil se lève, et le soir qu’il se couche…

112. Le Soleil n’est pas au centre de sa république d’étoiles, la Voie lactée ;

123. La galaxie n’est pas au centre de l’Univers (car l’Univers est une structure topologique qui n’a ni centre ni bord) ;

134. La matière atomique n’est que l’écume de la matière ;

145. L’univers observable n’est peut-être qu’une bulle dans un champagne généralisé (Barrau et Parrochia, 2010).

15Champagne pour tout le monde !

16Le mal nommé Big bang[3] est l’événement où la lumière (presque totalement) se transforme en matière et l’étoile, en revanche, le lieu où la lumière se transmute (partiellement) en matière. Le défi de la globalité que pose l’inadéquation aggravée entre un savoir fragmenté et des réalités multidimensionnelles et globales, est relevé (Morin, 2000b).

Paradis perdu

17Le programme épistémologique unitaire (avatar du monothéisme ?) a fait naître le rêve d’une théorie finale ? en démultipliant les dimensions d’espace et d’espèces de particules, toutefois ?, mais nous sommes venus trop tard dans un monde trop vieux pour goûter concrètement aux joies de la fusion des forces fondamentales qui façonnent le monde. Il nous reste cependant le privilège de restituer, par le calcul et par le raisonnement, cet état magnifique de nature où l’interaction forte était faible, où le lion paissait avec l’agneau, ou les leptons (électrons et neutrinos) se prenaient pour des quarks.

18« Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot “complexus”, “ce qui est tissé ensemble” » (Morin, 1995). Les constituants sont différents, mais il faut voir, comme dans une tapisserie, la figure d’ensemble. L’étoffe sans couture du monde s’est déchirée, elle est sans cesse retaillée, recousue, rafistolée. La matière est calcinée dans les fourneaux stellaires, puis expulsée violemment, refroidie, recapturée puis remise au fourneau, carbonisée et vomie à nouveau et jetée à la poubelle du ciel, sans tri de déchets : les étoiles ne savent pas ce qu’elles font, elles déversent dans le ciel des tombereaux de chair future. « Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier » (Morin, 1995).

Laideur au commencement et dessein stupide

19Le commencement est laid comme la naissance. Et s’il y a dessein, il n’est pas très intelligent. Dispendieux est le démiurge : nous ne sommes que le milliardième des potentialités originelles ? il y a, en moyenne dans l’Univers un proton pour des milliards de photons. L’astronomie, science de plein air et de haute lumière, a donné naissance à son double : l’astronomie underground, enterrée, qui cherche à révéler neutrinos et neutralinos. Signe et tu existeras, tel est le contrat entre particule et physicien. C’est un tour pas malin que la nature a joué à ce chasseur diurne que de faire de la matière visible l’écume de la matière.

20L’apparition d’infinis délétères dans les équations a grevé jusqu’ici toute tentative de quantification de la gravitation, mais une espérance s’est levée : la dernière aventure conceptuelle de ce siècle s’engage sous la bannière des boucles, des cordes et des branes (Barrau et Parrochia, 2010 ; Uzan et Peter, 2005), autant d’entités non observées voire inobservables. Ce retour à la splendeur scolastique ne va pas sans inquiéter les empiristes. Ils se tournent comme un seul homme vers le Cern. Les physiciens de haute énergie ne doutent pas de la réalité de la physique quantique. Et ils anticipent que les résultats du Large Hadron Collider amèneront le triomphe final de la théorie quantique des particules et des champs : leur Modèle standard, ou peut-être sa chute. Ils fomentent la production en chaîne de microtrous noirs de bouche et de durée trop petite pour avaler quoi que ce soit.

21L’Univers est un vase brisé dont chaque fragment a retenu l’étincelle :

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Le vrai problème (de réforme de pensée) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le « re », c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or, la boucle est auto-productive. À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant.
(Morin, 1995)

Unification et élection

23Les explications sont généralement de deux types en physique : unificatrice et élective. La situation est reconnue comme cas spécial d’un comportement général, un cas parmi d’autres. Si la situation était différente, nous aurions une conclusion différente de l’observation. La situation est reconnue comme le seul cas possible. La première approche consiste à formuler des règles (et non des « lois » qui pourraient être rendues caduques par un quelconque parlement) qui décrivent un nombre toujours plus grand d’observations et à comparer l’observation avec les règles. Cette démarche est appelée unification de la physique par ceux qui l’apprécient et réductionnisme par ceux qui la détestent. Par exemple, les mêmes règles décrivent le vol d’une balle de tennis, le flux et le reflux de la mer, la succession des âges glaciers et le moment où Vénus cesse d’être l’étoile du soir pour devenir celle du matin. Ces processus sont tous des conséquences de la gravitation, force universelle s’il en est. De même, il n’est pas évident que les mêmes règles décrivent l’origine des couleurs de nos yeux, la formation des éclairs, la digestion de la nourriture et le fonctionnement du cerveau. Ces processus sont décrits par l’électrodynamique quantique – Feynman (1988) a écrit à ce sujet le livre le plus délicieux qui soit. L’unification rencontre son plus vif succès lorsqu’elle prédit le résultat d’une observation qui n’a pas été faite jusque-là. Une bonne théorie ne se contente pas de décrire, elle prédit et prédit justement. Deux exemples édifiants sont (1) la divination de l’existence de l’antimatière par Dirac par inspection des solutions d’une équation qui décrit le comportement de la matière ordinaire, confirmée aussitôt par sa révélation dans le rayonnement cosmique, et (2) la mise en évidence des neutrinos dont la nécessité théorique avait été avancée par Wolfgang Pauli pour des raisons de pure légalité physique (les neutralinos, particules de matière noire sont dans l’attente de leur épiphanie).

24La seconde procédure dans la recherche d’explication est l’élimination de toutes les autres alternatives imaginables en faveur de la seule fructueuse, celle qui permet notre existence. On pourrait l’appeler élection, d’autres la qualifient d’anthropomorphique ou simplement d’arrogante. Nous sommes, d’une certaine manière, le peuple élu. Lorsque nous découvrons que la lumière vole de telle façon qu’elle met le moins de temps possible pour aller du point A au point B. Lorsque nous décrivons le mouvement (le changement) par un principe de moindre action, que faisons-nous d’autre qu’adopter ce second point de vue ? Ou, au contraire, ce principe ne renvoie-t-il pas à l’unification ? En résumé, l’unification, en répondant au pourquoi est-ce ainsi ? (quelle est la raison de… ? et non pas quel est le but de… ?), et l’élection, qui répond à la question pourquoi n’est-ce pas autrement ?, sont les germes de progrès tout au long de l’histoire de la science. Car il est indéniable qu’il y ait progrès dans la connaissance.

Dialogique quantique

25« Les particules sont dingues, affirme Richard Feynman (1988), mais elles le sont toutes de la même manière », sur le ton de la plaisanterie. On ne comprend le sens profond de cette saillie qu’au travers de l’intelligence dialogique de la pensée complexe :

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Les principes de la pensée complexe, la dialogique, la boucle récursive, le principe hologrammatique sont des expliquants qui vont, je le crois, plus avant dans l’élucidation de l’humain, de la vie, du monde. Mais les expliquants, comme tous les expliquants, sont eux-mêmes inexplicables.
(La Méthode, t. 5, 2001, p. 272)

27En effet, pour concevoir la dialogique quantique, il nous faut mettre en suspension le paradigme d’exclusion réciproque des opposés. Le grain a bu l’onde et l’onde a emporté le grain. Les ondes-particules se propagent comme des ondes et interagissent comme des particules. Les premières apportent leur flou et les secondes leur ponctualité. L’apparente « démence » du formalisme quantique n’est pas accidentelle. Son caractère contre-intuitif n’étonne plus personne : une partie de la nature de l’explication de l’ésotérisme de la mécanique quantique tient au fait que sa raison d’être est de heurter de plein fouet la raison classique et converger vers un point secret dont l’exploration ne fait qu’exacerber l’opacité plutôt que de l’atténuer.

28Prenez cette pierre et considérez la question de la compréhension de la nature des solides. On s’entend dire : la base ultime de la solidité de cette pierre est qu’elle est composée d’un nombre stupéfiant de petites briques solides comme la pierre. Il est intéressant d’appendre que la pierre est composée de micro-pierres, mais la question initiale ne s’éteint pas, car solide = solide ne nous apprend rien. Qu’est ce qui rend compte de cette solidité ? On peut résumer tout ceci en disant après Heisenberg : si les atomes doivent expliquer l’origine de la couleur et de l’odeur des corps matériels visibles, alors ils ne peuvent posséder des propriétés telles que la couleur ou l’odeur, ce n’est pas une pensée originale, mais il faut la garder en tête.

29Ce que nous voulons, au plus profond, c’est dissoudre la solidité dans une sorte d’acide conceptuel ou la désintégrer avec un marteau totalement différent duquel nous n’avons aucune expérience. Au plus profond, la dureté de la pierre relève fondamentalement du principe d’exclusion de Pauli qui exige que deux électrons (fermions) ne puissent occuper le même endroit s’ils ont même état quantique (vitesse et spin). Et, de fait, les électrons luttent pour leur espace vital, il s’ensuit que la matière se fait impénétrable. Mais pourquoi y a-t-il des fermions d’un côté (particules asociales), et des bosons (particules sociables) de l’autre ? Les bosons (dont la lumière est le plus beau fleuron) semblent plus

30« naturels » que les fermions, pour des raisons théoriques qu’il serait trop long d’expliquer ici. Pour légitimer l’existence des seconds, il faut faire appel à une théorie plus ésotérique encore, appelée supersymétrie[4] qui relie formellement bosons et fermions, considérés jusqu’ici comme classes irréductibles. Ce n’est que lorsque nous avons atteint un niveau complètement étrange que nous avons l’impression d’avoir réellement progressé dans l’explication du phénomène apparent. Toute clarté se paie d’un mystère. C’est de cette manière que fonctionne la « réalité » quantique. Elle est étrangère à notre esprit, contre-intuitive et dérangeante par construction, il ne faut pas s’en étonner.

31Briser le miroir des aliénations imaginaires banales pour devenir corps conducteurs de lois-images inédites pour expliquer la marche de l’Univers à ceux qui ne peuvent les rêver sera la parole qui convoque les âmes cheminantes et les technologies galopantes.

Cosmologie aux belles boucles

32La recherche d’une théorie quantique de la gravitation est un enjeu majeur de la physique contemporaine. La cosmologie quantique à boucles, qui quantifie l’espace-temps (Rovelli, 2006), a connu des développements étonnants ces derniers temps. Cette vision relationnelle de la physique n’est pas faite pour déplaire à Edgar : elle s’approche au plus près ce que nous pourrions appeler une cosmologie morinienne.

33Il y a nécessité de faire face à des problèmes comportant incertitudes et imprévisibilité, interdépendance et inter-rétroaction… avec discontinuité, non linéarités, déséquilibres, comportement « chaotiques », bifurcations.

34Cher Edgar, j’ai l’honneur de t’apprendre que le mur de Planck (obstacle épistémologique considéré comme définitif par la cosmologie traditionnelle) a été traversé, et que le Big bang n’est pas unique. Voici la théorie de la reliance généralisée et encerclée par la récursivité. Les adeptes des boucles annoncent fièrement le retour de l’éternel retour, il y a des Big bang successifs. L’histoire redevient cyclique. Le cercle du temps (grec et indien) revient, après une longue phase fléchée (chrétienne).

Cosmologie, où est ta victoire ?

35Big bang ! Comment accorder confiance à cette onomatopée sachant que la théorie de la relativité générale avoue elle-même son échec dans ce registre singulier ? Lorsque le nombre d’objets tend vers un, le langage tend vers zéro. Mais zéro est trop précis pour être quantique. Silence, donc, sur l’origine (Klein, 2010). Le chercheur entre dans les détails des sciences naturelles, et même avec un succès qui agrandit notre poésie.

36Toute parole est devenue lumière, le Big bang crie vers nous. Avec les scénarios inflationnistes, on espérait que la singularité du Big bang s’effacerait et que la cosmologie prenne un tour plus raisonnable. Mais l’inflation n’est pas la création. Il a été établi que cet espoir était déplacé. L’inflation est éternelle dans le futur, mais non dans le passé. Mais toute notre expérience de la physique fondamentale nous souffle à l’oreille que cet échec est imputable à la physique et non au monde. La catastrophe conceptuelle indique que la théorie a été poussée hors des limites de sa validité. Pour savoir ce qui s’est réellement passé aux alentours du soit-disant Big bang (onomatopée fâcheuse qui laisse penser qu’un milieu préexistant à l’Univers a détoné). Avant de crier au loup, nous devons ériger une véritable unification de la relativité générale et de la physique quantique. Cette unification ne doit pas présupposer que l’espacetemps est doux et onctueux ; elle doit faire son miel des structures non linéaires de la gravité, bien au-delà des théories de perturbation linéaires chères à la théorie quantique des champs. Ceci devrait plaire à Edgar. Dans le contexte de cette cosmologie complexe, qui transcende celle d’Einstein – à boucles et à rétro-actions, la liste des questions fondamentales s’établit ainsi (Ashtekar, 2010) :

  • Jusqu’où peut-on s’approcher du mirage de l’origine sans que l’espace-temps d’Einstein ne perde ses qualités de continuum ; existe-t-il enfin un atome d’espace, un atome de temps ?
  • La singularité du Big bang est-elle soluble dans la gravitation quantique à boucles ? Le mur de Planck, érigé par la relativité générale conjuguée à la théorie quantique des champs va-t-il voler en éclat sous le coup de boutoir de la cosmologie quantique à boucles ? ou bien un temps imaginaire, pré-chronologique, du genre de celui invoqué par Hartle et Hawking alléguant l’existence d’un temps, doit-il être invoqué ?
  • Le passage dans le goulet de l’ancienne « singularité » est-il déterministe ? Dans les scénarios cordeliers de pré-Big bang ou de l’univers ekpyrotique/cyclique à rebonds la réponse est négative car ces théories présupposent que l’espace-temps est un continuum, tout comme dans la relativité générale.
  • Si la singularité est édulcorée, qu’y a-t-il de l’autre côté : une écume d’espace-temps, ou un univers vaste et bien configuré ?
Voici les questions auxquelles nous avons à faire face, et ceci n’étonnera pas Edgar, Colomb de la pensée. Le paradigme ponctuel de la cosmologie (au temps zéro, l’Univers est sans extension, au temps de Planck, 10-43 seconde à partir du zéro, mirage de l’origine, les caravelles altières de la cosmologie se perdent dans le brouillard de l’espace-temps) est en passe d’être remplacé par l’éternel retour. Les matérialistes ne s’en plaindront pas.

37Au niveau fondamental, la cosmologie quantique à boucles ne présuppose pas un espace-temps classique, elle est indépendante du « fond » spatio-temporel. Les singularités initiales (Big bang) et finales (trou noir). Tout est quantique, proclament les bouclés, y compris la géométrie. Einstein est quantifié ! La nouvelle est bonne mais, si le but est transparent, la méthode est opaque. Je ne saurais en dire d’avantage. Et je vous laisse donc en vertige au seuil de cette révélation (Rovelli, 2006 ; Bojovald, 2011). Gödélisons ces jeunes filles ? je veux dire les théories. La cosmologie joue peut-être encore un rôle dans la redéfinition toujours renouvelée de ce qui est scientifique.

38On assiste aujourd’hui au retour de l’éternel retour (mythe athée, s’il en est), avec les cosmologies à rebonds (dont les ressorts sont les théories en cordes et boucles) et des éthers et fluides subtils ? quintessence, champ de Higgs et tous les champs scalaires que font proliférer les théories en pointe ou en cordes : inflaton, dilaton… Le « vide » quantique, écarteur d’espace et père de la lumière a pris place au sommet cosmique et logique du discours. À nulle époque autant d’esprit n’aura fouillé tant de vide.

39Enchaînement logique de propositions sur « l’univers » commun à tous les hommes (par opposition à l’univers imaginaire des poètes, des artistes et de certains théologiens), la physique s’efforçait de raisonner correctement sur ce qui est donné dans l’observation et l’expérience. L’enquêteur céleste poursuivait jusqu’au bout l’analyse logique de ce qui est donné par les sens, prolongés, le plus souvent, par des prothèses optiques et électroniques. Photons et électrons avaient été domestiqués comme chevaux et taureaux. Puis, l’astronomie, science de plein air et de haute lumière, fut littéralement plongée dans le noir ; et elle s’enterra. Fluets et espiègles neutrinos, anges tri-sexuels et lourds neutralinos de supersymétrie hantent le ciel de la physique repeint en noir. Le noir n’est pas l’absence, le vide n’est plus identifiable au néant. L’œil du calcul doit être capable de faire connaître toute chose visible et invisible. Mais toute clarté se paie d’un mystère. Si les philosophes médiévaux avaient pu connaître l’œuvre de Cantor, ils auraient su que le nombre d’anges pouvant tenir sur une tête d’épingle (2D) est le même que celui que peut loger le paradis (nombre infini de dimension et extension infinie). Ordinairement, on ne s’échine à calculer combien d’anges peuvent danser sur une tête d’épingle que si l’on ne remet pas en cause la théorie selon laquelle il existe des anges qui dansent sur les têtes d’épingles ? pour reprendre une expression qui revient de temps à autre sur les forums anglo-saxons. Ce qui est ici est partout, ce qui n’est pas ici est nulle part… Ne cherchez pas le paradis ! L’espace est perdu, mais le temps est retrouvé. Nous vivons au temps béni où la matière parle ; mais pour combien de temps ?

Ah, les beaux jours !

40Sans la physique mathématique, nous marcherions en aveugles derrière l’imagination du cosmos. Désormais, nous aimons le lointain comme nous-mêmes. Et être dans le vide, c’est être chez soi. Nous passons notre ciel à honorer les lois. La révolution c’est changer de ciel. Infini, peut-être il s’étend encore : le poème ? l’amour ? l’univers ! La cosmologie est-elle une science, une superscience ? Pas science du tout (Reeves, 1981) ? Cette question est d’un autre temps. Née en science la cosmologie se diluera-t-elle en poésie ? C’est tout le mal que je lui souhaite. Ainsi s’éteindra la genèse.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Ashtekar, A., « The Big Bang and the Quantum », arXiv : 1005.5491, mai 2010, En ligne sur <http://arxiv.org/abs/1005.5491>, consulté le 29/04/2011.
  • Audouze, J., Le Ciel à découvert, Paris, CNRS Éditions, 2010.
  • Barrau, A. et Parrochia, D. (dir.), Forme et origine de l’Univers. Regards philosophiques sur la cosmologie, Paris, La Recherche, Dunod, 2010.
  • Bojovald, M., L’Univers en rebond, avant le Big bang, Paris, Albin Michel, 2011.
  • Feynman, R. P., QED. A Strange Theory of Light and Matter, Princeton, Princeton University Press, 1988.
  • Friedmann, A. et Lemaître, G., Essai de cosmologie, précédé de L’Invention du Big bang de Luminet, J.-P., Paris, Seuil, 1997.
  • Klein, E., Discours sur l’origine de l’Univers, Paris, Flammarion, NBS, 2010.
  • Reeves, H., Patience dans l’azur. L’évolution cosmique, Paris, Seuil, 1981.
  • Rovelli, C., Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que l’espace ?, Bruxelles, Bernard Gilson Éditeur, 2006.
  • Uzan, J.-Ph. et Peter, P., Cosmologie Primordiale, Paris, Belin, 2005.

Notes

  • [1]
    Décalage vers le rouge.
  • [2]
    Voir spécialement les chapitres de Jean-Philippe Uzan « Vous avez dit Big bang ? » et « Le nouveau regard de Planck sur la plus vielle image du monde ».
  • [3]
    L’onomatopée est douteuse, car rien ne peut faire détonner un substrat préexistant à l’univers sans porter atteinte à sa définition.
  • [4]
    L’une des bases de la théorie des supercordes avec les dimensions supplémentaires d’espace.
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