Introduction
1Dans cet article, nous nous intéressons à la recherche documentaire informatisée (notée RDI, Barès, 1984; Dewèze, 1993; Sutter, 1984) d’un point de vue de psychologie cognitive, c’est-à-dire que nous examinons cette activité sous l’angle des processus psychologiques qui la sous-tendent. L’approche que nous proposons se distingue d’autres points de vue sur la RDI sur trois aspects : elle s’efforce de comprendre et de décrire les processus mentaux tels qu’ils se déroulent effectivement chez l’individu lors de cette activité; elle s’intéresse aux facteurs individuels qui, chez des enfants, sont susceptibles d’influencer la mise en œuvre de ces processus et par conséquent, leur efficacité ; nous faisons l’hypothèse qu’elle peut servir de support pour élaborer des séances pratiques (i.e., des interventions pédagogiques) destinées à aider les jeunes utilisateurs.
2Nous définissons la RDI comme l’activité d’un individu qui vise à retrouver, localiser et traiter une ou plusieurs informations secondaires au sein d’un environnement documentaire, dans le but de répondre à une question ou de résoudre un problème. Ces informations dites « secondaires » que cherche à localiser l’usager correspondent généralement à des références (e.g., documentaires, bibliographiques) qui permettent d’accéder à des informations primaires. En d’autres termes, la recherche documentaire vise à identifier et localiser des ressources informationnelles déjà traitées, soit par des individus soit par des machines. La recherche documentaire s’accompagne du qualificatif « informatisée » lorsque cette activité implique l’interaction entre deux systèmes, l’un humain (i.e., l’usager, l’utilisateur) et l’autre informatique (i.e., une base de données) via un logiciel et une interface.
3Les sciences de l’information et de la communication ont été parmi les premières à s’intéresser à l’activité de recherche documentaire d’abord réalisée manuellement, puis mécaniquement et enfin avec l’aide d’outils informatiques. Mais aujourd’hui, d’autres disciplines telles que la psychologie cognitive apportent leur contribution, notamment pour d’une part, mieux comprendre les comportements et difficultés des individus et d’autre part, proposer des solutions pour remédier à ces éventuelles difficultés. C’est cette double contribution que cherche à montrer cet article.
4D’un point de vue psychologique, l’activité de RDI peut être considérée comme un type particulier de résolution de problème. Par « problème », est entendue toute situation dans laquelle un individu (tel un élève) veut atteindre un objectif qui nécessite de passer par un certain nombre d’opérations mentales et d’actions (Newell et Simon, 1982 ; Phye et Andre, 1986) et pour laquelle cet individu ne dispose pas d’une réponse immédiate et appropriée (Weil-Barais, 1993). Alors, « résoudre un problème » correspond à toute activité caractérisée par des comportements dirigés en vue d’atteindre un but ou des sous-buts, ces derniers pouvant être des états physiques ou des états de connaissance (Anderson, 1985). Plusieurs caractéristiques liées à la RDI donnent à cette activité toute sa complexité :
- la représentation qu’a un enfant de l’environnement documentaire dans lequel il réalise une RDI est généralement floue et indéterminée ;
- les variables liées à la tâche sont souvent multiples (l’élève doit intégrer les consignes, choisir les outils adéquats, définir les objectifs, gérer le temps, etc.) ;
- ces variables évoluent avec le temps, ce qui introduit des contraintes particulières en termes de nécessaire flexibilité et adaptation de la mémoire ;
- la tâche est généralement prescrite par un adulte, souvent l’enseignant : l’élève doit donc comprendre ce qu’attend l’enseignant (notion de contrat didactique) ;
- lorsqu’un élève réalise une RDI, il recherche quelque chose (des références pertinentes) qu’il ne connaît pas et dont il n’est même pas certain que cela existe ;
- les « réactions » (i.e., réponses) de l’outil sont imprévisibles et peuvent apparaître comme aléatoires ;
- l’activité ne s’arrête pas dès qu’un « résultat » est trouvé : c’est l’élève qui doit généralement décider quand mettre un terme à l’activité ;
- s’il existe des stratégies expertes « optimales » pour réaliser l’activité, il n’existe pas un et un seul moyen d’aboutir au résultat ;
- l’activité de RDI est essentiellement symbolique dans le sens où elle repose sur la maîtrise du langage.
De l’identification des difficultés des élèves à des tentatives d’aides
5Comme le fait remarquer Mizzaro (1998), les études qui se sont intéressées aux difficultés rencontrées par les jeunes utilisateurs lors de RDI sont beaucoup moins nombreuses que celles qui se sont intéressées à ces difficultés chez les adultes. Néanmoins, certaines recherches ont examiné les comportements des jeunes utilisateurs et ont permis l’identification de domaines particulièrement problématiques pour cette population spécifique (Borgman, et al., 1999 ; Chan, Tan, et Wei, 2000 ; Hirsh, 2000). Cette identification des difficultés, notamment liées aux aspects psychologiques, est nécessaire si l’on souhaite mettre en place des séances susceptibles d’aider les jeunes usagers à réaliser plus efficacement leurs activités.
Les difficultés des élèves
6Les difficultés rencontrées par les enfants réalisant des RDI correspondent généralement à l’une des catégories suivantes :
7– Les difficultés motrices : réaliser une RDI nécessite généralement d’utiliser un clavier alphanumérique et/ou une souris informatique. Or, plusieurs études ont montré que les enfants des écoles primaires peuvent présenter de sérieuses difficultés dans la manipulation du clavier et de la souris (Erthal, 1985 ; Hooten, 1989 ; Solomon, 1993), ces difficultés pouvant perdurer pour certains jusqu’au collège (Borgman, et al., 1999 ; Eastman et Agostino, 1986). De plus, cela pose la question de l’accessibilité des outils de RDI via les claviers et les souris aux publics présentant des difficultés perceptives et/ou motrices avérées.
8– La faible motivation : comme pour la plupart des activités scolaires (eg., Lieury et Fenouillet, 1996 ; Tardif, 1999), il semble exister une relation étroite entre le degré de motivation et la réussite dans la RDI (e.g., Khulthau, 2000 ; Gross, 1999, 2000). En effet, certaines études ont cherché à démontrer que la faible motivation des élèves réalisant des RDI explique, en partie, leurs faibles performances (peu de références trouvées, passivité de l’élève durant l’activité, etc.). Le fait que le thème de la RDI soit généralement «externe» à l’élève (i.e., prescrit et défini par l’enseignant) serait responsable de cette faible implication des enfants dans l’activité.
9– Les « faiblesses » métacognitives : les travaux sur l’implication des facteurs métacognitifs dans l’activité de RDI sont apparus récemment (Dinet et Rouet, 2002). De manière générale, il apparaît que l’élève réalisant une RDI anticipe peu ses activités, contrôle rarement ses actions et ajuste encore plus rarement ses comportements en cas de problèmes. Or, certaines recherches actuellement menées tendent à montrer que les échecs des jeunes élèves lors d’une RDI peuvent être dus à un défaut dans ces opérations d’anticipation, de contrôle et d’ajustement, ces opérations se développant assez tardivement avec l’âge.
10– Les connaissances déclaratives : les connaissances déclaratives sont liées aux mots, aux contenus, aux objectifs. Par exemple, plusieurs de nos observations in situ ont confirmé les constatations d’études antérieures à savoir que les termes produits par les enfants pour interroger les bases de données comportent souvent des erreurs orthographiques (Borgman et Siegfried, 1992 ; Hooten, 1989 ; Solomon, 1993). Et lorsque le système documentaire répond qu’aucune référence n’a été trouvée et ce à cause d’une erreur orthographique, les jeunes utilisateurs considèrent volontiers que le « défaut » provient du système. De plus, pour un thème de RDI donné, les termes (ou mots-clefs) avec lesquels les enfants interrogent les bases documentaires sont d’une part, peu nombreux et d’autre part, peu variés (e.g., Moore et St. George, 1991 ; Solomon, 1993).
11– Les connaissances procédurales : ce sont des connaissances qui sont de nature dynamique, implicites et concernent le « comment faire quelque chose », comme conduire une automobile, utiliser un logiciel, etc. Certaines difficultés des élèves sont directement liées à des «défauts» dans ces connaissances procédurales liées aux actions, méthodes et procédures. Ainsi, très logiquement, l’une des principales causes d’échec des élèves réalisant une RDI est le faible niveau de maîtrise de l’outil, même après une durée d’utilisation relativement importante (Dinet, 2003). Mais, une RDI implique avant tout une démarche intellectuelle, indépendamment de l’outil. Or, rares sont les élèves de cycle élémentaire qui semblent connaître et maîtriser les procédures nécessaires à la réalisation d’une RDI. Une expérience visant à améliorer la prise en compte de ces aspects procéduraux chez de jeunes élèves est présentée ci-dessous.
Peut-on entraîner les élèves à la recherche d’informations ?
12Même si elles concernent des activités de recherche d’informations et non des RDI proprement dites, les résultats d’études récemment réalisées (e.g., Coutelet et Rouet, soumis) incitent à penser que les difficultés recensées chez les élèves de 11-12 ans sont en partie normales, et tiennent tout autant à l’élévation des exigences à l’école qu’à de supposés déficits dans les programmes d’enseignement au cycle III. Grâce à la réalisation répétée d’exercices simples qui demandent à l’élève de comprendre, d’évaluer et d’utiliser des informations lues dans des textes, Coutelet et Rouet (soumis) ont montré qu’il était possible d’entraîner la compétence à rechercher des informations, à condition d’aménager des séquences pédagogiques spécifiquement consacrées à cette compétence, sans autre enjeu disciplinaire. Ces exercices doivent porter sur des contenus familiers afin de ne pas cumuler les difficultés liées au contenu avec les difficultés liées à l’activité de recherche d’informations proprement dite.
13Dans leur étude, Coutelet et Rouet (soumis) ont étudié l’impact d’une intervention pédagogique focalisée sur certains aspects procéduraux, sur les stratégies de recherche d’informations d’élèves de 8 et 10 ans. La moitié des participants (groupe expérimental) recevait un entraînement spécifique à la recherche d’information tandis que les autres (groupe contrôle) ne recevaient aucun entraînement particulier. L’entraînement consistait à focaliser l’attention des élèves sur deux aspects procéduraux : la connaissance de l’outil et la connaissance de la démarche. Les résultats ont montré que si tous les élèves voient leur temps de recherche diminuer au fil des semaines, cette diminution est plus importante pour les élèves du groupe expérimental. Ce résultat indique qu’il est donc possible d’amener de jeunes élèves à être plus performants en recherche d’informations. Cependant, cet apprentissage est resté très superficiel (seulement 5 séances de 30 minutes), et n’a pas permis aux élèves de maintenir toute leur attention sur l’ensemble des aspects procéduraux. De plus, les résultats ont également montré que les stratégies évoluent au cours du cycle III, indépendamment de l’entraînement. Avant entraînement, les CE2 utilisaient des stratégies peu élaborées. Ils ont plutôt eu recours à la lecture linéaire en entier des documents présentés. Cette stratégie rudimentaire et peu économique est à rapprocher de la relative méconnaissance des organisateurs métatextuels (titres, marqueurs typographiques etc.). L’entraînement a permis une évolution qualitative des stratégies à court terme, mais, avec le temps, les élèves de CE2 revenaient à des stratégies plus simples. Au CM2, 80% des élèves utilisaient la stratégie la plus pertinente et ceci quel que soit le groupe. Pour ces élèves, il semble qu’il y ait donc eu un apprentissage de la tâche indépendamment de l’entraînement effectué. Il faudrait donc reproduire cette expérience en variant davantage les tâches utilisées. Quoi qu’il en soit, cette étude démontre que des séances pratiques qui se focalisent sur des aspects psychologiques préalablement identifiés (i.e., les aspects procéduraux) peuvent avoir des impacts sur les comportements des enfants.
Discussions et implications
14S’intéresser aux comportements de jeunes usagers effectuant des RDI, d’un point de vue de psychologie cognitive, trouve au moins deux grands types d’implications. D’une part, plusieurs études citées ici ont abouti à des modifications directes de logiciels et plus particulièrement d’interfaces d’outils de RDI afin de les « adapter » aux jeunes utilisateurs (e.g., Dinet, 2003). Même si certains problèmes restent encore à ce jour irrésolus notamment à cause de verrous « technologiques », l’apport des études comportementales et de la psychologie cognitive est indéniable. D’autre part, parallèlement à ces modifications d’interfaces et d’outils, les études issues de la psychologie cognitive peuvent également permettre de mettre en place des séances pratiques visant à développer les compétences des jeunes élèves (Coutelet et Rouet, soumis). Même si de telles séances n’en sont encore qu’au stade expérimental, certains résultats obtenus semblent encourageants puisqu’il apparaît que les performances des élèves en recherche d’informations peuvent être améliorées dans certaines conditions grâce à des entraînements spécifiques conçus sur la base de modèles théoriques récents, ces modèles ayant été élaborés après identification des compétences et difficultés des usagers (e.g., Rouet et Tricot, 1998).
Bibliographie
Références bibliographiques
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