Notes
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Les lecteurs avertis de Flaubert savent tous que Galata est devenu le mythique club de football du Galatasaray Spor Kulübü, fondé en 1905 par des étudiants du lycée !
La première lettre, en date du 14 novembre 1850, fut pour Loué Bouihlette prononcé à la turque !
1« De Constantinople où je suis arrivé hier matin, je ne te dirai rien aujourd’hui, à savoir seulement que j’ai été frappé de cette idée de Fourier : qu’elle serait plus tard la capitale de la terre. C’est réellement énorme comme humanité. Ce sentiment d’écrasement que tu as éprouvé à ton entrée dans Paris, c’est ici qu’il vous pénètre, en coudoyant tant d’hommes inconnus, depuis le Persan et l’Indien jusqu’à l’Américain et l’Anglais. Tant d’individualités séparées dont l’addition formidable aplatit la vôtre. Et puis c’est immense, on est perdu dans les rues, on ne voit ni le commencement ni la fin. Les cimetières sont des forêts au milieu de la ville. » Du haut de la tour de Galata [1] à voir toutes les maisons et toutes les mosquées (à côté et parmi le Bosphore et la Corne d’Or (pleins de vaisseaux), les maisons peuvent être comparées aussi à des navires, ce qui fait une flotte immobile dont les minarets seraient les mâts des vaisseaux de haut bord (phrase un peu entortillée : passons). Nous avons passé (rien de plus) dans la rue des bordels d’hommes. J’ai vu des bardaches qui achetaient des dragées, sans doute avec l’argent de leur cul, l’anus allait rendre à l’estomac ce que celui-ci lui procure d’ordinaire. Dans des salles au rez-de-chaussée, j’ai entendu les sons d’un violon aigre, on dansait la romaïque. Ces jeunes garçons sont ordinairement des Grecs ; ils portent de longues chevelures. »
2« Dans les cimetières, les chèvres et les ânes broutent tranquillement et la nuit, les putains turques viennent s’y faire baiser par les soldats. Le cimetière oriental est une des belles choses de l’Orient. Il n’a pas ce caractère profondément agaçant que je trouve chez nous à ce genre d’établissement. Point de mur, point de fossé, point de séparation ni de clôture quelconque. Ça se trouve à propos de rien dans la campagne ou dans une ville, tout à coup et partout, comme la mort elle-même, à côté de la vie et sans y prendre garde. On traverse un cimetière comme un bazar. Toutes les tombes sont pareilles. Elles ne diffèrent que par l’ancienneté seulement. Á mesure qu’elles vieillissent, elles s’enfoncent et disparaissent, comme fait le souvenir qu’on a des morts (dirait Chateaubriand). Les cyprès plantés en ces lieux sont gigantesques. Ça donne au site un jour vert plein de tranquillité. Á propos de rites, c’est à Constantinople que l’on peut dire : un site ! Ah ! quel tableau ! mais je n’y trouve aucune comparaison à établir avec Le Havre. »
3Flaubert s’inquiète ensuite de sa créativité défaillante… « Littérairement parlant, je ne sais où j’en suis. Je me sens quelquefois anéanti (le mot est faible) ; d’autres fois le style limbique (à l’état de limbe et fluide impondérable) passe et circule en moi avec des chaleurs enivrantes. Puis ça retombe. Je médite très peu, je rêvasse occasionnellement. Mon genre d’observation est plutôt moral. Je n’aurais jamais soupçonné ce côté au Voyage. Le côté psychologique, humain, comique y est abondant. On rencontre des balles splendides, des existences gorge-pigeon très chatoyantes à l’œil, fort variées comme loques et broderies, riches de saletés, de déchirures et galons. Et au fond toujours cette vieille canaillerie immuable et inébranlable. C’est là la base. Ah ! comme il nous en passe sous les yeux ! De temps à autre, dans les villes, j’ouvre un journal. Il me semble que nous allons rondement. Nous dansons non pas sur un volcan, mais sur la planche d’une latrine qui m’a l’air passablement pourrie. La société, prochainement, ira se noyer dans la merde de dix-neuf siècles, et l’on gueulera raide. L’idée d’étudier la question me préoccupe. J’ai envie (passe-moi la présomption), de serrer tout cela dans mes mains, comme un citron, afin d’en aciduler mon verre. »
4Mais rassurez-vous ! Dix lignes plus loin, les inquiétudes de Flaubert, quant à sa créativité, vont rapidement disparaître « Á propos de sujets, j’en ai trois qui ne sont peut-être que le même et ça m’emmerde considérablement… Une nuit de Don Juan à laquelle j’ai pensé au Lazaret de Rhodes, Une histoire d’Anubis la femme qui veut se faire baiser par le Dieu et mon roman flamand de la jeune fille qui meurt vierge et mystique entre son père et sa mère […] Ce qui me turlupine, c’est la parenté d’idées entre ces trois plans. Dans le premier, l’amour inassouvissable sous les deux formes de l’amour terrestre et de l’amour mystique. Dans le second, même histoire, seulement on s’y baise et l’amour terrestre est moins élevé en ce qu’il est plus précis. Dans le troisième, ils sont réunis et l’un mène à l’autre ; mon héroïne seulement en crève de masturbation religieuse après avoir exercé la masturbation digitale […] Hélas ! il me semble que lorsqu’on dissèque si bien les enfants à naître, on n’est pas assez bandant pour les créer. Ma netteté métaphysique me donne des terreurs. Il faut pourtant que j’en revienne ».
5Flaubert fait part ensuite à son ami de son périple sexuel en termes très cliniques nous rappelant qu’il était fils et frère de médecin ! « Il faut que tu saches que j’ai gobé à Beyrouth (je m’en suis aperçu à Rhodes) VII chancres, lesquels ont fini en deux puis en un. J’ai fait avec ça la route de Marmorisse à Smyrne à cheval. Chaque soir et matin, je pansais mon malheureux vi. Enfin, cela s’est guerry (sic). Dans deux ou trois jours la cicatrice sera fermée. Je me soigne à outrance. Je soupçonne une Maronite de m’avoir fait ce cadeau, mais c’est peut-être une petite turque. Est-ce la Turque ou la Chrétienne, qui des deux ? Problème ? Pensée !!! Voilà un des côtés de la question d’Orient que ne soupçonne pas La Revue des Deux Mondes. » Mais Flaubert n’était pas le seul de leur petit groupe à être touché ! Une chaude-pisse pour Sassetti, leur interprète et guide, un chancre bicéphale pour Maxime Du Camp pourtant abstinent depuis six semaines. « Si s’en est un, ça fait la troisième vérole qu’il attrape depuis que nous sommes en route. Rien n’est bon pour la santé comme les voyages. » La syphilis était partie prenante du siècle de Flaubert qui avait, lui, une appétence particulière pour les prostituées. Pour Flaubert, la prostitution et les prostituées étaient « le point d’intersection si complexe de la luxure, de l’amertume, du néant des rapports humains, de la frénésie du muscle et du sonnement de l’or, qu’en y regardant au fond le vertige vient. » Plus de trois mois après sa rupture d’avec Louise Collet, il fut atteint d’une nouvelle une infection vénérienne qu’il traita par le mercure à fortes doses (Herbert Lottman p134…).
6Il en profite pour étoffer la partie folklorique de son voyage, pour rappeler qu’il a vu les derviches tourneurs. « C’est crâne, la gueule vous en pète… mais nous avions à côté de nous un commis voyageur qui a pris les tambourins pour des fromages de Hollande ! » Cependant « Rien n’est plus gracieux que de voir valser tous ces hommes avec leurs grands jupons plissés et leur figure extatique levée au le ciel. Un d’eux nous a affirmé que, s’il ne fallait pas tenir ses bras au-dessus de sa tête, il est capable de tourner six heures de suite. Celui-là nous fait de temps à autre des visites. Nous lui donnons une bouteille d’eau-de-vie qu’il boit très bien en sa qualité de musulman… »
La seconde lettre… fut pour sa mère
7« Constantinople est éblouissant. Figure-toi une ville grande comme Paris, où il y a un port plus large que la Seine à Caudebec, avec plus de vaisseaux que dans Le Havre et Marseille réunis ; dans la ville, des forêts qui sont des cimetières ; certains quartiers rappellent les vieilles rues de Rouen, dans d’autres broutent des moutons ; le tout bâti en amphithéâtre sur des montagnes, et plein de ruines, de bazars, de marchés, de mosquées, avec des montagnes couvertes de neige à l’horizon et trois mers qui baignent la ville. Rien n’est plus joli que les caïques, les bateliers ont des chemises de soie. Au reste, il est temps de voir l’Orient car il s’en va, il se civilise.
8Nous avons visité le vieux sérail et les mosquées. Le sérail ne signifie pas grand-chose. Ce sont d’admirables appartements dans le plus beau point de vue du monde peut-être mais ornés et meublés dans un goût déplorable. Toutes les vieilles rocamboles d’Europe dont on ne veut plus, on les repasse aux Turcs qui donnent là-dedans avec la naïveté du barbare. Á part la salle du Trône, merveilleuse c’est le mot, tout le reste est de la petite musique – Sainte Sophie est une imposante basilique. […] Hier nous avons vu La Lucia. » Nous pourrions penser que Flaubert nous parle d’un des vaisseaux du port. Il n’en est rien. La Lucia est La Lucia di Lammermoor, l’opéra de Donizetti dont la première représentation à Constantinople avait été donnée le 24 novembre 1850 « dans un théâtre presqu’en tout point semblable à ceux que nous possédons en Europe et des artistes d’un ensemble fort satisfaisant et un public qui sait les apprécier ». Nous en reparlerons dans le dernier épisode de ce Flaubert en toutes lettres en son Voyage en Orient ! Flaubert fait part ensuite à sa mère du ballet Le triomphe de l’Amour pendant lequel il a failli « crever de rire… les danseuses pinçaient aux yeux du public un cancan effréné. La haute société d’ici, croyant que c‘est suprême bon ton, applaudissait à tout rompre à outrance. Les bons pachas étaient transportés. Il y avait des petites filles déguisées en amours qui lançaient des flèches, et un dieu Pan avec un pantalon de velours noir à bretelles. C’était bon ». Flaubert ajoute enfin que Pera, le quartier européen, est « plein de bottes vernies, et de gants blancs, les hautes dames turques se font voiturer dans des coupés, qui ne sont pas des chariots de l’Anatolie tirés par des bœufs. »
9Toutefois le futur voyage de la mère de Flaubert en Italie pour les rejoindre « avec qui et comment ? » occupera une place importante dans son courrier. Mais la coloration de ces lettres sera plutôt moraliste en un contrepoint surprenant avec celles adressées à Louis Bouilhet ! « Il y a beaucoup de choses du monde que dans ta candeur, pauvre vieille, tu ignores. Moi qui deviens, un très grand moraliste et qui d’ailleurs me suis toujours plongé à corps perdu dans ce genre d’études, j’ai soulevé pas mal de coins de rideau qui cachaient des turpitudes sans nombre. On apprend aux femmes à mentir d’une façon infâme. L’apprentissage dure toute leur vie. Depuis la première femme de chambre qu’on leur donne jusqu’au dernier amant qui leur survient, chacun s’ingère à les rendre canailles, et on crie contre elles. Le puritanisme, la bégueulerie, la bigoterie, le système du renfermé, de l’étroit, dénature et perd dans sa fleur les plus charmantes créations du bon Dieu. Nous portons en nous notre passé pendant toute notre vie » […] Je te parlais d’observation morale… je n’aurais jamais soupçonné combien ce côté est abondant en voyage. On s’y frotte à tant d’hommes différents que véritablement on finit par connaître un peu le monde ». Flaubert fait part alors à sa mère de ses rencontres avec des médecins qui connaissaient son mari. Il ajoute que « La terre est couverte de balles splendides. Le voyage a des mines de comique immenses, et inexploitées. Je ne sais pourquoi personne jusqu’à présent n’a fait cette remarque qui me parait bien naturelle. Et puis, c’est qu’on se déboutonne si vite, on vous fait des confidences si étranges. Un homme voyage depuis un an et ne trouve personne à qui parler ; il vous rencontre un soir dans un hôtel ou sous une tente ; on parle d’abord politique, puis on cause de Paris, puis le bouchon sort tout doucement, le vin s’épanche, et en deux heures voilà qu’on vide le reste, jusqu’au fond, ou à peu près. Le lendemain on se sépare, et l’on ne reverra jamais son ami intime, de la veille au soir. Il y a même à cela souvent des mélancolies singulières. »
10Pour rester dans la veine moraliste tout en gardant son sens de l’observation, hors du commun, du romancier, Flaubert lui conte celle de son entourage. « Nous sommes venus sur le Lloyd avec un Américain, sa femme et son fils, de braves gens qui voyagent pour passer le temps. Le fils est un grand nigaud de 14 ans, rouge, muet dégingandé et frénétique d’une lorgnette qu’il ne quitte pas. Le mari est un gros petit bonhomme, gaillard, carré, gai. La femme qui peut avoir 40 ans, parle français avec un petit accent très gentil : figure impassible, blonde, robe de soie, beaucoup de cold-cream, l’air distingué et très gracieux. Pendant trois jours, j’ai travaillé scientifiquement ce ménage transatlantique (gens très comme il faut du reste) et voilà le résultat de mon travail. Le fils est ou sera prochainement mené chez les filles par le courrier de son papa, lequel courrier s’entend avec le drogman pour voler son maître. Monsieur brutalise Madame qui se lave les yeux avant de se mettre à table. De plus, j’ai découvert que ce bon Américain est un affreux polisson qui chauffe une petite femme grecque, épouse d’un drogman du consulat et laquelle n’est pas digne de nouer les lacets de la lady américaine. Le bonhomme évince son fils et sa femme pour avoir avec la fille des Grecs des entretiens mythologiques. »
La troisième lettre pour l’oncle Parain en date du 24 novembre 1850
11« Le port de Constantinople est plein d’oiseaux. Vous savez que les Musulmans ne les tuent jamais. Il y a des bandes de goélands qui nagent entre les navires. Les pigeons perchent sur les cordages des navires et de là, s’envolent pour aller se poser sur les minarets ». Flaubert complète ainsi une description ornithologique ébauchée avec Louis Bouilhet. « Les pigeons vivent aussi par centaines dans les cours des mosquées et de la mosquée Bajazet. C’est une œuvre pie que de leur jeter du grain. Quand on arrive, ils s’abattent sur les dalles de tous les côtés de la mosquée, des corniches, des toits, des chapiteaux des colonnes. Le port a aussi ses oiseaux familiers. Au milieu des navires, et des caïques, on voit les cormorans voler ou qui se reposent sur les flots. Sur les toits des maisons, il y des nids de cigognes, abandonnés l’hiver […] Souvent, en vous promenant en canot avec moi, vous preniez instinctivement la chaîne. Si vous alliez en caïque sur le Bosphore, je ne sais à quoi vous vous accrocheriez. Figurez-vous des barques de vingt-cinq à trente pieds de long sur deux et demi tout au plus de large, pointues comme des aiguilles à l’avant et à l’arrière. On peut y tenir deux dedans. On s’accroupit au fond, et il faut rester complètement immobile de peur de chavirer. Les deux rameurs, en chemise de soie, se servent de rames dont la partie comprise entre le tolet et la poignée a un renflement énorme qui fait contre poids. Quand on est dans une semblable embarcation, que la mer est calme et que les caikdjis sont bons, on vole sur l’eau. »
12L’oncle étant très sensible à la beauté féminine, Flaubert lui brosse un tableau que n’aurait pas renié Marcel Aymé dans La Jument verte ! « Ah ! vieux polisson de père Parain, si vous étiez ici vous ouvririez de grands yeux à voir dans les rues les femmes. Elles se font voiturer dans des espèces de vieux carrosses suspendus et dorés à l’extérieur comme des tabatières. Là-dedans, couchées sur des divans comme dans leur maison, on peut les contempler tout à son aise. Elles ont sur la figure un voile transparent à travers lequel on voit le rouge de leurs lèvres peintes et l’arc de leurs sourcils noirs. Dans l’intervalle du voile, entre le front et les joues, paraissent leurs yeux qui brûlent à regarder et qui dardent sur vous, d’aplomb, leurs prunelles fixes. De loin, ce voile, que l’on ne distingue pas, leur donne une pâleur étrange, qui vous arrête sur les talons, saisi d’étonnement et d’admiration. Elles ont l’air de fantômes. Á travers les voiles qui retombent sur leurs mains, brillent leurs bagues de diamants ; et songer, miséricorde ! que dans dix ans elles seront en chapeau et en corset ! qu’elles imiteront leurs maris qui se font habiller à l’européenne, portent des bottes et des redingotes ! » Mais Flaubert avait eu la prudence de nous prévenir « que la voiture quelquefois est close par des rideaux de soie ! »
13Flaubert aborde ensuite avec l’oncle Parain les charmes de Constantinople, « Vous seriez capable d’y passer le reste de votre vie… Une fois rentré dans les bazars, vous n’en sortiriez plus. Toutes les boutiques sont ouvertes, on s’assoit sur le bord, on prend la pipe du marchand et on cause avec lui. On peut y revenir vingt jours de suite sans rien acheter. Quand un marchand n’a pas ce que vous désirez, il se lève de dessus son tapis et vous mène chez un voisin. Mais quand il s’agit du prix, il faut, règle générale, commencer par rabattre des deux tiers. On se dispute pendant une heure ; il jure par sa tête, par sa barbe, par tous les prophètes, et enfin vous finissez par avoir votre marchandise avec 50, 60, 75 pour cent de rabais. Les Persans sont d’infâmes gueux. Avec leur bonnet pointu et leur grand nez, ils ont des balles de gredins très amusantes. »
Je m’en vais relire tout L’Iliade… La sérénité m’abandonne
14Flaubert avait eu le temps de lire à Smyrne au cabinet de lecture Arthur d’Eugène Sue et il en fait part à Louis Bouilhet « Il y a de quoi en vomir, ça n’a pas de nom. Il faut lire ça pour prendre en pitié l’argent, le succès, et le public. La littérature a mal à la poitrine. Elle crache, elle bavache, elle a des vésicatoires qu’elle couvre de taffetas pommadés, et elle a tant brossé la tête qu’elle en a perdu tous ses cheveux. Il faudrait des Christs de l’Art pour guérir ce lépreux. En revenir à l’antique, c’est déjà fait. Au Moyen-âge, c’est déjà fait. Reste le Présent. Mais la base tremble ; où donc appuyer les fondements ? La vitalité et partant, la durée est à ce prix, pourtant. Tout cela m’inquiète tellement que j’en suis venu à ne plus aimer qu’on m’en parle : j’en suis irrité parfois comme un galérien libéré quand il entend causer système pénitentiaire ; avec Maxime qui n’y va pas de main morte et qui n’est pas un gaillard encourageant ; et j’ai besoin rudement d’être encouragé. D’un autre côté, ma vanité n’est pas encore résignée à n’avoir que des prix d’encouragement ».
15« Celui qui, voyageant, conserve de soi la même estime qu’il avait dans son cabinet en se regardant tous les jours dans sa glace, est un bien grand homme ou un bien robuste imbécile. Je ne sais pourquoi, mais je deviens très humble… »
16« En passant devant Abydos j’ai beaucoup pensé à Byron. C’est là son Orient, l’Orient turc, l’Orient du sabre recourbé, du costume albanais, et de la fenêtre grillée, donnant sur les flots bleus. J’aime mieux l’Orient cuit du Bédouin et du désert, les profondeurs vermeilles, de l’Afrique, le crocodile, le chameau, la girafe… »
17« Je regrette de ne pas aller en Perse (l’argent ! l’argent !). Je rêve des voyages d’Asie, aller en Chine par terre, des impossibilités, les Indes ou la Californie, qui m’excitent toujours sous le rapport humain. D’autres fois je me prends de tendresses à en pleurer, en songeant à mon cabinet de Croisset, à nos dimanches. Ah comme je regretterai mon voyage et comme je le referai et comme je redirai le même monologue : « Imbécile, tu n’as pas assez joui. »
18« Pourquoi ai-je une envie mélancolique se retourner en Égypte et de remonter le Nil, et de revoir Kuchuk-Hanem… C’est égal ; j’ai passé une soirée comme on en passe peu dans la vie. Du reste je l’ai bien senti […] Pourquoi la mort de Balzac [annoncée dans le Journal de Constantinople du 14 septembre 1850] m’a-t-elle vivement affecté ? Quand meurt un homme que l’on admire on est toujours triste. On espérait le connaître plus tard et s’en faire aimer. Oui, c’était un homme fort qui avait crânement compris son temps. Lui qui avait si bien étudié les femmes, il est mort dès qu’il a été marié et quand la société qu’il savait a commencé son dénouement. Avec Louis-Philippe s[’en] est allé quelque chose qui ne reviendra pas. Il faut maintenant d’autres musettes. »
Bibliographie
Quelques références
- 1. Flaubert G. Correspondance Tome I. Bibliothèque de la Pléiade, p 701-732.
- 2. Flaubert G. Correspondance. Le voyage d’Orient. Folio N° 3126, p 107-138.
- 3. Flaubert G. Correspondance. Le voyage d’Orient. Folio N° 4407, p 365-385.
- 4. Lottman H. Vers l’Orient avec Du Camp. Fayard, p 134-144.
- 5. Fauconnier B. Flaubert. Folio Biographies. N°90
Notes
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[1]
Les lecteurs avertis de Flaubert savent tous que Galata est devenu le mythique club de football du Galatasaray Spor Kulübü, fondé en 1905 par des étudiants du lycée !